Ce qui caractérise en partie le(s) christianisme(s) primitif(s) et le Nouveau Testament comme "juifs", c'est beaucoup moins la "nationalité" (ethnos) supposée des personnages fondateurs (comme Jésus, Paul ou Pierre) que les références littéraires et traditionnelles des textes, qui sont effectivement juives à plus de 99 % (pour une référence explicite à la mythologie, à la littérature ou à la philosophie "païennes", il y en a bien cent à l'"Ancien Testament" et à d'autres textes juifs; de ce point de vue le christianisme n'est guère "syncrétique", ni vraiment éclectique dans ses "sources").
Pourtant cette "judaïté matérielle" ne fait pas du christianisme une "variété" de judaïsme parmi d'autres. Les mystères d'Isis, de Mithra ou d'Attis exploitent un matériau traditionnel égyptien, perse ou phrygien, mais à Rome (p. ex.) ce sont des religions principalement (gréco-)romaines. La quasi-totalité des textes du Nouveau Testament présupposent de même des communautés de destinataires et d'adeptes essentiellement "païennes" (au sens de "non juives"). L'"exotisme" du dieu-sauveur étranger (juif, égyptien, perse, phrygien) et néanmoins "universel" fait partie intégrante de l'attrait des "mystères" -- et en ce sens la distance temporelle des générations ultérieures ne fera que prolonger la distance spatiale, géographique et culturelle des premières. Pour la quasi-totalité de ses adeptes, aussi loin qu'on remonte, Jésus-Christ se raconte in illo tempore ("en ce temps-là") comme in illo loco -- à une époque qu'on n'a pas connue et dans un pays où l'on n'a jamais mis les pieds... "Vous ne l'avez pas connu, et vous l'aimez", reconnaît candidement 1 Pierre 1,8.
Reste, bien sûr, que ce "mystère juif à l'usage des païens" s'élabore dans des milieux surtout familiers des textes juifs -- mais ce ne sont pas les contacts entre juifs en tout genre et païens qui manquent à l'époque, en Palestine comme dans la diaspora.