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| Vivre avec son temps | |
| | Auteur | Message |
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le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Vivre avec son temps Mer 28 Aoû 2019, 16:54 | |
| La plupart des écoles bouddhiques essayent d'apporter un peu de modernisme dans leur pratique sans trop pervertir le message et l'enseignement de Bouddha.
Tous les responsables de ces « chemins » sont conscients de l'attente des occidentaux en mal de spiritualité ; la plupart des enseignants ont bien compris que l'enseignement peut atteindre également les divers pays non asiatiques.
Ce qui peut représenter un problème ce sont non seulement les habitudes prises et conservées au sein des pays berceaux du bouddhisme, mais aussi l’impression de trahir l’enseignement de Bouddha. Ces derniers ont souvent gardé un peu de leurs pratiques prébouddhiques et les pratiquants ne désirent et ne voient pas la nécessité de changer quoi que ce soit dans leur façon de vivre leur foi dans l'enseignement de Bouddha. Il y a bien, certes des bouddhistes, jeunes et moins jeunes d'ailleurs [la plupart de ceux-ci ayant effectué des voyages ou résidant à l'étranger], désirant dépoussiérer la pratique et surtout tout ce qu'ils jugent comme ne provenant pas des enseignement du maître.
Cependant, il est bien difficile de modifier ce qui ne l'a pas été pendant si longtemps. Ainsi l’école bouddhique tibétaine autorise ses moines à porter « le costume cravate » lorsque ces derniers se trouvent ou se déplacent en occident. Cela peut paraitre dérisoire mais il s’agit là d’une démarche remarquable afin de pouvoir mieux contacter les femmes et les hommes hors du Tibet.
Il y a quelques mois mon maître me disait combien il regrettait la réaction de sa mère lorsqu’il la visitait et prenait un repas chez elle [au Sri Lanka]. Cette dernière servait son fils et le laissait manger seul et ensuite mangeait à son tour. Il me confessa combien il était difficile de changer les habitudes des gens et il ne voulait pas choquer celles et ceux qui n’auraient pas compris le sens de sa démarche. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Jeu 29 Aoû 2019, 10:11 | |
| "Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, pour en gagner le plus grand nombre. J’ai été avec les Juifs comme un Juif, pour gagner les Juifs, avec ceux qui sont assujettis à la loi, comme si je l’étais – alors que moi-même je ne le suis pas –, pour gagner ceux qui sont assujettis à la loi ; avec ceux qui sont sans loi, comme si j’étais sans loi – alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, puisque Christ est ma loi –, pour gagner ceux qui sont sans loi. J’ai partagé la faiblesse des faibles, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver sûrement quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Evangile, afin d’y avoir part." 1 Co 9, 19ss
Paul était (peut-être) un pragmatique avec la faculté de s'adapter aux personnes en fonction de leurs idées et de leurs façon de vivre, un homme qui savait vivre avec son temps. D'autres percevrons dans ce texte une personne opportuniste ou un partisan de "la fin justifie les moyens". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Jeu 29 Aoû 2019, 22:57 | |
| Merci Free d'avoir partagé ce texte de l'apôtre Paul qui illustre bien le travail qu'accomplissait et qu'accomplissent encore à notre époque les missionnaires désirant partager un message qu'ils jugent important. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 09 Sep 2019, 00:19 | |
| Ce genre de marketing missionnaire (ou militant) risque toujours d'être pris à contrepied (et de vitesse) dans ses efforts d'adaptation par les mouvements contraires et impondérables de son public cible: Occidentaux en mal d'exotisme, modernes en mal d'antiquité, d'ancienneté, de tradition, d'authenticité... il en faut (et il y en a) pour tous les goûts. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Sam 25 Jan 2020, 18:50 | |
| Le moine référent de la Fondation Bouddhiste Internationale (International Buddhist fundation IBF) s'occupe non seulement de la vie spirituelle de sa communauté, il fréquente également le Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) et participe aux réunions organisées à Genève. C'est une façon pour cette fondation de participer aux actions dans les domaines économique, social, culturel, éducatif, de santé publique, de développement durable. La Fondation Bouddhiste International (International Buddhist Foundation I.B.F.) est établie depuis 1991 à Genève et enregistrée en tant que telle par le Canton de Genève depuis 1994. En 1998 elle a reçu le statut d’ONG consultative auprès de l’Organisation des Nations Unies. (Veuillez consulter les deux documents ci-joints pour information) - Citation :
- La Fondation Bouddhiste International (International Buddhist Foundation I.B.F.) est établie depuis 1991 à Genève et enregistrée en tant que telle par le Canton de Genève depuis 1994. En 1998 elle a reçu le statut consultatif d’ONG auprès de l’Organisation des Nations Unies. En plus de respecter les traditions et les pratiques bouddhistes l’IBF poursuit l’objectif de promouvoir bénévolement le bien-être de toutes les personnes et de contribuer à instaurer une paix durable sur terre.
extraits des statuts de la Fondation. Dans de nombreux pays les bouddhistes essayent de promouvoir des actions pour la paix. Il est regrettable qu'au Myanmar (Birmanie) le chef de la communauté nationale bouddhiste encourage les violence à l'égard des Rohingyas. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Sam 25 Jan 2020, 22:16 | |
| Quel que soit le peuple ou la religion, on est toujours "meilleur" quand on n'est pas du côté du pouvoir...
(En disant ça je pense à la Birmanie, bien sûr, et à toutes les situations où une ethnie et/ou une tradition est en position dominante par rapport à d'autres; non à l'ONU qui, malgré tous les fantasmes à son sujet, est à peu près le contraire d'un pouvoir, pas même vraiment un contre-pouvoir -- dans le meilleur et le plus rare des cas, un lieu de modération des pouvoirs "nationaux".) |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Sam 28 Aoû 2021, 19:16 | |
| - Narkissos a écrit:
- Quel que soit le peuple ou la religion, on est toujours "meilleur" quand on n'est pas du côté du pouvoir...
Le problème du Myanmar (anciennement la Birmanie) est particulièrement surprenant et dérangeant pour les Bouddhistes mais pas seulement. En effet, le Myanmar est un pays essentiellement bouddhiste mais que accepte officiellement les autres religions et leurs pratiquants. Depuis de nombreuses années une région de ce pays accueille plus ou moins volontairement des immigrés de confessions musulmane. C'est une région très pauvre et la population a peur de devoir partagé le peu qu'elle possède. Cela n'a rien de particulier et reflète très bien ce que ressentent des personnes habitant dans divers pays, également en Europe. Ce qui pose problème c'est le nationalisme développé et encouragé par un moine et non des moindres puisque ce dernier occupe une fonction importante dans la diffusion du bouddhisme au Myanmar. Selon les enseignements du Bouddha ce moine devrait au contraire de ses actions actuelles encourager les Birmans a faire preuve de bienveillance à l'encontre des immigrés. Les discours haineux qu'il proclame n'ont qu'un seul but chasser les immigrés. Ce n'et pas ce que l'on peut attendre d'une personne qui a décidé de devenir moine pour le bien commun. Peu de nouvelles nous parviennent depuis quelques mois de ce pays et les évènements se déroulant en Afghanistan ne vont certainement pas permettre d'avoir une meilleure information. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Sam 28 Aoû 2021, 19:55 | |
| Je suppose que tu fais allusion à ce moine-ci, mais ce n'est sûrement pas le seul. Du reste, celui-ci n'est pas (ou plus) en position de "chef" (cf. ton post précédent) s'il a été plus ou moins censuré par ses pairs (depuis 2017 si j'en crois Wikipédia; accessoirement, en France on dit encore le plus souvent "Birmanie" -- quand on en parle).
Du point de vue des médias occidentaux, le (dernier) coup d'Etat militaire et la répression générale qui s'en est suivie ont largement éclipsé les conflits religieux, ethniques ou communautaires, avant d'être à leur tour éclipsés par d'autres choses ailleurs... Si on veut des informations récentes, il faut plutôt aller les chercher sur des sites d'agences de presse anglophones comme celui-ci.
Une religion qui fait corps avec une société finit fatalement par être impliquée dans son "pire" comme dans son "meilleur"; l'histoire de la "chrétienté" et de son "clergé" n'a qu'un lointain rapport avec le Sermon sur la montagne... |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Dim 29 Aoû 2021, 18:19 | |
| - Narkissos a écrit:
- accessoirement, en France on dit encore le plus souvent "Birmanie" -- quand on en parle).
La Birmanie3 ou le Myanmar4 (en birman courant ဗမာ = Bama, en birman formel မြန်မာ = Myanmâ /mjænˈmɑ/), en forme longue : république de l'Union de Birmanie3,7 ou république de l’Union du Myanmar3,7 (en birman Pyidaungzu Thammada Myanma Naingngandaw8) En français, « Birmans » qualifie tous les citoyens du pays (en anglais : Burmese), qu'ils soient Birmans ethniquement issus de l'ancien royaume de Birmanie (en anglais : Burman) ou des territoires rattachés à celui-ci par l’occupant britannique. Le pays est devenu indépendant du Royaume-Uni le 4 janvier 1948 avec pour nom officiel en anglais Burma, en forme longue Union of Burma. Aujourd'hui, son nom officiel en birman est myanma (Myanma.svg) écrit « Myanmar » dans une transcription trompeuse pour un francophone12). Ce terme, dont la première trace remonte au roi Kyanzittha13 en 1102, fait référence aux « premiers habitants du monde »14. L'anglais Burma et le français « Birmanie » viennent de « Bama » (Bama.svg), le nom de l'ethnie majoritaire birmane. Par extrapolation, les Birmans ont appliqué ce terme à l'ensemble des habitants de leur pays ; aussi « Myanmar » est-il littéraire, alors que « Bama » ou « Bamar » relève de la langue orale. De nos jours, le mot « Birmans » englobe l'ensemble des populations vivant en Birmanie15. Plus exactement, « Myan Ma » signifierait le pays merveilleux créé par ces « esprits-habitants mythiques » (« Bya Ma »). Avec cette dénomination et l'usage du mot « Union », le caractère multi-ethnique de l'État est souligné. selon wikipédia - Narkissos a écrit:
- Une religion qui fait corps avec une société finit fatalement par être impliquée dans son "pire" comme dans son "meilleur"; l'histoire de la "chrétienté" et de son "clergé" n'a qu'un lointain rapport avec le Sermon sur la montagne...
L'enseignement du Bouddha s'applique à chaque individu et chaque individu est encouragé à le vivre en fonction de sa compréhension dudit enseignement. Mais tu as raison, Narkissos, car dans les pays de tradition bouddhistes cet enseignement a plus un vécu "national", communautaire qu'individuel ce qui mène à des dérives telle celle que j'ai décrite et qui semble pour l'instant passer au second plan à la suite du "coup d'état" mené par les militaires birmans qui se sont sentis éloignés du pouvoir à la suite des dernières élections de novembre 2020. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Dim 29 Aoû 2021, 23:54 | |
| A mon sens, il y a à la fois antagonisme et équivoque entre deux conceptions inconciliables, qu'on peut appeler respectivement "ésotérique" et "exotérique", d'une même doctrine (cela vaut également pour le christianisme primitif, entre "gnose" et "Eglise"). C'est l'exotérique, c'est-à-dire une combinaison de croyance et de rituel, qui fonde et perpétue une "communauté" dans la durée par le simple passage du temps et des générations (mariages, naissances et morts, la vie continue), en développant une tradition et en constituant une "identité" spécifique. Or une telle communauté durable, bien avant de devenir "ethnique" ou "politique", de faire corps avec un peuple ou une nation, une société ou un pouvoir, incline déjà la doctrine, quelle qu'elle soit, vers une compréhension "eudémonique", "naturelle" ou "matérielle": dès qu'il y a un "dedans" et un "dehors", un "nous" et un "eux", on va forcément s'occuper en priorité du bien-être des "siens" et adopter à l'égard des "autres" une attitude différenciée, tantôt conquérante (prosélytisme) et tantôt défensive (marquer la frontière, pour empêcher les invasions ou expulser les indésirables), qui peut assez naturellement devenir agressive envers l'extérieur en fonction des circonstances. La compréhension ésotérique, en revanche, ne cherche pas du tout à faire communauté ni durée, mais au contraire à "sauver" ses adeptes individuels du cours ordinaire de la "vie" et du "monde"; mais elle ne peut paradoxalement survivre qu'en "parasitant" pour ainsi dire une communauté existante: tel a pu être le cas d'un (proto-)bouddhisme compris comme une école de pensée et de pratique dans le cadre ou à la marge des religions indiennes dont il ne contestait ni les croyances ni les rites; tel aurait aussi pu être le cas d'un (proto-)christianisme dans le cadre ou à la marge d'un judaïsme restant lui-même assez divers pour l'accueillir ou le tolérer. Mais dès qu'il y a rupture et émergence d'une nouvelle communauté distincte, l'ésotérisme ne peut plus parasiter que sa propre communauté et la religion par définition "exotérique" et "eudémonique" qui la constitue: il y a dès lors tension structurelle, plus ou moins conflictuelle et intense, entre la version ésotérique, "spirituelle" ou "intérieure" et la version exotérique, "matérielle" ou "extérieure" de la même "religion". Ce qui peut aboutir à des solutions "hiérarchiques", comme la constitution d'un "clergé" ou d'un "monachisme", d'un "ascétisme" ou d'un "mysticisme" réputés poursuivre la voie ésotérique à l'intérieur d'une "religion" plus vaste, tout en la servant de diverses manières (en offrant un "modèle" ou un "idéal" de sainteté, en enseignant la doctrine, en organisant le rite); mais aussi à des ruptures et à des fondations de nouvelles communautés qui ne feront que reposer le même problème un peu plus loin.
La réception occidentale et moderne des religions orientales et anciennes rajoute une couche d'ambiguïté supplémentaire: c'est la voie ésotérique (spiritualité, intériorité, éveil) qui est généralement recherchée à titre individuel, plutôt qu'une "religion" exotérique et communautaire, mais l'économie de la société ambiante tend à l'assimiler à ce qui est pour elle tout autre chose qu'une "religion", "loisir" ou "santé" (on "fait" de la méditation ou du yoga comme on "fait" du sport ou comme on "suit" une thérapie quelconque). En conséquence, le malentendu peut être total entre des adeptes occidentaux et les communautés traditionnelles de la même "religion", les uns ne comprenant absolument pas ce que les autres y cherchent et y trouvent. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 30 Aoû 2021, 12:46 | |
| Merci Narkissos pour cette analyse pointue et tout à fait adaptée à l'enseignement du Bouddha. Effectivement je remarque combien parfois il y a de la gène de la part des membres asiatiques de la communauté à mon égard. Je ne dis pas du rejet ou du mépris mais vraiment une gène car je ne me comporte pas tout à fait comme le font naturellement les bouddhistes du Sri Lanka ou de l'Asie du sud-est. De mon côté je reconnais avoir parfois du mal à bien comprendre les raisons et la nécessité de telle ou telle pratique.
Certains moines orientaux animant les communautés en Occident ont appris à se comporter de manières légèrement différentes vis à vis des non-orientaux sans toutefois pratiquer un double langage. Ils aimeraient que le bouddhisme soit pratiqué de façon plus dégagée des anciens cultes. Mais ils savent cependant bien que cela n'est pas possible, dans leur pays d'origine, à cause du poids de l'habitude et des traditions culturelles et cultuelles.
Lorsque les premiers moines disciples du Bouddha se sont déplacés vers d'autres contrées ils ont été confrontés à la pratique de diverses religions. Leur approche ne s'est pas concentrée sur la tentative de suppression ou du détournement de la religion locale, mais plutôt sur la dispensation de l'enseignement bouddhiste.
Ce qui peut surprendre un occidental c'est de voir des moines, occidentaux eux-aussi, pratiquer une forme de culte comme on peut le voir se dérouler en Orient. L'enseignement du Bouddha est non seulement une philosophie, différente de celle enseignée en Occident, une manière de vivre mais également une suite de rites repris du brahmanisme, ainsi que la récitation chantée, ayant pour but de rappeler aux pratiquants, qui n'étaient pas des lecteurs, l'essence même de l'enseignement par la répétition des discours du Bouddha sous la forme de mélopées. A l'image des vitraux que l'on voit dans les Eglises qui représentaient graphiquement l'enseignement de la Bible par la présentation de certains épisodes de la vie de Jésus et de Saints. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 30 Aoû 2021, 13:32 | |
| Merci à toi de ce témoignage, qu'aucune analyse théorique ne saurait remplacer, surtout pas la mienne qui reste, pour l'essentiel, intuitive et comparative, par rapport au seul christianisme que je connais (au moins un peu mieux que le bouddhisme).
Je ne doute pas que cela puisse se vivre très bien, à condition précisément de respecter l'ambiguïté constitutive de la "religion" qui peut concilier en pratique des tendances en principe contradictoires (notamment celles que j'appelle ésotérique et exotérique). Le chapitre 14 de l'épître aux Romains reste pour moi un tableau exemplaire de cette attitude que j'ai pu expérimenter dans une certaine mesure, dans mes derniers mois de jéhovisme comme dans ma traversée subséquente du protestantisme, évangélique, réformé et libéral. Pour moi cela n'a eu qu'un temps, celui justement où cette ambiguïté m'a paru à la fois heureuse et utile, avant de devenir de plus en plus pénible et stérile, dans un "milieu" après l'autre. Mais il n'y a là rien de général, et je suis convaincu que beaucoup arrivent à vivre durablement une "foi" ou une "pratique" personnelle en bonne intelligence avec une "communauté", malgré les inévitables malentendus qui sont d'autant plus supportables qu'on les envisage de façon consciente et sereine -- c'est sans doute une question de "tempérament", en plus d'un sens de ce mot.
C'est l'occasion de rappeler une fois de plus la formule célèbre du cardinal de Retz, "on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment" -- mais parfois on en sort quand même, lorsqu'on a l'impression de n'avoir pas le choix, ce qui est peut-être encore la meilleure définition d'un "choix" où tout dépend du "on". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 30 Aoû 2021, 16:45 | |
| Merci Narkissos de ton honnêteté : "Pour moi cela n'a eu qu'un temps, celui justement où cette ambiguïté m'a paru à la fois heureuse et utile, avant de devenir de plus en plus pénible et stérile".
J'avoue qu'au début de ma fréquentation de la communauté bouddhiste je ne prêtais pas trop attention aux rituels mais par la suite ils me sont apparus un peu "folkloriques" voire inutiles. Et puis j'ai fini par me rappeler que mes "coreligionnaires" ne venaient pas de Suisse même s'ils y habitaient depuis longtemps mais qu'ils avaient connus le bouddhisme soit dans leur pays d'origine au travers d'une autre culture, soit au sein d'une famille orientale traditionnelle.
De plus il m'était donné de manifester de l'empathie, de la bienveillance comme l'a enseigné le Bouddha. Ce n'était pas nécessaire de me lancer dans de longues méditations, mais de manifester également et simplement ces deux dispositions à l'égard des autres pratiquants. Maintenant je ne me sens plus comme le vilain petit canard de l'histoire mais comme un disciple de Bouddha qui a encore du travail à accomplir pour trouver le Nirvana. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 30 Aoû 2021, 17:44 | |
| C'est certainement très stimulant aussi pour les pratiquants traditionnels d'avoir affaire à des "étrangers" qui prêtent naturellement plus d'attention au "contenu" ou au "sens", à ce qui se dit et à ce que ça veut dire, qu'à la répétition des formules et des gestes rituels -- de même, mutatis mutandis, pour le néophyte dans une Eglise quelconque, qui réagit davantage à la teneur d'un sermon que les habitués, plus sensibles si je puis dire à la musique qu'aux paroles...
Reste que la capacité d'ambiguïté (que j'entends pour ma part dans un sens positif, à mon avis c'est plutôt bien de pouvoir entendre des choses très différentes sous les mêmes mots) est très inégale d'une religion et d'une culture à l'autre: le christianisme occidental, et singulièrement protestant, tend à (s')expliquer davantage (déjà par rapport aux christianismes d'Orient qui sont nettement moins bavards et plus rituels), à donner au "sens" la priorité sur le rite, ce qui fait aussi que les désaccords et les conflits d'interprétation, le cas échéant, y apparaissent beaucoup plus vite et y prennent plus d'importance. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 30 Aoû 2021, 18:32 | |
| - Narkissos a écrit:
- le christianisme occidental, et singulièrement protestant, tend à (s')expliquer davantage (déjà par rapport aux christianismes d'Orient qui sont nettement moins bavards et plus rituels), à donner au "sens" la priorité sur le rite, ce qui fait aussi que les désaccords et les conflits d'interprétation, le cas échéant, y apparaissent beaucoup plus vite et y prennent plus d'importance.
Ce que tu déclares est intéressant car il me semble que dans le bouddhisme les différences que l'on peut remarquer entre les différents courants ont plus trait aux rituels qu'au sens de l'enseignement. Même si certains maîtres accordent plus d'importance à une ou des déclarations du Bouddha. Il y sera toujours fait référence à Dukkha, au Samsara et à la possibilité de se libérer des conséquences de Dukkha en suivant le noble sentier octuple. Soit : Compréhension juste, pensée juste, parole juste, action juste, moyens d'existence justes, effort juste, attention juste, concentration juste Sans doute cela vient-il du fait que le bouddhisme laisse les pratiquants libres de vivre et de recevoir l'enseignement sans exiger d'abandonner leur religion première pratiquée ou non. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Lun 30 Aoû 2021, 19:11 | |
| Cela tient aussi, je pense, au fait que le coeur de la "doctrine" bouddhiste est plus "pratique" ou "expérimental(e)" que théorique. On peut certes "pratiquer" la religion "exotérique" par la répétition quasi mécanique du rituel et des formules, mais si peu qu'on s'intéresse à la doctrine (= enseignement) celle-ci renvoie beaucoup moins à des propositions abstraites susceptibles de former des "croyances" ou des "opinions", auxquelles on pourrait adhérer intellectuellement ou non, qu'à la proposition d'une expérience intime, à la fois "spirituelle" et corporelle, quelque chose qui est moins à "croire" qu'à "faire", à "vivre" ou à "éprouver" (ou pas, plus ou moins intensément le cas échéant mais en tout cas personnellement).
Dans le christianisme occidental, on s'est surtout écharpé autour de sujets ou d'objets de "foi" qui n'avaient aucune portée pratique ou expérimentale immédiate -- la Trinité, la divinité du Christ, l'immortalité de l'âme, l'enfer, le purgatoire, la prédestination, la grâce irrésistible ou pas, l'existence de Dieu ou l'historicité des miracles, etc., toutes choses dont on peut débattre à l'infini sans que ça change rien de concret ni d'intime pour personne. Partout en revanche où une "expérience" ou une "pratique" devient centrale, aussi différente soit-elle que la contemplation silencieuse d'une communauté monastique ou l'agitation bruyante d'une Eglise charismatique ou pentecôtiste, les croyances et les discussions théoriques qui s'ensuivent perdent tout naturellement de leur importance.
Un christianisme centré sur le Sermon sur la montagne de Matthieu 5--7, par exemple (non que je croie ce texte particulièrement "authentique" au sens de paroles d'un Jésus "historique", mais parce qu'il est de nature "pratique", même s'il paraît aussi, et toujours "pratiquement", "impraticable"), ressemblerait déjà beaucoup plus à un bouddhisme, quoique les "croyances" présupposées par l'un et par l'autre n'aient guère de rapport. C'est peut-être d'ailleurs, paradoxalement, ce que la plupart des chrétiens ou post-chrétiens, ceux qui ne sont nullement portés sur la théologie, retiennent du "christianisme" -- d'où la facilité avec laquelle ils peuvent passer, de ce "christianisme"-là, à un bouddhisme qu'ils comprennent sensiblement de la même manière. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Mar 31 Aoû 2021, 19:20 | |
| J'ai approché le bouddhisme comme beaucoup d'Européens par le biais d'ouvrages écrits par le lama tibétain Lobsang Rampa (du moins prétendait-il l'être alors qu'il s'agissait d'un journaliste britannique). Il n'y a pas très longtemps j'ai entendu dans l'émission consacrée au bouddhisme, le dimanche matin sur France 2, que le Dalaï-Lama avait déclaré que de nombreux occidentaux s'étaient approchés du bouddhisme à la suite de la lecture d'un livre de ce soi-disant moine.
Puis j'ai fais une autre découverte, Les Témoins de Jéhovah. Après ce détour de presque 30 ans mon intérêt pour l'enseignement du Bouddha est revenu.
Ce qui me semblait logique dans le christianisme c'était une certaine forme de trinité soit: la présence affirmée de Dieu (le père) dans l'Ancien Testament, puis l'arrivée fracassante de Jésus (le fils) et enfin la nécessité annoncée par le fils de son départ afin de laisser la place à un consolateur (l'esprit). Cela me paraissait simple mais lorsque j'ai tenté de partager cette "découverte" je me suis vite rendu compte que certains TdJ ne partageaient pas ma façon de voir, dans le meilleur des cas.
Alors c'est vrai le bouddhisme parait plus simple au point de vue théologique puisque la recherche de l'existence de Dieu n'occupe pas les bouddhistes, bien que certaines personnes aient fini par adorer le Bouddha tel un Dieu ayant vécu sur terre il y a plus de 2500 ans, même si celui qui a développé l'enseignement qui lui a survécu ne l'a pas enseigné. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Mar 31 Aoû 2021, 23:47 | |
| Je n'avais jamais entendu parler de ce Lobsang Rampa, ou alors ça ne m'a pas marqué: il semble avoir eu beaucoup de succès dans les années 1950-60... Pour ma part, le seul bouddhiste (moderne) que je me rappelle avoir lu, vers le milieu des années 1980, entre ma sortie du jéhovisme et ma (re?)plongée dans la théologie chrétienne, c'est Suzuki (côté japonais et zen donc).
Je suis tout à fait convaincu que la doctrine chrétienne, trinitaire et christologique notamment, peut être le sujet, la matière ou l'occasion d'une "expérience spirituelle", de contemplation ou de méditation (dans un sens certes différent de l'oriental, plus "intellectuel" mais pas seulement: "affectif" aussi, "mystique" si l'on veut, bien que je me méfie de ce mot -- de "spirituel" aussi d'ailleurs): c'est surtout comme ça que je l'ai vécue, sans quoi la théologie "dogmatique" ou "systématique" m'aurait été tout à fait insupportable après le jéhovisme. Mais pour qu'il en soit ainsi il ne faut précisément pas la prendre comme un objet de discussion ou de débat, en se demandant SI c'est "vrai" ou "faux", en général ou dans le détail, sur un plan platement "logique", "rationnel", "factuel" ou "objectif", comme le font justement les TdJ et pas mal de "fondamentalistes": il faut plutôt en approfondir le sens en s'y impliquant, de l'intérieur pour ainsi dire. Quand tu commences à envisager la Trinité non comme une "croyance" à accepter ou à rejeter sur une "réalité" extérieure à toi, mais comme l'expression d'un divin englobant, horizon, origine et fin, surplombant et fondateur, à la fois au-dessus, au-dessous, derrière et devant nous (le Père de qui l'on vient et à qui l'on va), de sa révélation ou manifestation offerte à la contemplation, devant nous et nous englobant en un autre sens encore (le Fils image du Père, second Adam, et nous en lui), enfin de sa présence et de son opération en nous, nous animant (l'Esprit, ou le Christ en nous) -- cela ne me semble pas très loin de ton explication trinitaire, à la différence peut-être du sujet, je ou nous, qui se situe dedans et non dehors -- alors cette pensée est aussi une "expérience", il y a "communion" ou "participation", ce Dieu-là nous concerne au sens le plus fort du terme. Certes c'est toujours plus "théorique" que l'enseignement bouddhiste (ou que le Sermon sur la montagne !), mais au sens de la theôria = contemplation qui intègre le "spectateur" au "spectacle", et qui devient ainsi "pratique", dans une certaine mesure, pour peu qu'on en soit ou qu'on s'en sente effectivement partie prenante.
Il me semble d'ailleurs que ce type d'"expérience" (de "communion" ou de "participation") n'est pas non plus étranger au bouddhisme, que ce soit au niveau du rituel communautaire, de la méditation qui implique la conscience d'une relation essentielle du "moi" au "non-moi", de la compassion qui relie aux autres et à tout le vivant, et même dans le Nirvâna qui engage le sujet dans sa dissolution ultime, paradoxalement anticipée comme bonne pour lui. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Mer 01 Sep 2021, 11:58 | |
| Il y a quelques semaines je me trouvais dans le temple bouddhiste à Genève, précisément dans la cuisine, le temple étant un appartement légèrement aménagé. Une femme Sri Lankaise et sa fille adolescente sont venues apporter le repas pour les moines. Elles avaient préparé 3 parts d’un plat typiquement Cingalais un pour chaque moine présent et le troisième m’était destiné. J’étais très touché par cette marque de bienveillance sachant que les pratiquants orientaux ne peuvent ou ne veulent pas manger en même temps que les moines ces derniers étant servis les premiers.
Puis un des moines m’a demandé de me joindre à la petite cérémonie qui allait se dérouler dans la salle où se trouve un autel avec une statue de Bouddha. Parfois lorsqu’une personne apporte de la nourriture pour les moines présents ces derniers proposent de se rendre dans cette salle pour psalmodier quelques soutras et prononcer quelques paroles de remerciements et de bénédictions.
J’ai compris ce jour-là que la cérémonie était différente. Après la récitation traditionnelle :
Namo Tassa Bhagavato Arahato Samma Sambuddhassa
Que l’on peut traduire : hommage | à lui | le digne | sans souillures | parfaitement éclairé par lui-même
le moine a répété la prise des trois joyaux que récite celui qui veut devenir laïque bouddhiste : Dans la tradition Theravāda, la formule est la suivante[réf. nécessaire] : • Buddhaṃ saraṇaṃ gacchāmi : « Je vais vers le Bouddha comme refuge. » • Dhammaṃ saraṇaṃ gacchāmi : « Je vais vers le Dharma comme refuge. » • Saṅghaṃ saraṇaṃ gacchāmi : « Je vais vers le Sangha comme refuge. »
Ensuite la mère et sa fille ont versé de l’eau dans une tasse jusqu’à la faire déborder. J’ai compris à ce moment-là que c’était à la suite d’un décès que cette petite cérémonie était organisée. Cette femme si tranquille et souriante qui avait préparé pour les moines et moi-même la nourriture du jour était en compagnie de sa fille en train d’évoquer le souvenir de son défunt mari, décédé 2 mois auparavant, et de chercher un peu de réconfort auprès des moines en écoutant des sutras du Bouddha. Tu ne peux imaginer la profonde émotion que j’ai ressenti à ce moment. Cette femme me permettait de partager cet instant si particulier en m’associant à une cérémonie importante pour tout bouddhiste oriental.
Après cet intense échange nous sommes tous retournés à la cuisine, la femme et sa fille ont repris leurs affaires et moi j’étais silencieux incapable de dire la moindre parole, je me suis simplement incliné devant elles les mains jointes sur la poitrine en silence. Je ne suis pas près d’oublier ces instants qui m’ont plus appris sur le bouddhisme que bien des livres ne le peuvent. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Vivre avec son temps Mer 01 Sep 2021, 13:43 | |
| Merci -- le récit prolonge le geste.
Cela m'a rappelé l'Iran, où je n'ai pas compris tout de suite pourquoi des enfants sortaient de chez eux pour m'apporter des gâteaux alors que je passais dans la rue -- avant qu'on m'explique que c'était un rite de deuil, donc qu'il y avait eu un mort dans la maison.
Le rituel précède les religions comme les morts ont précédé les dieux, mais ce sont bien les religions qui le perpétuent, même quand elles le répriment (à l'exemple de la Torah ou du Coran sourcilleux à l'égard des rites de deuil "païens"), y compris pour les pauvres en tradition comme nous à qui cela donne d'autant plus à ressentir et à réfléchir. |
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