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 dissuasions nocturnes

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Narkissos

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MessageSujet: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeDim 21 Fév 2021, 22:22

Nous reparlions il y a quelques jours (10.2.2021) du mystérieux épisode nocturne où un Yahvé "démoniaque" tente de tuer Moïse, de retour de Madian en Egypte (Exode 4), et de son analogie avec le non moins mystérieux combat nocturne de Jacob avec un homme ou un dieu, plus tard un ange, au gué du Yabboq, à son retour de Harân, à la veille de la rencontre redoutée avec Esaü (Genèse 32--33, dont nous avions aussi parlé ici un peu plus tôt); curieusement tout cela s'était associé dans mon esprit à l'avertissement, également nocturne, de Yahvé à Laban à la veille de rattraper Jacob au chapitre précédent (31,24ss): "Garde-toi de parler à Jacob du bon au mauvais", ce qu'on traduit habituellement par "en bien ou en mal" et qui signifie sans doute plus généralement "prends garde à tout ce que tu diras ou feras à Jacob"... De proche en proche, on s'aperçoit que ce type d'avertissement nocturne, le plus souvent onirique (en rêve), qui dissuade un protagoniste de faire ce qu'il avait prévu de faire est très courant (depuis Abimélech au chapitre 20, jusqu'aux imitations du NT, notamment dans la Nativité selon Matthieu: Joseph est dissuadé en rêve de répudier Marie, les mages sont dissuadés en rêve de retourner chez Hérode, etc.). Si dans le cas de Jacob il n'y a ni dissuasion ni rêve apparents, c'est tout de même un Jacob affaibli par le combat, boitant ou claudiquant, quoique finalement béni, qui va rencontrer Esaü, et le lecteur peut supposer que cet état est pour quelque chose dans l'issue paisible de la rencontre; on pourrait aussi supputer quelque chose de semblable au retour de Moïse en Egypte: c'est un sauveur pour le moins secoué par l'attaque nocturne de la divinité qui va libérer le peuple, non plus par sa propre force comme à la première tentative, mais en suivant à la lettre la parole de Yahvé, quand même celle-ci ne produit pas tout de suite les résultats escomptés.

Le "démon" de Socrate (d'après l'Apologie de Platon) était sans doute aussi nocturne ou onirique (33c), il était surtout et exclusivement dissuasif (31d).
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeLun 22 Fév 2021, 11:01

Ces rencontres nocturnes étaient des rituelles ou des expériences initiatiques qui  avaient pour objectifs (entre autres) de préparer le personnage à l'obéissance ou à accomplir la volonté divine. L'aspect terrifiant de la rencontre nocturne rappelait au protagoniste sa place et sa position par rapport à la divinité, la nécessité de se soumettre scrupuleusement, sous peine de connaitre une issue fatale.

Un extrait :   

1. Analyse actantielle. La grille actantielle conçue par Greimas (surtout A. J. GREIMAS, Sémantique structurale, Paris 1966, et Du sens, Paris 1970.) - et dont, au dire même de l'auteur, il faut user avec prudence et souplesse - répartit les personnages, les acteurs d'un récit en six classes formelles d'actants, définis par ce qu'ils font statutairement et non par ce qu'ils sont psychologiquement (l'actant peut réunir plusieurs personnages, mais aussi un seul personnage peut réunir plusieurs actants; il peut être aussi figuré par une entité inanimée). La Lutte avec l'Ange constitue un épisode bien connu des récits mythiques: le passage d'obstacle, l'Epreuve. Au niveau de cet épisode (car pour toute la geste de Jacob ce serait peut-être différent), les actants se « remplissent» de la façon suivante : Jacob est le Sujet (sujet de la demande, de la quête, de l'action); l'Objet (de cette même demande, quête, action) est le passage du lieu gardé, défendu, du torrent, du Jabboq; le Destinateur, celui qui met en circulation l'enjeu de la quête (à savoir le passage du torrent) est évidemment Dieu; le Destinataire est encore Jacob (deux actants sont ici présents dans une même figure); l'Opposant (celui ou ceux qui entravent le Sujet dans sa quête) est Dieu lui-même (c'est lui qui, mythiquement, garde le passage); l'Adjuvant (celui ou ceux qui aident le Sujet) est Jacob, qui s'aide lui-même par sa propre force, légendaire (trait indiciel, comme nous l'avons vu).

On voit tout de suite le paradoxe, ou tout au moins le caractère anomique de la formule: que le sujet soit confondu avec le destinataire est banal; que le sujet soit son propre adjuvant est plus rare; cela se produit ordinairement dans les récits, les romans « volontaristes»; mais que le destinateur soit l'opposant, cela est très rare; il n'y a qu'un type de récit qui puisse mettre en scène cette formule paradoxale :
les récits qui relatent un chantage; certes, si l'opposant n'était que le détenteur (provisoire) de l'enjeu, il n'y aurait rien d'extraordinaire:
c'est le rôle de l'opposant de défendre la propriété de l'objet que le héros veut conquérir : ainsi du dragon qui garde un passage; mais ici, comme dans tout chantage, Dieu, en même temps qu'il garde le torrent, dispense la marque, le privilège. On le voit, la formule actantielle de notre texte est loin d'être pacifiante: elle est structuralement très audacieuse – ce qui correspond bien au « scandale» figuré par la défaite de Dieu. (...)


Il y a d'autres points de parallélisme. Dans la fonction 14, chez Propp, le héros reçoit un objet magique; pour Jacob, ce talisman est sans doute la bénédiction qu'il prend par surprise à son père aveugle (Gen. 27). D'autre part, la fonction 29 met en scène la transfiguration du Héros (par exemple, la Bête se transforme en beau seigneur); cette transfiguration semble bien présente dans le changement du Nom (Gen. 32. 29) et la renaissance qu'elle implique. Sans doute le modèle narratif imprime à Dieu le rôle du Méchant (son rôle structural: il ne s'agit pas d'un rôle psychologique): c'est que, dans l'épisode de la Genèse, se laisse lire un véritable stéréotype du conte populaire: le passage difficile d'un gué gardé par un génie hostile. Une autre similitude avec le conte, c'est que, dans les deux cas, les motivations des personnages (leur raison d'agir) ne sont pas notées: l'ellipse des notations n'est pas un fait de style, c'est un caractère structural, pertinent, de la narration. L'analyse structurale, au sens strict du terme, conclurait donc avec force que la Lutte avec l'Ange est un véritable conte de fées – puisque selon Propp tous les contes de fées appartiennent à la même structure: celle qu'il a décrite.

On le voit, ce que l'on pourrait appeler l'exploitation structurale de l'épisode est très possible: elle s'impose même. Je dirai cependant pour finir, que ce qui m'intéresse le plus dans ce passage célèbre, ce n'est pas le modèle « folkloriste », ce sont les frottements, les ruptures, les discontinuités de lisibilité, la juxtaposition des entités narratives qui échappent quelque peu à une articulation logique explicite: on a affaire ici (c'est du moins pour moi la saveur de la lecture) à une sorte de montage métonymique: les thèmes (Passage, Lutte, Nomination, Rite alimentaire) sont combinés, et non pas <(développés ». Cet abrupt, ce caractère asyndétique du récit est bien énoncé par Osée (12. 4): «  Dès le sein maternel, il supplanta son frère // dans sa vigueur il lutta avec l'Ange et eut le dessus.»

La logique métonymique, nous le savons, est celle de l'inconscient. C'est donc peut-être de ce côté qu'il faudrait poursuivre la recherche, c'est-à-dire, je le répète, la lecture du texte, sa dissémination, non sa vérité. Certes, on risque alors d'affaiblir la portée économîcohistorique de l'épisode (elle existe certainement, au niveau des échanges de tribus et des problèmes de pouvoir); mais aussi elle renforce l'explosion symbolique du texte (qui n'est pas forcément d'ordre religieux). Le problème, du moins celui que je me pose, est en effet de parvenir à ne pas réduire le Texte à un signifié, quel qu'il soit (historique, économique, folklorique ou kérygmatique), mais à maintenir sa signifiance ouverte.
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeMar 23 Fév 2021, 00:52

Autre illustration...

A propos d'Oedipe, on aurait pu aussi penser au sphinx, et dans la Bible ce ne sont pas non plus les exemples qui manquent: Balaam (du moins dans la partie de la rédaction qui ne le "diabolise" pas), Samson et le lion de Timna (comme Héraklès-Hercule et celui de Némée), le prophète anonyme des Rois avec un autre lion... une des caractéristiques de ce genre d'épreuve ou d'obstacle en chemin, c'est que si tout le monde ne passe pas il faut bien que les (principaux) protagonistes passent pour que le récit continue.

Que tous les rôles, les personnages et les événements tendent à se confondre (comme les récits eux-mêmes), c'est aussi une conséquence structurelle (à la fois structurante et déstructurante) du "monothéisme" et du "monisme" (pensée de l'un avec ou sans dieu, à la limite pensée tout court), de ce qui s'en rapproche (par des chemins aussi différents que la monolâtrie hébraïque et la philosophie grecque) ou même s'en éloigne (quand le monothéisme absolu redevient relatif en flanquant son dieu unique d'anges, de démons ou d'un diable, ses "autres" restent aussi relativement "autres": main droite ou main gauche du même Dieu comme dirait Luther, Dieu tantôt avec et tantôt contre Dieu). L'alpha et l'oméga, le commencement et la fin, mais aussi les oppositions et les adversités, les aides et les secours en cours de route, en dernière analyse c'est toujours le même. Que Yahvé se change en ennemi, c'est un énoncé assez fréquent (je pense à Isaïe 63,10 ou Lamentations 2,4s, mais il y en aurait d'autres).
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeMar 23 Fév 2021, 14:19

Dans le livre de l'Exode, l'épisode de I'attaque de Moïse est placé après sa vocation. JusqueJà, le lecteur était constamment tenu en haleine par la réalisation de la promesse de libération. c'est ainsi que la première tentative de Moi'se d'intervenir en faveur d'un Hébreu avait lamentablement échoué et I'avait obligé à s'enfuir à Madian (2llt-15). Là-bas, il acceptait d'être identifié comme Égyptien, il épousait une femme er eut un fil; elI6-22) - fin classique de nombreux contes. Moïse s'étant immobilisé en Madian, c'est Dieu même qui va devoir relancer son projet libérateur. Lors du long récit de la vocation de Moïse, Yhwh se révèle comme celui qui sera avec Moise et avec son peuple (3/l-22). En même temps, toutes les objections que Moise avance pour être déchargé de sa mission sont définitivement écartées par Dieu (4/l-18).  Le lecteur peut enfin pousser un grand soupir de soulagement : la libération annoncée va enfin pouvoir se réaliser.

L'ATTAQUE CONTRE JACOB ET L'ATTAQUE CONTRE MOISE

Les parallèles entre Gn 32,23-32 et Ex 4,24-26 sont évidents :


- les deux récits sont initiatiques parce qu'ils aboutissent à une transformation du héros: le changement de statut de Jacob se marque Par son nom comme celui de Moïse par la circoncision ;

- les deux protagonistes avaient précédemment bénéficié d'une rencontre privilégiée avec le divin (Gn 28, Ex 3) ;

- dans les deux cas, le héros est surpris lors d'un voyage de retour vers son lieu d'origine, Jacob vers la Palestine et  Moïse vers l'Egypte ;

- les deux attaques ont lieu pendant la nuit ;

- en Gn 32, l'attaquant touche (ng') la hanche de Jacob ; en Ex 4, Zipporah touche (ng') les pieds de Moïse ;

- les deux agressions sont suivies par une rencontre (Gn 33,8 et Ex 4,27) avec un frère qui, chaque fois se déroule d'une façon extrêmement positive. Dans les deux récits, le combat avec Dieu s'avère être le préalable à une relation harmonieuse entre les hommes.

L'auteur d'Ex 4,24 s'est donc largement inspiré de Gn 32, récit qu'il a radicalisé et rendu plus "démoniaque". Dès le début l'agresseur est identifié comme étant Yhwh, avec la motivation explicite de tuer. https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_FF8FFDF541AD.P001/REF
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeMer 24 Fév 2021, 01:16

Dans le cas de Genèse 32, la nécessité explicite pour l'assaillant de partir avant l'aube (v. 26) aura aussi inspiré toutes les histoires de vampires, au moins depuis Bram Stoker...

Parler de "Dieu obscur" -- c'était le titre d'un des premiers livres "grand public" de Thomas Römer -- invite naturellement à le mettre en relation avec le Dieu clair, lumineux, révélé; que ce soit sur un mode théologique ou littéraire, historique ou mythique, logique ou absurde, paradoxal ou dialectique, on y perd toujours l'essentiel, à savoir l'angoisse absolue de la situation nocturne, sans relation aucune avec les récits diurnes qui la précèdent, l'éventuelle relation n'apparaissant au mieux qu'au matin: la clarté du jour n'est d'aucun secours durant la nuit, mais celle-ci passe -- et le jour aussi. Cela rejoindrait pas mal de nos discussions passées (je voulais mettre ici quelques liens, mais je m'aperçois, rien qu'en regardant la rubrique "Un jour, un verset", qu'ils seraient beaucoup trop nombreux).

Si l'on peut voir une certaine analogie globale et fonctionnelle entre l'épreuve nocturne et le rite (de passage), celle-ci n'est pas pour autant "rituelle", en ce sens qu'elle ne relève a priori d'aucune "habitude", d'aucune "règle" et d'aucun "savoir-faire" établis, elle prend son "sujet" au dépourvu. Cela n'empêche pas que les deux catégories puissent se confondre (p. ex. dans la pratique de l'"incubation" dont on a déjà souvent parlé, probablement sous-jacente à de nombreux psaumes: passer la nuit dans le sanctuaire dans l'attente de la manifestation de la divinité et de son jugement au matin).
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeMer 03 Mar 2021, 14:50

Jacob et l’ange (?) : combat de nuit, apparition du matin

18 L’épisode dit du combat de Jacob avec l’ange, toujours dans le livre de la Genèse, est un bel exemple d’anthropophanie. Il n’est pas tout à fait sûr que l’ange en soit un, Dieu reste caché dans la nuit ; le seul que l’on voit au sortir de cette expérience combattante dans la lumière du matin est Jacob lui-même. Ce n’est plus tout à fait le même homme qui nous apparaît ; il porte d’ailleurs un nouveau nom, Israël, qui exprime celui qu’il est désormais.

Jacob : un partenaire de lutte à la hauteur de Dieu

21 Pour brouiller encore les pistes, le dialogue de l’« homme » avec Jacob ne permet pas toujours clairement de savoir qui parle : « (26) Il vit qu’il ne pouvait pas l’emporter sur lui et il toucha à l’intérieur de sa cuisse, et l’intérieur de la cuisse de Jacob se démit pendant qu’il se battait avec lui. (27) Il dit : “Envoie-moi10 car l’aurore se lève”. Il dit : “Je ne t’enverrai pas sans que tu m’aies béni”. (28) Il lui dit : “Quel est ton nom ?” Il dit : “Jacob”. (29) Il dit : “Ce n’est plus Jacob que sera dit ton nom, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as emporté”. (30) Jacob demanda et dit : “Annonce-moi ton nom”. Il dit : “Pourquoi donc demandes-tu mon nom” et il le bénit ». En lisant la première partie du v. 26, on ne sait d’emblée qui est en train de parler ; il serait probable que le combattant impuissant soit Jacob, or il s’avère que c’est son adversaire. De même, la demande « laisse-moi partir car l’aurore se lève » (v. 27) pourrait être attribuée à Jacob : il a été assailli et demanderait avant que le jour ne pointe que son attaquant le laisse enfin partir ; mais non : là encore, c’est l’homme anonyme qui s’exprime.

22 Dans cette ambiance nocturne où les êtres demeurent cachés, notre texte organise donc une indistinction : Jacob et son assaillant se confondent l’espace de quelques répliques. Que le lutteur soit un homme, un ange ou Dieu, Jacob s’est mêlé à sa nature par ses gestes – l’empoignade d’une nuit – et par ses mots – l’un a proféré des paroles qu’on pourrait attribuer à l’autre. Il a « lutté avec des hommes et avec Dieu » comme le lui dit le pugiliste du Yabboq (Genèse 32, 29), et dans cette étrange bagarre, il a non seulement été à la hauteur de son adversaire, mais il s’est en quelque manière imprégné de cet être qu’il a agrippé ; il s’est révélé de la même trempe que lui.

De nuit en nuit

23 Les personnages bibliques ont parfois des moments favoris ou des matières qu’ils affectionnent, et cela contribue à façonner leur physionomie particulière. Jacob est plutôt un « rocheux » (il manie régulièrement des pierres qu’il roule ou qu’il dresse) et il affectionne la nuit : des scènes nocturnes scandent son parcours. Dans l’obscurité, Jacob est rendu plus vulnérable et plus réceptif : il y est trompé ou il y reçoit des révélations. En Genèse 28, à Béthel, il voit dans un songe une échelle que des anges montent et descendent et il rencontre Dieu, présent sur terre à son chevet ; Dieu l’assure de sa présence intime désormais : « Je suis avec toi » (Genèse 28, 15). Lors de sa nuit de noces, pensant accueillir sur sa couche Rachel qu’il aime, il s’aperçoit au matin que c’était Léa, la sœur de Rachel (Genèse 29, 23-25). En Genèse 31, 11 sqq., un ange de Dieu lui apparaît en songe (on peut conjecturer que c’est pendant un sommeil de nuit) ; c’est également dans un songe explicitement dit « de nuit » que Dieu avertit Laban de ne pas « parler avec Jacob en bien ni en mal » (Genèse 31, 24). Dans notre chapitre, la mention de la nuit arrive tôt, dès le v. 14, et elle prépare ainsi la scène du combat nocturne, lui-même annoncé au début du chapitre par les « camps d’anges » que Jacob aperçoit (Genèse 32, 2-3)12. https://journals.openedition.org/pallas/275#tocto1n2
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeMer 03 Mar 2021, 16:32

J'ai cru un moment que l'auteur n'était pas "bibliste", vu l'originalité de son approche (c'est un compliment, même si ça n'en a pas l'air): il l'est bien, mais apparemment plus "généraliste" que "spécialiste" (professeur d'"Ecriture sainte" à Fribourg), ce qui a aussi des avantages (pour rester dans son thème, selon l'étendue des corpus qu'on embrasse on ne "voit" pas les mêmes choses, détails ou grandes lignes). Symptomatiquement peut-être, j'avais aussi fait le rapprochement entre l'avertissement à Laban, explicitement dissuasif (chap. 31), et la lutte avec l'homme-ange-dieu (chap. 32) dans mon post initial.

Le transfert de l'"obscurité" de la scène (ça me rappelle soudain une expression de mon père, "clair comme un combat de nègres dans un tunnel", qui ne serait plus du tout "politiquement correcte") dans la syntaxe (les sujets des verbes sont d'abord indistincts, on ne sait pas tout de suite qui dit ou fait quoi) vaudrait également pour le "parallèle" d'Osée et pour l'attaque nocturne de Moïse et/ou de son fils en Exode 4, où d'ailleurs le rapport au rite (la circoncision) est plus clair, si l'on peut dire (cf. la fin de mon post précédent).

Même si elle est décalée par rapport aux textes, comme toute lecture au demeurant, cette problématique de l'apparition et de la disparition du visage (je pense à Levinas d'un côté et à Proust de l'autre, l'épiphanie du visage d'autrui et son abolition dans le baiser p. ex.), de la reconnaissance et de la méconnaissance alternées des mêmes personn(ag)es, est tout à fait fascinante. En ce qui concerne "Dieu" cela rappellera aussi ceci.

Pour revenir à mon thème, peut-être faudrait-il caractériser plus généralement l'expérience nocturne (attaque démoniaque ou manifestation divine, rêve ou cauchemar, sommeil ou insomnie) par la régulation que par la dissuasion -- car il s'agit aussi bien de donner de la force ou du courage à celui qui en manque (Hagar ou Elie, Gédéon, etc.) que de calmer ou d'affaiblir celui qui est trop sûr de lui (p. ex. Laban). Dans le cas de Jacob au moins c'est ambivalent, puisque c'est une épreuve de force qui à la fois conforte et affaiblit celui qui s'était montré tantôt audacieux, tantôt craintif (face à Esaü ou Laban).
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeJeu 04 Mar 2021, 12:32

Citation :
Pour revenir à mon thème, peut-être faudrait-il caractériser plus généralement l'expérience nocturne (attaque démoniaque ou manifestation divine, rêve ou cauchemar, sommeil ou insomnie) par la régulation que par la dissuasion -- car il s'agit aussi bien de donner de la force ou du courage à celui qui en manque (Hagar ou Elie, Gédéon, etc.) que de calmer ou d'affaiblir celui qui est trop sûr de lui (p. ex. Laban). Dans le cas de Jacob au moins c'est ambivalent, puisque c'est une épreuve de force qui à la fois conforte et affaiblit celui qui s'était montré tantôt audacieux, tantôt craintif (face à Esaü ou Laban).


"soir même, le SEIGNEUR dit à Gédéon : Prends le taureau de ton père et un second taureau de sept ans. Tu raseras l'autel du Baal qui appartient à ton père et tu couperas le poteau cultuel (l'ashéra) qui est à côté. Tu bâtiras ensuite selon les règles un autel pour le SEIGNEUR (YHWH), ton Dieu, sur le haut de ce lieu fortifié. Tu prendras le second taureau et tu offriras un holocauste, avec le bois du poteau cultuel que tu auras coupé. Gédéon prit dix hommes parmi ses serviteurs et fit ce que le SEIGNEUR avait dit ; mais comme il craignait sa famille et les gens de la ville, il ne le fit pas de jour, il le fit de nuit. Lorsque les gens de la ville se levèrent, de bon matin, l'autel du Baal était démoli ; le poteau cultuel qui était à côté avait été coupé, et le second taureau avait été offert en holocauste sur l'autel qui venait d'être bâti. Ils se dirent l'un à l'autre : Qui a fait cela ? Ils s'informèrent, firent des recherches et conclurent : C'est Gédéon, fils de Joas, qui a fait cela ! Alors les gens de la ville dirent à Joas : Fais sortir ton fils, et qu'il meure, car il a démoli l'autel du Baal et coupé le poteau cultuel qui était à côté ! Joas répondit à tous ceux qui se tenaient près de lui : Est-ce à vous de défendre la cause du Baal ? Est-ce vous qui allez le sauver ? — Quiconque défendra la cause du Baal sera mis à mort avant le matin ! — S'il est dieu, qu'il se défende lui-même, puisque c'est son autel qu'on a démoli ! En ce jour-là on donna à Gédéon le nom de Yeroub-Baal, en disant : Que le Baal se défende contre lui, puisque c'est son autel qu'il a démoli !" (Ju 6,25-32).

En Ju 6,25-32, on trouve un récit qui contient quelques ressemblances avec Gn 32, 23-33, récit durant lequel Gédéon reçoit le nom de Yeroubaal (que Baal soit fort, que Baal lutte). Le nouveau nom de Gédéon est mis en rapport avec le Baal qu'il prétend avoir vaincu. Cet épisode, sous sa forme actuelle, est lié au yahvisme conquérant. En effet, Gédéon ne lutte pas directement avec Baal : il s'agit d'un jeu sur l'impuissance de Baal. La lutte est vidée de toute substance. Mais à l'origine, le héros a très bien pu mener une lutte qui lui aurait ensuite valu son nom. Gédéon se serait alors mis au service de Baal - au départ, Yhwh Pouvait porter lui aussi le titre de Baal ("maître") comme le montrent les noms des fils de Saül ('Ishbaal à côté de Yehonatan !) - après avoir affronté dans une lutte un représentant de ce dieu.  http://www.unige.ch/theologie/distance/courslibre/atjacobdt2005/lecon4/passage.htm
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeJeu 04 Mar 2021, 13:00

N.B.: Ce qui est traduit par "soir" au tout début de la citation (des Juges) est aussi bien la "nuit" (layla) -- selon une ambiguïté comparable à celle de night en anglais, cf. tonight. En l'occurrence, la manifestation de Yahvé à Gédéon est déjà nocturne. Les épreuves de la toison (v. 36ss), l'ordre d'attaque, la confirmation par le rêve d'un autre et l'attaque elle-même le seront aussi (7,9ss), ainsi que l'attaque d'Abimélek au chap. 9.

(Pour rappel, "Gédéon" et "Jérubbaal" correspondent probablement à la fusion d'au moins deux personnages et deux récits distincts; celui du chapitre 6 a visiblement inspiré le Coran qui l'a transféré à Abraham détruisant les idoles de son père).
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeJeu 04 Mar 2021, 14:42

15 Revenons encore sur ce personnage appelé « un homme » qui vient combattre et même attaquer Jacob dans sa solitude. Dans la structure des récits de conte ou de mythe c’est ce qu’on appelle un anti‑héros. Le héros est ici Jacob mais pour poursuivre sa vie et son destin, pour se qualifier comme héros, c’est‑à‑dire comme réalisa­teur d’une action, il rencontre des épreuves et doit passer par elles. Sur la route, et donc au fil du récit, se présente un opposant qu’en terme sémiotique on a nommé anti‑destinateur ou anti‑donateur, ou encore anti‑sujet (Greimas & Courtés, 1979). Jacob s’est qualifié comme aîné bien que ne l’étant pas à la naissance, il a capté la bénédiction paternelle et patriarcale qui le fait à son tour patriarche, dans cet épisode du Yabboq il connaît sa dernière épreuve qui le qualifie comme l’origine du peuple d’Israël. Son frère était l’opposant dans les deux premier cas, ici il s’agit d’un inconnu bien plus redoutable car il le prend pour ainsi dire par surprise et n’arrête le combat que lorsqu’il se rend compte qu’il ne viendra pas à bout de Jacob. Mais il cumule les rôles : il est l’opposant ; il est celui qui attribue un nouveau nom en fonction de la résistance de Jacob et de sa presque victoire (je dis presque parce que le personnage n’est pas non plus défait, il arrête la lutte seulement) ; il représente Elohim, donc Dieu (ou les dieux), et les hommes, l’humanité entière sans doute. « Un homme lutte » devient un personnage à multiples faces.

16 N’est‑ce pas que ses attributs, qui ne le rendent pas vainqueur, mais seulement marqueur d’infirmité, renvoie à un rite de passage ? Il est clair qu’il y a dans ce récit tous les ingrédients d’un rite de passage avec ses trois phases, telles que Van Gennep et Turner les ont si bien décrites : la phase de séparation (Jacob franchit le Yabboq et reste seul ensuite) qui comprend un comportement symbolique qui signifie la mise à part. Jacob déjà marqué depuis sa naissance par une série d’écarts est ici détaché de toutes ses conditions d’existence habituelle ; la phase liminale, intermédiaire, est signifiée par ce combat inattendu et énigmatique avec un personnage surgi de nulle part : Jacob passe bien par « un domaine culturel qui a peu ou aucun des attributs de l’état passé ou à venir » (Turner, op. cit. : 95). En effet, il devient boiteux, il change de nom. Enfin la troisième période de réagrégation ou réintégration est évo­quée par le fait que le combattant ne livre pas son nom mais bénit Jacob, c’est‑à‑dire − car la bénédiction a des effets substantiels dans la tradition hébraïque – lui donne un avenir, dont le lieu où cela s’est passé, Pénouël, est un mémorial et présage heureux. « Le soleil brille sur lui lorsqu’il passe Peniël » (Chouraqui). Il rejoint l’autre rive où l’affrontement avec Esaü l’attend, mais c’est dans la lumière. Mais le verset est très significatif car : « le soleil brille sur lui lorsqu’il passe Peniël et, lui, il boîte sur la hanche ». Il est pro­mis à une nouvelle existence (d’ailleurs tout va se passer au mieux avec Esaü) mais non sans claudiquer, comme le peuple qui va sortir de lui. Il est éclairant de se rappeler ici les rites de passage qui concernent les chefs ou les souverains dans nombre d’ethnies. Cette position est paradoxale « car il (le chef) représente à la fois le som­met de la structure hiérarchique, politique et judiciaire, et la com­munauté entière en tant qu’unité non structurée » (Turner, op. cit. : 98). Autrement dit le chef doit passer par une liminalité particulière car il conjugue les opposés, le pouvoir et la faiblesse, la structure et la communitas (ibid.). Turner, encore, insiste sur le constat que les phases liminales concernent souvent les petits et les faibles, les infirmes et les « inférieurs ». « Dans la liminarité, le subalterne parvient au niveau le plus élevé et l’autorité politique suprême est désignée comme un esclave, rappelant ainsi cet aspect du couron­nement d’un pape dans la société occidentale lorsqu’on l’appelle à être le "serviteur des serviteurs de Dieu" » (ibid. : 102). Je laisserai ici de côté une autre façon de considérer la liminalité des personnes handicapées comme quasi définitive, qui réfère à l’analyse de Robert Murphy (1991)11. Ce que je souligne dans le cas de Jacob c’est qu’il compose la fonction de père d’un peuple, donc de fondateur et de chef et le statut de ce peuple, petit et fait de petits (au moment de l’Exil du peuple d’Israël à Babylone il sera question du « Reste ») dont sa boiterie me paraît le symbole. Le rite de pas­sage, dans le passage du Yabboq, concerne le statut le plus élevé, qui est lui-même marqué de l’infirmité. La cohérence du mythe de Jacob est très grande, de sa naissance à sa mort. Au moment de celle‑ci il rappelle l’épisode d’attribution de son nom, Israël, à Louz (ou Béthel) qui duplique l’épisode du Yabboq, lequel est évoqué dans les dernières paroles de Jacob, ainsi que je l’ai déjà signalé.
ttps://journals.openedition.org/jda/5323#tocto1n3
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeJeu 04 Mar 2021, 15:49

Autre lecture intéressante, aussi parce que décalée (anthropo- ou ethno-logique plutôt que strictement "biblique" ou "bibliste").

Pour clarifier une remarque antérieure (23.2.2021, dernier paragraphe), même si l'on trouve de nombreuses correspondances formelles entre les traits d'un récit et ceux d'un rite ("de passage", p. ex.), le récit en soi n'est jamais un rite, c'est -à-dire une pratique répétitive et réglée. Il peut y avoir correspondance entre un récit mythique, à la rigueur épique, et un rite, à condition que le rite soit effectivement pratiqué par une communauté et que le récit lui soit associé, en étant le plus souvent lui-même ritualisé, lu ou récité régulièrement et solennellement, dramatisé de façon rituelle ou théâtrale (cf. les origines rituelles de la "tragédie" grecque)... Or d'une telle ritualisation du cycle de Jacob il n'y a guère de trace, sinon ici dans l'étiologie d'un interdit alimentaire qui n'est pas autrement attesté dans la Torah, et plus généralement dans la cérémonie de Deutéronome 26 qui est également unique et ne fait aucune référence à l'épisode de Genèse 32... On aurait donc affaire à un mythe qui aurait perdu son rite, et par là même son caractère mythique, ou à la transposition en légende d'un rite perdu. Mais inversement, on peut plaider que les caractères du rite sont présents, consciemment ou inconsciemment, dans tout processus de narration: peut-on seulement raconter la moindre histoire, banale ou extraordinaire, réaliste ou fantastique, sans que (ce que nous appelons) "l'inconscient", quoi que nous entendions par là, y mette du sien ? Et donc du "rite", potentiel ou virtuel, de la répétition (comme Lacan dit du "symptôme" et du "réel"), même sans aucune correspondance dans une pratique sociale effective ?
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeVen 05 Mar 2021, 20:38

La Nuit de Jacob

L’effacement des étoiles

Il n’y a là, pourtant, qu’une perspective partielle. Au retour de ‘Haran, Jacob est mûr pour une épreuve d’une autre sorte. Au moment de revenir, 20 ans après, vers la terre ancestrale, le patriarche se heurte à une nuit nouvelle, plus angoissante et plus épaisse. Expérience de totale solitude où Jacob devra cette fois affronter, en lui et hors de lui, une dimension d’être jusque là inconnue. Après tant de tribulations et d’injustices subies, plus lourd d’expérience et de biens, Jacob est prêt à franchir la passe, à transgresser la limite de son propre nom. Aux abords de Canaan, marchant vers lui-même, il se prépare à devenir Israël. C’est alors qu’il lutte avec l’ange, au gué de Jaboc.

Cette rencontre, c’est celle de l’incommensurable, que chaque homme porte au fond de lui-même. Renoncement au moi familier, à un pays spirituel déjà conquis. Ce qu’il y a d’abyssal dans cet affrontement , dans ce « face-à-face avec le divin » (Genèse, 32, 31), mesure aussi l’accès à une vérité nouvelle, où l’infini entre à plein flots. Ce combat marque un danger ontologique, et met en risque l’identité profonde. Comme un exil supérieur, où la conscience est chassée de ses propres repères spirituels, et jetée à l’Autrement. Jacob en sortira blessé, mais d’une blessure qui le transforme :

« Jacob ne sera plus désormais ton nom, mais bien Israël ; car tu as lutté devant Dieu et avec des hommes et tu as triomphé. »
(Genèse, 32, 29.) https://www.cairn.info/revue-pardes-2013-1-page-65.htm
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeVen 05 Mar 2021, 22:38

Très joli texte aussi (décidément la poésie ne nuit pas à l'interprétation)...

Pour rappel, on avait déjà pas mal parlé de ce texte ici.

Je repense à Simone Weil -- j'y repensais déjà aujourd'hui en lisant dans un de tes liens les citations de Denise Judant, l'anti-judaïsme forcené de la juive convertie, ce que Simone Weil n'était pas tout à fait -- pour qui la faute irrémissible de Jacob était précisément de ne pas être vaincu par "Dieu"; seulement blessé, affaibli, mais pas anéanti. Le malentendu, me semble-t-il, ne partage pas tant "judaïsme" et "christianisme" qu'une conception "mystique", absolue d'une part, et ordinaire d'autre part (raisonnable, utilitaire, eudémonique, économique, hygiénique, thérapeutique, etc.) de la "religion" quelle qu'elle soit. Ou bien il faut que ça (le combat de Jacob comme n'importe quoi de "religieux")  "serve" à quelque chose, ou bien il faut que ça ne serve à rien pour être "religieux"... La tragédie et la comédie du mystique, c'est qu'il survive à la rencontre et qu'il y ait un lendemain -- boiteux.

(Tant qu'à parler des "nuits de Jacob", il faudrait aussi évoquer celles où il se fait refiler Léa au lieu de Rachel, au mariage et de nouveau au marché des mandragores... curieusement tous les épisodes nocturnes n'inspirent pas autant les commentaires "spirituels".)
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeLun 08 Mar 2021, 11:44

De toute façon, Jacob mérite l’épreuve qui l’attend. À ce moment de son histoire, il n’est encore qu’un triste personnage et qui porte bien son nom : Jacob, c’est le fourbe, le rusé (aqvah). Non content d’avoir acheté le droit d’aînesse d’Esaü pour un plat de lentilles (Gn, 25, 29-34), il a usurpé la bénédiction promise à son frère (27, 1-23) et dérobé une partie des biens de son beau-père Laban (30, 36-42). Quand il apprend un peu plus tard que son frère, ulcéré, envoie contre lui quatre cents hommes, il tremble de peur (32, dissuasions nocturnes Icon_cool et prie Dieu de l’épargner. C’est pourtant ce poltron qui combattra toute une nuit contre un inconnu et méritera de ce fait le nom d’Israël : « celui qui a lutté victorieusement contre Dieu », selon la traduction la plus courante, mais aussi celui qui marche droit (yachar) devant le Seigneur12. Le fourbe est devenu un combattant, il a été capable de lutter (yeavek : il a combattu).

Dans le folklore et les épopées qui le reflètent, on ne donne jamais son nom à un inconnu. Un rituel minutieux, dont se souviennent les épopées d’Homère et les romans de la Table Ronde, règle l’échange des noms, qui n’intervient jamais avant que la confiance s’installe entre les deux personnages qui se rencontrent. Dans la pensée magique, en effet, le nomen est toujours un omen : il révèle celui ou celle qui le porte. Connaître le nom de quelqu’un, c’est avoir prise sur lui. Quand deux personnages ont combattu sans rien savoir de leur identité respective, situation fréquente dans les romans bretons, c’est le vainqueur qui a le droit de demander son nom au vaincu, et l’instant où celui-ci le donne le met vraiment à nu, comme l’est son visage maintenant privé de casque. Tout se complique ici, parce que, à l’issue de ce combat furieux, il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. La ruse de l’inconnu, qui déboîte le fémur de Jacob, ne s’avère pas décisive. C’est pourtant lui qui demande : « Quel est ton nom ? » (32, 28). Le plus étonnant est que Jacob ne fait aucune difficulté pour le lui donner. Les références folkloriques perdent donc ici toute pertinence. Si l’inconnu n’est qu’un homme, on comprend mal, aussi, qu’il refuse de se nommer (32, 30). Il n’y a donc qu’une seule explication : Jacob n’a pas lutté contre un homme, mais contre Dieu lui-même. Il s’en rend parfaitement compte dans le verset suivant quand il s’écrie : « Oui, j’ai vu Elohim faces à faces et mon être est secouru » (32, 31).

L’idée d’un combat entre Dieu et un homme a paru tellement scandaleuse que bien des exégètes, juifs et chrétiens, ont cherché à l’occulter. Pour Rachi, le rabbin de Troyes, qui se réfère aux « maîtres », Jacob a lutté contre le « prince céleste d’Esaü14 », auquel on donne parfois le nom de Samaël. Chaque homme ayant un ange qui le protège, celui d’Esaü barre la route à son pire ennemi. Le Zohar, légèrement postérieur, parle lui aussi de l’« ange d’Esaü », venu lutter contre Jacob et disparaissant au lever du jour « car c’était l’heure où le pouvoir du démon prend fin ». C’est à cette lecture que se tiennent encore aujourd’hui Josy Eisenberg et Armand Abecassis :
Citation :La tradition juive, rappellent les deux rabbins, enseigne que [l’adversaire] était le « prince d’Esaü », c’est-à-dire son ange tutélaire ou plus précisément son « génie ». Il faut savoir que dans la pensée juive, chaque peuple a son génie, appelé sar-prince qui incarne son esprit national et ses valeurs. Les Nations ne sont que la projection d’un mode d’être qui, dans l’absolu, se situe à un certain niveau de transcendance.
https://books.openedition.org/pupo/2489?lang=fr
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeLun 08 Mar 2021, 12:39

Excellent tour d'horizon littéraire et pictural de Daniel Ménager (dont je vois qu'il est mort l'année dernière) -- on appréciera notamment les lectures de Luther, Baudelaire ou Thomas Mann dans la suite de l'article. Même sur les aspects plus couramment évoqués, pour ne pas dire rabâchés dans les commentaires "bibliques" spécialisés, par exemple sur les enjeux du "nom" demandé, donné ou non (on notera qu'en l'occurrence celui de l'adversaire humain, divin et/ou angélique l'est et ne l'est pas, cf. Exode 3 ou Juges 13), ou encore changé (dans le cas de Jacob-Israël, cf. le doublon de 35,10, sans explication [pseudo-]étymologique cette fois) l'éclairage de la littérature du moyen-âge et de la Renaissance (qui est évidemment chargée d'influences "bibliques", directes ou indirectes) est bienvenu. Cela m'a aussi rappelé le film Passion de Godard que j'ai revu il n'y a pas longtemps, où le tableau de Delacroix est représenté de façon saisissante, c'est le cas de le dire puisqu'on y voit précisément le moment de la "prise" entre les deux lutteurs.
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeLun 08 Mar 2021, 19:52

"Jacob poursuivit son chemin ; des messagers de Dieu le rejoignirent. En les voyant, Jacob dit : C'est la troupe de Dieu ! Et il appela ce lieu du nom de Mahanaïm (« Les Deux Troupes »)" (Gn 32,2) .

D'après le livre : La forge de Dieu - Aux origines de la Bible De Nissim Amzallag, l'évènement relaté en Genèse 32 s'est déroulé près de "Mahanaïm", une région spécialisée dans le travail du métal. Le rite serait donc attaché aux traditions métallurgiques. Ce point est confirmé par la nature de la blessure initiatique, une lésion à la hanche qui fait boiter Jacob. Or c'est justement une infirmité typiquement associée aux forgerons de l'antiquité …

[url=https://books.google.fr/books?id=AjL7DwAAQBAJ&pg=PT110&lpg=PT109&focus=viewport&dq=jacob+rite+m%C3%A9tallurgique+th%C3%A9ologie&hl=fr#v=onepage&q=jacob rite m%C3%A9tallurgique th%c3%a9ologie&f=false]https://books.google.fr/books?id=AjL7DwAAQBAJ&pg=PT110&lpg=PT109&focus=viewport&dq=jacob+rite+m%C3%A9tallurgique+th%C3%A9ologie&hl=fr#v=onepage&q=jacob%20rite%20m%C3%A9tallurgique%20th%C3%A9ologie&f=false[/url]
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeLun 08 Mar 2021, 23:49

A métallurgie lourde, argumentation légère...

L'inconvénient majeur de la thèse sensationnelle qui explique tout à partir d'une seule idée, c'est qu'elle perd de vue ce qu'elle devrait expliquer: un yahwisme pré-biblique, des traditions narratives antérieures aux textes "bibliques", ou les textes eux-mêmes ? La confusion entretenue délibérément ou non sur ce point de visée favorise le retour de tous les vieux travers pseudo-scientifiques de l'"archéologie biblique", du concordisme de l'apologétique fondamentaliste, façon La Bible arrachée aux sables: la Bible a toujours raison à condition de lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit, ce qui est d'ailleurs compatible aussi bien avec une intention "critique" qu'"apologétique".

C'est aussi, pour reprendre une de mes illustrations favorites, l'illusion cartographique qui consiste à croire qu'un fleuve n'a qu'une source, et à expliquer le fleuve à partir de la source, alors que ce sont des milliers de sources, d'affluents et de ruissellements qui font le fleuve: qu'un phénomène comme "le monothéisme juif" doive quelque chose à un "yahwisme méridional" (il n'y en a probablement pas qu'un seul), il devra toujours infiniment plus au culte levantin d''El et de Baal, aux religions mésopotamiennes, égyptienne et perse, et il y a toujours une arnaque logique à faire d'une seule "source" le "sujet" de toute l'histoire en disant "ceci est devenu cela".

La métallurgie est très importante pour l'archéologie, comme en témoignent les datations "bronze" ou "fer" qui peuvent varier d'une région à l'autre et sont infiniment plus significatives qu'une chronologie générale et indifférenciée. Mais pour l'exégèse des récits bibliques de l'époque néo-assyrienne, néo-babylonienne ou perse elle n'a qu'un intérêt fort limité, pour de petits détails susceptibles d'être interprétés comme des vestiges d'époques antérieures (p. ex. la remarque naïve d'un Yahvé techniquement dépassé par les "chars de fer", dans Josué). A part ça, le lien traditionnel entre les Qénites-Caïnites et la métallurgie d'une part, et le culte de Yahvé d'autre part, est bien connu d'après Genèse 4, de même que l'activité minière et métallurgique dans le Sud en général (Timna, Néguev, Edom) qui s'étend de la préhistoire à l'époque romaine, mais tout cela n'a guère de lien avec le cycle de Jacob qui est plus "pastoral" que métallurgique (la seule "technique" que montre Jacob est magico-génétique, pour la reproduction sélective du petit bétail; ça aurait pu intéresser l'auteur qui est biologiste), ses théonymes ou toponymes caractéristiques se rapportant plutôt à El qu'à Yahvé (Béthel, Pénouel, etc.). Quant à Mahanaïm, il faudrait déjà que le site soit identifié avec certitude (ce qui à ma connaissance n'est pas le cas) pour parler de métallurgie à cet endroit. Bref, tout cela ne vaut pas cher et je me demande bien ce que Nodet est allé faire dans cette galère (le document ne me permet pas d'accéder à sa postface).

Ce qu'il me semble nettement plus important de remarquer, mais on l'a déjà fait et plutôt vingt fois qu'une, c'est que les traits "divins" et "démoniaques", "bienveillants" et "malveillants", sont nécessairement rapportés au même "acteur" dans les textes "bibliques" du fait de la monolâtrie ou du monothéisme qui préside à leurs rédactions, ce qui construit l'image d'un d-Dieu ambigu: cela vaut pour les diverses manifestations nocturnes dont nous parlons (Jacob, Moïse, Balaam etc.), mais aussi pour des récits comme le déluge (si on le compare à Atrahasis-Gilgamesh où les rôles du destructeur et du sauveur peuvent être portés par des dieux antagonistes), ou la tour de Babel... Bien entendu, il y a des ponts entre cette nécessité historico-littéraire et son interprétation strictement théologique: de ce dernier point de vue, la question n'est plus de savoir comment un seul dieu en vient à assumer les fonctions de tous les dieux mais bien pourquoi "Dieu", à partir d'une indétermination absolue, en arrive à se déterminer de telle ou telle façon (ce qui rejoint d'autres discussions, anciennes et récentes).
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeJeu 11 Mar 2021, 17:47

De nuit en nuit

Les personnages bibliques ont parfois des moments favoris ou des matières qu’ils affectionnent, et cela contribue à façonner leur physionomie particulière. Jacob est plutôt un « rocheux » (il manie régulièrement des pierres qu’il roule ou qu’il dresse) et il affectionne la nuit : des scènes nocturnes scandent son parcours. Dans l’obscurité, Jacob est rendu plus vulnérable et plus réceptif : il y est trompé ou il y reçoit des révélations. En Genèse 28, à Béthel, il voit dans un songe une échelle que des anges montent et descendent et il rencontre Dieu, présent sur terre à son chevet ; Dieu l’assure de sa présence intime désormais : « Je suis avec toi »
(Genèse 28, 15). Lors de sa nuit de noces, pensant accueillir sur sa couche Rachel qu’il aime, il s’aperçoit au matin que c’était Léa, la sœur de Rachel (Genèse 29, 23-25). En Genèse 31, 11 sqq., un ange de Dieu lui apparaît en songe (on peut conjecturer que c’est pendant un sommeil de nuit) ; c’est également dans un songe explicitement dit « de nuit » que Dieu avertit Laban de ne pas « parler avec Jacob en bien ni en mal » (Genèse 31, 24). Dans notre chapitre, la mention de la nuit arrive tôt, dès le v. 14, et elle prépare ainsi la scène du combat nocturne, lui-même annoncé au début du chapitre par les « camps d’anges » que Jacob aperçoit (Genèse 32, 2-3)12.

De la même façon, le thème de la lutte est constitutif de l’histoire de Jacob. Avant même de naître, Jacob et Ésaü étaient aux prises l’un avec l’autre dans le ventre de leur mère Rébecca (Genèse 25, 21-23). Jacob mène ensuite un combat souterrain pour prendre le droit d’aînesse de son frère et la bénédiction paternelle afférente (Genèse 25 et 27) : son nom n’est-il pas le Talonneur, comme Ésaü le rappelle alors (Genèse 27, 36) ? Il doit lutter ensuite contre son beau-père Laban ; quand Jacob décide de quitter Laban avec toute sa famille, son beau-père le poursuit de manière menaçante jusqu’à ce que Jacob le prenne violemment à parti et lui impose un pacte de non agression (Genèse 31, 36-51). https://www.unifr.ch/at/fr/assets/public/files/Personen/Lefebvre/pallas-anthropophanies.pdf
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MessageSujet: Re: dissuasions nocturnes   dissuasions nocturnes Icon_minitimeJeu 11 Mar 2021, 18:50

Sur cet article, cf. supra 3.3.2021.

Les jeux de mots et de noms propres de la Genèse, en l'occurrence sur "Jacob" (y`qb-ya`aqov; voir aussi la suite de l'article, autour du "talon") ne sont pas toujours d'une grande clarté et ils sont surtout difficiles à traduire: en 27,36 comme en Osée 12,4 ou Jérémie 9,3 on a le verbe `qb, qu'on traduit habituellement par supplanter mais qui peut signifier plus généralement tromper, duper, circonvenir, ou encore retarder, retenir (cf. la faute qui consiste à retenir un joueur au football, p. ex.), voire ce qui est tordu ou retors, traître, rusé (cf. `qb-`aqov, Isaïe 40,4; Jérémie 17,9; Osée 6,8; `qbh-`oqva, 2 Rois 10,19); en Genèse 25,26 seulement c'est le nom commun apparenté (`qb-`aqev, cf. 3,15; 49,17ss) qui désigne anatomiquement le talon; on retrouve encore une conjonction dérivée en 22,18; 26,5 pour exprimer la cause ou la conséquence, la suite logique et chrono-logique, "parce que" <=> "(comme) suite à/de ce que". C'est dire qu'il y a peut-être moins de "talons" et de "talonnages" dans le texte qu'on en voit habituellement, mais il faut bien tâcher de rendre les correspondances d'une façon ou d'une autre et c'est le "talon" qui offre l'élément le plus concret et incontournable, dans le récit de la naissance (selon la Genèse, mais ce n'est pas une raison de l'exporter dans Osée p. ex.). Et ça se complique encore avec les approximations, assonances ou allitérations, quasi-anagrammes ou quasi-métathèses, quand on passe de `qb à ybq pour le "Yabboq", à 'bq pour "lutter" (32,24s) apparenté à la "poussière", qui va à son tour passer, par une quasi-synonymie, à srh associé à "Israël", lequel s'expliquerait de bien d'autres façons (par sr = "prince" comme pour "Saraï/h" p. ex., et le théonyme 'El qui serait plutôt le sujet du nom théophore: "'El combat, domine, etc."; Philon y retrouvera la vision en décomposant is-ra-el, l'homme qui voit le dieu); et ainsi de suite.

Cela nous emmène sans doute très loin de notre sujet, mais c'est l'occasion de remarquer une fois de plus la part sensible, sensorielle ou sensuelle, "esthétique" au sens propre, non pas forcément "belle" mais perceptible par ce qu'on appelle les "sens", sonore et auditive, aussi visuelle dans la lettre de l'écriture, qui rend dérisoire la réduction d'un tel texte à un "sens" intelligible et traduisible dans une autre langue, en principe n'importe laquelle. La part en un mot de l'"intraduisible", comme on dit toujours trop et jamais assez, ce qui vaut pour tout texte mais plus massivement pour certains textes que pour d'autres. Cet "intraduisible" qu'il faut quand même traduire, qu'on ne peut pas traduire et qu'on ne peut pas ne pas traduire, avec des pertes incalculables et aussi des gains imprévisibles, qu'ils viennent de la créativité du traducteur ou du hasard, autrement dit des chances à chaque fois différentes d'une autre langue. Les lectures religieuses ou anti-religieuses, fondamentalistes ou critiques de "la Bible", toutes rivées sur le "sens" présumé unique, intelligible et traduisible des textes, ne réfléchiront jamais assez sur cet aspect des choses qui leur échappent -- et là aussi on pourrait parler de nocturne, de la nuit des sens où le sens diurne se perd, mais les sens ce sont aussi les formes et les couleurs du jour.
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