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| YHWH, Israël, les nations et le salut. | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Mar 09 Mar 2021, 13:36 | |
| Nicole a le mérite de poser assez clairement un problème complexe, mais sa "solution" ne me convainc pas, non seulement parce que je ne partage pas ses présupposés "évangéliques" et les déductions littéraires qu'il en tire (un seul "auteur" pour la Genèse, donc une syntaxe cohérente jusque dans ses variations forcément calculées et significatives !), mais parce que son raisonnement implique à mon sens une faute exégétique majeure: si le nifal PEUT se traduire par le passif OU le pronominal, réciproque OU réfléchi (être béni OU se bénir, soi-même OU les uns les autres), et le hitpael plus clairement par le pronominal, mais là encore, réciproque OU réfléchi, tous les textes en question sont ambigus -- d'une ambiguïté plus ou moins grande, mais sans exception. Surinterpréter la différence des conjugaisons ( nifal / hitpael) conduit à supprimer une ambiguïté réelle (au moins pour le nifal, qui serait justement le plus ambigu): c'est retomber dans un travers classique du commentaire semi-savant (il suffit de repenser à toutes les surinterprétations de différences formelles que nous avons pu rabâcher en opposant des synonymes, agapaô vs. phileô p. ex., avant de nous apercevoir que dans les textes leur usage est interchangeable; les surtraductions de F.W. Franz et de la NWT originale ne font à cet égard que caricaturer une tendance terriblement courante d'un "fondamentalisme" forgé en grande partie par des autodidactes). Du reste, de la présupposition d'un "auteur" unique ( concesso non dato), on pourrait aussi bien conclure à l'équivalence générale de tous les énoncés (ce que fait d'ailleurs la Septante, quoique en sens contraire du quasi-consensus de la lexicographie moderne): "il" voudrait toujours dire la même chose (mais laquelle ?). En tout cas il n'y a guère d'autre "solution adéquate" que de signaler l'ambiguïté réelle des textes, ce qui passe nécessairement par une annotation en plus de la traduction quelle qu'elle soit. Pour rappel (cf. p. ex. ici à partir du 21.3.2017), le sens oscille indécidablement entre un minimum (Abraham et/ou sa descendance seront une référence universelle des formules de "bénédictions", et dans ce cas cela ne nous parle que du sort heureux, enviable, d'Abraham et de sa descendance, et ne nous dit rien sur le sort effectif des "nations") et un maximum (toutes les nations seront effectivement "bénies", tireront des bienfaits réels et pourquoi pas éternels de ce qui arrive à Abraham et/ou à sa descendance; ce qui n'est jamais qu'un des sens possibles de l'hébreu et devient le sens univoque de la Septante et par là du NT). |
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Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Mer 17 Mar 2021, 10:59 | |
| "Moi, je connais leurs œuvres et leurs pensées. Le temps est venu de rassembler toutes les nations et toutes les langues ; elles viendront et verront ma gloire. Je mettrai un signe parmi elles ; j'enverrai certains de leurs rescapés vers les nations, à Tarsis, à Poul et à Loud, — les tireurs à l'arc — à Toubal et en Grèce, aux îles lointaines qui jamais n'ont entendu parler de moi et qui n'ont pas vu ma gloire ; et ils diront ma gloire parmi les nations. Ils amèneront tous vos frères d'entre toutes les nations en offrande au SEIGNEUR, sur des chevaux, des chars et des chariots couverts, sur des mulets et des dromadaires, à ma montagne sacrée, à Jérusalem, dit le SEIGNEUR, comme les Israélites apportent leur offrande, dans un récipient pur, à la maison du SEIGNEUR. Et je prendrai aussi parmi eux des prêtres, des lévites, dit le SEIGNEUR" (Es 66,18-21).
En effet, le verset 20 indique que ce sont « tous vos frères » qui constituent l’offrande apportée à Yhwh. Il ne s’agit plus d’offrir du sang de porc comme le faisaient les idolâtres du v. 3, pas plus qu’il ne s’agit d’apporter bœufs et brebis pour les sacrifier sur l’autel de Yhwh. Une nouvelle modalité du culte s’impose, non sanglante, où l’on s’approche avec un esprit humilié qui tremble à la Parole, car c’est vers un tel homme que Yhwh « porte son regard » (cf. 66,3). Voilà bien la descendance du Serviteur : elle s’offre elle-même plutôt que de présenter de vaines offrandes hypocrites.
Ceci amène à la question du mystérieux « signe » : « Je viens pour rassembler toutes les nations et toutes les langues ; (…) je mettrai au milieu d’elles un signe » (66,18-19). Au chapitre 7, le signe indiquait la naissance d’un fils ; au chapitre 8, le prophète et ses enfants étaient dits « signes en Israël » (8,18). À l’arrière-plan, l’enjeu est donc bien celui de la filiation, plus précisément de la constitution d’une lignée de fils suscitée par Yhwh. Ajoutons avec Blenkinsopp que cette notion du signe est liée à une autre, celle de « l’étendard dressé »44 vers lequel convergent les nations. Le signe dressé, c’est donc celui d’un « petit reste », communauté de disciples qui se reconnaissent fils de Dieu tant et si bien qu’il n’existe plus de jalousie mimétique entre eux mais une fraternité pacifique qui constitue un témoignage pour les nations. Il est clair que le « groupe du nous » du livre d’Isaïe correspond à cette description. Mais, dans la logique de notre péricope, la mention du « signe » reste ouverte à un surcroît de détermination. Mieux, ce signe énigmatique est précisément celui qui ouvre la prophétie sur son avenir : l’attente d’un étendard dressé entre ciel et terre autour duquel se rassembleront toutes les nations. https://www.nrt.be/fr/articles/la-parole-et-le-jugement-lecture-d-isaie-66-1721 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Mer 17 Mar 2021, 12:16 | |
| Les études dites "synchroniques", d'analyse narrative ou rhétorique (selon le "genre" des textes étudiés), qui se concentrent sur les effets d'un "texte définitif" ou d'un "livre entier", sont légitimes et nécessaires -- malheureusement, entre les mains d'exégètes ecclésiastiques ou confessionnels, elles sont souvent de simples prétextes à évacuer toute critique historique et littéraire pour revenir au plus vite à la récitation du catéchisme. Pour ce qui est de cet article, les éléments les plus pertinents (à mon sens) sont plutôt dans les notes qui renvoient aux analyses "critiques" classiques (Blenkinsopp p. ex.; pour ma part je ne suis pas du tout convaincu de l'"unité" des chapitres 65--66, mais chacun peut s'en faire une idée par sa propre lecture, en étant attentif aux changements de sujet, de style, de rythme ou de ton). Reste qu'on peut remarquer ici encore, dans le "grand" livre d'Isaïe dont l'écriture s'étend sur plusieurs siècles, l'effet "couverture" dont on a souvent parlé, qui est aussi un effet de correspondance au moins partielle, sinon de symétrie, entre les ajouts de début et de fin de livre (quelle que soit la dimension du livre).
En ce qui concerne les "nations", il me semble que le chapitre 66 combine ou juxtapose plusieurs idées foncièrement différentes: source de richesse pour une Jérusalem qui se rêve en métropole impériale (v. 12), objet de la colère destructrice de Yahvé (v. 16, "toute chair"), plus ou moins "converties" aux v. 18ss (selon une perspective variable, qui va du simple rassemblement géographique de la diaspora juive comme "offrande des nations" à l'intégration de celles-ci au coeur même du culte, notamment selon la façon dont on interprète le rapport du v. 21 à ce qui précède: les nouveaux prêtres [et] lévites sont-ils tirés de la diaspora ou des "nations" elles-mêmes, ça se discute...). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Jeu 18 Mar 2021, 17:25 | |
| Dans la suite des jours se tiendra la montagne de la maison de YHWH inébranlablement en tête des montagnes dominant les collines et vers elle afflueront toutes les nations et des peuples nombreux marcheront et diront : marchez, montons vers la montagne de YHWH la maison du Dieu de Jacob il va nous indiquer sa voie nous marcherons sur son sentier de Sion viendra la direction et de Jérusalem la parole de YHWH il jugera de nombreux peuples tranchera entre les nations – ils battront leurs épées pour s’en faire des socs leurs lances, pour des serpes nation contre nation ne lèvera plus l’épée et l’on n’apprendra plus la guerre ». — (Isaïe 2,2-4)
... La vision n’est pas impérialiste (même s’il est des visions impériales dans d’autres textes prophétiques) : Israël n’englobe pas les autres nations pas plus qu’il ne les domine. Un récent commentateur du passage parallèle de Michée (4,1-3) décrit ce qui se passe quand Sion « domine les collines » : « Il n’en résulte pas un empire religieux ni un monde humilié et soumis à un Israël triomphant. Les nations portent leurs crises devant YHWH, leurs différends sont tranchés et elles se séparent. Elles ne sont ni dominées ni intégrées dans un appareil de pouvoir, mais aidées et conduites à une nouvelle politique qui va dans le sens de la vie. La vision n’est pas celle de quelque stade final de la lutte pour le pouvoir, mais de sa fin »
C’est une vision qui vient du même monde que les accusations d’Amos : un monde de petites nations, dont les membres sont, pour ainsi dire, accoutumés les uns aux autres. Elles se combattent et négocient ; elles partagent une loi commune, qu’elles sont souvent tentées de violer. Non seulement leur vision de la paix inclut les autres, mais elle en accepte l’altérité. Les prophètes d’une puissance impériale brosseraient probablement, je crois, une vision très différente de l’avenir. Ils critiqueraient vraisemblablement l’impérialisme, mais ils aspireraient à un empire sans domination, à un État universel de citoyens égaux, plutôt qu’à un enchevêtrement de nations hétérogènes et querelleuses. Les intellectuels impériaux se laissent ordinairement séduire par l’idée d’une pax romana, quand bien même ils n’ont aucune illusion sur la nature du pouvoir « romain ». Ils imaginent la paix sans le pouvoir. Le prophète israélite résout le problème en invoquant une pax Dei, mais c’est pour revenir ensuite à l’enchevêtrement familier des nations. C’est ce retour qui donne à sa vision son attrayante modestie. Si la transformation des « épées en socs de charrue » est utopique, l’existence de plusieurs « nations » et de « nombreux peuples » est réaliste. https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2002-3-page-53.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Jeu 18 Mar 2021, 18:36 | |
| Perspective finement calculée et calée -- peut-être encore plus sur les textes d'Amos que sur celui d'Isaïe (ou de Michée) et, au-delà du "biblique" et du "religieux", sur le problème moderne, actuel, peut-être même déjà en partie "dépassé", de l'"universalisme" humaniste et géopolitique: un "universalisme" imposé de l'extérieur à chaque "particularisme", y compris par la conversion-trahison des "élites" de chaque "communauté" particulière, ne sera jamais perçu que comme un "impérialisme" par les autres -- qu'il soit hellénistique ou romain, chrétien ou moderne-occidental (les Lumières, les droits de l'homme, de la femme et des "minorités", l'écologie, etc.), comme ce serait le cas d'un "messianisme" juif ou post-chrétien (socialiste ou libéral p. ex.) imposé de la même manière (hétéronomique); il n'y a d'"universalisme" viable que celui qui se construit patiemment, de proche en proche, à partir de chaque "particularisme" en direction de ses "prochains" effectifs, qui sont aussi ses pires ennemis parce que les plus proches, mais les seuls avec lesquels il soit aussi possible de négocier concrètement, loin des grandes déclarations impériales. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Ven 19 Mar 2021, 11:10 | |
| Petite digression ...
3. Conclusion : universalisme du sujet reconnu comme personne contre particularisme communautaire
Paul prêche ici un Évangile universaliste, mais un universalisme différent de celui prôné par l'idéal impérial (où les différences fondamentales entre homme libre/esclave, homme/femme, citoyen romain/barbare demeurent essentielles) : le sujet naît non pas d'un héritage culturel ou spirituel mais d'un appel reçu du Christ en qui, il n'y a plus ni juif, ni grec, ni homme, ni femme... (Ga 3,28). Qu'advient-il alors des particularismes de chacun ? Ils sont pris au sérieux dans la logique du « se faire tout à tous » pour le salut du plus grand nombre (1 Co 10,33). Il s'agit pour Paul, au nom de la reconnaissance de chacun comme sujet unique dans la fidélité à l'événement fondateur de la croix, de prendre en compte le « site » dans lequel l'Évangile se donne à entendre : il est vrai qu'il existe encore des différences de statut, d'origine, de races, de cultures. Et il faut en tenir compte. Mais jamais, la différence culturelle, sexuelle ou sociale ne devra devenir un critère décisif : devant Dieu et en Christ, chacun existe comme personne reconnue et aimée indépendamment de son faire, de ses qualités, appartenances ou loyautés. https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1998_num_60_1_2085#chris_0753-2776_1998_num_60_1_T1_0059_0000 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: YHWH, Israël, les nations et le salut. Ven 19 Mar 2021, 12:24 | |
| Sur le reste de l'article, à part quelques coïncidences formelles je ne pense pas que les textes "sectaires" de Qoumrân (et assimilés) offrent le meilleur élément de comparaison au "paulinisme" (ou au paulino-marcionisme), déjà parce qu'ils sont globalement plus anciens et surtout parce qu'ils témoignent plutôt d'une tendance opposée, de repli sur un groupe de "pureté" essentiellement rituelle (mais aussi morale et politique) à l'intérieur d'un Israël ou d'un judaïsme perçu dans son ensemble comme corrompu. Il y a dans le judaïsme contemporain des tendances beaucoup plus ouvertes aux "païens", non seulement dans l'aristocratie sadducéenne ou la diaspora hellénistique (Philon notamment), mais aussi dans le pharisaïsme dominant après 70 dont témoigne à sa façon Josèphe, pro-romain et proche des milieux impériaux. C'est par rapport à ceux-là qu'il faudrait distinguer plus finement le paulinisme au sens large, sans préjudice de ses différences internes (car à mon sens l'épître aux Galates est déjà plus près du "marcionisme" que l'épître aux Romains, je n'y reviens pas), en particulier sur la question "ethnique": celle-ci reste en effet un marqueur décisif pour tous les courants du judaïsme susmentionnés, y compris ceux qui sont disposés à accueillir des "païens" à divers degrés (prosélytes ou "craignant-Dieu", circoncis ou non), alors que ce marqueur est neutralisé, sinon complètement évacué, dans le "paulinisme".
D'autre part, et c'est à mon avis plus grave, on se méprend totalement si l'on interprète l'"universalisme paulinien" à partir d'une perspective "individualiste" moderne, occidentale et singulièrement française (ce que Cuvillier me semble faire ici, sans doute plus sous l'influence de Vouga que de Badiou): ce n'est pas parce que le christianisme paulinien dévalorise les différences ethniques (et, en théorie, les différences sociales ou sexuelles par la même occasion, quoique avec un effet bien moindre, je dirais même délibérément restreint en pratique, aussi bien quant au statut des esclaves que des femmes) qu'il valorise l'"individu": tout le discours chrétien, et exemplairement paulinien, sur le renoncement à "soi" (ce n'est plus "moi" qui vis, etc.), renoncement autant à la singularité individuelle qu'aux particularités de "nation", de "classe" ou de "genre", témoignerait plutôt du contraire. |
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