de l'esprit (bien ?) tempéré

Citation :

Au parfait ou au présent, il ne s'agit justement pas d'un "Jésus-Christ" qui aurait été "en chair" jadis, à un moment de l'histoire réelle ou imaginaire, mais qui l'EST de façon présente et permanente -- et c'est là que le rapprochement avec Paul, malgré la différence de vocabulaire et l'apparence contradictoire des énoncés, est à mon avis décisif. Dans le meilleur des cas la "chair" de l'individu "Jésus" appartiendrait au passé, elle n'aurait aucun sens "au ciel"; par contre, "Jésus-Christ" compris comme nom englobant du "mystère" ou de l'"événement" salvateur est toujours "en chair" -- dans la chair des croyants qui l'expérimentent, le "voient" et le "touchent", à la énième génération comme au commencement (cf. 1 Jean 1,1ss).

Le texte suivant est-il une illustration de ton propos ? :

"en effet, par la loi, je suis moi-même mort pour la loi, afin de vivre pour Dieu. Je suis crucifié avec le Christ : ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ; ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi." Ga 2,19-20

Oui, si l'on veut, mais bien sûr avec un langage "paulinien" (ou "post-paulinien") et non "johannique".

Même si "Paul" (tous avatars confondus) préfère généralement parler en bonne part de "corps" (sôma) que de "chair" (sarx), l'emploi de ce dernier mot se différencie entre un usage radicalement négatif et opposé à l'"esprit" (notamment dans la formule kata sarka, "selon la chair") et un usage neutre (ici en sarki, "dans la chair", où la "chair" ne signifie plus rien d'autre que le "corps", autrement dit l'existence concrète et matérielle qui continue; cf. 4,13s; 1 Corinthiens 7,28; 2 Corinthiens 4,10s; 12,7; Philippiens 1,22.24 etc.).

Mais (comme on l'a montré dans l'autre fil) à un certain point les usages (deutéro-)johanniques et (deutéro-)pauliniens se rejoignent dans l'émergence d'un sens franchement positif de la "chair" (le logos se révèle par la chair dans le Prologue de Jean, le Christ sauve par son corps de chair dans Colossiens-Ephésiens; et la "chair" apostolique, sinon chrétienne en général, participe de ce "mystère", cf. Colossiens 1,24).

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Pour revenir au sujet de ce fil (qui était plutôt le rapport de l'"esprit" dans la doctrine chrétienne à l'"esprit" de l'expérience chrétienne, éventuellement "charismatique"), et plus particulièrement à la façon dont "Paul" reconduit systématiquement de l'"expérience" à la "doctrine" (ce qui ne l'empêche pas ensuite d'invoquer l'"esprit" dans ses exhortations pratiques, notamment à l'"amour"), donc d'une certaine différenciation (charismes plus ou moins spectaculaires) à une certaine unité de l'esprit (un seul esprit, le même pour tous), je soulignerai que les fameuses expressions de Romains 8 (ou de Galates 4), à savoir la déduction de l'"esprit" à la qualité de "fils de Dieu" et tout ce qui en découle, dépendent formellement de ce mouvement: ce n'est pas à partir des charismes inégaux de l'"expérience", mais à partir de l'unique esprit associé doctrinalement et égalitairement au baptême, à l'eucharistie ou à la confession de foi, qu'on peut dire que TOUS sont fils de Dieu, justifiés, sauvés, glorifiés, etc. En d'autres termes, le côté "rabat-joie" du paulinisme (par rapport à la pratique charismatique) est compensé par un côté exaltant (en théorie).

"LA Pentecôte" -- exclusivité des Actes, on ne le rappellera jamais assez tant son succès en a fait un passage obligé du "grand récit chrétien" ultérieur, mais ce n'est pas encore le cas dans le NT -- idéalise l'"expérience de l'esprit", elle en fait le miracle fondateur absolu (tout le monde est inspiré, tout le monde dit et/ou comprend la même chose dans toutes les langues réelles du monde, cela n'a qu'un très lointain rapport avec les phénomènes effectifs dont témoigne 1 Corinthiens, charabia incompréhensible de quiconque sauf à rentrer dans le jeu de l'"interprétation in-spirée"). Ce n'est possible, et souhaitable au moins aux yeux de l'auteur des Actes, que dans la mesure où l'"expérience" n'est plus qu'un lointain souvenir dans "l'Eglise" en général (sans préjudice de particularités locales et de résurgences futures, e.g. le "montanisme").

L'expérience corinthienne -- à laquelle évidemment nous n'avons accès que par le texte de Paul, qui ne la voit pas d'un très bon œil -- est tout sauf "égalitaire"; elle favorise sans doute un brassage social inhabituel, comme beaucoup de "mystères" (des esclaves aux maîtres-patrons), mais tout le monde n'est pas égal devant les "charismes" (les questions "rhétoriques", comme on dit maintenant, de 1 Corinthiens 12,29ss ne fonctionnent que parce que la réponse négative est évidente). L'égalité de principe devant le seul Esprit, c'est bien "Paul" qui la prêche avec sa théorie du "corps", qui sans abolir les différences expérimentées les ramène à une unité supérieure (mais théorique, précisément): celle d'un Esprit (unique) derrière les esprits.

Quant au johannisme, sans revenir sur ce que j'ai dit hier (supra 16.5.2019 11 h 07) de sa distance à l'égard de la doctrine paulinienne de l'"Esprit" et plus encore à l'"expérience" de type charismatique ou extatique, il emprunte certainement à l'une et à l'autre, ou du moins à leur langage, mais au profit d'une "expérience" d'un autre type, moins miraculeux, plus discret, plus "profond" ou "intérieur" si l'on veut, bien que ces termes soient aussi piégés que "spirituel" ou "mystique" et que d'ailleurs il les évite. Une formule comme celle de Jean 14,12 (celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, il en fera de plus grandes encore) pourrait passer pour ultra-charismatique, mais elle se neutralise par son excès même (le prédicateur pentecôtiste le plus "allumé" osera rarement prétendre ressusciter les morts, p. ex.; il n'y a guère que la littérature et le cinéma danois pour jouer avec ce genre de chose, cf. Ordet de Dreyer, d'après Munk, et son écho, atténué sur ce point, dans Breaking the Waves de Lars von Trier -- où il y a guérison miraculeuse et vision surnaturelle mais non résurrection, comme chez Dreyer).

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La "spiritualité" chrétienne ultérieure, héritière entre autres de tous les "esprits" du NT, garde quand même quelque chose d'assez "élitiste", parce que foncièrement théologique, que ce soit plutôt dans la veine intellectuelle et rhétorique de "Paul" (saint Augustin, Luther...) ou dans celle, plus "contemplative", de "Jean" ("mystiques" d'Occident et un peu plus largement l'orthodoxie orientale). Les résurgences "charismatiques" (ou, dans un genre à peine différent, les "miracles" des "saints") sont à coup sûr plus "populaires", elles touchent un plus large public (fût-ce de façon "superficielle" ou "superstitieuse", dirait-on facilement de l'autre point de vue). Mais même quand ces deux formes d'"esprit" se tolèrent (sans jugement ni mépris, comme dit sur un autre sujet Romains 14) elles ne se comprennent guère.

Le retour (calendaire) de la Pentecôte me rappelle, par association d'idées, l'une des dernières "modes" charismatiques dont j'aie entendu parler dans les années 1990, quand j'avais encore quelques contacts "évangéliques". Associée au départ à une Eglise dite "Vineyard" de Toronto, elle se caractérisait notamment, ou se distinguait des autres, par le rôle du (fou) rire parmi les manifestations du "Saint-Esprit" -- ce qui naturellement générait des discussions très sérieuses, pour et contre, surtout contre pour ce que j'en ai entendu. Le plus étonnant a posteriori, c'est que ce genre de chose, sans être tout à fait unique ni nouvelle dans l'histoire du christianisme et des religions en général (cf. Dionysos, tout au moins dans sa version nietzschéenne), y ait été si rare (mais c'est déjà un autre sujet).

La bénédiction de Toronto par R.Billaux...

Citation :

Une vie spirituelle plate, sans grands événements majeurs, une recherche de plénitude, une absence de discernement, voilà tous les ingrédients pour déclencher cette fameuse "bénédiction" appelée aussi vin nouveau, huile de joie ou rires dans l'Esprit !
Pour J.McArthur, le fait que les chrétiens font tout pour se sentir bien sans réfléchir ne peut être que pur mysticisme. Propos scandaleux? Non! Le mysticisme n'est autre que la connaissance irrationnelle et subjective d'un savoir non écrit.
C'est exactement le cas pour la bénédiction de Toronto. Paul Ranc Auteur, éditeur, historien

Kierkegaard, qui écrit dans les années 1840-50 et dont la cible principale est la théologie "hegelienne" des pasteurs libéraux, n'est jamais si drôle que dans ses descriptions des "régénérés" ou "réveillés", toute la marge "piétiste" à la marge de l'Eglise luthérienne officielle au Danemark (le même "milieu" sera admirablement dépeint au cinéma par Dreyer, au siècle suivant). Mais il faudra quand même très longtemps pour que le rire vienne à l'Esprit ou l'Esprit au rire, si l'on peut dire, dans la lointaine descendance de ce piétisme (via tous les revivalismes, pentecôtismes et renouveaux charismatiques intermédiaires)... l'analogie de l'ivresse est pourtant présente dès le récit de la Pentecôte.

Ça me rappelle aussi un film israélien que j'ai vu il y a quelques années, My Father, My Lord, de David Volach (2007). Je ne me souviens plus si le rire faisait ou non partie de la pratique néo-hassidique décrite en l'occurrence (ce serait "bibliquement" possible, cf. Psaume 126, de même que pour la danse), mais elle m'avait semblé assez similaire aux pratiques "charismatiques" évangélico-américaines; il y avait en tout cas un contraste saisissant: tandis que le père, rabbin, était saisi d'une jouissance extatique dans un groupe exclusivement masculin sur les bords de la mer Morte, son fils était en train de se noyer un peu plus loin...