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| Le sens de la mort du Christ dans le NT | |
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free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Le sens de la mort du Christ dans le NT Lun 29 Nov 2021, 13:36 | |
| Le NT introduit le concept de la mort du Christ sous différentes formes, sous la forme d'une nécessité avec la formule impersonnelle : "il faut ..." - "Il commença alors à leur apprendre qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit tué et qu'il se relève trois jours après" (Mc 8,31, voir aussi 9, 12 ; Lc 17, 25.). Le "il faut" » se rapporte de toute évidence au dessein de Dieu mais dont la finalité n'est pas précisée, notamment en rapport avec le salut.
On retrouve une formule plus personnelle, où Jésus est sujet de la phrase, mais ou il n'a pas un rôle actif non plus, il subit (aussi dans ce cas) une action et une volonté : "Le Fils de l'homme est sur le point d'être livré aux humains ; ils le tueront, et, trois jours après sa mort, il se relèvera" (Mc 9,31; voir aussi 14, 41 ; Le 24, 7). C'est Dieu qui livre Jésus aux adversaires.
Notons que dans ces textes il n'y a aucune réflexion sur la portée salutaire de la mort, mais seulement la mise en situation du fait. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Lun 29 Nov 2021, 15:03 | |
| Les (différents) "sens" de la mort (et de la résurrection) du Christ dans les (différents) textes du NT (sans oublier tous ceux qui ne lui donnent aucun "sens" particulier), c'est un sujet dont nous avons beaucoup parlé par le passé: voir p. ex. ici et là. Dans ce tableau vaste et divers, les textes qui énoncent une simple "nécessité" (fatalité, destin, etc.; ce qui a évidemment une toute autre résonance chez les Anciens, pour qui tout cela n'est pas rien, mais au contraire le moteur occulte de toute "histoire" divine ou humaine, de la mythologie à la tragédie grecque, et chez les Modernes qui n'y voient que l'envers "poétique" et "subjectif" d'une "contingence" ou d'un "hasard" "objectifs"), sans pourquoi ni pour quoi (cause, effet, conséquence, utilité, finalité, objectif, décision, projet, dessein, plan, etc.), représentent en effet une catégorie remarquable. On a souvent noté leur concentration dans Luc-Actes (où la notion de nécessité inexpliquée n'est plus guère qu'un vernis culturel et stylistique sur un "plan historique" explicite, celui qui ferait passer du particularisme juif au christianisme universel), mais il est intéressant que ce soit "déjà" chez Marc, sans explication aucune (d'autant que l'Evangile s'achève sans "résurrection" constatée autrement qu'en parole, sans "apparition" du ressuscité et sans autre "suite" que le retour au commencement du récit -- il vous précède en Galilée). Sur l'usage "marcien" du dei apparenté à notre "devoir", "il faut que", cf. aussi 9,11; 13,7; 10,14.31 (et, pour comparaison ne serait-ce que de fréquence, Matthieu 16,21; 17,10; 18,33; 23,23; 24,6; 25,27; 26,35.54; Luc 2,49; 4,43; 9,22; 11,42; 12,12; 13,14.16.33; 15,32; 17,25; 18,1; 19,5; 21,9; 22,7.37; 24,7.26.44.46; Actes 1,16.21; 3.21; 4,12; 5,29; 9,6.16; 10,6; 14,22; 15,5; 16,30; 17,3; 18,21; 19,21.36; 20,35; 21,22; 23,11; 24,19; 25,10.24; 26,9; 27,21.24.26). Une autre famille de termes évoque plus précisément la "nécessité" dans la tradition grecque, anagkè-anankè etc., érigée en "concept" philosophique central par le stoïcisme (c'est en théorie ce qui résulte du logos divin et rationnel ordonnant le kosmos, et en pratique ce qui me permet de distinguer, selon le même logos ce qui dépend ou non de moi), mais ses emplois dans les Synoptiques et les Actes sont moins marquants: cf. Matthieu 18,17; Luc 14,18; 21,23; 23,17; anagkaios Actes 10,24; 13,46 (seule cette dernière référence aurait une portée "historico-théologique". A tout prendre, son usage serait plus significatif dans le corpus paulinien, 1 Corinthiens 7,26.37; 9,16; 12,22; 2 Corinthiens 6,4; 9,5.7; 12,10; Romains 13,5; Philippiens 1,24; 2,25; 1 Thessaloniciens 3,7; Philémon 14. Marc 9,31 emploie simplement le présent passif du verbe para-didômi (livrer, trahir, mais aussi transmettre, verbe de la "trahison" et de la "tradition", paradôsis): Le Fils de l'homme est livré ( est en train d'être livré si l'on veut insister sur l'aspect "progressif" du présent, est en passe ou sur le point d'être livré si l'on y voit une nuance de "futur proche", possible mais non certaine) aux mains des hommes (soit le même anthrôpos, au pluriel, que pour "le Fils de l'homme" au singulier). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mar 30 Nov 2021, 12:23 | |
| La mort de Jésus a-t-elle été vécu (au départ) comme un événement qu’on peut appeler "eschatologique", à savoir un événement qui a lieu à la fin des temps ou qui prend son sens en raison de son rapport avec la fin des temps ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mar 30 Nov 2021, 15:15 | |
| Je ne sais pas au juste ce que tu entends par "au départ", mais le problème se situe bien là, "au départ" et dans ce qu'on entend par "départ" (début, commencement, origine, etc., toujours présumés uniques en dépit de l'évidence); on n'envisagera pas de la même façon le "départ" selon qu'on s'intéresse, par exemple, à l'"histoire" des événements ou des idées (croyances, etc.), en suivant telle ou telle trace ou tel ou tel fil (série, séquence) parmi les uns et/ou les autres.
Quand on s'imagine "ce qu'ont pensé les disciples à la mort de Jésus", on est déjà pris, consciemment ou non, dans la trame narrative et interprétative des évangiles (quitte à les mélanger entre eux pour se donner l'air de n'en suivre aucun), alors que lesdits évangiles ne sont justement pas là "au départ", ils viennent après de longues, diverses et complexes élaborations "christologiques" (corpus paulinien et textes plus ou moins apparentés) où la "mort" et la "résurrection" du Christ jouent déjà des rôles très variables. Bref, tout "départ" est inaccessible et quand on parle de "sens" il vaut mieux s'intéresser à ceux qu'exprime ou suggère chaque texte particulier (qu'il s'agisse de récits évangéliques ou de rhétorique épistolaire); on peut à la rigueur comparer les textes et leurs "sens" entre eux mais non les rapporter à un "commencement" absolu (événement ou "idée" originelle). Du reste le "sens" de quelque "événement" que ce soit ne se dégage ou se construit qu'après coup, il n'est jamais simultané ni instantané.
A cet égard l'"eschatologie", qui dépend elle-même d'une longue construction, variable, dans divers courants du judaïsme du Second Temple (pharisiens, esséniens ou "qoumrâniens") et non dans d'autres (sadducéens de l'aristocratie sacerdotale ou philosophes à la Philon p. ex.), est un modèle d'interprétation parmi d'autres; répandu, certes, mais pas forcément plus "ancien" que d'autres dans les proto-christianismes. |
| | | free
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Lun 06 Déc 2021, 12:08 | |
| La mort du Christ s’est exprimée sous plusieurs formules :
- "s’est livré lui-même pour nos péchés" (Ga 1,4) ;
- "fut livré à cause de nos fautes" (Rm 4,25) ;
- "mais l’a livré pour nous tous" (Rm 8,32) ;
- "s'est livré lui-même à Dieu pour nous en offrande et en sacrifice" (Ep 5,2) ;
- "le Fils de l'homme (...) donner sa vie en rançon pour une multitude" (Mc 10,45 et Mt 20,28) et
- "il a lui-même porté nos péchés en son corps, sur le bois, afin que, morts aux péchés, nous vivions pour la justice ; et c'est par ses meurtrissures que vous avez été guéris" (1 Pi 2,24).
D’après ces textes la mort du Christ a été interprétée comme un acte accomplie "en faveur de" , "à la place de", et pas seulement "à cause de" nos péchés. La formule "pour nous" » équivaut à la formule "pour nos péchés". |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Lun 06 Déc 2021, 13:08 | |
| La préposition "pour", en français, peut correspondre en grec à pas mal de relations logiques en principe distinctes (la syntaxe grecque du NT n'est certes pas de l'horlogerie suisse, mais il faut tout de même tenir compte de ses différenciations fondamentales). Par exemple: - huper + génitif, concrètement "sur" ou "au-dessus de", par extension "en faveur de" (ainsi Romains 8,32; Galates 1,4; Ephésiens 5,2); - anti + génitif, "contre" y compris d'échange, "à la place de" (ainsi Marc 10,45//Matthieu 20,28); - dia + accusatif, "à cause" ou "en raison de" (ainsi Romains 4,25 dans les deux cas); - eis + accusatif suggérant un mouvement "vers" ou "dans" (cf. l'anglais into), qui peut évoquer toute sorte de relations, surtout par sémitisme (cf. l- en hébreu ou en araméen); - simple datif sans préposition, de situation concrète ou de relation abstraite, évoquant également toute sorte de rapport (ainsi 1 Pierre 2,24, "pour la justice").
Au-delà de ces nuances (importantes) qu'une traduction ne peut refléter qu'approximativement et partiellement, il faut être attentif aux différences de formulation et de contexte, qui sont normalement tout à fait perceptibles en traduction: p. ex. là où il est question de "péchés" (fautes, transgressions, etc.) ou non, de "sacrifice" (offrande, etc.) ou non, et le cas échéant de quelle sorte (expiation, propitiation, louange, reconnaissance, communion, etc.), de "rançon" ou "rédemption" (notion "commerciale" et non "sacrale") ou non. Ainsi "pour nous" n'est pas à confondre avec "pour nos péchés". Il n'est peut-être pas inutile de relire les discussions dont les liens ont été indiqués ci-dessus (notamment le fil "rançon, rédemption" qui est sans doute le plus développé en la matière). |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mar 07 Déc 2021, 13:22 | |
| Expiation
La notion d’« expiation », tout d’abord, il faut le relever, n’est pas spécifiquement judéo-chrétienne. On la repère déjà dans les rites de la Grèce antique, avec le verbe ιλάσκομαι [ilaskomaï], qui signifie : « se concilier quelqu’un », « se rendre favorable à ses yeux », « apaiser sa colère », et en particulier « apaiser la colère des dieux ». L’expiation est donc à comprendre en relation avec une offense commise à l’encontre des dieux, et sur le mode d’une opération rituelle visant à se les rendre à nouveau propices malgré cet affront. Elle s’inscrit sur un registre cathartique et sacrificiel, puisque l’expiation est une forme de purification par la mise à mort d’une victime humaine ou animale. C’est d’ailleurs le sens du verbe latin expiare, qui a donné le français « expier » : « purifier », « apaiser », « effacer par un sacrifice ». Le même verbe est d’ailleurs aussi à l’origine des mots « piété » et « pieux », qui désignent l’attitude et le caractère de ceux qui remplissent leur devoir envers les dieux. C’est en ce sens, comme l’a montré René Girard, que l’expiation n’exclut nullement les logiques vindicatives, elle ne fait que les canaliser vers une victime émissaire afin d’apaiser les dieux, en attendant la prochaine crise.
La notion d’expiation se retrouve dans le judaïsme ancien, mais avec une première inflexion sémantique après l’exil : les sacrifices que l’on qualifie d’expiatoires dans la Bible hébraïque (חטאת : hattat et אשם : asham) ne visent pas à apaiser la colère de Dieu, mais à recréer les conditions de sa présence au milieu de son peuple après une transgression, et à réintégrer ceux qui s’étaient trouvés éloignés de lui. Comme le dit Alfred Marx, exégète de l’Ancien Testament et spécialiste du sacrifice,
« la visée première du culte sacrificiel est la rencontre avec Dieu. C’est uniquement pour permettre de réaliser les conditions de cette rencontre, qui est toujours un lieu de bénédiction, que Dieu a mis ces deux sacrifices à la disposition de son peuple »
C’est en particulier le cas du Yom Kippour, littéralement « Jour du grand pardon », consacré à la prière et au jeûne : on y perçoit bien un reflet lointain de l’ancien rituel du bouc émissaire, qui consistait à sacrifier un bouc pour le pardon des péchés du peuple ; mais le sens qui s’est peu à peu imposé est celui d’une rencontre du peuple avec son Dieu.
Paul Ricœur, dans un article de 1958 consacré aux sens de la peine, et notamment de la peine carcérale , soutenait que l’expiation n’a en réalité rien de judéo-chrétien, qu’il s’agit d’une conception purement païenne : « La mort du Christ, écrit-il, c’est la mort de l’expiation ». Cette position quelque peu abrupte doit certainement être nuancée. Si le judaïsme, comme on vient de le mentionner, peut être considéré comme une réinterprétation de la notion grecque d’expiation, le christianisme se veut à l’évidence un dépassement de cette compréhension des rapports de l’homme avec Dieu. Mais le christianisme est pluriel et le principe de l’expiation ne disparaît pas des traditions qui s’appuient sur une lecture sacrificielle de la Passion du Christ. C’est ainsi que la Contre-Réforme, au xvie siècle, confirme la dimension expiatrice de la vie chrétienne pour achever les souffrances du Crucifié ; cela se manifeste notamment dans le sacrement de l’eucharistie, la messe catholique étant considérée comme un sacrifice. Ce clivage entre Réforme et Contre-Réforme se donne toujours à voir aujourd’hui, au sein des sociétés européennes sécularisées, par exemple dans la tension entre pays catholiques du Sud et pays protestants du Nord de l’Europe sur le sens attribué à la peine carcérale : expiation ou protection et purification de la société d’une part, et réhabilitation ou restauration de la personne d’autre part. Faudrait-il donc voir, pour ce qui concerne la gestion des sorties de conflit, un impensé expiatoire dans les modalités du Traité de Versailles ? Je ne serais pas loin de le penser, surtout si l’on constate que les rares figures à s’être élevées contre les clauses outrancières de ce Traité sont franc-maçonnes, comme Léon Bourgeois , ou protestantes, comme Charles Gide.
https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-sirice-2016-1-page-15.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mar 07 Déc 2021, 15:04 | |
| Beaucoup de choses intéressantes dans ce petit article (aussi parce que son public est manifestement décalé par rapport à la théologie).
En grec, (h)ilaskomai serait plutôt du côté de la "propitiation", si l'on entend bien par là ce qui rend la divinité "propice", autrement dit l'apaise ou la met de bonne humeur (cf. "hilarité") -- donc de l'effet du rituel, offrande ou sacrifice qui n'est d'ailleurs pas nécessairement "sanglant" (cf. p. ex. l'encens d'"agréable odeur" comme l'holocauste). En hébreu la racine kpr (d'où "kippour"), traditionnellement rendue en français par "expier, expiation" (mais aussi en grec par hilaskomai ou ex-ilaskomai), décrirait plutôt le "moyen" par rapport à la "cause" ("couvrir" la faute), bien que ce sens concret (ou métaphorique) s'efface en grande partie derrière le sens "technique" ou abstrait de ses emplois rituels (ou métaphoriques au second degré, n'importe quel pardon, rémission ou absolution renvoyant au rituel et non plus à l'acte de "couvrir" quelque chose; cf. le ou la kapporeth de l'arche d'alliance, parfois surinterprété en "couvercle" par excès de "concrétion" alors qu'il s'agit simplement du lieu où s'opère l'"expiation" rituelle). Bien entendu, là où les sens concrets-métaphoriques joueraient encore, "couvrir" la faute serait précisément le "moyen" de rendre (à nouveau) la divinité "propice", donc dans la logique rituelle tout se tient.
Ce qu'il importe toutefois de remarquer en ce qui concerne le présent sujet, c'est que tout ce vocabulaire reste très rare et surtout peu "technique" dans le NT par rapport aux diverses "définitions" que l'"expiation" va recevoir dans la dogmatique ultérieure, en particulier dans la théologie calviniste (qui représente l'essentiel du protestantisme historique en France, en Suisse, en Angleterre ou aux Pays-Bas notamment; la théologie luthérienne, p. ex., ne partage guère cette "obsession"; en outre l'anglais atonement -- où il faut entendre "at one" -- qui tend à remplacer l'"expiation" et la "propitiation" tire l'ensemble du côté de la "réconciliation"). Cf. hilaskomai Luc 18,13; Hébreux 2,17, hilasmos 1 Jean 2,2; 4,10, hilastèrion Romains 3,25; Hébreux 9,5.
Dernière édition par Narkissos le Mar 07 Déc 2021, 16:17, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mar 07 Déc 2021, 16:14 | |
| Le sang du Christ La signification du syntagme αἷμα Ἰησοῦ Χριστοῦ se situe dans la ligne des définitions, littérales et métaphoriques, que le mot « sang » a eues au cours de son histoire, tout en recevant une nouvelle impulsion par la juxtaposition du nom de Jésus-Christ et par l’interprétation de son expérience humaine. En particulier, la Passion de Jésus (Mc 14, 1 – 15, 47 // Mt 26, 1 – 28, 66 // Lc 22 – 23 // Jn 18 – 19) et le sens donné à celle-ci6 constituent la référence fondamentale dans laquelle s’ancre l’image du sang versé par le Christ dans le premier christianisme. Et pourtant, malgré l’importance théologique de la représentation du Christ versant son sang sur la croix dans les quatre évangiles qui seront reconnus comme normatifs, les sections sur la Passion ne présentent que de très rares occurrences du mot αἷμα (seulement quatre). Dans l’agonie de Gethsémani, Jésus exsude des gouttes du sang (θρόμβοι αἵματος, Lc 22, 447). Pilate déclare ne pas être coupable du sang de Jésus (ἀθῷός εἰμι ἀπὸ τοῦ αἵματος τούτου, Mt 27, 24) et, en réponse, la foule s’arroge cette responsabilité (τὸ αἷμα αὐτοῦ ἐφ’ ἡμᾶς καὶ ἐπὶ τὰ τέκνα ἡμῶν, Mt 27, 25 ; cf. Mt 23, 35). La représentation des supplices de la flagellation (Mc 15, 15 // Mt 27, 26 // Jn 19, 1), de la couronne d’épines (Mt 27, 28-29 // Mc 15, 17 // Jn 19, 2.5)8 et de la croix (Mc 15, 20b-25 ; Mt 27, 32-35 ; Lc 23, 33 ; Jn 19, 16-18) permettent d’imaginer du sang sur le corps du Christ, sans pourtant qu’il soit expressément mentionné. Enfin, le coup de lance au côté de Jésus, désormais mort, offre l’unique description concrète du sang coulant de son corps (ἀλλ’ εἷς τῶν στρατιωτῶν λόγχῃ αὐτοῦ τὴν πλευρὰν ἔνυξεν, καὶ ἐξῆλθεν εὐθὺς αἷμα καὶ ὕδωρ, Jn 19, 34 ; cf. 1 Jn 5, 1. . Ainsi, d’un côté le mot αἷμα maintient sa signification littérale : le sang, effectivement versé, conserve toute sa prégnance corporelle et matérielle, en renvoyant à sa réalité concrète ; de l’autre, sur le plan métaphorique, l’idée du sang versé par Jésus-Christ, à partir de l’image de sa passion, élargit le champ sémantique dans plusieurs directions. Si les métaphores en question peuvent correspondre à des acceptions déjà attestées antérieurement, elles n’en sont pas moins renouvelées. Le « sang versé » développe par analogie les concepts essentiels de souffrance, de mort (violente), de sacrifice, qui ne se distinguent pas entre eux, mais qui se fondent ensemble, en suggérant la corrélation entre les notions théologiques qui y sont associées : la rédemption de l’homme et du cosmos entier, le baptême, l’Eucharistie, l’unité de l’ἐκκλησία, la dimension existentielle du croyant et, enfin, la personne, le rôle et la nature du Christ. Le pouvoir de rédemption, amorcé par le αἷμα Ἰησοῦ Χριστοῦ, passe à travers la gestuelle rituelle et la terminologie liées à l’acte du sacrifice. C’est la présentation de Jésus proposant son sang comme boisson spirituelle, comme sang de l’Alliance (τὸ αἷμά μου τῆς διαθήκης), versé (τὸ ἐκχυννόμενον) pour beaucoup (1 Co 11, 25 ; Mc 14, 24 ; Mt 26, 28 ; Lc 22, 20), qui fixe la signification rituelle du sang du Christ. https://journals.openedition.org/rsr/7201#tocto1n1 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mar 07 Déc 2021, 17:11 | |
| Encore un éclairage utilement décalé -- cette fois-ci par rapport au "champ" ou au "corpus" du NT. On peut regretter que l'auteur(e), sur la question du "sang de Dieu", n'ait pas pensé à regarder de plus près Actes 20,28 (dont elle indique pourtant la référence). Il est vrai que dans le sang (un peu comme dans les larmes, quoique autrement) tout se mêle, la vie, la naissance et la mort, le divin, l'humain et l'animal, le pur, l'impur et le sacré, la nourriture et la boisson, lee poison et le remède, le péché et l'expiation, le crime et la justice (vengeance, châtiment), le coupable et la victime en plus d'un sens -- et j'en passe. Il paraît d'autant plus arbitraire, et inutile, de mettre un seul concept (le "sacrifice", a fortiori le sacrifice expiatoire) au centre de ce jeu de tous les "sens", qui jouent et communiquent entre eux sans aucun "centre". |
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mer 08 Déc 2021, 12:14 | |
| 12Un autre problème important est posé par le langage utilisé par les apôtres et les évangélistes pour exprimer et expliquer le caractère salutaire de la mort du Christ. C’est un langage sacrificiel (ou du moins assez couramment compris comme tel), tantôt à référence politique : Jésus offre sa vie en rançon pour le rachat, la rédemption du peuple, pour nous libérer de la captivité, de la servitude du péché, du démon, de la mort, — tantôt à référence cultuelle : Jésus est livré en victime pour nous, à notre place, il livre lui-même sa vie en offrande, il s’immole en holocauste, sa mort est comparée aux sacrifices substitutifs et expiatoires qui avaient lieu dans le temple.
15L’intérêt spécifique de la théologie se porte sur deux points : l’événement et sa prédication. L’événement qui est l’objet de l’annonce, ce n’est pas le fait sacrificiel comme tel (lié à la « crise sacrificielle » selon l’expression de René Girard) : la livraison de la victime, sa souffrance expiatoire, son immolation ; c’est la mort comme telle, comme fait historique, le passage de Jésus par la mort. Ce n’est même pas la mort violente, du moins pas au premier chef ; c’est la soumission de Jésus à la mort, c’est ce fait perçu comme porteur d’une intention de Dieu, qui n’a pas soustrait le Christ à l’obligation commune de la mort, ni à l’intention meurtrière de ses adversaires, « lui qui n’a pas épargné son propre fils, mais l’a livré pour nous tous » (Rm. 8, 31). L’événement de la mort du Christ est acte de révélation en tant qu’il est porteur de cette volonté, et donc acte de Dieu. Cette volonté nous est notifiée par le kérygme « mort pour nos péchés ». La théologie s’intéresse à cette annonce en tant qu’elle est une proclamation de l’Eglise, identique aujourd’hui comme aux origines. Cette annonce n’exprime pas explicitement le sens sacrificiel de la mort du Christ (l’expression « mort pour nos péchés » n’appartient pas au vocabulaire des sacrifices rituels), c’est l'affirmation de sa valeur salutaire au sens large du terme, son efficacité. C’est la notification que Dieu, par la mort du Christ, nous accorde le pardon de nos péchés : « Sachez-le, frères, c’est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée » (Ac. 13, 38), et c’est du même coup l’invitation à repentir de ses fautes dans la foi au Christ pour bénéficier de cette mesure de grâce (Ac. 2, 38 ; 13, 38-39).
16Tandis que l’exégèse et la théologie biblique s’intéressent directement au langage sacrificiel avec ses références possibles aux sacrifices rituels et à une mentalité cultuelle, la théologie systématique s’intéresse au langage de révélation comme tel, au rapport de la mort et de son annonce comme l’acte par lequel Dieu se révèle aux hommes d’une certaine façon. Le sens de cette révélation est double, en tant qu’il est tourné à la fois vers l’homme et vers Dieu. D’une part, Dieu se révèle comme un père qui pardonne à ses enfants, donc dans une relation de paternité, de filiation adoptive, en nous révélant que « nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils » (Rm. 5, 10). D’autre part, il se fait connaître comme Père d’un fils, d’un Fils qu’il « a livré pour nous tous » à la mort (Rm. 8, 32) ; et réciproquement, le Christ se révèle dans sa mort comme Fils, « le Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi », pour nous livrer l’Esprit (Ga. 2, 20 ; 3, 2).
https://books.openedition.org/pusl/9939 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le sens de la mort du Christ dans le NT Mer 08 Déc 2021, 13:33 | |
| Joseph Moingt (que nous avons déjà lu ici et dont je vois qu'il est mort l'année dernière) était un excellent théologien catholique. Je ne partage pas (ou plus) nombre de ses présupposés (notamment sur la possibilité ou l'utilité de synthétiser les énoncés des textes en "théologie biblique" ou "du Nouveau Testament", ou sur celles de distinguer un "Jésus historique" d'un "kérygme post-pascal", ou un "événement" d'une "interprétation"), mais je le trouve toujours très fin et agréable à lire. Sur la question du "sacrificiel", outre la parenthèse qui implique une grosse réserve (ce n'est pas parce que des énoncés sont assez couramment compris comme "sacrificiels" qu'ils le sont, "sacrificiels"), il faut lire aussi les paragraphes suivants (13s, qui sont sautés dans ta citation; de toute façon l'article, ou le chapitre, n'est pas très long).
Le point de vue d'une "théologie systématique" (c.-à-d. d'une "synthèse" qui ne se prétend pas "biblique", mais se reconnaît "ecclésiastique", liée à une "Eglise" qui doit bien formuler ce qu'elle croit et tenter de le comprendre) me paraît en revanche parfaitement légitime, en tout cas inévitable. Elle suppose que le théologien fabrique, utilise et assume ses propres concepts (p. ex. celui de "révélation") comme des outils indispensables à sa (re-)construction théorique. Que ces concepts soient "bibliques" ou non, qu'ils correspondent plus ou moins bien à ce qui ressort de la diversité des textes par l'"exégèse", c'est à cet égard accessoire: ce qui importe c'est qu'ils débouchent sur de l'"intelligible", ne serait-ce que pour exprimer ou décrire les contours d'un "mystère" foncièrement "inintelligible" (selon les mêmes méthodes et critères d'"intelligence"): cela dépend toujours de l'époque, du lieu et du milieu où s'exerce une "théologie", dans un rapport nécessaire avec le reste de la "pensée" contemporaine (pour autant qu'il en reste). |
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