(extraits du lien)
Jésus, protecteur des femmes
Pourtant, s'il n'y a pas la moindre trace d'une femme de Jésus, il y a autour de Jésus beaucoup de femmes, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il se conduit avec elles d'une façon extrêmement singulière pour les usages de son temps. En effet, la société juive de l'époque est très fortement patriarcale. Les femmes passent de l'autorité de leur père à celle de leur mari, ou, à défaut, de leur frère ou de leur fils aîné. Qu'une femme puisse être indépendante est inenvisageable, et le malheur et la misère tombent sur les veuves sans protecteur ou les épouses répudiées.
L’évangile évoque l'extrême pauvreté des veuves. Quant aux répudiées, elles sont réduites, dans le meilleur des cas, à une situation de domesticité dans la maison de leur père ou de leur frère et, le plus souvent, à la prostitution. L'opposition de Jésus à la répudiation - et non au divorce comme on le dit trop souvent - est évidemment une interdiction faite aux hommes de se débarrasser d'une épouse comme d'un vieux chameau de réforme. Les disciples ne s'y trompent d'ailleurs pas qui s'exclament : "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas avantageux de se marier"(Matthieu, 19 :10). En cette matière, Jésus est bien le protecteur des femmes contre la "dureté du cœur des hommes".
Le rôle "naturel" de la femme
Mais Jésus ne protège pas seulement les femmes, il les considère comme de véritables interlocutrices. L’évangile de Luc le montre ainsi dans la maison de deux femmes, Marthe et Marie, sœurs de Lazare, à Béthanie. Marthe, sans doute l'aînée, s'agite à la cuisine comme une bonne maîtresse de maison afin d'accueillir dignement son hôte, tandis que Marie demeure assise aux pieds de Jésus, qu'elle écoute. Mais Marthe ne l'entend pas ainsi, et l'évangéliste, avec un beau talent littéraire, nous la montre furibarde, faisant, en une seule phrase, reproche à Jésus et à sa sœur :
Cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc de m'aider !"
Et bien non, n'en déplaise à Marthe, cela ne lui fait rien, à Jésus, qui répond à la râleuse :
Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée" (10 :40-42).
Le rôle "naturel" de la femme n'est donc pas d'être à la cuisine ! Si une femme le souhaite, elle a droit à la part qui, dans le judaïsme traditionnel, est celle des hommes : celle de la réflexion et de l'étude.
Si la place des femmes n'est pas à la cuisine, serait-elle dans la maternité ? Pas sûr. Un peu plus tard, l’évangile rapporte une autre scène : alors que Jésus traverse un village, une femme crie dans la foule : "Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les seins que tu as sucés !" La réponse de Jésus fuse : "Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et l'observent !" (11 :27-28). Ainsi donc, le bonheur d'une femme ne serait pas dans son ventre et ses seins ?
Jésus n'est pas toujours entouré de femmes convenables…
Mais la singularité de la relation de Jésus avec les femmes ne se résume pas à ces épisodes, car des femmes, dans les Évangiles, il n'en manque pas et, contrairement à ce qu'on imagine, la mère de Jésus, Marie de Nazareth, bien qu'omniprésente dans le catholicisme et dans l'orthodoxie, n'y est guère qu'une présence furtive. Ni Jean ni Paul ne connaissent son nom.
Ce sont donc d'autres femmes qui entourent Jésus, et, il faut bien le reconnaître, pas toujours des femmes convenables.
C'est le cas d'une célèbre prostituée, lors d'un banquet chez un certain Simon - on la confond souvent à tort avec Marie-Madeleine, que Jésus délivre de sept démons. La belle de chez Simon saisit les pieds de Jésus, les baigne de ses larmes, les essuie avec ses cheveux et y répand un très coûteux parfum sous le regard réprobateur du maître de maison et de ses invités qui se scandalisent que Jésus accepte sans protester un hommage si sensuel. Ne voit-il pas qui est cette femme ? Si, il le voit très bien, et c'est pour elle qu'il déclare :
A ceux qui auront beaucoup aimé, il sera beaucoup pardonné" (Luc, 7 :47).
A cette rencontre fait écho la scène de la femme prise en flagrant délit d'adultère qui est jetée par ses accusateurs aux pieds de Jésus : doit-on la lapider comme le prescrit la loi de Moïse ? Non sans humour, Jésus propose que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre. Tous les hommes, confus, se retirent et Jésus relève la femme : "Moi non plus, je ne te condamne pas" (Jean, 8 :11)
S'il y a de la misogynie dans les Évangiles, c'est celle des disciples
Jésus est aussi montré par les auteurs des Évangiles comme celui qui se laisse toucher, au propre et au figuré, par la détresse des femmes. Jésus ne montre aucun intérêt pour les règles de pureté rituelles qui interdisent le contact avec les femmes. Un jour, une femme "impure" selon la loi religieuse car affligée depuis des années de pertes de sang, touche le bas de son manteau, et Jésus, loin de s'insurger, en la guérissant, la délivre de l'isolement social dans lequel sa maladie l'avait plongée.
Parmi les femmes qui émeuvent Jésus, on notera l'étrangère syro-phénicienne qui le supplie de guérir son enfant malade. D'abord, il la repousse, mais elle insiste tant qu'à la fin il se laisse convaincre et s'exclame : "O femme, grande est ta foi ! Qu'il t'advienne selon ton désir !" (Matthieu, 15 :28).
Et en effet, les Évangiles sont parcourus par les manifestations de la foi humble et insistante des femmes. Il est étrange que cette présence des femmes ait été si peu remarquée depuis deux mille ans. Car ce ne sont pas les Évangiles qui sont misogynes mais la lecture qui en est faite, qui repousse les femmes au fond du décor et privilégie les hommes qui pourtant ne comprennent rien. Jésus ne cesse de morigéner ses propres disciples : "Cœurs sans intelligence…", "esprits bouchés". Il n'y va pas de main morte !
S'il y a de la misogynie dans les Évangiles, c'est celle des disciples, et, avec une incroyable honnêteté, ils l'avouent. Ainsi, les femmes, et tout particulièrement Marie-Madeleine, sont les premiers témoins de la résurrection. Ce sont elles qui, devant le tombeau vide, reçoivent l'annonce incroyable :"Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant." Or, quand elles courent le rapporter aux disciples, ceux-ci haussent les épaules : "Ces propos leur semblèrent du radotage, et ils ne les crurent pas" (Luc, 24 :5-11).
Jésus serait-il féministe ?
Pour autant, doit-on conclure que Jésus était féministe ? Le mot et l'idée sont bien sûr totalement anachroniques. Cependant, on demeure étonné de la bienveillance de Jésus à l'égard des femmes. Il ne fait pas de doute qu'il goûte leur compagnie et leur conversation. On est étonné de constater que dans un mode de discours qui lui est très particulier, la parabole, les images liées au monde des femmes sont nombreuses et quasi à parité avec celles qui sont masculines. Ainsi, le Royaume de Dieu est "comme un homme qui a perdu une brebis...", "comme une femme qui a perdu une pièce d'argent...", "comme une femme qui met du levain dans la pâte...", "comme un homme qui trouve une perle de grande valeur...". Et la confiance en Dieu est comme celle des oiseaux qui ne sèment (masculin) ni ne tissent (féminin) mais qui sont nourris et vêtus. Au final, ce qui est frappant, c'est à quel point Jésus parle aux femmes "d'égal à égal".
Le dialogue qu'il noue avec la Samaritaine est à cet égard exemplaire. Jésus, en plein midi, au puits de Jacob, lieu de la rencontre amoureuse par excellence, engage un dialogue théologique avec une femme sur le "don de Dieu", et la façon de prier. "Ici ou au Temple de Jérusalem ?" demande la femme."En esprit et en vérité", répond Jésus. L'évangéliste Jean nous montre d'ailleurs les disciples choqués de voir leur maître en conversation avec cette femme. Il est vrai que pour aller au puits en plein midi, il faut sans doute qu'elle soit en marge de la communauté. En effet, elle l'est : femme de beaucoup d'hommes, cinq maris successifs et un amant, paraît-il. L'évangéliste ne fait pas de mystère : au puits de la rencontre, elle a rencontré l'homme de sa vie (le septième, celui de l'accomplissement suivant la symbolique des nombres). Cette scène a inspiré de nombreux peintres qui y ont figuré à la fois le désir et la soif spirituelle. Jésus promet à la femme ce qu'il nomme "l'eau vive". Mais la misogynie ordinaire des commentaires des hommes d’église en fait une fille perdue, aux mœurs légères, que Jésus remet dans le droit chemin.
Hélas, la présence des femmes dans les Évangiles a souvent donné lieu de la part des hommes, seuls autorisés à commenter les textes, à des jugements de sotte morale sur la vertu des femmes. Il y a pourtant bien un évangile - au sens étymologique de "bonne nouvelle" - annoncé aux femmes et reçu par elles. Espérons que les filles du XXIe siècle liront ces textes qui sont désormais ouverts à tous et toutes et y trouveront matière à combattre le masculinisme arrogant, contraire au message de Jésus, de tant d'hommes d’église...
http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20141223.OBS8605/jesus-l-homme-qui-aimait-les-femmes.html