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| Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Ven 22 Avr 2022, 10:48 | |
| Joram roi de Juda ne doit pas être confondu avec son proche parent Joram, roi d'Israël, les deux ayant régné en même temps.
"Il prit alors son fils premier-né, qui devait devenir roi à sa place, et il l'offrit en holocauste sur la muraille. Une grande colère s'abattit alors sur les Israélites, qui s'éloignèrent de lui et retournèrent dans leur pays" ( 2 R 3,27).
Le problème exégétique du sacrifice humain de Méscha
En 2 Rois 3, Joram, le roi d’Israël lance une expédition contre Méscha, le roi de Moab, conjointement avec Josaphat, roi du Juda, et le roi d’Edom, qui n’est pas nommé. L’expédition manque de tourner au fiasco dans le désert d’Edom, mais finalement YHWH leur accorde une victoire inespérée sur les forces de Moab suite à une prophétie d’Elisée (cf. v.9-25).
Méscha se refugie alors dans la ville de Kir-Haréseth, qui est immédiatement assiégée. Après une dernière tentative de sortie qui se solde par un échec (v.26), le roi de Moab accomplit alors une chose abominable : il sacrifie son fils héritier sur la muraille, aux yeux de tous, pensant sans doute ainsi apaiser la colère du dieu Chemosh, à qui il attribuait sa défaite (v.27). [Avant que l’un de nos lecteur ne nous en fasse la remarque, précisons que l’image associée cet article représente Moloch, et non Chemosh]
Au sein même de ce sordide récit, la dernière partie du v.27 pose un problème.
Le problème
Dans la S21, la dernière phrase de ce texte semble assez facile à appréhender :
« Les Israélites éprouvèrent alors un tel sentiment d’indignation qu’ils s’éloignèrent du roi de Moab et retournèrent dans leur pays.«
Cependant cette traduction est loin d’être évidente. Si l’on traduit le texte littéralement, la grande colère/indignation dont il est question s’exerce clairement contre ou sur Israël :
« Et il y eut une grande colère contre Israël, et ils s’éloignèrent de lui et retournèrent dans le pays.« « Le pays » est sans aucun doute celui d’Israël, ou peut être l’ensemble du territoire des royaumes du nord et du sud ; « lui » est sans aucun doute Méscha, le roi de Moab. Mais qu’en est-il de cette grande colère et de qui vient-elle ?
Les solutions les plus courantes
Nous l’avons dit, l’option défendue par la S21 suggère que le sacrifice de Méscha provoque une telle indignation et un tel dégoût au sein de la coalition que les armées en présence décident de se retirer. La plupart des exégètes évangéliques suivent cette voie : c’est apparement la plus simple et elle est techniquement possible. Cependant, cette proposition s’accorde difficilement avec le le contexte de la narration et elle n’apporte aucune explication crédible quant au demi-tour soudain des Israélites.. En effet, pourquoi les Israelites, s’ils sont dans une telle colère, ne mettent-ils pas Kir-Haréseth à sac, comme ils semblaient proche de le faire avant le sacrifice de Méscha ? N’était-ce pas ce qu’Elisée avait prophétisé ? ...
Une autre voie
Mais une dernière option me paraît envisageable : la colère en question serait celle de YHWH, et elle s’abattrait sur la coalition parce que les Israélites se seraient éloignés de Méscha et qu’ils n’auraient pas détruit Kir-Haréseth, bravant ainsi l’un de ses commandements.
Dans ce cas, il faudrait traduire la clause ainsi :
« Il y eut une grande colère contre Israël car il s’éloignèrent de lui (de Méscha) et il retournèrent dans le pays (Juda/Israël)«
De prime abord, la syntaxe du texte ne se prête pas facilement à cette interprétation : les clauses sont jointes par un waw, une conjonction qui revêt rarement une fonction causale ou explicative. Il faut également reconnaître que l’histoire de l’interprétation ne semble jamais aller dans ce sens (on notera toutefois que, sur ce verset, l’histoire de l’interprétation a tendance à aller dans tous les sens !)
Néanmoins, cette explication s’accorde bien avec la forme finale du texte et sa rhétorique :
(1) Au v.19, Elisée prophétise la défaite de Moab, et il ajoute : « Vous détruirez toutes les villes fortifiées et toutes les villes importantes ; vous abattrez tous les arbres fruitiers ; vous comblerez toutes les sources ; vous dévasterez toutes les terres cultivées, en y jetant des pierres. ». S’agit-il d’un oracle prophétique ou d’une série de commandements ? Si c’est une prophétie, elle ne s’est pas pleinement accomplie, car Kir-Haréseth est encore debout. Et si c’est un ordre, il n’a pas été pleinement obéi… Tout porte à croire que c’est la deuxième option qui est la bonne.
(2) Au verset 25, tout le pays est saccagé à l’exception de Kir-Haréseth. Les porteurs de frondes l’encerclent et frappent ses murailles ; la ville est près de tomber. Lorsque le sacrifice du fils de Méscha a lieu, le roi de Moab pense certainement vivre ses derniers instants. Dans un certain sens, il sacrifie son propre fils à sa place
(3) Il semble donc que YHWH avait commandé à la coalition de frapper Kir-Haréseth et qu’elle s’apprêtait à le faire. Cependant, impressionnée ou apeurée par le grand sacrifice de Mécha, elle y renonce. Ainsi, l’incrédulité et l’idolâtrie d’Israël maintes fois dénoncées dans le livre des Rois refont surface.
Si cette explication est la bonne, ce que j’ai tendance à penser, alors c’est bien la colère de YHWH qui s’exerce contre Israël, et ce à cause de leur désobéissance teintée d’idolâtrie. Après avoir expérimenté une grande délivrance de la part de YHWH, ils se laissent impressionner par le culte de Chemosh dans son expression la plus terrible : un sacrifice humain.
https://www.leboncombat.fr/le-probleme-exegetique-du-sacrifice-humain-de-mescha/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Ven 22 Avr 2022, 11:50 | |
| Il ne faut sans doute pas confondre les "Joram" dans les récits "bibliques", pour autant que ceux-ci les distinguent; mais d'un point de vue historique (ou historico-critique) c'est beaucoup plus douteux: comme on l'a vu, aucun "royaume de Juda" n'émerge vraiment comme tel avant Ezéchias. La lignée dynastique de Jérusalem, ininterrompue depuis David, telle qu'elle apparaît dans les Rois (c'en est même le "fil directeur", bien qu'interrompu par divers "cycles" relatifs à Israël, Elie-Elisée-Jéhu), est principalement une fiction, qui comporte sans doute des traces historiques de la royauté locale d'une "cité-Etat" plus ou moins autonome selon les époques par rapport à "Israël" (= Samarie), mais résulte surtout d'une construction artificielle, en partie décalquée de l'histoire d'Israël depuis Omri. En l'espèce, il est assez clair que le "couple infernal" Joram-Athalie dédouble celui d'Achab-Jézabel, ce qui se traduit dans l'histoire-fiction par un jeu d'alliances matrimoniales entre des "royaumes" indépendants et une duplication probable des noms propres. Du sacrifice de Més(h)a nous avons souvent parlé (déjà sur ce fil, en 2008 !). Pour rappel, à l'encontre de l'article "évangélique" et "apologétique" précité, je pense que "la Colère" ( qçp sans complément) n'est précisément pas "de Yahvé": c'est une puissance archi- ou supra-divine, quasi automatique (à l'instar de la ma'at égyptienne, de la dikè ou de la nemesis grecques), susceptible de régler même les conflits entre les dieux (en l'occurrence les dieux tutélaires Yahvé et Kamosh, quand l'un outrepasse ses limites territoriales et empiète sur le territoire de l'autre; cf. la fameuse négociation de Jephté -- qui fait sensiblement la même chose avec sa fille, à la différence du temps du voeu et de l'exécution -- en Juges 11, bien que le récit confonde Ammôn et Moab: il s'agit de respecter le territoire que chaque dieu a attribué à son peuple, cf. aussi Deutéronome 32,8 et sa non moins fameuse histoire textuelle, fils d'Israël / fils des dieux / anges de Dieu). Ici le sacrifice humain fonctionne comme un sacrifice suprême, appel à une instance supérieure qui remet Yahvé à sa place (même si ce n'est plus compris ainsi par le rédacteur des Rois, celui-ci reste malgré lui tributaire de la "logique" du récit, cf. mon post précédent). |
| | | free
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Ven 22 Avr 2022, 12:05 | |
| - Citation :
- En l'espèce, il est assez clair que le "couple infernal" Joram-Athalie dédouble celui d'Achab-Jézabel, ce qui se traduit dans l'histoire-fiction par un jeu d'alliances matrimoniales entre des "royaumes" indépendants et une duplication probable des noms propres.
Le conflit avec Mésha selon 2 Rois 3 Parallèle entre 1 Rois 22 et 2 Rois 31 R 22 (Achab) dit à Josaphat: «Veux-tu venir avec moi faire la guerre à Ramoth-de-Galaad?» Josaphat répondit au roi d'Israël: «Il en sera de moi comme de toi, de mon peuple comme de ton peuple, de mes chevaux comme de tes chevaux.» (v. 4) Josaphat dit: «N'y a-t-il plus ici de prophète du SEIGNEUR, par qui nous puissions le consulter?» (v. 7) Annonce d’une victoire par Michée Révélation par Michée d’un plan secret de Yhwh pour duper Achab Défaite d’Israël 2 R 3Yoram fait dire à Josaphat: « Viendras-tu avec moi en Moab pour la guerre ? Il répondit : je monterai ; il en sera de moi comme de toi, de mon peuple comme de ton peuple, de mes chevaux comme de tes chevaux. » (v. 7) « N’y a-t-il pas ici un prophète de Yhwh, que nous consultions Yhwh par son intermédiaire ? L’un des serviteurs du roi d’Israël répondit : ici il y a Elisée » (v. 11) Annonce d’une victoire par Elisée Défaite d’Israël https://www.college-de-france.fr/media/thomas-romer/UPL2732825645655423823_Richelle_Le_conflit_avec_Mesha_selon_2_Rois_3.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Ven 22 Avr 2022, 12:25 | |
| En effet, les dédoublements narratifs sont nombreux (en parlant des Joram je ne pensais pas à celui de 1 Rois 22 // 2 Rois 3, mais il est tout aussi caractéristique et intéressant), et la présentation schématique de Richelle (également sur la Septante, cf. ma remarque antérieure sur les différentes "éditions" de Samuel-Rois, supra 20.4.2022) est bienvenue -- même si elle n'aboutit à aucune clarté d'"intention" globale (c'est justement à ça qu'il faut renoncer pour lire les textes tels qu'ils sont et remarquer ce qui s'y remarque, sans espérer y gagner une "compréhension" globale et systématique).
Les "sujets" (noms propres de personnes, de lieux, de dieux) tendent naturellement à se confondre autant qu'à se démultiplier dans ce phénomène de répétition des schémas narratifs -- cf., depuis la Genèse, Abra(ha)m-Isaac / Abimélech-Pharaon, ou Sodome avec la Guibéa des Juges, etc. |
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Lun 25 Avr 2022, 14:31 | |
| "Il suivit en tout la voie d'Asa, son père, et il ne s'en écarta pas, faisant ce qui convenait au SEIGNEUR. Toutefois les hauts lieux ne disparurent pas : le peuple offrait encore des sacrifices et de l'encens dans les hauts lieux. Josaphat fut en paix avec le roi d'Israël" (1 Rois 22.43-44)."Josaphat, roi de Juda, revint sain et sauf chez lui, à Jérusalem. Jéhu, fils de Hanani, le visionnaire, sortit au-devant de lui. Il dit au roi Josaphat : Doit-on secourir le méchant, et aimes-tu ceux qui détestent le SEIGNEUR ? A cause de cela la colère du SEIGNEUR est sur toi. Mais il s'est trouvé de bonnes choses en toi : tu as éliminé du pays les poteaux cultuels (les ashéras) et tu as appliqué ton cœur à chercher Dieu" (2 Chroniques 19.1-3).Josaphat est décrit comme un bon roi, qui a été fidèle à Dieu durant sa vie et en même temps (selon les textes lus), il lui est reproché d’avoir créé des liens avec Achab et le fait que "les hauts lieux ne disparurent pas : le peuple offrait encore des sacrifices et de l'encens dans les hauts lieux". Un extrait :Dans le livre, l’histoire de Josaphat (2 Ch 17,1-21,1) est savamment construite. Dans un premier regard, elle joue sur le registre de la répétition en empruntant son modèle narratif à celle d’Asa (2 Ch 14-16) comme le montre le tableau suivant .
Un regard plus attentif fait ressortir une construction plus élaborée encore, de type paratactique, par juxtaposition de « phase positive » et de « phase négative »
Le tableau proposé montre ce que le récit produit doit à l’auteur qui, intégrant avec art sa source (1 R 22), n’en construit pas moins une œuvre originale. Tout se joue dans les effets de contrastes qui opposent deux attitudes du roi Josaphat, être fidèle à Dieu ou s’allier avec les rois d’Israël. . La première attitude se traduit par la bénédiction divine et la prospérité humaine (17,1-18a), le bon gouvernement (19,1-11) et le salut face à l’adversaire (20,1-30). À l’inverse, la seconde attitude conduit au désastre, qu’il soit militaire (18, 1b-34) ou commercial (20,35-37). Mais au-delà du cas singulier de Josaphat, tout lecteur du livre est invité à choisir avec discernement. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2002-4-page-525.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Lun 25 Avr 2022, 15:55 | |
| Excellente étude, qui concerne davantage les Chroniques que Samuel-Rois -- mais la leçon générale vaut autant pour ceux-ci que pour celles-là, à savoir, comme on dit: ne pas jeter le bébé (littéraire, idéologique, religieux, que chacun raye les mentions à ses yeux inutiles) avec l'eau du bain (historique ou pseudo-historique). De ce point de vue le dernier récit en date (les Chroniques donc, sans préjudice de leur éventuel rapport à des éditions plus anciennes de Samuel-Rois, déjà évoqué plus haut, et de leurs effets en retour sur les dernières rédactions de Samuel-Rois) est à la fois le mieux et le plus mal servi: le mieux, parce que la comparaison avec Samuel-Rois (rendue possible par la "canonisation" des deux "histoires", qu'aucun des "auteurs" n'avait prévue) fait ressortir les différences des Chroniques et rend plus apparent le sens (ou l'intention) de ces différences; le plus mal, parce que cette situation de comparaison permanente rend plus difficile une lecture des Chroniques pour elles-mêmes, et la mise en valeur de leur "logique" ou de leur cohérence propres -- tout ce qu'Abadie met magistralement en évidence et qui serait à la portée de n'importe quel lecteur, s'il y en avait (comme je le suggérais plus haut, sur un nombre indéterminé de "lecteurs de la Bible" il y a peu de lecteurs des Rois, encore moins des Chroniques, encore moins de lecteurs des Chroniques qui se donnent la peine d'oublier les Rois pour ne lire que les Chroniques).
Puisqu'on avait commencé ce fil sur "Jéhu" (le "roi d'Israël" qui est aussi "fils de Josaphat" en 2 Rois 9,2.14, mais n'est qu'à peine mentionné en 2 Chroniques 22), on peut noter que le prophète du même nom (Jéhu fils de Hanani) qui interpelle Josaphat en 2 Chroniques 19 (v. 2, cf. 20,34) était le vis-à-vis de Baasha en 1 Rois 16, longtemps avant les Omrides censément renversés par (le roi) Jéhu (il y a d'ailleurs d'autres Jéhu, 1 Chroniques 2,38; 4,35; 12,3). Quant à Josaphat (roi de Juda), il faut (re-)lire le développement de 2 Chroniques 20, typique des Chroniques en ce qu'il s'agit d'une délivrance miraculeuse purement "liturgique" et "lévitique" (la victoire en chantant... des cantiques, ce qui rappelle aussi les trompettes de Jéricho dans Josué); il ménage quand même tout à la fin (v. 35ss) une place pour la "rétribution" de la faute (ultérieure)... (voir dans l'article d'Abadie les §§ 46ss et les notes, et les "parallèles" avec Asa -- père de Josaphat -- dans le même livre). |
| | | free
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Mar 26 Avr 2022, 11:30 | |
| "Les débuts du Royaume de Juda en 2 Ch 10-20. Narration et idéologie" - Wénin, André
Les deux premiers chapitres de l’ensemble retenu sont significatifs à cet égard. Le premier épisode relate les négociations entre le roi Roboam, fils et successeur de Salomon, et les Israélites qui revendiquent de lui un mode de gouvernement plus souple. Le jeune roi refusant de leur donner satisfaction, ils décident de faire sécession. En réalité, ce récit de 2 Ch 10,1–11,4 est un véritable calque de 1 R 12. Le narrateur alterne habilement les modes narratif et scénique, comme c’est très souvent le cas dans la Bible hébraïque. Son récit est émaillé de nombreux dialogues et de brefs discours qui lui confèrent un style vivant (2 Ch 10,4-5.6-1.12.14b.16b ; 11,3-4). Le mode scénique domine largement et le narrateur intervient peu pour guider la lecture ou émettre un jugement plus ou moins direct (voir toutefois 10,13-14a.15-16a et 18b). En revanche, dans l’épisode suivant, typique des parties propres à 1-2 Ch, le mode narratif domine largement. Avec le sommaire sur les travaux de fortification menés par Roboam (11,5-12), le récit de 11,13-17 est un bel exemple de cette façon de raconter. Après que Jéroboam a fait sécession, ne laissant à Roboam, fils de Salomon, que les tribus de Juda et Benjamin,
… les prêtres et les lévites qui étaient dans tout Israël se rallièrent à lui [Roboam] de tout leur territoire. Oui, les lévites quittèrent leurs pâturages et leurs possessions et s’en allèrent en Juda et à Jérusalem, parce que Jéroboam et ses fils les avaient empêchés d’exercer le sacerdoce d’Adonaï et avait institué des prêtres à lui pour les hauts lieux, les [25] boucs et les veaux qu’il avait fabriqués. À leur suite, de toutes les tribus d’Israël, ceux qui avaient à cœur de chercher Adonaï, le Dieu d’Israël, vinrent à Jérusalem pour offrir des sacrifices à Adonaï le Dieu de leurs pères. Ils renforcèrent le royaume de Juda et ils soutinrent Roboam, fils de Salomon pendant trois années, car ils marchèrent dans la voie de David et de Salomon pendant trois années.
Dans ces quelques lignes, le narrateur guide de près le lecteur à qui il ne permet pas de se représenter les faits par lui-même en les lui montrant. Par son souci très net de valoriser le royaume de Juda et son roi, et par sa façon de raconter comment, des tribus du Nord, prêtres et lévites d’abord, fidèles d’Adonaï ensuite, rejoignent Roboam, il porte à la fois un jugement positif sur la démarche de ceux qui affluent à Jérusalem et critique sévèrement Jéroboam qui interdit de service les prêtres authentiques pour se constituer un nouveau sacerdoce, idolâtre et donc illégitime. On notera encore comment il qualifie les fidèles en les nommant « ceux qui ont à cœur de chercher Adonaï », à son tour appelé « Dieu de leurs pères » – ce qui suggère leur fidélité à la religion traditionnelle. Enfin, en finale, il anticipe discrètement la défection de Roboam qui abandonnera bientôt la loi d’Adonaï avec tout Israël (voir 11,23b–12,1).
...
EN MODE SCÉNIQUE, DE FRÉQUENTS DISCOURS EXPLICITES
Le règne de Josaphat est aussi l’occasion pour le narrateur de reprendre ce schéma pour construire certains épisodes. En 19,5-11, soucieux de faire observer la loi, ce roi installe des juges dans les villes de Juda tandis qu’à Jérusalem, il confie le pouvoir judiciaire à des prêtres, à des lévites et à des laïcs. Dans deux discours, il les invite à accomplir leur tâche dans la crainte de Dieu et le respect de sa Loi. Il conclut : « Soyez ferme et agissez, de sorte qu’Adonaï soit avec le bon ! » (v. 11b). Quant au début de l’épisode de la guerre contre Moab et Ammon (2 Ch 20), il est truffé de discours : dans une prière, Josaphat dit sa confiance en Adonaï qui n’abandonnera pas le peuple à qui il a donné le pays mais se trouve à présent sans défense face à une immense armée (v. 5-12) ; à travers Yahaziel, Adonaï rassure toute l’assemblée en affirmant que la guerre est la sienne et qu’il n’y a donc pas à craindre (v. 15-17) ; enfin, au moment de partir au combat, Josaphat conclut : « Ayez confiance en Adonaï votre Dieu et vous tiendrez bon ! Ayez confiance en ses prophètes et vous réussirez ! » (v. 20). C’est ce que le récit confirme ensuite avec éclat : quand les chantres entonnent la louange d’Adonaï, celui-ci fait en sorte que les ennemis s’entre-tuent. Aussi, à leur arrivée sur le champ de bataille, les Judéens ne trouvent que des cadavres et n’ont plus qu’à s’emparer de l’abondant butin (v. 21-26).
La pensée sans cesse martelée dans tous ces discours – toujours confirmés ensuite par les faits racontés – est simple : la fidélité à [30] Adonaï paie. Quand le peuple le cherche de tout son coeur, qu’il a confiance en lui, reste avec lui et le craint, Dieu lui donne le repos, la prospérité, la réussite et la victoire. En revanche, qui se fait l’ennemi d’Adonaï va à sa perte sans délai. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Mar 26 Avr 2022, 12:11 | |
| Lien (de téléchargement).
Encore les Chroniques, donc.
La volonté de contrôler ou de "téléguider" la lecture et l'interprétation "idéologique(s)" de l'"histoire" n'est probablement pas moindre dans les rédactions dites "deutéronomistes" de Samuel-Rois -- c'est même en grande partie à ça qu'on les reconnaît ! -- mais d'une part 1) il ne s'agit pas de la même "idéologie" (point de vue globalement plus "politique" et "juridique" de Samuel-Rois, avec ou sans visée de rétablissement d'une monarchie selon les époques de rédaction, vs. point de vue essentiellement "religieux", plus largement "lévitique" que "sacerdotal", centré en tout cas sur le Second Temple dans les Chroniques; rétribution "historique" encore collective et à moyen terme, sur plusieurs générations, vs. rétribution strictement "individuelle" et même intra- ou infra-individuelle, acte par acte; etc.); d'autre part 2) la rédaction (dite) "deutéronomiste" de Samuel-Rois ne contrôle pas la totalité de son matériau, puisque de nombreux "cycles" narratifs indépendants lui échappent (Samuel-Saül-David, Elie-Elisée-Jéhu, comme ailleurs l'essentiel des Juges) qui sont de loin, pour le lecteur-auditeur, les plus "intéressants" ou les plus "vivants"; tandis que les Chroniques sélectionnent leur matériau en fonction de leur "idéologie" et développent leurs "suppléments" en conséquence, ce qui donne un récit beaucoup plus homogène, et par là même potentiellement plus "ennuyeux" -- encore qu'on puisse trouver un certain charme à cette vision purement "religieuse" et "miraculeuse" de l'histoire: en somme, adorez bien, selon les règles et avec ferveur, et tout ira pour le mieux, ce qui peut se concevoir à une époque où toute "politique" est circonscrite et réglée par les empires successifs, perse et hellénistiques (en-deçà de la crise maccabéenne et de la dynastie hasmonéenne où les prêtres accèdent à un pouvoir politique et militaire). A leur façon, sans temple ni prêtres après la fin du Second Temple, le christianisme et le pharisaïsme sous domination romaine ne feront pas autre chose: "cherchez d'abord le royaume (religieux, apolitique) et sa justice (essentiellement religieuse et morale), et tout le reste vous sera donné par surcroît", c'était déjà l'idée des Chroniques, à la différence -- certes considérable -- de son aspect rituel centré sur le service du temple. Cela signifie en tout cas que les éléments de calcul et de stratégie politiques, diplomatiques ou militaires, voire la notion même de combat, sont évacués de l'"histoire", ou du moins de son côté "positif": les réussites, les victoires et les délivrances ne sont plus imputables qu'à la fidélité cultuelle -- et inversement les défaites et les malheurs à l'infidélité, toujours cultuelle. |
| | | free
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| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Lun 02 Mai 2022, 10:52 | |
| Après le schisme politique, le schisme religieux. Il est la conséquence du premier et consomme, de manière irréversible, la scission entre les deux royaumes en la rendant sacrée :
« Jéroboam se dit en lui-même: Au train où vont les choses, le royaume va retourner à la maison de David. Si ce peuple continue de monter au Temple du Seigneur à Jérusalem pour offrir des sacrifices, le cœur du peuple reviendra à son seigneur, Roboam, roi de Juda, et l'on me tuera. Après avoir délibéré, il fit deux veaux d'or et dit au peuple: "Assez longtemps vous êtes montés à Jérusalem! Israël, voici ton Dieu qui t'a fait monter du pays d'Égypte." Il dressa l'un à Béthel, et le peuple alla en procession devant l'autre jusqu'à Dan. »
On se trouve ici face à une situation qui n'est pas si inattendue qu’il y paraît. Béthel et Dan étaient déjà des sanctuaires patriarcaux vénérés. Mais Jéroboam, comme jadis Saül, « agit en insensé ». Il pose un acte grave pour asseoir son pouvoir qui, certes, lui a été conféré par Dieu, mais sans qu’il lui ait enjoint de changer quoi que ce soit au culte et à la foi du peuple. La suite des événements et leur sanction prouvent, à l'évidence, que cette promotion subite du Royaume du Nord à la royauté sur tout Israël était marquée, dès son origine - comme celle de Saül -, d'un signe fatal de présomption et de désobéissance :
« Après cet événement, Jéroboam ne se convertit pas de sa mauvaise conduite, mais il continua d'instituer prêtres des hauts lieux des gens pris du commun: à qui le voulait il donnait l'investiture pour devenir prêtre des hauts lieux. Cette conduite fit tomber dans le péché la maison de Jéroboam et motiva sa ruine et son extermination de la face de la terre. »
On ne se consolera jamais, en Israël, de ce schisme initial et les prophètes feront de la réunion des deux royaumes le thème majeur de leurs espérances messianiques et eschatologiques. Il est important de noter que les prophètes qui annoncent la réunion des deux royaumes le font dans une perspective messianique. C'est d'abord le prophète du Nord, Osée - qui prophétise entre 744 et 732 av. J.C. environ :
« Le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qu'on ne peut ni mesurer ni compter; au lieu même où on leur disait: Vous n'êtes pas mon peuple, on leur dira : Fils du Dieu vivant. Les enfants de Juda et les enfants d'Israël se réuniront, ils se donneront un chef unique et ils déborderont hors du pays; car il sera grand le jour de Yizréel. »
(...)
On pourrait penser que ces prophètes prédisaient le rétablissement et la réunion des deux royaumes parce que c'était la perspective la plus naturelle, prévisible même politiquement, ou à tout le moins espérée, comme analysé en son lieu. Or, les prophètes que l’on va citer maintenant sont largement postérieurs à la chute de Samarie, et cependant ils prophétisent sur ce thème idyllique, souvent même comme si l'Israël du Nord existait toujours. Rappelons qu'il a été perdu toutes traces des dix tribus de l’Israël du nord, d'ailleurs souvent appelées "les dix tribus perdues" par les spécialistes de l'histoire juive. Les premiers ‘sionistes’, avant la lettre, les rescapés qui reviendront peupler la Palestine sous Esdras et Néhémie, sont des Judéens. La population de ce qui sera plus tard la Galilée était composée de groupes humains transplantés là par le roi de Babylone. Après avoir adopté les coutumes du royaumes chismatique du nord et les avoir amalgamées aux leurs propres, ces gens donneront naissance à la secte - détestée par les Juifs - des Samaritains, du nom de la capitale du nord, Samarie. Voici tout d'abord ce qu'écrit Nahum, qui prophétisa entre 663 et612, soit plus de 100 ans après la chute de Samarie :
« Voici sur les montagnes les pas du messager; il annonce: Paix! Célèbre tes fêtes, Juda, accomplis tes vœux , car Bélial désormais ne passera plus chez toi, il est entièrement anéanti. Un destructeur s'avance contre toi. Monte la garde au rempart, surveille la route, ceins-toi les reins, rassemble toutes tes forces. Oui, Le Seigneur rétablit la vigne de Jacob et la vigne d'Israël … https://www.academia.edu/38088584/R%C3%A9union_eschatologique_de_Juda_et_dIsra%C3%ABl |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12461 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Rois - obéissant/désobéissant - faveur/défaveur Lun 02 Mai 2022, 11:39 | |
| Macina se contente de réciter, de paraphraser et de commenter la Bible (juive et chrétienne) et l'histoire sainte, sans la moindre "critique" historique ou littéraire...
D'un point de vue "critique" évidemment c'est beaucoup plus compliqué: le récit (textuel ou synthétisé et harmonisé en "histoire sainte") n'est pas l'"histoire", les "prophéties" écrites n'ont pas l'âge des "prophètes"-personnages auxquels elles sont directement ou indirectement associées dans les livres "prophétiques", etc. L'analyse suggère plutôt, par exemple, que toute l'histoire du "schisme" (Roboam / Jéroboam) a été construite comme une explication a posteriori des "deux royaumes" (eux-mêmes constitués artificiellement en dualité simultanée et permanente, à partir d'une histoire politique plus compliquée et successive: d'abord Israël-Samarie, ensuite Juda-Jérusalem n'accédant à une brève autonomie que par la chute du précédent) sur fond de "royauté unie" (triptyque Saül-David-Salomon). En ce qui concerne l'élément cultuel -- veau(x) ou taurillon(s) d'or représentant tantôt "Yahvé" ou des "dieux", l'hésitation entre le singulier et le pluriel est ici remarquable -- quiconque a lu même distraitement "la Bible" n'a pas pu échapper au redoublement ou dédoublement du récit entre l'Exode et les Rois: ce qui a été rétro(pro)jeté sur l'origine d'Israël au sens restreint du "royaume du Nord" l'a aussi été sur l'origine d'Israël comme un tout, au désert, parallèlement au don de la Loi, entre l'Egypte et la "conquête". Dans cet "effet miroir", comme pour tous les doublets, il est bien difficile de savoir quel récit imite l'autre, d'autant qu'ils s'influencent réciproquement, par attraction ou par répulsion, au gré des réécritures... |
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