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| Christ et le temps | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Christ et le temps Sam 29 Juin 2019, 19:29 | |
| J'emprunte le titre d'un ouvrage célèbre d'Oscar Cullmann (Christus und die Zeit), titre lui-même bruissant d'échos de toute sorte dans les années 1940 (Barth, Bultmann, Heidegger, Kierkegaard, Hegel, etc.), assez éloignés d'ailleurs de son contenu théologique plutôt "classique".
Nous avons sans doute déjà examiné sous pas mal de coutures le rapport entre "christologie" et "eschatologie": khristos "traduit" en grec le mašiah ("messie" = "oint") hébreu, qui n'est devenu que tardivement "eschatologique" et de manière très confuse -- puisque le ou les "messie(s)" compris comme figure(s) de la fin des temps peuvent s'assimiler à un roi (plutôt guerrier ou plutôt juge), à un grand prêtre (plutôt officiant ou plutôt maître = enseignant de la loi) ou, par éloignement croissant de l'étymologie hébraïque, prophète, sage, etc., se confondant avec d'autres figures célestes et/ou eschatologiques (Adam, Hénoch, le "Fils de l'homme", etc.) qui n'ont pourtant aucun rapport avec une "onction". Or tout cela "traduit" en grec par un terme qui fonctionnait surtout comme un nom propre (Khristos, Christ) perdait instantanément la quasi-totalité de ces références textuelles et culturelles, de toute façon confuses, mais en gagnait d'autres (par exemple par sa quasi-homonymie avec khrèstos, "bon", "utile", assurément plus "significatif" pour un non-juif, et même pour un juif hellénophone, que "oint").
Mais l'identification dudit "Christ" à un "crucifié-ressuscité" (depuis 1 Corinthiens 1--2), puis son assignation à une période précise de l'histoire (sous Ponce Pilate), allaient brouiller le concept même d'eschatologie, puisqu'elles inscrivaient le personnage de la "fin" dans le "passé"; cela rendait dans un premier temps l'eschatologie plus pressante, non seulement imminente mais présente (la fin a déjà commencé, c'est "le temps de la fin", les "derniers jours", puisque le personnage "dernier" a déjà paru), puis la distendant de plus en plus (le "retard de la parousie", comprise désormais comme retour d'un Christ déjà venu) jusqu'à faire du personnage de la fin un personnage du milieu de l'histoire: le "christianisme" ne peut guère le percevoir autrement après deux millénaires d'existence, mais il commençait déjà à le percevoir ainsi après un siècle ou deux (car dans ce sens cela va très vite: dans l'imaginaire collectif du XXIe siècle Napoléon est déjà plus près de Jules César ou de Toutankhamon que d'un homme politique contemporain; et même en chronologie imaginaire "objective" -- donc spatialisée -- le "milieu" reste un concept fragile: "Jésus-Christ" est déjà plus "loin" de nous qu'il ne le serait de Moïse ou d'Abraham...
Or il me semble que dès le "Nouveau Testament" il y a toute une tendance qui résiste à inscrire le "Christ" dans le passé, un passé par définition de plus en plus passé, de plus en plus "lointain" selon l'analogie spatiale. Non seulement par la christologie qui l'inscrit simultanément (si l'on peut dire) aux origines et à la fin du monde (alpha et oméga, etc.), mais aussi par ce qui fait du récit évangélique une sorte de "spectacle permanent", toujours présent, jamais passé. On l'a souvent remarqué à propos de l'évangile de Marc, où la résurrection renvoie les disciples en Galilée, autrement dit au point de départ du récit, comme si celui-ci devait être lu et relu en boucle, ce qui était probablement sa "fonction" liturgique. A contrario, l'enchaînement Luc-Actes qui donne une "suite" apostolique et ecclésiastique au récit évangélique réduit celui-ci à l'état de moyen et de milieu, subordonné au moins structurellement à la "suite": "Jésus" ne vaut que parce qu'il prépare "l'Eglise", donc celle-ci paraît, au moins dans un sens, plus "importante" que lui, comme un but (même relatif) par rapport à un moyen, ou un effet "mondial" par rapport à une cause locale et anecdotique.
On peut cependant aussi prendre l'évangile à la lettre, par exemple l'ultime parole de Jésus en croix selon saint Jean (19,30), "c'est accompli-achevé-terminé-fini"; à la lettre, il n'y a plus d'après (comme à saint-Germain-des-prés), pas de suite, pas de lendemain, au-delà revient ou retombe -- comme au jeu de l'oie -- en-deçà. Ce serait d'ailleurs le seul point de vue possible et impossible sur une fin du monde ou de l'histoire, qu'elle arrive au beau milieu du monde et de l'histoire et qu'on la reconnaisse cependant pour telle: la fin, indépassable, sans suite, sans lendemain -- dès le lendemain. |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Christ et le temps Sam 29 Juin 2019, 19:47 | |
| - Narkissos a écrit:
- Or il me semble que dès le "Nouveau Testament" il y a toute une tendance qui résiste à inscrire le "Christ" dans le passé, un passé par définition de plus en plus passé, de plus en plus "lointain" selon l'analogie spatiale. Non seulement par la christologie qui l'inscrit simultanément (si l'on peut dire) aux origines et à la fin du monde (alpha et oméga, etc.), mais aussi par ce qui fait du récit évangélique une sorte de "spectacle permanent", toujours présent, jamais passé.
Ne pourrait-on pas penser que cette "non inscription du Christ dans le passé" provient du génie propre qui a procédé à l'écriture, la réécriture du N.T. ? En faisant ainsi on continuait de jouer une "histoire sans fin". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Christ et le temps Dim 30 Juin 2019, 14:02 | |
| C'est bien trouvé, le "génie" de l'écriture... esprit farceur aussi, qui porte la parole à la contradiction et la contradiction à la parole.
Dialogue de sourds entre "tout est achevé" et "la vie continue", qui croient se répondre parce qu'ils ne s'entendent pas vraiment, l'un l'autre. |
| | | free
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| Sujet: Re: Christ et le temps Lun 01 Juil 2019, 10:55 | |
| Ces deux points, Cullmann les fonde sur une exégèse des textes dont nous ne pouvons guère ici que reproduire quelques traits. Il y a d'abord « les affirmations de Jésus par lesquelles il a clairement exprimé que le Royaume de Dieu était déjà là en sa personne ». Cullmann commente Mt 11, 3 suiv-, Me 3, 27 par. : Jésus dit que tout est déjà accompli, mais il relie cette certitude «à la conviction qu'un jour sera achevé tout ce qui n'est pas encore ». Ainsi ses déclarations au sujet du .présent impliquent en même temps que tout n'est pas « encore » terminé. Pareillement, Le 10, 18: « J'ai vu Satan tomber du ciel comme un éclair » (à joindre à Le 11, 20) : Satan est déjà en déroute, mais il y a toujours des malades, et la mort ne cesse pas de régner : preuve d'un « pas encore » reculé dans l'avenir, mais dont la certitude est fondée sur la victoire déjà présente. Qu'on lise ensuite Mc 8, 38 par. ; Mt 10, 15 par. ; 11, 22 par. ; 12, 41 par. ; 19, 28 par. ; 24, 40 par. ; en outre Mt 7, 1 s. ; 23, 33 ; également la description de Mt 25, 31 ss. On arrive toujours à la même conclusion :
« Jésus, bien entendu, n'a pas formulé dans une doctrine élaborée ce qu'il a ressenti au sujet de l'accomplissement et de l'achèvement. Il n'a pas érige l'histoire du salut en système comme Luc l'a fait après lui. Mais nous trouvons tout de même chez Jésus, condition de toute son action et base de toutes ses paroles, cette vision d'un présent où le don fonde la promesse » ; de cette vision, la temporalité fait partie ; elle n'est pas un trait que la démythologisation serait autorisée à supprimer ; sans elle, l'eschatologie de Jésus se disloque. Et sans doute, date inconnue, venue soudaine de la fin — mais ces deux traits que Jésus met en évidence lorsqu'il annonce le Royaume de Dieu n'affaiblissent ni ne contredisent l'affirmation de la futurition temporelle. Ainsi, on ne nie pas qu'il y ait, entre Jésus et les écrits tardifs du Nouveau Testament, Luc notamment, une différence, mais elle est seulement en ceci : Jésus annonce que la fin viendra subitement après un court: laps de temps limité ; la génération postérieure proclame qu'elle arrivera brusquement dans un espace de temps d'une durée indéterminée qui pourrait bien s'allonger. Or cette différence ne touche pas à l'essentiel de la conception de l'histoire du salut : la prévision d'un temps court n'empêche pas Jésus de poser le principe de la tension caractéristique ; comme il sait que le passé s'accomplit en lui, ainsi également sait-il que, le présent qu'il réalise anticipe une fin qui doit apporter l'achèvement après un délai temporel. https://www.nrt.be/docs/articles/1967/89-2/1451-Le+message+de+J%C3%A9sus+et+l%27histoire+du+salut.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Lun 01 Juil 2019, 13:28 | |
| Cullmann me semble en effet plus intéressant aujourd'hui qu'il ne m'avait paru quand je l'avais (un peu) lu, vers la fin des années 1980 -- mon expérience jéhoviste m'avait alors rendu très fortement allergique au concept même d'"histoire du salut" compris de façon platement chronologique, et comme je n'avais pas encore lu Heidegger une bonne partie des résonances du débat des années 1940 m'avaient échappé (Christus und die Zeit répond à sa manière à Sein und Zeit, la Heilsgeschichte fait aussi écho à la Geschichte-Geschickte, "histoire-destin", heideggerienne, etc.).
L'introduction de différences qualitatives, ou même seulement intensives, dans la représentation du "temps" et/ou de l'"histoire" pose des problèmes surprenants: on parle facilement d'histoire ou de temps "linéaires", mais quand on singularise un point de la ligne (en l'occurrence le "Christ", surtout réduit au moment paulinien de la crucifixion-résurrection) comme un "sommet", de plus paradoxal (point le plus haut dans un sens et le plus bas dans un autre, zénith et nadir à la fois), la "ligne" temporelle y perd précisément toute faculté de représentation. Il faut s'imaginer une "fin" au milieu, un terminus ad quem indépassable en un sens, ou en plusieurs, quoique depuis longtemps dépassé dans un autre. Or c'est précisément l'effet que produit la lecture ou l'audition de l'évangile, quand au sein même de sa pratique "ecclésiastique" il fait oublier la "suite ecclésiastique": la "fin du monde", du temps et de l'histoire a déjà eu lieu, et quoi qu'il advienne à l'avenir ce ne sera jamais rien de "plus" -- tout au plus un retour à cette fin-là. A sa façon, la "christologie" théorique qui inscrit le crucifié-ressucité en alpha et oméga, "avant la fondation du monde" ou à "la fin du monde", sous forme de parousie ou d'épiphanie du même, ne fait pas autre chose. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Lun 01 Juil 2019, 16:00 | |
| Puisque la Bible est une histoire et non un exposé de doctrines, la nature historique du christianisme ne peut être abolie au temps de l’accomplissement : elle doit s’y manifester. Les chrétiens savent que « si paradoxal que cela puisse paraître au premier abord, c’est précisément dans les réalités les plus surnaturelles, les plus essentielles, les plus propres au christianisme, telles que les sacrements, que nous trouverons la réponse la plus profonde aux problèmes du monde présent » (80). Si Daniélou voit dans le marxisme « la contradiction absolue du christianisme » (81), ce n’est pas seulement pour son matérialisme, ni pour son « autolâtrie » de l’homme (cf. G. Marcel, p. 90), qui en font plutôt un athéisme parmi d’autres, mais essentiellement pour sa philosophie de l’histoire, qui s’oppose au « christomorphisme » du mystère de l’histoire. - Citation :
- On ne dépasse pas Jésus-Christ, en Lui la fin des choses est atteinte … Pour le marxiste, l’histoire n’est pas encore décidée … Pour le chrétien, l’histoire est substantiellement décidée et l’événement essentiel est au centre et non pas au terme. Est-ce que, pour autant, il n’y a plus rien à faire ? … ce qui est acquis, en droit, à l’humanité tout entière, il reste à le transmettre, en fait.
(83-84) Le christianisme seul « donne à l’histoire toute sa consistance, parce que seul il constitue une acquisition absolue et irréversible de valeur » (93). Continuant l’ œuvre de Jésus-Christ, l’histoire de l’Église est celle « de la libération des âmes captives par le baptême et de l’extension de la gloire de Dieu par l’Eucharistie » (94). « Ce sont les actions sacramentaires qui sont les grands événements du monde présent » (84). En elles s’expriment jusqu’à la Parousie le synergisme et le théandrisme de l’histoire du salut et de son accomplissement en Christ (cf. 145). https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2006-2-page-240.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Lun 01 Juil 2019, 21:59 | |
| Ça me rappelle un gag récurrent ("gimmick") du Hail/Ave Caesar des frères Coen que j'ai vu avec plaisir il y a quelques jours: un producteur hollywoodien des années 1950 qui réalise un peplum "autour" de Jésus (dans le genre Ben Hur) réunit un comité d'ecclésiastiques -- catholique, protestant, orthodoxe -- plus un rabbin, pour s'assurer de leur approbation. Il se passe ce qu'il se passe toujours en pareil cas (comme j'ai pu le constater par moi-même dans quelques circonstances "œcuméniques" analogues): dialogue de sourds garanti, les théologiens chrétiens sont tellement obnubilés par les nuances et les subtilités de leur christologie qu'ils ne voient même pas que leur discours est totalement inacceptable pour le rabbin -- lequel passe forcément pour l'éternel empêcheur de tourner en rond. De fait, une théologie ne peut guère fonctionner autrement qu'en approfondissant son propre fonds confessionnel dans son propre "cercle herméneutique", ce qui la rend généralement inaudible aux autres, sauf coïncidence exceptionnelle et tangentielle.
La formule clé pour notre sujet (également notée dans l'article sur Daniélou) est sans doute la "plénitude du temps" (plèrôma tou khronou) de Galates 4,4, qui a aussi beaucoup marqué les philosophes, notamment Hegel ou (son ennemi intime) Kierkegaard -- ou "le temps-moment-saison est rempli-accompli-achevé", peplèrôtai ho kairos, Marc 1,15; cf. Daniel 7,22; Tobit 14,5; ou l'"économie de la plénitude des temps", oikonomia tou plèromatos tôn kairôn, Ephésiens 1,10; cf. Colossiens 1,19 etc.; et les "derniers jours", Hébreux 1,2, et la "fin des temps", sunteleia tôn aiônôn, 9,26, et le "dernier des temps", ep'eskhatou tôn khronôn, 1 Pierre 1,20, toujours associés au Christ, même longtemps "après"... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mar 02 Juil 2019, 11:00 | |
| - Citation :
- La formule clé pour notre sujet (également notée dans l'article sur Daniélou) est sans doute la "plénitude du temps" (plèrôma tou khronou) de Galates 4,4, qui a aussi beaucoup marqué les philosophes, notamment Hegel ou (son ennemi intime) Kierkegaard -- ou "le temps-moment-saison est rempli-accompli-achevé", peplèrôtai ho kairos, Marc 1,15; cf. Daniel 7,22; Tobit 14,5; ou l'"économie de la plénitude des temps", oikonomia tou plèromatos tôn kairôn, Ephésiens 1,10; cf. Colossiens 1,19 etc.; et les "derniers jours", Hébreux 1,2, et la "fin des temps", sunteleia tôn aiônôn, 9,26, et le "dernier des temps", ep'eskhatou tôn khronôn, 1 Pierre 1,20, toujours associés au Christ, même longtemps "après"...
Maintes et maintes fois commenté, ce célèbre passage met en avant une question : « comment le temps peut-il être, si le passé n'est plus, si le futur n'est pas encore et si le présent n'est pas toujours ? », spéculation qui, selon Paul Ricœur, est condamnée à demeurer « une rumination inconclusive » (P. Ricœur, 1983 : 23) confrontée à une activité narrative que le « faire poétique » éclaircit sans la résoudre (Ibid. : 21)Nous l'avons vu, le judaïsme ancien a intégré certains traits de la doctrine eschatologique du zoroastrisme à sa propre théologie au travers d'un processus de réinterprétation de son mythe d'origine. Le christianisme reprend ces conceptions en y insérant une innovation notable : par l'Incarnation du Christ, le temps chrétien se transforme en inscrivant ses derniers temps dans la durée de l'histoire, comme le précise l'épître aux Galates (IV, 4) : « Quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son fils ». Ainsi, avec Jésus, le processus eschatologique est déjà en partie réalisé tout en demeurant un mystère encore à venir (Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, « Temps » : 165). https://journals.openedition.org/assr/25086 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mar 02 Juil 2019, 14:33 | |
| Très bon article, qui mérite une lecture complète et attentive (le "célèbre passage", bien entendu, est celui d'Augustin sur le temps, cf. le paragraphe précédent en latin avec la traduction en note).
L'eschatologie "judéo-chrétienne" ("messianismes" y compris) et tout ce qui en découle (jusqu'aux idéologies "progressistes" ou "déclinistes") doit en effet (presque) tout à la Perse et à son "dualisme". Cette idée (relativement) originale d'un temps fini, mesuré, donc susceptible d'être "rempli", "accompli" ou "achevé", ni à proprement parler "cyclique" ni "linéaire" au sens géométrique d'une ligne droite infinie, les "christianismes" n'en offrent qu'une série de variantes, avec toutefois une caractéristique marquante: la "fin" s'y inscrit (imprudemment) dans l'histoire, et se trouve ainsi condamnée à y être (dé-)passée selon toute autre conception du temps et de l'histoire. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mar 02 Juil 2019, 16:14 | |
| Dans le Nouveau Testament, on trouve soit « les derniers jours », soit « le dernier jour ». La première expression concerne la période présente, alors que la seconde ne se réfère jamais au présent, mais au jour de jugement qui est encore futur. Selon Hébreux 1.2, Dieu a parlé « à la fin de ces jours qui sont les derniers (ep’ eschatou ton hemeron touton) » par son Fils. Hébreux 9.26 indique également le caractère absolu et radical de l’incarnation de Christ: « une seule fois, à la fin des siècles (epi synteileia ton aionion), il a paru pour abolir les péchés ». L’incarnation de Christ est un événement qui marque l’arrivée du jour eschatologique par l’apparition de Jésus-Emmanuel et qui inaugure un temps différent. Le sens de ces passages n’est pas que la venue de Christ ouvre la dernière période du temps, mais qu’elle constitue le temps de la fin. En 1Pierre 1.20, on lit que Christ « a été désigné d’avance, avant la fondation du monde, et manifesté à la fin des temps (ep’ eschatou ton chronon) à cause de vous ». Ce texte offre un contraste entre deux événements opposés mais complémentaires: la fondation du monde et la fin des temps. Le lien entre les deux est constitué par la présence de Christ. Autrement dit, dans la personne de Jésus et, à cause de sa venue, la fin des temps est déjà apparue. https://larevuereformee.net/articlerr/n237/jesus-christ-et-leschatologie |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Christ et le temps Mar 02 Juil 2019, 17:05 | |
| Remarque toute personnelle: Paul Wells (dont j'avais gardé un souvenir exécrable, mais il n'y est probablement pas pour grand-chose) me semble avoir étonnamment bien vieilli !
D'une façon nettement moins pieuse (encore que...), on pourrait dire que le Christ identifié à la fin des temps rend toute "suite" absurde -- il dépouille radicalement tout le temps à venir de toute possibilité de sens autonome, d'un sens qui ne se rapporterait pas à lui. Et cela, ce sont effectivement les théologiens les plus "conservateurs" qui le voient le mieux, parce qu'ils sont moins tentés de confondre leur foi avec une idéologie du "progrès"...
On comprend, du coup, le caractère à la fois "circulaire" et "langue de bois" du discours théologique chrétien classique (cf. ci-dessus Cullmann, Daniélou ou Wells, malgré tout ce qui les différencie): il ne peut simplement pas se connecter sans une certaine duplicité (double langage) à un débat "contemporain", politique, économique, social, scientifique, écologique ou autre, parce que ce débat présuppose au contraire le postulat d'un avenir ouvert ou du moins indéterminé... Pour le chrétien (cohérent) l'histoire est déjà terminée depuis 2000 ans, ou plus exactement il n'y a jamais eu d'histoire au sens moderne du mot (non seulement parce que ce sens moderne arriverait "trop tard", mais parce que même l'histoire "pré-chrétienne" n'était pas une histoire ouverte et indéterminée dans ce sens-là, ce n'était qu'un drame sacré, une "histoire sainte", dont la fin était le Christ).
De ce point de vue, plus rien ne différencie le christianisme d'un "mythe" (au sens précis de récit divino-humain ritualisé par un culte) -- si ce n'est l'affirmation dogmatique de son "historicité", doublement problématique parce qu'elle se réfère à une notion équivoque de l'histoire et parce que sa part proprement "historique", au sens moderne du terme, se réduit à rien (cf. emblématiquement le bloss dass de Bultmann : un "Jésus historique" dont on ne peut rien dire, ni qui ni ce qu'il a été, mais dont on doit tout de même affirmer QU'il a existé historiquement pour avoir un rapport existentiel et "historial", geschichtlich, avec lui qui se distingue du rapport cultuel à un mythe -- c'est l'unique point d'appui, ponctuel en effet au sens géométrique du point sans épaisseur, de toute son entreprise de dé-mythologisation du christianisme).
D'un autre côté, il me paraît indéniable que cette "christo-eschatologie" (qui est à la lettre une subversion, un renversement de tout "messianisme": du "messie" toujours à venir au "Christ" venu une fois pour toutes) rencontre une expérience humaine du "temps" et de l'"histoire" extrêmement répandue, pour ne pas dire universelle. Dans tout sentiment d'accomplissement et d'achèvement, dans toute perte définitive et irréversible, nous touchons une "fin de l'histoire" qu'aucune "suite" ne peut dépasser, malgré l'évidence de la "vie qui continue". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 12:09 | |
| Je viens de lire "Temps et eschatologie" et doit reconnaitre ma profonde surprise en découvrant que l'éternité ne peut se conjuguer ni au passé, ni au futur puisqu'elle est toujours au présent. Cette notion de Dieu vivant "éternellement" au présent ne m'était pas venue à l'esprit. Wouah….
Si tout est ou s'est terminé il y a 2000 ans ne peut-on pas garder pour soi les belles leçons du NT? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 12:48 | |
| Je suppose que tu te réfères à l'excellent article de Claudine Gauthier que free a référencé ci-dessus, et à ses citations de saint Augustin... cf. aussi, sur ce point (c'est le cas de le dire, puisque l'"éternité" est aussi bien "ponctuelle" que "cyclique" ou "linéaire"), ici ou là. Accessoirement, ce que je trouve aussi vertigineux et dont cet article offre une vision exceptionnelle, c'est l'histoire des idées dans sa perspective perse, surtout si on la prolonge jusqu'à la situation géopolitique de l'Iran contemporain face à Israël, à l'Amérique évangélique et à ses alliés musulmans: mazdéisme -> judaïsme -> christianisme -> islam, il y a effectivement de quoi donner le tournis ! Pour venir à ta question, même si elle se passe de réponse: il me semble que parler de "leçons" d'un passé historique, religieux ou littéraire, c'est présupposer -- tout naturellement pour des "modernes" -- que c'est le "présent" contemporain et son avenir qui comptent: ce qu'on en fait et ce qu'on va en faire désormais... Or il se pourrait (ce serait aussi une "leçon" bouddhique, peut-être) qu'il n'y ait précisément plus rien à "faire". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 13:32 | |
| Narkissos, pourrais-tu nous dire ce que tu penses de cet extrait de l'article de Paul Wells déjà cité :
L’expression « retour de Christ » n’est pas biblique. « Bien que le terme ‘parousie’ signifie la ‘venue’, Luther l’a traduit, de façon juste, par l’expression ‘avenir de Christ’ et a introduit dans le mot la tonalité messianique de l’espérance. Traduire par ‘retour’ est faux, parce que cela implique une absence temporaire. » Avec ‘avenir de Christ’, Moltmann fait pencher la balance en sa faveur! Les textes parlent simplement de sa venue en utilisant le mot erchomai pour l’incarnation, pour la résurrection et pour la parousie. Il est remarquable d’observer que Jésus lui-même utilise ce mot de sa présence future, sans qu’il soit toujours possible de savoir exactement de quel événement il parle (Jn 14.16-18, 26-28, 16.16). De même, 1 Pierre 1:20 parle « des derniers temps » pour indiquer l’avènement de Christ et « la fin des temps » pour son incarnation. Les verbes « révéler et apparaître » ainsi que leurs substantifs, les mots « le temps, l’heure, le jour, la plénitude des temps » s’appliquent aux trois interventions majeures de Jésus. Cela donne l’impression d’une certaine fluidité à l’eschatologie chrétienne primitive, selon le mot de Kittel, alors que la mentalité moderne recherche des catégories strictes. Luther avait raison de dire, dans ce contexte, que nous devrions penser à notre résurrection comme si elle avait déjà eu lieu. https://larevuereformee.net/articlerr/n237/jesus-christ-et-leschatologie |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 14:16 | |
| Sous réserve de ma réserve habituelle sur le principe et la méthode mêmes d'une "théologie biblique" qui consiste à faire parler ensemble des textes différents, je suis plutôt d'accord avec ces remarques, surtout dans ce qu'elles ont d'explicitement ou implicitement négatif -- c'est-à-dire la "critique" qu'elles impliquent d'un certain discours "évangélique" sur le "retour du Christ" qui n'est effectivement pas "biblique", ou beaucoup moins "biblique" que ne le croient ceux qui le tiennent.
Toutefois, si l'on y regarde de plus près, ce type de "synthèse" va montrer ses limites: l'ensemble Luc-Actes, par exemple, celui précisément qui donne une "suite" narrative à "l'évangile", présuppose au contraire le schéma d'un "départ" (dramatisé ou spectacularisé dans les Actes par l'"Ascension") et donc d'un "retour" -- d'autant que le rôle de l'"Esprit" de plus en plus distinct du "Christ" marque (depuis la "Pentecôte" dans les Actes) la différence de l'époque intermédiaire... De nombreuses paraboles, surtout chez Luc mais pas seulement, présupposent le même schéma du départ et du retour. Tout cela est bien "biblique" aussi...
De même: que la résurrection a déjà eu lieu, c'est aussi ostensiblement affirmé dans l'Evangile selon Jean ou l'épître aux Ephésiens que violemment nié dans les Pastorales... A tout point de vue, "la Bible dit" reste une assertion imprudente, quels que soient les énoncés qu'elle introduit.
Vérification faite (en ligne), Luther (1545) traduit effectivement parousia par Zukunfft en Matthieu 24,3 -- Zukunft, de zukommen "venir (à)", signifie "futur" ou "avenir" en allemand moderne; mais les révisions récentes traduisent Wiederkunft ou Wiederkehr = "retour", ce qui est évidemment très contestable pour parousia qui n'implique aucun "re-". Cf. en revanche Hébreux 9,28, ek deuterou "une deuxième fois". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 16:42 | |
| - Narkissos a écrit:
- Pour venir à ta question, même si elle se passe de réponse: il me semble que parler de "leçons" d'un passé historique, religieux ou littéraire, c'est présupposer -- tout naturellement pour des "modernes" -- que c'est le "présent" contemporain et son avenir qui comptent: ce qu'on en fait et ce qu'on va en faire désormais... Or il se pourrait (ce serait aussi une "leçon" bouddhique, peut-être) qu'il n'y ait précisément plus rien à "faire".
Lorsque j'ai écris la phrase à propos de notre situation 2000 ans après JC. et des belles leçons du NT, j'avais en tête les conseils de Jésus, certaines conceptions de la vie et me demandais s'il n'est tout simplement pas possible de s'inspirer, par exemple, du sermon sur la montagne et d'en tirer profit dans notre vie de tous les jours. Pour la théologie, la christologie je reste prudent, comme disent les paysans du canton de Vaud : "Je ne suis ni pour ni contre bien au contraire". |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 17:04 | |
| J'entends bien. Pour clarifier de mon côté mon allusion à la "leçon" bouddhique de l'autre fil (cliquer sur le "peut-être"), je pensais en particulier à la conclusion de ton texte: "La tâche a été accomplie. Plus rien ne demeure à accomplir dans ce monde." Là aussi, me semble-t-il, il y a "fin du temps et de l'histoire" dans le temps et dans l'histoire. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 21:42 | |
| - Citation :
- Il comprit : « Il n’y aura plus de nouvelle naissance. La vie monastique a été pleinement vécue. La tâche a été accomplie. Plus rien ne demeure à accomplir dans ce monde. » Ainsi, le vénérable Kassapa parvint au nombre des Arahants.
Je comprends peut-être mal le texte, mais il me semble que la tâche a été accomplie pour Kassapa, puisqu'il a reçu l'ordination mineure et l'ordination majeure et qu'il a atteint l'éveil devenant un Arahant. Ce travail il l'a accomplit pour lui même, cela ne lui a pas été donné par une grâce quelconque. Si Jésus a accomplit le dessein que Dieu s'est proposé d'accomplir, de voir s'accomplir. Il n'y a plus rien à faire. Alors que j'écris ce message je prends conscience de ce que tu voulais dire soit: la grâce étant accordée il n'est plus nécessaire de faire quoi que ce soit. Est-ce bien cela ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Mer 03 Juil 2019, 22:39 | |
| Je n'ai pas du tout parlé de "grâce", j'ai écrit: - Citation :
- Là aussi, me semble-t-il, il y a "fin du temps et de l'histoire" dans le temps et dans l'histoire.
Le trait commun que j'y vois, c'est qu'il y a des "événements" qui, d'un certain point de vue, retirent tout sens à une "suite". Ce serait vrai d'une "mort de dieu", ça le serait aussi d'un "éveil" bouddhique à la vacuité universelle, ça le serait encore, à mon avis, de mille autres choses, grandes joies ou grands malheurs, ou petites joies et petits malheurs vécus grandement, par rapport auxquels toute continuation apparaît soudain absurde et dérisoire aux intéressés mêmes, qu'ils soient acteurs ou spectateurs -- comme pour Cioran la mort ne semblait jamais si désirable qu'à la fin d'un morceau de musique sublime. Je ne dis évidemment pas que tous ces "événements" soient identiques ou équivalents sur un quelconque critère "objectif", mais qu'ils présentent, pour le ou les "sujets" concernés, une similitude de structure temporelle qui en fait une "fin" absolue, et les déconnecte ainsi de toute "suite". Je repense au titre du recueil "nécrologique" de Derrida, "Chaque fois unique, la fin du monde": c'est ce que dit emblématiquement toute mort, ce que dirait aussi bien chaque instant si on le percevait tel qu'il est, unique, irréversible, irréparable, irrépétable, à jamais perdu dès qu'advenu -- mais qu'on ne perçoit en fait que dans des événements remarquables, c'est-à-dire effectivement remarqués par tel ou tel "sujet" individuel ou collectif, même s'ils sont par ailleurs de nature très diverse. Cependant on peut bien parler de "grâce", au moins au sens où l'ancienne langue parlait d'"an de grâce" (justement pour l'"après Jésus-Christ"), pour autant que la suite du temps et de l'histoire dès lors dépourvue de "sens", de raison, de finalité et d'utilité peut aussi être dite "gratuite"... Mais alors pas au sens du "coup de grâce" -- c'est l'un ou l'autre. --- Pour revenir à la théologie spécifiquement "chrétienne", illustrée ci-dessus par des noms aussi différents que Cullmann, Daniélou ou Wells, et déjà par une bonne partie du NT, on voit bien que la parade, paradoxale, est toujours la même: l'" après Jésus-Christ" n'est pensable que comme un " en Jésus-Christ", donc stricto sensu ce n'est pas "un après Jésus-Christ". Et comme "Jésus-Christ" s'inscrit aussi rétrospectivement à l'horizon du "commencement" (avant la fondation ou le jeter du monde, etc.), il n'y a pas d'" avant Jésus-Christ" non plus. C'est ce qui rend ce discours à la fois fascinant et totalement inaudible pour des "non-chrétiens" -- sinon par analogie avec d'autres choses, pour eux tout aussi marquantes et totalisantes, mais qui pour le chrétien cohérent ne peuvent précisément pas être pensées comme autres, dès lors que "le Christ" se confond avec la totalité de l'espace et du temps (selon le programme explicite de l'épître aux Ephésiens p. ex.). Mais le plus abyssal de l'affaire, c'est l'absurdité du temps "moderne", occidental et post-chrétien, auquel les chrétiens eux-mêmes sont soumis sitôt qu'ils sortent de leur bulle christologique (c.-à-d. presque tout le temps, sauf pour les ecclésiastiques de profession, et encore...). Passés tous les ersatz et avatars idéologiques du christianisme (socialisme, progressisme, humanisme, etc.), il ne reste qu'un temps littéralement désorienté, non par absence absolue de sens mais par perte irrémédiable d'un sens dont on ne se souvient même plus, dont on ne peut même plus comprendre qu'il ait pu faire sens. C'est pour le coup la vraie "mort de Dieu", dans la pire de toutes ses variantes nietzschéennes -- où le chrétien cependant, en mode "théologico-liturgique", peut toujours reconnaître "Jésus-Christ". |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Jeu 04 Juil 2019, 14:51 | |
| Les témoignages bibliques, loin d’expulser l’espérance dans l’au-delà ou dans l’éternité, sont pleins d’une espérance messianique d’avenir pour la terre. Le Dieu de la Bible venant à nous comme promesse d’une nouveauté et comme espérance d’avenir n’est pas un Dieu intramondain ni extramondain[2] : il est le « Dieu de l’espérance » (Rm 15,13), un Dieu qui a « le futur comme propriété ontologique[3] ». Dans le Dieu qui se révèle en Jésus-Christ, l’eschatologie chrétienne trouve un solide fondement qui la distingue des théories utopiques. Elle trouve son assurance dans la personne de Jésus-Christ et son avenir.
Cette espérance d’un avenir pour l’homme et pour la terre n’est pas à confondre avec une réalité expérimentale, objet d’expérience. Bien plus, elle la contredit et la conteste. Car, si l’espérance correspondait à l’expérience, il n’y aurait plus rien à espérer. L’espérance dans le Nouveau Testament est un « déjà-là » tendu vers un « pas encore » visible, et elle consiste ainsi à « espérer contre toute espérance ». Cette foi-espérance n’apporte pas le repos, mais l’inquiétude, elle ne rend pas patient mais impatient, elle n’apaise pas le cor inquietum, car elle-même est le cor inquietum en l’homme.
Pour la foi chrétienne, le Ressuscité est la promesse de son propre avenir. La promesse contenue dans la Résurrection de Jésus demeure cependant encore en suspens pour nous[10]. Elle introduit une tension entre un déjà-là, manifesté dans la résurrection du Christ, et un pas-encore, car la promesse de la résurrection ouvre un avenir encore à venir. La révélation qu’apporte le Ressuscité et qui est au fondement de l’espérance chrétienne ne peut pas recevoir figure historique[11] dans l’histoire qui s’écoule irréversiblement, mais en revanche, elle doit prendre la tête du processus historique comme primum movens : elle fait devenir historique la réalité de l’homme et du monde. Selon Moltmann, le croyant «est en avance sur lui-même par l’espérance en la promesse de Dieu. L’événement de la promesse ne le fait pas encore entrer dans une patrie de l’identité, mais l’introduit dans les tensions et les différences de l’espérance, de l’envoi et de l’extériorisation[12] ».
En Jésus-Christ la promesse du Dieu de l’Exode devient universelle. Sa Résurrection, sans parallèle dans l’histoire, devient l’« évènement instituant une histoire » qui éclaire, transforme et conteste le reste de l’histoire. Moltmann fait une lecture eschatologique des récits de la Résurrection pour répondre à la question kantienne : « que m’est-il permis d’espérer ?[14] ». Nous espérons l’avenir du Christ qui apportera la manifestation de l’homme et du monde, sans pour autant être capables de dater son avenir et son retour du moment où c’est lui qui donne son jour aux temps. https://www.assomption.org/fr/mediatheque/revue-itineraires-augustiniens/l2019esperance/iii-augustin-dans-l-histoire/la-theologie-de-l-esperance-de-jurgen-moltmann-par-mihai-julian-danca |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Jeu 04 Juil 2019, 15:51 | |
| Heureux temps (de l'après-guerre à la fin des années 1980, comme un versant ensoleillé de la Guerre froide) où les "frères ennemis" chrétiens et marxistes se sont assez souvent reconnus (Bloch-Moltmann ou la "théologie de la libération" latino-américaine, pace Daniélou supra qui les voyait incompatibles alors qu'ils n'étaient que concurrents, justement parce qu'ils se ressemblaient trop et occupaient le même "créneau" ! De Don Camillo à Pasolini...); qui n'a (malheureusement ?) guère survécu à la chute du mur de Berlin et de l'U.R.S.S. -- époque d'une autre "fin de l'histoire" (Fukuyama) qui en cachait d'autres encore, et de plus graves...
Pour les générations qui viennent, c'est le visage humain du mythe temporel (christique ou non) qui risque de devenir insupportable...
|
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Christ et le temps Ven 05 Juil 2019, 11:13 | |
| L'histoire est-elle linéaire ? je ne le pense pas. Peut-être dans un futur plus ou moins éloigné, des penseurs, des philosophes, des croyants revisiteront ils notre époque et comprendront ils ou pas notre époque. Ils réinterprèteront les textes que nous avons lus et relus. Leur approche sera peut-être plus ouverte plus décontractée, voire plus fermée, dogmatique.
L'aventure humaine se joue et se rejoue sans cesse seules les pensées se modifient ou sont abandonnées, mais pas l'espoir, l'espérance en un monde meilleur. Est-ce pathétique, stupide, inutile ? Sommes-nous assez sages pour en juger ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Ven 05 Juil 2019, 12:20 | |
| A toutes fins utiles, l'"heureux temps" de mon post précédent pouvait s'entendre avec un pointe d'ironie (cf. Qohéleth 7,10).
Nos jugements ne valent probablement pas mieux, ni forcément moins, que ceux qui les ont précédés et leur succéderont, mais ça n'empêche pas que nous en ayons et que nous les voyions changer, ne serait-ce que dans la durée d'une vie plus ou moins longue: "l'avenir" ne signifiait pas du tout la même chose, dans les mêmes pays, pour ceux qui avaient vingt ans dans les années 1960 ou 1970 que pour ceux qui les ont maintenant; c'est une lapalissade mais c'est surtout une différence de connotation ou de tonalité pour qui a des oreilles (un texte de Moltmann est une excellente occasion pour saisir, par contraste, ce qui a changé dans notre écoute même lorsqu'on nous parle d'espérance)... Entre la "Guerre froide" et maintenant l'interlude "islamiste" a continué de faire diversion d'un certain nombre de "réalités" (démographiques, économiques, écologiques...) qui n'ont pas cessé d'être et de "progresser" et commencent à peine à venir à la conscience d'une petite partie de la "jeunesse" contemporaine, pour qui l'"espérance", même comme "illusion" utile ou inutile, va être plus difficile qu'elle ne l'a jamais été pour nous ou nos ancêtres proches.
---
Quant au "sujet" initial, il faudrait peut-être noter ici que le Christ paulinien, en tant que "mythe temporel" précisément, est avant tout différentiel: ce n'est pas "le temps" totalisé (et donc spatialisé) indistinctement, c'est le temps marqué d'une dualité déterminante: le crucifié et le ressuscité, c'est aussi l'ancien et le nouveau, le premier et le second Adam, la chair et l'esprit, la fin du monde, de l'histoire et de la loi et la nouvelle création (etc.). A cet égard il ressemble autant, voire davantage, au Janus romain aux deux visages qu'au K(h)ronos grec (= Saturne). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Ven 05 Juil 2019, 15:04 | |
| Au fur et à mesure que les années passent, Paul réalise de mieux en mieux que le temps de la persévérance sera plus long qu’il n’escomptait. Tout en étant bien conscient que la mort et la résurrection du Christ ont ouvert une ère décisive dans l’histoire du salut, l’apôtre souligne la tension qui s’instaure entre ce qui est déjà réalisé et ce qui est attendu : « Si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa Résurrection » (Rm 6, 5). Pour Paul, l’introduction dans la mort du Christ est une affaire du passé ; le croyant est désormais vivant pour Dieu en Jésus Christ. Le don de la vie est une réalité actuelle, et pourtant une plénitude est à attendre que seule la foi fait espérer : « Nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6, . Conscient de ce que Dieu a déjà accompli en Christ pour l’humanité, Paul, plein de confiance, exprime une telle tension avec sérénité : « Si, en effet, quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie » (Rm 5, 10). https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-5-page-637.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Christ et le temps Ven 05 Juil 2019, 15:39 | |
| Exemple type de ce (que je pense) qu'il ne faut surtout pas faire (et si je le pense, c'est bien sûr pour l'avoir fait moi-même trop souvent et trop longtemps): "expliquer" les textes bibliques d'après un récit (biographie ou roman, ici c'est indiscernable) de la "vie" de l'"auteur" supposé. (Ça m'étonne un peu de Lémonon, j'imagine que c'est la transcription d'une conférence ou d'un texte "grand public", mais ce serait aussi bien une circonstance aggravante qu'une excuse...)
Si les "Actes des Apôtres" n'ont pas réussi à remplacer les "épîtres de Paul" par une "vie de Paul", ils ont tout de même largement réussi à les rendre illisibles... |
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