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| vouloir, etc. | |
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Narkissos
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| Sujet: vouloir, etc. Mer 26 Aoû 2020, 11:26 | |
| Un bref échange d'hier m'incite à prolonger ici la réflexion, ou plus exactement l'expression de ma perplexité. La notion de volonté, avec toutes celles qui l'environnent et dont en principe elle se distingue -- désir, plaisir, affection, inclination, tendance, habitude, sentiment, émotion, passion, motivation, réaction, réflexe, raison, calcul, intention, projet, décision, résolution, détermination, choix, liberté... -- me semble devenue, dans la "modernité", à la fois centrale et infiniment problématique. Savoir ce qu'on veut, et ce que c'est que vouloir, cela paraissait aller de soi pour l'Antiquité et le moyen-âge (je pense à saint Augustin à la frontière des deux "époques", pour qui le concept de voluntas est crucial et apparemment ferme), alors même que l'usage du vouloir était bien plus limité pour le commun des mortels. Plus la volonté (et la liberté qu'elle suppose) est apparue comme essentielle (depuis la Renaissance, l'humanisme et les Réformes, cf. les débats du "libre-arbitre" et du "serf-arbitre" entre Erasme et Luther, mais encore plus sensiblement aux XVIIIe et XIXe siècles, selon une trajectoire qui irait de Kant à Nietzsche en passant notamment par Schelling, Hegel et Schopenhauer), plus sa définition et son concept mêmes se sont volatilisés, le coup de grâce étant sans doute porté par Freud et sa découverte de l'"inconscient" qui faisait voler en éclats l'unité présumée indivisible d'un "moi" ou d'un "je" sujet, simplement susceptible de "volonté" univoque et donc de "liberté". Bref, tout se passe comme si nous ne savions plus du tout ce que pourrait bien être une "volonté" alors que nous nous y référons quotidiennement, pour les choses les plus banales comme pour les plus sérieuses. Comme si, plus ou moins consciemment, il ne s'agissait plus pour nous que d'une fiction psychologiquement, socialement, juridiquement et politiquement nécessaire. Comme pour bien des notions dites "abstraites", il n'y a pas en hébreu classique, autrement dit biblique, de mot spécifique et distinct pour une "volonté". Bien sûr les traductions utilisent quelquefois le substantif "volonté" et plus souvent le verbe " vouloir", mais pour des termes qui signifient aussi (du point de vue du lexique français) d'autres choses, le désir, l'agrément, l'ordre, le projet, etc. C'est en grec que les concepts se distinguent, avec thelô et thelèma d'une part qui correspondent à peu près à notre idée de "volonté" (cf. l'abbaye de Thélème chez Rabelais, dont la devise "Fay ce que vouldras" reprend à sa façon le quod vis fac d'Augustin), bouleuô d'autre part qui signifie plutôt délibérer ou décider, que ce soit collectivement (conseil, assemblée) ou individuellement (par transposition du même procédé délibératif et décisif sur la scène du "for intérieur"). Ce dernier terme étant néanmoins cousin du latin volo, voluntas d'où dérive notre propre vocabulaire de la volonté. Un tel thème convoquerait une multitude de textes. Ceux qui me viennent en premier à l'esprit, ce sont les questions adressées à la volonté dans les évangiles (que veux-tu, que voulez-vous, si tu le veux, etc.; emblématiquement celle posée à tel aveugle et devenue proverbiale en français: demander à un aveugle s'il veut voir). Comme si la "volonté" devait être interrogée, défiée ou sollicitée. Non loin de là, même si le mot n'y apparaît pas, le thème de la "foi" ou de la "prière" efficaces qui me semblent poser de façon particulièrement aiguë la question de la "volonté" -- comme "l'éternel retour" nietzschéen corollaire de la "volonté de puissance": que voudrait-on, au juste, si l'on était sûr que ce qu'on croit ou demande se réalisera -- et/ou si cela devait se reproduire indéfiniment ? Dans les deux cas une certaine "foi", ou "croyance", serait nécessaire pour " vouloir", et surtout pour savoir ce qu'on veut (ou pas). Dans un autre sens peut-être, mais pas très éloigné, l'opposition et l'éventuelle soumission d'une "volonté" humaine à une "volonté" divine (du Notre Père à Gethsémani/é), que le paulinisme problématise d'une façon analogue et pourtant différente (emblématiquement Philippiens 2,13, c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire).
Dernière édition par Narkissos le Mer 26 Aoû 2020, 12:12, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Mer 26 Aoû 2020, 12:10 | |
| "Jésus s'arrêta et dit : Appelez-le. Ils appelèrent l'aveugle en lui disant : Courage ! Lève-toi, il t'appelle ! Il jeta son vêtement, se leva d'un bond et vint vers Jésus. Jésus lui demanda : Que veux-tu que je fasse pour toi ? — Rabbouni, lui dit l'aveugle, que je retrouve la vue ! Jésus lui dit : Va, ta foi t'a sauvé. Aussitôt il retrouva la vue et se mit à le suivre sur le chemin" (Marc 10,49-52).
"Que veux-tu que je fasse pour toi ?", la question de Jésus parait être quelque peu déconcertante mais elle témoigne (peut-être) du fait que rien ne peut se passer dans notre vie, de positif ou de négatif, sans que notre volonté intervienne, il faut vraiment "vouloir" une chose pour qu'elle se produise, ce qui implique, dans certaine mesure, notre responsabilité. Dans le même temps, la réponse de l'aveugle n'est aussi évidente que ce que l'on ne pourrait le penser, parce qu’elle le mettait au pied du mur de ses désirs et d’une réelle volonté de vivre, peut-être défaillante. Le Jésus de ce récit concevait (peut-être) l'idée que cet aveugle ne veuille pas (obligatoirement) retrouver la vue. Nous pouvons imaginer que cet aveugle avait pu développer une nouvelle manière d’être au monde en ayant trouver une force d’adaptation. Notons que ce "vouloir" de l'aveugle témoigne d'une foi qui sauve. |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Mer 26 Aoû 2020, 14:32 | |
| En effet, contrairement à un certain bon sens (myope sinon aveugle), il ne va pas de soi qu'un aveugle veuille voir, ni un malade ou un infirme guérir de quoi que ce soit (cf. les élaborations johanniques de Jean 5 et 9 notamment; et la fin de La voie lactée de Buñuel, où l'aveugle guéri qui se met à suivre Jésus avec les disciples est le seul à se casser la figure dans l'indifférence générale, précisément parce qu'il ne sait pas marcher d'après la vue). Dans Marc en tout cas, ce dernier "miracle positif" (à la différence du figuier du chapitre suivant) fait écho ("inclusion") au premier (1,40ss, le lépreux), où c'était la volonté de Jésus qui était sollicitée (si tu veux / je le veux; comme on sait, les manuscrits varient quant à la tonalité affective de la réponse, entre compassion et irritation). |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Mer 26 Aoû 2020, 14:56 | |
| Le récit ne raconte pas le miracle, il n'explique pas comment Jésus a procédé pour guérir l'aveugle, par quel geste, par quelle manipulation, par quelle parole Bartimée a-t-il retrouvé la vue. Le vrai miracle c'est de voir Bartimée passer d’un statut d’objet, il est posé là, au bord du chemin (v46) comme un objet à celui d'homme qui exprime une volonté ou un vouloir, c’est un homme debout sur le chemin qui va suivre Jésus, acteur de sa vie. |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Mer 26 Aoû 2020, 15:38 | |
| Formellement, ce n'est même pas la parole de Jésus qui produit la guérison, puisqu'elle se contente de constater: "Ta foi t'a sauvé." (Cf. déjà 5,34 et 2,5; 7,29 etc.) Cela contraste en effet avec la tendance à la difficulté croissante des miracles qu'on a pu observer jusque-là dans Marc -- le plus laborieux étant au chapitre précédent, au retour de la Transfiguration (cf. ici). Un commentaire psychologique possible serait qu'une "volonté" -- quoi qu'on entende exactement par là -- se construit à plusieurs, dans un dialogue et une interaction impliquant appel et réponse, vocation, invocation, convocation, provocation en l'occurrence: on ne "voudrait" rien tout seul, on pourrait dire de la volonté ce que Jaspers disait de la vérité, qu'elle commence à deux -- même si cela diffère passablement du concept moderne usuel (et insaisissable) de volonté strictement individuelle, idéalement dépourvue de toute influence et de toute sollicitation. Sur un plan plus exégétique, par opposition au premier miracle, on pourrait suggérer aussi que la volonté du miraculé prend la relève de celle du thaumaturge, dans une série de "passages de relais" en divers sens qui s'étend du début de l'évangile (de Jean-Baptiste à Jésus, de Jésus aux apôtres envoyés en mission, double pléonasme) au récit de la Passion (cf. déjà le nom de Jésus qui opère sans lui et sans les disciples, et plutôt mieux que par eux, à la fin du chapitre précédent). |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Jeu 27 Aoû 2020, 10:28 | |
| En fait, le paradoxe n’est qu’apparent, tout est dans les mots : mettre en oeuvre son salut plutôt que travailler à se le gagner (on ne travaille pas plus pour gagner plus son salut, si cela peut éventuellement fonctionner en matière de développement économique, en matière de développement spirituel un esprit protestant en réfutera toujours l’idée au nom de la grâce première). Le « faire » ou les « oeuvres » ne sont que la réponse à l’assurance préalable reçue.
- “car c'est Dieu qui fait en vous et le vouloir et le faire “ :
Si tu veux, tu peux. Vouloir c’est pouvoir. Tu n’as pas de volonté Si tu avais de la volonté tu pourrais y arriver.
Ah la volonté ! Celle qui nous permet de nous lever le matin pour nous mettre au travail, celle qui aide le fumeur à s’arrêter, l’adepte des régimes à se frustrer, le pasteur à faire ses visites, le fidèle à venir au culte et … Cette volonté que nous prions Dieu régulièrement de nous donner comme nos aïeux priaient le ciel de faire tomber la pluie. Mais la volonté n’est pas un objet dont certains seraient pourvus et d’autres en manqueraient, dont nous pourrions nous emparer pour changer le cours de nos existences. Sacrée volonté que nous n’arrivons pas à dompter, ou que nous prétendons pouvoir dompter. Mais la foi n’est pas affaire de volonté. Elle est même tout son contraire. Nietzsche, qui est certainement celui qui a le mieux compris le christianisme, a écrit : la volonté de puissance, prenant avec finesse le contre-pied de la pensée chrétienne. Dévoilant, par là, l’absurde de cette quête d’autoréalisation de l’homme par l’homme. Qui est la plante, qui est la source ? Nous sommes la plante. La plante ne peut s’arroser elle-même. Mais la plante humaine est dotée de l’intelligence et de la capacité à se mouvoir vers la source. S’il est une volonté, elle n’est autre que dans la présence de Dieu en nous. Présence qui à la fois donne la tranquille assurance et la nécessaire inquiétude qui nous mènera vers la source. (Philippiens 2, 12-13 Jean-Mathieu Thallinger Dimanche 26 octobre réformation) |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Jeu 27 Aoû 2020, 11:50 | |
| (Je lisais ou relisais cet été les poèmes d'Alvaro de Campos -- hétéronyme de Pessoa -- qui expriment formidablement cette désertion de la "volonté", sur laquelle Cioran aussi a beaucoup médité.)
Si volonté il y a elle n'est pas individuelle, propriété privée au sens exclusif du terme; si on en trouve "en soi" elle vient de plus loin que "soi", et la "liberté" corollaire est tout sauf une "autonomie", à moins d'entendre aussi ce dernier mot dans un sens plus profond que d'ordinaire, comme "loi en soi", non imposée de l'extérieur (hétéronomie) mais dont aucun "soi" ne serait l'origine absolue pour autant -- au fond ce thème est aussi vieux que la pensée, avec ou sans vocabulaire spécifique de la "volonté".
Mais ce que dit plus particulièrement la "volonté" de cette "in-dépendance" paradoxale (à supposer qu'un trait d'union suffise à faire sentir la coïncidence d'une "dépendance" et de son contraire), c'est qu'elle ne s'éprouve que dans la différence et notamment dans l'antagonisme des "volontés". S'il y a une "volonté" c'est qu'il y en a toujours plus d'une, et que des "volontés" divergent et convergent, se gênent, se heurtent, se dominent, se soumettent ou se combinent. Il est vrai que le christianisme a surtout retenu le schème de la soumission, voire de l'abdication d'une volonté (humaine) à une autre (divine), même si celle-ci n'est justement pas étrangère (tout autre et tout autre qu'un[e] autre, comme dirait l'autre). C'en est un moment essentiel sans doute, à condition de ne pas être le seul -- la fameuse "agonie" (agônia, selon Luc 22,44) de Gethsémané, comme son nom grec l'indique, est aussi une lutte (agôn) de "volonté(s)", où "ce que je veux" ne se confond pas d'emblée avec "ce que tu veux". |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Jeu 27 Aoû 2020, 13:03 | |
| "Il partit de là et s'en alla dans le territoire de Tyr. Il entra dans une maison ; il voulait que personne ne le sache, mais il ne put rester caché. Car une femme dont la fille avait un esprit impur entendit aussitôt parler de lui et vint se jeter à ses pieds. Cette femme était grecque, d'origine syro-phénicienne. Elle lui demandait de chasser le démon de sa fille. Il lui disait : Laisse d'abord les enfants se rassasier, car ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens. Mais elle lui répond : Seigneur, les chiens sous la table mangent bien les miettes des enfants... Il lui dit : A cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. Quand elle rentra chez elle, elle trouva l'enfant étendue sur le lit : le démon était sorti" (Mc 7,24-30).
Jésus est venu dans le territoire de Tyr, il entre dans une maison, "Mais il ne voulait pas qu'on le sache". Jésus tient à rester discret. Mais, constate le récit, "il ne put rester ignoré”(TOB). Un événement, inattendu, imprévisible, advient ... "Tout de suite, une femme dont la fille avait un esprit impur entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds", le récit poursuit : "Elle demandait à Jésus de chasser le démon hors de sa fille", or Jésus s'était fixé une ligne de conduite, celle de chasser les démons uniquement en faveur de son peuple, en territoire juif, d'ailleurs Jésus précise : "ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens". La femme n'accepte pas pour autant la volonté de Jésus. Elle insiste dans son désir ("des miettes") de voir Jésus guérir sa fille. Face à cette attitude, Jésus laisse sa volonté infléchir et accepter de faire un miracle qui n'était pas prévu au départ et qui ne correspondait pas à sa volonté. "A cause de cette parole", Jésus change son regard sur cette femme, sur lui-même.
Cette femme commence à réaliser la volonté de Dieu lorsqu'elle exprime sa vérité et son désir avec insistance. Elle devient pleinement elle-même lorsqu'elle résiste à la première volonté de Jésus. |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Jeu 27 Aoû 2020, 14:50 | |
| Marc suppose et/ou construit en effet un Jésus qui ne sait pas forcément ce qu'il veut (et pas davantage ce qu'il doit faire, ni ce qui l'attend à court ou moyen terme, mais restons-en à notre thème), dont la "volonté" se détermine par rapport à (en fonction de, en interaction avec) celle des autres. Ce qui paraît choquant dans cette image sera atténué dans des sens différents par Matthieu et par Luc, et complètement renversé par Jean, qui ironise même (chapitre 12) sur l'"agonie" de Gethsémané, encore que le renversement complet de l'image lui ressemble finalement davantage tout en la déplaçant: le Christ johannique, parfaitement maître et soumis en-deçà et au-delà de tout conflit, ressemble seulement plus à l'"Esprit" de Marc qu'à son "Jésus".
En marge, le thème plutôt comique du "secret" marcien (que je ne dirais pas exactement "messianique") systématiquement éventé par les esprits impurs, les miraculés ou les témoins des scènes illustre à peu près la même chose: la "volonté" de Jésus, par exemple de rester caché, n'est ni celle de l'Esprit ni celle du narrateur, qui exploite abondamment les désobéissances aux injonctions de silence et leur échec en général. |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Jeu 27 Aoû 2020, 16:25 | |
| La volonté de Dieu se réalise et se communique lorsque la divinité accepte la rencontre et le dialogue, ainsi certains récit nous dépeignent un Christ qui écoute l'autre, entre dans son désir et qui accueille la parole de l'autre, se laisse transformer par elle. Jésus accueille la parole des disciples qui lui parlent de la belle-mère de Simon (Mc 1,30) ; il reprend à son compte la parole d'un lépreux (Mc 1,40 "Si tu le veux, tu peux me rendre pur") et aide Bartimée à exprimer son désir (Mc 10,51). Nous sommes loin d'une divinité dont nous devrions réaliser la volonté sans exister nous-mêmes. - Citation :
- Plus la volonté (et la liberté qu'elle suppose) est apparue comme essentielle (depuis la Renaissance, l'humanisme et les Réformes, cf. les débats du "libre-arbitre" et du "serf-arbitre" entre Erasme et Luther, mais encore plus sensiblement aux XVIIIe et XIXe siècles, selon une trajectoire qui irait de Kant à Nietzsche en passant notamment par Schelling, Hegel et Schopenhauer), sa définition et son concept mêmes se sont volatilisés, le coup de grâce étant sans doute porté par Freud et sa découverte de l'"inconscient" qui faisait voler en éclats l'unité présumée indivisible d'un "moi" ou d'un "je" sujet, simplement susceptible de "volonté" univoque et donc de "liberté".
En bref, la « foi » n’est pas seulement d’ordre intellectuel ou représentatif, ce n’est pas seulement un ensemble de jugements, c’est une typologie pulsionnelle, un état (morbide) du corps, un syndrome pathologique qui prend son origine dans la faiblesse. Ainsi, « l’homme de conviction a la foi pour épine dorsale » (L’Antéchrist, § 54). La foi ressortit au corps faible qui a besoin de l’esclavage comme « la seule et ultime condition dans laquelle prospère l’être humain de volonté faible » (ibid.).
On voit bien qu’il ne s’agit pas, pour Nietzsche, de contredire un argument, mais de passer du plan de l’argumentation logique à une enquête généalogique (psychologique) consistant en quelque sorte à fonder le syllogisme ou le jugement synthétique a priori liant foi et béatitude, non plus sur un rapport rationnel et logique, mais sur la force [Kraft] de l’illusion, sur une charge pulsionnelle, sur la volonté de puissance. C’est ce que signifie la transcription par Nietzsche de la prétendue liaison entre foi et béatitude : « La preuve par le “plaisir” est une preuve du “plaisir” – un point c’est tout. » Autrement dit : à l’origine d’un raisonnement, il n’y a pas la raison, mais le désir. Et, si ce dernier est déconnecté de la réalité, sa vérité consiste à inventer un monde où le désir serait roi, où les choses correspondraient au désir humain, où les jugements « vrais » seraient ceux qui correspondraient au désir, un univers où « le vrai monde » (EH, Préface, § 2) inventé par le désir se substituerait à la réalité. Tel est le sens de la curieuse idée, à première vue assez énigmatique, de Nietzsche selon laquelle le christianisme – et, avec lui, tout l’idéalisme – est une sorte d’épicurisme (An, § 30). https://www.cairn.info/revue-philosophique-2006-4-page-421.htm |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Jeu 27 Aoû 2020, 19:46 | |
| A mon avis c'est un peu plus complexe et retors que ça: d'une part l'affinité (différenciée) que Nietzsche décèle entre épicurisme, bouddhisme et christianisme est aussi et surtout du côté du non-vouloir, ou du moindre vouloir (ne pas vouloir pour ne pas souffrir, moins vouloir pour moins souffrir, voire, dans un tour de réflexion ou de perversion supplémentaire, vouloir souffrir pour ne pas souffrir la souffrance comme telle, c.-à-d. comme soufferte = subie-pâtie et non-voulue, quitte à se l'infliger [à] soi-même); d'autre part la "foi" est aussi requise dans des dispositifs tout à fait opposés au christianisme en apparence, comme l'"idéal ascétique" rationnel et scientifique qui dépend d'une foi en la vérité et en la valeur de celle-ci (cf. Généalogie de la morale); même la "volonté de puissance" nietzschéenne implique une certaine "foi", par exemple en "l'éternel retour", si elle n'en est pas simplement équivalente (car l'opposition superficielle de la "volonté de puissance" à la "foi" paulino-luthérienne peut aussi cacher une parenté profonde des deux concepts). |
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Ven 28 Aoû 2020, 12:03 | |
| - Citation :
- Dans un autre sens peut-être, mais pas très éloigné, l'opposition et l'éventuelle soumission d'une "volonté" humaine à une "volonté" divine (du Notre Père à Gethsémani/é), que le paulinisme problématise d'une façon analogue et pourtant différente (emblématiquement Philippiens 2,13, c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire).
Suivant Celse, Jésus ne peut en même temps être libre et prédire sa mort inéluctable, mourir et être immortel. Comment concevoir qu'un être humain qualifié de Dieu se trouve pris dans ce filet de contradictions entre une volonté qui, si elle est vraiment divine, ne peut que se réaliser, et une décision d'homme qui, se soumettant à cette volonté, n'a plus rien d'humain ? De surcroît, ajoute Celse, si Jésus, comme l'affirment les chrétiens, se livre à la mort en connaissance de cause et en obéissant à son Père, "pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière :'Père, si ce calice pouvait s'éloigner' ?C. Le désir de vivre n'est pas la volonté de se sauverLa prière parle de l'heure et de la coupe : ces deux images en accentuent la portée eschatologique, dans la mesure où elles sont évocatrices, dans les Ecritures et les traditions bibliques, des temps de la fin et de l’épreuve de la mort0. Mais l’évangile dépouille ici ces images de leurs connotations spectaculaires. Il les rend discrètes, en quelque sorte, pour laisser apparaître le désir messianique, qui n'est pas désir de mort : "Il prie pour que, si c'est possible, passe loin de lui l’heure" ; "emporte cette coupe loin de moi". Dans la précarité même de sa condition, l'esprit de l'homme est encore désir de vivre. "L'esprit est ardent, la chair, elle, sans force", entendront les disciples (v.38) : l'épreuve, alors, en laquelle il ne faut pas venir, serait d'exténuer l'esprit en imaginant à la chair une puissance qu'elle n'a pas. L'esprit est désir, dans la chair telle qu'elle est. Et la figure messianique du désir a les contours d'une prière qui peut en supporter la force dans la faiblesse, là même où l'angoisse demande l'éloignement de l'heure.En même temps, dire cela, ce n'est pas faire taire le désir de vivre, ni l'angoisse de mourir : "Emporte cette coupe loin de moi". Réduire cela au silence, ce serait précisément amputer l’homme de son humanité, faire de lui l'objet d'une volonté ne pouvant vouloir que sa mort. En ne cédant pas sur le désir qui porte sa prière, le Christ trace la voie conduisant hors de toute confusion entre une telle volonté de mort, la volonté de Dieu et la sienne. Il accède par là au dernier seuil de sa prière. Une fois encore, le dépouillement des images. Celles de l'homme, cette fois, quand l'image lui fait tenir son désir de vivre pour la puissance de se faire vivre. Le désir de vivre, confondu avec la volonté de se donner à soi-même la vie. Si c'est cela qu'on a cru entendre dans la parole sur la coupe, l'évangile s'en écarte : "Mais non ce que moi je veux...". De ce qu’il veut, le Messie ne fait pas un absolu, qui serait censé l'emporter sur la mort. C'est ici que s'atteste la liberté messianique : elle est autre que la volonté de se sauver (cf. Marc 8,35 et 15, 30), autre aussi que la volonté de se perdre. Mais cette liberté se trouve là où l'homme peut ne pas résister à la mort, sans que Dieu renonce à le vouloir vivant. Là où la vie donnée n'est autre que la vie reçue. "Sa non-résistance à la mort, écrit P. Beauchamp, est, dans son fond, certitude d'être porté jusqu'au bout par l'origine, le Père donneur de vie. (...) Il croit sans aucune figure à l'origine de la vie qui veut, dans l'absence d'appui, lui faire traverser la nuit"."Mais non ce que moi je veux, mais ce que toi..." : parvenu ici, le récit maintient un suspens, car il n'écrit pas "tu veux". Le dernier mot de la prière rappelle ainsi le premier, la laissant ainsi entièrement ouverte, depuis sa source et vers elle. De la source vient le désir que l'humain vive ; la source est ainsi l'avenir d'une liberté qui, sans connivence avec ce qui fait mourir l'homme, atteste la vie comme don là même où sa perte consentie libère de la volonté de se sauver. C'est pourquoi, en ultime instance, Gethsémani se tient entre le récit d'Abraham et Isaac au Mont Moriah (Genèse 22) et celui de la croix. Entre la parole divine arrêtant la main d'Abraham lancée sur le fils, et les paroles humaines appelant Jésus à descendre de la croix (Marc 15, 30), il y a place pour la parole messianique et filiale, face au silence de l'origine. Entre l'absence de parole humaine délivrant Isaac, et l'absence de parole divine délivrant Jésus, la liberté messianique se situe là où l'humain renonce à se servir de Dieu pour se sauver, et où Dieu ne renonce pas à donner vie à l’humain en son épreuve extrême. https://books.openedition.org/pusl/19252?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: vouloir, etc. Ven 28 Aoû 2020, 14:04 | |
| Lecture fort intéressante, et beaucoup plus attentive au texte (de Marc), aussi bien dans le détail (p. ex. sur l'apocope ou l'élision du "vouloir" divin en 14,36) que dans son économie globale (p. ex. Transfiguration / Gethsémani), que ne le laissaient craindre les généralités introductives.
Tout dire est un tissu de contradictions qui ne se contredisent pas vraiment, de fausses antithèses ou d'antagonismes approximatifs, dont les oppositions ne sont jamais aussi "tranchées" ni "diamétrales" qu'elles s'en donnent l'air -- mais sans simplification abusive il n'y aurait pas de "logique", et sans l'approximation qu'elle recouvre tant bien que mal il n'y aurait pas de "langage". On peut opposer "Dieu" et "l'homme", "la vie" et "la mort", "le bon" et "le mauvais" ou "le vrai" et "le faux" jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que l'un ne va pas sans l'autre et qu'en définitive il n'y a rien à opposer, mais alors rien non plus à en dire.
La "volonté" (divine ou humaine, de vie ou de mort, de bien ou de mal, de vérité ou de mensonge, etc.), avec toutes ses notions connexes (désir etc.) dont elle se distingue sans se distinguer, est dans un sens coextensive au jeu pourvu qu'elle y reste multiple et différenciée, et surtout que le jeu ne s'arrête jamais, sans quoi il n'y aurait plus rien à "vouloir", pas même pour "Dieu" qui y perdrait d'ailleurs tout son sens, relatif et relationnel comme tout le reste. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Ven 28 Aoû 2020, 14:57 | |
| « La volonté de Dieu. Comment la connaître ? Si on fait silence en soi, si on fait taire tous les désirs, toutes les opinions, qu’on pense avec amour, de toute son âme et sans paroles : ‘Que ta volonté soit faire’, ce qu’on sent ensuite sans incertitude devoir faire (quand même, à certains égards, ce serait une erreur) est la volonté de Dieu. Car si on lui demande du pain, il ne donne pas des pierres. » - Simone WEIL, La pesanteur et la grâce |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Ven 28 Aoû 2020, 16:39 | |
| Avec les contradictions et les oppositions factices on ne peut que jouer, par exemple en glissant subrepticement du régime de l'alternative, exclusive et absolue (oui ou non, tout ou rien, ou bien Dieu ou bien l'homme, ou bien l'Esprit ou bien la chair, etc.) à celui, toujours binaire mais relatif, du rapport ou de la proportion inverse (plus de l'un => moins de l'autre, et réciproquement) -- n'empêche que poussée à sa limite cette "logique" s'effondre d'elle-même (je repense encore à cette histoire des enfants qu'on aurait privés de tout contact humain pour qu'ils parlent spontanément la "langue de Dieu", et qui en seraient tous morts -- sans même réfuter, du coup, l'hypothèse au départ de l'expérience). "Strictement" ou "rigoureusement" ça ne veut jamais rien dire (ici penser "sans paroles", deux points, ouvrez les guillemets, "Que ta volonté soit faite" !) mais c'est la "rigueur" ou la "stricture" qui n'ont ni sens ni prise dans ces parages. Peut-être faut-il des effets de surprise, des accidents, excès ou défauts, cris ou silences, répétitions, interruptions, hiatus, lapsus, lacunes, ratés, syncopes, contradictions, non-sens, absurdités, pour que quelque chose parvienne à se faire entendre dans le bavardage permanent des langues qui parlent pour ne rien dire (glossolalie charismatique et méditation orientale marqueraient à cet égard deux pôles opposés et complémentaires, deux façons de déjouer le langage); non pour en dire plus ni moins, seulement pour re-marquer ce qu'il en est de toute parole.
Le problème avec "la volonté de Dieu" (ou "du Père"; Marc qui n'a pas de "Notre Père" n'emploie le substantif thelèma qu'en 3,35), comme avec tous les "attributs" et "facultés" qu'on lui prête (amour, justice, sagesse, etc.), c'est qu'en monothéisme on ne saurait la distinguer de "Dieu" lui-même, de ce qu'il "est", de son "essence" -- et pas davantage, dès lors, de n'importe quel autre "attribut" ou "faculté": la pensée de l'Un l'emporte sur toute différence. il n'y a aucun sens à dire que "Dieu" veut quelque chose, une chose plutôt qu'une autre, c'est une évidence philosophique d'Aristote à Spinoza (peut-être plus claire avec la notion de volonté qu'avec d'autres, pour ce qu'elle implique plus manifestement de temporalité et de manque), et Simone Weil eût été la dernière à la méconnaître. Parler de "volonté de Dieu", cela revient tout au plus à penser "Dieu" comme "volonté" ou "la volonté" comme "Dieu" ("Dieu" ou "volonté" qui ne différeraient nullement de l'"amour", de la "justice" ou de la "sagesse" ramenés au même degré d'unité absolue où tout concept se dissout, faute de pouvoir se distinguer de quoi que ce soit); et accessoirement à entendre ou sous-entendre que toutes les "volontés" particulières, si différentes et contradictoires soient-elles dans leur constitution et leur opération, trouvent là leur unité, leur origine et leur fin, leur fondement et leur abîme, qu'elles en dérivent et y retournent, s'y résorbent ou s'y subsument -- ce qui est aussi une lecture possible de Gethsémani comme du Notre Père. De ce point de vue, soumettre sa volonté ou remettre son esprit à "Dieu", par exemple, ce serait le même geste.
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Cela me fait penser, après coup, à un quasi-synonyme grec et un peu plus "intellectuel" du "vouloir" et de la "volonté" (thelô, thelèma etc.), à savoir phroneô, phronèma etc., qu'on peut traduire approximativement par "pensée", "considération", "intention", et dont l'usage en Romains 8,5ss illustre à merveille la structure d'alternative décrite ci-dessus, avec l'antithèse "chair / esprit" -- je le traduis provisoirement par *penser-vouloir*, en soulignant le jeu de son rapport à l'"être" et au "pouvoir": "Car ceux qui sont selon la chair *pensent-veulent* ce qui est de la chair, et ceux selon l'esprit, ce qui est de l'esprit. Car la *pensée-volonté* de la chair (est) mort, la *pensée-volonté* de l'esprit, vie et paix. Car la *pensée-volonté* de la chair (est) ennemie de dieu, elle ne se soumet pas à la loi du dieu, elle ne le peut même pas. Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à dieu" (cf. aussi v. 27 pour la "*pensée-volonté* de l'esprit; ce texte est naturellement décisif, si l'on peut dire, pour la tradition du "serf-arbitre", de la volonté, de la pensée et de la décision serve ou captive, d'Augustin à Luther, Calvin ou Jansenius). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Lun 31 Aoû 2020, 09:53 | |
| Aime et fais ce que tu veux ! C’est dans cette parole, l’une des plus célèbres, que se résume la morale d’Augustin, à condition de bien l’entendre. Il s’agit de la « dilectio » : un amour désintéressé, dont Dieu nous a aimés et « d’où rien ne peut sortir que de bon ». “ Aime et fais ce que tu veux ! Voici que le Père a livré le Christ et que Judas l’a livré. Leur conduite n’apparaît-elle pas comme assez semblable ? Judas est un traître, le Père est-il donc aussi un traître ? « C’est impensable ! », dis-tu […] Le Père a livré le Fils ; le Fils s’est livré ; Judas l’a livré. Voilà une seule et même action, mais qu’est-ce qui nous permet de [les] distinguer ? […] C’est que le Père et le Fils ont agi par amour ; mais Judas, lui, a agi par trahison. Vous voyez qu’il ne faut pas considérer ce que fait un homme, mais l’esprit, l’intention dans lesquels il agit […] Telle est la force de la charité ! Voyez qu’elle seule peut faire la distinction ; voyez qu’elle seule différencie les actions humaines entre elles […]. https://www.assomption.org/fr/spiritualite/saint-augustin/les-plus-beaux-textes-de-saint-augustin/aime-et-fais-ce-que-tu-veux |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Lun 31 Aoû 2020, 10:39 | |
| J'y faisais trop brièvement allusion dans mon post initial, avec Rabelais (on pourrait également rajouter le sulfureux Crowley, do what thou wilt shall be the whole of the law).
La dilectio augustinienne (de diligo qui évoque le choix, comme electio; elle ne survit plus guère en français que dans "prédilection") n'est en effet ni amor ni caritas, même si ces mots sont pratiquement interchangeables, et elle nous ramène aux confins de l'amour et du vouloir qui se retrouvent d'ailleurs dans pas mal de langues en brouillant les étymologies (te quiero ou ti voglio bene, pour te ou ti amo; querer étant lui-même un dérivé de quaero, "chercher", d'où la "quête", l'"enquête" et la "question", non de carus = cher comme caritas, d'où "chérir", "caresse" etc. -- et malgré la ressemblance to care a encore une tout autre dérivation germanique, distincte de cure). C'est en tout cas une zone sémantique trouble dans beaucoup de langues, où les mots et les concepts ont bien du mal à se distinguer, ou à résister à la (con)fusion générale.
Quant à l'utilisation de la même formule (fais ce que tu veux) sous des plumes si différentes, dans un "sens" identique de l'énoncé malgré les "sens" fortement divergents des discours, elle confirmerait si besoin était que la volonté comme l'amour oriente(nt), sans fonder ou justifier, assurer ou garantir aucune orientation; chacun (l'amour ou la volonté, ou encore n'importe quel "sujet" habité ou régi par l'un et/ou l'autre) sait toujours ce qu'il veut, sans jamais savoir au juste ce qu'il veut -- ni ce que c'est au fond que "vouloir" ou "aimer".
Dernière édition par Narkissos le Lun 31 Aoû 2020, 11:11, édité 1 fois |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Lun 31 Aoû 2020, 11:06 | |
| Pour faire ce qui plaît à Dieu, nous avons besoin de connaître sa volonté. Il nous l’exprime de diverses manières. Par exemple, à travers le Credo et le Catéchisme de l’Église Catholique : « La doctrine chrétienne nous propose clairement les vérités que Dieu veut que nous croyions, les biens qu’il veut que nous espérions, les peines qu’il veut que nous craignions, ce qu’il veut que nous aimions, les commandements qu’il veut que nous fassions et les conseils qu’il désire que nous suivions ; et tout cela s’appelle la volonté signifiée de Dieu, parce qu’il nous a signifié et manifesté qu’il veut et entend que tout cela soit cru, espéré, craint, aimé et pratiqué. » Ce désir de Dieu appelle une réponse libre de notre part : « Il veut que nous puissions résister, il désire que nous ne résistions pas, et permet néanmoins que nous résistions si nous le voulons. Que nous puissions résister, cela dépend de notre naturelle condition et liberté ; Que nous résistions, cela dépend de notre malice ; Que nous ne résistions pas, c’est selon le désir de la divine Bonté. » (François de Sales). http://www.francoisdesales.com/Une-page-du-Traite-de-l-amour-de.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Lun 31 Aoû 2020, 11:44 | |
| On comprend mieux la thématique de saint François de Sales quand on sait ou qu'on apprend (comme je viens de le faire sur Wikipedia !) qu'il fut évêque de Genève, et privé de siège pour cause de calvinisme en son diocèse... En effet, toute cette insistance sur le libre-arbitre et la résistance possible à la grâce est une réplique aux thèses protestantes (et bientôt jansénistes).
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| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Lun 31 Aoû 2020, 13:14 | |
| "Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché ? Jamais de la vie ! Mais je n'ai connu le péché que par la loi. Ainsi, je n'aurais pas su ce qu'était le désir si la loi n'avait pas dit : Tu ne désireras pas. Alors le péché, profitant de l'occasion, a produit en moi, par le commandement, toutes sortes de désirs ; en effet, en dehors de la loi, le péché est mort. Moi, autrefois, en dehors de la loi, je vivais ; mais quand le commandement est venu, le péché a pris vie"(Rm 7,7-9).
Vouloir, c’est d’abord pouvoir désobéir, être tenté de convoiter, c’est déjà la volonté propre que de convoiter, de désirer. C'est la loi de Dieu qui a introduit le désir ou la volonté de l'homme. Une loi s’érige toujours sur la possibilité de sa transgression. Toute loi, même divine, suppose la possibilité l'existence d'une volonté qui résiste à cette loi. La loi de de Dieu laisse une place à la liberté de l’homme qui garde la possibilité d’obéir ou non à cette loi. Ce texte indique que c'est la loi qui a produit la volonté de l’homme que parce qu’elle repose sur la possibilité de la transgression. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Lun 31 Aoû 2020, 16:37 | |
| Chaque mot ("possibilité" non moins que "liberté" ou "volonté") est jeté sur un abîme, toujours le même au fond (et sans fond; d'où peut-être ce curieux besoin, chez les marins, de faire des phrases, comme dirait Audiard ou Francis Blanche dans Les tontons flingueurs). En Romains 7, le "désir" ( epithumeô, epithumia; souvent traduit abusivement par "convoitise", comme pour distinguer un "mauvais désir" d'un "bon" -- ce que ne fait précisément pas le texte qui se contente de l'associer d'une part à la "chair", sarx, et d'autre part à la "loi", nomos) contraste tout aussi curieusement avec la "volonté" (v. 15ss, thelô pour " vouloir", en l'occurrence le bien et la loi, du moment que le "je" qui "veux/t" correspond à l'"homme intérieur", ho esô anthrôpos, ou à l'"intellect", noûs), et même avec le "plaisir" ( sun-èdomai, v. 22). Ce n'est pas tant le "désir" et la "volonté" qui s'opposent en tant que concepts différents, voire antagonistes, que leurs "sujets" ( sub-jecta) ou "hypo-stases", "sub-strats" ou "sub-stances" pré-su(b/p)posés, respectivement "la chair" qui "désire" et désire forcément contre la "loi" qui interdit le désir, tout désir (c'est bien le sens de l'exégèse maximaliste du dixième commandement tronqué de tout "objet"), et l'intellect ou l'"homme intérieur" qui "veut" le "bien" et la "loi" sans "pouvoir", du moins tant que l'"esprit" ( pneuma) n'y est pas. La tentation est toujours forte de tirer de ce genre de texte un schéma anthropologique, psychologique et/ou moral constant, associant des "parties" de l'homme ou de l'âme à des opérations bonnes ou mauvaises, comme des sujets à des verbes; mais le joli schéma serait aussitôt chamboulé par l'utilisation tant soit peu différente du même vocabulaire dans un autre texte, y compris du même "auteur" (ce qui ne manque pas de se produire dans le corpus paulinien où le "désir", par exemple, peut être pris en bonne part, la "volonté" en mauvaise, et ainsi de suite). Ce qui reste au-delà du schématisme frustré, c'est l'impression générale et persistante de "division" qui se reproduit invariablement dans tous les schémas et dans tous les lexiques -- jusque chez Nietzsche et les nietzschéens (p. ex. Deleuze) où elle est en quelque sorte le péché mortel de la "volonté de puissance", et en même temps sa nécessité structurelle (son péché originel en somme) -- si tant est qu'il n'y a qu'une "volonté de puissance" et qu'elle s'exerce forcément contre elle-même, chez un seul "sujet" (qui n'est dès lors ni un ni seul) comme chez plusieurs. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Mar 01 Sep 2020, 10:12 | |
| Or, l’homme n’a pas toujours eu une volonté défaillante. C’est depuis le péché originel commis par Adam et Ève que tous les hommes qui naissent sur Terre sont des pécheurs ne disposant plus totalement du contrôle d’eux-mêmes. La volonté n’a plus la force de vouloir et de faire pleinement le bien. Même s’il n’y en a qu’une, elle est subordonnée à ses faiblesses dans la mesure où l’on peut vouloir et ne pas vouloir en même temps : « C’était moi qui voulais ; c’était moi qui ne voulais pas. Ni je disais pleinement oui, ni je disais pleinement non. D’où cette lutte avec moi-même. » Cette citation est une nette référence aux écrits de saint Paul : « Car je ne sais pas ce que je fais ; le bien que je veux, je ne le fais pas; mais le mal que je hais, je le fais » (Épître aux Romains, 7:15). Selon saint Augustin, seule la grâce de Dieu peut alors aider l’homme à galvaniser sa volonté et la faire tendre complètement vers le Bien. Sans ce recours à la grâce divine, il semble tout simplement impossible d’y parvenir. C’est la raison pour laquelle l’homme doit faire passer l’amour de Dieu avant toute chose, et ce jusqu’au mépris de soi. De fait, l’amour de soi doit être relégué au second plan, car il revient à détourner sa volonté du divin pour privilégier sa propre personne et les biens de ce monde, éphémères et voués à disparaître. Comme l’écrit Plotin, qui joue un rôle majeur dans la pensée de saint Augustin : « L’estime des choses d’ici-bas et le manque d’estime [des âmes pour] elles-mêmes », c’est-à-dire : en tant qu’elles sont issues de Dieu, « sont la cause de leur ignorance totale du dieu. » Mais dans la pensée de Plotin, il s’agit d’une défaillance cognitive : en bon platonicien, Plotin estime qu’on ne pèche que par ignorance. Saint Augustin considère que la défaillance est celle de la volonté : on pèche, on commet le mal en raison d’une volonté impure, et qui ne peut être purifiée que par la grâce. https://philitt.fr/2015/05/03/lidee-du-mal-chez-saint-augustin-et-sa-critique-du-manicheisme/ |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Mar 01 Sep 2020, 11:53 | |
| L'idée qu'on se fait du "péché originel" dépend évidemment de la lecture plus ou moins littérale ou naïve qu'on fait du récit de l'Eden -- même si ce n'est pas du tout le propos originel (!) du texte. Si on y voit un "accident" temporel et historique survenu à un homme et à une femme comme nous (au nombril près peut-être), et même à un dieu qui n'aurait rien prévu ni voulu de tel, on peut distinguer un "avant" et un "après", mais alors c'est l'avant qui devient très difficile à concevoir (comment une volonté bonne, voire impeccable ou parfaite, "pécherait"-elle ? comment "Dieu" n'y serait-il pas pour quelque chose, avec ou sans "diable" ?); si on y voit une fable, une parabole ou une allégorie de "l'homme", comme le nom commun hébreu d''adam y invite fortement (mais non la Septante quand elle transcrit "Adam" comme nom propre au lieu de le traduire anthrôpos), la question temporelle ou historique ne se pose plus mais elle devient "métaphysique", l'"originel" n'est plus l'"initial" mais l'"originaire": aussi loin qu'on remonte, il faut penser "l'homme" avec "le péché" et "le péché" avec "l'homme". D'un lecteur à l'autre, selon son éducation et sa tournure d'esprit particulière, on ne comprendra pas le même texte (qu'il s'agisse de la Genèse ou de saint Augustin) de la même manière. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Mar 01 Sep 2020, 12:26 | |
| Comment la volonté pourrait-elle s’ordonner à elle-même de ne plus désirer ? Dans le christianisme il est souvent demandé aux croyants d'avoir suffisamment de volonté maîtriser ses passions par la raison de manière à désirer adéquatement et raisonnablement, d'où ma question ci-dessus. Comment vivre (pour un croyant) avec cette division interne et avec ce tiraillement entre le désir et la raison (si tenté qu'il soit possible de les séparer). Saint Augustin dit : « Le tout était de ne pas vouloir ce que je voulais, mais vouloir ce que tu voulais », donc le croyant devrait renoncer à lui-même pour laisser vouloir Dieu en lui. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: vouloir, etc. Mar 01 Sep 2020, 14:19 | |
| Ben voilà (c'est comme si c'était fait)... :)
"Le christianisme", comme toutes les (id-)entités collectives de ce genre (religions, sectes, partis, écoles, etc.) et d'autant plus qu'elles sont vastes et durables, est un bric-à-brac idéologique où l'on trouve à peu près tout et son contraire.
La "maîtrise des passions" (avec ce que ce dernier mot implique de passif, pâti ou subi, passio, pathos, pathèmata) par la "raison" (ratio, logos), ce serait plutôt stoïcien que chrétien, quoique déjà une bonne partie du NT (de Paul à 2 Pierre) lorgne de ce côté-là et qu'il y ait en conséquence beaucoup de "stoïcisme" dans "le christianisme". Avec la même réserve bien sûr, car "le stoïcisme", surtout populaire, est lui aussi un bric-à-brac.
Les textes, Dieu merci, offrent un peu plus de prise à l'analyse, même s'ils ne se laissent pas réduire à une idéologie cohérente.
Dans Romains 7 ce n'est pas "la volonté" qui s'ordonne à elle-même quoi que ce soit, c'est "la loi" ou "le commandement" (nomos / entolè), extérieurs sinon divins, qui interdisent le "désir" (epithumia), même s'ils le font avec l'assentiment d'une certaine "volonté", celle de l'intellect (noûs) ou de "l'homme intérieur", "volonté" qui cependant ne peut rien et le sait, parce que c'est la "chair" (sarx) ou les "membres" (ou "parties du corps", melè) qui "désirent" -- et à quoi la loi s'adresse, sans rien faire d'autre que de stimuler le "péché" et "la mort".
La "solution" paulinienne, ce n'est pas (simplement) la "raison", c'est le "mystère" de la mort et de la résurrection du Christ qui est censé être à la fois passage et transformation (ou tour de passe-passe) de la mort à la vie, de la chair à l'esprit, de l'humain au divin et de l'individuel au communautaire (chap. 5--8 ). Mais si "la loi" reste d'un seul côté de ce passage, "l'intellect" et "la raison" (noûs et logos) se retrouvent pour ainsi dire de l'autre côté (chap. 12) -- heureuse synthèse de la dynamique myst(ér)ique et de la logique stoïcienne, qui s'y prêtaient de part et d'autre.
Comme disait naguère un vieil évêque luthérien, à propos de Luther vieillissant et de l'"évangile" paulinien et augustinien tel qu'il l'avait compris: il savait pertinemment qu'"en pratique" ça ne marchait pas, mais il n'avait rien d'autre à dire. L'évangile, c'était ça ou rien. |
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