|
| Moïse médiateur et prophète incomparables ? | |
| | |
Auteur | Message |
---|
free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 09 Fév 2021, 15:53 | |
| De Moïse et du narrateur : pour une pensée narrative de l'inspiration Dans une perspective plus narrative, remarquons combien la problématique de l’inspiration soutient l’intrigue mosaïque, entre le livre de l’Exode et celui du Deutéronome. L’un des éléments constitutifs de l’inspiration prophétique—celui de la mise de l’oracle sur la « bouche » (peh) du prophète—fournit en effet comme un fil rouge à l’ensemble du cycle mosaïque. En Exode 4, écartant l’objection de Moïse — « J’ai la bouche pesante et la langue pesante » (v. 10) —, Dieu lui répond qu’il est celui qui donne à l’homme « une bouche » (v. 11), et il lui promet d’être « avec [sa] bouche » (v. 12). Ce faisant, le personnage divin, écrit M. Sternberg, « fait littéralement écho à un motif de composition inspirée ». Dans le monde mésopotamien comme dans le monde grec, mais plus encore dans le monde biblique, le motif de la bouche est en effet associé à la « physique » de l’inspiration ainsi qu’à la « phénoménologie de la prophétie ». Ce motif assure de manière remarquable la cohésion du cycle de Moïse : il apparaît en effet aux points extrêmes — commencement et fin — de la carrière de Moïse (Ex 4,10.12.15.16 ; Dt 34,5) ainsi que dans sa péripétie « centrale », le péché qui lui vaut de ne pas passer sur la terre (Nb 27,14). La symbolique de la bouche fait son entrée en scène, on vient de le voir, lors de l’envoi de Moïse en Exode 4 (voir notamment le v. 12 : « Je serai avec ta bouche » [‘im pîkh?]) ; on la retrouve au terme de sa vie : « Moïse mourut là […] sur la bouche [’al pî] de Yhwh » (Dt 34,5). L’obéissance extrême du prophète se donne à lire dans cette affirmation du narrateur, d’autant plus que Moïse retourne par là la pointe de l’accusation divine suite à son péché aux eaux de Mériba (en Nombres 20). S’adressant à Moïse et à Aaron, Dieu avait alors signifié aux deux frères qu’ils n’entreraient pas dans la terre promise, ajoutant (en Nb 27,14) : « parce que vous vous êtes rebellés contre ma bouche (pî) dans le désert de Tsin ». De la vocation à la mort du prophète, la carrière de Moïse met ainsi en intrigue et en abyme un élément paradigmatique de l’inspiration biblique.
Ce qui s’observe au niveau du grand arc du récit mosaïque se retrouve, de manière distributive, dans les épisodes de la vie de Moïse. Toutes les péripéties, matérielles, psychologiques, spirituelles et sociales de l’inspiration prophétique y trouvent place, qu’il s’agisse de la mise en place d’une médiation prophétique secondaire, celle d’Aaron (Ex 4,14-16 ; voir 7,1), de la destruction du médium préservant le message inspiré (le bris des tables de la Loi en Ex 32,19), du caractère impromptu de la révélation (ainsi dans les adresses divines que racontent les livres du Lévitique et des Nombres), des contestations du privilège prophétique (ainsi en Nombres 12 et 16), de la reformulation d’un donné déjà révélé (ainsi la réinterprétation du code de l’alliance dans le code deutéronomique), ou de l’ajout d’un supplément à un corpus déjà arrêté (le Cantique de Dt 32 joint par écrit au livre de la Loi). L’épisode de la contestation du privilège mosaïque par Miryam et Aaron en Nombres 12 nous vaut au passage le portrait de l’inspiré : « L’homme Moïse était très humble, plus humble qu’aucun homme à la surface de la terre » (v. 3) ; elle nous vaut aussi ce sommet dans le répertoire de l’inspiration : « Je lui parle », dit Dieu à propos de Moïse, « bouche à bouche [peh ’el peh] »(v. , et c’est là une remarquable formulation de la rencontre de l’énonciation humaine et de l’énonciation divine dans la parole inspirée. L’avant-dernière péripétie de l’itinéraire mosaïque, précédant la mort du prophète, évoque quant à elle un thème qu’illustre également le livre d’Isaïe. En Dt 31,26, Moïse donne l’ordre de mettre le « livre de la Loi » auprès de l’arche : « il sera là comme un témoin contre vous ». Ce disant, le Moïse du Deutéronome fait pour ainsi dire écho au livre d’Isaïe. En Is 30,8, le prophète reçoit en effet de Dieu l’ordre d’inscrire l’oracle reçu « sur un livre, afin que ce soit pour les jours à venir un témoin à jamais » (cf. 8,16.20). Au terme de sa carrière, c’est donc une fois encore un trope prophétique que Moïse fait jouer, en sa qualité d’écrivain. Si Moïse, dans l’ordre du récit, anticipe, en les transcendant (cf. Dt 34,10), tous les prophètes à venir, qui seront « comme Moïse » (cf. Dt 18,18), c’est parce qu’il les récapitule dans l’ordre de la rédaction. J. Nohrnberg parle ainsi d’une « rétroprojection de la tradition littéraire des prophètes dans l’histoire »fondatrice d’Israël. Mais, au-delà des prophètes-écrivains (dont nous connaissons les noms), c’est toute l’activité scribale anonyme d’Israël, celle qui a abouti aux livres inspirés que nous lisons, qui trouve son récit étiologique dans l’intrigue mosaïque. Ainsi que l’écrit J. Watts, « les figures de l’auteur, du rédacteur secondaire et de l’éditeur s’unissent toutes en Moïse le scribe, même si Yhwh reste la source du don de la loi ». En Moïse se trouve projetée littérairement et historiquement l’expérience de tous ceux qui sont intervenus dans la formulation et l’écriture de la Torah. En d’autres termes, être inspiré, c’est avoir eu part, d’une manière ou d’une autre, au « caractère » mosaïque, humilité comprise. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2005-4-page-517.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 02:27 | |
| Sonnet fait la fine bouche (!) sur le mot de "fiction", on ne peut pas lui donner tort: notre notion de "fiction littéraire", et de "littérature" en général, est évidemment anachronique par rapport aux récits bibliques et antiques, mais celle d'"histoire" (ou de "pseudo-histoire") telle que nous l'employons, en l'opposant précisément à la "littérature", l'est tout autant. On pourrait toutefois lui retourner le compliment sur le concept d'"inspiration", qui est à mon sens tout aussi inadéquat: ni "le narrateur" -- anonyme au point de ne même pas s'appeler "le narrateur", et omniscient implicitement, par fonction, sans revendiquer aucune omniscience -- ni le "personnage" de "Moïse" ne se prétendent "inspirés", ils disent ce qu'ils disent, tout simplement: le premier par cette "omniscience" fonctionnelle qui le place effectivement au-dessus de Yahvé comme de n'importe quel dieu ou autre personnage, quand il dit ce que Yahvé pense, ressent, etc., sans jamais dire comment il le sait; le second qui n'a pas besoin d'"inspiration", puisque Yahvé lui parle directement, et qu'il n'a qu'à répéter ou à écrire ce que Yahvé dit (l'opposition de cette relation directe à l'"inspiration" des prophètes est expressément marquée en Nombres 12 ou en Deutéronome 34 -- quoique en fait les prophètes des Prophètes, je veux dire les prophètes personnages des textes dits prophétiques, procèdent généralement de la même manière: eux aussi répètent et/ou écrivent ce que Yahvé leur dit, dialoguent éventuellement avec lui, etc.). L'un des effets de tout cela est de faire de Yahvé un "personnage" comme un autre, comme "Moïse" en particulier mais aussi entre autres, sur le même plan pour ce qui est de parler et d'agir, malgré la différence d'"autorité" et de "puissance" qui est constitutive de leur rapport. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 12:33 | |
| Dieu chercha à le faire mourir (Ex 4.24-26).
Tout est sombre dans cette histoire. Il fait probablement nuit, le texte ne le dit pas, mais le terme qui désigne l’étape, le désigne comme le lieu où l’on passe la nuit. Quel rapport faut-il voir entre la circoncision en urgence de l’un des fils de Moïse et l’agression dont Moïse lui-même est l’objet ? Quelles étaient les relations entre Moïse et son épouse ? L’expression « époux de sang » ne ressemble pas à un compliment. Cette péripétie est tellement inquiétante que le lecteur s’empresse de chercher une raison à l’attitude de Dieu. Pourquoi s’attaque-t-il ainsi à Moïse ? Est-ce parce qu’il s’était montré trop réticent lorsque Dieu l’a appelé ? Est-ce le passé de Moïse qui refait surface : il avait tué un Égyptien ? Est-ce qu’il aurait négligé de circoncire son fils ? ou ne serait pas parvenu à convaincre sa femme de pratiquer ce rite ? Était-il lui-même incirconcis ? Le récit ne nous donne pas de réponse qui pourrait nous rassurer en fournissant un motif incontestable à cette agression divine. Mieux vaut rester avec le doute et le choc que nous ressentons à la lecture : Dieu agresse, cherche à faire mourir celui qu’il vient si péniblement de convaincre. Ce choc, nous devons l’intégrer à notre conception de la vocation, du service, de notre propre vocation. Nous croyons avec raison que Dieu n’est pas incohérent, ni méchant, sournois, pour nous attaquer en traître. Il a ses raisons, sa logique, sa stratégie que nous ne parvenons pas toujours à saisir. Pour ce qui nous concerne, nous devons bien comprendre que le fait d’avoir été appelés par lui ne nous rend pas invulnérables : Dieu a trop besoin de nous pour qu’il puisse nous arriver quelque chose. (...) Il y a dans ce récit où foisonnent les étrangetés inquiétantes, une étrangeté rassurante : « Yahvé chercha à le faire mourir » (4.24). Il n’y a pas de limite à la volonté de Dieu, s’il veut faire quelque chose, il le fait. Il n’est pas comme nous qui essayons, qui tentons de réaliser nos projets. En disant que Dieu a cherché à faire mourir Moïse, l’auteur laisse entendre que Dieu a ménagé entre la tentative et le résultat une possibilité de délivrance. Nous touchons ici à un mystère, celui de l’articulation entre la souveraineté de Dieu et l’exercice de notre responsabilité humaine. En cherchant à faire mourir Moïse, Dieu a ménagé un espace dans lequel Séphora est intervenue pour que Moïse ne meure pas. (...) Le sang. La circoncision n’est pas un sacrifice, et jamais dans un autre texte le sang n’est signalé à propos de la circoncision. C’est Séphora qui parle de sang et le texte le souligne en répétant sa phrase. Il n’est pas facile d’établir avec certitude ce qu’elle veut dire : « époux de sang. » Il faut à coup sûr écarter l’idée que le sang évoquerait ici un lien de parenté. C’est le cas en français, mais en hébreu ce sont d’autres mots que l’on utilise pour parler des liens de « sang », on parle d’os et de chair. Le sang évoque plutôt la mort, même le crime, surtout au pluriel, comme c’est le cas ici. Les récits bibliques laissent entrevoir des relations assez complexes entre Moïse et son épouse, et je ne vais pas chercher à explorer cette piste. https://ibnogent.org/files/cahier_01_2012.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 14:33 | |
| Emile Nicole (le prof d'AT auquel je faisais allusion plus haut, à propos de sa thèse) a(vait) toujours d'excellentes intuitions, auxquelles à mon sens il ne fai(sai)t pas assez confiance (je me réfère ici à une partie du texte que tu as omise entre deux citations): le caractère démoniaque de "Yahvé" dans ce passage est évident, démoniaque au sens du démon de la nuit et du lieu (cf. psaume 91 etc.), dont les "attaques" échappent à toute explication rationnelle, parce qu'elles sont tout simplement dans sa "nature", mais non à toute parade rituelle. Bien sûr il ne faut pas confondre ce "démoniaque" avec le "satanique" au sens du satan judiciaire du prologue de Job et de Zacharie 3, ou même de celui plus ambigu de 2 Chroniques 21, ni avec le "diabolique" au sens du diabolos grec qui le traduit approximativement (le Yahvé de Babel, ou celui qui trompe délibérément Achab selon la "vision" de Michée en 1 Rois 22, seraient en revanche parfaitement "diaboliques"). Toujours est-il que la monolâtrie dominante de la Torah-livre, sans même parler de monothéisme, oblige -- en attendant le développement encore plus tardif de figures adverses -- à concentrer en Yahvé l'ensemble des figures de l'Autre, le surhumain et l'inhumain, le démoniaque, le diabolique et le satanique autant que le divin. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 16:08 | |
| - Citation :
- Emile Nicole (le prof d'AT auquel je faisais allusion plus haut, à propos de sa thèse) a(vait) toujours d'excellentes intuitions, auxquelles à mon sens il ne fai(sai)t pas assez confiance (je me réfère ici à une partie du texte que tu as omise entre deux citations): le caractère démoniaque de "Yahvé" dans ce passage est évident, démoniaque au sens du démon de la nuit et du lieu (cf. psaume 91 etc.), dont les "attaques" échappent à toute explication rationnelle, parce qu'elles sont tout simplement dans sa "nature", mais non à toute parade rituelle.
voir démon et midi. Allusion au verset 6 du Psaume 91 de l’Ancien Testament évoquant un énigmatique fléau qui dévaste à midi (André Chouraqui traduit par saccage qui razzie à midi) : après avoir pensé à l’insolation ou à une autre maladie frappant au milieu de la journée, on imagina qu’il s’agissait d’un démon poussant l’homme à la débauche au milieu de sa vie. Cf. Dictionnaire des expressions et locutions (Alain Rey et Sophie Chantreau) ou les expressions bibliques et mythologiques (Yves D. Papin) https://fr.wiktionary.org/wiki/d%C3%A9mon_de_midiDE LA PASSION MÉRIDIONALE Le « démon de midi » est d’abord un signifiant : avant de devenir populaire, il constitue une citation – qui s’ignore comme telle la plupart du temps– du texte biblique. C’est dans les Psaumes bibliques (Livre des hagiographes) que l’on trouve évoquée « l’épidémie qui exerce ses ravages en plein midi ». On notera donc qu’elle est désignée comme une maladie, évoquée a contrario comme ce mal contre lequel « lejuste » est immunisé et figure à ce titre à côté des « flèches qui voltigent le jour », en regard des « terreurs de la nuit » et « de la peste qui chemine dans l’ombre » ( a sagitta volante in die, a negotio perambulante in tenebris, ab incursu et daemonio meridiano). Voici surgi –dans le texte grec, puis la vulgate latine, notons-le– le démon de midi ( daimonion mesèmbrinon, daemonio meridiano) que l’ancien français restituera comme « le diable méridien », ainsi que l’appellent les Psaumes d’Oxford et saint Bernard. « Méridional » – meridies (midi) – est conçu comme une sorte de lieu temporel. Midi est la seule heure qui se voit. Le paradoxe est que la confusion des deux aiguilles sur le cadran vient symboliser la disparition de toute diachronie, comme pour faire index au désir immobilisé du sujet. Mais cette immobilisation se traduit paradoxalement par un déchaînement. Midi fait flamber le corps : c’est à l’heure où l’ombre est la plus raccourcie que le corps s’embrase. Le corps ensommeillé devient un corps hyperstimulé. Transe qui ne va pas sans une espèce de panique, Pan étant un des « démons de midi » exemplaire, surgissant en plein midi comme une épiphanie venant sidérer le corps des bergers (Caillois R., 1991). Dans le texte biblique, il n’y avait nulle intention de surestimer ni de personnifier cette force en « démon ». C’était signifier a contrario et a minima que compter au rang des « justes » suppose d’être immunisé et implique d’être paré contre les dangers de jour et de nuit – ni plus ni moins. C’est la garantie ou le signe que procure l’Autre divin au juste, celui qui se définit de trouver assiette et protection « à l’ombre du Tout Puissant ». C’est cette personnification que va accentuer décisivement la traduction grecque et dramatiser la translation latine, accomplissement de la pente démonologique propre au christianisme, décalant le phénomène du côté de l’émulsion imaginaire et charnelle. Notre démon est donc, d’origine, (gréco) latin, entendons né d’une latinisation. Né d’un texte, nous voyons pourtant des vies le commenter littéralement : comme si le signifiant prenait corps, sinon chair. Au plan clinique, cette idée de « démon » vise juste en ce qu’il ouvre d’un trop-de-corps et de la schize corrélative du sujet. https://www.cairn.info/revue-champ-psy-2010-1-page-29.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 16:48 | |
| Dans le cas de Moïse et d'Exode 4 ce serait plutôt minuit du soir que midi du matin (comme on dit en grolandais)... et si l'on veut des analogies narratives on en trouvera pas plus loin que dans la Genèse: Jacob à Béthel ou au Yabboq (chap. 28 et 32), deux rencontres nocturnes, l'une paisible quoique effrayante après coup, l'autre franchement hostile. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 17:08 | |
| "Après que Jacob est venu en Egypte, vos pères ont crié vers le SEIGNEUR ; le SEIGNEUR a envoyé Moïse et Aaron qui ont fait sortir vos pères d'Egypte et les ont fait habiter dans ce lieu" (1 Sa 12, . Notes : 1 Samuel 12:8les ont fait habiter dans ce lieu : le récit résumé ne fait pas mention de Josué ; cf. Jos 21.43. La tradition d’une conquête sous Josué ne se retrouve pas dans tous les textes, puisque 1 Sa 12,8 relate une tradition selon laquelle c’est Moïse lui-même qui, sur ordre de Yhwh, a fait entrer Israël dans le pays. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 10 Fév 2021, 18:20 | |
| Cf. supra 27.1.2021: dans le récit comme dans la vie, un personnage en appelle un autre, qui ne lui succède et ne le prolonge, ou ne le précède et ne le prépare, qu'en lui subtilisant son bien, en s'appropriant et/ou en dupliquant une partie de son histoire. La même remarque peut être faite sur bien des épisodes des séries de l'"histoire sainte", Abraham-Isaac-Jacob-Joseph-Moïse-Josué, mais aussi Samuel-Saül-David-Salomon, Elie-Elisée etc.; même dans le NT, la suite Jean(-Baptiste)-Jésus-Pierre/Paul/Jacques etc. fonctionne un peu de la même manière. De chaque chaînon on peut dire qu'il est superflu, puisque ce qu'on lui attribue se retrouve en bonne partie chez le(s) précédent(s) et/ou chez le(s) suivant(s). Le rôle de Josué paraît encore plus fragile et artificiel que celui de Moïse, mais celui de Moïse l'est aussi par rapport à Abraham ou Jacob qui fournissaient à eux seuls des "origines" suffisantes à "Israël" (déjà exogènes d'une façon ou d'une autre, de Mésopotamie ou de Syrie, l'enjeu étant toujours de valoriser la communauté judéenne refondée au retour d'exil par rapport aux "peuples du pays", quoique de manière fort différente), n'eût été l'ajout du roman de Joseph (dont le nom signifie justement "ajout" ou "supplément") qui allait faire tout recommencer depuis l'Egypte. Avant Josué, comme on l'a vu plus haut, Moïse aura aussi joué le rôle de conquérant jusque dans le Néguev et dans le nord de la Transjordanie, très loin en tout cas du désert du Sinaï (revoir ce lien que tu as déjà donné, le 27.1.2021 encore). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 11 Fév 2021, 11:38 | |
| Les Amalécites attaquent les Israélites
"Rephidim, Amalec vint faire la guerre à Israël. Alors Moïse dit à Josué : Choisis-nous des hommes, sors et combats Amalec ; demain je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. Josué fit ce que Moïse lui avait dit pour combattre Amalec. Moïse, Aaron et Hour montèrent au sommet de la colline. Lorsque Moïse élevait sa main, Israël était le plus fort ; lorsqu'il reposait sa main, Amalec était le plus fort. Comme les mains de Moïse se faisaient lourdes, ils prirent une pierre qu'ils placèrent sous lui, et il s'assit dessus. Aaron et Hour soutenaient ses mains, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; ainsi ses mains restèrent fermes jusqu'au coucher du soleil. Josué vainquit Amalec et son peuple au fil de l'épéeLe SEIGNEUR dit à Moïse : Ecris cela dans le livre, pour qu'on s'en souvienne, et dis bien à Josué que j'effacerai le souvenir d'Amalec de dessous le ciel. Moïse bâtit un autel et l'appela du nom d'Adonaï-Nissi (« YHWH est mon étendard ») . Il dit : Parce qu'une main s'est levée contre le trône du SEIGNEUR (Yah), il y aura guerre pour le SEIGNEUR contre Amalec, de génération en génération" " (Exode 17,8ss)
Le geste de Moïse est un geste magique. C’est de ce geste que dépend la victoire et non pas du savoir-faire de Josué et de son armée. Moïse ressemble d’une certaine manière à un chaman. La construction de l’autel, ici, évoque d’une certaine manière les autels qu’Abraham construit dans la Genèse, puisque l’on ne raconte pas un sacrifice, mais une invocation de Dieu, souvent avec un nom, comme c’est le cas ici : « Yhwh, mon étendard ».
La première mention du livre en Ex 17 qui présuppose que Moïse sait écrire coïncide avec la première mention de Josué dans la Torah. Le livre et son premier lecteur ont ainsi une origine commune. https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/12714#tocto3n3 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 11 Fév 2021, 12:44 | |
| Cf. aussi un peu plus bas dans le même document (§ 32) le contraste (artificiel, mais significatif) entre Amalec/q et Madian. La tradition "biblique" relative à Amalec est extrêmement complexe, puisqu'il paraît déjà vaincu par Abra(ha)m (Genèse 14,7, dans une fameuse et fantastique "guerre mondiale") avant de "naître" (dans la généalogie d'Esaü-Edom, chap. 36 // 1 Chroniques 1), et qu'il revient en Nombres 13--14; 24,20; Deutéronome 25,17ss ("rappel" d'Exode 17), puis dans les Juges associé aux Qénites-Caïnites et aux Madianites, dans des régions diverses (1,16; 3,13; 6,3.33; 7,12; 10,12; 12,15), avec Saül puis David (1 Samuel 14--15; 27,8; 28,18; 30--2 Samuel 1; 8,12 // 1 Chroniques 18,11), à l'époque d'Ezéchias (selon 1 Chroniques 4,43), et au Psaume 83,8. On lui rattache même le Haman d'Esther à cause du roi Agag de 1 Samuel. La réflexion sur l'écriture (voir aussi la note 3) rejoint un peu celles que nous avons faites sur le " langage": globalement il n'y a pas d'"explication" (étiologie), la chose même est impensée parce qu'elle va de soi, le "culturel" ne se distingue pas du "naturel", ce qui caractérise encore l'ensemble des textes bibliques comme le produit d'une civilisation déjà ancienne et tardive (cf. ici, hier)... On peut toujours voir une "origine" dans une "première mention" (c'est en effet le cas d'Exode 17,14, du moins dans l'ordre "canonique" qui présuppose paradoxalement l'ensemble du livre, de l'Exode ou de la Torah), mais à mon sens ça crée plus de problèmes (ne serait-ce que de logique narrative) que ça n'en résout: l'écriture humaine, fût-ce sur ordre divin, précéderait l'écriture divine du Décalogue, qui fournirait une bien meilleure étiologie; l'ordre lui-même, pour être compris et exécuté, présuppose l'existence d'une écriture et d'un savoir-écrire, et ainsi de suite: on retombe dans les mêmes apories que pour l'usage du langage, de la parole et d'une langue, et implicitement de l'écriture, dès la première ligne de la Genèse. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 11 Fév 2021, 13:08 | |
| "Le SEIGNEUR lui dit : Qu'y a-t-il dans ta main ? Il répondit : Un bâton. Il dit : Jette-le par terre. Il le jeta par terre, et le bâton devint un serpent. Moïse se mit à fuir pour lui échapper. Le SEIGNEUR dit à Moïse : Tends ta main et saisis-le par la queue. Il tendit la main et le saisit : le serpent redevint un bâton dans sa main (...) Moïse prit sa femme et ses fils, il les fit monter sur des ânes et retourna en Egypte. Moïse prit le bâton de Dieu" (Ex 4,2-4 et 20).
Les prodiges opérés
Grâce à ce bâton Moïse put réaliser les prodiges sur l’ordre de Dieu. Mais en fait c’était Dieu qui agissait par son serviteur Moïse. Ex 6,1 et 7,5 l’affirment clairement. Dans la version synagogale le texte d’Ex 7,5 fait intervenir la puissance de Dieu : « Les Égyptiens connaîtront que je suis Yahvé lorsque je porterai les coups de ma puissance sur l’Égypte et que je ferai sortir les enfants d’Israël libérés du milieu d’eux » (Tj I Ex 7,5). En Ex 7,15 et 7,17 c’est Dieu qui frappe avec le bâton qui est dans la main de Moïse. Le thème de la puissance de Dieu est orchestré en Ex 8,15 où le Targum Néofiti lit : « Les magiciens disent alors à Pharaon : "C’est là le doigt de la puissance de devant Yahvé" ». En Ex 9,22 Moïse reçoit l’ordre d’étendre la main vers le ciel. En fait il tendit son bâton vers le ciel et Dieu intervient en envoyant une forte grêle sur la terre. Lorsque les juifs arrivent à Rephidim et murmurent contre Moïse qui les a fait sortir d’Égypte Yahvé donne à Moïse l’ordre suivant : « Tu saisiras dans ta main le bâton avec lequel tu as frappé le fleuve. Moi je me tiendrai là devant toi ». Moïse frappe le rocher avec « le saphir de son bâton » selon la version du Tj I Ex 17,6. Lorsque Amalec attaque Israël, Moïse se tient posté sur le sommet de la hauteur avec en main le bâton « avec lequel ont été opérés les prodiges de devant Yahvé » (TN Ex 17,9). http://www.interbible.org/interBible/ecritures/symboles/2005/sym_051202.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 11 Fév 2021, 16:10 | |
| Les citations sont intéressantes, mais le raisonnement ne vaut pas tripette: ce n'est pas parce qu'il y a des analogies partielles entre certains textes rabbiniques de la fin de l'Antiquité et du moyen-âge et la littérature juive de la période précédente ("intertestamentaires" ou "apocryphes", Philon, Josèphe etc.) que l'on peut s'imaginer "les évangélistes", comme un seul homme, lisant des Targoums en araméen (ou aussi bien la "Bible hébraïque", du reste)... Quant à l'idée que l'absence d'un "bâton de Jésus" prouve l'omniprésence du "bâton de Moïse" dans la pensée des auteurs, elle est digne, elle aussi, des déductions du commissaire Bougret (bon sang mais c'est bien sûr / ah ! patron, c'que vous êtes fort...).
Comme on l'a dit plus haut, mais on peut y revenir puisque ce fil s'y prête, le traitement de "Moïse", associé ou non à "la loi", varie du tout au tout d'un évangile à l'autre: rien que de Marc à Matthieu on peut discerner des attitudes diamétralement opposées, jusque dans la réécriture des mêmes textes (c.-à-d., pour le dire trop vite, d'un "Marc anti-loi" par un "Matthieu pro-loi"). La distanciation du quatrième évangile est encore plus radicale (cf. Jean 1,17.45; 3,14; 5,45s; 6,32; 7,19ss; 9,28s, et tous les "votre loi"; et, quitte à faire parler aussi les silences, pas de Transfiguration -- en un sens, tout l'évangile en est une -- et donc pas non plus de Moïse ni d'Elie associés à la gloire unique du Christ).
A propos du bâton de l'Exode, il faut quand même rappeler que le chapitre 4 sert d'annonce, de prélude ou de prolepse à l'épisode comique du chapitre 7, qui à la fois relativise le prodige et le distingue à nouveau: changer un bâton en serpent, tous les "professionnels" savent faire ça, mais voilà-t'y pas que le bâton d'Aaron (et non de Moïse) devenu serpent bouffe les autres serpents et prive ainsi lesdits "professionnels" de leur outil de travail, ayant en quelque sorte absorbé leurs pouvoirs par la même occasion. Et, sur un tout autre registre imperceptible en traduction (du moins française), que le "bâton" (matte(h)) c'est aussi la "tribu", peut-être selon l'image quasi universelle de la "branche" de l'"arbre généalogique", l'ambiguïté d'ordinaire dissipée par l'usage jouant tout de même ici et là (p. ex. pour le bâton d'Aaron ou de Lévi qui signifie aussi la tribu ou le clan sacerdotal, Nombres 17). Sans préjudice, bien sûr, des évocations phalliques, aussi implicites qu'évidentes dans tous les cas (les vieilles traductions parlent de "verge(s)"). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 11 Fév 2021, 17:56 | |
| "Ce même jour, le pharaon donna cet ordre aux inspecteurs et aux secrétaires du peuple : Vous ne donnerez plus, comme d'habitude, de la paille au peuple pour faire des briques ; qu'ils aillent eux-mêmes s'en ramasser ! Vous leur imposerez néanmoins la quantité de briques qu'ils faisaient d'habitude, vous ne la diminuerez en rien ; car ce sont des paresseux ; voilà pourquoi ils crient : « Allons offrir des sacrifices à notre Dieu ! » Accablez ces gens de travail, qu'ils aient par là de quoi s'occuper et qu'ils ne prêtent plus attention à des paroles mensongères ! Les inspecteurs et les secrétaires du peuple allèrent dire au peuple : Ainsi parle le pharaon : Je ne vous donne plus de paille ; allez vous-mêmes prendre de la paille là où vous pourrez en trouver ; mais on ne diminuera en rien votre tâche. Le peuple se dispersa dans toute l'Egypte, pour ramasser du chaume et le hacher. Les inspecteurs les pressaient, en disant : Achevez votre travail de chaque jour, comme quand il y avait de la paille ! On frappait même les secrétaires des Israélites, ceux qui avaient été préposés sur eux par les inspecteurs du pharaon : Pourquoi, leur disait-on, n'avez-vous pas achevé hier et aujourd'hui votre compte de briques, comme d'habitude ? Les secrétaires des Israélites allèrent se plaindre au pharaon ; ils lui dirent : Pourquoi nous traites-tu ainsi, nous, tes serviteurs ? On ne nous donne pas de paille, et on nous dit : Faites des briques ! Alors on nous frappe, et c'est ton peuple qui pèche ! Le pharaon répondit : Vous êtes des paresseux, des paresseux ! Voilà pourquoi vous dites : « Allons offrir des sacrifices au SEIGNEUR (YHWH) ! » Maintenant, allez à votre tâche ; on ne vous donnera pas de paille, et vous livrerez la même quantité de briques" (Ex 5,6-18).
Je trouve que le choix du terme "secrétaires" au lieu de "scribes" n'est pas très judicieux, ni très heureux ... Cela fait moderne (Idem pour "Les chefs de corvée" et "Les inspecteurs").
Dans le cœur du récit d’Exode 5, il n’est fait mention ni de Moïse ni d’Aaron, derrière ces versets se trouve-il le résidu d’une histoire de l’Exode sans Moïse ?
Dernière édition par free le Ven 12 Fév 2021, 11:10, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Jeu 11 Fév 2021, 21:34 | |
| Je ne me souviens plus très bien des raisons qui ont motivé, dans ce cas, les choix de la NBS. La Segond 1910 avait respectivement "inspecteurs" (déjà) et "commissaires" (je n'ai pas l'édition originale de Louis Segond sous la main, mais je doute que la révision posthume de 1910, surtout "idéologique", ait changé sur ce point), ce qui, en français plus récent, faisait plutôt "policier". Le mot hébreu dont la traduction a changé, shoter(im), semble bien désigner normalement le "scribe", mais ce n'est pas le terme le plus courant pour cette fonction, sopher(im): c'est probablement pour cela qu'on a tenté de reproduire une synonymie semblable avec "secrétaire" et "scribe", en gardant le plus "antique" pour le principal; d'autre part, dans l'usage biblique de shoter(im) (cf. Nombres 11,16; Deutéronome 1,15; 16,18; 20,5ss; 29,10; 31,28; Josué 1,10; 3,2; 8,33; 23,2; 24,1; 1 Chroniques 23,4; 26,29; 27,1; Proverbes 6,7 (la fourmi); 2 Chroniques 19,11; 26,11; 34,13), l'activité d'écriture tend à s'effacer au profit de la position d'"autorité" relative ou intermédiaire; bref, ce n'était peut-être pas une bonne idée, mais il est de toute façon difficile d'anticiper la réception qui peut varier d'une partie du public à l'autre (ça me rappelle un TdJ portugais qui ne supportait pas d'entendre Moïse parler portugais dans une version doublée des Dix commandements, de Cecil B. De Mille, parce que pour lui ça ne faisait pas sérieux; alors que Moïse = Charlton Heston parlant anglais ou français, ça ne le gênait pas -- le complexe des "langues mineures", comme dirait Deleuze).
Ce qui me paraît intéressant dans ce passage, c'est la représentation d'une hiérarchie (bureaucratie, technocratie) contribuant à l'oppression, tout en étant constituée au moins en partie du peuple (ou de la classe) des opprimés -- pendant qu'on est dans les références cinématographiques, j'ai revu dernièrement le film Kapo de Gillo Pontecorvo, dont Rivette et toute la Nouvelle Vague française avaient dit tant de mal et que j'ai trouvé pourtant excellent, sous ce rapport entre autres: l'histoire d'une jeune fille juive qui survit en camp de concentration en s'intégrant dans l'organisation disciplinaire nazie. Le problème a été plus largement et profondément analysé par Hannah Arendt, qui ne s'y est pas fait que des amis: comment les opprimés, en collaborant avec l'oppresseur pour éviter le pire, en arrivent à lui faciliter la tâche.
En tout cas les shoterim, "secrétaires-scribes" (on aurait aussi pu dire "greffiers") avec des fonctions d'autorité administrative, exécutive, judiciaire ou sacerdotale selon le cas (voir la liste de références ci-dessus), se retrouvent dans l'organisation "autonome" d'Israël, sans aucune connotation péjorative. Tandis que le mot traduit par "inspecteurs", de la racine ngš, évoque plus directement et négativement la pression (oppression, répression), cf. Exode 3,7; Deutéronome 15,2s; 1 Samuel 13,6; 14,24; 2 Rois 23,35; Isaïe 3,5.; 9,4; 14,2.4; 53,7; 58,3; 60,17; Zacharie 9,8; 10,4; Job 3,18; 39,7; Daniel 11,20.
Quant à ta dernière question (qui vient peut-être de là, § 62), on pourrait en effet verser ce passage (Exode 5,5-19) au dossier des textes qui parlent d'oppression ou d'esclavage en Egypte sans Moïse, puisqu'il y en a aussi hors de la Torah, même si ce n'est pas toujours significatif d'une "autre tradition" (cf. p. ex. Juges 6,8s; 1 Samuel 2,27; 10,18; Isaïe 52,4; Jérémie 34,13); mais d'un autre côté il s'insère très bien dans le contexte même de l'Exode (avec Moïse et Aaron) et sa logique narrative, comme un des nombreux "ratés" d'une libération laborieuse (qui commencent avec le meurtre de l'Egyptien avant la fuite à Madian et la rencontre de Yahvé en Horeb, et se poursuivent avec les "plaies" ou fléaux, qui dans un premier temps frappent aussi les Israélites, jusqu'aux épreuves du désert retardant à chaque fois l'arrivée en Terre promise).
Dernière édition par Narkissos le Ven 12 Fév 2021, 13:05, édité 1 fois |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 12 Fév 2021, 13:03 | |
| Dieu communique son souffle aux soixante-dix anciens
"Moïse sortit dire au peuple les paroles du SEIGNEUR. Il rassembla soixante-dix des anciens du peuple et les plaça, debout, autour de la tente. Le SEIGNEUR descendit dans la nuée et lui parla ; il retira un peu du souffle qui était sur lui et le mit sur les soixante-dix anciens. Dès que le souffle se posa sur eux, ils se mirent à faire les prophètes ; mais ils ne continuèrent pas. Deux hommes, l'un nommé Eldad, l'autre Médad, étaient restés dans le camp ; le souffle se posa sur eux — ils étaient parmi les inscrits, mais ils n'étaient pas sortis vers la tente. Ils se mirent à faire les prophètes dans le camp. Un jeune homme courut dire à Moïse : Eldad et Médad font les prophètes dans le camp ! Josué, fils de Noun, qui était auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, s'écria : Moïse, mon seigneur, empêche-les ! Moïse lui répondit : Tu es jaloux pour moi ? Ah ! si tout le peuple du SEIGNEUR était composé de prophètes, si le SEIGNEUR mettait son souffle sur eux ! 30.Sur quoi Moïse se retira dans le camp, lui et les anciens d'Israël" (Nb 11,24ss).
Nous avons ici les revendications d'un milieu prophétique qui semble être proche des éditeurs d'Ezéchiel (cf. p. ex. Ez 37,5 et 14: et Nb 11,17) et du Deutéro-Esaïe. Ces revendications prophético-eschatologiques sont pourtant contestées, voire corrigées au chapitre suivant. Alors que Moïse est présenté en Nb 11 comme colérique et énervé (11,10-11), Nb 12,3 insiste sur le fait que Moïse était l'homme le plus humble de toute la terre (12,3). Et si Nb 11 veut faire de tout le peuple des prophètes de Yhwh, 12,6-8 insiste sur la différence insurmontable entre un prophète "ordinaire" et Moïse avec qui Dieu parle de vive voix et en se faisant voir à lui (!). Donc, Nb 12,2-8 peut être compris comme une réponse aux revendications prophétiques de Nb 11, réponse provenant sans doute d'un milieu cultivant la théologie deutéronomiste. Mais cette correction théologique qui réaffirme la nécessité absolue de la médiation mosaïque n'est pas encore le point final du récit. Sur ce texte, profitant de l'autorité de Moïse, est venu se greffer un second récit (12,1.10ss), dans lequel Miryam critique Moïse à cause de sa femme coushite. Et cette critique est sanctionnée par le fait que Miryam devient lépreuse et ne peut être guérie que grâce à l'intervention de Moïse, qui légitime du coup les mariages mixtes, et cela à l'encontre de l'orthodoxie naissante autour d'Esdras et de Néhémie. Ceci signifie que même les tendances libérales du judaïsme ont pu trouver leur niche à l'intérieur de la Tora. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats3/lecon4/lecon4.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 12 Fév 2021, 13:28 | |
| Sauf que 12,3 (Moïse humble) peut lui-même être vu comme une "correction" tardive de son propre contexte (cf. supra 27.1.2021) -- tout dépend, comme toujours, de la façon dont on place les pièces du puzzle qui n'en est pas un, dont on jongle avec les éléments, qui ne sont pas seulement des "chapitres" et des "versets" distincts mais aussi des strates rédactionnelles d'un même texte, qu'on ne peut deviner qu'à partir de leurs traces (accrocs, coutures, la métonymie textile vient d'elle-même au textuel). Et cela varie naturellement d'une étude à l'autre, y compris d'un même auteur (p. ex. Römer, à Genève ou à Paris quelques années plus tard).
Reste que l'effet du texte "définitif", tel que nous le lisons, "synchroniquement" par rapport à sa propre "préhistoire", "diachroniquement" toutefois par le temps du récit et de la lecture, avec la vie, les rencontres y compris d'autres textes, l'expérience ou la pensée qui viennent s'intercaler d'une lecture à l'autre, est de multiples façons paradoxal: l'humble est exalté, l'inspiration prophétique est élevée et abaissée, Moïse voit Dieu et ne le voit pas, Moïse qui est la loi est aussi l'exception et la contradiction de la la loi, et ainsi de suite. La Torah, comme "la Bible" ou n'importe quelle "bibliothèque", dit tout et son contraire, mais cette évidence massive à grande échelle n'est pas seulement le fait de l'intertextualité au sens ordinaire (époques, lieux, milieux, langues, cultures, auteurs), elle se vérifie aussi plus subtilement dans les contextes les plus étroitement déterminés, à la limite dans la moindre phrase qui ne se réduit jamais à une seule "idée". |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 12 Fév 2021, 15:26 | |
| Les serpents brûlants (Le serpent d’airain - TOB)
Ils partirent de Hor-la-Montagne par le chemin de la mer des Joncs, pour contourner Edom. En route, le peuple perdit patience et parla contre Dieu et contre Moïse : Pourquoi nous avez-vous fait monter d'Egypte si nous devons mourir dans le désert ? Il n'y a ici ni pain ni eau, et nous avons pris en horreur ce pain méprisable ! Alors le SEIGNEUR envoya contre le peuple des serpents brûlants ; ils mordirent le peuple, et il mourut beaucoup de gens en Israël. Le peuple vint trouver Moïse et dit : Nous avons péché : nous avons parlé contre le SEIGNEUR et contre toi. Prie le SEIGNEUR, pour qu'il éloigne de nous ces serpents ! Moïse pria pour le peuple. Le SEIGNEUR dit à Moïse : Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur une perche ; quiconque a été mordu et le verra restera en vie. Moïse fit un serpent de bronze et le plaça sur la perche ; si quelqu'un était mordu par un serpent et regardait le serpent de bronze, il restait en vie. (Nombres 21,4-9)
"C'est lui qui supprima les hauts lieux, brisa les pierres levées, coupa le poteau cultuel (l'ashéra) et mit en pièces le serpent de bronze que Moïse avait fait, car jusqu'alors les Israélites lui avaient offert de l'encens : on l'appelait Nehoushtân" (2 R 18,4).
Notes : Nombres 21:8 un serpent brûlant : litt. un brûlant, cf. v. 6n ; 2R 18.4 ; voir aussi Ex 15.25 ; 2R 2.21s ; voir encore Gn 3.1ss ; Jn 3.14ss. – sur une perche : terme habituellement traduit par signal ou étendard (Ex 17.15) ; LXX et Vg l’ont rendu par signe. – le verra : autre traduction le regardera, un verbe hébreu synonyme est traduit par regarder au v. 9. – restera en vie : litt. vivra.
Le récit de Nb 21,4-9 tente d'expliquer l’origine du serpent détruit en 2 R 18,4 et sa présence dans le temple, puisque les "Israélites lui avaient offert de l'encens". L'épisode rapporté en Nb 21, offre deux réponses, c'est Dieu lui-même qui ordonne à Moïse de fabriquer un serpent d’airain et ce serpent d’airain a un rôle thérapeutique, il n’était donc pas destiné au culte. Les deux textes, justifient à la fois l’initiative de Moïse dans le désert et la destruction de ce serpent. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 12 Fév 2021, 15:55 | |
| "Les deux textes", si on les prend ensemble en les rapportant l'un à l'autre, ce qui arrive sans doute à différentes étapes de la rédaction de l'un et de l'autre, en effet. Noter surtout le jeu de mots (quasi-homonymie de l'animal et du métal) constitutif du "serpent d'airain (ou de bronze)", nhš h-nhšt dans les deux cas, d'où provient directement le nom propre (théonyme ?) "Nehoushtan". Et comme les (serpents) "brûlants" sont aussi des seraphim ("séraphins"), on les retrouverait aussi bien dans la vision inaugurale d'Isaïe (chap. 6), toujours dans le temple. Cela dit, le "culte du serpent" mortel et éternel (cf. la mue, déjà dans Gilgamesh), tueur et guérisseur, est un plus vaste sujet, du récit de l'Eden aux "caducées" de nos médecins, infirmiers et pharmaciens (que même les plombiers imitent parfois sur leurs véhicules en remplaçant le serpent par un tuyau, pour apaiser cette fois les contrôleurs du stationnement), qui viennent de la tradition gréco-latine correspondante (Asklèpios-Esculape ou Hermès-Mercure, science et technique médicales d'un côté, commerce et communication de l'autre, tout un programme). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 12 Fév 2021, 17:13 | |
| "Le SEIGNEUR dit à Moïse : Je vais faire venir encore un fléau, un seul, sur le pharaon et sur l'Egypte. Après cela il vous laissera partir d'ici. Quand il vous laissera enfin partir, il ira jusqu'à vous chasser d'ici. Parle au peuple, je te prie : que chaque homme demande à son voisin, et chaque femme à sa voisine, des objets d'argent et des objets d'or. Le SEIGNEUR avait donné au peuple de la grâce aux yeux des Egyptiens ; Moïse lui-même était très respecté, en Egypte, par les gens de la cour du pharaon comme par le peuple" ( Ex 11,1-3).
Je trouve le propos du v 3 décalé, les égyptiens subissent des plaies qui devraient nourrir chez eux de la rancœur à l'encontre de Moïse (en plus les égyptiens sont "dévalisés" de leurs objets en or et en argent), pourtant le texte souligne que Moïse "était très respecté, en Egypte, par les gens de la cour du pharaon comme par le peuple". On sent la volonté de l'auteur de renforcer le statut exceptionnel de Moïse. Cela fait vraiment héros de roman. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Ven 12 Fév 2021, 17:49 | |
| On peut regretter la correspondance formelle perdue entre les deux parties du v. 3: un peu plus littéralement, "et Yahvé donna grâce au peuple aux yeux de l'Egypte (ou des Egyptiens); quant à l'homme Moïse, il était très grand en terre d'Egypte, aux yeux des serviteurs de Pharaon et aux yeux du peuple." Même s'il reste quelque chose du "regard" dans l'étymologie du "respect".
Ce verset fournit par ailleurs l'une des rares "accroches", dans le texte hébreu, à une tradition qui va devenir extrêmement importante à l'époque hellénistique et surtout à Alexandrie -- en Egypte donc, lieu d'une diaspora juive considérable, installée depuis l'invasion néo-babylonienne (cf. Jérémie 41ss) et pendant toute l'époque perse, d'abord autour du temple d'Eléphantine en Haute-Egypte, et plus tard point de confluence culturelle des traditions grecques, juives et égyptiennes: celle d'un Moïse versé dans "toute la sagesse (proverbiale, cf. Salomon en 1 Rois 4,30) des Egyptiens", selon la formule de l'"helléniste" Etienne dans les Actes (7,22). C'est l'endroit idéal pour faire consoner "Moïse" avec Platon (chez qui on trouve déjà beaucoup de références égyptiennes), comme le fera exemplairement Philon (cf. aussi le livre de la Sagesse, notamment le chap. 10, et déjà le Siracide, chap. 1 et 24; le portrait de Moïse en Hébreux 11 est également, sans surprise, très "platonicien", de la "beauté" à l'"invisible"). Dans le texte hébreu, Moïse avait été confronté aux "sages" d'Egypte (Exode 7,11), comme Joseph qui y avait gagné sa réputation de sagesse (Genèse 41,8.33).
Au-delà de la "sagesse", il y a sans aucun doute une continuité de "genre", sinon de style, entre ce qu'on appelle le "roman de Joseph" (malgré l'anachronisme évident du terme, c'est aussi un "genre littéraire" reconnu conventionnellement dans l'Antiquité, surtout à l'époque hellénistique, par analogie avec le "roman" médiéval et moderne: notamment à ceci que les dieux, s'ils ne disparaissent pas complètement, s'y font plus discrets que dans l'épopée ou la tragédie déjà centrées sur des "héros" humains) et le début de l'Exode -- outre la nécessité purement narrative et géographique: il faut bien "descendre" en Egypte pour en "remonter". Ce qui paraît intéressant dans ce cas, comme dans pas mal de récits "bibliques", c'est le décalage entre les actions indirectes et subtiles de Yahvé, qui joue sur les sentiments et les émotions des différents acteurs (Jacob, Joseph, ses frères, Potiphar, Pharaon, et le "peuple" en général), et ses manifestations de (toute-)puissance qui rendraient logiquement toute subtilité inutile: pas de finesse sans faiblesse, même Nietzsche aura fini par le concéder... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 16 Fév 2021, 12:50 | |
| Philon d’Alexandrie écrit sa biographie de Moïse au Ier siècle après JC : Peri tou biou môuseôs (Sur la vie de Moïse). Le titre indique clairement l’objet du livre : le récit de la vie de Moïse. Mais quel est l’objectif de cette biographie ? Philon l’annonce dans les premières lignes de la Vie de Moïse :
J’ai conçu le projet d’écrire la vie de Moïse, ... un homme en tout point excellent et parfait (ἀνδρὸς τὰ πάντα μεγίστου καὶ τελειοτάτου), ... dans le dessein de le faire connaître à ceux qui méritent de ne pas l’ignorer. Car si la célébrité des lois qu’il a laissées s’est répandue à travers le monde entier, et a atteint les confins de la terre, bien peu savent [qui] il était, lui, en vérité.
Philon écrit la vie de Moïse pour les païens ne connaissant ni le judaïsme ni la Bible, et s’adresse plus précisément aux païens de tradition hellénistique pour leur rendre accessible non pas le message de la religion juive, caractérisé par la transmission des Lois, mais la vie de Moïse lui-même. Plus particulièrement, Philon s’intéresse à l’excellence, à la perfection de Moïse. En effet, il précise dans la suite du texte l’intérêt de l’écriture biographique : la biographie permet de « raconter la vie des hommes vertueux, pour qu’aucun bien de jadis ou de naguère ne fût livré au silence ni ne disparût, alors qu’il pouvait briller de tout son éclat ». La visée de Philon est claire : présenter la figure d’un homme parfaitement vertueux, pour mettre en lumière la vertu, par opposition aux écrits grecs « consacrant leur zèle à faire un beau récit de mauvaises actions, afin de donner du lustre au vice ». La critique philonienne des écrits païens révèle, par contraste, l’objectif principal du biographe racontant la vie de Moïse : non pas faire un beau récit (καλῶς ἀπαγγέλλειν), mais faire briller (λάμψαι) la vertu du prophète. https://www.fabula.org/colloques/document2370.php
Dernière édition par free le Mar 16 Fév 2021, 14:00, édité 2 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 16 Fév 2021, 13:26 | |
| Voir aussi un peu plus bas § 14ss.
C'est très superficiel d'opposer ainsi le "juif" ou le "chrétien" aux "païens" ou le "religieux" au "philosophique". Il n'est pas besoin d'avoir beaucoup lu Philon pour s'apercevoir que son "Moïse" est bien plus "philosophe" que "prophète", au sens de la "philosophie" dominante de son temps (du temps de Philon, non de Moïse) qui, à la confluence du platonisme et du stoïcisme, s'efforce de ne jamais séparer la "vie" de la "pensée" ni la "pratique" de la "théorie" (d'où le discours des "vertus" qui traverse toutes les "écoles", même cyniques ou épicuriennes, malgré un vocabulaire différent et des justifications contradictoires). La principale différence avec les biographies de Pythagore (ou des "présocratiques" ou "préplatoniciens" en général), c'est que "Moïse" est à la fois un personnage de récit et l'auteur présumé d'un corpus textuel important (Torah-Pentateuque), le commentaire du texte (qui occupe la majeure partie des traités de Philon) renvoyant constamment à l'un et à l'autre (le "Moïse" de Philon serait en cela plus comparable au duo Socrate-Platon, le personnage raconté et le corpus composé en grande partie de ses "dialogues" supposés). Si l'on tient aux étiquettes, Philon serait tout aussi "platonicien" que Porphyre ou Jamblique, il le serait simplement à un stade antérieur de la tradition platonicienne (médio-platonisme vs. néo-platonisme), et avec une intertextualité différente, qui fait dialoguer "Moïse" avec "Platon". Et il ne faut pas résumer ce dialogue à l'argument chronologique simpliste et fallacieux qu'en ont retenu les moins malins des Pères de l'Eglise, "Platon a tout piqué à Moïse" -- c'est bien sûr à un "Moïse" revu et corrigé à travers les lunettes du platonisme que "Platon" aurait tout piqué. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mar 16 Fév 2021, 17:20 | |
| Michée 6,1-8 Ainsi, les v. 4 et 5 présentent un sommaire de l'histoire d'Israël, à travers la triade Moïse, Aaron, Myriam. Cette triade ne se trouve nulle part ailleurs dans l'Ancien Testament. En Josué 24, on trouve un sommaire semblable, mais seuls Moïse et Aaron sont mentionnés. On peut donc se demander si l'auteur qui écrit cette triade connaît l'Ancien Testament sous la même forme que nous. En effet, trois éléments importants de l'histoire d'Israël, qui sont mentionnés en Josué 24, sont totalement absent de Mi 6,4-5 : l'épisode du Sinaï, l'histoire des Patriarches, et les récits de conquête. Mi 6 ne semble connaître que la tradition du désert. Quoi qu'il en soit, l'expérience du désert est perçue comme le noyau du salut. http://www.unige.ch/theologie/distance/cours/ats2/lecon4/michee618.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 17 Fév 2021, 01:06 | |
| Il ne manque que le désert... Cette note de travail (exercice destiné à des étudiants, semble-t-il) n'a visiblement pas été très réfléchie (l'auteur ou les auteurs de Michée 6, qu'ils soient d'avant ou d'après l'exil, ne risquaient pas de connaître "l'Ancien Testament" !), mais elle est quand même caractéristique d'une critique à moitié pensée qui se neutralise elle-même, ou qui retombe aussitôt dans la naïveté qu'elle prétend combattre. Tout le raisonnement qui conclut que le texte est tardif s'effondre quand on remet la conclusion à la place de l'hypothèse: si le texte est tardif, il peut fort bien connaître d'autres traditions et les omettre, accidentellement ou délibérément, en tout cas ça ne prouve rien quant à leur datation, même relative (c.-à-d. quant à la relation chrono-logique des textes, les uns par rapport aux autres); d'autre part, pour situer "au désert" les épisodes évoqués (ce que le texte de Michée ne fait pas !), il faut présupposer le grand récit de la Torah (et spécialement des Nombres) qu'on entendait précisément remettre en question... comme on le disait plus haut, on n'est pas devant un puzzle avec une seule solution possible, il s'agit de jongler avec des éléments tous mobiles et qui le resteront après chaque jeu; ou, si l'on préfère l'analogie algébrique, on a affaire à des équations à plusieurs inconnues qui admettent nécessairement plusieurs solutions. Cela me rappelle une lecture "féministe" fort répandue il y a une trentaine d'années, où, ce texte étant réputé plus ancien que la Torah, il "prouvait" que celle-ci avait évincé et/ou rabaissé la figure de Miryam... évidemment ça se retourne comme une crêpe (c'est de saison), et on peut tout aussi bien imaginer un rôle plus important des femmes dans un milieu "prophétique", qu'il soit ancien ou tardif... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? Mer 17 Fév 2021, 16:12 | |
| Le livre d'Isaïe fait souvent référencé à l'Exode, sans jamais citer Moïse comme protagoniste de cet épisode.
Un extrait :
"Yahvé asséchera le golfe de la mer d’Égypte et étendra la main sur le Fleuve ... afin qu’il y ait une route pour le reste de son peuple qui restera de l’exil d’Assur, comme il y en eut une pour Israël lorsqu’il remonta d’Égypte" (Is 11,15-16).
"Ainsi parle Yahvé, qui fit une route à travers la mer, un sentier au milieu des eaux formidables ... Ne vous souvenez plus d’autrefois, ne songez plus aux choses passées. Voici que je vais faire du nouveau ... oui je vais tracer une route dans le désert ... pour étancher la soif de mon peuple élu" (Is 43 16-20).
"c’est moi qui rends inefficaces les signes des magiciens et rends fous les devins, qui confirme la parole de mes serviteurs, et fais réussir les projets de mes envoyés" (Is 44 25-26).
"Yahvé a racheté son serviteur Jacob ! Ils n’ont pas été altérés, ceux qu’il a menés dans les déserts ; du rocher, il a fait jaillir pour eux de l’eau" (48 21 ). Le nouvel Exode est présenté comme antitype de l’Ancien, avec les mêmes caractères, parce que l’auteur de cette geste du passé c’est Yahvé qui est toujours vivant, qui est toujours le même, qui est toujours présent, qui est. Les formules si fréquentes ( Moi Yahvé », « c’est moi qui suis Yahvé » (41 4 ,13, 17 ; 43 3, i l , 15 ; 45 5, 6, 7, 8, 18, 19, 21) et qui affirment avec tant d’éclat l’immutabilité et l’éternité de Yahvé, par opposition aux divinités païennes, ne sont-elles pas en même temps un rappel des révélations de l’Horeb qui ont précédé la libération de la servitude égyptienne? (Ex 3). Parce qu’Israël a toujours affaire au Dieu unique et immuable qui jadis le délivra, il verra se renouveler en sa faveur les miracles de la traversée du désert sinaïtique. Quand on cherche le ressort de cette conviction on constate que c’est la foi monothéiste au Dieu de l’Exode, qui fit connaître à Moïse le nom de Yahvé sous lequel il veut se voir désormais invoquer par les enfants d’Israël. Aussi au centre de toutes les prophéties du Second-Isaïe revient la théologie du Nom, et c’est précisément celui de la révélation du Sinaï. Israël, dès l’événement du Sinaï, est en situation d’espérance eschatologique, cette espérance ayant sa source en Yahvé, dont le nom avait, dès le commencement, une saveur de promesse. https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1963-v19-n1-ltp0962/1020032ar.pdf |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Moïse médiateur et prophète incomparables ? | |
| |
| | | | Moïse médiateur et prophète incomparables ? | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |