Bonsoir Patoune,
Tout à fait d'accord pour dire que l'opposition n'est pas aussi profonde qu'on pourrait le croire: "Paul" (même si l'on s'en tient aux épîtres couramment admises, en omettant au moins Ephésiens et les Pastorales) ne propose pas au bout du compte un salut sans oeuvres, et "Jacques" ne propose pas non plus un salut sans foi.
Cela étant, il reste que l'argument de Jacques 2 décalque et contredit formellement la rhétorique de l'épître aux Romains, en reprenant ostensiblement les mêmes formules à l'envers. L'emploi symétrique des mêmes termes, et en particulier la leçon inverse tirée de la même référence à Abraham, ne sont pas dus au hasard.
Mais il faut se hâter d'ajouter que par cette démarche un tantinet sacrilège l'auteur de l'épître de Jacques vise moins Paul lui-même que les conséquences de son enseignement dans les Eglises qui se réclament de lui (Paul). L'accent mis sur la foi a débouché sur une pratique ecclésiale qui fait la part belle à la doctrine et aux "docteurs", qui donne priorité à la parole entendue et crue sur l'action (voir 1,22-25 et le chapitre 3); d'autre part la structure des Eglises pauliniennes les fait dépendre de riches protecteurs ou "patrons" qui accueillent l'assemblée "dans leur maison" et lui confèrent ainsi un statut social, dans le cadre du clientélisme romain: dans ce contexte, les "riches" ont évidemment plus de poids et d'honneur que les pauvres (voir le début du chapitre 2, et les reprises de ce thème en 1,9-11 et 5,1ss). Bref, on a des Eglises qui se disputent à qui mieux mieux sur "ce qu'il faut croire" et qui dans le même temps reproduisent les schémas sociaux du "monde" (cf. 1,26s et 4,1-4), sans jamais les remettre en question. Or la racine du "mal" est bien objectivement dans l'enseignement de Paul, qui fait de la "foi" et du "salut" une affaire exclusivement religieuse, et qui prône le statu quo en matière sociale (cf. 1 Corinthiens 7) -- même si ce n'était pas ce que Paul espérait de la "foi", qui garde chez lui la force d'un principe d'action.
Je ne saurais trop recommander le commentaire de François Vouga sur l'épître de Jacques, que j'ai trouvé très éclairant pour ma part. Le rapport de cette épître au paulinisme se comprend mieux quand on considère sa cohérence d'ensemble, et pas seulement le passage le plus visiblement antagoniste (2,14-24).