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 ascensions

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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeVen 21 Mai 2021, 12:07

1. La pensée lucanienne

Les « derniers temps » sont arrivés, comme le déclare Pierre après la Pentecôte, en glosant le texte de Joël (3, 1-5) : « Il arrivera dans les derniers temps que je répandrai mon Esprit. » (Ac 2, 17). La Pentecôte inaugure en effet le temps de l’Esprit. On pourrait donc croire à l’épuisement de l’espérance chrétienne, puisque l’Esprit est là. Luc ne parle plus de Parousie ou du moins il n’emploie pas le mot. Son regard se modifie, tant celui porté sur la suite des temps que celui visant un salut venu des cieux. Rappelons la question des disciples : « Est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » (Ac 1, 6) où le verbe « rétablir (άποκαθιστηνα1) » est gros de toute l’espérance prophétique touchant la restauration d’Israël (cf. Jr 15, 19 ; 16, 15 LXX ; etc.). La réponse est alors négative. La parole des anges les invite ensuite à un changement d’attitude : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? » (Ac 1, 11a). Or, ce refus de l’attente immédiate d’un roi-Christ venu des cieux s’accompagne, chaque fois, d’une réserve où les temps restent quand même ouverts, comme les cieux aussi : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés » (1, 7) et « ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » (1, 11b). L’achèvement des temps comme la descente des cieux sont en quelque sorte en suspens. Pour le moment, le Fils de l’homme reste debout (en attente ?) à la droite de Dieu, comme le voit Etienne (7, 56), et le Messie est mis en réserve : « Convertissez-vous... ainsi reviendront les moments de fraîcheur (de repos) accordés par le Seigneur, quand il enverra le Christ qui vous est destiné, Jésus que le ciel doit accueillir jusqu’aux temps du rétablissement de tout... » (3, 19-21). Alors Dieu jugera « le monde avec justice par l’homme qu’il a destiné » (17, 31). Ce sera alors la fin des temps qui coïncide apparemment pour Luc avec la fin de sa propre génération. Pour lui aussi, « le Règne de Dieu est proche » (Lc 21, 31-32). Ce sera l’apocatastase, le rétablissement de tout ou plus exactement l’inauguration de l'ère messianique, « quand il enverra le Christ qui vous est destiné » (Ac 3, 20) pour reconstruire « la hutte écroulée de David » (15, 16). Comme on le voit, Luc reprend ici des thèmes judéo-chrétiens et juifs aussi (par exemple, sur le Messie mis en réserve), mais il les tempère et les transfigure. Car il lui faut dire à la fois que l’Eglise doit s’installer dans le temps présent, sans perdre la visée de son avenir, et qu’elle doit aussi s’installer sur terre, sans oublier les cieux qui s’ouvriront encore. Chez Luc, Jésus annonce le Règne de Dieu et c’est l’Esprit qui vient, et pourtant le Règne reste le dernier mot de son œuvre : à Rome Paul proclame le Règne de Dieu (28, 31). Tous les auteurs canoniques n’ont pas atteint ce splendide équilibre.
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeVen 21 Mai 2021, 16:26

Le problème quand on parle de "Luc", même par convention, c'est de savoir de qui on parle -- autrement dit, de définir la convention. Est-ce l'"auteur" présumé unique de Luc-Actes, le premier ou le dernier s'il y en a plusieurs (compte tenu de la double "édition" des Actes, il y aurait certainement plus d'un dernier, sinon plus d'un premier), l'"historien" des introductions-dédicaces qui n'est témoin de rien mais reconstitue un passé plus ou moins lointain à partir de documents de seconde main, le narrateur qui s'identifie peut-être à un compagnon de Paul (mais qui parodie aussi l'Odyssée) en parlant de temps à autre à la première personne du pluriel ("nous"), ou celui qui traite Paul comme un personnage d'un passé déjà lointain ? Selon les réponses qu'on voudra donner à ces questions le "Luc" dont on parle n'appartiendra pas à la même "génération", et de toute façon je ne vois pas trop où ni comment *il* suggérerait qu'*il* attende quoi que ce soit dans *sa* propre "génération". S'il y a un trait commun à l'évangile "selon Luc" et aux Actes des Apôtres, c'est bien le refus de toute eschatologie "imminente" et le report de l'horizon eschatologique à un avenir lointain et indéfini.

En revanche, Luc-Actes a parfaitement intégré, "mieux" que les autres Synoptiques et "aussi bien" que les Pastorales, l'idée de "succession apostolique" qui est inséparable de sa notion même d'Eglise, institution durable dans le temps, de génération en génération: les Douze sont les "successeurs" de "Jésus", mais "Paul" est aussi un successeur des Douze, surtout pas un "indépendant", encore moins un "concurrent" ou un "contestataire", mais un "apôtre" au sens dérivé dont l'"apostolat" se situe, au même titre que celui de Barnabas qui d'abord le précède, dans la succession fidèle des Douze. Et Paul aura aussi ses "successeurs", c'est l'enjeu notamment des nominations d'"anciens" par "imposition des mains" (voir en particulier le discours d'adieu d'Actes 20), geste qui marque l'idée même de "succession" autant que celle de "tradition-transmission" du début à la fin du livre, ainsi que des figures de Timothée ou Tite qui sont les destinataires des Pastorales. L'"Eglise apostolique" des Actes est une institution durable, de génération en génération, et cela suppose une eschatologie différée ou suspendue sine die.
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeJeu 26 Mai 2022, 12:23

Je relisais ce fil de l'année dernière -- tout bêtement parce que c'est de nouveau le "jeudi de l'Ascension" -- et ce sont tout à la fin les mots "suspens" et "suspendu(e)", à propos de l'eschatologie des Actes, qui m'ont... arrêté.

Comme on le rappelle souvent, c'est le suspens, epokhè en grec, bien connu(e) pour son usage "philosophique", notamment stoïcien et sceptique ("suspension du jugement"), qui fait l'"époque" -- c'est-à-dire la notion ou l'illusion d'une unité de temps correspondant à un certain "état", "ordre" ou "système" relativement stable, avec une "structure" et un "fonctionnement" identifiables et descriptibles de façon "synchronique", comme si rien n'y changeait alors même que tout change tout le temps, là comme avant, après ou ailleurs: ainsi de la description et de l'analyse "synchroniques", grammaticales et lexicales d'une langue, traitée artificiellement comme le jeu variable de règles immuables correspondant à une certaine "époque" ou à un certain "état" de la langue, figée comme un "arrêt sur image" dans le cours d'une évolution multilinéaire et continue; de même (dans les Actes et les catéchismes subséquents) ce qu'on appelle "le temps de l'Eglise" ou "le temps de l'Esprit" -- ou sur le même modèle "l'ère chrétienne", "le moyen-âge" ou "l'époque moderne" -- conçus comme des ensembles homogènes, par découpage conventionnel d'une histoire continue et continûment changeante.

De ce point de vue "l'ascension" (au ciel) est aussi une "suspension", non seulement de l'eschatologie mais du Christ comme d'Hénoch ou d'Elie et de bien d'autres personnages (Moïse, Isaïe, Melchisédeq etc.) que les textes eschatologiques du judaïsme tardif, à commencer par Malachie 3,22ss pour Elie, promettent à un "retour", ou à une "venue" ultime ou pénultième, ménageant sur terre dans l'intervalle le temps et l'espace d'une "époque" déterminée (de "mal" et/ou de "bien", d'attente, d'obéissance, de repentance ou de conversion). En ce qui concerne Jésus dans les Actes, cela n'est peut-être jamais aussi bien exprimé que dans le discours de Pierre en 3,21: "(Jésus) que le ciel doit recevoir (ou accueillir, dekhomai) jusqu'aux temps (khronoi) du rétablissement (ou de la restauration, apo-kata-stasis, apocatastase, soit l'anti-cata-strophe, le renversement du renversement comme rétablissement) de tout (ou de tous, le génitif pluriel pantôn pouvant se lire comme un neutre-impersonnel, toutes choses, ou un masculin-personnel), comme a parlé le dieu par la bouche de ses saints prophètes depuis toujours (plutôt que d'autrefois, ap'aiônos)." Comme on l'a vu dans l'autre fil, c'est le vocabulaire de la Septante pour l'"Elie" de Malachie 3,22ss, apo-kath-istèmi pour "ramener" ou "rétablir" les coeurs des pères et des fils, v. 24TM, 23LXX). L'"époque" de l'Eglise des Actes c'est celle du Christ suspendu, en quoi l'"ascension" prolonge la crucifixion (pendu à la croix) autant que la résurrection (relèvement-élévation), tout en en inversant le "sens" (de l'humiliation à la gloire, soit le double sens de l'"élévation" johannique).
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeVen 27 Mai 2022, 10:44

La portée eschatologique de l’ Ascension

Appel de la Parousie

Le retour du Christ est, au-delà des images apocalyptiques, un article fondamental de la foi chrétienne. Dès la première épître aux Thessaloniciens (qui est aussi la première dans les chronologies actuelles de la correspondance paulinienne), saint Paul accorde une grande importance au retour du Christ (1 Th 4, 13–5, 4). On y décèle déjà deux indications qui seront constantes dans l’histoire de l’Église vis-à-vis de la Parousie. Premièrement, le retour du Chris n’est pas une occasion de crainte et de détresse, mais plutôt de joie et d’espérance (4, 13) ainsi que de réconfort (v. 18). Secondement, les chrétiens sont appelés à ne pas spéculer quant « aux temps et aux moments » (5, 1) de ce retour glorieux. Cependant, on peut percevoir en 1 Th 4, 15 qu’au moment où Paul écrit, les chrétiens considèrent encore que la Parousie sera inévitablement de leur génération, puisque les Thessaloniciens regrettaient que leurs morts n’assistent pas au retour du Christ.

Le texte des Actes des Apôtres témoigne d’une nouvelle génération de chrétiens qui, tout en ne rejetant pas la possible imminence de la fin des temps, imagine un futur durable. L’œuvre de Luc est en elle-même un témoignage de cette évolution. En effet, écrit-on une telle histoire de l’Église lorsque que l’on craint la Parousie dans l’instant ? Ce retour du Christ réclame indéniablement un départ, et l’Ascension va jouer ce rôle. L’Ascension étant donc le pendant de la Parousie, Luc va profiter du récit d’Ac 1, 6-11 pour en développer sa conception.

Le verset qui narre proprement la montée au Ciel (Ac 1, 9) est encadré par deux enseignements faits aux apôtres : le premier de la part du Christ (v. 6-Cool et le second par deux hommes vêtus de blancs (v. 10-11). Ces deux instructions sont relatives à la Parousie;

Dans le premier, les apôtres posent la question : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où Tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Rétrospectivement, avec nos yeux de chrétiens modernes  nous avons tendance à dédaigner une telle question. Mais c’est méconnaître et sous-estimer l’eschatologie juive qui attendait la venue du Seigneur dont les « pieds se poseront sur le mont des Oliviers » (Za 14, 4). La scène se passant sur ce mont dans les Actes des Apôtres, les disciples posent légitimement la question. De plus, l’Ancien Testament fait coïncider le Jour du Seigneur avec la venue de son Esprit (Jl 1, 15 ; 3, 1-5), et le Christ vient de leur promettre le baptême dans l’Esprit Saint (Ac 1, 5). Ainsi, leurs espérances eschatologiques sont bibliquement fondées, mais le Seigneur les reprend : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » (Ac 1, 7). Cette première partie correspond à ce que nous avons dit ci-haut à propos de 1 Th 5, 1 ; mais Jésus ne se contente pas de faire cette défense, il donne aux apôtres une promesse et une mission (v. Cool que nous étudierons dans la troisième partie. Constatons déjà que le Christ ne satisfait pas les attentes messianiques de ses disciples, mais les tourne vers un avenir terrestre.

Telle qu’elle nous est racontée, l’Ascension surprend les disciples en soustrayant le maître à leurs regards (Ac 1, 9). Toutes leurs espérances restent focalisées sur le Christ qu’ils n’aperçoivent plus dans le ciel (v. 10). L’intervention orale des deux hommes vêtus de blanc est révélatrice de la relation entre l’Ascension et la Parousie : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » (Ac 1, 11). Le « de la même manière » reste ambigüe. Cette manière ne peut concerner les modalités de l’Ascension telles que la nuée par exemple. Certes, les images de la Parousie évoquent aussi la présence de nuées (Mt 24, 30 ; Ap 1, 7 ; 14, 14 ; cf. Dn 7, 13) mais toujours au pluriel, tandis que notre péricope parle de la nuée au singulier (– Ac 1, 9). Il ne s’agit donc pas des nuées eschatologiques en Ac 1. La manière  est donc à saisir dans un sens plus général. Comme l’Ascension, la Parousie sera inattendue et inaugurera une ère nouvelle. Son retour sera aussi un événement indescriptible et profondément divin qui échappe à notre entendement. Nous ne pouvons pas en dire plus, mais nous pouvons conclure avec Daniel Margerat que« paradoxalement, son retrait du monde est garantie d’un retour » et que les deux hommes vêtus de blanc nous appellent une fois de plus à ne pas nous fixer sur le comment insondable de la Parousie.

Mais qui sont ces deux hommes vêtus de blanc ? Là encore, on peut éperdument tenter de déterminer leur identité. À partir du texte de Luc lui-même on peut voir que ces deux personnages jouent un rôle important puisqu’on les retrouve lors du mystère de la Résurrection en Lc 24, 4-6.Les femmes qui les virent au tombeau déclarèrent qu’ils étaient des anges (Lc 24, 23) et leurs habits« éblouissants » (24, 4) et « blancs » (Ac 1, 10) sont le signe du divin dont ils se font les messagers.

Leur message consiste en deux questions qui encadre l’interprétation que l’Église peut avoir du mystère pascal : « Pourquoi cherchez vous le vivant parmi les morts ? » (Lc 24, 5) et « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1, 11). Ces deux questions sont comme les deux glissières de la route que l’Église se frayent sur la terre. Le Christ n’est actuellement ni mort, ni dans un ciel lointain, et les chrétiens ne doivent donc ni désespérer, ni vivre dans un mysticisme qui oublie d’habiter ce monde avec acuité, joie et discernement.

https://www.academia.edu/19668459/La_port%C3%A9e_eschatologique_de_lAscension
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeVen 27 Mai 2022, 11:30

Sur ce texte, voir supra 19.5.2021 -- premier échange de la journée, notamment sur l'argument foireux du nombre (de la ou) des nuées.

En rapport avec le post précédent, j'en profite pour signaler qu'en Actes 1,6 le verbe "rétablir" (le royaume pour Israël) traduit le verbe apo-kath-istèmi (comme dans la Septante de Malachie 3,23 = 24TM), d'où dérive le substantif apo-kata-stasis ("apocatastase") en 3,21. Le verbe est également associé à Elie (par allusion claire à Malachie) en Marc 9,12 // Matthieu 17,11, ailleurs il intervient avec un sens quasi médical ("rétablir") dans les récits de miracles, Marc 3,5; 8,25; Matthieu 12,13; Luc 6,10, une fois dans un sens encore plus général (que je vous sois "rendu" plus tôt, Hébreux 13,19).

Accessoirement, le rapprochement des deux "pourquoi" de Luc 24,5 et d'Actes 1,11 (ti; dans un français plus "classique" on dirait aussi "que", "que cherchez-vous le vivant parmi les morts" ou "que restez-vous là à regarder le ciel") perd un peu de son effet ("glissière" !) quand on considère la banalité de ce genre de question "rhétorique" (= qui n'attend aucune réponse, justement pour montrer qu'il n'y en a pas, pour souligner l'absurdité de l'idée, de l'attitude ou de l'action évoquée): cf. p. ex. Luc 1,43; 2,48s; 5,22.30; 6,2.41.46; 12.26.56s; 13,7; 18,19; 19,23; 20,5; 22,46; 24,38; Actes 3,12; 4,25; 5,3; 7,26; 9,4; 14,15; 15,10; 22,7.16; 26,8.14 (pour s'en tenir à Luc-Actes)... d'autre part il me semble abusif de dire que le Christ "ascendu", si j'ose ce barbarisme, n'est pas "dans un ciel lointain": c'est bien l'éloignement du "ciel" qui ménage l'espace et le temps des médiations à venir (l'"esprit" et la transmission de l'esprit par les "apôtres", autrement dit "l'Eglise", sans compter les "anges", les "rêves" ou les "visions", et même les "prophètes" -- désormais chrétiens -- qui ne sont pas absents non plus du récit des Actes); soit l'effet "suspension-époque" que j'essayais de décrire hier (eschatologie et Christ "suspendus" <=> "époque" de l'Eglise).
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeLun 30 Mai 2022, 11:20

L'ascension ou l'exaltation de Jésus

La signification biblique du chiffre quarante est claire. Ce chiffre est symbolique (cf. Lc 4,1-2) et désigne le temps privilégié des révélations divines : on pense aux quarante ans du peuple d'Israël dans le désert, des quarante jours que Moïse passa au sommet du Sinaï, etc. (cf. Gn 7,4.12.17; 8,6; Ac 13,31; 24,18; 34,28; Nb 13, 25; 14,33; 32,13; Dt 2,7; 8,2.4; 9,9.11.18.25; 10,10; 29,5; etc.). Dans ce cas, les quarante jours entre la Résurrection et l'Ascension renvoieraient à une espèce de « formation intensive » des apôtres avant le départ final de Jésus (cf. Ac 13,31).

 Maintenant, le signe de la montée, selon la question : Peut-on établir un lien avec la montée du prophète Élie au ciel? Oui, le genre littéraire « la montée au ciel d'un personnage divin » était bien connu. L'antiquité classique connaissait l'exaltation de héros légendaires « enlevés » au ciel après leur mort : Hercule, Bellérophon, les Dioscures, Romulus, ou encore le « voyage céleste » de certains êtres privilégiés, dont l'âme était ravie dans une sorte d'extase. De son côté, la littérature apocalyptique du judaïsme utilise le thème du « voyage céleste » ou de la « montée de l'âme », mais le motif le plus courant est celui de l' « enlèvement » au ciel des grands personnages bibliques. Ainsi en va-t-il déjà dans l'Ancien Testament pour Hénok (cf. Gn 5,24; Si 44,16; 49,14; Hé 11,5) et Élie le prophète (2 R 2,9-10; Si 48,9.12). Il faut y ajouter les récits intertestamentaires concernant Esdras, Baruch et Moïse (cf. Jude 9). Deux expressions disent ce qui est arrivé à Jésus ressuscité au terme de ses apparitions aux Apôtres : l'enlèvement, analogue à celui d'Hénok ou d'Élie, avec mention de la montagne, de la nuée, de l'adieu de Jésus et de l'adoration des disciples (cf. Lc 24,51; Ac 1,2.11.22) et la montée que l'on retrouve dans l'Ancien Testament à l'issue d'une apparition divine (cf. Gn 17,22) ou lorsque la gloire de Dieu quitte le temple de Jérusalem (cf. Éz 11,23). Le terme est aussi utilisé par Jean (cf. Jn 3,13; 6,62; 20,17) et par Paul (cf. Ep 4,9-10).

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2004/clb_040423.htm
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeLun 30 Mai 2022, 11:47

Bon résumé (le site "interBible" est pour le moins inégal, cf. p. ex. supra 19.5.2021).

L'"élévation" (ou "exaltation") est parfois (d'abord ?) concurrente de la "résurrection" (ainsi dans la Sagesse où le juste est élevé après sa mort sans "résurrection" corporelle, conformément à une logique "hellénistique"), mais les deux peuvent être combinées comme des "événements" successifs (ainsi dans Luc et les Actes, à la différence du délai) ou simultanés, ou comme une seule séquence continue (mouvement ascendant des "enfers" au ciel): l'"ascension" de Luc-Actes est un mode particulier de l'"élévation", il y a de l'"élévation" dans cette "ascension"-là, mais ça ne signifie pas que toute "élévation" renvoie à cette "ascension"-là, comme le laissent facilement croire les rapprochements de textes divers à propos de l'"Ascension" (l'"événement" de l'histoire sainte ou la fête du calendrier liturgique, fondés en définitive sur le seul texte des Actes). Le quatrième évangile superpose le plus souvent la mort et l'élévation ("élevé de la terre" = sur la croix), et la "glorification" par la même occasion, mais le chapitre 20 dissocierait plutôt en effet la "résurrection" de l'"ascension" (sans la "mise en scène" de Luc ou des Actes). Comme l'avait bien remarqué R.E. Brown (pourtant catholique aussi, et non des moindres), la "résurrection" (corporelle) est parfaitement inutile à la logique fondamentale (entre sagesse et gnose) de l'Evangile selon Jean -- la mort aussi d'ailleurs, a fortiori une "ascension" supplémentaire.
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 12:02

La portée eschatologique de l'Ascension
Marc LOBIT

II. Appel de la Parousie

Le texte des Actes des Apôtres témoigne d’une nouvelle génération de chrétiens qui, tout en ne rejetant pas la possible imminence de la fin des temps, imagine un futur durable. L’œuvre de Luc est en elle-même un témoignage de cette évolution. En effet, écrit-on une telle histoire de l’Église lorsque que l’on craint la Parousie dans l’instant ? Ce retour du Christ réclame indéniablement un départ, et l’Ascension va jouer ce rôle. L’Ascension étant donc le pendant de la Parousie, Luc va profiter du récit d’Ac 1, 6-11 pour en développer sa conception. 

Le verset qui narre proprement la montée au Ciel (Ac 1, 9) est encadré par deux enseignements faits aux apôtres : le premier de la part du Christ (v. 6-Cool et le second par deux hommes vêtus de blancs (v. 10-11). Ces deux instructions sont relatives à la Parousie. 

Dans le premier, les apôtres posent la question : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où Tu  vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Rétrospectivement, avec nos yeux de chrétiens modernes nous avons tendance à dédaigner une telle question. Mais c’est méconnaître et sous-estimer l’eschatologie juive qui attendait la venue du Seigneur dont les « pieds se poseront sur le mont des Oliviers » (Za 14, 4). La scène se passant sur ce mont dans les Actes des Apôtres, les disciples posent légitimement la question . De plus, l’Ancien Testament fait coïncider le Jour du Seigneur avec la venue de son Esprit (Jl 1, 15 ; 3, 1-5), et le Christ vient de leur promettre le baptême dans l’Esprit Saint (Ac 1, 5). Ainsi, leurs espérances eschatologiques sont bibliquement fondées, mais le Seigneur les reprend : « Vous n’avez pas à connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » (Ac 1, 7). Cette première partie correspond à ce que nous avons dit ci-haut à propos de 1 Th 5, 1 ; mais Jésus ne se contente pas de faire cette défense, il donne aux apôtres une promesse et une mission (v. Cool que nous étudierons dans la troisième partie. Constatons déjà que le Christ ne satisfait pas les attentes messianiques de ses disciples, mais les tourne vers un avenir 
terrestre.

Telle qu’elle nous est racontée, l’Ascension surprend les disciples en soustrayant le maître à leurs regards (Ac 1, 9). Toutes leurs espérances restent focalisées sur le Christ qu’ils n’aperçoivent plus dans le ciel (v. 10). L’intervention orale des deux hommes vêtus de blanc est révélatrice de la relation entre l’Ascension et la Parousie : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » (Ac 1, 11). Le « de la même manière » reste ambigüe. Cette manière ne peut concerner les modalités de l’Ascension telles que la nuée par exemple. Certes, les images de la 
Parousie évoquent aussi la présence de nuées (Mt 24, 30 ; Ap 1, 7 ; 14, 14 ; cf. Dn 7, 13) mais toujours au pluriel, tandis que notre péricope parle de la nuée au singulier (νεφελη – Ac 1, 9). Il ne s’agit donc pas des nuées eschatologiques en Ac 1. La manière est donc à saisir dans un sens plus général. Comme l’Ascension, la Parousie sera inattendue et inaugurera une ère nouvelle. Son retour sera aussi un événement indescriptible et profondément divin qui échappe à notre entendement. Nous ne pouvons pas en dire plus, mais nous pouvons conclure avec Daniel Margerat que « paradoxalement, son retrait du monde est garantie d’un retour » et que les deux hommes vêtus de blanc nous appellent une fois de plus à ne pas nous fixer sur le comment insondable de la Parousie. 

Mais qui sont ces deux hommes vêtus de blanc ? Là encore, on peut éperdument tenter de déterminer leur identité . À partir du texte de Luc lui-même on peut voir que ces deux personnages jouent un rôle important puisqu’on les retrouve lors du mystère de la Résurrection en Lc 24, 4-6. Les femmes qui les virent au tombeau déclarèrent qu’ils étaient des anges (Lc 24, 23) et leurs habits « éblouissants » (24, 4) et « blancs » (Ac 1, 10) sont le signe du divin dont ils se font les messagers.

Leur message consiste en deux questions qui encadre l’interprétation que l’Église peut avoir du mystère pascal : « Pourquoi cherchez vous le vivant parmi les morts ? » (Lc 24, 5) et « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1, 11). Ces deux questions sont comme les deux glissières de la route que l’Église se frayent sur la terre. Le Christ n’est actuellement ni mort, ni dans un ciel lointain, et les chrétiens ne doivent donc ni désespérer, ni vivre dans un mysticisme qui oublie d’habiter ce monde avec acuité, joie et discernement. 

III. Ouverture du temps de l’Église

Il est évident aux yeux de la première génération chrétienne, que le départ du Christ est tout sauf un abandon. Comme nous l’avons dit plus haut, l’Ascension est l’occasion d’une nouvelle relation où le Christ joue une place prépondérante. Puisque le Christ est « élevé par [ou à] la droite de Dieu » (Ac 2, 33 ; 5, 31), il se retrouve dans un statut d’intercesseur pour les hommes auprès du Père, notamment en envoyant lui-même l’Esprit (Ac 2, 33 ; Lc 24, 49 ; Jn 15, 26). Certes l’Esprit Saint joue une place considérable dans cette médiation, puisqu’il déploie « la diversité de dons de la grâce » (1 Co 12, 4) et répand « l’amour de Dieu […] dans nos cœurs » (Rm 5, 5), tout en nous tournant vers le Fils et le Père (1 Co 12, 3 ; Rm 8, 15). Pourtant, on ne peut résumer l’intercession du Christ à la droite du Père par le simple envoi de l’Esprit Saint. L’épitre aux Hébreux donne une lecture autre de cette session céleste : « Christ est entré dans le ciel même, afin de paraître maintenant pour nous devant la face de Dieu » (Hé 9, 24). Selon la théologie de l’épître, le Christ nous représente en tant que « Grand Prêtre » (8, 1) de « la nouvelle Alliance » (9, 15). Le premier acte d’intercession du Christ auprès de Dieu est le sacrifice de la croix (10, 10) où il fut « à lui seul l’autel, le prêtre et la victime » (5ème préface du temps pascal). C’est en vertu de ce sacrifice, qu’il est notre perpétuel médiateur « à la droite de Dieu » (10, 12) et, de même, cette médiation céleste est la base théologique de toute la liturgie catholique . Les prêtres célèbrent 
toujours in persona Christi, car notre Grand Prêtre est le seul capable d’offrir une offrande qui trouve grâce devant Dieu. En conséquence, le mystère de l’Ascension permet la dimension liturgique de l’Église, car elle nous permet de poser nos actes devant Dieu, unis à la liturgie céleste. 

https://www.academia.edu/19668459/La_port%C3%A9e_eschatologique_de_lAscension
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeJeu 09 Mai 2024, 14:18

Cf. supra 19.5.2021 et 27.5.2022 -- l'Ascension revient et Lobit aussi, si le Christ ne revient pas...

Pas plus que le thème général de "l'élévation" (opposée à la chute, à l'abaissement, à l'humiliation, à la mort, à l'incarnation ou à la kénose, à la terre ou aux enfers), celui de la "session" (être assis ou s'asseoir, à la droite de Yahvé-'adonaï-kurios etc. d'après le psaume 110, top 1 des citations de l'AT dans le NT) ne saurait se réduire au(x) modèle(s) de l'"Ascension" (ou des "ascensions") de Luc-Actes.

Je relève dans l'extrait du jour un lapsus calami qui me semble révélateur, sinon calamiteux: "le Christ joue une place prépondérante" -- télescopage probable de "jouer un rôle" et "occuper une place". La position assise n'est guère active, sinon pour la fonction du roi ou du juge, à la rigueur du conseiller, sûrement pas de l'intercesseur qui serait plutôt debout, agenouillé ou prosterné: là encore, à mélanger les textes on leur fait dire n'importe quoi. Je ne vois pas d'intercession du Christ dans les Actes, sinon implicitement pour la demande initiale, unique et fondatrice de l'Esprit, qui n'empêche d'ailleurs pas le Christ d'intervenir dans le récit après l'"Ascension" et la Pentecôte, dans un rôle interchangeable avec "l'Esprit" ou les "anges" -- Etienne d'ailleurs le verra debout et non assis... Quant à invoquer ici l'épître aux Hébreux, qui fait l'usage le plus riche du psaume 110 en y intégrant la prêtrise éternelle de Melchisédek, c'est tout à fait trompeur: comme on l'a vu, dans la perspective médio-platonicienne de ce livre qui oppose plus rigoureusement que tous les autres textes néo-testamentaires le temps et l'éternité, le Christ à la droite de Dieu ne saurait plus rien faire (dans le temps que suppose n'importe quel faire, agir ou même subir): tout ce qu'il devait faire dans le monde et le temps des ombres, il l'a fait par sa mort qui est à la fois sa qualification-ordination-consécration de grand-prêtre (accomplissement, perfection au sens actif du devenir-parfait, teleios-teleiôsis), son sacrifice unique et son résultat, le passage même du temps-âge-monde à l'éternité: l'intercession ici ne peut plus que se confondre avec le "repos" qui caractérise précisément l'éternité opposée au temps, avec un point de tangence et de passage qui s'appelle "aujourd'hui", et aussi bien naître (être engendré) que mourir.

Par coïncidence, je lisais hier dans les sermons allemands de maître Eckhart l'idée (récurrente) que la vraie prière n'a rien à demander, du moins rien de pratique ni de concret, ni pour soi ni pour quiconque (intercession), si elle demande "que ta volonté soit faite" et que cette volonté est toujours, a toujours été, sera toujours, aura toujours été faite, si c'est cela même qui advient, toujours et partout -- que ça nous paraisse bon ou mauvais, heureux ou malheureux, important ou négligeable. Parfaite tautologie, "fataliste" si l'on veut, qui rejoindrait volontiers l'islam dans ce qu'il a de plus profond, et qui se retourne aussi bien en paradoxe ou en oxymore, coincidentia oppositorum (coïncidence des opposés, selon Nicolas de Cues): l'action comme la passion ne se distingue plus du repos, ni la parole du silence, ni la vie éternelle de la mort, ni l'être du néant, ni le ciel de l'enfer, dès lors que tout répond à la volonté de Dieu (je veux bien être damné si Dieu le veut, Judas préfère être lui-même en enfer qu'un autre au ciel, c'est du Eckhart tout craché... Eckhart qui est d'ailleurs capable de faire un sermon de l'Ascension à partir de Jean 17,1, "Jésus leva les yeux au ciel").
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeVen 10 Mai 2024, 10:04

La Pentecôte lucanienne et l'histoire
Philippe-Henri Menoud

Dans les premiers siècles chrétiens, on ne trouve pas trace d'une tradition relative aux quarante jours ; ce chiffre n'est connu que par l'œuvre de Luc. Du reste, il est notoire que l'ancienne Eglise ne s'est pas préoccupée de la durée exacte des christophanies. En dehors de Luc, aucun auteur du Nouveau Testament ne touche à cette question, et les écrivains ecclésiastiques des trois premiers siècles placent l'exaltation de Jésus le jour-même de la résurrection: ou le jour de Pentecôte ou encore à une date indéterminée entre Pâques et Pentecôte. Ce n'est qu'au IVe siècle que l'on se met à commémorer l'ascension au quarantième jour après Pâques et que s'impose un calendrier à trois fêtes. Il en est ainsi parce que l'Eglise n'a pas donné d'abord une signification proprement chronologique à la notice des quarante jours. Elle l'a interprétée symboliquement à l'exemple de Tertullien (Apologeticum , XXI, 23) qui fait des quarante jours un temps d'enseignement à la suite duquel les apôtres seront les porte-parole qualifiés de Jésus. Or, Tertullien a fort bien saisi l'intention de Luc. En effet, dans la péricope Actes 1 1-12, la donnée des quarante jours n'est pas jointe au récit même de l'ascension, où on s'attendrait à la trouver, mais à l'indication que le Ressuscité a enseigné ses futurs témoins. C'est dire que cette notice n'est pas destinée à dater l'ascension, mais à montrer que les apôtres sont les témoins autorisés de leur Maître. Le «chiffre rond » de quarante jours marque dans la tradition biblique la période normative de révélations divines. La même idée apparaît, à peine transformée, dans la tradition rabbinique : répéter quarante fois son enseignement, c'est pour un maître transmettre toute sa science à ses disciples de sorte qu'ils puissent à leur tour enseigner avec autorité. Or, ce chiffre traditionnel convenait parfaitement au but que Luc poursuit dans Actes 1 en relatant à nouveau les christophanies déjà rapportées à la fin de son évangile. L'évangile doit s'achever en laissant au lecteur la certitude que Jésus est vraiment entré dans la vie divine, et c'est pourquoi Luc insiste là sur le grand nombre de disciples qui ont vu Jésus vivant, les Onze et leurs compagnons (Le. 24 9-33) et les pèlerins d'Emmaûs (Le. 24 35). En revanche, le livre des Actes, consacré aux entreprises et aux discours des témoins par excellence du Ressuscité, doit montrer dès sa première page que ces «apôtres » (Ac. 1 2), ces «témoins » (Ac. 1 s) sont vraiment les dépositaires autorisés de la pensée de Jésus, puisque c'est à eux que le Resuscité a réservé la plénitude de ses révélations. La manière la plus simple et la plus directe de le dire, c'était de recourir à la formule qu'offrait la tradition juive et de parler de quarante jours d'apparitions et d'enseignement. Et cette formule illustre si bien la figure de l' apôtre-témoin créée par Luc qu'on peut légitimement conclure que c'est Luc lui-même, et non la tradition chrétienne antécédente, qui a appliqué cette formule aux relations du Ressuscité avec ses apôtres.

A proprement parler, le cadre historique de Luc ne comporte que deux dates et non trois, celle de la résurrection «au troisième jour » (Lc. 24 7-21-46) et celle du don de l'Esprit et du premier témoignage apostolique «au cinquantième jour ». L'expression que Luc emploie dans Actes 2 1 souligne que ce cinquantième jour est le terme des Semaines qui le rattache à la fête de Pâques ; il marque aussi l'échéance de la promesse de l'Esprit faite par le Ressuscité dès le troisième jour (Lc. 24 46-49) 5. Autrement dit, chronologiquement et théologiquement, le don de l'Esprit est relié à la résurrection et non à l'ascension. En revanche, les quarante jours ne sont mis en relation directement ni avec la Pâque ni avec la Pentecôte ; ils flottent pour ainsi dire dans l'intervalle des cinquante jours. C'est l'indice qu'ils ont été insérés par Luc dans un cadre préexistant. Ainsi donc, en fait de chronologie, Luc n'a rien inventé. Il n'a pas parlé des quarante jours pour fixer la date de l'ascension, et il a trouvé dans ses sources d'information les dates de Pâques et de Pentecôte. Mais cette dernière affirmation doit être encore justifiée.

La résurrection «au troisième jour » est attestée par une tradition antérieure à Luc (cf. I Cor. 15 4) et ce point ne fait pas difficulté. Que la date de Pentecôte ait été observée par l'Eglise de Jérusalem au temps de Luc, de bons arguments permettent de le tenir pour très vraisemblable. On a relevé souvent que Luc décrit la descente de l'Esprit sur les fidèles (Ac. 2 1-4) dans les termes dont se servait la tradition juive pour parler de la révélation du Sinaï. Or, les idées d'alliance nouvelle et de loi nouvelle ne jouent aucun rôle dans le récit de Luc. C'est par la date de Pentecôte que la tradition juive du Sinaï a influencé la tradition chrétienne du don de l'Esprit. La donnée chronologique de Actes 2, 1 provient donc des sources d'information de Luc, elle n'est pas de son invention. Notons d'autre part que la Pentecôte est, à côté de la Pâque, la seule fête juive à laquelle l'apôtre Paul paraisse être attentif (i Cor. 16 s ; Ac. 20 ι β), en dépit de sa réserve à l'égard des fêtes en général (Gai. 4 io ; Col. 2 ie). Rappelons enfin que Pentecôte est, avec Pâque, la seule fête juive qui fut christianisée. L'aurait-elle été si elle n'avait été connue dans l'ancienne Eglise que par l'œuvre de Luc ? Le peu d'écho que la notice lucanienne des quarante jours a trouvé chez les Pères des trois premiers siècles permet d'en douter.

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1962_num_42_2_3699
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MessageSujet: Re: ascensions   ascensions - Page 2 Icon_minitimeVen 10 Mai 2024, 11:38

En 1962, l'obsession-obnubilation de "l'histoire derrière les textes" n'était pas encore assez consciente d'elle-même pour douter d'elle-même (elle était nue et n'en avait pas honte, mais nul ne sait de quelle nudité il aura honte demain).

Menoud met néanmoins en évidence un détail intéressant: dans les Actes il y a "quarante jours" (nombre cardinal), une durée positive d'apparition(s), de présence et d'enseignement, à la lettre l'Ascension-événement n'est pas datée (d'un nombre ordinal comme le "troisième jour" ou le "cinquantième" = Pentecôte). Cela s'articule à ce qu'on disait précédemment: à l'encontre de toutes les prédications sur l'absence, l'Ascension n'empêche pas "Jésus" de se manifester après (à Etienne, à Saul, etc.), il y a là plus de continuité (narrative ou pseudo-historique, à la manière de Luc-Actes) que de rupture.

Je reviens sur mes remarques d'hier concernant la "session", le "repos", et l'"intercession": les énoncés traditionnels sur l'"après-mort du Christ" sont très majoritairement passifs -- comme la mort elle-même, surtout dans le cas d'une crucifixion: on ne se crucifie pas soi-même. Jésus est ressuscité, élevé, enlevé, glorifié; même les "apparitions" sont décrites, comme les théophanies ou angélophanies de la Septante, à la voix passive, il "est vu" (ophthè), il apparaît comme il disparaît, exemplairement dans l'Ascension des Actes où la nuée le dérobe à la vue des disciples. Et la "parousie" est le plus souvent décrite sur le même mode, futur mais passif, il sera vu (de la même manière, précisent les Actes), révélé, manifesté, comme il a été (proleptiquement) transfiguré dans les Synoptiques. Bien entendu il y a des contre-exemples, d'un Christ "actif" après sa mort comme avant, mais l'ensemble rend toute "activité" ambiguë ou paradoxale: action de la passion même, mouvement du repos, selon une tradition qu'on pourrait retracer du fond de la philosophie grecque, Parménide-Héraclite, en passant par Platon ou Aristote, jusqu'à l'évangile de Thomas (p. ex. l. 50,  le signe du Père c'est mouvement et repos, anapausis en grec dans le texte copte) ou la Divine Comédie: l'amour, du bien-aimé passif dans la tradition aristotélicienne, de la bien-aimée Béatrice à peine entrevue par Dante, moteur immobile, che move il sole e l'altre stelle (qui meut le soleil et les autres astres). Parfois l'ambivalence est implicite dans les textes (p. ex. en Jean 10 où la traduction française hésite entre "reprendre" et "recevoir à nouveau" l'âme-vie déposée comme un vêtement; le grec, lui, n'hésite pas puisque le verbe se situe entre ce que nous entendons comme des mots et des sens distincts, "prendre" actif, "recevoir" passif), parfois explicite (comme dans l'Apocalypse où le Christ roi, cavalier, vainqueur, exterminateur n'en reste pas moins l'agneau égorgé).
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