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| Paul était-il homophobe? | |
| | Auteur | Message |
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le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Paul était-il homophobe? Jeu 25 Mai 2017, 21:41 | |
| Voici ce que l’on pouvait sur un autre fil parlant de l’antisémitisme : A arrêter le mouvement sur le chapitre 2, comme le fait spontanément une lecture judéophobe (de même qu'une lecture homophobe, p. ex., sur le chapitre 1), on trahit évidemment le sens du texte -- mais il est inévitable que ça arrive.
L’homosexualité n’existait pas en Grèce, certains hommes entretenaient des jeunes hommes et avaient des relations sexuelles avec eux, mais la relation n’était pas la fin en soi. Il ne serait pas venu à l’esprit de ces hommes de vivre entre eux comme ils pouvaient le faire avec une femme devenant leur épouse afin de fonder une famille. Le mariage entre hommes leur aurait paru comme une curieuse chose.
Que voulait dire Paul lorsqu’il condamne le comportement de certains hommes et femmes ?
24 C’est pourquoi Dieu les a livrés, selon les désirs de leur cœur, à l’impureté, pour que leurs corps soient déshonorés chez eux, 25 oui ceux qui ont troqué la vérité de Dieu contre le mensonge et qui ont vénéré la création — lui offrant un service sacré — plutôt que Celui qui a créé, lequel est béni pour toujours. Amen. 26 Voilà pourquoi Dieu les a livrés à des désirs sexuels honteux, car leurs femelles ont changé l’usage naturel [de leur corps] en celui contre nature ; 27 et pareillement les mâles aussi ont laissé l’usage naturel de la femelle et se sont enflammés dans leur passion les uns pour les autres, mâles avec mâles, faisant ce qui est obscène et recevant en eux-mêmes le plein salaire que méritait leur égarement. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Paul était-il homophobe? Ven 26 Mai 2017, 00:26 | |
| Words, words, words (disait Hamlet au beau milieu d'une cascade de malentendus). - le chapelier toqué a écrit:
- L’homosexualité n’existait pas en Grèce...
"L'homosexualité" telle que nous l'entendons à présent comme une "orientation", voire une "identité" sexuelle définie, a priori exclusive et permanente, naguère réprouvée et aujourd'hui indifférente: peut-être pas, en effet. Mais "l'homosexualité" au sens plus général et plus simple, moins déterminé par l'évolution occidentale des cinquante dernières années, de relations sexuelles entre personnes du même sexe: bien sûr qu'"elle" existait, même si sa codification sociale était différente (habituellement relation d'un homme plus âgé avec un plus jeune, d'un maître avec un serviteur esclave ou libre, d'un maître dans un autre sens avec un élève ou un disciple: d'où nous vient le mot de "pédérastie", de pais, paidos qui signifie "enfant, jeune homme, serviteur" et qui a donné aussi "pédiatrie", "pédophilie" et "pédagogie"). Elle n'impliquait aucune exclusivité, le "pédéraste" pouvant être par ailleurs marié le plus "hétérosexuellement" du monde; mais elle ne l'excluait pas non plus. [C'est une "fourchette" fonctionnelle de définition des mots, assez définis mais pas trop, qui rend le jeu du langage possible: parce que les Anciens n'avaient probablement pas non plus la même idée que nous de "l'homme" et de "la femme", je pourrais aussi déclarer que "l'homme" et "la femme" n'existaient pas dans l'Antiquité. C'est une façon de parler plus frappante mais dont il ne faut pas abuser, car elle finit vite par rendre toute comparaison et toute raison impossibles.] "Homophobe", terme encore plus récent, encore plus anachronique pour "Paul", sans aucun doute. Mais peut-être pas tout à fait faux, dans la mesure où "Paul" semble reprendre à son compte cette accusation juive stéréotypée des mœurs "païennes" et singulièrement grecques, avant de renverser le mouvement (voir l'autre fil). [Ironies en cascade aussi pour lectures plus ou moins anachroniques: c'est précisément un homonyme de Saul-Paul, le roi Saül de la même "tribu de Benjamin", qui présente dans la Bible hébraïque (= AT) toutes les caractéristiques d'une "pédérastie" à la manière grecque, de par ses relations plus ou moins qu'ambiguës d'amour et de jalousie avec un "jeune homme" qui est aussi son "serviteur", selon les deux sens de l'hébreu n`r qui a exactement le même champ sémantique que le grec pais; "jeune homme / serviteur" qui est de surcroît dépeint comme beau et artiste, ce qui n'est pas si fréquent dans la Bible hébraïque -- le futur roi David; le "Saul-Paul" du Nouveau Testament étant lui-même présenté dans un lien privilégié avec au moins un jeune homme et disciple, Timothée...] Outre ce qui a déjà été dit sur le mouvement de balancier de l'épître aux Romains (l'accusation contre les "païens" est immédiatement suivie d'une accusation symétrique contre les "juifs" qui ramène les deux parties au même niveau, et surtout les réduit au silence, cf. chap. 2 et 3), la première phase (chap. 1) mérite une observation plus fine. Si ton extrait commence par "c'est pourquoi", c'est qu'il faut lire ce qui précède (v. 18-23) pour en comprendre la "logique": l'argument paulinien (qui ne se distingue en rien à ce point de la critique juive du paganisme), c'est que la faute originelle, radicale, séminale, des "païens" consiste dans leur polythéisme, interprété comme "idolâtrie"; tout le reste (égarement moral et spécialement sexuel) en découlerait comme une conséquence ou une punition ( c'est pourquoi Dieu les a livrés...). Autrement dit, même pour "Paul", même dans ce moment particulier de l'argumentation paulinienne qui reproduit ostensiblement la charge des "juifs" contre les "païens", "l'homosexualité" n'est pas la "faute majeure" des "païens" mais un simple effet secondaire de celle-ci, censé manifester par une aberration évidente (aux yeux du préjugé juif naturellement) la gravité de la "faute" initiale ("l'idolâtrie"). Et d'autres effets "moraux" suivent (en cascade, encore) au-delà du domaine sexuel (v. 28ss). Cela dit pour bien montrer comment fonctionne ce moment de l'argument paulinien -- non pour approuver ni réprouver son contenu. Sans oublier qu'arrive aussitôt le retour de balancier, qui s'adresse cette fois aux "juifs" et concernerait aussi bien la phase précédente: qui es-tu pour juger, toi qui fais autrement des choses tout aussi graves ? (Chap. 2). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Paul était-il homophobe? Ven 26 Mai 2017, 20:26 | |
| Merci Narkissos; tu as raison j'avais été un peu aride et trop direct dans mon argumentation à propos de l'homosexualité telle que nous la définissons à notre époque en parlant de ce que les Grecs ne connaissaient pas. Je n'avais jamais auparavant lu la lettre aux romains, du moins les 2 premiers chapitres, avec le même regard que celui que tu suggères. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Paul était-il homophobe? Ven 26 Mai 2017, 23:47 | |
| Ce n'était pas un reproche: j'ai dû recourir moi-même plus d'une fois à ce type de raccourci pour signifier ce qui échappe à la plupart des "fondamentalistes", à savoir que "l'homosexualité" telle que nous la connaissons n'est pas exactement celle dont parlent les textes anciens; mais à côté de ce qui diffère (l'intégration sociale d'une certaine homosexualité, notamment chez les Grecs, n'a effectivement rien à voir avec la nôtre) il y a aussi ce qui est commun: le fait de relations homoérotiques, c.-à-d. à la fois sexuelles et sentimentales, entre personnes du même sexe. Le chapitre 14 de la Sagesse, qui ne parle pas aussi clairement d'"homosexualité", peut illustrer le genre de critique juive du paganisme que "Paul" imite en Romains 1 -- on y trouve exactement la même relation de cause à effet entre "l'idolâtrie" et les "vices" moraux et spécialement sexuels (je cite la Bible de Jérusalem) : - Citation :
- 12. L'idée de faire des idoles a été l'origine de la fornication, leur découverte a corrompu la vie.
(...) 22. En outre il ne leur a pas suffi d'errer au sujet de la connaissance de Dieu; mais alors que l'ignorance les fait vivre dans une grande guerre, ils donnent à de tels maux le nom de paix! 23. Avec leurs rites infanticides, leurs mystères occultes, ou leurs orgies furieuses aux coutumes extravagantes, 24. ils ne gardent plus aucune pureté ni dans la vie ni dans le mariage, l'un supprime l'autre insidieusement ou l'afflige par l'adultère. 25. Partout, pêle-mêle, sang et meurtre, vol et fourberie, corruption, déloyauté, trouble, parjure, 26. confusion des gens de bien, oubli des bienfaits, souillure des âmes, crimes contre nature, désordres dans le mariage, adultère et débauche. 27. Car le culte des idoles sans nom est le commencement, la cause et le terme de tout mal. Que l'"homosexualité" de la culture grecque frappe tout spécialement le judaïsme de l'époque hellénistique et romaine, non seulement cela se comprend, mais cela se voit par le nombre de références à ce sujet dans les textes juifs de langue grecque: Philon, De Abrahamo 135, De Specialibus Legibus II, 50; Oracles sibyllins, 3,185.596.764; 4.34; 5.387.430; Josèphe, Contre Apion 2,199.215.273. "Paul" reproduit donc les clichés de la critique juive du paganisme comme, au chapitre suivant, il reproduira ceux de la critique païenne du judaïsme (prétention, hypocrisie). Ni l'une ni l'autre n'est originale; ce qui l'est davantage, c'est de les opposer l'une à l'autre pour "mettre tout le monde dans le même sac". --- Il faut aussi remarquer la conclusion de la tirade anti-païenne de Romains 1 (v. 32) -- l'"homosexualité" étant à ce point noyée dans un catalogue général de "vices" en tout genre, où elle a pourtant joué d'emblée un rôle exemplaire: "Bien que ceux-là (re-)connaissent (ou ne connaissent pas, selon d'autres mss !) le jugement de Dieu selon lequel ceux qui pratiquent de telles choses méritent la mort, non seulement ils les font mais encore ils approuvent ceux qui les pratiquent". Cette construction classique "non seulement... mais encore" ( ou monon... alla kai, non solum... sed etiam pour les latinistes) fait curieusement apparaître l'approbation comme plus grave que la pratique, comme si la "faute" de jugement l'emportait sur la "faute" de comportement. Ce qui pourrait passer pour une expression irréfléchie est en fait dans la droite logique de l'ensemble. La "faute" radicale et décisive est intellectuelle ou mentale (c'est celle du polythéiste ou de l'idolâtre qui se méprend sur la "nature" de la divinité) avant d'être "morale" au sens concret ou comportemental. |
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