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| La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Mer 29 Avr 2020, 16:41 | |
| Cela s'entend quand même beaucoup mieux avec "consacrer" (hagiazô, aussi 10,36) qu'avec "sanctifier", même si l'on y perd la correspondance avec le "saint" du v. 11 (hagios, aussi 6,69; les autres usages sont plus conventionnels, notamment pour l'Esprit saint, 1,33; 14,26; 20,22).
Bien que dans cette prière dite "sacerdotale" il ne soit question ni de sacerdoce, ni de prêtre, ni de temple, ni de sacrifice, l'idée est en effet très proche de l'épître aux Hébreux où la consécration-sanctification du grand prêtre et des siens coïncide avec leur perfection-accomplissement (teleioô etc., cf. v. 4,23) et leur mort comme passage à l'éternité. Sauf qu'ici il ne s'agit pas d'éternité fixe, opposable au temps et au changement (les "ombres" platoniciennes), mais de résorption de tout "soi" autonome dans le mouvement même, à même le mouvement de la révélation, du Père à la énième génération de disciples, tous "un".
Quant au rôle de la "vérité" dans cette affaire, on a aux v. 17 et 19 deux fois la préposition en, avec l'article (et un possessif dans certains manuscrits) puis sans (l'article), ce qu'on pourrait aussi bien traduire par "en/dans la [ta] vérité" puis "en vérité" (comme en 4,23s, mais sans l'"esprit", remplacé ici par la "parole") -- quoique la traduction "par" (moyen ou manière) soit en l'occurrence tout à fait plausible. Remarquer aussi l'adjectif du v. 3 (le seul vrai dieu) et l'adverbe du v. 8 (vraiment), qui sont à peine audibles en français mais n'en font pas moins écho, un peu plus nettement en grec, aux v. 17-19. |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Jeu 30 Avr 2020, 15:37 | |
| N'en va-t-il pas, dans le IVe Évangile, de la vérité comme il en va, au Prologue, de la Parole ? La Parole est auprès de Dieu. Avec lui. La Parole est Dieu. Et puis, elle n'est pas lui. Elle se trouve face à lui, venant de lui, allant à lui, dans son intimité, et devient autre que lui, prenant chair. Telle est la respiration, inspiration, expiration, du texte johannique. Son halètement. Sa vie est le rythme d'enfantement. Tout conduit vers la coïncidence, et, à l'instant où l'identification risque de se figer, un brusque écart détruit notre satisfaction. Jésus est roi. Jésus est la vérité. Jésus n'est pas roi, sinon sous la couronne d'épines. Jésus n'est pas la vérité sinon son martyre, aux mains attachées à un roseau. Vérité improuvable, improbable ? dérisoire ? Vérité telle que je n'en veux aucune autre pour être conduit, un jour, « dans toute la vérité ». https://www.persee.fr/docAsPDF/chris_0753-2776_1998_num_58_1_2046.pdf |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Jeu 30 Avr 2020, 16:28 | |
| Excellent Bouttier -- dont je découvre aujourd'hui qu'il est mort il y a déjà cinq ans, d'une mort passée assez inaperçue pour que certains sites continuent à compter son âge, et le voilà presque centenaire... En effet, danse des signifiants qui non seulement les substitue les uns aux autres au fil des énoncés ("la vérité", ou "la parole", ou "l'esprit", ou "Dieu", ou "le Père", ou "le Fils", etc., l'essentiel étant peut-être dans l' et caetera) mais n'en laisse aucun dormir tranquille, dans la certitude d'une définition immuable. Michel Bouttier fait bien aussi d'attirer notre attention, fût-ce à titre posthume et sans le vouloir, sur l' amen évangélique (en hébreu ou en araméen dans le texte grec), effectivement apparenté à une "vérité" sémitique ( 'emeth) distincte de l' alètheia grecque, qui est plutôt "solidité" ou "fiabilité" appelant la "foi" ou la "fidélité" ( 'emouna), dont l'usage johannique ne se distingue que par la répétition exclusive et systématique ( Amen, amen: il est le seul à le répéter et il le répète toujours; ce qui me fait penser aux "oui, oui" de Derrida, cf. l'article "Nombre de oui" dans Psyché II) -- sans d'ailleurs le mettre explicitement en rapport avec l' 'alètheia. (Paul, lui, le rapproche plutôt du "oui", nai, revoir éventuellement ici ici.) |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Jeu 30 Avr 2020, 21:30 | |
| Dans l'évangile de Jean il y a une insistance sur le fait que Jésus est "vraie lumière"(1.9), le "vrai pain du ciel" (6.32), la "vraie nourriture" (6.55), et "la vraie vigne" (15.1), sans qu'il soit indiqué qu'il puisse exister en opposé le même concept mais en "faux". |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Jeu 30 Avr 2020, 22:51 | |
| Je me permets de renvoyer un peu plus haut à la discussion des 26-27.4.2020, où j'ai donné des listes (peut-être pas exhaustives, mais pas loin) des différentes correspondances grecques: le "vrai" ne correspond pas toujours au même mot, y compris dans les exemples que tu cites; p. ex. en 6,55 c'est l'adverbe, par deux fois, mot-à-mot "est vraiment nourriture / est vraiment boisson"; mais ça ne change pas grand-chose au sens ni à l'effet de répétition de la famille lexicale.
La banalité de l'adjectif "vrai" en français, surtout dans cette construction "le/un vrai X, la/une vraie Y", pose un double problème: d'abord parce qu'il passe facilement inaperçu lors d'une lecture ou d'une écoute distraite, ensuite parce que si au contraire on s'y arrête on est tenté d'aller chercher midi à quatorze heures, en posant des questions que le texte ne pose pas (s'il y a un "vrai X", y en a-t-il un ou des faux ?). Pour éviter ça il faudrait surtraduire ou chercher des effets de style artificiels en permanence, p. ex. "lumière vraie", "véritable" ou "de vérité", et on y perdrait la simplicité et la légèreté du texte. Mais il est vrai (!) que ça demande un minimum d'attention de la part du lecteur ou de l'auditeur, pour penser justement, ni trop ni trop peu, le "vrai" qu'il lit ou entend. -- La confusion est pire dans les bibles qui traduisent "Amen, amen" par "en vérité" ou "en toute vérité", en suggérant de l'alètheia où il n'y en a pas -- où il y a, en fait, un mot étranger aussi pour le lecteur hellénophone, et sa répétition qui disparaît également par la même occasion.
Toutefois les textes johanniques, qui usent eux-mêmes tant du double sens et du malentendu, supportent très bien la lecture distraite et les questions incongrues; il faut peut-être les avoir longtemps lus superficiellement ou de travers pour les assimiler et commencer à mieux les comprendre. |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Ven 01 Mai 2020, 11:17 | |
| Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous. Si nous reconnaissons nos péchés, il est juste et digne de confiance : il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute injustice. Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous faisons de lui un menteur, et sa parole n'est pas en nous" (1 Jean 1,8-10).
"Quiconque est né de Dieu ne fait pas de péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui ; il ne peut pas pécher, puisqu'il est né de Dieu" (1 Jean 3,9).
Ces textes paraissent se contredire, d'un côté nous avons l'idée que celui qui affirme qu'il n'a pas de péché, la vérité n'est pas en lui et d'un autre côté, l'auteur indique que celui qui est de Dieu "ne fait pas de péché". L'expression "faire le péché" a-t-il un sens particulier '"pratiquer le péché) ou implique-t-il uniquement l'idée de commettre un péché (TOB) ?
Le commentaire de COBB :
La « pratique » de la vérité s’associe intimement à la confession de ce qui est juste, ce qui la situe à l’opposé des faussetés que l’on peut être tenté de dire. En même temps, la vérité va plus loin, puisqu’elle touche à l’ensemble de la vie, comme le montre bien le rapport entre la « pratique de la vérité » (v. 6b) et l’action parallèle consistant à « marcher dans la lumière » (v. 7a)8. Dans ces versets, Jean appelle ses lecteurs à recevoir la Parole-Vérité révélée par le Christ. Mais du fait que cette parole touche au caractère de Dieu – qui est « lumière » et en qui « il n'y a pas de ténèbres » –, on la reçoit aussi en marchant dans la lumière. Ce faisant, on « pratique la vérité ».
On le voit, Jean ne nie ni ne minimise la vérité comme réalité susceptible d’être appréhendée par l’intelligence; la vérité a bien pour lui un aspect « propositionnel » et « noétique »10. C’est pour cette raison d’ailleurs que Jésus peut affirmer en Jean 8.31-32 : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres ». Comme en 1 Jean 1.5-10, la vérité s’assimile ici à la parole – c’est-à-dire à l’enseignement – de Jésus11. Dans ce même ordre d’idées, les croyants sont précisément ceux qui connaissent la vérité (1 Jn 2.21; 2 Jn 1). Cependant, pour Jean, une vérité qui resterait à l’état d’une proposition serait radicalement insuffisante; on pourrait même se demander si, pour lui, une telle « vérité » abstraite, que l’on aurait arrachée à la vie réelle, mériterait ce nom. La vérité a un aspect essentiellement concret12 qui fait que, d’une certaine façon, elle ne se réalise que dans l’action et le comportement des croyants. http://flte.fr/wp-content/uploads/2016/08/ThEv2013-2-Verite_ds_Jean.pdf
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Ven 01 Mai 2020, 11:54 | |
| Cobb ne touche pas vraiment ici le problème classique que tu poses, puisque son "thème" est "la vérité", mais nous en avons souvent parlé ailleurs (depuis nos premières discussions sur les textes johanniques).
Pour faire bref, je dirais que le "nous" (aussi bien collectif, la communauté, que distributif, chacun de nous, les individus) est à la fois identifié (à) et distingué de "ce(lui) qui est né de Dieu (d'en haut, du ciel, du Père, de l'esprit, etc.)". "Ce(lui) qui est né de Dieu (etc.)", "nous" le sommes ET "nous" ne le sommes pas. C'est effectivement contradictoire, mais la contradiction est essentielle au propos, ce n'est ni un accident à réparer ni un problème à résoudre.
Comme l'avait remarqué un éminent exégète catholique, R.E. Brown, si l'on cherche dans le NT quelque chose qui ressemble à la logique (dialectique, même si ce n'est ni celle de Platon ni celle de Hegel) luthérienne du semper simul, toujours à la fois les contraires (pécheur et juste chez Luther, en oubliant le pénitent), c'est bien plus chez "Jean", et surtout dans les épîtres, que chez "Paul" qu'on la retrouve. Toujours à la fois pécheur et impeccable, parce que c'est et ce n'est pas le même qui est l'un et l'autre.
La traduction "pratiquer" pour poieô (d'où "poétique") est une catastrophe multiple; non seulement parce que c'est un contresens étymologique par rapport au grec ("pratique" vient de prassô, praxis etc., qui est régulièrement distingué de poieô, un peu comme l'action de l'oeuvre, l'activité prise en elle-même ou par rapport à ce qu'elle produit); bien plus gravement parce qu'elle engage en l'occurrence sur la fausse piste d'une distinction entre "genre" ou "manière" de "péché", caricaturée par l'interprétation jéhoviste (péché accidentel ou exceptionnel vs. "pratique" habituelle du péché; l'épître ne dit évidemment pas ça, dans tout "péché" il y a le pire, que dans un sens personne n'évite et qui dans un autre sens reste totalement étranger au divin, même chez les croyants). Formellement, il faut bien sûr maintenir et apprécier la récurrence des formules analogues dans l'ensemble des textes johanniques, avec tous les objets du même "faire" (la vérité, la lumière, le péché, la justice, l'injustice, la volonté de Dieu, etc.): ce qui est perdu si on traduit tantôt par "faire" et tantôt par "pratiquer" (ou "commettre", par exemple, même s'il n'y a pas avec ce dernier verbe le contresens de la régularité). |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Ven 01 Mai 2020, 13:25 | |
| - Citation :
- Cobb ne touche pas vraiment ici le problème classique que tu poses, puisque son "thème" est "la vérité", mais nous en avons souvent parlé ailleurs (depuis nos premières discussions sur les textes johanniques).
Au fur et à mesure de nos analyses ma compréhension grandit et s'approfondit … Ce qui n'était pas évident au départ.Une citation que nous avons surement déjà lu mais qui mérite une attention particulière :Dans le récit de l’Évangile de Jean, alors qu’il vient d’être arrêté, puis conduit devant Ponce Pilate, Jésus déclare : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Cette affirmation provoque en retour, comme on sait, la fameuse question de Pilate : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18,38). Cependant, plus haut dans ce même récit évangélique, Jésus ne dit pas seulement qu’il rend témoignage à la vérité. Il dit de lui qu’il est la vérité, affirmant aussi qu’il est le chemin et la vie (cf. Jn 14,6). Ce n’est pas la même chose de se dire témoin de la vérité et de prétendre l’incarner. La seconde proposition, du point de vue humain, semble pure folie. Pourtant, l’élaboration christologique s’effectue dans cette articulation entre le « je suis venu pour rendre témoignage à la vérité » de Jn 18,37 et le « je suis la vérité » de Jn 14,6. C’est d’ailleurs en référence à Jn 14,6 que Kierkegaard interprète la question de Pilate qui clôt le dialogue et reste donc sans réponse de la part de Jésus. Le Christ, dit Kierkegaard, « ne pouvait répondre à la question du romain sans s’écarter de la vérité, et justement parce qu’il n’était pas celui qui savait ce qu’est la vérité, mais était la vérité ». La vérité n’est pas un objet de savoir ; elle est le témoignage ou la marque du sujet lui-même. Répondre de la vérité en termes de savoir, c’est la réduire à néant. Sur ce plan, le « moi, la vérité je parle » de Lacan n’est pas sans faire écho au « je suis la vérité » johannique : dans l’un et l’autre cas, la vérité renvoie au « je ». Élargissant la perspective à propos de la distinction entre savoir et vérité, Kierkegaard écrit alors que « nul ne sait de la vérité plus qu’il ne peut en exprimer dans sa vie. Et même, à proprement parler, on ne peut pas savoir la vérité ; la savoir, en effet, c’est savoir qu’elle consiste à l’être, et dans ce savoir que l’on a d’elle, on sait que la savoir, c’est en être privé ». La question de Pilate — qu’est-ce que la vérité ? — appelait une réponse en termes de savoir — je sais la vérité —, mais le silence du Christ manifeste l’écart entre le « je sais » et le « je suis » qui fait d’une vérité authentique le lieu d’un sujet : « je suis la vérité » ou « moi, la vérité je suis ». Seule la singularité d’une vie et d’un chemin peuvent témoigner de cela. https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2015-v71-n1-ltp02142/1033684ar/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Ven 01 Mai 2020, 14:05 | |
| Un autre défaut de "pratiquer" -- j'y pensais entre-temps mais à mon sens ça se combine très bien avec l'article de J.D. Causse -- c'est qu'il renvoie presque automatiquement à l'opposition "théorie / pratique", ce qui revient à ranger le complément d'objet du verbe, "la vérité" en l'occurrence mais aussi bien la "justice", du côté de la théorie: une vérité (ou une justice) théorique qui serait "pratiquée" ou non, mais qui resterait ce qu'elle est, théorique, indépendamment de toute pratique. Avec le "faire" et sa connotation littéralement "poétique" (poieô, poièsis), c'est la notion même qui se joue à chaque fois: il y a "vérité" (ou "justice") quand elle est faite, "Dieu" même y joue sa vérité -- on peut le "faire" vrai ou menteur, 1 Jean 1,10; 5,10; comparer Jean 3,33.
J'apprécie particulièrement de relire cet article au moment où j'étais en train de relire aussi -- par le hasard du "confinement" et de ce qu'il m'a laissé sous la main -- le De l'esprit de Derrida (cité note 12). Cette question de l'affirmation archi-originaire qui précède toute question, dans laquelle on est toujours déjà engagé dès lors qu'on se prête au jeu du langage (l'en-gage, écrit Derrida), est en effet abyssale et fondamentale à la fois, comme celle de l'"être" heideggerien dont elle n'est jamais que l'autre face. Sitôt que je parle, fût-ce pour mentir, pour nier ou pour questionner, j'ai déjà dit "oui" et "amen" à tout; même pour y tricher j'ai déjà accepté de jouer le je(u) de la vérité. Et c'est pourtant par le jeu de la question et de la négation qu'apparaît son archi-origine, que cet impensé (se) donne à penser. |
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Ven 01 Mai 2020, 21:11 | |
| "Quant à vous, vous avez une onction de celui qui est saint, et tous, vous savez. Je vous ai écrit, non parce que vous ne sauriez pas la vérité, mais parce que vous la savez, et parce qu'aucun mensonge n'est de la vérité" (1 Jean 2,20-21)
L'onction introduit dans la perception et la compréhension de la vérité : vous savez tout. Celui qui est dans la sphère de la vérité ne peut pas proférer de mensonge :
"Quant à vous, l'onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n'avez pas besoin que quelqu'un vous instruise ; mais comme son onction vous instruit sur tout, qu'elle est vraie et qu'elle n'est pas mensonge, demeurez en lui comme elle vous y a instruits" (1 Jean 2,27). Notes : 1 Jean 2:20 tous, vous savez, comme au v. 21 ; cf. 1Co 8.1 ; voir aussi Jr 31.34 ; certains mss portent vous savez tout (cf. v. 27+).
De plus, dans le contexte de la première épître, les opposants prétendaient posséder aussi “l’esprit” (pneuma) de la vérité. En soi, le terme “esprit” (pneuma) est ambigu. C’est pour cela qu’il faut éprouver les esprits (1Jn 4,1) pour discerner “l’esprit de la vérité et l’esprit de l’erreur” (1Jn 4,6). L’auteur de l’épître utilise le terme “khrisma” (onction) pour éviter cette ambiguïté. Implicitement, l’onction (khrisma) renvoie à l’activité du Paraclet, l’Esprit de vérité, l’Esprit Saint dans l’Évangile de Jean. http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2014/01/le-theme-de-lesprit-dans-la-premiere.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Ven 01 Mai 2020, 23:50 | |
| L'opposition symétrique et systématique de la vérité au mensonge ou à la fausseté (pseudos etc.), auxquels on peut associer l'erreur ou l'égarement (planè), est plus fréquente (variation rythmique) dans la Première épître (1,6; 2,4.21.27 + 4,6), mais elle suit la même logique (formellement) "dualiste" que celle de Jean 8,44ss (cf. supra 27.4.2020): deux "principes" radicalement contraires qui ne se laissent pas dériver l'un de l'autre; l'opposition la plus proche, mais déjà différente, est sans doute lumière / ténèbres (Jean 1,5; 3,19; 8,12; 12,35.46; 1 Jean 1,5; 2,8s), qui glisse à son tour vers d'autres (p. ex. amour / haine, dans la dernière référence). L'écriture johannique assume hardiment ce qu'on appelle d'ordinaire et en mauvaise part raisonnement circulaire (nous avons raison parce que les autres ont tort, et inversement; le chapitre 4 est un sommet du genre), mais elle l'inscrit dans un cercle plus vaste en passant sans cesse d'un couple de signifiants diamétralement opposés à un autre qui ne s'y superpose pas exactement (d'où effet de danse, ronde ou valse des signifiants et des oppositions symétriques qui déjoue toute symétrie statique).
En rapport avec le blog que tu cites (lien corrigé), rien ne me semble rattacher directement l'"onction" (khrisma, d'après khristos) à l'"esprit" (pneuma), sinon l'assonance et une relation commune à la "vérité" ("esprit de vérité" d'une part, l'"onction" est "vérité"; mais aussi bien la "parole" ou "Jésus" est la "vérité"); d'autre part et hors sujet, la variante luei en 4,3, surtout interprétée au sens de "diviser" dans la veine de la christologie chalcédonienne (union hypostatique des deux "natures", humaine et divine, de Jésus), me semble anachronique au-delà même de sa faible attestation textuelle (luô en soi signifie délier ou détruire, sans référence nécessaire à la division de deux "parties" malgré les nombreux dérivés ultérieurs du verbe qui favorisent cette association: analyse, catalyse, etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Dim 03 Mai 2020, 17:07 | |
| N'y a-t-il pas d'ailleurs une tradition qui accourt ici au-devant de nous? Et quelle tradition! Car comment ne pas se réjouir de convoquer Platon. Dans le Cratyle - avec ses étymologies fausses mais d'autant fastueuses, et plus somptueuses encore que celles d'Isidore de Séville ou de Heidegger -, Platon définit ainsi superbement la vérité: «divine translation de l'être», theia tou ontos phora, relevant la même racine dans le mot theos et dans la finale de alè-theia. Admirable jonction entre l'être, le vrai et le divin. Dans le même passage, jouant cette fois sur la première partie du mot aie theia, il entend la vérité comme «une course divine», «un vagabondage divin», «theia ousa aie» (Crat., 421 B). https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1987_num_18_2_2239 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La vérité et le vrai dans l'évangile de Jean Dim 03 Mai 2020, 17:44 | |
| N.B.: l'article de Gesché a été évoqué ici (24.4.2020) et là (29.4.2020). Ici le texte, le contexte et une traduction de Platon (rechercher "421b" si l'on ne veut pas tout lire). Au risque de disperser un peu plus nos commentaires sur cet article : je me suis étonné -- à la deuxième lecture -- que Gesché qui se réfère surtout à Thomas d'Aquin invoque Platon plutôt qu'Aristote, qui est pourtant le modèle principal de saint Thomas. C'est (peut-être) que la vérité aristotélicienne est relative, analogique, homoiôsis ou adaequatio du discours prédicatif au réel, sinon du langage à la réalité ou du mot à la chose; non idéelle et ainsi transcendante comme chez Platon. Mais la "vérité" platonicienne est aussi mobile et non statique, comme le suggèrent les jeux étymologiques précités -- en cela au moins elle ressemble à la "vérité" johannique, et aussi à la "vérité" heideggerienne (quoique celle-ci parte d'une toute autre étymologie, a-lètheia / Un-verborgenheit, dé-closion, dé-cèlement, dé-s-abritement, apparaître du latent ou du caché, venir au jour de l'obscur; étymologie discutable sans doute mais tout de même moins fantaisiste que celles du Socrate de Platon). Il y a bien une dynamique chez Aristote, et plus élaborée que chez Platon, mais foncièrement différente, puisque pour lui c'est justement l'immuable qui produit le mouvement par (é-)motion "érotique" (la "cause première", le "première moteur" immobile qui meut tout par l' erôs, comme s'en souviendra Dante: l'amor che move il sole e l'altre stelle, l'amour qui meut le soleil et les autres astres). Seulement chez Aristote cette "cause première" est plutôt "Dieu" ou "le dieu" (dans un "monothéisme philosophique" qui ne s'oppose pas au polythéisme religieux) que "la vérité", laquelle reste liée au langage et spécialement à un certain type d'énoncé (prédicatif, S est p, de cela on peut dire que c'est vrai ou faux, ce qui ne vaut pas de tout langage, par exemple celui du voeu ou de la prière). Au fond, comme le répète Heidegger, tous les penseurs pensent la même "chose", car il n'y a, au fond, qu'une seule "chose" à penser. Mais ils n'utilisent pas tous les mêmes mots de la même façon, ni au même moment ni au même endroit; ce qui rend particulièrement intéressante la mobilité des signifiants mêmes dans le johannisme. |
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