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 vouloir, etc.

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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 01 Sep 2020, 15:17

Le Vouloir et le Faire

Cette critique théologique de la morale achoppe sur un paradoxe, la nécessité contre l’impossibilité d’une éthique chrétienne, Ellul n’est pas nihiliste, il est bien conscient de la nécessité d’une éthique pour les chrétiens mais il l’oppose à une éthique systématisée, ratifiée par une norme morale dont l’homme doit pouvoir sortir, c’est ce que Kierkegaard nommait « la suspension téléologique de l’éthique », l’éthique est suspendue en vue de la foi et de l’obéissance à la volonté de Dieu. Car c’est finalement Dieu qui « opère en nous le vouloir et le faire » (Philippiens 2,13). http://edouardetmariechantal.unblog.fr/2013/12/01/le-vouloir-et-le-faire-une-critique-theologique-de-la-morale-jacques-ellul-eee/
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 01 Sep 2020, 16:20

On comprendra peut-être mieux ce qu'a d'affolant la "volonté de Dieu" au sens kierkegaardien, avec sa "suspension téléologique de l'éthique", si on se rappelle qu'elle se construit autour du sacrifice d'Abraham (Crainte et tremblement): c'est une volonté qui ne répond à aucune loi ni à aucune logique, qui n'est justifiable d'aucune règle générale (contrairement aux cas autrement similaires d'Antigone, d'Iphigénie ou de la fille de Jephté) et donc d'aucune explication rationnellement ou socialement recevable, qui est plutôt criminelle à tout point de vue, à telle enseigne que celui qui l'exécute finirait par ne plus savoir si c'est celle de Dieu ou la sienne, ou encore si elle est divine ou démoniaque, si donc l'obéissance est bonne ou mauvaise, obéissante ou blasphématoire, sacrée ou sacrilège. Toute assurance, toute garantie, tout contrôle s'évanouissent en ces parages où seule reste pertinente une certaine foi indiscernable d'une folie. Au bout du compte il en irait ainsi de toute volonté, s'il y avait rien de tel qu'une volonté qui ne se réduise pas à l'exécution d'un programme.
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 02 Sep 2020, 10:09

"Que le Dieu de la paix — qui a ramené d'entre les morts le grand berger, par le sang d'une alliance éternelle, notre Seigneur Jésus — vous forme en tout ce qui est bon pour faire sa volonté ; qu'il fasse en nous ce qui lui est agréable par Jésus-Christ, à qui soit la gloire à tout jamais ! Amen !" (Hé 13,20-21).

Selon ce texte, faire la volonté de Dieu nécessite une "formation" qui "rend apte" (TOB) ou capable d'atteindre cet objectif, il faut que Dieu agisse dans les croyants. L'aptitude à faire la volonté divine n'est pas naturelle et ne relève pas des capacités individuelles (toujours selon ce texte).
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 02 Sep 2020, 11:12

C'est le verbe katartizô dont la traduction peut beaucoup varier selon les contextes et les goûts du traducteur (parer, réparer, préparer, former, conformer, instruire, adapter, rendre apte ou capable, habiliter, qualifier, et ainsi de suite), mais dont le sens général est clair et éminemment "pratique", "utilitaire" ou "instrumental", et aussi "téléologique", puisqu'il se rapporte à un "usage" ou une "fin" (but, objectif, etc.). On remarquera qu'ici aussi la "volonté" (thelèma) côtoie, dans un parallélisme synonymique comme on dit, le champ lexical du plaisir ou de l'agrément: "la volonté de Dieu" <=> "ce qui est agréable, convenable, acceptable (euareston) à ses yeux".
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 02 Sep 2020, 11:49

"Je suis le SEIGNEUR (YHWH), ton Dieu, celui qui t'a fait monter d'Egypte ; ouvre grand ta bouche, et je la remplirai. Mais mon peuple ne m'a pas écouté, Israël n'a pas voulu de moi. Alors je les ai livrés à l'obstination de leur cœur : ils ont suivi leurs propres conseils" Ps 81,11-13.



L’Ancien Testament reconnaît à l’homme une liberté personnelle : YHWH « a fait au commencement l’homme et il l’a laissé à son conseil ». Thomas verra dans cette citation une correspondance avec la notion aristotélicienne du choix. L’Ancien Testament situe la source du vouloir dans le leb, le « cœur », qui perçoit, connaît, comprend, désire et choisit. Il sous entend que Dieu a conféré à l’homme une autonomie morale. L’Évangile de Marc évoque le cœur , l’âme (psychè/anima), l’esprit et la force comme source d’impulsion. Dieu attend que l’homme se porte vers le bien mais Il le laisse libre de choisir entre deux forces antithétiques : le bien qui est complétude et perfection et le mal qui n’est pas un simple opposé du bien mais qui est une puissance agressive qui apporte la destruction et donne la mort. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00595478/document
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 02 Sep 2020, 12:46

La racine y`ç à laquelle se rattache le plus souvent la traduction traditionnelle "conseil(s)" (p. ex. en Psaume 81,13) illustre bien ce que j'essayais de décrire dans mon post initial à propos de la "volonté" qui n'apparaît guère, en hébreu, comme un concept autonome et distinct: ici c'est le processus collectif de "conseil", de délibération (p. ex. à la cour d'un roi avec ses princes ou ministres, ses sages et éventuellement ses prophètes) qui sert de modèle au processus similaire du "coeur" individuel ou du "for intérieur" (réflexion, calcul, délibération, décision); comme s'il fallait de toute façon plusieurs voix, même dans ce que nous appelons une "tête", pour aboutir à une décision, une parole ou un acte unique, sinon univoque.

La thèse que tu cites (et que je n'ai évidemment pas toute lue) se réfère en l'occurrence au Siracide (= "Ecclésiastique"), 15,14 (voir la note 5 p. 26). Je n'ai pas le texte hébreu (partiel) sous les yeux, mais en général la traduction "penchant" correspond en hébreu tardif et surtout rabbinique à yçr, autre racine qui évoque l'image du potier (qui façonne ou forme, dès Genèse 2; cf. surtout Jérémie 18 où l'image décrit finement l'interaction divino-humaine). La traduction latine consilium, que suit Thomas d'Aquin, dépend en revanche de la Septante, dia-bouliou on l'on retrouve bouleuô (cf. encore le post initial), avec les mêmes notions de conseil, délibération, décision.
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 02 Sep 2020, 14:23

Que ta volonté soit faite

Là encore, le risque d’une interprétation passive est présent. On pourrait voir dans cette demande une sorte de fatalisme, d’Inshallah musulman. Il est vrai que l’on trouve, dans l’épître de Jacques (4,13-14) un type de théologie se rapprochant de cela quand il met en garde ceux qui font des projets, en leur conseillant de dire plutôt: Si Dieu le veut, nous vivrons, et nous ferons ceci ou cela.
Ce qui est en question, c’est de savoir si l’on pense que c’est vraiment toujours la volonté de Dieu qui s’accomplit sur cette Terre ou non. Pour ceux qui le pensent, cette demande peut signifier que nous sachions accepter la volonté de Dieu, puisque de toute façon cette volonté divine doit s’accomplir.
Mais on peut penser, au contraire, que tout ce qui arrive n’est pas précisément la volonté de Dieu, et que là est l’explication de l’existence du mal: c’est ce qui s’écarte du projet divin. Dieu ainsi ne peut que vouloir le bien, et il est à l’œuvre pour que progressivement ce soit sa volonté, son plan créateur, qui s’accomplisse. Là est le rôle essentiel de l’homme, sa vocation est d’accepter de prendre part à la création de Dieu en di-sant «que je sois capable d’accomplir ta volonté sur cette terre... et non la mienne».
Ainsi, quand le Christ dit à Gethsémané: Père, s’il était possible que cette coupe passe loin de moi sans que j’en boive... toutefois, non pas ma volonté mais la tienne. Il ne s’agit pas pour lui d’attendre simplement que les événements s’imposent à lui, mais qu’il accomplisse lui-même sa mission jusqu’au bout comme Dieu voudrait qu’il le fasse, et ce quel qu’en soit le prix.
Ainsi cette demande, comme toute prière, n’est pas une manière de tout attendre de Dieu pour que nous n’ayons plus rien à faire nous-mêmes, mais bien une demande qui nous engage nous aussi, et là plus particulièrement dans l’accomplissement de sa volonté. https://evangile-et-liberte.com/elements/numeros/187/article9.html
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMer 02 Sep 2020, 17:15

Outre son sens "fataliste" (que sera sera, advienne que pourra, etc.) et son sens "éthique" (c'est à nous de faire la volonté de Dieu qui n'est pas n'importe quoi et surtout pas la nôtre, et qui n'est pourtant pas faite sans nous), la formule a aussi (sans doute d'abord, si l'on en juge par son contexte immédiat dans le "Notre Père", le Qaddish et autres "parallèles" rabbiniques) un sens "eschatologique": dans la Didachè, en plus du "Notre Père" on trouve la célèbre invocation "que ce monde passe et que ton règne vienne". Sans quelque forme d'"horizon eschatologique", du reste, la contradiction inhérente à une "volonté de Dieu" en régime monothéiste (1. "Dieu" a une "volonté" particulière, qui n'est pas n'importe quoi et qui n'est pas toujours réalisée -- sans quoi, d'ailleurs, il n'aurait rien à "vouloir"; 2. la "volonté de Dieu" ne peut que se réaliser) serait proprement insurmontable, ou plutôt intenable (car même avec une eschatologie elle reste logiquement insurmontable, mais au moins elle peut paraître tenable en attendant).

Comme tout concept sans doute mais plus clairement que beaucoup d'autres, une "volonté" (mais aussi bien un désir, une intention, un projet, une décision, etc.) suppose du "temps", un passé, un présent et un futur, un avant et un après, une durée: vouloir quoi que ce soit, que quelque chose change, arrive, advienne, devienne, apparaisse ou disparaisse, ou même que rien ne change mais dure en restant tel qu'il est, tout cela c'est "temporel" par définition. Un dieu qui veut se situe ipso facto "dans le temps", ou du moins "dans un temps", un "autre temps" peut-être, mais conçu selon l'analogie du temps commun et en rapport direct avec celui-ci. Tout ce qui décrit une "volonté" comme l'aboutissement d'un processus temporel (par exemple le schème du conseil, de la consultation et de la délibération conduisant à une décision, comme on l'a vu plus haut) est à cet égard doublement significatif: "vouloir", comme "décider", ce n'est pas un état ni une faculté mais un événement, une résolution, une précipitation ou une simplification progressive ou soudaine d'une complexité préalable (qu'on prenne l'image "déterministe" mais imprévisible de l'orage ou celle, "arbitraire", du noeud gordien).
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 03 Sep 2020, 09:59

On retrouve ce côté bouillant de Luther dans son commentaire de cette troisième demande de la célèbre prière de Jésus : « Notre Père… Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». La lecture de Luther est simple, il la martèle à plusieurs reprise : cette demande a pour but de nous humilier et de nous mortifier dans la crainte de Dieu, afin d’absolument briser notre propre vouloir car il n’est jamais, jamais bon.
La volonté de Dieu, selon Luther, « s’accomplit dans le brisement de notre vouloir », quel qu’il soit. « Avant toute chose (dit-il) un bon vouloir existe là où il n’y a pas de vouloir, car là où il n’y a pas de vouloir, là règne seule la volonté de Dieu, la meilleure de toute. »(Œ. v. 1, p. 173). Certes, dit-il, Dieu nous « a donné un libre vouloir » mais « le propre vouloir vient du diable », le libre vouloir n’est bon que quand il « ne veut rien en propre et regarde uniquement à la volonté de Dieu ».
Dans cette demande du Notre Père, écrit Luther, Dieu nous ordonne d’implorer contre nous-même : Ô Père « brise mon vouloir, mets obstacle à mon vouloir », car le propre vouloir est en nous le mal le plus profond et le plus grand. Or, rien ne nous est plus cher que notre propre vouloir. C’est pourquoi, continue Luther, dans cette prière (du Notre Père), rien d’autre n’est recherché si ce n’est la croix, le martyr, l’adversité et les souffrances de toutes sortes qui servent à détruire notre vouloir. De sorte que, si les gens volontaires saisissaient bien qu’ils implorent ici contre tout vouloir qui leur est propre, ils deviendraient ennemis de cette prière ou, du moins, seraient pris d’effroi devant elle. » [url=https://jecherchedieu.ch/temoignages/predication/ma-volonte-propre-et-celle-de-dieu-luther-lecteur-du-notre-pere/]https://jecherchedieu.ch/temoignages/predication/ma-volonte-propre-et-celle-de-dieu-luther-lecteur-du-notre-pere/[/url]
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 03 Sep 2020, 11:33

(Je préfère le Pernot de Genève à celui de Paris...)

Luther à ce stade précoce s'inscrit dans la droite ligne de la mystique médiévale (du pseudo-Denys à Tauler en passant notamment par Eckhart), même si la Renaissance et l'humanisme la conduisent tout droit à la crise (entre le "libre-arbitre" d'Erasme et le "serf-arbitre" de Luther, il faudra désormais... choisir).
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 03 Sep 2020, 12:33

"Car la parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique", ce texte t (Dt 30,14) montre que les commandements, expression de la volonté de Dieu, sont un don dans la bouche et le cœur du croyant, comme un élément intégrant de sa personne.  Malgré ce don, il est question d’un choix, d’un engagement. Dieu offre un faux choix  : "vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur"(30.15), effectivement, le choix se résume entre le vie et la mort, l'obéissance implique la vie et la désobéissance la mort.  Néanmoins, il est clair que la volonté de Dieu est tournée vers le choix de la fidélité et donc du bonheur : "choisis donc la vie"(30.19). Mais cette volonté n’est pas celle d’un dieu despotique et capricieux.
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 03 Sep 2020, 14:06

"Faux choix" (bhr dont dérive tout le vocabulaire biblique et théologique de l'"élection" par le grec eklegomai) selon les critères modernes du choix et de la liberté, sans doute (je me souviens d'une vieille, longue et intéressante discussion sur ce sujet avec VANVDA: on n'est pas libre avec un pistolet sur la tempe vs. c'est précisément avec un pistolet sur la tempe qu'on commence à comprendre ce qu'il en est de la liberté).

Par rapport à la "tyrannie" (du moins une tyrannie idéale du "bon plaisir" absolu et instantané), une "loi" écrite ou même proclamée (c.-à-d. autrement écrite, dans une mémoire ou une tradition) limite en principe l'arbitraire du pouvoir, elle l'astreint à une certaine constance et à une certaine cohérence, ou plutôt elle contraint désormais sa "volonté" à passer par le détour de l'interprétation. Elle favorise en outre la fameuse "intériorisation de la loi", notion infiniment ambiguë qui se traduit d'un côté par une apparente "autonomie du sujet" (dès lors qu'il se l'est appropriée, chacun n'obéirait plus qu'à sa propre loi) et de l'autre à sa division effective au profit du pouvoir (chacun étant désormais lui-même et son propre flic). L'échec de cet idéal nomographique se signe dans la surenchère non moins équivoque de la "nouvelle alliance" (Jérémie 31 etc.): sur la pierre, dans la bouche ou dans les coeurs, on ne creusera jamais assez profond pour éradiquer la différence de la ou des "volontés" -- sans laquelle il n'y aurait rien de tel qu'une "volonté".
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 03 Sep 2020, 15:18

Le récit optimiste de Gn 2* a été transformé plus tard dans un récit de transgression ou d'expulsion du jardin. Dans la tradition de l'Eglise (à cause de Paul?) cette histoire est devenue celle du péché originel, mais il faut signaler tout de suite qu'aucun terme pour "péché" n'apparaît dans ce texte.
On peut se demander pourquoi Dieu interdit au couple humain de manger de l'arbre de la connaissance de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. La capacité de distinguer entre le bien et le mal est partout ailleurs dans la Bible une qualité éthique positive et nécessaire (cf. 1 Rois 3, par exemple).
Certains exégètes pensent que l'auteur veut mettre en garde contre une certaine hubris, ou démesure, de la sagesse humaine qui serait trop sûre de ses propres capacités, oubliant qu'en fin de compte la sagesse dépend de Dieu. Mais cette interprétation est peut-être forcée.
Lorsque Dieu donne ses règles concernant le tabou de l'arbre, seul le cas de la transgression est envisagée. Dieu ne pense apparemment pas à la possibilité d'un respect du commandement, comme s'il savait dès le début que l'homme allait transgresser l'interdit. Ainsi, l'histoire de la transgression peut aussi se lire comme une métaphore de l'autonomie humaine face à Dieu. Cette autonomie est à la fois nécessaire et tragique: Dieu n'a pas créé l'homme comme une sorte de robot, il lui laisse la liberté de décision, même celle de transgresser ses ordres.
En Gn 3, c'est le serpent qui joue le rôle de l'agent provocateur, et c'est la femme qui entre en débat avec lui (l'homme semble d'ailleurs être quelque peu dépassé par les événements). De nouveau, il faut mettre en garde contre l'histoire de la récéption: le serpent ne symbolise nullement le diable ou une force du mal autonome par rapport à Dieu. Gn 3,1 constate expressément que le serpent fait partie des animaux créés par Dieu. Il est possible qu'il soit tout simplement une figure de la voix intérieure de la femme, un moyen stylistique destiné à rendre un soliloque visible et audible. Mais il faut également tenir compte du fait que pour un auditeur du Proche-Orient ancien, le serpent, en plus du danger qu'il représente pour l'homme, est associé à l'idée de sagesse et de vie éternelle, puisqu'il apparaît comme un animal qui ne cesse de se régénérer. On pourrait donc dire que le serpent, en Gn 2-3, représente la quête de la vie éternelle et l'échec de cette quête (cf. aussi l'épopée de Gilgamesh, ou la plante de la vie éternelle devient inaccessible à cause d'un serpent).
Gn 2-3 présente l'homme comme un être libre et responsable, et en même temps limité par la mort, tout en "expliquant" certains aspects de la condition humaine (souffrance, travail pénible, relations conflictuelles et relations de domination) comme conséquence d'une transgression pourtant inévitable. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon3/lecon3.htm
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeJeu 03 Sep 2020, 16:16

(Contrairement aux Pernot, le Römer me semble s'être nettement bonifié de Genève à Paris -- en passant par Lausanne et en se dégageant d'une certaine manie du "politiquement correct", sans qu'il y ait forcément de rapport entre les deux étapes.)

La "liberté" et la "responsabilité" sont à mon sens tout aussi étrangères au récit de l'Eden que le "péché originel".

L'"inévitable" tient au genre même du "récit d'origine", qui par définition ne peut pas aboutir à autre chose que la "réalité" telle que l'auteur, le narrateur et les lecteurs-auditeurs la comprennent.

A propos du schème "nomographique" dont je parlais plus haut (la "loi" de toute façon écrite, par n'importe quel moyen et sur n'importe quel support, pierre, argile, parchemin, papyrus, papier, silicone, corps, peaux, cerveaux, bouches, coeurs, c.-à-d. mémoire individuelle et collective, rite et mythe, légende et tradition, etc.), il n'est pas superflu de remarquer, même si cela a été souvent fait, qu'il est devenu une clé de lecture -- c'est le cas de le dire -- à peu près universelle: du pro-gramme informatique au code génétique en passant par tous les protocoles, administratifs ou professionnels, scientifiques, techniques, judiciaires, policiers ou sanitaires, c'est le règne sans partage de la pré-scription qui tend à prévenir et à circonvenir toute "volonté", tout "arbitraire", toute décision si elle n'est pas décidée d'avance. Règle écrite nulle part, mais d'autant plus écrite, ex-crite comme écrit parfois Jean-Luc Nancy, telles les "lois" de la physique, de la chimie, de la biologie ou même des "sciences humaines".

Autre chose, un détail que j'ai aussi oublié de signaler dans mon post précédent: le "choisis" de Deutéronome 30 ne traduit pas un impératif mais un "inaccompli", plus exactement un "accompli inversé" (n'en déplaise aux mânes de Franz et à Furuli), qui correspondrait plutôt en français à un indicatif futur: "tu choisiras (la vie)", comme "tu aimeras" ton dieu ou ton prochain, "tu ne tueras point", etc.: plutôt pré-scription ou pro-gramme qu'ordre, pour autant qu'on puisse différencier l'un de l'autre.

---

Une "volonté" en somme ne me paraît guère concevable que comme un événement qui se produit (ou non) quand et comme il se produit, explicable après coup qu'on l'ait vu venir ou non, qu'on chercherait le plus souvent en vain mais qu'on ne peut pas rater quand il arrive. Où la réaction, donc la passion, est indissociable de l'action éventuelle -- de là qu'on ait fréquemment l'impression de savoir ce qu'on ne veut pas (nolo) plutôt et plus tôt que ce qu'on veut (volo), et de savoir déjà par là ce que c'est que vouloir (ou aussi bien d'aimer). Un éclair de décision et un effet de simplification dans une confusion de motivations et de déterminations indécises. C'est sans doute presque aussi éloigné de Nietzsche que de saint Augustin, tout au moins de leurs exégèses habituelles, mais c'est à peu près le seul sens possible du mot volonté qui ne me paraisse pas complètement vide.
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 04 Sep 2020, 10:44

Merci Narkissos pour toutes ces précisions.

Citation :
La "solution" paulinienne, ce n'est pas (simplement) la "raison", c'est le "mystère" de la mort et de la résurrection du Christ qui est censé être à la fois passage et transformation (ou tour de passe-passe) de la mort à la vie, de la chair à l'esprit, de l'humain au divin et de l'individuel au communautaire (chap. 5--8 ). Mais si "la loi" reste d'un seul côté de ce passage, "l'intellect" et "la raison" (noûs et logos) se retrouvent pour ainsi dire de l'autre côté (chap. 12) -- heureuse synthèse de la dynamique myst(ér)ique et de la logique stoïcienne, qui s'y prêtaient de part et d'autre.


"Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréé et parfait" (Rm 12,2).

Le rapport entre ce que j'appelle "esprit"-intellect (noûs, mens, mind, etc.; qui correspond pour partie au "cœur" hébreu, lb[b]) et l'"esprit"-souffle (rwh, pneuma, spiritus, spirit, etc.) peut paraître encore plus compliqué: le français ordinaire tend à les confondre, le lecteur francophone de la Bible tend, par compensation, à les opposer ("l'esprit" dans la Bible, ce n'est justement pas l'intellect !), et voilà que chez Paul nous trouvons une étrange affinité entre l'un et l'autre: non seulement parce que dans le mystère chrétien l'esprit-souffle de Dieu agirait "surnaturellement" et prioritairement sur l'esprit-intellect humain (perspective de Romains 6 ou 8, si l'on veut), mais parce que même hors de ce mystère (à supposer qu'il supporte un dehors) l'esprit-intellect humain se trouverait "naturellement" accordé au "bien" de la loi, avant même toute intervention "surnaturelle" de l'esprit-souffle (perspective de Romains 2 ou 7). Bref: ce n'est pas la même chose mais ça a tout de même un rapport privilégié.

Ce que décrit Romains 12,2 par la formule "renouvellement de l'intelligence (noûs)", ce serait précisément l'action de l'esprit-souffle (pneuma de Dieu / du Christ -- le Saint-Esprit, comme on dit) sur l'esprit-intellect. Qui ne serait pas en l'occurrence une "nouvelle naissance" ou une "nouvelle création" ex nihilo mais une transformation de l'existant (renouvellement; cf. 6,4 "nouveauté de vie"; 7,6 "nouveauté de l'esprit"; et le développement ultérieur de ce thème en "homme nouveau" dans les deutéro-pauliniennes, Colossiens 3,10ss // Ephésiens 2,14s; 4,23ss). https://etrechretien.1fr1.net/t1286-corps-unifie-metamorphose-et-renouvellement-de-l-intelligence
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 04 Sep 2020, 11:23

J'ai (encore) ajouté une petite réflexion à la fin de mon post précédent.

Merci d'avoir rappelé cette discussion, à laquelle j'ai pensé plus d'une fois au cours du présent fil, notamment à propos du rôle de l'esprit-intellect et/ou de "l'homme intérieur" sujet(s) d'un "vouloir" distinct du "désir" et même opposé à celui-ci en Romains 7. Elle complète utilement ce qui s'est dit ici.
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 04 Sep 2020, 11:54

Plusieurs passages du livre des Proverbes expriment de façon particulièrement vivante le fait que Dieu dirige même le for intérieur des hommes (le « coeur ») et les actes qui en proviennent :

"Le cœur de l'être humain prépare sa voie ; c'est le SEIGNEUR qui affermit ses pas" (16,9)

"Le cœur du roi, ce sont des canaux d'irrigation dans la main du SEIGNEUR ; il le dirige partout où il veut" (21,1)
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 04 Sep 2020, 12:34

Dans les textes les plus anciens de la Bible hébraïque (ou AT), parmi lesquels on peut ranger une bonne partie du corps du livre des Proverbes (chap. 10--30, déduction faite de la "couverture" ou de l'"enveloppe" plus récente, chap. 1--9 et 31), il faut compter avec le changement de perspective générale (du polythéisme au monothéisme, pour le dire très vite) qui sépare le sens premier des textes de leur lecture "biblique". De "la volonté des dieux" en quelque sorte globalisée à "la volonté de Dieu", en passant ou non par "la volonté du dieu" (tutélaire, personnel, familial, clanique, royal, en régime monolâtrique ou philosophique p. ex., le seul "dieu" qui compte en tout cas d'un certain point de vue), il y a une évidente continuité de sens et des différences, subtiles ou massives. Reste cependant l'idée qu'une "volonté divine" et une "volonté humaine" peuvent aussi bien se superposer que s'opposer, mais que le passage d'une "position" à l'autre demeure mystérieux (conversion, soumission, capitulation, abdication, mortification, crucifixion de la "volonté humaine" au profit de la "volonté divine", ou bien manipulation parfaitement insensible, indolore, inconsciente, de celle-là par celle-ci, de Genèse 50,20 à Romains 11,32 p. ex. -- modèles logiquement contradictoires qui pourtant ne s'excluent pas dans les textes).
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeSam 12 Sep 2020, 20:43

D'autres au contraire transposent avec insistance sur Dieu les mille et une interdictions qui se sont cristallisées en eux durant leur enfance. Ils obéissent scrupuleusement à cette instance d'interdiction inconsciente que Freud a appelé le "surmoi". Ils l'assimilent tout simplement à "la volonté de Dieu". Lorsqu'ils enfreignent cette petite voix intérieure et spontanée qui leur enjoint de faire ceci ou de ne pas faire cela, Ils se sentent coupables. Ils pensent alors avoir "péché" contre Dieu lui-même. Ils craignent de façon excessive le péché mortel, le jugement divin, la punition éternelle... Ils font ce qu'ils pensent être la volonté de Dieu, mais ils lui obéissent par crainte de ne plus être aimés de lui. Ils ne se rendent pas compte qu'ils reproduisent ainsi à son égard l'attitude de l'enfant qui obéit à ses parents par peur de perdre leur amour et d'être puni. 

Paul y déploie le dessein de salut que Dieu a fixé dans les cieux dès avant la fondation du monde et qu'il a révélé en Jésus-Christ :
Citation :
[9.] Nous faisant connaître le mystère de sa volonté, selon son bon plaisir qu'il a d'avance arrêté en lui-même.
[10.] pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre.
[11.] En lui aussi, nous avons reçu notre part : suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinés pour être à la louange de sa gloire ceux qui ont d'avance espéré dans le Christ.
Dans un texte comme celui-ci, "la volonté de Dieu" (θέλημα αὐτοῦ ; Βουλή τοvouloir - vouloir, etc. - Page 2 Img-1 θέλήματος αύτοῦ) est pratiquement identique à son "bon plaisir" (εύδοκία) ou à son "projet" (πρόθτσις). Il est impossible de séparer nettement les notions si fortement unies l'une à l'autre. Elles dessinent le même champ sémantique.

Or, "la volonté" que Dieu a fixée en lui de toute éternité est de "récapituler l'univers entier dans le Christ". En lui, ce dessein est déjà réalisé, mais il ne l'est pas encore pour nous. Voilà pourquoi Dieu conduit "les temps" à leur accomplissement. La détermination historique concrète de ce projet n'est autre que "le Christ lui-même et l'Eglise issue de lui"
https://books.openedition.org/pusl/19249?lang=fr
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeVen 25 Sep 2020, 12:32

Au vrai, dans ces trois situations, l'auteur biblique est prophète au sens large. Même l'historien, déchiffrant après coup la griffe divine dans les événements (post eventum), y compris lorsqu'ils sont désastreux, et prenant l'audace d'attribuer à Dieu le détail des circonstances, se fonde sur l'assurance qu'il participe au Conseil divin. Et telle est bien l’une des définitions du prophète : « En vérité, le Seigneur ne fait rien qu'il n'ait révélé son dessein à ses serviteurs les prophètes » (Am 3,7).
7A cet égard, la situation des historiens de l'Ancien Testament et du Nouveau n'est pas fondamentalement différente. Luc, auteur d'une histoire comportant l’Évangile et les Actes, et l'auteur de l'Apocalypse johannique édifient leurs œuvres respectives au départ de la même foi en un dessein prévenant de Dieu sur l'histoire. https://books.openedition.org/pusl/19240
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 28 Sep 2020, 21:20

free a écrit:
A cet égard, la situation des historiens de l'Ancien Testament et du Nouveau n'est pas fondamentalement différente. Luc, auteur d'une histoire comportant l’Évangile et les Actes, et l'auteur de l'Apocalypse johannique édifient leurs œuvres respectives au départ de la même foi en un dessein prévenant de Dieu sur l'histoire.

Ce paragraphe me met mal à l'aise et ce parce que Luc déclare précisément au début de son Evangile :

1Plusieurs personnes ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont passés parmi nous, 2d’après ce que nous ont transmis ceux qui en ont été les témoins oculaires depuis le début et qui sont devenus des serviteurs de la Parole de Dieu.
3J’ai donc décidé à mon tour de m’informer soigneusement sur tout ce qui est arrivé depuis le commencement, et de te l’exposer par écrit de manière suivie, très honorable Théophile  ; 4ainsi, tu pourras reconnaître l’entière véracité des enseignements que tu as reçus.
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 13 Oct 2020, 14:26

Le rapport de la "volonté" (intention, etc.) à la "vérité" (historique par exemple) est complexe et retors (cf. notamment Nietzsche, Généalogie de la morale): la vérité est en principe ce qui échappe à toute volonté, ce contre quoi aucune volonté ne peut rien, et pourtant nulle "vérité" (ou contre-vérité) ne serait jamais atteinte ni produite sans une volonté qui simultanément la compromet en tant que telle.

Le concept de "volonté de Dieu" me semble surtout servir à articuler tant bien que mal une pensée de l'invariant ("Dieu" conçu comme éternel et immuable, au même titre que l'être, l'un ou le tout comme fond sans fond ou horizon fixe de toute pensée) à l'expérience d'un réel qui est précisément variable (temps, changement, mouvement, devenir, histoire, événement): ce qui en logique ne va jamais sans négation ni contradiction (problématique de la première philosophie grecque, de Parménide à Platon: le non-étant n'est pas, le changement est donc impensable, mais puisqu'il y en a il faut bien que le non-étant soit de quelque façon). En régime monothéiste, pour qu'il se passe quoi que ce soit il faudrait que "Dieu" (selon cette conception absolue de "Dieu") le veuille, pour le vouloir il faudrait qu'il n'ait pas toujours ce qu'il veut, que quelque chose lui manque, que d'autres volontés diffèrent de la sienne, s'y opposent ou y résistent, et ainsi de suite. Conditions impensables mais nécessaires à toute "histoire".
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Oct 2020, 11:34

"car Dieu agit parmi vous, il vous rend capables de vouloir et de réaliser ce qui est conforme à son propre plan" (Ph 2,13) NBS

"car c’est Dieu qui fait en vous et le vouloir et le faire selon son dessein bienveillant" (TOB)

La NBS semble insister sur la capacité que communique Dieu, alors que la TOB met en évidence l'action de Dieu à travers l'homme. 

Je ne sais pas si nous avons déjà cité Es 26,12 : "Seigneur, tu nous donnes l'essentiel, car c'est toi qui as mené à bien pour nous tout ce que nous avons entrepris".
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeMar 27 Oct 2020, 12:04

Chez moi, la NBS se lit ainsi: "car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire selon son bon plaisir."

En fait c'est le même verbe en-ergeô (d'où "énergie"; apparenté à ergon, "oeuvre", terme-clé du paulinisme, d'où le choix d'"opérer"; une traduction philosophique préférerait "agir", d'après l'opposition notamment aristotélicienne de la dunamis et de l'energeia, en latin potentia et actus, en français classique "puissance" et "acte": cf. les couples "en puissance" vs. "en acte", "potentiel" vs. "actuel" dans la langue philosophique) qui se répète (sur ce point la TOB est plus juste qui répète le verbe "faire"). Mot-à-mot, "car c'est le dieu qui opère en vous le vouloir (to thelein) et l'opérer (ou: qui oeuvre en vous le vouloir et l'oeuvrer, qui agit en vous le vouloir et l'agir), pour le bon-plaisir (eudokia, sans possessif, qu'on peut aussi traduire par approbation ou agrément)". La traduction ("fonctionnelle" ou "dynamique") que tu cites, quelle qu'elle soit, est très loin du texte.

Il faut bien sûr rattacher cette proposition à celle qui la précède et qu'elle explique ou justifie ("car"), où l'on trouve déjà un verbe apparenté, kat-ergazomai: "Mettez en oeuvre votre salut avec crainte et tremblement (NBS), car c'est le dieu qui oeuvre en vous le vouloir et l'oeuvrer", si l'on veut jouer au maximum l'effet de répétition.

On peut sans doute voir en Isaïe 26 une idée analogue, malgré la différence de contexte (le passage paraît de toute façon confus et/ou hétéroclite): l'hébreu, lui, ne répète pas mais alterne des quasi-synonymes (`sh et p`l pour "faire": toutes nos oeuvres tu [les] as fait[es] pour nous), et le grec (LXX) est on ne peut plus vague ("tu nous as tout donné"), ce qui rend assez improbable une réminiscence de ce texte en Philippiens. (Là encore, la bible que tu cites est pour le moins fantaisiste: "l'essentiel" pour shalom ?)
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MessageSujet: Re: vouloir, etc.   vouloir - vouloir, etc. - Page 2 Icon_minitimeLun 09 Aoû 2021, 14:00

Mes relectures de Nietzsche m'ont ramené à ce fil que j'avais en partie oublié (plus c'est récent moins je m'en souviens, symptôme commun de l'âge), et que j'ai du coup relu avec un certain intérêt.

Le "vouloir", qu'on le distingue ou non, en amont, d'une "cause" ou d'un "sujet" et, en aval, d'un "effet" ou d'un "acte" (exemplairement "la volonté de Dieu" ou le "Dieu-volonté", voir supra), ne se pense guère que comme un "événement" (ça aussi nous l'avons dit ici, p. ex. 2-3.9.2020), dans l'analogie physique d'un "mouvement" qui implique pour nous "temps" et "espace", à tout le moins l'espace du temps nécessaire à un "devenir" (on ne peut "vouloir" que ce qui n'est pas, que tel événement advienne, que telle chose devienne autre chose ou même demeure telle qu'elle est, l'avant et l'après temporels sont en tout cas indissociables de la notion même d'un "vouloir"). Or ce mouvement entraîne aussi sa réaction ou son contre-mouvement, parfois possible dans un sens et radicalement impossible dans un autre: "De cela seul même un dieu est empêché, de rendre non advenu ce qui est fait", dit Agathon selon Aristote (Ethique à Nicomaque, VI, ii, 1139b). Problématique illustrée dans la Bible, sinon pensée comme telle, par les repentirs, regrets ou changements d'avis de Yahvé (qui sont aussi, curieusement pour nous, des "consolations"). A cet égard le "repos" (ou sabbat) de "Dieu" au terme de la "semaine de création" (Genèse 2,1ss), avec ses innombrables méditations ultérieures (de l'épître aux Hébreux "médio-platonicienne" à maître Eckhart p. ex., en passant ou non par la "gnose") me paraît hautement significatif -- comme si par son "repos" "Dieu" retournait en-deçà, non seulement de tout "acte" mais de toute "volonté"; en-deçà de "Dieu" même pour autant que "Dieu" est indissociable d'une "volonté". ("Repos" et "consolation", nwh/nhm, c'est aussi ce qui se joue dans le nom de "Noé" dès Genèse 5.)

(Nietzsche à sa façon se débat continuellement avec le même problème, notamment dans Zarathoustra: la "volonté de puissance" achoppe sur le passé qu'elle ne peut pas changer, il lui faudrait le vouloir comme on veut un avenir, donc sur le mode de l'"éternel retour"; mais alors vouloir aussi indéfiniment, au nom du "surhomme" ou de l'"ultrahumain", tout "l'humain-trop-humain", jusqu'au "dernier homme", que le "surhomme" ou "ultrahumain" est censé dépasser, d'où l'accablement de Zarathoustra. La notion même de "volonté de puissance", qui émerge au départ comme modification de la "volonté" schopenhauerienne, en devient souvent une "contre-volonté", à l'opposé de toute "volonté" particulière, voire une négation de toute "volonté" qui s'opposera encore, au bout de la Généalogie de la morale, à la "volonté de néant" du "dernier homme". Pensée extraordinairement complexe qui foisonne en énoncés formellement contradictoires, où même le nazisme a pu trouver ce qui l'arrangeait à condition d'ignorer le reste.)
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