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| apories théologales | |
| | Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: apories théologales Dim 23 Oct 2016, 17:58 | |
| - 1 Corinthiens 13,7.13 a écrit:
- (l'amour)... croit tout, espère tout...
Mais maintenant demeure [au singulier dans le texte] foi, espérance, amour, ces trois-ci; mais plus grand de/que ceux-ci, l'amour. Je ne sais pas pourquoi je remarque aujourd'hui, dans ce passage si bien connu, cette curiosité structurelle: "l'amour" substantivé (au féminin, hè agapè), sans "objet" désigné (ni "Dieu", ni "le prochain", ni "les ennemis", ni "les uns les autres"), apparaît au v. 7 comme sujet (grammatical) de ce qu'il est dit "dépasser", comme "plus grand", au v. 13: la foi et l'espérance, là verbes conjugués ( pisteuei/elpizei), ici substantifs ( pistis/elpis). Dans un sens, la première affirmation paraît éclairer la seconde: là où il y a "amour", il y aurait forcément "foi" et "espérance", celles-ci découleraient de celui-là comme de source. C'est tout un (singulier) et pourtant cela fait nombre, "trois", dans lequel il y a plus ou moins "grand". A moins que "l'amour" ne soit à lui seul plus grand que l'économie des trois. La réciproque est expressément exclue, en ce qui concerne la "foi": on pourrait "l'avoir", celle-ci, à déplacer les montagnes (allusion et coup de pied de l'âne à la tradition [pré-]évangélique), et ne pas "avoir l'amour", et dans ce cas "n' être rien" (v. 2). De "l'espérance", certes, rien n'est dit de semblable, mais on peut facilement l'imaginer. En revanche, "l'amour" ne serait pas pensé sans "foi" ni "espérance", en tout cas pas "maintenant" -- alors qu'il semble l'être sans "connaissance", tout au moins sans cette "connaissance" qui, fût-elle spirituelle ou miraculeuse (v. 2), reste "partielle" tant qu'elle n'atteint pas à la réciprocité du "(re-)connaître comme je suis (re-)connu" (v. 9-12): le premier type de connaissance est voué à disparaître, le second se confond avec "l'amour" (voir aussi ici). Semble en tout cas se dégager l'idée (loin d'être anodine si l'on songe à l'épître aux Romains et à tout ce qu'on en a fait) que la "foi" et l'"espérance" ne sont pas des "valeurs" autonomes, à garder pour elles-mêmes et coûte que coûte; qu'elles ne valent qu'en tant qu'elles procèdent, toujours à nouveau, de "l'amour". Et qu'il faudrait savoir les perdre pour pouvoir, éventuellement, les y retrouver. A la condition de l'inconditionné. |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 24 Oct 2016, 16:14 | |
| 7 Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. ... 13 Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l'espérance et l'amour, mais l'amour est le plus grand. (TOB) |
| | | free
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 24 Oct 2016, 16:45 | |
| - le chapelier toqué a écrit:
- 7 Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. ... 13 Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l'espérance et l'amour, mais l'amour est le plus grand. (TOB)
ce qui me surprend dans ce txte, c'est l'aspect absolu de l'amour : " il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout." J'ai l'impression qu'il s'agit plus de procédé littéraire qui vise a sublimer l'amour que d'un concept, ou l'amour, il croit tout, il espère tout. Que peut-on mettre derrière le mot "tout" ? Merci Narkissos pour cette analyse, effectivement il est intéressant de noter que la "foi" et l'"espérance" ne sont pas des "valeurs" autonomes, à garder pour elles-mêmes et coûte que coûte; qu'elles ne valent qu'en tant qu'elles procèdent, toujours à nouveau, de "l'amour". Comme tu le soulignes, cela est d'autant plus étonnant, car Paul dans l'épitre aux Romains affirme : " Car nous estimons que l'être humain est justifié par la foi, en dehors des œuvres de la loi" (3,28), la foi semble être la valeur absolue, sans être une conséquence de l'amour. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 24 Oct 2016, 18:45 | |
| Effectivement, par définition (plus exactement par défaut ou par excès de définition), dans "l'absolu" tout se résout, s'absout, se dissout. Un mot quel qu'il soit (c'est souvent le cas de "l'amour" dans le NT, pas seulement ici) porté à ce niveau d'incandescence devient "fou", il perd toute délimitation, toute détermination et toute définition, il ne veut plus rien dire à force de vouloir tout dire. Et en même temps cette expérience "extatique" de langage (ce qu'il m'est arrivé d'appeler de façon quelque peu irrévérencieuse "orgasme verbal", à propos de Paul précisément qui en est coutumier) n'est pas insignifiante, elle "traduit" remarquablement "l'expérience religieuse" et sa nécessité, à la lettre, de parler pour ne rien dire.
Au passage, on ne peut pas manquer de remarquer l'analogie entre les explosions lyriques de Paul, où tout est en tout et réciproquement, et la "glossolalie" (ou "parler en langues") dont il se distancie ostensiblement dans cette épître et jusque dans ce chapitre: il s'agit dans les deux cas d'"affoler", de subvertir ou de détourner le langage et la raison ordinaires; mais ce qui est d'un côté le fait d'une pratique communautaire, relativement spontanée et populaire, n'arrive de l'autre qu'au terme d'un processus "intellectuel", plus ou moins logique mais toujours compliqué.
Dans l'épître aux Romains et tout ce qui s'ensuit, en effet, "l'amour" découle de la "foi" plutôt que le contraire -- quoique la "foi" soit aussi lue comme une réponse, seconde donc, à "l'amour de Dieu". La "foi" fonctionne mieux que l'amour comme "principe actif" de la théorie ou de la rhétorique, mais l'horizon, le commencement et la fin, reste "l'amour" (cf. notamment chap. 5, 8, 11). |
| | | free
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| Sujet: Re: apories théologales Mar 25 Oct 2016, 13:06 | |
| - Citation :
- En revanche, "l'amour" ne serait pas pensé sans "foi" ni "espérance", en tout cas pas "maintenant" -- alors qu'il semble l'être sans "connaissance", tout au moins sans cette "connaissance" qui, fût-elle spirituelle ou miraculeuse (v. 2), reste "partielle" tant qu'elle n'atteint pas à la réciprocité du "(re-)connaître comme je suis (re-)connu" (v. 9-12): le premier type de connaissance est voué à disparaître, le second se confond avec "l'amour" (voir aussi ici).
Dans 1 Co, la triade apparaît comme « le ciment de la communauté » qui permet à celle-ci de tenir dans le temps : la foi (ou le Christ) rassemble, l ’amour tisse les liens et veille à leur entretien, et l’espérance oriente les croyants vers un avenir commun. Dans cette lettre, l’ordre de la triade est différent et adapté aux besoins des Corinthiens : foi, espérance, amour. Mais l’amour reste à la place centrale (voir l’hymne de 1 Co 13). http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1736.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Mar 25 Oct 2016, 15:32 | |
| Par-delà ses antécédents et ses suites "historiques" (p. ex. le platonisme et la trinité), la fascination (chrétienne entre autres) pour le chiffre trois relève d'une "logique", pour ainsi dire intemporelle ou transhistorique. Dans l'un toute différence s'annule, à deux la différence apparaît, à trois elle commence à faire structure, système, économie, clôture possible ne serait-ce qu'en revenant à elle-même sur un mode cyclique ou réflexif (l'un et le deux, ça fait déjà trois quand on y pense). Si la vérité commence à deux, comme disait Jaspers, la théorie commence à trois, ça vaut aussi bien pour les "idées" que pour les "personnes". La pensée paulinienne, quoiqu'elle varie beaucoup d'une épître à l'autre, est globalement théorique et structurante malgré et avec ses moments "fusionnels", et à ce titre elle contribue en effet à rendre le "christianisme" relativement stable dans la durée.
Une autre remarque à faire (plutôt du côté "fusionnel") sur ce chapitre est que "l'amour" absolu se distingue même de toute "vérification" ou "justification" pratique. Ni la générosité concrète ni le don de soi ne le "prouvent" (v. 3). Le mot devenu "fou" et littéralement incontrôlable court le risque d'être aussi un mot parfaitement vide de sens effectif, d'où les réactions "antipauliniennes" (Matthieu, Jacques, 1 Jean) qui tentent de lui restituer un "contenu" concret: aimer c'est faire ceci ou cela; mais en même temps c'est tout autre chose que faire, et c'est le mérite du moment de "délire" paulinien que de le dire. |
| | | free
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| Sujet: Re: apories théologales Mar 25 Oct 2016, 16:24 | |
| Je trouve que le raisonnement de Paul a une certaine cohérence. En effet, lorsque les chrétiens seront dans la présence de Dieu (selon Paul), la foi et l'espérance n'auront plus aucune utilité mais l'amour demeurera, ou selon le v 8 "L’amour ne disparaît jamais" (TOB).
La triade (amour, foi et espérance), n'est pas le résultat d'un travail particulier ou des mérites particuliers du croyants mais le gage de la présence et de l’action du Saint Esprit, 1 Cor 12, 4 ss :
"Or il y a diversité de dons de la grâce, mais c'est le même Esprit ; diversité de services, mais c'est le même Seigneur ; diversité d'opérations, mais c'est le même Dieu qui opère tout en tous. Or à chacun la manifestation de l'Esprit est donnée pour l'utilité commune. En effet, à l'un est donnée par l'Esprit une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; à un autre, de la foi, par le même Esprit ; à un autre, des dons de guérison, par l'unique Esprit ; à un autre, la capacité d'opérer des miracles ; à un autre, celle de parler en prophète ; à un autre, le discernement des esprits ; à un autre, diverses langues ; à un autre, l'interprétation des langues. Mais c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun en particulier comme il le décide." |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: apories théologales Mar 25 Oct 2016, 18:56 | |
| Il y a toutefois un double hiatus dans l'expression: d'un côté, il n'est pas dit que la foi et l'espérance "passeront", comme la prophétie, les langues ou la connaissance "partielle", que l'auteur semble impatient de laisser derrière lui à l'instar des traits de l'enfance; le "maintenant" n'est pourtant pas le temps de l'accomplissement futur où les charismes auraient passé, où "l'amour-qui-ne-passe-jamais" coïnciderait avec le "(re-)connaître comme je suis (re-)connu", et où la foi et l'espérance elles-mêmes n'auraient plus lieu d'être.
D'où la tentation pour les interprètes "anticharismatiques" des générations ultérieures de redistribuer cette double opposition bancale en un schéma à trois temps: 1) celui des charismes tous azimuts, qui aurait (ou serait) déjà "passé"; 2) celui de la seule triade foi-espérance-amour, qui correspondrait à leur "maintenant"; 3) celui de l'accomplissement encore futur. Ce n'est évidemment pas ce que dit le texte: dans son "maintenant", il y a encore des "charismes", même si l'auteur n'en paraît pas franchement ravi et ne les met pas sur le même pied que la foi et l'espérance.
A propos de triade, on ne manquera pas celle de 12,4-6 (que tu viens de citer): pneuma-kurios-theos, Esprit-Seigneur-Dieu, où kurios = Seigneur correspond à Jésus-Christ, comme presque toujours dans les textes pauliniens. |
| | | free
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| Sujet: Re: apories théologales Jeu 27 Oct 2016, 13:27 | |
| Les épîtres attribuées à Paul Juxtaposent souvent foi et amour :
"C'est pourquoi moi aussi, ayant entendu parler de votre foi dans le Seigneur Jésus et de votre amour pour tous les saints" (Ep 1,15 - voir aussi Ep 3,17-18)
De même dans l'épître aux Colossiens :
"nous avons en effet entendu parler de votre foi en Jésus-Christ et de l'amour que vous avez pour tous les saints" (Col 1,4)
Paul écrit à Philémon :
"car j'entends parler de l'amour et de la foi dont tu fais preuve envers le Seigneur Jésus et pour tous les saints." (v 5)
Dans tous ces textes, l'amour apparaît, à côté de la foi. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Jeu 27 Oct 2016, 15:33 | |
| On notera que la formule maladroite et visiblement peu réfléchie de Philémon (la "foi" en/pour/envers les saints ne veut pas dire grand-chose, sauf à donner à pistis le sens de "fidélité" qui n'est précisément pas celui que lui donne Paul, surtout depuis l'épître aux Romains) est corrigée en Colossiens et Ephésiens (foi en Jésus et amour pour les saints). Dans la Bible aussi il y a des textes mieux écrits (ou mieux pensés) que d'autres...
La "logique" de la foi comme réponse à l'amour (cf. ci-dessus 24/10) est en revanche imparable, justement parce que l'amour ne se "prouve" pas (ibidem, 25/10): on ne peut qu'y croire -- ou pas. La foi en ce sens précède toute autre réponse à l'amour de Dieu (amour en retour, reconnaissance, obéissance, etc.). Dans la théorie de l'épître aux Romains et de tous les textes qui en dépendent la foi occupe une place "centrale" aussi au sens de "médiane", médiatrice ou instrumentale: on est justifié/sauvé par (dia) elle, par son moyen ou par son intermédiaire, mais l'amour demeure le commencement et la fin de l'opération -- son unique horizon absolu. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Sam 13 Fév 2021, 13:38 | |
| Je ressuscite ce fil, non sans l'avoir relu, parce que je repense au début de 1 Corinthiens 13,8: "l'amour ne (...?) jamais"; free (25.10.2016) avait cité la TOB, "ne disparaît jamais", je regarde la NBS, "ne succombe jamais". La tradition textuelle (manuscrits et citations anciennes) hésite en fait entre deux verbes très proches, par la forme comme par le sens, qui à la fois réduisent et relancent l'oscillation du sens: piptei (de piptô = "tomber"), leçon habituellement retenue dans les éditions critiques récentes (p. ex. Nestle-Aland 27-28), et ek-piptei (de ek-piptô = tomber de quelque chose ou de quelque part, étymologiquement dé-choir). Image en tout cas de la "chute" et par extension de la "faute" ou du "défaut", "faillir" ou "défaillir", "faire faute" ou "faire défaut" -- donc aussi du "manque" qui se glisse en français jusque dans le "falloir" du "il faut". Cette différence, qu'on la tranche ou non et quelque traduction ou interprétation qu'on en donne, ne sera pas sans importance dans l'évaluation du rapport de cette proposition à tout le contexte, notamment à l'aspect temporel de ce qui suit: ce qui "demeure" ou non au présent, ce qui "passera" ou non au futur (plus exactement: sera supprimé, aboli, annulé, neutralisé, réduit à néant, dés-activé comme on dit aujourd'hui dans un sens encore plus proche du verbe kat-argeô, v. 8b.10s, cf. 1,28; 2,6; 6,13; 15,24.26 etc.): on serait tenté de dire ne "cesse" jamais, ne "finit" jamais (c'est l'idée de la TOB), mais ce n'est pas exactement ce que dit le texte, sous l'une ou l'autre forme d'ailleurs.
Dans la Première aux Corinthiens, piptô (tomber) apparaît en 10,8.12 avec toute la métonymie péjorative de la chute (cf. aussi Romains 11,11.22; 14,4), ou en bonne part dans le sémitisme "tomber sur la face" = se prosterner, en 14,25; ek-piptô (re)vient en Romains 9,6, dans une (dé)négation rhétorique: "ce n'est pas comme si la parole du dieu était tombée" -- ou "tombée de", mais sans complément de provenance: par défaut, si l'on peut dire, du dieu ou d'elle-même -- soit: avait failli, fait défaut, etc.; en Galates 5,4 le même verbe a un complément, "vous êtes tombés / dé-chus de la grâce", mais aussi un parallélisme intéressant, puisqu'on y retrouve le verbe katargeô de 1 Corinthiens 13,8ss: vous êtes supprimés/annulés/abolis du Christ", avec le même type de rapport, de provenance et de rupture de (ek/apo + génitif <=> from, von etc.) qu'en Romains 7,2.6 (de la loi) par exemple.
Bref: l'amour sans faute, sans faille ou sans défaut, ce n'est peut-être pas l'amour sans fin; ce qui serait visé dans cette perspective, c'est moins la durée de l'amour que son effectivité: non l'amour toujours, l'amour éternel, mais l'amour jamais sans effet (comme on dit aussi de la "parole du dieu") dès qu'il se manifeste et aussi longtemps qu'il est là, ou qu'il est. |
| | | free
Nombre de messages : 10055 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: apories théologales Sam 13 Fév 2021, 23:11 | |
| Là encore, il faut prêter attention à ce que Paul dit vraiment. Comme plusieurs l’ont fait remarquer, le terme pour « tout » peut bien se traduire comme un complément d’objet direct (« l’amour croit toutes choses ») mais aussi comme un adverbe de temps, c’est-à-dire « toujours »20 : ainsi, l’amour « […] couvre toujours21, il croit toujours, il espère toujours, il supporte toujours ». En d’autres termes, l’amour est toujours prêt à accorder une nouvelle chance ; il n’enferme pas l’autre dans son péché ou dans un comportement où les améliorations sont d’avance proscrites. Il est toujours prêt à croire qu’un changement est possible, même s’il s’agit d’un énième recommencement. Tout en restant réaliste, l’amour est animé par ce souci constant du bien de l’autre, comme aussi de la conviction que celui ou celle qui est frère ou sœur en Christ ne sera pas demain ce qu’il est aujourd’hui. C’est d’ailleurs pourquoi Paul poursuit en soulignant que l’amour « ne succombe – littéralement, ‹ne tombe› – jamais » (v. . Comme G. Fee le précise encore : « Paul ne veut pas dire que l’amour a toujours la pensée la plus positive que l’on puisse avoir sur tout et sur tout le monde, mais que l’amour ne cesse jamais de croire ; il ne perd jamais l’espoir. C’est pour cela qu’il peut persévérer. » https://larevuereformee.net/articlerr/n279/mais-le-plus-grand-cest-lamour-un-regard-sur-1-corinthiens-13 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Dim 14 Fév 2021, 01:37 | |
| Concernant panta = "tout" au v. 7, l'argument ne me convainc pas (du tout): le lecteur du grec comprend naturellement panta comme un accusatif neutre pluriel = complément d'objet direct des verbes transitifs, "toutes choses" = "tout" (ce pourrait à la rigueur être un nominatif, sujet des verbes au singulier, "tout couvre, tout croit, tout espère, tout supporte, etc.", ce serait joli aussi mais ça n'aurait guère de sens dans ce contexte et romprait avec la syntaxe qui précède, où l'"amour" -- agapè -- est sujet de tous les verbes depuis le v. 4); le comprenant ainsi il n'aura aucune raison d'aller chercher un sens exceptionnel à cet accusatif (qui grammaticalement le resterait) pour en faire le substitut d'un adverbe de temps ("toujours"), d'autant qu'un tel adverbe existe bel et bien en grec (pantote) et que "Paul" l'utilise couramment, y compris dans cette épître (1,4; 15,58). Bref, quand "Paul" veut dire "toujours", il le dit, et quand il dit "tout" il le dit aussi. L'embarras en l'espèce n'apparaît pas à la lecture, ni à l'audition, mais à la réflexion, en particulier du théologien ou du pasteur qui se dit "on ne peut quand même pas tout croire, croire tout et n'importe quoi", et à partir de là va chercher midi à quatorze heures, pour faire dire au texte autre chose que ce qu'il dit sous prétexte que dans certains cas l'accusatif panta peut jouer un rôle semblable à un adverbe -- mais comment le sait-on, sinon précisément parce que dans ces cas-là il n'y a pas moyen de le comprendre autrement, selon son sens naturel de complément d'objet direct. L'un des principes essentiels de la sémantique et de la communication, c'est que le premier sens d'un mot qui "fonctionne" dans une phrase est le bon, on n'ira lui en chercher un deuxième ou un troisième que si le contexte rend le premier impossible. Et "fonctionner" en l'occurrence ce n'est que "signifier" quelque chose, peu importe que la proposition soit vraie ou fausse, inexacte, insuffisante ou excessive.
Le langage de "Paul" en 1 Corinthiens 13 est excessif, exagéré, absolu, imprudent, en un mot hyperbolique, ce n'est pas une surprise puisqu'il annonce la couleur dès l'introduction de 12,31b: je vais vous montrer un chemin kath'huperbolèn, "par hyperbole" -- qu'on traduise "excellent", "supérieur", "suprême", "extraordinaire", ou comme on voudra, on conviendra que ce n'est pas le lieu d'une expression modérée, mesurée et nuancée. Du reste, il n'y aurait pas besoin de réfléchir beaucoup pour trouver un "toujours" également excessif, l'atténuation apparente n'ayant somme toute servi à rien: quitte à penser une hyperbole, autant penser celle qui se lit le plus simplement dans le texte ("tout"). On peut d'ailleurs rapprocher les formulations de 13,7 des doxologies pauliniennes d'inspiration stoïcienne, également hyperboliques, où le "tout" (panta) joue aussi un rôle de premier plan (dieu tout en tout/s, tout de lui, par lui, pour lui etc.; cf. p. ex. 8,6 et 15,28, mais rien que dans la première aux Corinthiens on pourrait trouver des dizaines d'occurrences de panta ou d'autres formes de pas qu'on jugerait, à la réflexion, hyperboliques).
Dernière édition par Narkissos le Dim 14 Fév 2021, 11:31, édité 1 fois |
| | | free
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| Sujet: Re: apories théologales Dim 14 Fév 2021, 11:30 | |
| J'ai le sentiment que dans ce texte, l'amour n'est pas une qualité a cultiver et dont l'intensité pourrait varier selon les efforts produits mais une entité autonome, un ami, un compagnon sur qui l'on peut compter, qui ne fait défaut et qui ne déçoit jamais, qui est toujours présent. L'amour existe et se manifeste que nous le désirions ou pas, sa présence et ses effets s'imposent. L'amour est impossible à inactiver, elle est toujours agissante et au-delà de ce que nous pouvons espérer et vouloir. En 2 Pi 3,17 nous retrouvons le terme ekpipto :
"Puisque vous êtes prévenus, bien-aimés, soyez sur vos gardes, de peur qu'entraînés par l'égarement des impies vous ne veniez à déchoir (" vous laissez pas arracher à votre assurance" - TOB) de votre fermeté"
déchoir : Tomber dans un état inférieur à celui où l'on était. Déchoir qqn de (un droit) l'en priver à titre de sanction.
La Bible CHOURAQUI rend 1 Co 13,8 : " L’amour ne déchoit jamais". L'amour ne peut pas tomber dans un état inférieur, il est toujours actif dans sa pleine mesure, il ne peut être privé de ce qui le caractérise et de son droit à agir en permanence. Son statut de "supérieur", "suprême", "extraordinaire" est inamovible, un pouvoir permanent qui dépasse la volonté humaine. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Dim 14 Fév 2021, 11:48 | |
| (Ce n'était pas fait exprès, mais c'est un bon sujet pour la "saint Valentin" -- qu'on pense ou non au gnostique johannique derrière les "saints" du même nom.)
La Première de Jean dit (explicitement) que (le) dieu est amour, 1 Corinthiens 13 dit à sa façon (implicitement) que l'amour est dieu -- symptomatiquement, le mot theos n'y apparaît pas, ni rien de "christologique" (ni "Christ", ni "Seigneur", ni "Fils", ni "Jésus") ou de "pneumatique" (ni "esprit" ni "spirituel", ce qui est encore le plus important au vu de ce qui précède et de ce qui suit): quand on décrit "l'amour" de cette manière il n'y a plus de place pour rien de distinct, ni pour un dieu ni pour qu(o)i que ce soit d'autre... Bien entendu, ce n'est pas le moindre problème "logique" que l'"amour" ainsi absolutisé fasse disparaître tout "autre", alors que l'"autre" est a priori une condition de (la définition de) l'"amour". Mais cela vaut pour tout mot ou nom absolutisé, y compris "dieu", qui ne peut que perdre tout sens défini, dans le "tout" (im-)précisément (cf. supra 24.10.2016).
(Ce qui me rappelle l'amor omnia qui conclut le Gertrud de Dreyer, et du coup ceci et cela.)
Pour rappel (cf. mon post d'hier matin), ekpiptô n'est qu'une des deux variantes présentes dans les manuscrits de 1 Corinthiens 13,8, et pas celle que retiennent les éditions critiques récentes qui lui préfèrent le simple piptô, "tomber". |
| | | free
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 15 Fév 2021, 11:46 | |
| "il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il se réjouit avec la vérité" (13,6)
À cette incertitude liée au sens exact d’ἀδικία s’ajoute l’ambiguïté du verbe composé συγχαίρω, qui réunit le verbe « se réjouir » et la préposition grecque σύν, dont le sens courant est « avec ». Ce verbe composé exprime-t-il une joie partagée avec d’autres, non explicitement nommés ? Induit-il une personnification de l’ἀληθεία, avec qui l’amour se réjouirait ? Ou marque-t-il tout bonnement une insistance, par rapport au verbe simple χαίρω utilisé dans la première partie du verset, de manière à souligner davantage encore l’opposition signifiée par la conjonction adversative δέ ? Il nous semble que cette dernière solution est à privilégier. Mais en ce cas, pourquoi ne pas avoir renoncé au préverbe « avec » et opposé simplement χαίρει δὲ ἐπὶ τῇ ἀληθείᾳ à οὐ χαίρει ἐπὶ τῇ ἀδικίᾳ, pour mieux faire apparaître le parallélisme antithétique, en gardant, qui plus est, le même nombre de syllabes dans les deux membres de phrase ? Toujours est-il que l’option retenue nous amène à rendre συγχαίρω par « trouver sa joie dans ». https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02530430/document
Intuitivement, j'aurai tendance considérer que le texte personnifie la "vérité" au même titre que l'amour qui m'apparait être comme le Logos, une émanation divine ... |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 15 Fév 2021, 12:57 | |
| Etude intéressante et bien documentée, mais dont je ne partage plus la fixation, classique en exégèse moderne si je puis dire (je parle sur ce point d'une modernité d'au moins cinq siècles), sur l'"originel" (pour nous purement imaginaire, quand même il serait historiquement sûr): l'"auteur" ("Paul") et son intention supposés, l'"authenticité" du morceau (12,31b--14,1a qui constitue au moins une "digression" et une rupture de style flagrantes, au plus un texte totalement étranger à ce qui précède et suit) dans la lettre présumée "authentique" (qui est pourtant truffée de ruptures similaires, du début à la fin), les "destinataires" (Corinthiens) dont on s'efforce de reconstituer le profil, la culture et la sociologie, si divers qu'ils soient. C'est un château de cartes, qui serait sans importance s'il n'amenait à introduire dans le texte un ensemble de références qui lui sont étrangères, à commencer par une "théologie" et une "christologie" pauliniennes qui en sont précisément absentes: ici ni "dieu" ni "maître", je veux dire ni "seigneur", ni "christ", ni "Jésus", ni "fils", ni "esprit", mais l'"amour" seul (cf. mon post précédent), ou presque...
La "personnification" la plus évidente dans ce passage est bien celle, féminine, de l'agapè, sujet des verbes depuis le v. 4 comme on l'a vu, qui prend la relève, dès qu'elle apparaît, du "je" (sans agapè = rien, ouden) des v. 1--3. Cela n'exclut pas d'autres personnifications périphériques ou accessoires, par exemple "la vérité" (alètheia, féminin aussi en grec comme en français), mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'elles ne sont pas au centre de la scène, elles ne seraient que des faire-valoir de l'agapè.
Grammaticalement, la construction sug-(=sun)khairô + datif peut en effet s'interpréter de deux manières, mais ces deux manières ne sont pas d'égale vraisemblance: 1) il/elle se réjouit avec la vérité (plus ou moins "personnifiée" comme l'amour-agapè), c'est l'entente la plus naturelle (donc a priori la bonne, suivant les règles de la sémantique évoquées plus haut: quand on comprend quelque chose, on ne cherche pas à comprendre autre chose, on passe à la suite, d'autant que la lecture -- surtout à haute voix -- continue); il y a plein d'exemples dans le corpus paulinien (au sens large) de constructions similaires (verbe composé avec le préfixe sun + datif) qui s'entendent naturellement ainsi (avec le même verbe sug-khairô en 12,26; Philippiens 2,17s; mais aussi "être ressuscité avec" Christ, etc.). A la rigueur (moins vraisemblablement donc) 2) on pourrait dissocier le verbe composé du complément au datif, mais il faudrait encore interpréter le préfixe: il/elle se réjouit avec (d'autres ?) dans/de la vérité; avec cet inconvénient qu'en l'occurrence le sujet, l'amour-agapè, n'a pas d'"autres"; celui ou celle qui aime en aurait, ceux ou celles qu'il ou elle aime, précisément, mais ce n'est pas (au moins formellement) de lui ou d'elle qu'on parle... |
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 15 Fév 2021, 13:20 | |
| Merci Narkissos pour ces explications."Car c'est partiellement que nous connaissons, c'est partiellement que nous parlons en prophètes ; mais quand viendra l'accomplissement, ce qui est partiel sera aboli" (13,10)L’adjectif teleios peut qualifier une représentation dernière, eschatologique, de la perfection, qui réside tout entière entre les mains de Dieu. Tel est le cas dans la Première épître aux Corinthiens 13, 10, au terme du fameux hymne à l’amour (1 Co 13), qui fait valoir que, quand viendra ce qui est parfait, sera aboli ce qui n’est que partiel ou limité. L’horizon est déterminé ici par ce qui demeure, la foi, l’espérance et l’amour, étant entendu que l’amour est le plus grand. https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2015-4-page-103.htmCharité Dictionnaire Biblique WestphalDans nos versions de la Bible, comme dans la langue théologique, la charité a le même sens général que l’amour (voir ce mot), désignant la vertu chrétienne fondamentale, et non pas les sens dérivés et particuliers d’indulgence, bienfaisance ou aumône ; elle est même opposée à ce dernier sens dans le verset 3 du célèbre hymne de saint Paul à la charité (1 Corinthiens 13). Le grec du Nouveau Testament a toujours le même terme : agapê ; s’il est ordinairement traduit « charité » lorsqu’il s’applique à l’amour des hommes entre eux plutôt qu’à l’amour des hommes pour Dieu ou de Dieu pour les hommes, c’est parce qu’il s’agit d’éviter toute confusion entre les affections humaines sanctifiées par Dieu et les dégradations sensuelles que le langage courant couvre du même mot d’amour. https://www.levangile.com/Dictionnaire-Biblique/Definition-Westphal-1097-Charite.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 15 Fév 2021, 13:39 | |
| Sur le v. 10, voir ici. Quant à la perfection-accomplissement ( teleioô etc.), on en a aussi parlé dans plusieurs autres fils. La contribution de Grappe est intéressante, sous l'angle particulier du "transhumanisme", mais la question est profonde: l'"humain", l'animal, le végétal, le minéral, tout ce qu'on peut nommer comme étant ce qu'il est, tranquillement identique à lui-même, est-il jamais autre chose que trans-, "pont jeté" vers autre que lui-même comme dirait Nietzsche ? Et s'il l'est, il n'y aurait jamais d'autre rive ni d'arrivée définitive, qu'on l'appelle sur-humaine ou trans-humaine, Dieu, amour, ou n'importe quoi qui se nomme. Le dictionnaire de Westphal date de 1932 (la rigueur protestante n'était pas encore un vain mot...) Voir aussi ici et là. |
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| | | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Lun 15 Fév 2021, 21:05 | |
| J.T. Godbout (que je ne connais pas) est apparemment sociologue, et québécois; il semble s'être surtout intéressé à la logique du don (à la suite de Marcel Mauss, j'imagine, qui est la référence "classique" sur cette question depuis un siècle, mais que je n'ai pas lu davantage, sinon par le dialogue -- longuement différé, et en grande partie antagoniste -- qu'a tenu Derrida avec certains de ses textes). Le rapport à la théologie en général et à 1 Corinthiens 13 en particulier (où le "don" n'apparaît, négativement, qu'au v. 3) est probablement marginal.
J'ai trouvé Vouga lumineux en exégèse, sur les textes johanniques et l'épître de Jacques notamment, et je pense souvent à lui lorsque je reviens à ces textes, parce que j'ai l'impression de lui devoir en bonne partie ce que j'en comprends; j'ai aussi beaucoup appris de ses reconstructions des christianismes primitifs, même si je m'en suis davantage écarté par la suite; par contre, je n'ai jamais vraiment réussi à accrocher à sa "théologie du Nouveau Testament", peut-être parce qu'à ce moment-là (dans les années 2000) j'étais déjà trop éloigné de l'idée même d'une théologie (synthétique, quand bien même ce ne serait qu'une synthèse parmi d'autres, comme le suggère l'article indéfini dans le titre) du NT; mais aussi des fondements philosophiques et anthropologiques de la sienne.
A mettre "le sujet", humain, individuel ou collectif, existentiel, psychologique ou social, au centre de la théologie, quitte à le faire passer par les montagnes russes d'une dialectique qui tour à tour le renverse et le relève autrement, ou par le stroboscope d'un paradoxe qui (presque) simultanément le nie et l'affirme (presque) à l'identique, il me semble qu'on passe à côté de sa destitution bien plus radicale et définitive par une théologie, une christologie, une pneumatologie, ou même dans le cas de 1 Corinthiens 13 d'une agapologie dont il n'est ni le premier ni surtout le dernier mot. Aimer, ou connaître (puisque, comme on l'a vu dans l'autre fil, la connaissance "dépassée" par l'amour le rattrape à la fin de l'hymne), ce sont des verbes, même quand ils sont substantivés: c'est sans doute à chaque fois le fait, l'action ou l'état d'un "sujet", mais c'est aussi ce par quoi ledit "sujet" se perd, sort de "lui-même" dans une certaine ek-stase, sans jamais revenir à "lui-même" indemne ou inchangé. C'est plus qu'une précarité, l'imprévisibilité ou l'incertitude d'un "don" dont "nous", sujet(s), resterions en fin de compte les bénéficiaires inamovibles, et "Dieu", sujet aussi, le donateur immuable: c'est plutôt la disparition annoncée -- et bienvenue -- de tout "sujet" et de tout "objet" dans un flux qui transcende toute "chose", toute "personne" et tout "nom": et de "Dieu", et de "nous", et même de "l'amour" en tant qu'il a besoin de "sujet" et d'"objet" pour signifier quelque chose... |
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| Sujet: Re: apories théologales Mar 16 Fév 2021, 11:17 | |
| Si je n’ai pas l’amour... »
À peine ouvert, en 1935, le premier de ses Cahiers pour cultiver la « joie profonde » d’écrire, ne serait-ce qu’en y consignant le « temps de chaque jour » (II, 802), Albert Camus s’interroge sur le livre à « écrire un jour » et « qui donnera le sens » (II, 809). S’il devait s’agir, suppose-t-il, en septembre 1939, dans un cloître de Florence, d’un « livre de morale, il aurait cent pages et 99 seraient blanches » ; et d’ajouter, très résolu : « Sur la dernière, j’écrirais : “Je ne connais qu’un seul devoir et c’est celui d’aimer.” » (II, 830). Là-dessus, la pensée du jeune philosophe a beau s’investir dans le premier des « cycles », celui de l’Absurde, où elle entend faire ses preuves, la résolution florentine conserve toute sa radicalité. « Misère et grandeur de ce monde : il n’offre point de vérités mais des amours. / L’Absurdité règne et l’amour en sauve. » (II, 855) Ici semble se confirmer, dans un langage quelque peu laïcisé, le primat canonique de l’amour que l’apôtre Paul prêche dans la première des Épîtres aux Corinthiens, familière (qui en douterait ?) à l’apprenti exégète de la théologie augustinienne : « Et quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. »
Aguerri, sinon édifié, le propédeute se promet de régénérer l’amour en le reprenant « à l’éternité » (II, 982), où il est trop facile de l’introniser pour échapper à son pouvoir. C’est qu’il décèle en lui le ressort même de la Révolte qu’il oppose à l’Absurde pour « imaginer Sisyphe heureux » plus sérieusement. En 1950, sur le point de conclure L’Homme révolté, il se fie plus que jamais à l’énergie amoureuse, si impatiente, intraitable et contestataire qu’à défaut d’acquérir la « science », elle force l’accès des « mystères ». L’amour, rappelle-t-il dans le plus fervent des éloges, erre et refuse « l’accommodement » ; « Il crie vers l’impossible, l’absolu, le ciel en feu, le printemps inépuisable, la vie passant la mort, et la mort elle-même transfigurée dans la vie éternelle. » (IV, 1096)
Mais rien décidément ne saurait abolir le principe posé à l’ouverture des Cahiers : « L’Absurde règne et l’amour en sauve ». Il est devenu un projet personnel, le plus personnel peut-être en 1946, lors de l’ouverture du cycle de la Révolte. « Parti de l’absurde », lit-on dans le « Cahier » contemporain, « il n’est pas possible de vivre la révolte sans aboutir en quelque point que ce soit à une expérience de l’amour qui reste à définir. » https://books.openedition.org/septentrion/13652?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: apories théologales Mar 16 Fév 2021, 12:09 | |
| Superbe texte (je connaissais surtout Paul Viallaneix comme un "grand nom" du protestantisme français, j'avais davantage écouté et lu Nelly Viallaneix, sa femme, spécialiste de Kierkegaard). Il faut le lire intégralement -- ce n'est pas très long -- pour apprécier la pensée de Camus, qui paraît simple et lumineuse à chaque ligne mais se complique au fil des pages, des livres, des carnets et de la "vie de l'auteur", bibliographie et biographie qui ne se confondent ni ne se séparent; mais aussi (au fil) du temps de ses (re-)lectures.
C'est d'ailleurs ce rapport de "l'amour" au "temps" qui m'a fait repenser à la première proposition du v. 8 de 1 Corinthiens 13 et rouvrir le présent fil il y a quelques jours. Car le plus difficile à penser, à mon sens, c'est bien qu'"avec le temps" "l'amour" passe, comme toute "chose" (je ne rechanterai pas Ferré, mais le coeur y est), mais qu'il passe sans faute, sans faillir, et qu'il ne passe jamais sans effet. |
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| Sujet: Re: apories théologales Mar 16 Fév 2021, 15:38 | |
| Ajoutons que l’agapè, la plus grande des trois (cf. 1 Co 13,13), a une dimension divine et trinitaire. Paul, en effet, parle de hè agapè toû theoû (Rm 5,5), de hè agapè toû Christoû (Rm 8,35) et de hè agapè toû pneumatos (Rm 15,30) ... Ce soutien procuré par la triade se vérifie aussi au niveau de chaque croyant. Ainsi, pour Jürgen Becker, la triade foi, amour, espérance est pour chaque croyant comme une « deuxième peau », qui caractérise l’être chrétien . Et l’auteur de poursuivre : « L’objet de la foi est le Christ … L’amour trouve sa norme dans l’image originelle du Christ … et l’espérance s’appuie sur la fonction salvatrice du Fils de Dieu, tandis que son objet est d’être avec le Seigneur et conformé à lui. » (...) Les caractéristiques de l’amour, données dans l’hymne de 1 Co 13, sont bien structurées.
1 Co 13,1-3 : la nécessité de l’amour, avec l’expression récurrente « si je n’ai pas l’amour … ». 1 Co 13,4-8a : l’amour en action, en tant que sujet, qui agit dans la durée. 1 Co 13,8b-12 : l’amour permet de dépasser les limites temporelles. 1 Co 13,13 – 14,1a : récapitulatif pour la communauté, sous forme de conclusion.
L’amour permet d’accéder à la connaissance, mais de l’ordre d’une connaissance supérieure, d’une « épignôse » (1 Co 13,12). Mais surtout, l’amour est nécessaire et efficace. Il permet que la foi, même à transporter les montagnes, comme la connaissance d’ailleurs, ne soit pas vaine (1 Co 13,2). L’amour est agent des deux autres composantes, puisqu’il croit tout et il espère tout (1 Co 13,6). https://www.cairn.info/revue-transversalites-2013-4-page-43.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: apories théologales Mar 16 Fév 2021, 16:22 | |
| C'était plutôt le sujet de l'autre fil sur le même chapitre, mais c'est tout de même amusant que le "tiercé" quasi final, dans l'ordre ou le désordre, "foi-espérance-amour", ce qui demeure maintenant, soit finalement coiffé sur le poteau par un outsider qui semblait écarté dès le début, la "connaissance", gnôsis ou epi-gnôsis: je (re-)connaîtrai comme je suis (re-)connu: point de "dieu", ni de "christ" ni d'"esprit" là-dedans, mais un "miroir" dépassé, sinon brisé, qui serait aussi bien l'étang de Narcisse, où celui-ci ne se re-connaît qu'en dis-paraissant... |
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