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 diabolus in sequentia

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Narkissos

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MessageSujet: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeDim 20 Fév 2022, 13:03

... et il commença à leur enseigner (qu')il faut (sic, tant pis pour la concordance des temps si on opte pour le discours indirect) que le fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit tué et qu'après trois jours il se relève. Il disait la parole (ou la chose, logos) ouvertement (franchement, parrèsia). Et Pierre le prit à part et commença à le rabrouer (le tancer, l'engueuler). Mais lui se retourna et, voyant ses disciples, rabroua (tança, engueula) Pierre et dit: "Va-t'en derrière moi, satan, car tu ne penses pas les choses du dieu mais celles des hommes (des humains, des gens). Marc 8,31ss.

[N.B.: Le "Va-t'en, satan" du récit de "tentation" en Matthieu 4,10 (qui n'est pas dans les meilleurs manuscrits de Luc 4,8 ) s'inspire visiblement de ce passage de Marc (développé en Matthieu 16), puisque le récit dialogué de la "tentation" n'a pas d'équivalent chez Marc. C'est seulement dans l'économie particulière de Matthieu que l'apostrophe à Pierre (qui n'apparaît plus du tout chez Luc) "rappelle" la tentation du chapitre 4.]

De ce texte archi-connu (mais qui mérite d'être relu attentivement, ainsi que ce qui précède et ce qui suit, avec et/ou sans ses "répliques" marciennes, 9,31 et 10,32ss, ses "parallèles" synoptiques, Matthieu 16 et Luc 9, ou même ses "échos" johanniques, Jean 6), je ne voulais d'abord relever qu'une pensée générale: "le diable" se cache peut-être dans beaucoup de choses (détails, bonnes intentions, etc.), mais notamment dans le goût (humain, trop humain ?) de l'histoire qui finit bien (happy ending), et dans le refus qui s'ensuit de toute "fin" tant que celle-ci ne paraît pas (assez) "heureuse", imposant la nécessité d'une suite, fût-elle sans fin (en quoi "Hollywood" serait tout autant le reflet d'une certaine universalité narrative et affective, au moins en puissance, qu'un facteur de "mondialisation"). Désir, volonté, espoir que les choses s'arrangent, tournent pour le mieux fût-ce contre toute vraisemblance, comme si l'on pouvait toujours éviter le pire, la catastrophe, le malheur irréversible et irrémédiable qui se produit pourtant à chaque pas. En quoi il (toujours "le diable") n'aurait pas dit là son dernier mot et continuerait (derrière Jésus ?) de hanter et de tenter l'évangile même (à commencer par la "résurrection"), le christianisme et toutes les lectures de toutes les "histoires", non seulement les lectures "optimistes" mais celles qui se refusent, par principe ou de fait, à toute "résignation" et à toute "fin", même de séquence (call it a day).

Ce qui est plus troublant, c'est que le "derrière moi" (opisô mou) qui marque à la fois la position du "satan" dans le discours et de Pierre dans le récit, si l'on suit bien les mouvements des personnages (Jésus se détourne de Pierre qui l'a pris à part et se retourne vers les [autres] disciples), va être aussi, dans la suite, celle des disciples "suiveurs", à la seule différence du verbe (hupagô, s'en aller, akoloutheô, suivre, accompagner, cf. acolyte ou anacoluthe):

Et, ayant appelé la foule avec ses disciples, il leur dit: si quelqu'un veut suivre derrière moi, qu'il se renie lui-même, prenne sa croix et me suive; car qui veut sauver son âme / sa vie la perdra, et qui perd son âme / sa vie à cause de moi et de l'évangile la sauvera... (v. 34ss).

La redondance du texte, sensible dans une traduction mot à mot (suivre derrière) mais escamotée par la plupart des bibles, s'explique habituellement par la confusion de la syntaxe ordinaire du verbe (akoloutheô + datif) avec un sémitisme de même sens, "marcher derrière qqn" (p. ex. 1 Rois 19,21, que la Septante traduit pourtant par poreuô, aller [derrière], et non akoloutheô [opisô]). Quoi qu'il en soit, Jésus ici (contrairement à 2,14, akoloutheô ou 1,17.20, opisô) ne demande à personne de le suivre; le candidat suiveur est seulement averti que l'horizon de sa suite s'arrête à sa (propre) croix, bien que celle-ci recèle la perspective d'un renversement ou d'un retournement de situation, comme pour la résurrection ou relève de Jésus lui-même. Suite au-delà de la fin qui relance le procès et la mise en abyme d'une motivation infiniment retorse (vouloir se perdre pour se sauver, c'est encore vouloir se sauver et donc se perdre, et ainsi de suite): le diable renvoyé derrière Jésus le suit aussi, et ses suiveurs, comme leur ombre.

[N.B.: mon titre fait allusion au diabolus in musica ou triton, intervalle "dissonant" de trois tons pleins qui peut d'ailleurs être séquentiel, si les deux notes sont jouées l'une après l'autre et non ensemble comme un "accord dissonant"; le "dissonant" appelle lui-même généralement une suite, séquence ou "résolution", comme si on ne pouvait pas en rester là.]
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeLun 21 Fév 2022, 11:27

On ne connaît Jésus que par le chemin qu’il emprunte. Dans ce sens, le verbe dei (il faut) montre bien que son rejet et ses souffrances s’inscrivent dans la logique de la voie qu’il a choisi de suivre. L’affirmation de Jésus est appuyée par un commentaire explicite du narrateur : « Il tenait ouvertement ce langage » (parrèsia ton logon elalei, 8, 32). Cette précision sur la manière dont l’annonce est faite marque un tournant dans l’Évangile. En effet, quand l’expression ton logon elalei est utilisée auparavant, elle qualifie l’enseignement en paraboles (4, 33).

Le discours de Jésus tenu en toute franchise contraste avec l’attitude de Pierre, qui tire le Maître à part et se met à le réprimander (epitimân, comme au v. 30). Le disciple s’attire alors une réaction proportionnée de Jésus, qui le rabroue à son tour (toujours le même verbe : epetimèsen) et dénonce avec une rare violence la logique satanique inspirant sa démarche.

Dans le cadre de l’analyse du point de vue, un détail pose un problème en 8, 33a : « Mais lui [Jésus], se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre. » Le participe idôn signale clairement une perception ; il ne s’agit donc pas seulement d’un procédé marquant une transition (fin de l’aparté). Le lecteur se demande évidemment pourquoi la vive réprimande adressée à Pierre fuse après le regard sur les disciples. L’auteur ne le précise pas, conformément à sa rhétorique de la polysémie. Réduit à des suppositions, le lecteur en conclut ceci : soit Jésus a vu les disciples en danger devant le point de vue satanique exprimé par Pierre (souci de préservation), soit il a perçu qu’ils faisaient corps avec le fougueux disciple (souci de correction). J’opterais plutôt pour la seconde lecture, recommandée par le traitement du personnage collectif des disciples dans le deuxième Évangile. Pour eux, il s’agit encore une fois d’un constat d’échec.

Entre les deux situations où le décalage est fortement marqué (une fois dans la barque, une fois en chemin) se situe l’épisode de la guérison d’un aveugle, apparemment sans lien avec le contexte immédiat.

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2008-3-page-405.htm
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Narkissos

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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeLun 21 Fév 2022, 12:34

Fine analyse, dont le "point de vue" est utilement décalé par rapport à celui que j'avais adopté -- l'étude de Bourquin (se) "focalise" sur la guérison de l'aveugle au v. 22ss (aveugle qui a précisément du mal à "focaliser"), par rapport à quoi notre passage serait plutôt "périphérique" (mais quiconque a mis l'œil à l'objectif d'un télescope sait l'importance de la "vision périphérique", qui fait apparaître des corps qu'on ne voit pas, ou qu'on voit moins bien quand on les regarde directement...). On obtiendrait d'ailleurs des "éclairages" tout aussi intéressants et "complémentaires" en rapportant la fin de Marc 8 à ce qui la suit immédiatement, la "transfiguration" (chap. 9) et sa propre suite, qui comporte notamment une mise en question exceptionnelle de "la résurrection": τί ἐστιν τὸ ἐκ νεκρῶν ἀναστῆναι, qu'est[-]ce [que] se-relever-des-morts (?), question d'"essence" (qu'est-ce que c'est) s'il en est (cf. Aristote etc.).

Soit dit en passant, le caractère "hellénistique" de l'évangile selon Marc ressort à l'évidence de ce genre de trait (aussi la parrèsia dont nous avons parlé ailleurs). A ce propos je n'aurais qu'un seul (petit) reproche à faire à cet article, la confusion des "hellénistes" des Actes (sur le symbolisme des "sept", note 7 [!]) avec les "pagano-chrétiens" qu'ils ne sont pas, tout au moins au premier degré du récit des Actes (avant la conversion des Samaritains et de l'eunuque éthiopien, de Saul-Paul et de Corneille, chap. 8--10, les "hellénistes" sont censés être des juifs de langue et de culture grecques; bien entendu tout cela "prépare" l'idée d'une Eglise pagano-chrétienne qui est l'"objet" même des Actes, mais la stratégie [pseudo-]"historique" du livre s'attache précisément à marquer et à distinguer des étapes).

Pour revenir à mon "point de vue", tout le problème de la "suite" (séquence, conséquence) et du "diable dans la suite" serait à rapprocher d'un autre aspect de l'évangile selon Marc dont nous avons souvent parlé, la fin (intentionnelle ou accidentelle) qui coupe court à toute "suite": la "résurrection" reste une parole sans suite, ni événementielle (pas d'apparition) ni verbale (les femmes ne disent rien à personne), qui renvoie le lecteur-auditeur au début du récit (en Galilée) comme pour mettre celui-ci en boucle, ou en cycle: la "suite" ne peut être que la relecture de la même chose; et cela même,  peut-être, l'"essence" de la "résurrection d('entre l)es morts" (cf. 12,18ss).


Dernière édition par Narkissos le Lun 21 Fév 2022, 13:29, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeLun 21 Fév 2022, 13:18

Le Diable dans nos dieux et dans nos maladies

Ce livre est-il sans issue ?

Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait durer, c’est qu’il existe. Que cette raison est faible, comparée à toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à celle-ci : qu’est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel ?
Baudelaire

Que ce Rien soit enfin mon ordre ! C’est le cri même du désespoir, et c’est l’auto-sadisme de ce siècle. Tout est faux mais tout est réel. Puisqu’on en meurt de plus en plus. C’est un cauchemar mais sans réveil possible. C’est le cauchemar de la réalité. La guerre existe autour de nous, elle est fausse, impossible et réelle. Elle nous dépasse et nous l’avons créée. À tel et tel moment, dans un passé récent, pouvions-nous arrêter le glissement, renverser les fatalités ? Nous le pouvions, nous n’avons pas su. Nous le pouvions peut-être et nous n’y avons pas cru. Peut-être aussi que rien n’était possible. Ces pensées augmentent l’amertume. Elles nous suggèrent l’idée d’une possession… Est-ce nous vraiment qui avons laissé les choses en venir là ? Si ce n’est pas nous, qui d’Autre ? Ah, nous sommes tous complices !

Mais alors pourquoi mourrons-nous ? Pour ce passé que nous n’avons pas aimé assez pour l’empêcher de se perdre ? Pour un avenir que nous devinons à peine et savons encore moins créer ? Pour cette démocratie qui ne croyait qu’au bonheur ? Mais voudrait-on mourir pour garder du bonheur ?

 Pour quelle foi plus valable que la vie ? Et si nous ne voulons pas de foi, pour quelle vie plus valable que la foi ? C’est couru, notre monde agonise, il a sa balle dans le cœur, quoi qu’il arrive. Mais pour quoi vivions-nous naguère, et pour quoi mourrons-nous demain ? Nous ne pouvons plus reculer, c’est clair, on nous attaque ! En avant donc, il n’y a plus rien à perdre ! Cet « en avant » qui ne sait pas où il va…

Je me souviens des temps heureux — notre illusion. « Vous ne mourrez plus ! » nous disait l’Autre. Et cela du moins nous paraissait imaginable, cela ressemblait à quelque chose dont nous avions une idée naturelle, le bonheur, le progrès, la durée vers le mieux… Mais nous mourons, c’est toujours surprenant. Cela paraît absurde et révoltant. Il est dur de se défaire de l’idée qu’on était né pour vivre heureux. Jadis la tragédie n’était qu’un accident, une chose qui arrive aux autres, et dans les livres ; et la voilà substance de nos vies. Encore un navire torpillé et comme le dit l’Amirauté : « The next of kin of casualties… », les familles des victimes ont été informées. (Grand développement de l’information dans notre siècle !) Qu’on nous informe donc, une fois pour toutes, que nous sommes tous de la famille, et que nous sommes aussi les victimes. « Vous êtes tous membres les uns des autres », dit l’Évangile. Nous sommes tous dans le bateau qui coule, et en même temps nous sommes tous dans le bateau qui vient d’envoyer la torpille. Ce n’est pas une image, hélas, c’est simplement une vue d’ensemble. (Tôt et tard confondus, ou plutôt embrassés d’un seul regard.) Que faudra-t-il encore pour que nous comprenions l’étendue de la catastrophe, et qu’elle est vraiment sans limites ? Et qu’il n’y a qu’une humanité ? Et que c’est elle qui se torpille et se bombarde ? Et que tout est inextricable et sans issue ? Que tout est faux, impossible, et réel.

 On me dit : « Il y a les bons et les méchants, nous sommes les bons, n’embrouillez donc pas tout. » Je sais, nous sommes en guerre, et il s’agit de gagner. Mais à quel Bien et à quel Mal avons-nous cru, pour montrer tout d’un coup tant d’assurance ? Se faire tuer pour la liberté d’avoir ses propres opinions, c’est magnifique, mais c’est aussi mettre ces opinions à bien haut prix. Valaient-elles le grabuge où nous sombrons ?

J’ai décrit l’œuvre de Satan, et cela finit dans un cauchemar qui ressemble à s’y méprendre à notre époque. Mais si vous ne croyez pas au Diable, je me demande à quel Mal vous croyez. Contre quoi lutterez-vous jusqu’à la mort ? Car la mort est un absolu… Avec quel bien pensez-vous triompher du mal immense qui envahit la terre ? Le moindre mal sera-t-il plus fort que le mal même dans son éclat ?

Et si vous croyez à Satan, vous savez bien qu’il est aussi dans vous : intelligence avec l’ennemi ! Et si j’y crois, je sais qu’il est aussi dans moi. Il est donc aussi dans mon livre. Alors pourquoi l’écrire ? Comment s’en délivrer ? Dira-t-on que je suis un fou qui croit voir le Diable partout ? D’autres ne savent le voir nulle part. C’est plus dangereux. N’auraient-ils pas regardé l’époque ? Or ce livre est l’époque, je le crains. Un peu plus clair seulement, un peu plus dépouillé, c’est-à-dire dévêtu des oripeaux tout-faits de l’illusion — c’est peut-être sa cruauté. Mais si l’époque est sans issue, si le cauchemar est vrai cette fois, s’il n’est plus de réveil possible, pourquoi le dire et troubler davantage ? « Ôter ses vêtements dans un jour froid, c’est dire des chansons à un cœur attristé »…

https://www.unige.ch/rougemont/livres/ddr1944partdia/6
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeLun 21 Fév 2022, 13:53

[N.B.: j'ai rajouté un dernier paragraphe à mon post précédent.]

Rougemont, 1944, excellente lecture (à replacer dans le contexte "spirituel" de cette époque, Simone Weil ou Bernanos d'un côté, Sartre ou Camus d'un autre).

A noter plus haut (p. 113, section 39, "Le Diable dans l'Eglise") un commentaire du "parallèle" de Matthieu 16, très différent pour le coup de son "modèle" (Marc 8 ) mais tout aussi intéressant. Les ajouts de Matthieu enrichissent le jeu (p. ex., outre la correspondance nouvelle entre cette scène et le récit de la "tentation" évoquée plus haut, la confession de Pierre inspirée non par la chair et le sang, mais par le Père, s'oppose plus symétriquement à sa pensée "satanique", humaine et non divine), l'introduction de "l'Eglise" implique une tout autre perspective, mais celle-ci s'inscrit tout de même dans la "suite" (sequentia) de Marc, et de "Jésus" (après "Jésus")... Détail: malgré les habitudes de traduction francophones (et protestantes), il n'y a pas d'"à Dieu ne plaise" dans le texte grec, mais une formule apotropaïque et optative de refus ou de conjuration du mal(heur), hileôs soi, où "Dieu" est tout au plus sous-entendu ([qu'il] te [soit] propice ou favorable, avec une fonction similaire à celle du mash'allah musulman): cela reste cependant très près de la problématique dont nous parlions au début, celle de l'évitement à tout prix de la fin (malheureuse).

[Du point de vue de l'exégèse classique, bien entendu, la principale difficulté pour lire Marc (le plus succinct ou le moins "développé") serait plutôt d'oublier (les développements) de Matthieu (ou de Luc, mais ici il élimine plus qu'il n'ajoute). En revanche, pour lire Matthieu ou Luc il faudrait se souvenir de Marc, car c'est ce qui lui est ajouté ou ce qui en est retranché qui est particulièrement significatif.]
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeLun 21 Fév 2022, 15:37

« Arrière de moi, Satan ! Tu m'es en scandale ! » (Mt 16.23). Analyse de l'ajout du rédacteur dans son contexte juif

À Césarée de Philippe Jésus se mit à réprimander Pierre en l'appellent « Satan ». Le rédacteur de l’Évangile selon Matthieu y ajoute « Tu es pour moi occasion de chute! » Cet article soutient que cet ajout rédactionnel reflète une tendance qui se manifeste dans les sources juives à (1) employer l'image de « trébucher » pour parler du péché, et (2) identifier le personnage diabolique (Satan, Bélial, l'Ange des Ténèbres, Penchant mauvais) comme la cause de « trébuchement ». Cela lui vaut le titre de « pierre d'achoppement ». Cette tendance a ses origines dans la Bible hébraïque, elle se manifeste dans la littérature de la communauté de Qumran, et se développe ultérieurement dans la littérature rabbinique.

https://www.cambridge.org/core/journals/new-testament-studies/article/abs/arriere-de-moi-satan-tu-mes-en-scandale-mt-1623-analyse-de-lajout-du-redacteur-dans-son-contexte-juif/EBB6138E790CA4E4B20EC94FDD349ED8
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeLun 21 Fév 2022, 16:27

Malheureusement seules les notes de cet article (me) sont accessibles.

Le verbe skandalizomai (faire trébucher, tomber, etc.) est bien présent chez Marc (4,17; 6,3; 9,42ss; 14,27ss), mais moins fréquent que chez Matthieu ([5,29s]; 11,6; [13,21.57]; 15,12; 17,27; [18,6ss]; 24,10; [26,31ss] -- entre crochets les occurrences qui correspondent grosso modo à Marc), même si le nom ou substantif skandalon n'y est pas (il se trouve en revanche en Matthieu 13,41; 16,23; 18,7 -- trois fois dans ce dernier verset). Ce lexique et les images (métaphores, figures) sous-jacentes (pierre d'achoppement etc.) sont bien une "spécialité" du judaïsme tardif, mais en grec tout autant qu'en hébreu ou en araméen (cf. LXX Lévitique 19,14; Josué 23,13; Juges 2,8; 8,27; 1 Rois 18,21; 25,31; Osée 4,17; Psaumes 48/9,13; 49/50,20; 68/9,22; 105/6,36; 118/9,165; 139/40,5; 140/1,9, pour au moins trois racines hébraïques différentes + Judith 5,1.20; 12,2; Siracide 7,6; 27,23; Sagesse 14,11; 1 Maccabées 5,4). Du coup ce n'est pas tellement un "marqueur" ni un critère de distinction, ni linguistique ni idéologique. Ce qui est à la rigueur plus "original" en Matthieu 16,23, c'est que Jésus lui-même puisse être "scandalisé", même si de fait il ne l'est pas puisqu'il "rabroue" Pierre comme il a rejeté la "tentation" du diable au chapitre 4 (que par contre il "scandalise" les autres tout en réprouvant le "scandale" et les "causes de scandale", cette contradiction-là est autant chez Marc que chez Matthieu).

Que cette image soit associée au "diable", cela va de pair avec l'évolution de la fonction de ce dernier, du rôle du "satan" accusateur, procureur ou témoin à charge au service de Yahvé (Job 1--2; Zacharie 3) à celui de "tentateur", opposé à "Dieu" (j'avais jadis écrit un article là-dessus, "Le diable ou l'autre du Tout-Autre", mais il a disparu du site de Théolib et d'Internet en général avant que je puisse le récupérer sous format "numérique", bien qu'il ait été cité pas mal de fois depuis). Toujours est-il que cette considération qui est plutôt de l'ordre de l'histoire des religions ou des croyances (le diable comme suite quasiment inévitable de "Dieu" au sens monothéiste, suite qui fait retomber ledit monothéisme en dualisme: ce "Dieu" qui pour être "bon" ne peut rester [cause de] "tout" et doit donc déléguer le "mal" à un "anti-Dieu") aurait un rapport certain avec le présent sujet (le diable dans la suite, non seulement de "Jésus" mais de "Dieu").

[Par association d'images, on peut penser à la queue du diable dans les illustrations ultérieures, bien que "tirer le diable par la queue" ait en français un autre sens, celui de l'extrême misère réduite à supplier le diable; ou au venin dans la queue (in cauda venenum) qui provient de l'Apocalypse (9,10.19), où la queue du dragon joue aussi un rôle (12,9). Multiples façons de dire que les "problèmes" ne se présentent généralement pas d'emblée comme tels, mais que ce sont les suites qui s'avèrent "problématiques", après coup. Ce qui peut à son tour rappeler le leitmotiv de la Gita hindoue, renonce aux effets (suites, conséquences, etc., bonnes ou mauvaises) de tes actes.]
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeMar 22 Fév 2022, 11:22

Pierre et le refus de la croix

Pierre est le premier être humain à reconnaître Jésus comme le Messie (8,27-30) ; auparavant, la reconnaissance de l'identité de Jésus n'émanait que des esprits impurs ou d'un aliéné. Marc induit-il l'idée que capter l'identité de Jésus dans une formule théologique est une tentation démoniaque ? On retiendra que ces déclarations sont à chaque fois stoppées par un ordre de silence ; dans la conception théologique de Marc, seule la croix peut leur donner le sceau de l'authentique.

C'est exactement ce qui se passe pour la confession de Pierre. Dès que celui-ci a déclaré : « Tu es le Christ », Jésus ordonne de n'en rien dire. Sitôt après vient l'annonce de la souffrance à venir de Jésus. C'est alors que Pierre tire Jésus à part et se met « à le réprimander », traduit pudiquement la TOB (8,32). Le vocabulaire est bien plus rude : le verbe grec epitimaô est celui par lequel l'exorciste rabroue le mauvais esprit qu'il veut chasser. Au sens propre, Pierre stigmatise l'annonce de la Passion du Maître comme la suggestion d'un mauvais esprit ! La réaction de Jésus est vive : « Derrière moi (plutôt qu'arrière de moi), Satan ! » (8,33). La condition de disciple chez Marc étant essentiellement qualifiée de suivance , Pierre est vertement prié de réintégrer sa posture de disciple appelé à suivre le Maître plutôt qu'à le précéder de ses conseils spirituels. Toute l'ambiguïté du personnage apparaît ici : Pierre est à la fois celui qui donne la réponse juste, mais en comprenant la messianité à sa manière et tentant d'imposer la sienne à Jésus. Autrement dit, il est exemplaire dans son ambivalence même au moment où il démontre la velléité de sa foi et tente en même temps d'emprisonner Jésus dans une théologie préétablie.

http://lumiere-et-vie.fr/numeros/LV_274_pages_21-31.pdf
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeMar 22 Fév 2022, 12:21

N.B.: contrairement à ce que suggère la traduction sans verbe "Derrière moi" (ou "Arrière de moi"), même si elle est commode en français, il y a bien un verbe à l'impératif dans le texte grec, hupage opisô mou, "va-t'en derrière moi" (cf. le post initial).

Il faut par ailleurs distinguer le mot de "disciple" (mathètès c'est l'élève, celui qui apprend, cf. "mathématique", et le disciple dans ce sens-là est plutôt représenté assis devant le maître debout, "à ses pieds") de l'idée de "suivre" (qui évoque une image quasiment opposée, marcher derrière qqn). Cette seconde idée (qu'exprime maladroitement le substantif "suivance", néologisme calqué sur la Nachfolge allemande popularisée par Bonhoeffer, cf. le follower anglais qui a lui-même connu un regain de popularité par les "réseaux sociaux") n'est pas à projeter sur toutes les occurrences du mot "disciple". Comme on l'a remarqué plus haut, ici (contrairement au début de l'évangile) Jésus ne demande à personne de le "suivre", il se borne à indiquer ce que ça implique (v. 34s, qui veut venir derrière moi [elthein (= erkhomai) opisô mou]... qu'il me suive [akoloutheitô (= akoloutheô) moi]), et c'est au moins en partie dissuasif (cf. 9,38ss pour l'exorciste indépendant qui "ne suit pas" avec les disciples, a contrario 10,21 pour le jeune homme riche invité à "suivre" Jésus S'il se défait de tous ses biens; et les usages suivants d'akoloutheô = "suivre" en 10,28.32.52; 11,9; 14,13.51.54; 15,41).
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeMer 23 Fév 2022, 13:43

Revenons à 3,16-17, où le jeu des noms est joué. Pierre et les fils de Zébédée sont les seuls dont Jésus change les noms, signe d’un changement de destinée et de leur appartenance à un nouveau Maître 27. La formule concernant Pierre est toutefois étrange : alors que les noms des onze disciples sont tous à l’accusatif, « Simon » est au datif 28. C’est « Pierre », le nouvel être, qui ressort à l’accusatif des mains de son créateur : Simon donc est re-fait en Pierre. Dès lors, il ne sera nommé par le narrateur que « Pierre ». Mais dans deux moments défavorables, ce nom lui est interdit sur les lèvres de Jésus : Il réprimanda Pierre ; il lui dit : 

« Va-t-en derrière moi, Satan » (8,33) Et il dit à Pierre : « Simon, tu dors ? » (14,37)

Ce sont les deux seuls endroits où le nom de Pierre est en jeu. En 8,33, Pierre ne revient pas en « Simon », mais il est totalement changé, changé en pire : il ne pense pas selon la logique de Dieu, mais selon celle des hommes. Une déviation dangereuse s’effectue : Pierre joue le rôle de Satan ! Une autre personne est interpellée, comme si Pierre était possédé par un esprit impur. En 14,37, en  revanche, nous sommes toujours devant la même personne, mais dans son « old way of life 29 ». Pierre, « the “disciple’s name” », lui est interdit 30. C’est le « “Simon” qui reste en “Pierre”  » : « Pauvre Simon, toujours le même !  ». Par rapport à 8,33, ce n’est pas la saisie « des choses de Dieu » qui est ici mise en danger, mais plutôt la capacité de Pierre de s’arracher aux contraintes du corps pour rester en éveil : « Celui qui était prêt à “mourir avec” Jésus, ce qui ne lui était pas demandé, n’est pas capable de rester dans l’éveil que celui-ci lui demande ». De plus, le vocatif en 8,33 vient dans une phrase tranchante, à l’impératif, suivie d’une autre explicative (« car tu ne penses pas… »), tandis qu’il vient en 14,37 dans une construction interrogative, répétée deux fois (« Simon, tu dors ? Tu n’as pas eu la force de veiller une seule heure ? »). L’interrogation suppose en principe une réponse, ouvre la voie à l’excuse et laisse à l’accusé une chance pour se défendre. Mais Pierre, hélas, n’en profite pas. En ce moment critique, le narrateur invite son lecteur à relire la faiblesse du disciple : celle-ci n’est pas condamnable, mais mise sous un signe d’interrogation. Pierre aurait pu être autrement, meilleur, plus vigilant, plus fort (ἴσχυσας 34), mais il ne l’est pas. Plus tard, pendant son reniement (14,66-72), Pierre perdra encore une fois le droit d’être appelé « Pierre », bien qu’il soit interpellé à trois reprises par ses interlocuteurs : à ce moment-là, il ne sera qu’un « tu » (σύ), un « celui-là » (οὗτος). Il ne regagnera son nom de « Pierre » qu’au moment de la Résurrection et sur les lèvres d’un personnage d’autorité (16,7) ...

...  Ainsi Jésus se comportait autrefois avec Pierre : « À Pierre qui n’a pas compris la dimension douloureuse de l’itinéraire du Christ, Jésus ne répond pas par une explication théorique ou scripturaire, mais par une invitation à entrer dans la même dimension : “Va derrière moi !” (8,33) ». Plus encore, toute l’histoire des disciples dans Marc est encadrée entre deux « allons » prononcés par Jésus : au début de son ministère (1,38) et à sa fin (14,42). Ce sont deux appels à keep walking dans un évangile, qui est un chemin continu à marcher ensemble dès le début jusqu’à la fin (1,2 ; 16,7). Où et, surtout, comment aller déborde encore une fois les limites du récit.   

 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2015_num_95_4_1961
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeMer 23 Fév 2022, 16:06

Lien ("cliquable", du moins je l'espère; curieusement, parce que le tien ne l'était pas, j'ai d'abord lu l'extrait en l'associant à la date de 1961, à cause des quatre derniers chiffres, et du coup il m'a étonné par son style -- et pour cause: il était de 2015. Signe que ce qui a changé dans l'exégèse académique, c'est beaucoup moins le "contenu" que la "forme", en particulier la formalisation croissante de la "narratologie" qui au mieux affine et sensibilise, au pire surcharge d'un fardeau de métalangage inutile, l'expérience immédiate de n'importe quel lecteur ou auditeur exposé au récit, dans le texte original ou en traduction).

Malgré le "derrière" (opisô) commun, si j'ose dire, au "satan" et aux "suiveurs" (8,33ss), le verbe hup-agô (s'en aller; en 1,38 et 14,42 c'est agô sans préfixe) aurait plutôt tendance à les opposer qu'à les confondre (cf. ses usages en 1,44; 2,11; 5,19.34; 6,31.33.38; 7,29;10,21.52; 11,2; 14,13.21; 16,7): "S'en aller" c'est le contraire de "suivre", même si l'un et l'autre ont lieu, se jouent ou se décident "derrière" (Jésus) -- cf. post initial.

A tout prendre, il serait peut-être plus intéressant de s'arrêter sur le nom de "satan" (grécisé et décliné en satanas) chez Marc: cf. 1,13 ("épreuve" à ce stade sans contenu, plutôt que "tentation", même si 8,33 va plus tard inspirer Matthieu 4,10); 3,23.26 (et alors c'est Jésus qui est soupçonné d'être au service du "satan" identifié à Beelzeboul "prince des démons", ce qui ne va pas sans une certaine analogie avec l'apostrophe de Jésus à Pierre: en "traitant" Pierre de "satan", Jésus le traiterait à peu près comme les pharisiens l'ont lui-même traité); 4,15 (l'ennemi qui enlève ce qui a été semé, encore une fois "derrière" ou dans la suite du semeur).

Tout cela pourrait se réduire à une banalité -- mais les banalités méritent tout particulièrement d'être méditées: il y a du diable dans la suite parce que la suite est toujours ambiguë et hors contrôle. Un "maître" ne maîtrise pas plus ses suiveurs que ses successeurs, l'"auteur" d'un texte, d'un discours, d'une parole ou d'un geste, l'"acteur" d'un événement quelconque ne maîtrisent pas davantage leurs effets ou conséquences (cf. encore Qohéleth, sur la vanité de toutes les successions, héritier sage ou fou, etc.). Ce n'est pas seulement en hébreu qu'on a son "avenir" ou sa "postérité" derrière soi... Toute la similitude équivoque de "Pierre" et de "Judas" (des Synoptiques au quatrième évangile, le diable ou [le] Satan navigue aussi de l'un à l'autre) peut être relue sous ce rapport; de ce point de vue il n'y a pas non plus d'avantage décisif d'un "suivre" sur un "ne pas suivre" (cf. l'exorciste "indépendant").
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeMar 01 Mar 2022, 17:31

Citation :
 je ne voulais d'abord relever qu'une pensée générale: "le diable" se cache peut-être dans beaucoup de choses (détails, bonnes intentions, etc.), mais notamment dans le goût (humain, trop humain ?) de l'histoire qui finit bien (happy ending), et dans le refus qui s'ensuit de toute "fin" tant que celle-ci ne paraît pas (assez) "heureuse", imposant la nécessité d'une suite, fût-elle sans fin (en quoi "Hollywood" serait tout autant le reflet d'une certaine universalité narrative et affective, au moins en puissance, qu'un facteur de "mondialisation"). 


Chapitre 3 : Herméneutique de la fin heureuse

a) L'harmonie rétablie, ou l'analogie leibnizienne

Un passage par la philosophie peut nous permettre une meilleure compréhension de l'aspect purement discursif contenu dans la figure du happy end; en particulier par la pensée de Leibniz, théoricien de l'optimisme raisonné; ce schème conceptuel permettant de mieux concevoir en quelque sorte le fonctionnement pragmatique et rhétorique du développement du sens à la fin de la fiction. De fait, en défendant l'idée d'une harmonie de l'univers qui n'apparaîtra qu'à la fin des temps, Leibniz a proposé dans ses Essais de Théodicée une bonne image de ce qu'est le happy end à l'échelle cosmique. Dans la parabole de la visite d'un simple mortel dans le palais d'Athéna, qui lui présente l'ensemble des mondes possibles, Leibniz développe l'idée que les imperfections présentes sont vouées à être des perfections futures, et que si l'on avait une vision englobante et pour ainsi dire rétrospective de tout ce qui se passait, on n'y verrait que sens et harmonie. Ainsi, les crimes du tyran Sextus et les pires péripéties du monde ont une raison d'être :

« Le crime de Sextus, (...) il en naîtra un grand empire qui donnera de grands exemples. Mais cela n'est rien au prix du total de ce monde, dont vous admirerez la beauté, lorsqu'après un heureux passage de cet état mortel à un autre meilleur, les dieux vous auront rendu capable de la connaître »

ainsi que l'explique pour finir Athéna au voyageur. Le récit du monde se révèle et devient harmonique par son dénouement. La fin pardonne et justifie le reste. La fin heureuse, plus encore, exalte le tout et fait oublier les bosses. Dans cette vision d'harmonie, cet optimisme raisonné a posteriori, les souffrances obéissent à un grand plan et amèneront un plus grand bien. Dans cette optique, on situe bien où réside l'analogie entre le happy end et la théodicée : le happy end propose de refermer la parenthèse des péripéties, du doute et des difficultés, de la même manière que la fin heureuse de la théodicée permet de refermer le procès de Dieu. 

Le propre du drame est d'être une longue suite de difficultés et une longue attente de la résolution. Le happy end vient clore cet inconfort et donner une manifestation très concrète du paradis rêvé, où tout se trouve résolu et dénoué. Le happy end vient, il nous semble au même titre que la théodicée, proposer une figure de l'espoir et résoudre toutes les contradictions apparentes que présente le déroulement de l'intrigue. Par le bien qui se trouve à la fin, l'ensemble du processus se trouve justifié ; l'histoire acquiert sens et ordre. Et si Leibniz est le philosophe de l'harmonie raisonnée, le happy-end est la suggestion d'une harmonie retrouvée.

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01082254/document


Dernière édition par free le Mer 02 Mar 2022, 11:04, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeMar 01 Mar 2022, 18:16

Excellent (voir aussi les exemples cinématographiques qui suivent ou précèdent, notamment de Capra). Ce serait tout aussi pertinent aux fins d'apocalypses (cf. le paragraphe précédent) ou d'évangiles (cf. p. 14 la référence à Ordet de Dreyer, j'ajouterais Hors Satan de Bruno Dumont ou Breaking the Waves de Lars von Trier, exemplaires de cette structure "par-évangélique" qui est plus évidente ici qu'ailleurs mais n'a peut-être pas de vraie limite dans le "genre" du récit): la résurrection, le monde nouveau, l'accompli, c'est le happy ending invraisemblable, proprement impossible au regard de tout critère de possibilité qui suppose une suite et non une fin. Vue sous cet angle c'est la fin même qui est l'impossible, toujours retardée, empêchée jusqu'à être désirée et voulue, sans pouvoir être jamais atteinte; mais par là même heureuse, forcément heureuse dès lors qu'elle ne serait plus tentée ni menacée d'aucune suite. "Tout est bien qui finit", c'est aussi un aphorisme de Maurizio Manco...

C'est l'histoire racontée (story) qui finit, au cinéma comme au théâtre ou dans un livre, roman ou biographie, tandis que l'histoire (history) après elle et autour d'elle continue sans fin (quand bien même il y aurait une "fin de l'espèce", il n'y aurait personne pour la raconter ni à qui la raconter comme telle).  Elle (l'histoire racontée) finit bien ou mal parce qu'elle a une perspective, un point de vue partagé au moins à la fin par le narrateur, le héros ou les protagonistes, les auditeurs, lecteurs ou spectateurs, et même par les "méchants" de l'histoire. Chacun n'interprète et ne juge (n'apprécie) son "histoire", ce qu'il ou elle fait et ce qui lui arrive, que par le même effet de "cadrage" narratif retourné en miroir, jouant et se regardant jouer la fin avant la fin jusque sur son lit de mort.
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeJeu 03 Mar 2022, 13:29

Pour Jésus, Satan existait-il telle une personne, ou bien était-il le chiffre du Mal qui sépare l’homme de Dieu ? Pour répondre à la question, il faut d’abord distinguer l’affirmation de son présupposé. Ainsi, quand Jésus parle de Jonas (Mt 12, 39-42), il ne déclare rien sur son existence, il montre seulement la portée de sa prédication. De même, lorsque Pierre s’oppose à l’annonce que le Messie doit passer par la mort, Jésus s’exclame : « Retire-toi ! Derrière-moi, Satan ! car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8, 23 = Mt 16, 23). Sans être Satan en personne, Pierre a parlé en « adversaire » du dessein de Dieu, se situant ainsi à la place du tentateur. Il est, sauf pour Luc qui ignore l’épisode, un suppôt de Satan. Cela signifie, non pas que Satan soit une personne, mais qu’il agit sur la terre ici et, en l’occurrence, sur la personne de Pierre.    

https://www.cairn.info/revue-etudes-2002-3-page-349.htm

L'enfer est pavé de bonnes intentions ... Cette formule me fait penser à une situation particulière, celle de la personne en fin de vie qui  souhaite "partir" mais qui est "retenue" ou "empêchée" de quitter ce monde par la famille qui lui dit en quelque sorte "Dieu t'en préserve, cela ne t'arrivera jamais". La personne en fin de vie ne se sent pas autoriser à partir car elle culpabilise à l'idée de faire souffrir les membres de sa famille qui ne pensent pas comme elle, ainsi elle ne peut pas connaitre le soulagement tant attendu. 
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeJeu 03 Mar 2022, 15:40

Il y aurait beaucoup à dire et à redire de l'article de XLD, mais on y apprend des choses intéressantes ou du moins amusantes (j'ignorais par exemple la connotation "diabolique" du mot caudillo chez Ignace de Loyola, mais l'entourage ecclésiastique et notamment jésuite de Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios, devait la connaître).

Je crois me souvenir que mon article sur le diable, dont j'ai perdu toute trace (mais probablement pas lui) commençait à peu près comme suit: "Le diable est un personnage complexe. Trop complexe peut-être pour être un personnage. Il recueille et relève patiemment les traces, restes, reliefs, de ce qui est exclu, rejeté, etc." (Sur la fin je ne me souviens plus du tout, j'invente, comme le diable de Sartre d'ailleurs: "le bien est déjà fait; moi, j'invente". En musique aussi l'invention est une sorte de suite.) J'ai retrouvé d'ailleurs il n'y a pas longtemps, mais je ne sais déjà plus où (dans L'oeil du diable de Bergman, dans Le ciel peut attendre de Lubitsch ?), cette idée que le diable n'a besoin d'aucune cohérence (d'aucun but, d'aucune stratégie, etc.), qui fait résonner curieusement la péricope synoptique (que Satan chasse Satan et que son royaume soit divisé, c'est en quelque sorte leur nature ou leur absence de nature, d'essence ou de substance qui est dévoilée). Au passage, le mot "suppôt" a une étymologie tout à fait similaire (sup-positus, sup-postus, sup- > sub-, mis par-dessous comme le suppositoire) au "sujet" (sub-jectum) ou à la "sub-stance" (sub-stantia), en (fran-)grec "hypo-stase" qui se traduit aussi par persona. Et la définition de Ratzinger (le futur Benoît XVI), Un-person, est aussi digne de réflexion sous ce rapport.

Comme on l'a déjà remarqué, de Marc et Matthieu à Jean "Satan" passe de Pierre à Judas (Ioudas), dans une économie toutefois compliquée puisque celui-ci est déjà "diable" (chap. 6) avant que Satan entre en lui dans la parodie de la Cène (chap. 13); d'autre part le "diable" est le "père" des "juifs" (Ioudaioi, chap. 8 ), sans être forcément identifié au "prince de ce monde" (chap. 14ss). Il y a aussi un jeu de "suite(s)" entre Pierre et le "disciple bien-aimé" (18,36) qui se poursuit (!) jusque dans les textes du tombeau vide (20,5s) et dans l'ultime conclusion (chap. 21, v. 19ss).

Ton rapprochement avec la "fin de vie" et la "suite" qui la retarde (suiveurs ou entourage peu pressés, sincèrement ou non d'ailleurs, de devenir successeurs et survivants) me paraît tout à fait pertinent.
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeJeu 03 Mar 2022, 16:18

Au gré de mes recherches, une découverte qui n'a aucun rapport avec notre sujet mais que je voulais partager, c'est une parenthèse (je n'ai pas retrouvé le fil sur Pierre chef de l'Eglise) :

Un autre exemple est le récit du baptême de Jésus : dans Jean, le Baptiste témoigne de la venue du Saint-Esprit « descendant comme une colombe venue du ciel » (Jn 1, 32), après avoir reconnu en lui « l’agneau de Dieu » (Jn 1, 29) ; dans les synoptiques, au moment où Jésus sort de l’eau, il voit les cieux ouverts et le Saint-Esprit descendre sur lui sous la forme d’une colombe (Mt 3, 16 et parallèles). Or, les deux mots « descendre » et « colombe » forment des calembours avec les deux noms propres du récit, à condition de passer par leur substrat hébreu : (1) le verbe καταβαίνω, « descendre », traduit l’hébreu y-r-d, formé sur la même racine que le nom du Jourdain ; (2) et περιστερά, la « colombe », traduit l’hébreu y-w-n-h, nom du prophète Jonas et anagramme du nom de Jean (Iôna- / Iôan-), en hébreu y-w-ḥ-n-, avec une laryngale que le grec ne prononce pas. Or, dans le Siracide, y-w-ḥ-n- est employé pour transcrire le nom du grand-prêtre Onias (Onia-), celui du père de Simon le Juste (Si 50, 1 ), mais aussi celui de son fils, dernier grand-prêtre légitime du temple de Jérusalem, déposé par Antiochos IV Épiphane, roi d’Antioche, et remplacé par son frère Jésus / Jason, en ‑ 175. Autrement dit, la colombe a un double sens : d’une part, elle est en clair le signe du Saint-Esprit que Jésus reçoit à son baptême ; d’autre part, sous le voile du jeu onomastique, elle signifie que Jésus reçoit par le Saint-Esprit la légitimité sacerdotale, interrompue jadis par la déposition d’Onias et non rétablie ensuite, ni par les prêtres asmonéens autoproclamés ni par les grands-prêtres hérodiens nommés par une autorité humaine, tandis qu’avec Jésus, au moment de son baptême, la légitimité revient enfin à l’élu de Dieu.

Simon, fils de Jonas (Mt 16,17) ou fils de Jean (Jn 21)

Le même jeu de mots entre Jean, Jonas et Onias intervient à deux reprises, dans Matthieu et dans Jean, pour donner une paternité à Simon Pierre. En Mt 16,17, Jésus l’appelle « Simon Bariôna », c’est-à-dire Simon fils de Jonas, ce qui fait référence à Simon le Juste, appelé « fils d’Onias » en Si 50, 1. À cette paternité est donc attachée la légitimité sacerdotale, et Pierre est en effet le premier chef de la communauté primitive. Le surnom de Bariôna est aussitôt suivi de la fameuse parole de Jésus : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16,18), qui va dans le même sens d’une investiture sacerdotale ; et l’exégèse s’est divisée au xixe siècle sur le fait de savoir si cette parole remontait à Jésus et donnait une plus grande légitimité à l’Église catholique, dont le chef est depuis le ive siècle le successeur de Pierre.

En Jn 21, 15-17, Pierre est appelé trois fois par Jésus ressuscité « Simon (fils) de Jean », ce qui fait encore référence à Simon le Juste, fils d’Onias, et l’interpellation est aussitôt suivie d’une mission pastorale : « Pais mes brebis ! » La variante byzantine renforce, d’ailleurs, le lien entre cette nouvelle paternité de Pierre et le passage précédent de Matthieu : Jean est alors remplacé par Jonas ; et jusqu’en 1881, toutes les traductions de l’évangile de Jean suivaient le texte byzantin et avaient donc « Simon fils de Jonas ».

https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2017-1-page-31.htm
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeJeu 03 Mar 2022, 18:20

J'avais déjà entendu avec stupéfaction l'auteur et (une mouture antérieure de) sa théorie une dizaine d'années plus tôt, à un colloque de Théolib sur "le Jésus de l'histoire" (C.B. Amphoux était au départ spécialiste de critique textuelle, j'avais eu l'occasion de le lire, de l'écouter et de l'apprécier auparavant dans son domaine): j'ignore s'il a réussi depuis à convaincre qui que ce soit hormis lui-même (et encore...). Pour moi c'était surtout une illustration de ce que disait en substance Robert M. Price, que j'avais entre autres évoqué au même colloque: sur le "Jésus historique" on peut dire absolument n'importe quoi, à condition de choisir dans les textes ce qu'on tiendra pour "historique" et d'évacuer tout le reste comme "secondaire" (fiction littéraire, expression de la foi "post-pascale", etc.). Moyennant quoi la thèse d'Amphoux est indiscutablement "originale", puisqu'il tient pour "historiques" des éléments que quasiment tout le monde tient pour "secondaires" (p. ex. les "liens de parenté" entre Jean-Baptiste et Jésus, propres à Luc, et ceux entre Jésus et Jacques le Juste, qui résultent d'une combinaison des Synoptiques, des Actes, de Josèphe et d'Hégésippe -- Price soupçonnait d'ailleurs sous ce dernier nom, dans le texte d'Eusèbe, une déformation du précédent).

"Jean", "Jonas" et "Onias" sont des noms bien distincts en hébreu (ywhnn-yohanan / ywnh-yona / hwnyw-honio) comme en grec (Iôannès / Iôna[s] / Onias) [n.b.: ce que je distingue par des soulignements et des accents en translittération française, ce sont des lettres et des sons différents, et les "sens" sous-jacents vont de la "grâce" à la "colombe"]. Bien sûr ils peuvent toujours être confondus, accidentellement ou intentionnellement ("jeux de mots"): on a bien ywhnn-yôhanan = "Jean" dans un manuscrit hébreu de Siracide 50,1, on trouve aussi la variante ioniou pour oniou (génitif) dans les manuscrits (Vaticanus et Sinaïticus) de la Septante (cf. Rahlfs ad loc.). Il se peut que la transcription de l'araméen Bariôna en Matthieu 16,17 dépende en partie du Siracide et de son micmac textuel, mais une référence à Jonas aurait bien d'autres explications dans cet évangile (cf. 12,38ss; 16,4, qui n'ont pas d'équivalent chez Marc). C'est seulement dans le quatrième évangile que Simon est dit "fils de Jean" (1,42; "de Jean" sans "fils", Iôannou en 21,16ss; quoique dans tous ces passages il y ait aussi des variantes en Iônas, probablement dues à l'influence traditionnellement décisive de Matthieu).

Je ne sais pas à quel fil sur Pierre tu fais allusion, mais il n'aurait probablement guère plus de rapport avec cet article: le "privilège" -- divers et ambigu -- de "Pierre" dans le NT n'a jamais rien de nettement "sacerdotal": dans Matthieu 16 les "clés", l'antithèse "lier" / "délier" et l'ekklèsia appartiennent à un vocabulaire politique, administratif ou domestique aussi exploité par le pharisaïsme "laïc", et même si l'on rapporte l'image de la construction à un temple ce ne sont pas les prêtres qui construisent; dans Jean c'est "l'autre disciple" et non Pierre qui est "connu du grand prêtre", etc. Tant qu'à faire on peut aussi imaginer un rapport avec ce fil-ci: dans tous les "X (fils) de Y" il y va de la suite, de la succession, de la séquence et de la répétition de séquence, de génitif en géniteur et de génération en génération: la séquence onomastique Onias / Simon / Onias etc. revient plusieurs fois dans les listes sacerdotales depuis l'époque hellénistique, avec des noms différents selon les sources (Josèphe, Talmud; cf. p. ex. ici).
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MessageSujet: Re: diabolus in sequentia   diabolus in sequentia Icon_minitimeDim 08 Mai 2022, 10:52

Je reviens au départ de ce fil qui s'est ensuite effiloché dans tous les sens (mais c'était son sujet même, la suite, la bifurcation, la multiplication, la prolifération, l'enchevêtrement, la complication et la confusion des suites, autrement dit leur "diabolisation" suivant tous les tours, détours et retours du dia-bolos > dia-ballô, par moments antithétique du "symbole", sum-bolon, censé assurer le retour de la division ou de la dissémination à l'unité originelle -- avec ou sans diable à queue ou pieds fourchus et langue bifide, il y a toujours du double dans le diable, même si ça ne résonne ainsi qu'en français).

A Marc donc, où c'est d'abord Jésus qui est présenté comme "venant derrière" (erkhomai + opisô) Jean(-Baptiste), 1,7, dans un rapport de succession qui est aussi de "suivance" (cf. supra 22.2.2022), puisqu'il faut que Jean soit arrêté (1,14) et que Jésus ne puisse plus le suivre, pour que celui-ci se mettre à proclamer son message à sa place et à se faire "suivre" à son tour (1,17ss; 2,14s; 3,7; 5,24.37; 6,1 etc.); pourtant dans cette "suite" il y a déjà écart par rapport à Jean et à d'autres "suites" de Jean qui peuvent paraître plus légitimes ("disciples de Jean" distincts de ceux de Jésus, 2,18ss): cela n'entame pas la suite Jean-Jésus, mais la dédouble, la démultiplie et la spectralise (Jésus = Jean ressuscité, redivivus, l'esprit ou le "revenant" de Jean, 6,14ss; 8,28 ). A (re-)partir de là, comme on l'a vu plus haut, le rapport à la suite est plutôt dissuasif ou ambivalent, puisqu'il s'agit pour ceux qui suivent Jésus de mourir comme lui (même pas avec lui: prendre [chacun] sa croix, non celle de Jésus, 8,34); l'exorciste qui ne suit pas les suiveurs est laissé à sa propre suite divergente, qui est quand même (du nom) de Jésus (9,38 ), le riche invité à suivre Jésus ne le peut pas (10,21), ceux qui le suivent parce qu'ils ont tout abandonné le font désormais dans la peur (10,28.32), sauf l'aveugle Bartimée qui le suit à contresens de l'ordre qui lui est donné (on lui a dit "va", hupage, et il "suit", akoloutheô, 10,52, même opposition verbale qu'au chap. 8, sur un autre ton). Après quoi on suit Jésus comme on le précède à l'entrée de Jérusalem (11,9), il faut suivre quelqu'un d'autre pour préparer la Pâque (14,13); restent comme "suivants" jusqu'à un certain point le jeune homme au drap (14,51), Pierre (54) et les femmes (15,41). C'est sur cette séquence chaotique de suites problématiques qu'il faut entendre la "fin sans suite et sans fin" du chapitre 16 (à condition de s'arrêter au v. 8, à la fin du texte "authentique", même si elle est accidentelle, pour retourner ou non à la Galilée début, pour une relecture éventuelle qui ne sera plus comme la première, ni comme les suivantes).

Il y a un double bind, une "double contrainte" perverse ou retorse de la "suite" qui se dédouble ou se duplique, se multiplie et se complique à l'infini dans le sillage de ce qu'elle suit: il faudrait, ou on voudrait suivre qu'on ne le pourrait pas, et inversement: il ne le faudrait pas ou on ne le voudrait pas qu'on suivrait quand même, comme malgré soi. C'est "diabolique", non seulement au sens de l'étymologie mais comme un diable qui suivrait tout dieu et tout être comme son double ou son ombre, sur ses talons, brouillant ses traces à mesure qu'il les relève.
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