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 dieu pitoyable

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Narkissos

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MessageSujet: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 08 Nov 2021, 16:59

Je me suis laissé rechercher (drš niphal) par ceux qui ne demandaient rien (ou ne m'interrogeaient pas, š'l), je me suis laissé trouver (mç' niphal) par ceux qui ne me cherchaient (bqš) pas; j'ai  dit: "Me voici, me voici !" à une nation (goy) qui n'invoquait pas (ou n'était pas appelée de, TM) mon nom; tout le jour j'ai tendu les mains vers un peuple rebelle qui allait son chemin, pas (le) bon, selon ses (propres) pensées -- le peuple qui m'offensait (ou me peinait) continuellement...
(Isaïe 65,1ss).

... (un/le) dieu était en christ,  réconciliant le monde avec lui-même, ne leur comptant pas leurs fautes, et mettant en nous la parole de la réconciliation; à la place de Christ nous faisons donc ambassade, comme de Dieu suppliant (parakalountos > parakaleô) par nous, nous prions: réconciliez-vous (ou laissez-vous réconcilier, soyez réconciliés, selon l'interprétation de la voix dite "moyenne-passive") avec le dieu...
(2 Corinthiens 5,19s).

Cette image pathétique et pitoyable, au sens propre ou fort de cet adjectif (qui appelle la "pitié", dont la "piété" n'est en français qu'une variante; c'est encore le même mot dans d'autres langues latines, l'italien, l'espagnol ou le portugais), du "dieu suppliant" (theos parakalôn: ce sont normalement les dieux qu'on supplie; parakalô est encore une formule de politesse, "s'il vous plaît" ou "je vous en prie", en grec moderne), est sans doute l'une des plus saisissantes, et paradoxales, de toute la Bible -- on en trouverait de nombreuses analogies dans les textes "prophétiques", évidemment chez Osée où Yahvé est pour ainsi dire dans la peau du mari ou du père humilié, mais aussi dans le dieu de Jérémie qui se lève tôt le matin pour appeler et avertir son peuple, aussi vainement qu'inlassablement (c'est l'emploi caractéristique de škm 7,13.25; 11,7; 25,3s; 26,5; 29,19; 32,33; 35,14s; 44,4). L'idée de pitié pour dieu a visiblement touché Nietzsche, non seulement athée (c'est presque secondaire) mais surtout grand pourfendeur de la "pitié" ou de la "compassion" (Mitleid), précisément parce que celle-ci ne lui était pas étrangère, parce qu'il en connaissait la puissance et les dangers (avec ou sans le cheval de Turin).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 09 Nov 2021, 13:31

L'article de Corina Combet-Galland cité aujourd'hui dans un autre fil attire mon attention sur un détail: dans le (trito-)Isaïe (65), Yahvé "retombe" au niveau du "me voici" compulsif (hinneni répété en hébreu, idou eimi une seule fois en grec), de l'"objet" con-voqué et de la "réponse", de surcroît sans question (ni appel, ni recherche, ni invocation; voir supra). Ce serait une humiliation supplémentaire par rapport à l'"énonciation pure" du deutéro-Isaïe (ani hou', egô eimi, 40--55).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 09 Nov 2021, 13:49

Dieu veut reconquérir le cœur de son peuple

Eh bien, moi, je vais la séduire ; je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. De là, je lui donnerai ses vignes et la vallée d'Akor comme une porte d'espoir ; elle y répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour où elle monta d'Egypte. En ce jour-là — déclaration du SEIGNEUR — tu m'appelleras « mon Mari », tu ne m'appelleras plus « mon Baal ». J'ôterai de sa bouche les noms des Baals, on n'évoquera plus leurs noms. En ce jour-là, je conclurai pour eux une alliance avec les animaux sauvages, les oiseaux du ciel et les bestioles de la terre. Je briserai l'arc, l'épée et la guerre, je les ferai disparaître du pays, et je ferai en sorte qu'ils puissent se coucher en sécurité. Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai à moi par la justice et l'équité, par la fidélité et la compassion. Je te fiancerai à moi par la probité, et ainsi tu connaîtras le SEIGNEUR. En ce jour-là je répondrai, — déclaration du SEIGNEUR — je répondrai au ciel, et il répondra à la terre ; la terre répondra au blé, au vin et à l'huile, et ceux-ci répondront à Jizréel. Je répandrai pour moi de la semence dans le pays, et j'aurai compassion de Lo-Rouhama. Je dirai à Lo-Ammi : Tu es mon peuple ! Et il dira : Mon Dieu ! (Os 2,16-25). 

"Le SEIGNEUR me dit : Va encore, aime une femme aimée d'un compagnon, une femme adultère ; aime-la comme le SEIGNEUR (YHWH) aime les Israélites ! Eux, ils se tournent vers d'autres dieux et ils aiment les gâteaux de raisin ! Je l'achetai pour quinze sicles d'argent, un homer d'orge et un létek d'orge ; et je lui dis : Reste longtemps à moi, ne te prostitue pas, ne sois à aucun homme, et je ferai de même envers toi" (Os 3,1-2).

A supposer que les interprétations précédentes soient justifiées, elles nous permettent de voir dans la description de Jérémie un développement du rapport entre YHWH et Israël. Si Jr 2, 2 laisse encore entrevoir l'idée de l'amour de la « femme » Jérusalem pour son mari YHWH (27), Jr 3, 20 est plus discret. Une fois qu'elle s'est éloignée de lui par son infidélité persistante, Jérémie, semble-t-il, évite des formulations qui permettraient à Israël de s'imaginer malgré tout lié à YHWH comme par un mariage. Ce développement explique d'ailleurs la conclusion tirée en Jr 3, 1 : de manière semblable à la prescription légale de droit matrimonial qui nous est conservée en Dt 24, 1-4, il est impossible qu'une femme répudiée ayant appartenu entre-temps à un autre homme puisse revenir au premier. À plus forte raison, le retour d'Israël, qui s'est prostitué à de nombreux partenaires, est tout à fait inimaginable. Encore une fois, il convient de signaler une différence importante entre les deux textes de Jérémie et d'Osée : tandis que le premier rejette la possibilité de continuer le mariage, Osée ne tire pas une conclusion si sévère. Non seulement Os 2, 16 sq. est ouvert à une réconciliation malgré l'infidélité précédente, mais il en va de même d'un texte un peu plus obscur, Os 3, 3-4. Selon lui, les Israélites doivent « attendre » longtemps YHWH (Os 3, 5). Or cette attente ne serait utile que si elle reposait sur la conviction que YHWH gardera son amour pour Israël, conviction qui peut s'appuyer sur Os 3, 2 « comme l'amour de YHWH pour les fils d'Israël ».   

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1999_num_73_2_3487
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 09 Nov 2021, 15:22

C'est assez expéditif mais ça ne manque pas de bon(s) sens: l'"histoire" d'Osée suscite la curiosité et l'imagination précisément parce qu'elle est tout sauf claire; rien, hormis l'imagination, ne saurait la tirer au clair. Les seuls "commentaires" possibles sont ceux qui se détournent de l'"histoire" présumée sous ou derrière le texte (très abîmé de toute façon) pour s'attacher à des "leçons" du texte, elles-mêmes fort variables (comme le montre suffisamment ce "tour d'horizon" rapide).

Il faudrait par ailleurs insister sur le fait que la rédaction du (grand) livre de Jérémie, notamment aux chapitres 2ss, est presque aussi éloignée d'une "biographie" de Jérémie (le personnage) que (de celle) d'Osée. Certes on trouve ailleurs dans le livre, avant (chap. 1) et après, de nombreux éléments d'allure "biographique", voire "autobiographique", en particulier dans l'expression poétique des sentiments du "prophète" (ce qu'on a appelé les "Confessions de Jérémie", prières ou dialogues avec Yahvé, 11,28−12,6; 15,10-21; 17,14-18; 18,18-23; 20,7-18). Mais les "leçons théologiques" (également poétiques en grande partie) ne portent guère de trace "biographique", ce sont plutôt elles qui s'expriment aussi dans les morceaux apparemment "biographiques" ou "autobiographiques". Même si celles des chapitres 2--3 dépendent en partie de la tradition d'Osée (sinon d'un texte du livre d'Osée, qui ne serait d'ailleurs probablement pas "définitif" à ce stade), elles ne supposent plus aucune référence biographique (réelle ou imaginaire) à "l'histoire d'Osée".

Reste, pour revenir à notre thème, que l'aspect "pitoyable" et "pathétique" de Yahvé bafoué suppliant en vain est nettement plus sensible chez Osée que chez Jérémie -- aussi bien dans la situation du "père" que dans celle du "mari" (cf. notamment Osée 11).

(Cela me fait retrouver ceci.)
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeJeu 18 Nov 2021, 13:13

L’insistance de Dieu

Du trouble quant à Dieu : projectiles et non projections

L’insistance de Dieu signifie que Dieu insiste pour exister – ce qui tend jusqu’à se confondre avec la question de la prière. La prière naît de la distance entre insistance et existence. La prière, c’est la façon précaire par laquelle Dieu recherche l’existence. L’« insistance de Dieu » se réfère à la façon insistante dont Dieu nous appelle, alors que la « prière » se réfère à l’acte par lequel nous appelons et répondons à l’appel de Dieu, nous souvenant, toujours, que le nom de Dieu, c’est le nom du trouble et des problèmes.

J’insiste donc : nous n’irons nulle part en théologie à moins de constater combien il est périlleux de prier, combien profondes sont les ombres qui engloutissent ce que les pieux appellent prière, combien de trouble est semé par l’appel du nom de Dieu, dont la théologie est une incessante méditation. Je ne fais pas seulement référence à la quantité de double-jeu et d’auto-aveuglement qu’implique la prière, à la façon dont la prière est un jeu de pouvoir, à combien la volonté de Dieu est une couverture pour les hommes obstinés, ni même au pur et simple goût pour le pouvoir et la domination. Ce sont déjà, en soi, de grands dangers. Mais je m’inquiète au moins autant pour le trouble que « Dieu » provoque même lorsque nous sommes sincères, ou lorsque nous nous croyons sincères (comment pourrions-nous au juste faire la différence ?). Je m’intéresse ici à l’abîme de trouble sur lequel le petit esquif de la prière s’aventure lorsque nous partons avec les meilleures des intentions, lorsque nous faisons tout notre possible pour nous exposer à tout ce qui s’agite dans ce nom. Je m’intéresse encore à bien plus que cela : à combien plus l’« être » même de Dieu est agité par le trouble, combien est troublée la tumultueuse constitution même de Dieu, à combien précaire est Dieu, le nom de Dieu, l’événement qui insiste dans le nom de Dieu. Aussi, la précarité échoit aux deux côtés : à Dieu comme à nous. Nous-mêmes, avec Dieu, nous sommes dans le trouble, tous ensemble dans le même bateau, tous dépendants les uns des autres, tous entremêlés dans une précaire prière. La théologie s’est délectée à laisser Dieu présider au-dessus du trouble, mais elle a toujours rechigné à l’y mener, à concéder la précarité de Dieu, à voir Dieu dans de si sales draps, dans une telle radicale solidarité avec nous. La théologie a généralement préféré croire que Dieu surveille les mers agitées, qu’il leur commande ou qu’il marche sur elles, alors que je nous vois ensemble, priant et pleurant ensemble dans le même navire agité par les eaux ...

... Pour le dire d’une façon calculée pour secouer la foi des croyants, prier Dieu c’est admettre que Dieu lui aussi prie, à genoux (ses genoux à elle ou à lui), pleurant sur le monde, ayant autant besoin d’aide que nous autres, dans le trouble autant que nous, priant comme un fou pour obtenir une réponse. Cela signifie que lorsque je parle de « prières et de larmes », je ne fais pas seulement référence aux prières et aux larmes de saint Augustin ou de Jacques Derrida, aussi belles soient-elles, mais aussi aux prières et aux larmes de Dieu lui-même. Dieu, lui aussi, prie et pleure pour une meilleure issue pour Jérusalem, pour le monde. J’écris toujours à propos des prières et des larmes, jusqu’à et y compris, en particulier, les prières et les larmes de Dieu. Si nous suivons l’étymologie traditionnelle, encore que suspecte, du mot « religion » comme ce qui lie, alors de mon point de vue la religion est un double lien, une double contrainte, une contrainte à double face, qui contient à la fois l’insistance de Dieu et notre existence. L’une et l’autre sont liées, nous sommes liés à Dieu et Dieu à nous, ayant besoin l’un de l’autre, comme des amants qui dépendent l’un de l’autre pour tout. Nous et Dieu ensemble, dépendants, précaires, ayant besoin de la prière, priant et pleurant sur l’avenir, sur les morts. L’abîme en appelant à l’abîme. Aussi, si nous invoquons le nom de Dieu, si nous appelons Dieu, nous appelons seulement parce que nous avons d’abord été appelés par Dieu, chacun des deux « accusé » comme Levinas aimait à le dire, chacun distingué, objet d’un appel, appelé, « interlocutionné » (interloqué). Aussi, Dieu a besoin de notre aide, il prie et pleure pour que nous venions à sa divine aide, autant que nous avons besoin de son aide. Les yeux de Dieu aussi sont aveuglés par les larmes, comme ceux des femmes qui pleurent au pied de la croix. La signification du double « oui », du oui, oui, c’est qu’il s’agit à la fois de nos yeux et de ceux de Dieu. Le oui de l’appel ou de la sollicitation initie et reçoit un écho dans le deuxième oui de la réponse. Dieu appelle ; nous répondons. C’est aussi loin d’une projection qu’on puisse l’imaginer. C’est la volonté de s’exposer au pire. C’est chercher les histoires (look for trouble). Plus loin (dans la troisième partie), je montrerai que l’horizon du trouble doit encore être élargi faute de quoi le chiasme deviendrait un cercle fermé, trop anthropocentrique, trop oublieux de ce qui n’est pas humain, du théo-zoologique et du théo-cosmologique. 

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2015-3-page-339.htm
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeJeu 18 Nov 2021, 14:44

Très beau texte, apparemment fort bien traduit: il m'intéresse particulièrement parce que je me sens a priori proche de Caputo (nous avons visiblement lu et aimé, en partie, les mêmes auteurs et les mêmes livres), sans jamais l'avoir vraiment lu (hormis des extraits comme celui-ci; Jean-Luc Nancy le cite assez souvent); non par défiance, mais parce que je n'ai plus guère lu de "théologie" en général (je ne parle pas d'exégèse) depuis le début des années 1990. Du coup je suis surtout frappé par une différence de style ou de tonalité, chez un auteur américain même nourri de pensée européenne et spécialement française -- différence déterminée en grande partie par le caractère massif et tranché des oppositions idéologiques aux Etats-Unis, notamment dans le débat entre "croyants" et "incroyants" qui tourne vite à la guerre de tranchées entre "fondamentalisme" et "athéisme" ou "anti-religion" également militants: nous avons beau lire les mêmes choses, nous ne lisons et n'écrivons décidément pas de la même manière sous différents "climats", outre les différences de parcours personnel -- il y a un ton "lyrique" ou "expressionniste" que j'ai un temps goûté et dont je me suis peu à peu éloigné.

A ce détail près je partage largement l'"esprit" de ce texte, j'y retrouve même des pensées qui me sont venues spontanément avant toute lecture "théologique" (p. ex. l'idée de jouer l'insistance avec ou contre l'existence ou ek-sistance de "Dieu" -- ça marche naturellement mieux en anglais où on écrit insistence comme existence). Je ne me retrouve plus guère dans le recours à un "Jésus humain" (trop humain ?), mais par rapport à beaucoup de "libéraux" (américains ou non) Caputo a quand même l'avantage d'interroger autant les limites d'un "humanisme" que d'un "théisme" (là encore, ses lectures européennes n'y sont certainement pas pour rien).

Ce qui me semble surtout manquer ici, c'est ce qui s'exprime exemplairement chez Eckhart (ou plus tard, en passant par Tauler et Luther, dans la musique de Bach), mais se retracerait presque aussi bien dans toute la théologie chrétienne, non seulement "mystique" mais "dogmatique" (p. ex. la "Trinité" pensée en profondeur). Il faut (il manque) au "pathétique", à la "passion" dans tous les sens du terme, un contrepoint ou un contrechamp d'impassibilité qui ne se limite pas à une distribution des rôles ou des personn(ag)es (p. ex. le Père impassible et le Fils souffrant), ni même à une distinction d'aspects (le revers de la pièce, l'autre versant de la montagne), qu'on l'entende dans un sens "paradoxal" ou "dialectique"; qu'à même tout "trouble" il y ait la paix, à même toute agitation le calme, à même toute différence l'indifférence; souffrir et ne pas souffrir, souffrir sans souffrir, selon toutes les expressions aporétiques et non-imaginables du même de l'autre et de l'autre du même, d'Héraclite à Blanchot (p. ex.) -- ce qui s'en rapprocherait le plus du côté de l'image, ce serait peut-être l'opposition du fond et de la surface ou du centre et de la périphérie, le calme de la profondeur de la mer sous la tempête ou l'oeil du cyclone, mais ces images resteraient trompeuses parce qu'elles sont des images. Cela -- le non-sens de tout sens, dans tous les sens du "sens" -- en-deçà et au-delà de toute "nécessité", mais nécessaire quand même pour qu'un pathos divin, humain ou animal, ait un "sens", le sien, relatif par définition, avec ou sans "absolu". De ce point de vue il n'y aurait plus lieu d'opposer, sinon relativement et provisoirement, l'"apaisant" et l'"inquiétant" d'une "religion" (comme le faisaient aussi, chacun à sa manière, Kierkegaard ou Pasolini).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 22 Nov 2021, 14:54

Isaïe 65,1ss me fait penser à un Dieu qui veut sauver son peuple malgré lui, à un amoureux éconduit qui insiste pour reconquérir le cœur de celle qui le rejette et qui veut à tout prix susciter un nouveau sentiment d'amour qui a totalement disparu ... Effectivement, il y a quelque chose de pitoyable dans cette attitude d'un Dieu qui ne se respecte pas et qui ne peut exister que dans le regarde et le cœur de son peuple. 
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 22 Nov 2021, 15:17

Un dieu amour (ou simplement aimant, amant, amoureux) serait en effet sans "amour-propre".

Et avec la dévaluation de la "pitié" nous n'entendons même plus "pitoyable" au sens de "digne de pitié", mais, au contraire, indigne de pitié, ou de piété.

L'éloge de l'humiliation, si "sacrilège" ou "blasphématoire" qu'il se veuille (Sade, Sacher-Masoch, Genet, Fassbinder, Querelle [de Brest]), rejoint ainsi un thème essentiellement "judéo-chrétien", que le mépris de la pitié (Nietzsche, etc.) parachèverait d'un tour de paradoxe supplémentaire: le "pitoyable" appelle autant le refus de pitié que la pitié même, c'est toute l'ambivalence de l'évangile, de l'"homme" ou du "dieu".
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 22 Nov 2021, 17:02

"Voici plutôt l'ordre que je leur ai donné : Ecoutez-moi ! Alors je serai votre Dieu, et vous, vous serez mon peuple. Suivez bien la voie que je vous prescris, afin que vous soyez heureux. Mais ils n'ont pas écouté, ils n'ont pas tendu l'oreille ; ils ont suivi les conseils, l'obstination de leur cœur mauvais. Ils ne sont pas allés en avant, mais en arrière. Depuis le jour où vos pères ont quitté l'Egypte jusqu'à ce jour, je vous ai envoyé tous mes serviteurs, les prophètes ; je les ai envoyés chaque jour, inlassablement. Mais eux ne m'ont pas écouté, ils n'ont pas tendu l'oreille ; ils se sont montrés rétifs, ils sont devenus plus mauvais que leurs pères. Si tu leur dis tout cela, ils ne t'écouteront pas ; si tu cries vers eux, ils ne te répondront pas. Alors dis-leur : C'est ici la nation qui n'écoute pas le SEIGNEUR, son Dieu, et qui ne veut pas recevoir l'instruction ; la probité a disparu, elle s'est retirée de leur bouche" (Jér 7,23-28).

Ce texte décrit l'affaiblissement de l'idée que l'homme puisse (vouloir) écouter la voix de Dieu et obéir à sa volonté. L'histoire de Juda et d'Israël est présentée comme une histoire de désobéissance qui se perpétue de génération en génération mais que Dieu a du mal à accepter. Ce Dieu veut(inlassablement) offrir un bonheur ("afin que vous soyez heureux") dont ne veut pas le peuple. Face à ce constat, l'auteur du chapitre 31, va élaborer des visions se rapportant à un homme nouveau, avec une loi (déjà) inscrite dans les cœurs ne nécessitant  pas une leçon morale et un travaille d'intériorisation de cette loi :

"Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël, après ces jours-là — déclaration du SEIGNEUR : Je mettrai ma loi au dedans d'eux, je l'écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. Celui-ci n'instruira plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant : « Connaissez le SEIGNEUR ! » Car tous me connaîtront, depuis le plus petit d'entre eux jusqu'au plus grand — déclaration du SEIGNEUR. Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché" (31,23-24).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 22 Nov 2021, 18:40

N.B.: Dans le premier passage, c'est l'adverbe "inlassablement" qui traduit tant bien que mal la formule hébraïque stéréotypée dont je parlais dans le post initial (plus littéralement ou concrètement, si l'on peut dire, Yahvé "se lève tôt le matin" pour envoyer ses prophètes, appeler, supplier...).

Tu exprimes très bien le rapport de la "nouvelle alliance" (nouveau traité, nouvelle disposition ou nouvelle donne, new deal) du chapitre 31 à ce pathos "historico-prophétique" -- désespéré dès le départ, si Jérémie est averti d'entrée de jeu qu'il ne sera pas écouté: il n'y a d'issue qu'à l'horizon paradoxal d'une relation sans médiation, qui ne passerait plus par la parole prophétique, ni par une "loi" écrite (ou ex-crite, extérieurement), en tout cas pas par un "commandement" susceptible d'être obéi, exécuté, suivi, observé ou non -- ce que dirait ici la "connaissance" (comme en Isaïe 11 p. ex.), ou ailleurs l'"esprit" (p. ex. Ezéchiel 11). Paradoxal parce que ce serait aussi bien la fin (heureuse, mais fin quand même) de toute "relation" comme de toute "histoire", et du mélange inextricable de "cruauté" et de "pitié" dans toute "compassion" (soit la version "eschatologique" de l'"impassibilité" dont je parlais précédemment, en contrepoint nécessaire de toute "passion").
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeJeu 25 Nov 2021, 14:30

"Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! Mais vous ne l'avez pas voulu. Eh bien, votre maison vous est laissée déserte" (Mt 23,37-38).

Cette invective reprend le vieux leitmotiv qui accuse Israël de toujours repousser les prophètes que Dieu lui envoie ( "vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes" - 23,31) : 

"Mais ils se sont rebellés et révoltés contre toi. Ils ont rejeté ta loi derrière leur dos, ils ont tué tes prophètes, qui les avertissaient pour qu'ils reviennent à toi, ils t'ont outrageusement bafoué.Alors tu les as livrés à leurs adversaires qui les opprimèrent. Mais, au temps de leur détresse, ils ont crié vers toi ; et toi, tu les as entendus du ciel, et dans ta grande compassion, tu leur as donné des sauveurs qui les ont délivrés de la main de leurs adversaires. Quand ils ont eu du repos, ils ont recommencé à faire du mal devant toi. Alors tu les as abandonnés aux mains de leurs ennemis, qui les dominèrent. Mais, de nouveau, ils ont crié vers toi ; et toi, tu les as entendus du ciel, et, dans ta grande compassion, tu les as délivrés maintes fois. Tu les as avertis pour qu'ils reviennent à ta loi ; mais ils se sont montrés arrogants et n'ont pas écouté tes commandements. Ils ont péché contre tes règles — alors que l'homme qui les met en pratique vit par elles ; ils se sont montrés rebelles et rétifs, ils n'ont pas écouté. Tu les as supportés de nombreuses années et tu les as avertis par ton souffle, par l'intermédiaire de tes prophètes, mais ils n'ont pas prêté l'oreille. Alors tu les as livrés aux peuples des pays. Dans ta grande compassion, tu ne les as pas exterminés et tu ne les as pas abandonnés, car tu es un Dieu clément et compatissant"  (Néh 9,26-31).

Il n'est pas question du Dieu "suppliant" mais d'une divinité qui n'abandonne jamais son peuple rebelle impénitent. Dans Mt 23, 37 (Lc 13, 34), Jésus se compare à une mère-poule. En Ésaïe 5:4, Dieu se lamente et s'interroge en guise de désespoir, "qu'aurais-je pu faire de plus" : "Qu'y avait-il encore à faire à ma vigne que je n'aie pas fait pour elle ?"


Dernière édition par free le Jeu 25 Nov 2021, 15:16, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeJeu 25 Nov 2021, 15:03

C'est en effet le caractère répétitif ou litanique d'un schème qui se reproduit invariablement dans ses variations mêmes (avec un effet parfois comique de running gag, mais aussi lassant, soporifique, hypnotique ou narcotique) qui est frappant, autant dans les prières situées dans un cadre narratif tardif (Néhémie 9, Daniel 9) que dans les rédactions (deutéronomistes ou non) relatives à une "histoire ancienne" (introductions à Josué, aux Juges, commentaires du récit dans Samuel-Rois ou les Chroniques); c'est évidemment le résultat de la fiction d'une "loi de Moïse" originelle par rapport à laquelle toute l'histoire ne peut être vue que comme une suite de désobéissances, d'écarts, d'oublis ou de violations, le schème étant inscrit dans la "loi" même (bénédictions-malédictions conclusives du Lévitique et du Deutéronome). Les conséquences de ce système sont incalculables, non seulement sur l'image "pathétique" du dieu (patient-impatient, impitoyable et pitoyable dans tous les sens, qui refuse ou accorde alternativement sa "pitié" et devient lui-même objet ou non de "pitié"), mais aussi sur celle du "peuple rebelle", irrémédiablement ou sans remède définitif, qui aura nourri autant l'antisémitisme (contre ce "peuple" en particulier; en l'occurrence le "christianisme" de Matthieu et de Luc achève bien la série par l'abandon du peuple -- juif) que le mépris du "peuple" en général, que tout "peuple" finit par intégrer en auto-dépréciation (dans la sphère d'influence "biblique", christianisme et islam, mais autrement ailleurs): le peuple ne vaut rien, c'est le peuple même qui le dit, il lui faut toujours être dirigé, corrigé, châtié, etc.

Soit dit en passant, toute (illusion d')intelligibilité de quoi que ce soit, en particulier d'un "sens" de l'histoire, passe par le même mécanisme de schématisation et de répétition du schème, où l'on croit re-connaître le retour du même dans l'indéfiniment différant.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeSam 04 Déc 2021, 17:26

Je reviens sur les pleurs et les larmes évoqués ci-dessus (18.11.2021) par J. Caputo (dont l'un des livres les plus connus en France s'intitule The Prayers and Tears [prières et larmes] of Jacques Derrida -- il faut avoir lu et relu "Circonfession", un texte étonnant où Derrida "dialogue" autant avec saint Augustin et leurs mères respectives qu'avec Geoffrey Bennington, le co-auteur du recueil, pour suivre les allusions en cascade). Jésus pleure dans les évangiles (Luc 19,41; Jean 11,35; cf. Hébreux 5,7), c'est bien connu, mais il n'est pas exclu que Yahvé aussi pleure dans l'AT, notamment là où l'on ne sait plus très bien si c'est le dieu ou le prophète qui parle (cf. p. ex. Isaïe 16,9; 22,4; Jérémie 9,1; 13,17; 14,17; 48,32 // Isaïe 16). Par ailleurs, les larmes (humaines) jouent un rôle important dans certains textes, narratifs (Joseph, David, Ezéchias), poétiques, sapientiaux et/ou prophétiques (Psaumes, Job, Jérémie, Joël, etc.). On trouve même au Psaume 56,9 l'image frappante du "lacrymatoire" (= récipient, outre de larmes), qui dirait à elle seule l'ambiguïté multiple des larmes et d'une "complaisance" à celles-ci: elles expriment et soulagent à la fois un excès de tristesse (ou de joie), dans un rapport du présent au passé (perte, deuil) qui anticipe son propre souvenir, à la faveur d'une réflexion spéculaire ou "narcissique" (même en secret et sans miroir on se voit et on s'entend, on se regarde et on s'écoute pleurer), jusqu'à la mise en scène et en mémoire du secret par toute sorte d'écriture des larmes -- récit, description, peinture, photographie, théâtre, musique, cinématographie: on pleure au cinéma, dans la salle comme sur l'écran, les larmes sont "communicatives" (dans l'évangile selon Jean c'est de voir pleurer que Jésus pleure, comme on pourra pleurer de le voir ou de l'entendre pleurer). Pasolini avait mis en exergue de son premier film, Accatone, le vers de Dante, per una lacrimetta che'l mi toglie (où le démon infernal se plaint de se voir refuser, "pour une petite larme", l'âme éternelle d'un presque damné).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 06 Déc 2021, 12:40

La douleur du Dieu qui enveloppe ce qui n’est pas possible d’envelopper 

Dès le premier chapitre de son livre, Kitamori expose l’idée selon laquelle le Dieu des chrétiens est le Dieu qui éprouve la douleur :

Le Dieu de la douleur est le Dieu qui apaise notre douleur humaine par sa propre douleur ; Jésus-Christ est le Seigneur qui guérit notre blessure humaine par sa propre blessure.

Kitamori découvre la notion de douleur chez le prophète Jérémie : « dans mes entrailles, (…), j’éprouve la douleur » (Jr 31,20 10). Il considère que « le Dieu sur la croix’ pour Paul est ‘le Dieu de la douleur’ pour Jérémie ». Il s’appuie d’autre part sur un verset du quatrième chant du serviteur dans le livre d’Ésaïe, repris dans la Première épître de Pierre : « dans ses blessures, nous trouvons la guérison » (Es 53,5 et 1 P 2,24). C’est la douleur de Dieu qui sauve la douleur des hommes. Pour expliquer le salut apporté à la douleur humaine, Kitamori décrit l’action divine du salut à l’aide du terme « tsutsumu (envelopper) » :

Qu’est-ce que le salut ? C’est la nouvelle selon laquelle Dieu enveloppe malgré tout notre réalité déchirée. Le Dieu qui enveloppe entièrement, c’est Dieu le Sauveur. Quel est le miracle le plus étonnant dans ce monde, sinon que Dieu enveloppe notre réalité si déchirée ? La déchirure de notre réalité est si grande qu’elle est désespérée. Cependant, l’Évangile est le message selon lequel, « bien que désespérés, nous avons l’espérance », ou plutôt le message grâce auquel « puisque désespérés, nous avons l’espérance ». Ceux qui croient en cet Évangile croient « contre toute espérance » (Rm 4,18). 

Le verbe japonais « tsutsumu » peut être traduit par « envelopper », « emballer » ou « cacher ». Il s’agit, par exemple, d’envelopper ou d’emballer un cadeau dans du papier, ou de (ne pas pouvoir) cacher sa joie. Dans tous les cas, l’acte de « tsutsumu » est déterminé par l’intention de couvrir totalement l’objet que l’on préfère ne pas montrer ou ne pas laisser nu. Quoique la réalité de l’homme soit désespérément déchirée, Dieu cherche toujours à l’envelopper et à la protéger. Si nous continuons d’espérer en notre salut malgré notre déchirure, c’est parce que Dieu enveloppe ce qu’il n’est pas possible d’envelopper. Cet acte d’amour de Dieu est pour Kitamori celui de l’amour fondé sur la douleur :

Grâce au Dieu qui embrasse ainsi, notre douleur est apaisée et notre blessure est guérie. Dans la mesure où la douleur de Dieu apaise notre douleur, cette douleur de Dieu elle-même n’est autre chose que l’amour de Dieu fondé sur sa douleur. C’est pourquoi les mêmes termes hébreux peuvent être traduits soit par « douleur de mes entrailles » (Jr 31,20) soit par « tendresse » (Es 63,15). 

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2014_num_94_2_1823
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeLun 06 Déc 2021, 14:01

Excellent article: l'éclairage japonais est aussi utile qu'inattendu sur ce sujet (si je connais très peu la culture japonaise, j'en perçois tout de même certains échos par le cinéma: tous ces thèmes reviennent inlassablement chez Mizoguchi, Ozu, Naruse ou Kurosawa p. ex., qui d'ailleurs se réfèrent très souvent au kabuki).

Au fond cette idée d'enveloppement ou d'embrassement, qui est aussi "commun(icat)ion" des émotions (tristesse, souffrance, douleur ou joie, entre elles et d'un "sujet" à l'autre), rejoint très bien ce que j'essayais de dire quant au rapport paradoxal ou mystérieux de la "passion" et de l'"impassibilité", qui résout, absout ou dissout tout (dans le milieu liquide des larmes) -- sans rien "résoudre" au sens de la "solution d'un problème".

Cf. aussi ici.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 07 Déc 2021, 11:29

Je dis que Dieu est un amoureux aussi car, souvent, c’est dans la relation entre deux amoureux que naît le sentiment d’exister enfin. C’est dans l’échange de regards, quand les yeux de l’un sont plantés dans les yeux de l’autre, que surgit l’identité de l’homme. Dans le regard de l’Autre, dans la parole qu’il m’adresse, je deviens « je ». Nous ne serions pas grand-chose sans le divin, mais le divin, que serait-il sans nous ? Le philosophe Martin Buber (1878-1965) écrit d’ailleurs « Que tu aies besoin de Dieu par-dessus toute chose, ton cœur l’a toujours su ; mais savais-tu que Dieu a besoin de toi, de toi, dans la plénitude de son éternité ? » Sans l’homme, Dieu ne serait pas Dieu car il est le Dieu de l’homme, c’est dans cette relation qu’il est reconnu comme Dieu. La réciproque, à mon sens, est tout à fait juste. Sans Dieu, l’homme ne serait pas qui il est.    https://www.evangile-et-liberte.net/2019/02/le-dieu-amoureux/
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 07 Déc 2021, 12:51

Ce genre de discours bourré de bonnes intentions s'aveugle lui-même à ses conséquences logiques, pourtant imparables: si l'on n'est pas "homme" sans "Dieu", quid de tous les "hommes sans Dieu", athées, agnostiques, héritiers de religions et de cultures qui ne connaissent rien de tel que "Dieu", le "Dieu" des monothéismes à tout le moins ? Il faudrait qu'ils ne soient pas vraiment ou pleinement "humains", ou qu'ils le soient moins que des (mono-)théistes.

Je me souviendrai toujours d'un professeur de théologie que j'aimais bien, qui tenait un discours de ce genre (sur un mode "post-barthien", de l'"humanité de Dieu" qui nous "humanise") et qui fut arrêté net par l'objection d'une jeune étudiante allemande, laquelle ne pouvait pas s'empêcher d'y reconnaître des résonances "nazies".

Je ne reviens pas sur les inepties de la distinction, hélas toujours répandue, d'agapè et d'erôs dont nous avons largement parlé ailleurs: dans la Bible grecque (LXX + NT) agapaô se dit de tout "amour" (y compris, p. ex., l'amour incestueux d'Amnon pour Tamar en 2 Samuel 13).

Tout cela, bien sûr, n'ôte rien au fait que tout "être" (divin, humain, animal, végétal, minéral, de n'importe qui et de n'importe quoi) ne se comprend qu'en relation, avec ses "différences" et ses "autres"; mais il faut aussi entendre cette relation dans toute sa richesse et sa complexité, avec les "autres" ou les "contraires" de l'"amour" (haine ou indifférence p. ex.) qui lui donnent aussi un "sens", relatif et provisoire.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 07 Déc 2021, 17:50

Le Dieu impassible dans le christianisme antique

Wright parle avec un peu de mépris de « certains chrétiens » qui « se plaisent à penser que Dieu est au-dessus de toutes ces choses, qu’il sait tout, qu’il est responsable de tout, qu’il est calme et qu’il n’est pas affecté par les troubles de son monde ». Ils se trompent, selon Wright, car « ce n’est pas l’image que l’on trouve dans la Bible ».

Et pourtant, les premiers chrétiens affirmaient sans ambiguïté l’impassibilité divine, l’idée que Dieu ne peut souffrir comme nous souffrons. Ignace, le pasteur de l’Église d’envoi de Paul, écrit vers 110 ap. J.-C. que Dieu est « impassible » (Ig, Ephésiens 7.2 ; Ig, Poly 3.2). Une quinzaine d’années plus tard, Aristide (vers 125 après J.-C.) affirme que Dieu est non causé, éternel, immortel, libre de toute nécessité, impassible, libre de toute colère, parfait dans sa mémoire et sans ignorance (Apol. 1.2). Justin Martyr, une trentaine d’années plus tard, affirme à nouveau l’impassibilité  (1 Apol. 1.25).

L’épître à Diognète, écrite autour de 100 ap. J.C., parle également de Dieu comme n’ayant pas de colère (aorgètos ; Diag. 8:Cool. Selon l’usage qu’il fait de cet idiome, être « sans colère » est comparable à l’impassibibilité. Il en va de même pour Clément de Rome qui écrit dans les années 90 et affirma sans réserve : « Notons combien il est libre de toute colère (aorgètos) envers toute sa création » (1 Clément 19:3).

Le grand théologien du IIe siècle, Irénée (130-202 après J.-C.), affirme lui aussi la vérité évidente de l’impassibilité divine (2.13.3-4 ; 2.12.1 ; 2.17.5 ; 2.17.7). Son proche contemporain Tertullien (155-240 après J.C.) oppose Dieu à l’humanité passible, avant d’affirmer sa différence (Ad Marc. 3.7 ; cf. 2.16). Et Origène, écrivant au début des années 200, affirme également sans réserve :  « Il faut croire que Dieu est tout à fait impassible et libre de toutes ces affections » (De Principiis, 2.4.4).

Tous ces chrétiens représentent l’histoire de l’Église et l’enseignement apostolique. Ils n’ignorent pas les Écritures – en fait, beaucoup d’entre eux les connaissent par cœur et avec bien plus de profondeur que nous ! Ils ne nient pas que l’Écriture parle de Dieu « en deuil » ou « en colère ». Ils comprenent que Dieu avait une vie affective.

Même Origène admet que Dieu « souffre quelque chose de semblable à l’amour » lorsque nous lui adressons des prières (Homélie sur Ezéchiel 6.6.3). Pourtant, ici, Origène n’a pas en tête que l’amour de Dieu fluctue ou est affecté par des sentiments ; au contraire, l’amour de Dieu nous étreint de manière stable et sûre (Homélie sur Ezéchiel 6.6.3).

Pourquoi le Dieu impassible est-il le seul qui puisse nous sauver ?

L’amour du Dieu dont nous parlons est si parfait et si pur que Jean peut dire : « Dieu est amour » (1 Jean 4:Cool. Nous ne voulons pas d’un dieu qui puisse aimer plus ou moins. Nous voulons un Dieu dont l’amour parfait pour nous ne faiblit jamais et ne change pas malgré les jours les plus sombres.

Si Dieu pouvait souffrir les douleurs du corps, il ne serait pas Dieu, il serait un humain. Si Dieu pouvait se mettre en colère à cause de la faim, il serait alors une créature. Si l’humeur de Dieu pouvait changer en fonction du temps, des hormones ou de la chaleur, alors son amour ne se répandrait pas sur nous avec tant de constance.

Si Dieu pouvait perdre ce qu’il a, quel espoir auriez-vous ? Il pourrait aussi vous perdre ! Si l’amour de Dieu pouvait changer, alors comment pourriez-vous savoir qu’il vous aime ?

https://www.leboncombat.fr/dieu-impassible-aide/
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMar 07 Déc 2021, 19:50

Présentation "évangélique" simpliste et unilatérale, bien documentée mais dans un seul sens, et brillant surtout par son absence de pensée: quel sens y aurait-il à prêter à "Dieu" une "vie affective" (y compris l'"amour") en lui refusant d'être affecté par quoi que ce soit ? On peut toujours opposer des mots comme "affect", "sentiment", "émotion" ou "passion", c'est autre chose d'y distinguer des concepts, autrement dit de penser une différence de sens, "qualitative" et non "quantitative" -- même des différences d'intensité ne feront pas l'affaire, car l'"impassibilité" ce n'est pas souffrir moins, c'est ne pas pouvoir souffrir (ou pâtir) du tout (ce qui n'est d'ailleurs pas sans une certaine tension avec la "toute-puissance" classique, mais ce n'est pas la seule).

Même si la théologie de la "souffrance de Dieu" a connu un essor sans précédent au XXe siècle avec Bonhoeffer et Moltmann (on a vu plus haut que celui-ci avait eu des prédécesseurs jusqu'au Japon), elle est tout aussi ancienne (voire davantage, si l'on compte les textes "bibliques" eux-mêmes, du NT et de l'AT, qui parlent sans chipoter de la "colère" de Dieu comme de son "amour") que celle de l'"impassibilité". Ce qui compte plus encore d'un point de vue "théologique", c'est que le rapport (contradictoire, paradoxal, dialectique ou aporétique) des deux (souffrir et ne pas souffrir, souffrir sans souffrir) ait été lui-même explicitement pensé tout au long de l'histoire chrétienne, orientale et occidentale, que ce soit par la doctrine de la "tri(-u)nité" divine ou de l'"incarnation", via la "périchorèse" des Pères grecs ou la "communication des idiomes" luthérienne (toutes notions dont nous avons déjà parlé, mais la "recherche" de ce forum ne me permet pas de retrouver où). Quand Luther dit ou écrit "Dieu est mort", peut-être pas le premier mais avant beaucoup d'autres, ce n'est pas un "propos de table" à la légère (dont il était aussi coutumier), mais bien une affirmation théologiquement pensée et pesée, sur le fond de la théologie mystique et logique du moyen-âge dont il était héritier (Eckhart via Tauler). Comme on l'a dit plus haut, peu importe où l'on situe le "problème" -- entre l'"être" et "Dieu", entre "Dieu" et "le monde", entre le "Père" et le "Fils", entre les "natures" divine et humaine du Christ, puisque la cristallisation de la dogmatique "orthodoxe", des débats "gnostiques" du IIe siècle à Nicée puis à Chalcédoine, contraint à reposer le même "problème" à plusieurs "endroits" différents -- cela ne change rien à la nécessité pour une théologie chrétienne de penser la contradiction, à la fois dans la ligne de ses traditions et à nouveaux frais, quitte à constater à chaque fois qu'elle y échoue (encore faut-il pour cela avoir essayé, et réessayé: soit Sisyphe théologien, et encore une façon pour la théologie de participer à la "souffrance" et à l'"impassibilité" divines).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeJeu 07 Avr 2022, 14:45

"A qui m'adresser ? Qui prendre à témoin pour qu'ils écoutent ? Leur oreille n'est pas circoncise, et ils sont incapables de prêter attention ; la parole du SEIGNEUR est pour eux un déshonneur, ils n'y prennent aucun plaisir" (Jé 6,10)

La question : "A qui m'adresser ?" témoigne d'une grande détresse et d'une grande solitude. Dieu ne trouve pas un seul témoin qui lui offrirait une oreille attentive.
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeJeu 07 Avr 2022, 15:09

Du point de vue de l'exégèse au ras des pâquerettes (c'est de saison), il faudrait déjà savoir qui parle (à la première personne, je, me, moi) en 10a: Yahvé comme au v. 9, Jérémie comme au v. 11 (peut-être déjà 10b, si ce n'est pas Yahvé qui dit "la parole de Yahvé") ? Le texte change clairement de locuteur en cours de route, mais il ne nous dit pas où (ce n'est pas une exception dans Jérémie ni dans les Prophètes-livres en général, loin de là). Avec un peu de recul, bien sûr, ça n'a aucune importance, puisque avec ou sans le truchement explicite du prophète, c'est bien Yahvé qui n'arrive pas à se faire entendre, qui sait même d'emblée la chose impossible (oreille incirconcise, incapables: c'est entendu, si je puis dire, dès l'introduction du livre au chap. 1 -- et aussi bien pour d'autres prophètes comme Isaïe ou Ezéchiel, avertis d'avance qu'ils ne seront pas écoutés).

Au passage, on peut aussi hésiter sur la traduction de `wd au hiphil: qui prendre à témoin, à qui témoigner, qui avertir, ce sont autant de sens possibles (qui finissent toutefois par se rejoindre avec un minimum de réflexion).
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeVen 15 Avr 2022, 13:05

Dépendance de dieu à l’égard de l’homme

Or, l’idée de l’humilité comme descente de Dieu – à partir de Sa position de Très-Haut jusqu’au très bas et aux bas-fonds de l’homme – « comme s’Il avait besoin des hommes », que ce soit dans l’économie de la création ou dans la prière, est repérée par Levinas dans la culture traditionnelle du judaïsme, et pas seulement dans l’évidence des textes bibliques et la richesse des commentaires talmudiques, aussi dans le livre Nefesh Hahaïm (L’âme de la vie) signé par un rabbin lituanien élève du célèbre Gaon de Vilnius. Que Levinas se réfère ici à Rabbi Haïm de Volozine (1759-1821) ne surprend pas. On connaît l’importancede cet auteur pour la réflexion levinassienne, mais il n’est pas inutile de la souligner ici, là où Levinas pense la kénose de Dieu, en la traçant précisément dans une certaine subordination de Dieu à la responsabilité de l’homme et aussi dans la modalité de la prière. Dans le livre de ce maître, Levinas trouve l’idée d’une humilité de Dieu dans Son « besoin » de l’homme, qui est appelé à être le gardien et le responsable de toute la création, ainsi qu’à alléger, par sa prière, les souffrances du Créateur. Il repère dans L’âme de la vie une kénose dans le sens de la « subordination dans une certaine mesure du Divin à la volonté humaine. Kénose dans ce », écrit Levinas.

 Mais le sub de cette « sub-ordination » ne renvoie-t-il pas à la même structure, bien que dans un tout autre langage, qui est celle de l’in de l’In-fini dans Totalité et Infini et tant d’autres occurrences de l’œuvre de Levinas ? Ne s’agit-il pas de la même descente de Dieu, bien que dite autrement ? Du même mouvement de la célèbre formule « Dieu qui vient à l’idée », qui est au cœur de toute sa réflexion ?
...
Pour revenir à la cosmologie de Rabbi Haïm de Volozine, sur laquelle Levinas s’arrête longuement dans « Judaïsme et kénose », Dieu ou Elohim – selon le nom qui indique le « maître du monde, source de toutes ses forces » – a créé ex-nihilo le monde, ou mieux, une pluralité des mondes, en dépendance de Son énergie créatrice et en suivant une structure hiérarchisée et enchaînée, fondée sur le principe selon lequel le monde « supérieur » est l’âme de « l’inférieur », et « l’inférieur » le corps du « supérieur ». Elohim, qui est au sommet de la hiérarchie, est l’âme, l’animation, la vie des mondes. Son énergie s’étend sur tout et tous. Quant à l’homme, à chaque homme singulièrement, il occupe, dans cet ordre différent d’un cosmos grec, une place exceptionnelle : dernier créé parmi les créatures, il a sur son corps toute la dégradation de la créature, mais dans son âme, toute la puissance du souffle divin (Gen 2, 7). L’homme se trouve dans la condition assez particulière de co-naturalité avec la création et d’intimité spéciale avec Dieu, « intimité qui est caractérisée et par la supériorité d’Elohim par rapport à l’homme et par la dépendance, voulue par Elohim, d’Elohim à l’égard de l’homme pour tout ce qui concerne l’association d’Elohim avec les mondes […] ; de l’homme dépend l’accroissement de la sainteté, de l’élévation et de l’être des mondes ou de leur retour au néant». Dans cette cosmologie, Levinas repère une « singulière ontologie » dans le fait que l’être ou le non-être de l’autre – de l’autre monde – dépend de l’homme, mais non pas tant de son arbitre ou de sa domination que de sa responsabilité, de son « accord ou désaccord avec la volonté de Dieu inscrite dans la Thora », en un mot de son éthique. La présence ou l’absence de Dieu en qualité d’âme du monde dépend de l’homme : celui-ci répond des autres et de l’univers. Mais il y a plus. À travers cette responsabilité par rapport aux mondes, l’homme, chacun dans sa singulière responsabilité, est semblable à Elohim : que Dieu a créé l’homme à son image (Gen 1, 26) et à sa ressemblance (Gen 5, 1) signifie, dans l’interprétation de Volozine, que l’homme, comme son Créateur, est l’âme du monde et des mondes, l’âme de toute vie. Or, ce qui surprend, c’est que cette ressemblance choisie et voulue par Dieu comporte le choix du partage et du renoncement, un partage qui pour Dieu ne peut se faire que dans le renoncement, un choix divin de sub-ordination à l’éthique de l’homme : « […] plus importante que la toute-puissance de Dieu est la subordination de cette puissance au consentement éthique de l’homme. Et c’est là aussi l’une des significations primordiales de la kénose. »


Souffrance de Dieu, prière de l’homme

Selon Rabbi Haïm, que Levinas suit ici de près, la dernière intention de la prière du juste, même s’il souffre, ne concerne pas soi, mais vise le Très-Haut, ou mieux, la souffrance de Dieu. Il y a en effet seulement deux cas dans lesquels le rabbin, et le philosophe avec lui, admettent que l’on puisse prier pour soi en apparence, tandis qu’en réalité il s’agit d’une prière pour Dieu : dans le premier cas, lorsque dans la souffrance d’Israël, peuple de Dieu, Son nom est profané ; dans l’autre cas, lorsque l’homme, qui souffre de sa propre et singulière douleur, prie en fait pour la souffrance de Dieu. Il y a là, dans cette pensée, quelque chose d’inouï et sur quoi il faut méditer davantage. Il faut évoquer à nouveau le besoin et la dépendance de Dieu à l’égard de l’homme, qui avaient été soulignés à propos de la création. La finalité de toute prière est en effet le « besoin » du « Très-Haut », besoin pour faire être, pour sanctifier et élever le monde. On a déjà évoqué, bien que rapidement, comment de toute parole sortie de la bouche de l’homme, de toute pensée née dans son esprit, de tout acte issu de sa main, dépend l’être et la lumière des mondes ; comment Dieu a placé l’homme pour coopérer dans la création du ciel et de la terre à l’ombre de Sa main forgeuse. La main de l’homme comme l’envers de la main de Dieu. Bien que ce pouvoir soit, bien entendu, une responsabilité illimitée et à laquelle personne ne peut se soustraire, il faut que chacun sache, comme l’écrit Levinas, « qu’aucun détail de ses actes, de ses paroles, de ses pensées de tous les instants, n’est perdu ».


https://www.cairn.info/revue-pardes-2007-1-page-155.htm
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeVen 15 Avr 2022, 14:34

Excellent, vraiment (je suis à court de superlatifs et d'adverbes): à lire en entier et lentement si possible. C'est l'aspect de la pensée de Levinas qui m'a le plus marqué, tant par la "forme" (suite philosophique du commentaire rabbinique) que par le "fond" (où tout se retrouve de ce qui séparé paraît bien étroit et superficiel, "éthique", "théologie" ou "ontologie"). Idéal pour un "Vendredi-Saint" qui déborde les "confessions" (juive ou chrétienne, pour commencer) comme les "domaines" (philosophie et théologie). (Voir aussi ici.)
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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMer 20 Avr 2022, 14:53

"Parole qui parvint à Jérémie de la part du SEIGNEUR : Descends chez le potier ; là, je te ferai entendre mes paroles. Je descendis chez le potier ; il faisait un ouvrage sur le tour. La poterie qu'il faisait fut manquée, comme il arrive avec l'argile dans la main du potier. Il en refit une autre poterie, telle qu'il lui plut de la faire. La parole du SEIGNEUR me parvint : Ne puis-je pas agir envers vous comme ce potier, maison d'Israël ? — déclaration du SEIGNEUR. Comme l'argile dans la main du potier, ainsi vous êtes dans ma main, maison d'Israël ! Tantôt je parle, à propos d'une nation ou d'un royaume, de déraciner, de démolir et de faire disparaître ; mais si cette nation contre laquelle j'ai parlé revient du mal qu'elle a fait, je renonce au mal que je pensais lui faire. Et tantôt je parle, à propos d'une nation ou d'un royaume, de bâtir et de planter ; mais si cette nation fait ce qui me déplaît, sans m'écouter, je renonce au bien que j'avais parlé de lui faire. Maintenant, je te prie, dis aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem : Ainsi parle le SEIGNEUR : Je façonne un malheur pour vous, je prépare un plan contre vous. Que chacun de vous revienne de sa voie mauvaise ! Réformez vos voies et vos agissements ! Mais ils disent : A quoi bon ? Nous suivrons nos pensées, chacun de nous agira selon l'obstination de son cœur mauvais" (Jé 18, 1-12).


L'image du potier souligne que le peuple demeure "malléable" comme de l'argile dans les mains d'un potier, Dieu peut façonne le peuple/l’argile comme il lui convient. Quelle que soit la résistance du peuple, il demeure soumis à son projet. Pourtant, la suite du texte nous présente un Dieu qui est "contraint" de modifier son projet et de s'adapter en fonction du comportement de ses interlocuteurs. A la promesse de renoncer au mal prévu succède la promesse d'un châtiment, promesses et menaces sont insuffisantes à influencer le peuple, Dieu est obligé de lancer une invitation à "changer" : "Que chacun de vous revienne de sa voie mauvaise ! Réformez vos voies et vos agissements !". Pourtant le v. 12 annonce la réponse du peuple, son refus obstiné de l’offre de salut que Dieu lui propose. Le Dieu/potier qui façonne son peuple comme il l'entend, a échoué pitoyablement dans sa tentative de ramener son peuple à lui. Dieu en est réduit à espérer une issue favorable improbable :

"Ainsi parle le SEIGNEUR : Tiens-toi dans la cour de la maison du SEIGNEUR et dis à ceux qui, de toutes les villes de Juda, viennent se prosterner dans la maison du SEIGNEUR toutes les paroles que je t'ordonne de leur dire ; n'en retranche pas un mot. Peut-être écouteront-ils et reviendront-ils, chacun de sa voie mauvaise ; alors je renoncerai au mal que je pensais leur faire à cause de leurs agissements mauvais" (Jé 26,2-3).

Voici donc la tragédie du refus humain, malgré l’insistance de Dieu qui va jusqu’à proposer de modifier ses plans, en vain. Celui qui croyait façonner son peuple à sa convenance, s'est retrouvé façonné par l'attitude de son peuple.  


Dernière édition par free le Mer 20 Avr 2022, 15:50, édité 1 fois
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Narkissos

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MessageSujet: Re: dieu pitoyable   dieu pitoyable Icon_minitimeMer 20 Avr 2022, 15:45

L'image est d'une ambiguïté abyssale, puisqu'en un sens (concret, propre, littéral, mais qui n'en finira pas de revenir hanter les théologies les plus "spéculatives") le potier est seul responsable, ou coupable, du "ratage". Il faut être attentif à la syntaxe très délicate de 18,4a, dans le texte massorétique hébreu: "et se corrompit / se pervertit / se gâta / s'abîma OU fut corrompu / perverti / gâté / abîmé (šht nifal, entre voix "passive" et "moyenne" ou "pronominale") le vase (ou objet, kly) qu'il faisait dans l'argile, dans / par la main du potier (façonneur)"; et, dans la Septante, "et faillit / retomba / s'effondra (dia-piptô) le vase (aggeion, cf. Matthieu 13,48; 25,4) qu'il faisait dans ses mains..." D'autant que la suite, en hébreu et en grec, précise que c'est le même vase-objet qui est re-fait en un autre, "droit" (yšr) ou "agréable" (areskô) aux yeux du potier-façonneur ou faiseur... Donc, si l'on veut chercher dans cette image quelque chose qui corresponde à une "mauvaise volonté" de l'argile ou du vase opposable à la "bonne volonté" du potier, comme le voudrait la leçon "morale" qui en est tirée, c'est précisément ce qu'on n'y trouvera pas. La "misère" du dieu-potier selon l'image -- et l'image marque autant, sinon davantage que la leçon -- c'est qu'il ne saurait pas lui-même pourquoi ni comment ça rate, ni ce qui lui résiste (ou bien ne lui résiste pas assez, dans le cas d'une argile trop molle qui ne "tient" pas la forme et retombe...). Que l'image du potier (aussi Isaïe 29,16; 45,9; 64,8; Siracide 33,13; 38,9; Sagesse 15,7) soit ensuite tirée (notamment chez Paul, Romains 9,21ss, saint Augustin, Luther, Calvin ou le jansénisme) dans le sens d'une prédestination absolue, du "raté" ou "réprouvé" comme du "réussi" ou "élu", qui ne trouvent en dernière instance leur "cause" ou leur "raison d'être (ce qu'ils sont)" qu'en Dieu seul, ce n'est sûrement pas l'intention du texte de Jérémie 18 mais c'est bien impliqué ou enveloppé dans l'image elle-même, en-deçà et au-delà de toute "leçon" ou "intention". En dernière analyse, une volonté divine, surtout au sens monothéiste, n'échouerait pas devant une volonté étrangère ou hostile (libre-arbitre), mais par une complication inattendue d'elle-même, dans sa "réalisation". C'est devant le "devenir", l'"histoire", l'"événement" ou la "série d'événements" qu'il a lui-même lancé(e)(s) qu'un "Dieu" absolu paraît "pitoyable", nonobstant les antagonismes qui se construisent en cours de route (résistance ou désobéissance de l'homme, de la femme, de l'enfant, du peuple, du diable etc.). En ce sens la "kénose" (humiliation, abaissement, etc.) ne peut être qu'"éternelle" si elle est "divine", précédant et surplombant tout "autre" et toute péripétie de l'histoire.
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