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 amours de Dieu

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Anagnoste
Narkissos
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeMer 17 Avr 2019, 14:13

Citation :
Transitivité ouverte au sens quasi logique (A aime B, B aime C, C aime D, etc.; donc A aime C, D etc.), qui l'emporte sur la figure fermée d'une réciprocité "commutative" comme celle du couple amoureux ou amical (A aime B, B aime A, on n'en sort pas). Il y a bien de la réciprocité, surtout dans le "les uns les autres", mais indéfinie, car il s'agit d'un ensemble ouvert, qui ne finit pas de s'étendre en incluant de nouveaux "croyants" ou "générations" de croyants; et qui surtout n'a pas en lui-même son origine (l'amour des uns pour les autres n'est autre que l'amour du Père, au sens subjectif, l'amour du Père pour le Fils et de Dieu pour tous) ni sa fin (l'horizon asymptote c'est le "monde", paradoxalement ce que "nous" ne devons pas "aimer" et que pourtant "Dieu" aime d'un amour sans retour).

"Quant à ce que tu m'as donné, Père, je veux que là où, moi, je suis, eux aussi soient avec moi, pour qu'ils voient ma gloire, celle que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne t'a jamais connu ; mais moi, je t'ai connu, et eux, ils ont su que tu m'as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, comme moi en eux." Jean 17, 24 ss 

Ce texte me semble illustrer ton propos, notamment la formule "pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux", amour que le Père a accordé à son Fils "avant la fondation du monde". Si on reprend la formule dans sa totalité ("pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, comme moi en eux"), les disciples sont "habités" par l'amour du père pour le Fils.
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeMer 17 Avr 2019, 14:39

Tout à fait (cf. déjà v. 23).

Je pensais aussi à la Trinité augustinienne (le Père, le Fils, le Saint-Esprit conçus respectivement comme l'aimant, l'aimé et l'amour): elle conserve dans le jeu de l'actif et du passif (aimant/aimé) l'asymétrie fondamentale du johannisme, le sens dynamique et directionnel de son mouvement (l'aimant n'est pas l'aimé, l'aimé n'est pas l'aimant), mais coupée en aval de sa dérivation in-finie (vers les "élus" et vers le "monde") elle ne peut que se refermer sur elle-même dans le cercle d'une divinité foncièrement étrangère aux croyants (et pourtant mystérieusement intime, interior intimo meo !), même si ces derniers participent du Saint-Esprit=amour par médiation sacramentelle (baptême, etc.).

Saint Augustin marque cependant une résurgence remarquable du johannisme et du paulinisme, compte tenu de ce qui en avait été écarté par les polémiques antimarcionites et antignostiques du IIe siècle.
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeSam 10 Juin 2023, 15:44

La chose m'a curieusement frappé ce matin, peut-être par contrecoup de discussions récentes sur l'espérance, la mémoire, la tristesse ou les "aspects" du temps: dans "la Bible" l'"amour" semble se dire plus facilement au "passé" qu'au "présent", qu'il s'agisse de l'"accompli" ou de l'"inaccompli consécutif" en hébreu, de l'"aoriste", de l'"imparfait" ou du "parfait" en grec, et du "sujet Dieu" (cf. l'échange précédent, ou le célébrissime "Dieu a tant aimé le monde", parmi beaucoup d'autres exemples*) comme de n'importe qui. Le ou les verbes "aimer" ('hb, agapaô, phileô etc.) se conjuguent aussi au futur ou à l'inaccompli, en particulier dans un sens quasi impératif, injonctif ou prescriptif (tu aimeras, voir supra, dès le début), mais le présent déclaratif, voire performatif (je t'aime, je vous aime) qui nous paraît si "essentiel" est plus rare -- comme si l'amour se déclarait moins, instantanément, qu'il ne se constate, rétrospectivement, à la voix active (j'ai aimé, tu as aimé, il ou elle a aimé, nous avons aimé, vous avez aimé, ils ou elles ont aimé -- ce qui me rappelle la Gertrud de Dreyer) ou passive (j'ai été aimé[e], etc.). Entre les deux tout (amour) "présent" semble au mieux incertain, ou insaisissable (et là je réentends Ferré -- répondait-il à Brel ?: avec le temps on n'aime plus).

* On n'aurait que l'embarras du choix, car le phénomène ne se borne ni à un auteur, ni à une oeuvre, ni à un corpus, ni à une langue, même s'il est plus concentré dans certains textes; cf. p. ex. Deutéronome 4,37; 7,8; 23,5; 1 Rois 10,9 // 2 Chroniques 9,8; Jérémie 31,3; Osée 11,1; Malachie 1,2; Marc 10,21; Jean 3,16ss; 11,5.36; 12,43; 13,1.23.34; 15,9.12; 16,27; 17,23ss; 19,26 etc.; Romains 8,37; 9,13; Galates 2,20; Ephésiens 2,4; 5,2.25; 2 Thessaloniciens 2,16; Hébreux 1,9; 1 Jean 4,10s.19; Apocalypse 3,9.

La formule de Jérémie 31,3 (LXX 38,3) est particulièrement saisissante sous ce rapport: "je t'ai aimée d'un amour éternel", 'hbt `wlm 'hbtyk, agapèsin aiônian ègapèsa se -- à la fois passé (accompli ou aoriste) et "éternel", quoi qu'on entende par là (depuis toujours, pour toujours, ou tout autre chose, une "qualité" de l'"amour" qui échapperait au "temps" d'une façon ou d'une autre).

---

Il serait tentant à cet égard de rapprocher à nouveau "l'amour" de "la connaissance": une des curiosités linguistiques aux confins de l'hébreu et du grec, réputés appartenir à deux familles bien distinctes, "sémitique" et "indo-européenne", est la coïncidence du "connaître / savoir", sous les formes yd`-yada` et oida, formellement à l'"accompli" ou au "parfait"; pour dire "je sais" (présent en français), on emploie, en grec comme en hébreu, un "passé" qui détermine un "résultat" ou un "acquis" présumé constant ou définitif: celui qui "sait" ne peut plus, en principe, ne plus savoir, et c'est toujours quelqu'un qui a su, perçu, appris, compris, éprouvé, expérimenté, vu, entendu, senti, touché, goûté, etc., dont la "connaissance" consiste donc à "re-connaître" ce qu'il a déjà "connu" (l'"anamnèse" platonicienne n'étant qu'un développement remarquable de ce "fait" linguistique et conceptuel dont elle dépend intégralement). Je ne mêle même pas à ces considérations le (trop) fameux emploi sexuel du "connaître biblique(ment)", Genèse 4,1 etc., pour ce que nous appellerions aussi "amour" en français moderne: hébraïsme sans doute, mais déjà calqué en grec puis en latin par la Septante et la Vulgate (egnô, cognovit, etc.).
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeLun 12 Juin 2023, 11:35

"De loin le SEIGNEUR m'est apparu : Je t'aime d'un amour éternel ; c'est pourquoi je te conserve ma fidélité" (Jr 31,3).

L’union de l’homme et de la femme symbolise l’amour de Dieu et d’Israël. Dieu est l’Époux, Israël, l’épouse. Israël a été une épouse souvent adultère, mais au nom d'un amour initial et originel, Dieu conserve sa fidélité à cette épouse. L'"amour éternel" s'est transformé en "fidélité éternelle", ce qui illustre le fait que l'amour se transforme, c'est au nom d'un amour passé réel et ressenti comme tel, que la relation se métamorphose en un certain attachement (éternel) en souvenir cet amour de jeunesse :

"Va, crie à Jérusalem : Ainsi parle le SEIGNEUR : Je me souviens de ta fidélité de jeune fille, de ton amour de jeune mariée, quand tu me suivais au désert, sur une terre où rien ne pousse" (Jr 2,2).  

L'amour au présent est-il peut-être trop engageant pour être exprimé avec facilité ?
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeLun 12 Juin 2023, 12:14

Je constate en effet, avec une pointe de regret, que la NBS a traduit au présent -- ce qui peut se défendre, puisque l'"accompli" implique une certaine permanence, a minima l'"éternité" quasi graphique de tout "passé" (irréversible, ineffaçable, indélébile au moins en ce sens que ce qui a eu lieu, si ponctuellement que ce soit, ne peut plus ne pas avoir eu lieu; comme le dit si bien notre futur antérieur, cela aura eu lieu et pour toujours, quand même il n'en resterait pas la moindre trace; cf. Mallarmé, "rien n'aura eu lieu que le lieu"); on peut aussi le comprendre, plus banalement, au sens d'un "inchoatif", j'ai "commencé à t'aimer", voire (une lecture calviniste tirerait dans ce sens) "j'ai décidé de t'aimer"... Toujours est-il que l'éventuelle nuance temporelle, ou aspectuelle, si incertaine ou subtile soit-elle, est perdue au présent. De même que la relation "logique" (c'est pourquoi, `l-kn, dia touto) avec le stique suivant, mais le sens de celui-ci est encore incertain (je t'ai conservé fidélité, ou je t'ai attirée, tirée, entraînée, tenue [en/par] fidélité [= hsd-hesed] ?; LXX je t'ai attirée dans [eis, into] la compassion) et, par voie de conséquence, celui de la relation aussi...
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeDim 14 Jan 2024, 12:19

En repensant à Jérémie 31 et en retrouvant la fin (provisoire) de cette discussion (juin 2023), je constate que "l'amour ('hbh-'ahava / agapè) éternel (`wlm-`olam / aiônios etc.)", fût-il conjugué à l'accompli ou au passé (aoriste, parfait, etc.), est rare, voire exceptionnel dans la Bible (je ne vois guère que 1 Rois 10,9 avec une forme verbale 'hb à l'infinitif construit, mot-à-mot "Yahvé aimer Israël pour toujours", qui évite la différence d'aspect entre accompli et inaccompli) -- contrairement au hsd si difficile à traduire, fidélité, loyauté, bonté, grâce, compassion (mais toujours entendues dans la durée d'une relation déterminée, avec une connotation de constance), régulièrement dit éternel ou perpétuel, depuis toujours et pour toujours (c'est même un refrain des Psaumes, p. ex. 118 et 136; cf. notamment Isaïe 54,8; Psaume 103,17).

Bien sûr, l'"idée" est beaucoup plus fréquente que la formule, surtout dans le NT et peut-être en particulier dans le corpus paulinien: on repensera tout de suite à 1 Corinthiens 13 (cf. ici, surtout à partir du 13.2.2021), ou à Romains 8,38s dont on parlait encore récemment (là, 29.12.2023), où "l'amour de Dieu" dont "rien ne pourra nous séparer" (futur !) est mis à l'abri de l'"avenir" comme du "présent"... Du côté "johannique" ça me rappelle l'introduction de la deuxième partie de l'évangile (13,1, déjà référencé ci-dessus parmi les exemples d'amour au passé): "Avant la fête de la Pâque (paskha), sachant que son heure était venue de passer (meta-bainô, qui fait partie des interprétations traditionnelles de la "Pâque", passer, sauter au-delà, à côté de sa proximité phonétique avec paskhô, souffrir, d'où pathos et Passion, qui n'est précisément pas ce que "Jean" valorise) de ce monde (kosmos) au Père (un platonisme comme celui de l'épître aux Hébreux parlerait peut-être de passage du temporel à l'éternel), Jésus, qui avait aimé (participe aoriste) les siens qui [étaient] dans le monde (kosmos), les aima (aoriste) jusqu'à la fin (eis telos)." On peut discerner une certaine tension entre ce "jusqu'à la fin" (lui-même quelque peu redondant, accomplissement d'un amour déjà accompli, selon l'antériorité usuelle du participe aoriste ici traduit par un plus-que-parfait) et l'idée d'"amour éternel" -- à moins que ce soit justement un tel "jusqu'à la fin", accomplissement, achèvement, parachèvement, perfection entendue comme substantif actif ou passif du verbe parfaire, qui constitue l'"éternel".
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeLun 15 Jan 2024, 12:48

"Du point de vue de la bonne nouvelle, certes, ils sont ennemis, à cause de vous, mais du point de vue du choix de Dieu, ils sont aimés à cause de leurs pères. Car les dons de la grâce et l'appel de Dieu sont irrévocables" (Rm 11,28-29).

En raison de sa fidélité sans faille, Dieu maintient son alliance avec les Pères ; il s’engage quelques soient les circonstances, son amour et sa grâce sont irrévocables.
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MessageSujet: Re: amours de Dieu   amours de Dieu - Page 3 Icon_minitimeLun 15 Jan 2024, 13:04

Il me semble que du début à la fin (du moins de la partie "théorique", jusqu'au chapitre 11 inclus) la "dialectique" de l'épître aux Romains oscille ou navigue (louvoie) entre deux idées limites opposées, également attrayantes et insoutenables: d'une part celle d'un "amour libre", si j'ose dire, pure grâce instantanée et arbitraire qui ne serait déterminée, conditionnée et garantie par rien, et d'autre part celle de la fidélité, de l'alliance, du contrat, de la promesse, du serment, de l'engagement qui assure des droits et des devoirs mais nullement de l'"amour", ni de "Dieu" pour x ni de x pour "Dieu". Et à vrai dire personne n'en sort, ni Augustin ni Luther ni Calvin, ni la modernité même quand elle se passe de "Dieu". Nous naviguons toujours entre ces deux absolus sans pouvoir nous fixer ni à l'un ni à l'autre ni nulle part à mi-chemin.

-- J'écris "dialectique" entre guillemets parce que contrairement à celles de Platon ou de Hegel, s'il y a bien thèse et antithèse il n'y a jamais de synthèse des mouvements et moments opposés: ou bien la synthèse c'est le mouvement même, l'alternance, comme la marche sur deux jambes, la respiration ou le rythme cardiaque, ou encore la navigation à voile, celle qui doit tirer des bords pour maintenir un cap contre le vent; ni lieu d'arrivée, ni totalité théorique, c'est une pratique, une technique ou un art, praxis, tekhnè, ars, artis -- y compris une pratique de la théorie même, qui conduit celle-ci alternativement d'un bord à l'autre: pilotage, kubernèsis, qui a donné "cybernétique" et "gouvernement" comme "gouvernail".

Cela revient au paradoxe des "commandements d'amour" sur lequel avait débuté ce fil (en 2011): double contrainte (double bind) de l'ordre impossible, tu aimeras, qui est aussi bien l'expression d'une tyrannie absolue (comme celle du suzerain assyrien) que la brèche d'une espérance désespérée, au futur ou à l'inaccompli, d'un destin ou d'une vocation: toi aussi tu aimeras, fatalement, ton dieu ou ton prochain, de tout ton coeur et comme toi-même; et ton dieu même, si puissant ou différent que tu l'imagines, finira dans l'amour et la mort où pourtant rien ne finira...
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