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| sainte colère | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: sainte colère Lun 10 Déc 2018, 12:31 | |
| Benjamin, hélas, n'a guère eu le temps de s'expliquer (avec) lui-même.
La tradition juive (exégétique, théologique et philosophique) a développé un tour dialectique assez particulier qui consiste à tirer d'un même terme des concepts diamétralement opposés; sous le même mot ('elohim) le "divin" du Dieu unique devient ainsi le "contraire" de la divinité des dieux, polythéiste ou "mythologique" (cf. aussi l'opposition radicale du "saint" et du "sacré" chez Buber ou Levinas, à partir du même qdš en hébreu ou en ougaritique p. ex.). Il y a là de quoi faire hurler à l'arbitraire ou à la mauvaise foi philologues et historiens, et pourtant aussi une vérité plus profonde qu'elle n'en a l'air: tout concept poussé à sa limite se renverse effectivement en un "contraire"; mais aussi en plus d'un "contraire"; le renversement n'aboutit pas à la constitution simple et stable d'un seul concept nouveau ("Dieu" une fois pour toutes opposé aux dieux, la "sainteté" au sacré comme si ça n'avait "rien à voir"). Plutôt à une sorte d'ambivalence, inquiétante ou affolante, qui met le concept même en question sans réponse. Nulle part peut-être le divin ou le sacré ne sont aussi près de se manifester que là où on ne prétend plus savoir ce que ça veut dire. |
| | | free
Nombre de messages : 10055 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: sainte colère Lun 10 Déc 2018, 15:02 | |
| Le livre de l'Apocalypse fait souvent allusion à la colère divine ("c'est lui qui foule la cuve du vin de la colère ardente de Dieu" 19, 15) et mentionne aussi la présence d'un grand Dragon, "le serpent d'autrefois". Est-ce une référence au Léviathan et au serpent fuyard, donc un renvoi à La violence originaire, violence originaire qui rime avec violence ultime et eschatologique ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: sainte colère Lun 10 Déc 2018, 15:52 | |
| Les références (allusions, réminiscences, etc.) de l'Apocalypse sont multiples et ne s'excluent pas mutuellement. On peut assurément penser au Lothan/Léviathan (les sept têtes du dragon, et des bêtes...), mais aussi au serpent de l'Eden (qui vient d'une tout autre tradition et n'a rien de violent, mais dont la connexion au "diable", pour n'être pas "originelle", est quand même établie depuis le livre de la Sagesse au moins). A noter au passage que le "d'autrefois" (arkhaios, qu'on pourrait aussi traduire par "originel", cf. arkhè = commencement, et "archaïque") est absent d'un témoin important (P47).
Plus largement, les thèmes symétriques de la "création" et de la "fin" (du monde) sont inséparables d'une certaine violence qui est précisément celle dont parlait Benjamin, instauratrice, institutrice et constructrice d'un côté, destitutrice et destructrice de l'autre, révolutionnaire en somme si l'on voit bien l'aspect "cyclique" de la révolution, quand même il n'y en aurait qu'une. Quoique le canon biblique (chrétien) en offre une image assez déséquilibrée, avec une "création" plutôt paisible dans la Genèse (par rapport aux "théomachies" orientales) et une "fin" ultra-violente dans l'Apocalypse ("de Jean"). |
| | | free
Nombre de messages : 10055 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: sainte colère Lun 10 Déc 2018, 17:37 | |
| Pourtant, la colère est un moment nécessaire de la vie croyante. Contre la réduction du christianisme à un amour béat, ce livre invite à « considérer la colère comme un moteur capable de transformer une énergie potentiellement dévastatrice en cette violence de vie qui accompagne le processus de toute naissance ». Et de toute renaissance. Quand Jacob combat avec l’ange au gué de Yabboq ou lorsque Jésus rappelle qu’il n’est pas venu apporter la paix, on voit bien que la relation à Dieu connaît des moments d’une violence structurante. Pour Lytta Basset qui relit ici quelques passages clés de la Bible, il existe une « sainte » colère - un espace différencié, mis à part, où Dieu et l’humain peuvent s’affronter sans retenue et se trouver ensuite ensemble dans la bienveillance. Mais c’est de nuit - dans les dédales et les profondeurs de ce qu’on appelle depuis Freud l’inconscient, si bien que le récit du combat de Jacob pourrait bien relater un rêve, un de ces rêves-événements plus déterminants que la réalité bien connue. http://www.interbible.org/livres/2005/2227471670.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12412 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: sainte colère Lun 10 Déc 2018, 21:03 | |
| Ce discours me laisse toujours un peu perplexe : la colère, ou plus généralement l'antagonisme contre Dieu ou les dieux donne des textes superbes -- de Gilgamesh à Dostoïevski en passant par la tragédie grecque ou les dialogues de Job (je ne rangerais pas le combat nocturne de Jacob et encore moins la violence de Jésus -- sauf peut-être contre le figuier ! -- dans la même catégorie); mais leur utilisation théologique me paraît le plus souvent douteuse, fausse, hypocrite, voire perverse ou obscène. Il me semble que la colère ne se prescrit pas, et surtout pas d'un point de vue (mono-)théologique qui lui donne forcément tort sur le fond, même quand il fait mine de la justifier: car pour le théologien c'est toujours contre une idée erronée de "Dieu" qu'on se met en colère, quand bien même ce serait un "passage obligé" pour parvenir à la "bonne" perspective qui ne laisse plus de place à la colère. Autrement dit, c'est tout au plus une mystagogie, une initiation ou un moyen de "révélation" subjective par quoi la colère s'éteindra d'elle-même. Que cela puisse être prescrit comme un psychodrame à visée thérapeutique (mieux vaut se mettre franchement en colère et "blasphémer" que de nourrir un ressentiment sourd contre "Dieu" ou "la vie", là-dessus Bernanos et Nietzsche seraient d'accord), ça se conçoit, mais en définitive on aboutira toujours à une conclusion "saine" ou "éclairée" où il apparaîtra, rétrospectivement, qu'il n'y avait aucune raison de se mettre en colère (c'est bien ainsi que la conclusion de Job est habituellement comprise). Vu sous cet angle le "moment" de la colère est toujours floué, dialectiquement "dépassé", sauf dans la figure idéale de damnés (à commencer par le diable) qui continueraient à haïr et à maudire Dieu éternellement dans les tourments de l'enfer. D'une certaine façon, seule la littérature (théâtre, poésie et cinéma compris) peut rendre justice à la colère et aux émotions en général; non une "logique", qu'elle soit théologique ou philosophique. |
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