Etre chrétien ou pas?

apporter une aide et fournir un support de discussion à ceux ou celles qui se posent des questions sur leurs convictions
 
PortailPortail  AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
-26%
Le deal à ne pas rater :
Bosch BBS8214 Aspirateur Balai Multifonction sans fil Unlimited ...
249.99 € 339.99 €
Voir le deal
-21%
Le deal à ne pas rater :
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, Collection Botanique
39.59 € 49.99 €
Voir le deal

 

 sic et non

Aller en bas 
3 participants
AuteurMessage
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: sic et non   sic et non Icon_minitimeSam 07 Mai 2016, 20:32

Car le Fils de Dieu, Jésus-Christ, qui a été proclamé en/parmi vous par moi, Silvain et Timothée, n'est pas devenu "oui et non": en lui c'est "oui" qui est advenu (une fois pour toutes, définitivement, nuances possibles du "parfait" grec). Autant qu'il y ait en effet de promesses de Dieu, c'est en lui qu'[est] le "oui". Voilà pourquoi c'est aussi par lui que l'amen est par nous [dit] à Dieu, pour [sa] gloire.
2 Corinthiens 1,19s (traduction un peu plus "serrée" et "heurtée" que d'habitude).

La question de l'ambiguïté, ou a contrario de l'univocité (univoque, équivoque, plurivoque), évoquée ailleurs, m'a rappelé ce texte que je trouve, à le relire, remarquable.
- D'abord par son allure d'axiome théo-christo-logique -- bien que l'occasion en soit plutôt anecdotique, puisqu'il s'agit pour "Paul" de justifier un changement de projet et de parcours, au sens le plus banal de ces termes, par rapport à ce qu'il avait précédemment annoncé (v. 15ss; cf. 1 Corinthiens 16,5s); de s'en justifier en principe, avant même d'en expliquer des raisons précises (voir la suite), et sur le mode d'un "je ne change pas d'avis, même si je change d'avis", susceptible de recouvrir autant de mauvaise foi que de complexité ou de profondeur sincères.
- Ensuite, parce qu'il renvoie le lecteur à d'autres "lieux" célèbres du NT, émanant de "milieux" proto-chrétiens passablement différents, voire antagonistes ("anti-pauliniens"): ainsi le "oui-oui/non-non" opposé aux serments dans le Sermon sur la Montagne (Matthieu 5,37) et l'épître de Jacques (5,12); ou encore l'Amen devenu titre christologique dans l'Apocalypse (3,14). Echos indistincts de débats théoriques et pratiques entre les diverses composantes du "christianisme primitif", qui utilisent très différemment des formules similaires, et dont nous ne percevons certainement pas tous les enjeux.
- Enfin, parce que cette protestation d'univocité ou de simplicité (dont le  sens d'ailleurs se dédouble aussitôt, entre un "oui" qui validerait les promesses de Dieu aux hommes et un "amen" qui contre-signerait la réponse des hommes à Dieu) étonne ou fait sourire sous la plume d'un virtuose de la contradiction paradoxale ou dialectique (ce texte même en est exemplaire), surtout autour de la figure du Christ crucifié-ressuscité (pas plus loin que 1,3ss; 2,14ss; cf. 1 Corinthiens 1,18ss); d'un "auteur" qui semble parfois redouter autant de se (faire) comprendre que de ne pas être compris (v. 13s), et qui, pour affirmer ici l'univocité d'un "oui" en dépit d'apparences contraires, doit passer par le détour ou la contorsion d'un non redoublé (double double négation ou sur-dénégation, non seulement du "non" mais du "oui et non", v. 17s). Cela appellerait naturellement beaucoup de clichés anachroniques, de la réponse de Normand à la réponse de jésuite, en passant, dans mon cas, par "l'hôpital qui se moque de la charité" -- c'est dire qu'il y va de ma part, en cette relecture, d'autant de sympathie "narcissique" que d'auto-dérision...

Il y aurait une saisie "classique" et "abstraite" (ou substantive) de ce type de structure paralogique (de passage, en contrebande, du "oui et/ou non" au "oui" tout court): tout change, sauf le changement même; tout se contredit, hormis la contradiction. Seule l'équivoque pleinement et ouvertement assumée "en tant que telle" serait univoque -- mais ne cesserait-elle pas, du même coup, d'être opérante "en tant que telle", comme équivoque ?

Toujours est-il qu'ici "Paul" paraît refuser cette "facilité" (à supposer que c'en soit une) dont il est pourtant coutumier. Le Christ, quelque paradoxale que soit sa manifestation (sagesse sous l'espèce contraire de la sottise, puissance sous l'espèce contraire de la faiblesse, vie sous l'espèce contraire de la mort, victoire sous l'espèce contraire de l'échec, gloire sous l'espèce contraire de l'humiliation, etc.), relèverait au fond d'une positivité simple et univoque ("oui" et non "non" ni "oui et non") que seule son apparition en ce monde contraindrait à l'apparence -- trompeuse quoique révélatrice, c.-à-d. avérante ou productrice de vérité -- de la contradiction.

Si engagé (ou empêtré) qu'on soit dans la complexité et les contradictions, il y a toujours quelque part (et jamais bien loin) un "point de vue" d'où tout paraît à nouveau simple, cohérent, univoque, comme si rien n'avait jamais cessé de l'être. Point de vue d'une origine ou d'une fin absolue, d'un ciel surplombant ou d'une profondeur fondatrice, qu'on l'appelle "Dieu", "Christ" ou Logos, Être ou Néant, Temps ou Eternité, Un, Vérité, Lumière, Amour, Absolu ou Indifférencié. Indifférent en effet aux différences, invulnérable à la négation et à la contradiction, puisqu'en lui les opposés coïncident (comme dirait Nicolas de Cues, prolongeant le Sic et non -- oui et non -- d'Abélard) ou plutôt se résorbent en perdant leur sens distinctif.

N'empêche qu'il y a mille manières de dire oui (même sans non, sans mais et sans réserve), ou amen, fût-ce à tout. Ou, plus exactement peut-être, d'y arriver. L'abandon résigné de Job, de guerre lasse, à la limite du dégoût ou du mépris (42,6), n'est pas le I-A (hi-han et Ja= oui) automatique ou compulsif de l'âne de Zarathoustra, ni l'adhésion enthousiaste de l'adorateur, du mystique ou de l'amoureux. Peu importe sans doute au-delà, puisque toute réserve, toute contradiction, toute négation, toute différence s'emporte et s'abîme, se rend et se perd dans l'indistinction du "oui". Tout cela n'aura compté qu'en-deçà, mais jusqu'à la dernière seconde -- aussi longtemps que subsiste et compte la différence.

http://oudenologia.over-blog.com/article-moui-120108569.html
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeJeu 12 Mai 2016, 15:33

Citation :
Toujours est-il qu'ici "Paul" paraît refuser cette "facilité" (à supposer que c'en soit une) dont il est pourtant coutumier. Le Christ, quelque paradoxale que soit sa manifestation (sagesse sous l'espèce contraire de la sottise, puissance sous l'espèce contraire de la faiblesse, vie sous l'espèce contraire de la mort, victoire sous l'espèce contraire de l'échec, gloire sous l'espèce contraire de l'humiliation, etc.), relèverait au fond d'une positivité simple et univoque ("oui" et non "non" ni "oui et non") que seule son apparition en ce monde contraindrait à l'apparence -- trompeuse quoique révélatrice, c.-à-d. avérante ou productrice de vérité -- de la contradiction.

Ce texte rend toutes théologies (complexes), toutes démonstrations argumentées et tous raisonnements fait pour convaincre, inutiles, seule la présences du Christ, transforme les promesses de Dieu, en réalités.
(Merci Narkissos de nous aider à comprendre et a apprécier ces textes).
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeJeu 12 Mai 2016, 17:04

Sans doute -- mais cela n'empêche pas "Paul" de continuer à écrire, à argumenter, à raisonner, comme si de rien n'était...

Il y a pas mal de textes comme celui-là qui, en principe, rendraient tous les autres inutiles, si on les prenait au sérieux (on l'a vu il n'y a pas très longtemps à propos de "ne jugez pas"). Et parfois se rendraient eux-mêmes inutiles (emblématiquement, 1 Jean 2,20.27: "vous n'avez besoin de personne pour vous instruire"; à noter qu'on retrouve dans ce texte "johannique" le même motif -- rare -- de l'"onction-chrisme", khrisma renvoyant à khristos, qu'en 2 Corinthiens 1, et une semblable protestation de non-autorité de la part d'un "auteur" qui, de fait, exerce une autorité; cf. v. 21-24).

---
Oui et non représentent les éléments à la fois fondamentaux et extrêmes du langage, qui révèlent la structure foncièrement "binaire" de celui-ci (cf. leur transcription numérique "1, 0" et son utilisation en logique et en informatique): avec ça on peut tout dire, tout écrire et tout annuler, et construire entre ces deux limites toutes les complexités et nuances imaginables. Il n'y a pas de "oui" ni de "non" dans la "nature" (hors langage), pas plus que de "nom" commun ou propre, ni de "nombre" cardinal ou ordinal, mais il n'y a pas de langue sans tout cela. "Oui" et "non" d'autre part se co-impliquent, dans une structure qui donne toujours une certaine priorité à la négation sur l'affirmation: c'est à partir de la possibilité d'un "non" qu'un "oui" a un sens (= "non non"). Concrètement d'ailleurs, les langues se passent beaucoup plus facilement de l'expression spécifique du "oui" (très rare en hébreu biblique, par exemple; on reprend plutôt le verbe de la question pour répondre par l'affirmative, comme en anglais: "Are you ... ? -- I am") que de celle du "non" (ne... pas, etc.). De ce point de vue, l'affirmation d'un oui sans non est une sorte de contresens linguistique qui nous porte à la limite du langage; hors lui tout serait "oui", peut-être, s'il ne fallait précisément une langue et sa capacité artificielle de négation pour pouvoir dire oui à quoi que ce soit...
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
le chapelier toqué

le chapelier toqué


Nombre de messages : 2573
Age : 76
Date d'inscription : 31/08/2010

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeJeu 12 Mai 2016, 20:00

La théologienne franco-suisse spécialiste du Nouveau Testament Sophie Reymond propose un nouveau livre:

Le Christ n'a jamais été que oui! (édition Le Mont sur Lausanne)

Le périodique Evangile et liberté de mai 2016 en fait la promotion disant qu'il s'agit d'un portrait engagé de l'apôtre Paul.
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeJeu 12 Mai 2016, 22:29

J'ignorais (mais c'est on ne peut plus pertinent au sujet) !

Cette problématique doit d'ailleurs avoir une résonance toute particulière dans le protestantisme suisse, puisque Karl Barth, dans la première moitié du siècle dernier (et à Bâle), a construit toute sa théologie "dialectique" (relecture de Paul et de Calvin d'après Kierkegaard) sur l'idée du "non" et du "oui" de Dieu donnés l'un et l'autre, et l'autre après l'un, dans le Christ: la révélation de Dieu en Jésus-Christ, pour Barth, se présentait d'abord comme un "non" catégorique de Dieu à l'homme -- à sa "religion", à sa "morale", à sa "connaissance", à sa "théologie naturelle", à toute auto-justification de l'homme devant Dieu par ses propres moyens, etc. -- pour se révéler ensuite comme un "oui" de pure grâce à toute l'humanité assumée librement par Dieu en Jésus-Christ. Là encore, préséance du "non" sur le "oui", dans l'ordre de la connaissance (ordo cognoscendi) sinon dans l'ordre de l'être (ordo essendi), pour reprendre une distinction classique. Car si le "oui" de Dieu se révèle en second, après l'épreuve du "non", il n'en apparaît pas moins comme premier dès lors qu'il est révélé...

---

Un des paradoxes suggérés plus haut pourrait encore s'exprimer ainsi: le seul type de discours susceptible d'emporter une adhésion sans contradiction et sans réserve (oui, amen sans non et sans mais), c'est précisément le discours contradictoire, qui n'affirme une chose qu'en affirmant aussi son contraire. Structure héraclitéenne par excellence (S est et n'est pas p, avec S pour sujet et p pour prédicat): on se baigne et on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, l'un veut et ne veut pas être appelé Zeus, etc.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeMer 06 Jan 2021, 11:16

La force du oui

Ce oui se présente alors sous deux formes qui ont toutes deux rapport à la présence et à l’affirmation. Nous sommes toujours au désert. Selon un art de faire immémorial, les tribus bédouines y ont dressé des tentes. Ces demeures de toile et les amarres solides qui les retiennent au sol sont autant de figures des conditions favorables aux échanges qui mènent à croire. Cet ancrage lui-même, c’est le poteau qu’on retrouve encore dans l’expression populaire : « mon poteau, mon pote », c’est-à-dire celui qui, par dessus tout autre, est régulier, réglo, celui ou celle qui ne fera pas défaut et en qui on peut avoir confiance. Selon Greimas et Courtès, et Michel de Certeau, il s’agit de « la modalité déontique [qui] est inscrite dans le croire dès les premières formes qu’il prend, par exemple avec l’obligation qu’a le partenaire d’être “régulier” » (Certeau 1985, 706, note 34). Par ailleurs, ce mot poteau, en hébreu, nous permet, avant de lire la pistis grecque dans ses ramifications complexes, d’entendre aman (le verbe), amen (l’adverbe) et emouna (le nom). Que voulaient donc dire les hommes et les femmes qui disaient, en leur langue, « amen » ? « C’est une formule adverbiale, écrit Henri Meschonnic, dérivée du verbe aman dont la racine signifie “être ferme, digne de confiance, fort, durable, éternel”. Sûreté et croyance étant liées. La racine, avec ce sens, se trouve en arabe, en éthiopien, en syriaque. En égyptien ancien, mn signifie “être fixé à un endroit”. C’est la foi en la vérité. En adverbe, c’est l’équivalent de “je crois fermement que c’est vrai”. » (2001, 45) Le amen, dans son contexte d’origine, c’est donc à la fois un ancrage solide dans le sable du désert, partie prenante d’une architecture de la demeure, et la fermeté dans la parole donnée.

Par la veine de cet amen s’ouvre aussi — par un biais chrétien, il est vrai — une autre perspective à la messianicité dont parle Jacques Derrida. Dans la lettre à l’église de Laodicée, l’auteur de l’Apocalypse attribue l’origine de ses paroles à « l’Amen, le témoin fiable et véridique, le principe de la création de Dieu » (3,14). Cet écrivain tardif regroupe ainsi en une seule phrase grecque le oui fermement ancré, le témoignage, le principe de la création de Dieu et sa demeure parmi les humains : la shekina. Selon la tradition des livres de sagesse, « Le oui hébreu (ken) peut toujours s’inscrire, ne l’oublions pas, dans cette shekina dont La fable mystique évoque souvent la tradition » (Derrida 1987b, 643)11. Les traditions sapientiales (hébraïque : Pr 8,22 et autres ; Si 24,1-29 et autres ; puis grecque : Sa 7,22–8,1) ont posé l’antériorité du oui présidant ainsi à l’engendrement de tout commencement. De tout commencement ludique du monde : «… je l’amusais jour après jour / jouant sous ses yeux sans cesse / jouant sur le terrain de son monde /et je m’amuse avec les gens » (Pr 8,30-31 [Nouvelle traduction]). Toutefois, ce que retient Jacques Derrida, c’est le commencement de toute parole qui engage le croire dans les filets du langage. Il emprunte d’abord à Franz Rozenzweig un théologème: « Le premier Oui en Dieu fonde en toute son infinité l’essence divine. Et ce premier Oui est “au commencement”12 » (Derrida 1987b, 644). https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2005-v13-n1-theologi1052/012530ar.pdf
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeMer 06 Jan 2021, 12:48

Oui, oui -- c'est bien plus équivoque ou plurivoque que oui, d'autant plus que c'est écrit et lu et non prononcé et entendu, écrit sans le secours de signes typographiques comme des points d'exclamation, d'interrogation ou de suspension qui indiqueraient sommairement un ton plutôt enthousiaste ou résolu, ou bien hésitant, dubitatif, ironique, agacé... or c'est précisément sous une forme répétée, qui fait hésiter la traduction, que se présentent plusieurs des "oui" (nai en grec, non ken ni amen en hébreu ou en araméen) dont nous parlons (2 Corinthiens, Matthieu, Jacques). Outre qu'amen n'est ni "naturel", ni "spontané" ni "transparent" pour un auteur, un lecteur ou un auditeur grec ou hellénophone qui n'a aucune chance d'y entendre une "fermeté" ni une "foi" (qu'il appelle pistis et non 'emouna: ce que "Paul" écrit et pense avec pistis et pisteuô, surtout à partir de l'épître aux Romains, un locuteur hébreu ou araméen serait incapable de le penser avec 'emouna, sauf à penser contre sa propre langue); ce qu'il y entend en revanche, c'est une référence religieuse ou liturgique, juive ou chrétienne, une sorte de "formule magique" (à peu près comme nous quand nous disons "amen" -- raison pour laquelle, à mon sens, il ne faut surtout pas le "traduire" en français, par "en vérité" par exemple, quand le texte grec ne le fait pas).

Le "oui" originaire ou eschatologique, le premier ou le dernier, qui précéderait, surplomberait ou transcenderait toute langue, aurait ceci de particulier qu'il ne serait jamais prononcé ni entendu, du moins "en temps réel" ou en son temps: il ne peut être que déduit ou induit qu'à partir d'un "oui" second ou avant-dernier, d'un quelconque oui d'une série potentiellement infinie de oui et de non, comme une réponse et une attente. Ainsi il présupposerait toujours un "non", et plus d'un -- même et surtout quand il le nierait.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeMer 06 Jan 2021, 13:15

Citation :
Le "oui" originaire ou eschatologique, le premier ou le dernier, aurait ceci de particulier qu'il ne serait jamais prononcé ni entendu, du moins "en temps réel" ou en son temps: il ne peut être que déduit ou induit qu'à partir d'un "oui" second ou avant-dernier, d'un quelconque oui d'une série potentiellement infinie de oui et de non, comme une réponse et une attente. Ainsi il présuppose toujours un "non", et plus d'un -- même et surtout quand il le nie.

"Oui oui"; tout discours est entre deux "oui", celui qui s'adresse à l'autre pour lui demander de dire oui, et le oui d'un autre, déjà impliqué dans le premier "oui"
Pour distinguer entre le premier "oui" (le oui originel) et le second (oui oui), Derrida prend l'exemple de la signature. Signer, c'est dire "Ceci est mon nom", c'est témoigner de ce nom, c'est en attester. Mais c'est aussi promettre que je pourrai en attester encore. Cette promesse est le "oui oui", la mémoire du "oui" qui conditionne tout engagement (p95). Il n'y a pas qu'un seul acte performatif, il y en a deux.
1. Avant de dire "Je", il faut reconnaître qu'il y a de l'autre. C'est la fonction du oui primaire, ce oui indéterminé, presque continu, coextensif à tout énoncé, dont le "je" est dérivé. Ce "oui" apparaît - comme le temps - par anachronie ou auto-affection. S'il y a de l'autre, il y a du oui qui n'a pas été produit par moi. Une demande antérieure au moi, irréductible au même, a déjà dit oui, et mon oui est une réponse à cette demande.
2. Dès que je m'adresse à l'autre, je lui dis oui. Le "je" commence par cela : lui demander de dire oui. C'est un "oui oui", un oui redoublé. Il n'y a pas de monologue. Tout discours, même un soliloque [par exemple celui de Molly à la fin de l'Ulysse de Joyce], s'adresse à l'autre. Tout discours est pris entre deux oui. Une répétition se déploie, apparemment narcissique - mais elle manifeste que, dans le cogito, il y a de l'heteros. Dans le nombrilique, il y a un appel à l'autre. Le oui de l'autre vient d'ailleurs. Il ouvre. Dire oui, c'est acquiescer à la venue d'un autre oui, d'un oui tout autre, qui ouvre la position du "je". https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1005301140.html


Voir aussi (notamment la page 244) : La valeur théologique du "oui" (2 Co 1,17)

https://www.bsw.org/biblica/vol-93-2012/la-valeur-theologique-du-oui-2-co-1-17/496/article-p244.html
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeMer 06 Jan 2021, 17:56

Très intéressante étude (de Jacqueline Assaël). A mon sens elle ne lève pas l'ambiguïté du texte (2 Corinthiens 1,17), mais elle l'enrichit d'une nuance possible et rarement mise en évidence: ce que "Paul" nierait ou mettrait "rhétoriquement" en question (en escomptant ou en sous-entendant une réponse négative), ce ne  serait pas seulement la "légèreté" ponctuelle d'un changement d'avis, mais bien toute autonomie "charnelle", autrement dit "personnelle": lui-même, "selon la chair", ne serait tout simplement plus en mesure de dire ou de faire "oui" ou "non", en somme de décider quoi que ce soit... On aurait là une anticipation (ou une réplique, selon la datation des textes) des grandes déclarations d'in-ek-sistence de Galates ou Philippiens, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ ou l'Esprit en moi -- avec leur aporie sous-jacente: QUI dit cela ?

En tout état de cause, cela n'enlèverait rien à l'aporie (supplémentaire) de 2 Corinthiens 1 (cf. la suite): si 1) ce n'est plus "Paul-dans-la-chair" qui dit ou fait "oui" ou "non" et 2) que le Christ, lui, ne dit et fait que "oui" (sans préjudice de toutes les négations qu'il faut pour produire une telle affirmation), on se demande bien d'où peut venir un "non" dans la bouche ou dans les actes de "Paul"...

Que la "logique binaire" ne réponde pas à tout et qu'elle soit muette devant l'essentiel, au sens strict de l'"être" même, non seulement de ce qu'il y a ou de ce qui arrive mais du fait même qu'il y a ou qu'il arrive quoi que ce soit, Aristote l'avait dit bien avant Leibniz, Wittgenstein ou Heidegger. Mais il ne s'ensuit pas qu'il y ait une autre "logique" que celle-là, effectivement binaire, qui a besoin du oui, du non et de la (non-)contradiction pour parler du "réel", quand bien même ce faisant elle n'arrive qu'à l'effleurer. Même au solaire Parménide il fallait deux négations (différentes) pour border sa pure affirmation tautologique: ouk esti einai, "le non-être n'est pas", "il n'y a pas de 'ne pas être'".
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeJeu 07 Jan 2021, 13:09

Dans un texte intitulé Abraham, l’autre, Jacques Derrida rapporte une histoire que Kafka avait envoyée à Robert Klopstock en juin 1921. Kafka convoque dans cette lettre plusieurs Abraham. Le dernier à être conçu (Kafka parle effectivement, selon le terme choisi par Marthe Robert dans sa traduction, de « concevoir un autre Abraham ») est le plus crasseux et le plus indigne d’être appelé. Cet Abraham-là est le plus mauvais élève de la classe et, au moment de la remise solennelle d’un prix au meilleur élève, ayant mal entendu et croyant avoir été appelé, il se lève et la classe éclate de rire. Mais Kafka envisage une autre hypothèse : Abraham, le plus crasseux, le plus indigne et le plus mauvais élève, a peut-être bien entendu son nom être prononcé, il a bien été appelé, car le plus mauvais élève porte le même nom que le meilleur, mais cette confusion a été voulue par le maître, son dessein étant « que la récompense du meilleur soit en même temps la punition du plus mauvais ».
2Abraham aura répondu « oui, me voici » à un appel qui lui était et qui ne lui était pas destiné. Il se sera présenté ou, plus exactement, il aura acquiescé à une présentation de soi. Telle est du moins l’hypothèse de Jacques Derrida :
Citation :

  • « Abraham, l’autre », in Judéités. Questions pour Jacques Derrida, op. cit., p. 13.




[…] si tout […] commence par la réponse, si tout commence par le « oui » impliqué dans toute réponse (« oui, je réponds », « oui, me voici », même si la réponse est « non »), alors toute réponse […] reste l’acquiescement donné à quelque présentation de soi.
Cette histoire, racontée dans le cadre d’un colloque, pourrait tout aussi bien concerner celui qui en fait le récit et qui croit avoir été appelé à intervenir, à tenir la conférence de clôture, celui-là ne sera peut-être que le dernier des conférenciers, mais que cette situation de parole soit pour moi un bonheur ou un malheur, une bénédiction ou une malédiction, il n’en reste pas moins que je veux ici remercier très chaleureusement Éric Hoppenot pour avoir organisé ce colloque et pour sa généreuse invitation, pour m’avoir en quelque sorte dit : « Viens ».

Viens est le premier mot de Pas et il est aussi le dernier mot de ce texte, suivi, il est vrai, par le tout dernier mot « oui, oui » qui, à la fois, le répète et lui répond.
https://books.openedition.org/pupo/929?lang=fr
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeJeu 07 Jan 2021, 15:25

Oui, oui.

Citer ou commenter de tels textes (Blanchot, Levinas, Derrida, mais aussi Kafka ou Joyce), c'est un exercice périlleux mais M. Lisse le fait ici avec une rare intelligence. Reste qu'ils sont et restent à lire et à relire, chacun pour soi et en relation les uns avec les autres, et avec la bibliothèque particulière que chaque lecteur porte dans sa tête ou dans son coeur. Je suis pour ma part reconnaissant -- je ne saurais dire à combien de gens, bien ou mal intentionnés et plus souvent dépourvus de toute intention à mon égard, mais ils sont innombrables et fort différents: autant dire à Dieu -- d'avoir eu la chance et le temps de les lire, ceux-là et quelques autres, un peu et pas mal quand même, après avoir passé longtemps dans la Bible. Séquence singulière qui a sans doute limité et enrichi ma lecture, la rendant unique et inutile -- comme toutes les autres.

Ce qui ne répond pas, ni oui ni non, chez Levinas comme chez Derrida (et chez celui-ci notamment dans l'Adieu à celui-là, le texte écrit et prononcé à l'occasion de sa mort et rassemblé ensuite avec d'autres "nécrologies"), outre l'écriture et l'animal, c'est aussi le mort, le visage du mort, le cadavre ou le masque mortuaire. Cela nous renverrait à d'autres discussions récentes sur les alliances avec la mort, le partage en tous sens (concorde, discorde, condoléances, dispute, discours, débat, communion qui garde toujours un côté nécrophage) autour du silence du mort, qui ne dit rien mais n'en donne pas moins à parler et/ou à penser. Il y va aussi d'une telle nécrophagie dans toute lecture, que l'"auteur" d'ailleurs soit déjà mort ou provisoirement vivant.

[Quant au "venir" et aux "viens" également répétés, on pourra se reporter aux derniers posts de ce fil.]
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeDim 29 Mai 2022, 14:47

Il y a sans doute un rapport entre la diversité du ou des "oui", évoquée au début de ce fil (fin du premier post), et celle du ou des "non", par exemple au début de celui-là (fin du premier post aussi). Au moins autant (de genres, d'espèces, de variétés) de "oui" (ou de "si", puisque le français distingue ainsi le oui qui réplique comme un non à un non, un peu comme l'allemand doch, pourtant, et pourtant si) que de "non" niés, déniés, reniés, rayés, raturés, subsumés, supprimés, abolis, surmontés, relevés (selon toute la polysémie de l'Aufhebung hegelienne) -- et peut-être toujours au moins un (oui) de plus et/ou de moins, le premier, l'initial, l'originel ou l'originaire qui n'aurait pu être ni prononcé, ni entendu "en temps réel", seulement revenir dans la série, et à la fin toujours à venir, quand tous les oui et les non seraient épuisés -- et là encore revenir de l'origine sans parole, et y renvoyer; manquant en somme à sa place (première et dernière), comme disait Lacan du "sujet". A l'éternité totalisante, toujours anticipée et remémorée par anticipation, du "futur antérieur", tout aura été, oui, si, même le non, même le non-être du possible et de l'impossible, de ce qui aurait ou n'aurait pas pu être; été vrai même le faux, l'erreur, le mensonge ou la fiction, réel l'irréel, positif le négatif, effectif l'ineffectif. Plus l'ombre d'un "non" sous ce soleil-là qui ne se lève ni ne se couche, quand même il en aurait fallu de toute sorte et à chaque pas pour donner forme à tout ce qui s'y retrouverait.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
free




Nombre de messages : 9636
Age : 62
Date d'inscription : 21/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeLun 30 Mai 2022, 12:22

Le oui de/du départ

Il n’y a aucune garantie que le oui de départ, le oui par lequel on s’est décidé à entrer dans l’expérience analytique, puisse être retrouvé à la fin. Je dis bien « retrouvé », ce qui implique que, dans la trajectoire de la cure, ces deux oui, celui du commencement et celui de la fin, deviennent étrangers l’un à l’autre, creusent un écart, sans que pour autant, au-delà de la frontière qui les sépare, le sujet oublie le point commun entre les deux, le fil qui fait que la psychanalyse est (et se doit de rester) l’occasion d’une décision, d’un engagement ou d’un franchissement du sujet par lequel il entre dans le champ d’Éros.

La cure ne serait-elle pas le trajet qui accomplit au-delà de toute entreprise ou fantasme de rédemption ce pas, ce saut, ce oui, par lequel le sujet surmonte la tentation de payer l’éternisation de son désir par l’inertie mortifiante d’un voyage où le terme est connu ?

Freud a parlé très tôt de cette résistance du sujet à la vie, au savoir, à l’acte en termes de régression temporelle. L’intemporalité de l’inconscient, c’est le désir inconscient d’annuler le temps. Le désir de l’inconscient en tant que désir indestructible est un désir qui échappe au temps, c’est ça la répétition. L’engagement dans l’analyse ouvre à la réalité du temps. Lacan dit que l’homme a deux voies d’accès au réel : l’angoisse ou le concept ; le concept, c’est le temps.

Ainsi, du désir indestructible, de la vie suspendue au souhait de l’accomplissement de ce désir inaltérable, à l’inconscient à réaliser, ce qui se constitue dans la trajectoire d’une cure, c’est le temps, le temps-sujet, le sujet et ses franchissements. La valeur du temps est corrélée à ces franchissements par lesquels le sujet non seulement se voit dévoiler quel destin l’inconscient lui a fait, mais arrive par l’acte de conclure à se dépasser, à passer de l’autre côté du pont.

Donc, ce oui d’entrée et de fin d’analyse, de départ et du départ de l’analyse veut du nouveau, sort des rails du voyage mythique, tire parti d’une liberté conquise en prenant acte d’abord d’une rencontre, puis d’une séparation, qui entrent dans le temps. Eh oui !, ce oui, c’est une « entrée dans le temps » – et c’est cette entrée dans le temps qui est une entrée en Éros.

https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2005-3-page-29.htm
Revenir en haut Aller en bas
Narkissos

Narkissos


Nombre de messages : 11940
Age : 64
Date d'inscription : 22/03/2008

sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitimeLun 30 Mai 2022, 12:52

Intéressant, quoique péremptoire et unilatéral...

Le "oui du départ" (de l'analysant contre le gré de l'analyste) est aussi bien un "non" (à l'analyste et/ou à l'analyse); en le jugeant (sur le mode du mépris ou de la commisération, "hélas !", quand ce n'est pas du ressentiment) l'analyste lui-même quitterait sa place, pour autant qu'il y soit resté jusque-là... Cela donne l'impression d'une analyse fermée et totalement aveugle sur elle-même, sur ses présupposés, ses méthodes et ses fins, incapable de se remettre en question (ou de s'analyser elle-même), si ce n'est pour s'auto-confirmer. Définir la (bonne) "fin" de l'analyse comme "entrée dans le champ de l'Eros" (a-t-on jamais été ailleurs ?) me semble de surcroît une simplification grotesque: c'est ce "champ" même qui est complexe, Eros ET Thanatos inséparablement, à qui il faudrait dire "oui" ET "non", sans que ce soit simplement oui au premier et non au second, sinon par alternance ("en son temps" comme dirait Qohéleth).

Ce que je voulais dire pour ma part, c'est que l'apparente univocité du "oui" et du "non" ne vaudrait que dans le champ restreint de la logique pure sur le modèle mathématique, de la proposition prédicative du genre "S est p" (Sujet est prédicat) dont on peut effectivement dire qu'elle est vraie ou fausse sans autre possibilité (tiers exclu, tertium non datur,), à condition de préciser jusqu'à l'obsession les conditions de son énoncé (c'est vrai ou faux exclusivement à condition d'être dit en même temps, dans le même sens, de la même chose, du même point de vue, etc.; sur tout cela voir Aristote et ses "catégories"). Mais ce type de proposition auquel ne s'attacherait aucune connotation (affective, performative, prescriptive, normative) est en fait l'exception dans le langage, si tant est qu'elle arrive jamais: le plus souvent quand nous disons "oui" ou "non", sur tous les tons imaginables, nous signifions tout autre chose, une diversité innombrable de sentiments et d'émotions, y compris à notre insu -- la psychanalyse est en principe bien placée pour le savoir.

D'autre part, la répétition caractéristique du "oui" et/ou du "non" qui sont toujours des réponses en rappelle d'autres -- par exemple, dans le contexte même du "Sermon sur la montagne", le "talion" (œil pour œil, dent pour dent) inversé en "tendre l'autre joue" (etc.): même réitération compulsive du "oui" et du "non", du coup ou du tort rendu et du coup ou du tort supplémentaire réclamé -- toujours plus d'une fois.
Revenir en haut Aller en bas
http://oudenologia.over-blog.com/
Contenu sponsorisé





sic et non Empty
MessageSujet: Re: sic et non   sic et non Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
sic et non
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Etre chrétien ou pas? :: UN JOUR, UN VERSET-
Sauter vers: