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| Jean le Baptiste | |
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Auteur | Message |
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free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 27.04.23 14:25 | |
| - Citation :
- Je ne reviens pas sur les emplois de paradidômi dans Marc (voir post initial, § 4), mais le parallèle entre Jean(-Baptiste) et Jésus mérite en effet d'être souligné: l'élément le plus intriguant est que Jésus soit identifié à Jean "ressuscité", non seulement après mais peut-être même avant la mort de celui-ci (6,14.16): contrairement à ce que suggère l'auteur précité, ce n'est pas seulement une croyance stupide d'Hérode, puisque c'est aussi une opinion rapportée, et peut-être partagée, par les disciples en 8,28. En tout cas ça contribue à mettre en question la notion même de "résurrection" (relever, éveiller, qu'est-ce que c'est ? qu'est-ce que ça veut dire ?) ce qui est une intention explicite du texte (cf. 9,9s; 12,18ss). La chose a de quoi surprendre le lecteur chrétien ou post-chrétien: qu'il y "croie"ou non, il a l'impression de savoir ce que ça veut dire, or c'est justement ce qui est en question.
https://etrechretien.1fr1.net/t1480-trahisons-traditions-traductions-livraisons-delivrances#32409 " Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée ; il proclamait la bonne nouvelle de Dieu" (Mc 1,14) " Le roi Hérode l'apprit ; en effet, le nom de Jésus devenait célèbre et l'on disait : Jean, celui qui baptisait, s'est réveillé d'entre les morts ; c'est pour cela qu'il a le pouvoir de faire des miracles" (Mc 6,14). " Jésus sortit avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe. En chemin, il se mit à demander à ses disciples : Au dire des gens, qui suis-je ? 28Ils lui dirent : Pour les uns, Jean le Baptiseur ; pour d'autres, Elie ; pour d'autres encore, l'un des prophètes" (Mc 8,27-28). Trois opinions s'affrontent d'après la fin du v. 14 et le v. 15 qu'on peut rapprocher de 8,28 qui vient de la même tradition. La première qui occupe la seconde moitié du v. 14 et y est beaucoup plus développée qu'en 8,28, consiste à prendre note des ressemblances entre les messages de Jésus et celui de Jean le Baptiste, ainsi que du caractère successif de leur période d'activité (1,14). comme par ailleurs, Jésus est thaumaturge, ce que Jean n'était pas, on peut se poser la question de savoir si ce côté surnaturel ne résulte pas d'origine surnaturelle : un mort qui ressuscite garde des relations avec l'au-delà, aux yeux des gens simples. Jésus ne serait-il pas Jean le Baptiste rappelé par Dieu à la vie ? ... Certains chrétiens auraient donc pu être tenté de présenter Jésus comme Jean baptiste redivivus plutôt que comme le Messie. https://books.google.fr/books?id=hOoeGhUJSTYC&lpg=PA169&ots=SY8ywLg82-&dq=j%C3%A9sus%20est%20jean%20baptiste%20redivivus&hl=fr&pg=PA168#v=onepage&q=j%C3%A9sus%20est%20jean%20baptiste%20redivivus&f=true |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 27.04.23 15:42 | |
| Je n'arrivais pas à voir le contexte de ta citation (Trocmé, 2000) en suivant ton lien, mais j'y suis arrivé par ici. Je remarque, comme dans la citation qui avait suscité ma réaction sur l'autre fil, une certaine "condescendance" à l'égard de la croyance en question (les "gens simples").
Que Jean n'ait pas fait de miracle, cela ne s'appuie que sur une notation "johannique" attribuée à la foule (Jean 10,41, il n'a pas fait de "signe") et sur le silence des Synoptiques (à commencer par Marc). En sens contraire, ou du moins différent, il faudrait rappeler tout ce que le couple évangélique inégal Jean/Jésus doit à celui d'Elie/Elisée dans les Rois, notamment en termes de "miracles": entre Elie et Elisée il n'y a qu'augmentation de puissance (la double part d'"esprit", qui se traduit dans le récit par un nombre de miracles supérieur, sinon exactement double -- ça dépend comment on les compte), le passage de l'un à l'autre correspondant d'ailleurs au passage du Jourdain dans un sens puis dans l'autre, Jourdain qui est aussi le lieu du passage évangélique de Jean à Jésus... Toutefois la supériorité numérique des miracles (souvent anecdotiques) d'Elisée ne fait pas de lui le personnage principal, puisque dans la tradition apocalyptique et à la suite de Malachie c'est Elie qui est une figure eschatologique, Elisée étant plutôt perçu comme un simple prolongement provisoire d'Elie... Dans le NT Elisée n'apparaît d'ailleurs qu'en Luc 4,27, où il s'agit de justifier la préférence accordée aux "païens". Pourtant les miracles d'Elisée ont clairement inspiré ce que les évangiles attribuent à Jésus, notamment la ou les multiplications des pains (2 Rois 4,42ss) qui n'ont pas d'équivalent chez Elie. |
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 28.04.23 10:34 | |
| Un parallèle entre Jésus
1. Quand Luc murmure et dans le même temps omet une citation (Lc 9,37-43).
42 Le premier exemple se situe juste après la scène de la transfiguration. Luc raconte la guérison d’un enfant unique possédé (Lc 9,3743). Un « homme » de la foule demande à Jésus de « regarder » son fils parce qu’il est unique (Lc 9,38). Les disciples ont tenté en vain de chasser l’esprit mauvais. Jésus demande au père qu’il lui « amène » son fils (Lc 9,41)36. Jésus guérit l’enfant « et le rendit à son père » (Lc 9,42). Les indications en italiques signalent des spécificités du récit lucanien, absentes donc de Marc.
43 Lc 9,42 est un plagiat de 1 R 17,23 LXX : « Il le donna à son père». Le geste de Jésus est identique à celui d’Élie à Sarepta37, mais ici le « père » de l’enfant tient la place de la Sidonienne. L’auteur, ce faisant, renvoie son lecteur à l’épisode du livre des Rois. La lecture du récit est renouvelée par la découverte du plagiat. À Sarepta, le fils mort était aussi un enfant unique. Élie avait demandé à la mère de lui donner son fils avant de le lui rendre. Pour confirmer l’hypothèse, relevons les points de contact littéraires entre les deux récits.
44 L’analyse littéraire révèle en effet une forte parenté entre Lc 7,1117 et Lc 9,37-43. Les deux personnages principaux sont en contact avec une « foule nombreuse » (Lc 7,11 ; 9,37). L’adverbe exès est rare : il n’est mentionné que par Luc dans le Nouveau Testament, et seulement dans l’évangile en Lc 7,11 ; 9,37. Plus globalement, on trouve la même formule d’introduction dans les deux versets :
Lc 7,11-12 kai egeneto en tô exès... kai idou
Lc 9,37 egeneto de tè exès èmera... kai idou.
45 Jésus s’approche des enfants (Lc 7,14 ; 9,42). De plus, Luc ne mentionne que trois fois un enfant « unique » : 7,12 ; 8,42 ; 9,38 (absent de Mt 17,15//Mc 9,17). Dans les synoptiques, Luc est le seul à utiliser ce terme. Enfin, « tous » sont saisis de crainte ou étonnés. Les éléments similaires sont peu nombreux mais si caractéristiques qu’ils laissent peu de doute sur un lien entre les deux péri-copes.
46 Ainsi, non seulement Lc 9,37-43 renvoie à 1 R 17,17-23, mais le récit rappelle aussi Lc 7,11-17, lui-même réécriture de la même péri-cope du Premier Testament. Luc souhaite donc que son lecteur établisse une corrélation entre Jésus et Élie. Jésus guérit l’enfant unique possédé comme Élie avait revivifié le fils unique de Sarepta. Il modifie une péricope synoptique en la réinterprétant à la lumière du premier livre des Rois38. Ce faisant, Luc a substitué ce récit à la discussion sur l’affirmation des scribes à propos d’Élie. En Mc 9,11-13, juste après la transfiguration, Jésus est en effet amené à préciser à ses disciples l’identité définitive de Jean, en tant que nouvel Élie. Cette affirmation ne concorde pas avec l’interprétation lucanienne de la figure d’Élie. Le rédacteur conserve le thème élianique de la péricope mais substitue à la déclaration de Jésus, portant sur l’identification du Baptiste en tant qu’Élie reditus, un récit où Jésus agit à la manière d’Élie, conformément à ce qu’il avait annoncé dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,2527). Luc, auteur implicite, murmure que Jésus guérit à la manière d’Élie. Comme rédacteur, il supprime la référence à Élie de sa source de Marc et préfère introduire un plagiat de 1 R 17,17-24.
3. Quand Luc fait une référence à Élie et que de nouveau le lecteur hésite (Lc 1,17).
48 L’hésitation du lecteur, dans l’exemple précédent, provenait pour une bonne part de l’absence d’intertexte explicite. Un troisième et dernier exemple montre qu’un intertexte explicite ne suffit pas à lever l’embarras du lecteur. Le repérage est pourtant facilité, mais l’interprétation peut s’en trouver complexifiée.
49 Au début de l’évangile de Luc, en même temps que l’annonce de la naissance de son fils Jean, Zacharie apprend la mission de l’enfant à naître (Lc 1,17) :
Et lui-même marchera devant lui avec l’Esprit et la puissance d’Élie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants et les rebelles à la sagesse des justes, pour préparer au Seigneur un peuple bien disposé.
50 Cet extrait du récit d’enfance est sans équivalent dans la source marcienne et les exégètes en sont réduits à des conjectures. Le rédacteur lucanien retravaille-t-il une source et y ajoute-t-il cette référence à Élie ?40 Il est difficile de statuer mais il est plus probable qu’il dépend d’un texte et hérite d’une typologie élianique autre que celle qu’il développe dans le reste de son œuvre. Pour cette raison, les interprètes peinent à interpréter en contexte ce verset41. La démonstration de J.A. Fitzmeyer est représentative de cet embarras42, qui conclut à un double traitement de la figure d’Élie, en relation avec le Baptiste ou avec Jésus, la première identification étant pré-lueanienne. Nous sommes ici au point de vue génétique.
51 Au point de vue diégétique, la référence explicite à Élie facilite le repérage du plagiat composite de Malachie et du Siracide. Le v. 17b renvoie, en effet, à la mission confiée à Élie lors de son retour selon Ml 3,23 et Si 48,1043. Le v. 17c évoque la préparation du chemin du Seigneur dévolue à Élie selon Ml 3,1, mais le verbe est différent (epiblepsetai) ; ainsi que la voix qui crie dans le désert selon Is 40,3 (même verbe « préparer» qu’en Lc 1,17). La disposition du peuple est peut-être une allusion à Si 48,10. Le v. 17a est la clef d’interprétation de la suite du verset : « Il marchera devant lui dans l’esprit et la puissance d’Elie ». Le parallélisme des expressions « devant lui » (v. 17a) et « pour le Seigneur » (v. 17c), permet de conclure à l’identité du destinataire : le Seigneur lui-même. Mais qui est celui qui marche devant lui ? Dans l’énonciation première des livres prophétique et sapientiel, il s’agissait d’Élie. Un peu plus loin dans le récit, Zacharie, ayant recouvré l’usage de la parole et rempli d’Esprit, prophétise : « Et toi petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer ses chemins» (Lc 1,76). Nous retrouvons deux motifs de Lc 1,17 : la marche en avant du Seigneur et la préparation du chemin (seul le retournement du cœur n’est pas mentionné), sans doute une allusion à Ml 3,1 LXX. Dans Malachie, Élie précédait le Seigneur : ici, Jean précède le Seigneur, « l’astre d’en haut » (Lc 1,78).
52 Pourtant, cette association de Jean le Baptiste et Élie, outre qu’elle ne sera pas celle qui sera développée dans le reste de l’œuvre lucanienne, n’est pas sans question. Il y a bien une référence à Élie mais le lecteur dispose d’un autre indice intertextuel : le messager marche « dans l’esprit et la puissance d’Élie » (Lc 1,17). Or, dans les livres des Rois, ce n’est autre qu’Élisée, le disciple d’Élie, qui reçoit la double part de « son esprit » (2 R 2,9) et en dispose (2 R 2,15). Ce détail brouille l’apparente limpidité de la référence à Élie en Lc 1,17. Le Baptiste marche devant le Seigneur à la manière d’Élie, mais dans l’esprit d’Élie à la façon d’Élisée. En attendant d’en apprendre davantage de la bouche même de Jésus, l’intertexte est encore elliptique. Autrement dit, il y a pourtant intertexte explicite mais interprétation complexifiée. D’un point de vue génétique, on y verra la trace d’une source que le rédacteur a voulu conserver. D’un point de vue diégétique, c’est l’ambiguïté qui prévaut. Il faut attendre les chapitres suivants pour découvrir que celui qui possède la puissance et l’esprit, c’est Jésus. La suite du récit va confirmer la relation privilégiée par l’auteur entre Jésus et Élie.
https://journals.openedition.org/rsr/406#tocto1n3 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 28.04.23 13:36 | |
| C'est une étude très intéressante, mais il ne faut pas être dupe de son schématisme analytique et métalinguistique: autant il est utile pour appréhender la complexité de ce qui se joue dans un "intertexte", autant il favorise, malgré toute sa prudence énonciative, l'illusion que ce jeu serait maîtrisable: or il ne l'est pas et ne l'a jamais été, pas plus par l'"auteur/rédacteur" que par les premiers lecteurs ou auditeurs -- a fortiori pour nous qui en sommes plus éloignés et qui pourtant péchons le plus souvent (j'y ai maintes fois insisté, Pichon l'évoque à la toute fin de son article) par excès de savoir: nous avons accès en quelques clics à une masse d'"intertextualité" (textes "originaux", variantes textuelles, versions anciennes, citations et allusions en tout genre) sans commune mesure avec la "bibliothèque" vraisemblable des auteurs, lecteurs et auditeurs des textes du NT, qui comportait très peu de "textes complets", tout au plus des anthologies (testimonia) et une mémoire, narrative d'une part (c'est ce qui joue le plus pour les cycles d'Elie et d'Elisée: on se souvient des histoires, plus ou moins déformées, pas forcément des mots et des phrases de telle ou telle version écrite) ou poétique (dans le cas des psaumes p. ex., appris par coeur et récités). Par rapport à cette intertextualité originale, si l'on peut dire, nous y voyons trop clair et le fait même d'en prendre conscience ne résout rien, puisque le "flou" ou le "vague" dont nous envelopperions volontairement notre lecture comme d'un brouillard artificiel ne la rendrait pas plus authentique. On ne peut rien contre la dérive du sens (autrement dit et écrit, la différance), mais c'est justement ça qu'il s'agit de penser...
Les références (que j'entends pour ma part dans un sens large, des mentions ou citations expresses aux allusions et réminiscences possibles et infiniment discutables) à Elie se partagent inégalement entre Jean-Baptiste et Jésus selon les évangiles et les éventuelles traditions sous-jacentes, mais elles sont elles-mêmes difficiles à délimiter: ainsi "celui qui vient" (ho erkhomenos, p. ex. dans la question de Jean à Jésus: es-tu celui qui vient, ou devons-nous en attendre un autre, Matthieu 11,3//) peut être comprise par rapport à Elie dans la ligne de Malachie et de la tradition subséquente, mais aussi par rapport au "fils de l'homme" (de Daniel 9 aux Paraboles d'Hénoch), ou à un "messie" royal ou sacerdotal, davidique, aaronide, sadocide, ou à Melchisédeq, toutes ces figures et bien d'autres ayant tendance à se superposer et à se confondre dans les eschatologies de l'époque. Mais notre lecture est aussi filtrée par nos présupposés religieux et conceptuels: par exemple, nous entendons un "retour" d'Elie (en Jean et/ou en Jésus) comme une sorte de réincarnation, qui nous renvoie aux modèles lointains de l'hindouisme ou du bouddhisme, alors que l'idée est aussi bien grecque (cf. Platon et sa "métempsycose") et qu'elle est même revenue (!) dans la tradition juive (gilgul neshamoth, dans la Qabbale). A fortiori, l'idée d'une "résurrection" (ou "réincarnation") de Jean en Jésus alors qu'ils sont présumés contemporains se heurte à notre conception de l'identité et de l'individualité strictement closes sur elles-mêmes -- alors que nous savons pertinemment que tout ce qui "nous" constitue, de la génétique à la culture en passant par la respiration ou l'alimentation, résulte d'un passage des "uns" aux "autres" qui devrait au moins mettre en question toute clôture... |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 02.05.23 10:05 | |
| - Citation :
- Mais notre lecture est aussi filtrée par nos présupposés religieux et conceptuels: par exemple, nous entendons un "retour" d'Elie (en Jean et/ou en Jésus) comme une sorte de réincarnation, qui nous renvoie aux modèles lointains de l'hindouisme ou du bouddhisme, alors que l'idée est aussi bien grecque (cf. Platon et sa "métempsycose") et qu'elle est même revenue (!) dans la tradition juive (gilgul neshamoth, dans la Qabbale). A fortiori, l'idée d'une "résurrection" (ou "réincarnation") de Jean en Jésus alors qu'ils sont présumés contemporains se heurte à notre conception de l'identité et de l'individualité strictement closes sur elles-mêmes -- alors que nous savons pertinemment que tout ce qui "nous" constitue, de la génétique à la culture en passant par la respiration ou l'alimentation, résulte d'un passage des "uns" aux "autres" qui devrait au moins mettre en question toute clôture...
« Pour vous, qui suis-je ? » La mise en scène du sujet chez les synoptiques L’interdiction de Jésus portant sur son identification à Christ prend, pour ainsi dire, les disciples au dépourvu. D’un côté, Jésus leur défend d’utiliser le signifiant l’identifiant au Christ. De l’autre, Jésus ne réagit pas aux autres identifications, surtout à celles identifiant Jésus à Jean-Baptiste et à Élie. Les disciples n’ignoraient pas que la majorité des gens n’identifiait pas Jésus à ces deux personnages. Ils savaient surtout que ces identifications étaient vraiment fausses. D’où la sensation intellectuelle qui nous avertit qu’en répondant Jean-Baptiste, Élie, les disciples effectuaient une substitution, ayant pour but de favoriser un déplacement de la question de Jésus vers d’autres questions qui, pour eux, avaient plus d’actualité. Ainsi, la question que nous paraît cacher le nom de Jean-Baptiste est celle-ci : « Qu’est la résurrection des morts ?» Quand Jésus leur parle de sa propre résurrection, ils n’y comprennent rien, mais ils n’osent jamais l’interroger sur ce propos (Mc 8,31; 9,9-10 ; 9,31-32 ; 10,32-34). Si l’on comprend difficilement pourquoi les disciples craignaient d’interroger Jésus sur ce que signifiait «ressusciter d’entre les morts», on comprend mieux cependant pourquoi la résurrection les questionne tant, vu que Jean-Baptiste était ressuscité, au dire des gens, et que ce sont ses pouvoirs qui étaient censés se déployer en la personne de Jésus (Mc 6,14). Si la résurrection est, comme ils paraissent le penser, un déplacement de pouvoir, dont une personne hérite après la mort d’une autre personne, l’attente de l’héritage peut occasionner de l’embarras — surtout s’il s’agit d’amis très intimes, très chers — à poser des questions directes sur la succession, mais en même temps n’empêche pas toute parole ni tout comportement pouvant démontrer l’ambition à satisfaire. L’Évangile de Marc nous fait assister par exemple à la tentative de Pierre d’établir sa suprématie, en voulant dénier à Jésus son droit de parler de sa mort. Mais Jésus le ramène vite à la réalité (Mc 8,31-33). L’Évangile de Marc nous fait assister aussi à des questions d’où le sens de pouvoir ne saurait être évacué : une première question concerne Élie qui était sans doute considéré comme le plus grand des prophètes juifs, celui dont les pouvoirs pouvaient ranimer les plus beaux rêves et qui avait, en outre, l’avantage d’avoir été enlevé au ciel sans passer par la mort (Mc 9,11-13) ; une deuxième question du même ordre surgit après que Jésus leur eut de nouveau annoncé sa résurrection trois jours après sa mort. Cette annonce provoqua une discussion parmi les disciples. Ils se demandèrent qui d’entre eux aurait le poste le plus élevé (Mc 9,31-34). La demande des fils de Zébédée — Jacques et Jean — va dans le même sens. Eux aussi, profitant du contexte d’une annonce de la résurrection de leur maître, lui demandent de leur accorder la préséance sur tous les autres disciples (Mc 10,35-37). Mentionnons enfin que les disciples ne voulaient sans doute pas partager avec d’autres les pouvoirs dont ils pourraient hériter de Jésus. Mais celui-ci les invite plutôt à considérer ceux qui pourraient détenir les mêmes pouvoirs comme faisant partie de leur groupe: «Ne l’en empêchez pas [d’expulser les démons en mon nom, même s’il ne nous suit pas], leur dit-il, [...] En effet, qui n’est pas contre nous est pour nous» (Mc 9,38-40). Comme nous avons pu le constater, la question « Qui suis-je au dire des gens ? » a amené les disciples à substituer divers signifiants au nom de Jésus. Dans leur réponse, deux de ces signifiants correspondent à des noms qui ont déjà identifié d’autres personnes. Aussitôt prononcés, l’on y sent que ces noms n’ont rien à faire avec l’identité de Jésus. Ce qui se produit, par contre, est une fausseté que Jésus n’a pas contestée. Remarquons ici ce qui se passe après avoir demandé : «Mais pour vous, qui suis-je ? » Aussitôt, Jésus conteste l’utilisation du signifiant Christ. Cela signifie-t-il que Jésus ne contestait pas ce qui était faux, seulement ce qui était vrai ? Nous pensons plutôt que le fait acquis d’une signification n’a rien à faire dans cette question. Car ce qui se trouve laissé en plan dans la non-contestation des fausses identités, ce sont les problèmes des disciples, non les problèmes de Jésus. Leurs problèmes ont trait, à notre avis, aux conséquences de ce qu’ils pensaient être la résurrection des morts. Ils pensaient tout particulièrement à des pouvoirs ou des privilèges qui devaient leur revenir : par exemple, d’être comme Élie et de quitter ce monde sans passer par la mort ; d’occuper le rang le plus élevé parmi les autres disciples ; d’occuper le rang le plus élevé auprès de Jésus dans le royaume de Dieu. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2002-v10-n2-theologi760/008884ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 02.05.23 13:22 | |
| C'est en effet un sujet (!) propre à ravir les psychanalystes, spécialement lacaniens: la question "qui" n'a jamais de bonne ni de vraie ni de juste réponse, elle n'appelle que des substituts de réponse provisoires et indéfiniment substituables les uns aux autres; un "nom propre" qui ne désigne quelqu'un qu'en ne signifiant rien et qui pourrait désigner aussi bien n'importe qui, infiniment remplaçable, par n'importe quel autre nom propre, prénom, pronom, ou par un nom commun ou un adjectif qui ne signifierait à son tour quelque chose qu'en ne désignant personne, et réciproquement; autour de quoi dansent également les locuteurs, réels ou imaginaires, ce que "les gens" ou "les hommes" disent, ce que "vous" dites, jusqu'aux "c'est toi qui le dis" de la Passion... Chez Marc la question est d'ailleurs expressément formulée comme telle (qui est-il, celui-là, 4,41ss // etc.), et les réponses plus ou moins inadéquates se succèdent jusqu'à celle du centurion, à l'imparfait, qui arrive en somme trop tard pour rencontrer son sujet: cet homme était fils de dieu. Le sujet reste radicalement insaisissable, innommable, indicible, ineffable "en temps réel", mais pendant ce temps-là il aura fait beaucoup parler et s'agiter autour de lui.
La "résurrection" poserait au fond la même question: habituellement prise pour l'affirmation et la totalisation ultimes de l'"individu" et de son "identité", éternisés et quasi vitrifiés comme accomplis une fois pour toutes au futur antérieur, comme la mort en somme (il aura été ce qu'il aura été, ou: tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change), elle est aussi bien le "contraire" de ça, le retour de chacun (chaque soi-disant un) au (non-)lieu de l'éternel passage de l'un à l'autre (dieu d'Abraham, dieu d'Isaac, dieu de Jacob <=> je serai qui / ce que / que je serai <=> je serai avec toi), vérité autrement proche d'un "sujet" qui n'aura jamais été le même (ni idem d'identité, ni ipse d'ipséité: celui qui ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, comme disait à peu près Héraclite, celui-là serait aussi réfractaire à la résurrection qu'à la nomination si celles-ci ne disaient pas l'inconstance de sa constance, et inversement). A ce je(u)-là toute "personne" se mêle tôt ou tard...
Je repense, une fois de plus, au Lacenaire des Enfants du Paradis: "Vous ne me connaissez pas et vous osez me demander qui je suis ?" ou à Persona de Bergman... tous tributaires de l'ambiguïté abyssale de la définition de la "personne" dans une culture issue d'une religion du "salut personnel", où la "personne", ou l'"individu", ne saurait être sauvé que paradoxalement, de lui-même et en "se" perdant...
Tout cela nous éloigne peut-être un peu de "Jean-Baptiste", mais pas plus que de n'importe qui... |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 04.05.23 12:34 | |
| " Si c'est moi qui me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n'est pas vrai. C'est un autre qui me rend témoignage, et je sais que le témoignage qu'il me rend est vrai. C'est vous qui avez envoyé des messagers à Jean, et il a rendu témoignage à la vérité. Quant à moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage ; mais je dis cela pour que, vous, vous soyez sauvés. Celui-là était la lampe qui brûle et qui brille, et vous avez bien voulu vous réjouir un moment à sa lumière. Moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean ; en effet, les œuvres que le Père m'a données à accomplir, ces œuvres mêmes, que je fais, me rendent témoignage, attestant que le Père m'a envoyé. Et le Père qui m'a envoyé m'a lui-même rendu témoignage. Vous n'avez jamais entendu sa voix ni vu son visage, et sa parole ne demeure pas en vous, puisque vous ne croyez pas celui qu'il a envoyé. Vous sondez les Ecritures, parce que, vous, vous pensez avoir en elles la vie éternelle ; or ce sont elles-mêmes qui me rendent témoignage. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie" ( Jean 5,31-40). 2) Jean le Baptiste est la lumière qui luit (5,35) L’Évangile de Jean met en parallèle (a) le Logos qui est la lumière (1,9); (b) Jésus qui est la lumière (8,12; 9,5; 12,46), (c) et Jean le Baptiste qui est aussi la lumière (5,35). a) Le Logos est la lumière, venue dans le monde Le prologue de l’Évangile de Jean (Jn 1-18) affirme que le Logos (Verbe) est la lumière en 1,9: “Le Verbe (Logos) était la lumière véritable, qui éclaire tout homme; il venait dans le monde.” Le rôle de Jean le Baptiste est décrit en Jn 1,6-8: “6 Il y eut un homme envoyé de Dieu. Son nom était Jean. 7 Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. 8 Celui-là n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière.” Le texte affirme que Jean n’était pas la lumière (1, , la lumière est Jésus, le Logos s’est fait chair (1,14). Pourtant, dans un autre sens et un autre contexte, Jésus dit que Jean le Baptiste est la lumière (5,35). Nous l’aborderons dans la suite. b) Jésus est la lumière du monde Trois fois dans l’Évangile de Jean, Jésus déclare qu’il est la lumière (8,12; 9,5; 12,46). En 8,12, Jésus dit aux Pharisiens dans un contexte de débat: “Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie” (8,12). En 9,5, Jésus dit à ses disciples avant de guérir l’aveugle-né: “Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde” (9,5). À la fin de la mission publique de Jésus, il déclare pour la dernière fois qu’il est la lumière: “Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres” (12,46). Ce qui est intéressant est que pour Jésus, Jean le Baptiste est aussi “la lumière” (5,35). c) Jean le Baptiste est la lumière qui luit Dans le contexte de la persécution de Jésus par les Juifs qui cherchent à le faire mourir (5,18), Jésus leur tient un discours sur les œuvres du Fils (5,19-29), suivi par une série de témoignages en sa faveur (5,30-47). Dans ce passage, Jésus parle du témoignage de Jean le Baptiste en 5,33-35. Jésus dit aux Juifs: “33 Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité. 34 Non que je relève du témoignage d’un homme; si j’en parle, c’est pour votre salut. 35 Celui-là était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière.” En 5,35a, Jésus parle de Jean le Baptiste qui “était la lampe qui brûle et qui luit” (5,35a). Le verbe “luire” (phainô) est apparu seulement deux fois dans l’Évangile de Jean (1,5; 5,33). La première fois décrit le Logos qui est la lumière qui “luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie” (1,5). La deuxième fois parle de Jean le Baptiste qui “était la lampe qui brûle et qui luit” (5,35a). En 5,35b, Jésus dit de Jean le Baptiste aux Juifs: “Vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière” (5,35b). La courte mission de Jean est symbolisée par “une heure à sa lumière.” Le verbe “se réjouir” (agalliaô) exprime le respect et la grande contribution de Jean au peuple d’Israël. Quant au terme “lumière” (phôs), il est utilisé pour désigner Jésus qui est la lumière du monde (8,12; 9,5; 12,46). Ainsi Jésus honore Jean le Baptiste en lui reliant au symbole de la lumière qui luit (5,35). Jean le Baptiste est “la lumière” qui brille pour rendre témoignage à “la lumière par excellence” qui est Jésus. L’identification entre Logos, Jésus et Jean le Baptiste avec la lumière ne figure pas dans les Évangiles Synoptiques. Ces thèmes sont la particularité et l’originalité de l’Évangile de Jean. Ils sont les contributions théologiques de l’Évangile de Jean dans les Évangiles et dans l’ensemble de la théologie du Nouveau Testament. http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2013/12/en-jn-121- jean-le-baptiste-nest-pas.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 04.05.23 13:11 | |
| A quoi bon distinguer les évangiles, si c'est pour arriver à des propositions "synthétiques" qui les mélangent à nouveau en se donnant l'air de les surplomber ? Comme on l'a déjà signalé, ce n'est pas seulement entre les évangiles mais à l'intérieur de chacun qu'il faudrait distinguer les "traditions", relatives à "Jean" et/ou à "Elie" par exemple. Du reste l'auteur à vouloir tout ratisser en oublie quand même, p. ex. le rapport Elie-Jean-Jésus associé à Hérode en Marc 6 (avant Luc de toute évidence)...
En ce qui concerne le quatrième évangile, la tension (relative) entre les chapitres 1 et 5 (Jean n'est pas la lumière, mais il est la lampe...) se détendrait sensiblement si l'on prenait en considération un minimum d'analyse "diachronique": tout porte à croire en effet que l'addition du Prologue est tardive (contemporaine du chap. 20), et que sa combinaison à un début d'évangile "classique" (sur Jean-Baptiste précisément, comme chez Marc) l'est également: la rédaction du chapitre 5, en son temps, ne pouvait pas contredire un Prologue qui n'existait pas encore, la tension n'est apparue qu'à un stade ultérieur de la composition et des relectures, et par rapport à d'autres elle n'était pas bien méchante (la lampe n'est pas la lumière, on le sait depuis la première page de la Genèse au moins)...
Du reste, si l'on saisit plus profondément la dynamique "johannique", Jean n'est pas seulement opposé à Jésus comme un inférieur à un supérieur, il figure aussi bien le modèle général auquel Jésus lui-même devra se conformer à son tour, celui du dépassement-abolition (Aufhebung !) des "médiations": que je décroisse pour que l'autre croisse, c'est la logique même du Christ johannique au terme de son parcours terrestre ou distinct (le Père est plus grand que moi, celui qui croit en moi fera des oeuvres plus grandes, etc.). La différence n'est pas tant entre des noms et des "figures" toujours provisoires, qu'entre l'apparence et le fond de la "révélation" comme mouvement perpétuel de l'un à l'autre: derrière "Jean" il y a "Jésus", mais derrière "Jésus" il y a "le Fils", le logos, et derrière "le Fils" il y a "le Père". La logique dynamique de la révélation est une logique dynamique du dépassement qui relève ses propres médiations à mesure qu'elle les génère. La première conclusion avait déjà tout dit, 12,44ss. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 09.05.23 10:19 | |
| "Or il y eut un débat entre les disciples de Jean et un Juif au sujet de la purification. Ils vinrent trouver Jean et lui dirent : Rabbi, celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain et à qui, toi, tu as rendu témoignage, voici qu'il baptise et que tous viennent à lui. Jean répondit : Un homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel. Vous, vous m'êtes vous-mêmes témoins que j'ai dit : Moi, je ne suis pas le Christ, mais c'est devant lui que je suis envoyé. Celui qui a la mariée, c'est le marié ; mais l'ami du marié qui se tient là et qui l'écoute éprouve une grande joie à entendre le marié ; cette joie, qui est la mienne, est donc complète. Il faut que lui croisse et que, moi, je diminue. Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous ; celui qui est de la terre est de la terre, et sa parole est de la terre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, il témoigne de ce qu'il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage. Celui qui a reçu son témoignage a certifié que Dieu est vrai ; car celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce qu'il donne l'Esprit sans mesure. Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main. Celui qui met sa foi dans le Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse d'obéir au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui" (Jean 3,25-30). I – Le baptême dans le Nouveau TestamentLe baptême apparaît dès les premières pages du Nouveau Testament comme un rite lié à la personne de Jean. Les synoptiques affirment que Jésus a été baptisé (Mt 3,13 et par.), fait qui n’est historiquement pas contestable vu notamment l’embarras qu’il provoque. Puisque le baptême de Jean était conféré « pour la rémission des péchés » (Mc 1,4 ; Lc 3,3), on pourrait effectivement soutenir que Jésus avait besoin du pardon divin pour mener à bien sa mission, un peu comme Isaïe lors de sa vocation prophétique (Is 6,5-. Cette hypothèse, qui ne s’accorde pas avec la foi néotestamentaire en l’impeccabilité du Christ (cf. Jn 8,46 ; 1 Jn 3,5 ; 1 P 1,19 ; 2,22 ; 3,18 ; He 4,15 ; 7,26 ; 9,14), est neutralisée par les synoptiques de deux manières différentes. D’une part, ils passent très vite sur le rite baptismal proprement dit pour insister sur la théophanie qui l’accompagne. Le renversement est total puisque, de la sorte, le baptême de Jean révèle la divinité de Jésus au lieu de la rendre impossible : « Celui-ci est mon Fils, qui a toute ma faveur » (Mt 3,17 et par.). D’autre part, le lien entre baptême et mort rédemptrice (Mc 10,38-39 ; Lc 12,50) suggère que le baptême de Jésus a été une manifestation anticipée de la Croix. Conformément à la destinée du Serviteur (Is 53) auquel la parole du Père fait allusion (Is 42,1 : « voici mon élu qui a toute ma faveur »), Jésus a inauguré par son baptême un long chemin de souffrance substitutive qui s’accomplira dans sa passion. Matthieu prend une dernière précaution en rapportant que le Baptiste ne s’exécute que sur un ordre exprès de Jésus, le motif invoqué par ce dernier étant d’ailleurs assez énigmatique (Mt 3,14-15).Pendant la vie publique de Jésus, le rite baptismal disparaît quasiment de la circulation. Le quatrième évangile rapporte toutefois que Jésus baptisait quand il était en Judée (Jn 3,22). Le succès qu’il rencontre trouble les disciples du Baptiste, d’où la mise au point de ce dernier en faveur du véritable Époux (Jn 3,27-36). Est-ce la trace d’un conflit entre Jésus et son mentor, ou entre leurs mouvements respectifs? Toujours est-il que Jésus a ensuite regagné la Galilée (Jn 4,3), ce qui est peut-être signe d’une prise d’autonomie vis-à-vis de Jean. Par ailleurs l’évangéliste ne donne guère d’éléments pour interpréter ce « baptême chrétien » pré-pascal et son rapport exact avec celui de Jean. Il tend à le minimiser en l’attribuant aux disciples de Jésus plutôt qu’au Maître lui-même (Jn 4,2). Quant aux synoptiques, ils ne signalent jamais que Jésus ou ses disciples auraient baptisé avant la Résurrection. Tout au plus évoquent-ils une polémique où le baptême joue un certain rôle, mais elle n’a rien à voir avec la précédente puisqu’elle oppose Jésus aux prêtres de Jérusalem et non pas aux disciples du Baptiste (Mt 21,25 et par.). On notera cependant que Jésus en sort vainqueur grâce à l’origine divine du baptême de Jean, ce qui se comprend mieux s’il avait lui aussi exercé un ministère baptismal semblable à celui que « tous tenaient pour un prophète » (Mt 21,26).https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2010-4-page-563.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 09.05.23 12:29 | |
| Cet article est, à mon sens, exemplaire de la sottise, principalement théologique, qu'il y a à vouloir fonder une religion sur de l'histoire. En l'occurrence, plus on enferme "Jésus" dans une particularité historique (religieuse, culturelle, géographique, linguistique, ethnique, sociale, économique, familiale, partisane, idéologique), plus on l'éloigne à la fois de la singularité et de l'universalité constitutives du "Sauveur" du christianisme, celles que requiert précisément le dogme (notamment catholique) de l'"Incarnation": le logos assume la "chair", ce qui est peut-être encore plus vaste que "l'humanité", mais certainement pas telle "catégorie" (humaine) plutôt que telle autre... un Jésus non seulement juif, judéen ou galiléen, mais encore pharisien, sadducéen, essénien, sectaire, sage, philosophe, magicien, thaumaturge (on n'a que l'embarras du choix, qui reste en tout cas parfaitement arbitraire puisque chaque option choisit les arguments qui l'arrangent et néglige les autres) serait encore trop "particulier" (c.-à-d. à la fois trop général et trop spécifique ou catégoriel, trop large et trop étroit) pour ce rôle qui n'est ce qu'il est (le cas échéant) que d'être unique, une fois pour toutes. D'ailleurs les évangiles, chacun à sa manière, s'efforcent de faire sortir "Jésus" de la particularité requise par le récit même: à Nazareth où il n'est que le fils du charpentier il ne peut rien faire, il faut qu'il sorte (fût-ce malgré lui) des limites ethniques et religieuses du judaïsme pour être reconnu, de la Syro-Phénicienne de Marc (7) à la Samaritaine ou aux Grecs de Jean (4; 12)
De même, mais dans un sens plus "historique" pour le coup, "Jean" est l'arbre individuel qui, dans les évangiles, nous cache la forêt du "baptisme" multiforme dont hérite le christianisme émergent: ce n'est pas seulement celui de Qoumrân ou (peut-être) du pharisaïsme, mais aussi bien celui des ablutions sacerdotales du temple de Jérusalem et de tous les temples "païens", des cultes ancestraux et des "mystères" plus récemment popularisés dans l'ensemble de l'aire gréco-romaine. A vouloir faire dériver le "baptême chrétien" (tel qu'il s'est lui-même progressivement standardisé dans la "grande Eglise") du seul "Jean-Baptiste", on commet au fond la même erreur historique et théologique qu'à faire dériver le christianisme dans son ensemble d'un seul "Jésus historique" -- outre qu'on se retrouve avec un "fondateur" de trop. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 09.05.23 13:54 | |
| Narkissos a écrit: A vouloir faire dériver le "baptême chrétien" (tel qu'il s'est lui-même progressivement standardisé dans la "grande Eglise") du seul "Jean-Baptiste", on commet au fond la même erreur historique et théologique qu'à faire dériver le christianisme dans son ensemble d'un seul "Jésus historique" -- outre qu'on se retrouve avec un "fondateur" de trop.
Merci Narkissos de ces précieux rappels. Le baptême préconisé par Jean le Baptiste n'est-il pas une nécessité, une préparation avant la venue du Messie rôle attribué au Christ, à Jésus?
Le baptême chrétien ne trouve-t-il pas ses racines dans ceux pratiqués et rapportés dans le livre des Actes?
Telles sont les questions que me viennent à l'esprit en lisant les derniers messages de ce fil consacré à Jean le Baptiste. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 09.05.23 16:30 | |
| - Le chapelier toqué a écrit:
- Le baptême préconisé par Jean le Baptiste n'est-il pas une nécessité, une préparation avant la venue du Messie rôle attribué au Christ, à Jésus?
Après deux millénaires de récitation de l'"histoire sainte", ça nous paraît en effet tout naturel... mais je ne vois pas pour autant de "nécessité" logique, ni même scripturaire ou traditionnelle, à ce "partage des rôles" entre le "Messie" ou "Christ" et un "précurseur"... Il y a un doublet traditionnel, sinon historique, auquel les textes s'efforcent tant bien que mal de donner un sens, mais ils le font de façon divergente et contradictoire (comme on l'a vu plus haut: références à Elie appliquées tantôt à Jean, tantôt à Jésus, interprétation de Jésus comme " Jean ressuscité", etc.). La "nécessité" du "duo", à mon sens, n'apparaît guère mieux à la lecture du NT que dans ce qui le précède... - Citation :
- Le baptême chrétien ne trouve-t-il pas ses racines dans ceux pratiqués et rapportés dans le livre des Actes?
Les Actes, texte tardif, donnent un récit, en partie traditionnel et en partie fictif, des origines du "christianisme" et de l'"Eglise", donc aussi de son "baptême" (dont la pratique est d'emblée présumée connue et unifiée). Sans surprise et comme les évangiles, ils rattachent le baptême d'eau à Jean (1,5.22; 10,37; 11,16; 13,24; 18,25; 19,3ss), tout en jouant diversement de la distinction entre baptême d'eau et d'esprit selon les besoins de la narration (1,5; 2,38ss; tantôt l'eau précède l'esprit, 8,12ss, tantôt l'esprit précède l'eau, 10,47s, les "anomalies" visant à chaque fois à montrer quelque chose, p. ex. l'ouverture aux Samaritains puis aux "païens"). Si l'on veut des traces un peu plus anciennes, il vaut mieux regarder du côté des (premières) épîtres pauliniennes, notamment 1 Corinthiens: où l'on voit que le "baptême" est déjà une pratique des "Eglises" (hellénistiques, grecques en l'occurrence), sans la moindre référence à Jean qui appartient à un tout autre espace historico-géographique, mais curieusement associée aux "morts" (15,29); et que "Paul" s'en distancie ostensiblement (1,13ss) avant de lui trouver un (ou plusieurs) "sens" (cf. 10,2; 12,13; Romains 6,2ss). Une des sources de confusion est que notre mot "baptême" (baptiser, baptiste, etc.), transcrit du grec via le latin, ne signifie a priori pour nous rien d'autre que le rite "chrétien", et seulement par extension ce qui lui ressemble, alors que les termes grecs correspondants avaient un sens parfaitement transparent, banal et pas nécessairement rituel (plonger, baigner, tremper, etc.). Si les emplois néotestamentaires sont à peu près tous rituels, ils ne se réfèrent pas tous au rite "chrétien" (cf. p. ex. Marc 7,4; Hébreux 6,2; 9,10), ce qui tend à relativiser le rite chrétien lui-même (ce n'est qu'un cas particulier d'une pratique beaucoup plus répandue, même si on lui donne un sens particulier, et d'ailleurs variable, de la simple purification à la mort et à la résurrection). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 09.05.23 17:24 | |
| Merci Narkissos pour tes réponses précises et fort intéressantes, je vais lire les textes que tu cites avec plaisir et sans les lunettes de la tradition. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 09.05.23 19:54 | |
| Je t'en prie.
A propos du post précédent de free, les contradictions ou corrections mineures des rédacteurs, narrateurs, glossateurs successifs du quatrième évangile (Jésus baptisait / ne baptisait pas, chap. 3--4) ne doivent pas nous faire oublier que c'est d'abord le baptême de Jésus par Jean qui y est escamoté, comme le sera l'"institution de l'eucharistie" au chapitre 13: les deux "sacrements" (à peu près) consensuels du christianisme sont donc logés à la même enseigne, et le rapport de Jean à Jésus devient essentiellement celui du "témoin" (comme le seront dans la seconde partie du livre le "disciple bien-aimé", ou le "Paraclet"), avec la particularité du "témoignage" johannique (médiation qui s'auto-annule, car il n'y a pas de foi ni de connaissance "de deuxième main"; cf. supra 4.4.2023). Vue sous cet angle, la situation de Jean n'est pas défavorable, c'est lui-même qui pose le principe qui vaudra pour tous les disciples et pour le Christ lui-même, à savoir que par rapport à la révélation divine il n'y a que des "témoins" qui s'effacent... il ne reste même pas (contrairement aux Synoptiques et surtout à Luc) de privilège d'un "après" (Jésus) sur un "avant"... |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 10.05.23 10:01 | |
| Le baptême de Jean - Simon LÉGASSE1. La portée du baptême de JeanD’après Marc (1,4), que Luc (3,3) reproduit à la lettre, Jean prêchait «un baptême de conversion en vue du pardon des péchés». Matthieu a réagi sur ce programme et ne l’a adopté qu’en partie. D’accord sur le «baptême de conversion», il ne l’est plus quand il s’agit du «pardon des péchés» auquel ce baptême est ordonné d’après les deux autres synoptiques. Rien dans Mathieu de la notice de Mc 1,4. Mais dans le discours qu’il prête plus loin à Jean (3,11) Matthieu ajoute une précision à sa source (comparer Lc 3,16b): à la déclaration: «Moi, je vous baptise dans l’eau» succèdent les mots: «en vue de la conversion». L’idée de «conversion» est empruntée au «baptême deconversion» de Mc 1,4, mais elle devient chez Matthieu le but du baptême. Pour Marc et pour Luc le but du baptême de Jean est la rémission des péchés. Non pour Matthieu qui ne veut pas porter tort à la rédemption effectuée par le sang du Christ, «répandu pour la rémission des péchés» (Mt 26,28). Gardons la notice de Mc 1,4 comme la moins retouchée. Elle n’est pas pour autant la plus claire. La phrase «baptême de conversion en vue du pardon des péchés» pose en effet un double problème: 1) Quel est le sens du rapport génitival entre baptême et conversion? 2) Comment s’ajustent ce baptême et le pardon des péchés auquel il est destiné ? Pour répondre à la première question, il faut d’abord écarter l’idée d’un baptême dont le résultat serait la conversion. D’après Mc 1,5, suivi par Matthieu (3,6), on recevait le baptême de Jean en confessant ses péchés). Cela implique qu’on est alors dans les dispositions d’un converti. Reste l’inverse: la possibilité de voir dans le baptême l’effet de la conversion et de le définir, avec Joan Taylor, 2 comme «une immersion résultant du repentir pour la rémission des péchés». En fait ce n’est qu’ainsi que le baptême peut être efficace, comme Jean le montre dans son discours issu de la Source des logia (Mt 3,7-8, par. Lc 3,7- en exhortant énergiquement les foules à produire «des fruits dignes de la conversion». Mais voici notre seconde question: Quel est le rapport entre le baptême et le pardon des péchés? Disons d’abord que le baptême étant la démarche conséquente à la conversion, au retour à Dieu du pécheur repentant, il ne saurait être question de différer le pardon des péchés dans l’avenir du jugement dernier: nulle part dans l’Ancien et le Nouveau Testament il n’est dit que Dieu fait attendre le pécheur qui se repent, nulle part il n’apparaît que le pardon soit intégré au jugement dernier. Si d’autre part on consulte ce qui nous reste (grâce à la Quelle) des sermons de Jean-Baptiste, nous trouvons l’image classique du jugement sous forme de tri entre les hommes, les uns impénitents, les autres convertis et, pour ce motif, déjà pardonnés. On peut donc dire que, pour Jean-Baptiste, le pardon est accordé dans l’acte du baptême. Reste que le baptême de Jean et la conversion qu’il implique et présuppose sont requis par lui face à la proche échéance eschatologique. Le temps presse et la cognée est déjà à la racine de arbres (Lc 3,9; Mt 3,10 = Q). On n’envisage donc pas un long processus de redressement. C’est la dernière heure et la dernière chance avant la fin et le jugement rétributif de Dieu. On a parlé du baptême de Jean comme d’un «sacrement eschatologique». La formule est anachronique et même inexacte si l’on comprend le mot «sacrement» au sens où nous l’entendons (comme signe produisant efficacement le salut de celui qui le reçoit). Mais il est vrai qu’étant donné sa situation face à la fin imminente, le baptême de Jean était nécessairement un acte unique, non réitérable. Comme tel il aura des répercussions dans le rite chrétien qui en dérive. 3. Rapport du baptême de Jean-Baptiste avec le baptême chrétienLes origines du baptême chrétien ne sont pas claires. Il y a au moins une chose dont on peut être sûr: c’est que le baptême chrétien ne s’explique pas sans une influence, directe ou indirecte, du baptême de Jean. Notons d’abord les points communs entre les deux rites. À la différence de toutes les ablutions juives, le baptême de Jean et le baptême chrétien ont ceci de commun qu’ils nécessitent l’intervention d’un tiers pour administrer le baptême. Ainsi pour la forme du rite. Venons-en maintenant à sa signification. Jean baptise en vue de la rémission des péchés. On a vu que l’acte du baptême et la conversion qu’il présuppose se situent face à l’horizon eschatologique proche et qu’il y a tout lieu de considérer le baptême johannite comme un acte unique, non réitérable. C’est aussi le cas du baptême chrétien. Après les rites et leur portée, venons-en aux personnes. Le lien de Jésus avec Jean-Baptiste est indéniable. Jésus a reçu le baptême de Jean, baptême de conversion en vue de la rémission des péchés. On est incapable de dire ce que Jésus pensait quand il reçut ce baptême (Matthieu fait œuvre personnelle en lui attribuant la volonté d’«accomplir toute justice»: 3,15). On ne peut pas davantage savoir si Jean-Baptiste avait des perspectives particulières sur Jésus quand il le baptisait. Étant donné la part considérable qu’il faut faire au rétablissement opéré par l’apologétique chrétienne dans la présentation des rapports de Jean-Baptiste et de Jésus, on peut admettre sans difficulté, avec John P. Meier, que «nous n’avons aucun fondement nous permettant de penser que, au moment de baptiser Jésus, le Baptiste a vu dans ce Juif de Nazareth de trente ans et quelques, autre chose qu’un fidèle parmi d’autres» venant se soumettre au rite de purification. Mais l’«annexion de Jean» par le christianisme n’a pas occulté (sauf dans le quatrième évangile) le baptême de Jésus au Jourdain, bien que cette annexion se soit doublée d’un effort pour rendre ce baptême acceptable. De ce baptême on peut, du point de vue historique, déduire une chose : que Jésus a adhéré au mouvement de Jean-Baptiste avant d’entreprendre son propre ministère et d’œuvrer pour son propre compte. Mais il y a plus que cet acte initial. Trois choses s’y ajoutent qui permettent de confirmer le lien et la dépendance en question. Premièrement, le thème essentiel de la prédication de Jean-Baptiste se retrouve dans celle de Jésus. Deuxièmement, Jésus, semble-t-il, a recruté des disciples dans l’environnement (le terme est prudemment choisi à dessein) de Jean-Baptiste. Troisièmement: Jésus a baptisé au début de son ministère. Il faut souligner que le thème essentiel de la prédication de Jean-Baptiste se retrouve dans la prédication de Jésus. Ce thème est l’appel à la conversion face à l’eschaton (chez Jésus, sous la désignation du «Royaume de Dieu»). On trouve ce thème dans la synthèse de la prédication de Jésus en Mc 1,15, même s’il faut admettre que les mots «et croyez à l’Évangile» sont un produit chrétien. Le reste porte les marques d’authenticité (critère de disparité): l’appel à la conversion n’est pas un thème de la prédication apostolique. Jésus a, semble-t-il, recruté des disciples dans l’environnement de Jean-Baptiste. Les Synoptiques nous montrent Jésus recrutant ses premiers disciples en Galilée sur les bords du lac de Tibériade (Mc 1,16-20 par. Mt 4,18-22). Le quatrième évangile nous présente les choses de façon toute différente. Il nous amène à «Béthanie au-delà du Jourdain» (Jn 1,28) et c’est là que le Baptiste déclenche le mouvement qui éloigne de lui ses propres «disciples» et les dirige vers Jésus auquel ils s’attachent désormais. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 10.05.23 11:16 | |
| Lien de téléchargement. Malgré l'obsession historique et les présupposés de critique littéraire (notamment Q = Quelle, la "source" hypothétique présumée commune à Matthieu et à Luc) de son temps, que je ne partage pas (ou plus), j'ai beaucoup apprécié cette étude qui me semble traiter les textes de façon optimale, à la fois assez complète, détaillée, intelligente et équilibrée. Elle m'a d'ailleurs suggéré, sur la fin, une idée au moins amusante qu'elle n'exprime pourtant pas: si la première partie du quatrième évangile, dans l'état où nous le lisons sans préjudice de critique littéraire, joue avec l'idée du baptême (baptême de Jésus escamoté, Jésus baptisant ou non), la seconde reprend peut-être le jeu au chapitre 13, avec le lavement des pieds qui non seulement "remplace" l'eucharistie mais se réfère expressément au baptême, notamment dans le dialogue avec Pierre (tout le corps ou seulement les pieds)... Pour comprendre ton extrait, il faut savoir que le mot "conversion" traduit metanoia, plus traditionnellement rendu par "repentance" (nous en avons abondamment parlé ailleurs). Là encore, la question "historico-critique" (qui ne m'intéresse que modérément) serait de savoir dans quelle mesure les propos prêtés à Jean dans les évangiles reflètent effectivement les idées de " Jean" ou celles d'autres traditions (proto-)chrétiennes (ce qui ne les empêcherait pas d'être également "baptistes"). D'autre part je pense qu'il ne faut pas forcer l'argument distinctif du rite "administré" (on est baptisé par quelqu'un, on ne se baptise pas tout seul). Dès lors que la pratique est rituelle, elle se distingue d'un simple "bain" ou "lavage" privé et profane, et se trouve soumise à un contrôle (que ce soit par les prêtres au temple ou par les responsables de la "communauté" de Qoumrân p. ex.): on est admis ou pas au rite tel qu'il est prescrit, c'est toujours par une communauté qu'il est reconnu comme tel, et c'est ce qui lui donne son "sens" (d'où les questions sur l'"empêchement" éventuel, kôluô etc., dans les Actes p. ex.: qu'est-ce qui empêche que je sois baptisé ?). |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 10.05.23 14:20 | |
| "Comme il voyait beaucoup de pharisiens et de sadducéens venir au baptême, il leur dit : Vipères, qui vous a montré comment fuir la colère à venir ? Produisez donc un fruit digne du changement radical ; et ne pensez pas pouvoir dire : « Nous avons Abraham pour père ! » Car je vous dis que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà la hache est prête à attaquer les arbres à la racine : tout arbre donc qui ne produit pas de beau fruit est coupé et jeté au feu" (Mt 3,7-10).
"Il disait donc aux foules qui venaient pour recevoir de lui le baptême : Vipères, qui vous a montré comment fuir la colère à venir ? Produisez donc des fruits dignes du changement radical, et ne commencez pas à vous dire : « Nous avons Abraham pour père ! » Car je vous dis que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Maintenant déjà la hache est prête à attaquer les arbres à la racine : tout arbre donc qui ne produit pas de beau fruit est coupé et jeté au feu. Les foules l'interrogeaient : Que devons-nous donc faire ? Il leur répondait : Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. Des collecteurs des taxes aussi vinrent pour recevoir le baptême ; ils lui demandèrent : Maître, que devons-nous faire ? Il leur dit : N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné. Des soldats aussi l'interrogeaient : Et nous, que devons-nous faire ? Il leur dit : Ne faites violence à personne, n'accusez personne à tort, et contentez-vous de votre solde. Comme le peuple était dans l'attente, et que tous se demandaient si Jean n'était pas le Christ, il leur répondit à tous : Moi, je vous baptise d'eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et ce serait encore trop d'honneur pour moi que de délier la lanière de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu. Il a sa fourche à la main, il va nettoyer son aire ; il recueillera le blé dans sa grange, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas." (Luc 3,7-17).
Jean le Baptiste parait être le prophète du jugement imminent : "Déjà la hache est prête à attaquer les arbres à la racine". la colère de Dieu est mise en relation avec le "feu" qui symbolise un jugement de destruction, les deux images de la "hache" et de la "pelle à vanner" en sont la preuve. Jean n'explique pas pourquoi (selon lui) la fin est proche et imminente. Ce qui est marquant dans la prédication de Jean, c'est qu'il n'y a aucun espace entre le présent et le futur ("déjà" ; "maintenant"). Le processus de la moisson est quasi terminé : "Il a sa fourche à la main, il va nettoyer son aire ; il recueillera le blé dans sa grange, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas" (Luc 3,17).
Le recours aux différentes traditions religieuses est inutiles : "ne pensez pas pouvoir dire : « Nous avons Abraham pour père ! » Car je vous dis que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham" (Mt 3,9). Le passé est définitivement révolu et il n'offre aucune sécurité. Seul la façon de se conduire dès à présent peut nous sauver.
En Luc 3, il est question de "celui qui est plus puissant que moi" mais l'auteur ne l'assimile pas à Jésus d'une manière explicite, dans le contexte du "timing" de Jean , avec une une fin très imminente, il apparaît presque exclut qu'il s'agisse de Jésus. Au delà de l'identification de ce personnage, se pose la question de sa fonction : "Lui vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu". Jean laisse-t-il sous-entendre que seul le baptême d'eau sauve du baptême dans le feu ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 10.05.23 15:05 | |
| A mon avis, ces textes ne nous donnent aucun accès à la "prédication authentique d'un Jean historique", ils montrent simplement comment les figures de "Jean" et de "Jésus" ont été construites l'une par rapport à l'autre, ou l'une contre l'autre, dans différentes composantes du "christianisme primitif", selon une sorte d'antagonisme fonctionnel (comme on dit du rapport du pouce opposable aux autres doigts de la main, qui rend possible la préhension, image, métaphore, métonymie manuelle de toutes les "compréhensions" et "concepts" intellectuels): il y a le méchant et le gentil, le dur et le doux, le sévère et le bienveillant, bad cop / good cop, l'ascète rigoriste et le bon vivant, l'ennemi et l'ami des "pécheurs" (cf. Matthieu 11,18s // Luc 7,33s)... C'est tout à fait clair chez Luc, surtout dans le dispositif Luc-Actes qui se veut ouvert sur l'étendue de l'empire romain et la durée de l'histoire, et qui relègue nécessairement à un passé dépassé toute référence à une eschatologie imminente et vengeresse, ou du moins la considère accomplie par la destruction de Jérusalem. C'est plus compliqué et restreint chez Matthieu, qui veut présenter un christianisme au moins aussi "radical", moralement, que Jean-Baptiste: ouvert aux "pécheurs" et aux "païens" mais pour les mener finalement à l'observance "parfaite" de la loi (c'est aussi le propos de la Didachè). Il est symptomatique que les invectives attribuées à Jean dans Matthieu se limitent aux "pharisiens" et aux "sadducéens", emblématiques d'un judaïsme à ses yeux condamné, alors que chez Luc elles s'adressent à des "foules" indistinctes, et sont aussitôt tempérées par des exigences très "raisonnables" (collecteurs des taxes ou soldats, en rapport plus ou moins direct avec l'empire romain, sont simplement engagés à faire leur travail honnêtement: même un officier ou un magistrat romain n'y eût rien trouvé à redire).
Sur l'aspect historique de la question, pour lequel j'ai aussi peu d'intérêt que de compétence, je signale ce petit texte d'André Paul qui me semble assez bien mettre les choses en perspective. A mon sens, le passage de Josèphe consacré à Jean, même s'il est textuellement moins douteux que ceux sur Jésus, est aussi tributaire de traditions "chrétiennes" -- Josèphe n'est de toute façon contemporain ni de Jean ni de Jésus selon leurs datations habituelles. A tout prendre, les personnages subalternes du christianisme comme Jean(-Baptiste) ou Jacques (le Juste) paraissent historiquement plus substantiels que les protagonistes (Jésus, Pierre ou Paul), mais c'est aussi un effet pervers de l'analyse historico-littéraire: ce qui est au centre de la tradition dominante capte et capitalise tout, souvenirs éventuels, inventions et fictions (on ne prête qu'aux riches), ce qui le rend globalement suspect, tandis que le périphérique se contente de restes disparates qui deviennent vite embarrassants, et par là même passent pour plus "authentiques" (mais ce peut être aussi une illusion).
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Le rôle de "précurseur", pénultième ou avant-dernier, que la tradition chrétienne assigne en général à Jean-Baptiste dépend évidemment de l'idée qu'on se fait du "dernier" (eskhatos, eskhaton): si au tournant de l'ère "chrétienne" les figures "eschatologiques" tendent à se multiplier et à se confondre dans l'unité de "celui qui vient" (Messie ou Christ, Fils de l'Homme, Adam, Hénoch, Melchisédek, Moïse, David, Elie, etc.), il ne faut pas oublier que "celui qui vient" est d'abord (dans les théophanies de la Torah, dans les Prophètes ou les Psaumes) Yahvé lui-même. De ce point de vue, la présentation même de Jean-Baptiste comme précurseur reste ambiguë: précurseur d'une figure plus "eschatologique" que lui, tout en restant "humaine" et "historique", ou de Yahvé lui-même comme absolu "dernier" ? Cette ambiguïté-là (à laquelle se rattache en partie la dualité du "feu" et de l'"esprit" dans les propos prêtés à Jean, pour ce[lui] qui vient après lui) n'est au fond qu'une réplique (proleptique ou anticipée) de celle de la "christologie" (le Messie-Christ etc., "Dieu" ou un autre ?). On peut d'ailleurs rappeler que dans les dernières lignes de Malachie, souvent (mais pas toujours) rapportées à Jean dans la tradition chrétienne, Elie ne (re-)viendrait que pour que Yahvé ne vienne pas (dans le sens d'un jugement destructeur)... |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean le Baptiste 12.05.23 15:15 | |
| Jean et Jésus étaient-ils cousins ?
La tradition chrétienne a retenu l’idée que Jean le baptiste et Jésus étaient des cousins. Or, il n’y a qu’un texte qui fait un lien de parenté entre les deux. Les autres textes du Nouveau Testament n’affirment pas spécifiquement le contraire. Cependant, tous les autres passages qui traitent de Jean et Jésus semblent en effet présupposer qu’ils ne sont pas de la même famille. Qu’en est-il ?
De proches parents
Le récit de la naissance de Jésus en Luc est à l’origine de la tradition d’une parenté entre Jean et Jésus. Dans ce récit, Élisabeth et Marie, les mères des deux enfants à naître sont décrites comme parentes (suggénès) en Luc 1,36. Ce mot évoque l’idée d’un lien familial vague entre femmes. Les deux premiers chapitres de Luc racontent la naissance Jésus en parallèle avec celle de Jean. La comparaison entre les deux est toujours à l’avantage de Jésus.
Deux prophètes avec une mission commune
Les évangiles de Marc, Matthieu et Jean ne laissent aucune trace d’un lien de parenté entre Jean et Jésus. Lorsqu’ils se rencontrent, dans certains passages, Jean semble avoir une connaissance de l’identité profonde de Jésus. Par exemple, c’est le baptiste qui désigne Jésus comme « l’agneau de Dieu » (Jean 2,29). Pourtant, dans le verset suivant il dit aussi : « Moi-même, je ne le connaissais pas... » Selon l’évangile de Jean, le baptiste a reçu une révélation particulière en voyant l’Esprit descendre sur lui. Jean atteste que Jésus est le Fils de Dieu, mais il affirme aussi qu’il ne le connaissait pas avant cette scène du baptême.
La suite de l’Évangile selon Luc ne revient pas sur le lien de parenté évoqué dans le récit de naissance. En effet, le baptiste va même jusqu’à demander à Jésus par l’entremise de ses disciples : « Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? » (Lc 7,20) Donc, l’Évangile de Luc n’évoque plus de liens parentaux entre Jean et Jésus en dehors des récits de naissance.
Lorsqu’on tient compte de l’ensemble des évangiles, il n’y a donc que peu d’appui à la tradition qui fait de Jean et de Jésus des cousins. Par ailleurs, les évangiles sont unanimes pour présenter la continuité entre les deux prophètes. Leurs missions respectives et leurs prédications se ressemblent beaucoup. S’ils ne sont pas parents, ils sont certainement animés du même Esprit.
http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2017/comprendre_20170113.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 12.05.23 16:05 | |
| [J'avais rajouté un dernier paragraphe à mon post précédent.]
Les (fausses) "bonnes idées" de Luc(-Actes) sont comme le sparadrap du capitaine Haddock (je saute dans mes références "classiques" d'Astérix à Tintin), une fois qu'on y a touché on ne peut plus s'en dépêtrer... Une précision supplémentaire, même totalement dépourvue d'intérêt, se fixe dans la mémoire du lecteur et fait apparaître dans un autre texte son absence comme un manque, et sa contradiction expresse (p. ex. Jean 1,29ss) comme un "problème à résoudre", dans un désir d'"harmonisation" où le moins précis cédera forcément le pas au plus précis, même si la précision est parfaitement fantaisiste et insignifiante...
Pour le ou les auteurs des "récits de l'enfance" de Luc cette "parenté" n'est guère qu'un prétexte à anecdotes "merveilleuses" et poétiques, où d'ailleurs l'identité des locuteurs (Zacharie, Elisabeth, Marie, Siméon, Anne) et des référents (Jean, Jésus) tend à se confondre jusque dans la tradition manuscrite (p. ex. 1,46, Marie ou Elisabeth, ce qui ferait du Magnificat un poème sur Jean plutôt que sur Jésus): pour l'essentiel, ce qui est dit de l'un peut aussi bien être dit de l'autre. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 16.05.23 9:30 | |
| "Pendant qu'Apollos était à Corinthe, Paul, qui était passé par le haut-pays, descendit à Ephèse. Il y trouva quelques disciples et leur dit : Avez-vous reçu l'Esprit saint quand vous êtes devenus croyants ? Ils lui répondirent : Nous n'avons même pas entendu parler d'un Esprit saint. Il dit : Quel baptême avez-vous donc reçu ? Ils répondirent : Le baptême de Jean. Alors Paul dit : Jean a baptisé d'un baptême de changement radical ; il disait au peuple de mettre sa foi en celui qui venait après lui, c'est-à-dire en Jésus. Sur ces paroles, ils reçurent le baptême pour le nom du Seigneur Jésus. Paul leur imposa les mains, et l'Esprit saint vint sur eux ; ils se mirent à parler en langues et à s'exprimer en prophètes. Ces hommes étaient une douzaine en tout" (Act 19,1-7).
Luc et l'Esprit saint. Max-Alain Chevallier
Pour commencer, Luc signale l'arrestation de Jean-Baptiste avant, tout juste avant le baptême de Jésus ; c'est une façon radicale d'éviter jusqu'à l'apparence d'une subordination circonstancielle de Jésus par rapport à Jean. C'est aussi une façon de mettre une césure plus nette entre la pratique du baptême de Jean et la nouvelle pratique du baptême chrétien, dont le baptême de Jésus est l'événement fondateur. Car ce jour-là est institué par Dieu lui-même, en la personne de Jésus, un lien décisif entre l'immersion dans l'eau et la communication de l'Esprit. Pour Mt comme pour Mc, la descente de l'Esprit était une vision de Jésus ; Luc souligne, au contraire, fortement que l'événement fut un événement public, au cœur d'une scène capitale dont il condense le récit en une seule phrase grecque.
L'épisode relaté au début d'Ac 19 va dans le même sens. Il s'agit d'une douzaine de personnes que Paul rencontre à Ephèse, qui sont des « disciples », par quoi il faut entendre des chrétiens, mais qui déclarent n'avoir reçu que le seul baptême de Jean. Aussitôt Paul met les choses au point : le baptême de Jean était seulement un baptême de conversion, explicitement donné en vue d'une étape ultérieure qui était l'adhésion à Jésus. On reconnaît bien ici le soin de Luc à marquer la distinction des économies. Et ce qui se passe ensuite rivalise en vigueur démonstrative avec la version que Luc avait donnée du baptême de Jésus ; dans un premier temps, Paul rebaptise ces croyants, mais cette fois au nom de Jésus, pour souligner que, si le rke est extérieurement le même, le contenu est différent. Puis, ce point étant clair, Paul leur impose les mains et c'est le deuxième aspect du baptême chrétien qui est mis en évidence, à savoir la communication de l'Esprit saint.
D'autres indices encore, que nous ne pouvons beaucoup détailler, montrent que Luc revendique en quelque sorte pour Jésus le baptême d'eau, alors qu'on aurait pu considérer ce baptême comme surclassé par le baptême de l'Esprit. Luc distingue certes les deux baptêmes, mais il attache l'un à l'autre comme dans le baptême de Jésus lui-même ; plus exactement, en dehors de l'antithèse stéréotypée : Jean baptisait d'eau, Jésus, lui, baptise l'Esprit, Luc (pas plus d'ailleurs qu'aucun autre auteur du N.T.) n'utilise jamais l'expression « baptiser d'Esprit » ou « dans l'Esprit ». C'est-à-dire que la notion d'un baptême d'Esprit pour ainsi dire autonome n'existe pas ; le don de l'Esprit, qui n'est plus appelé baptême, est rattaché au seul événement qui porte désormais le titre de baptême et qui est le baptême d'eau. La règle est clairement énoncée dès le premier jour de l'irruption de l'Esprit sur le peuple messianique. A la fin de la prédication de Pierre, le jour même de la Pentecôte, les auditeurs interrogent : « Que ferons-nous ? ». Et Pierre répond nettement, en formulant une règle générale et perpétuelle (cf. Ac 2,39): « Convertissez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Ac 2,38). On peut observer que le baptême est caractérisé ici comme un baptême de conversion en rémission des péchés. En tant que tel il est identique au baptême de Jean. Mais il est désormais pratiqué (et c'est la première fois selon Luc) « au nom de Jésus-Christ », ce qui est exactement l'appropriation chrétienne du baptême de Jean dont nous parlions il y a un instant ; et le don de l'Esprit est cité tout normalement comme lié au baptême d'eau.
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1982_num_56_1_2932#rscir_0035-2217_1982_num_56_1_T1_0005_0000 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 16.05.23 11:04 | |
| Texte déjà ancien (1982), mais toujours intéressant -- il intéresserait d'ailleurs tout autant le fil récemment repris sur la Pentecôte. Ce qui me semble le plus "dépassé", c'est l'attribution de l'ensemble Luc-Actes à un seul "auteur" (trompeuse surtout parce qu'elle invite à rechercher dans la totalité du texte, aussi bien dans les détails que dans l'organisation générale, une "intention" cohérente) et l'emploi indiscriminé du concept de Messie et de messianisme, dont on a déjà beaucoup parlé ailleurs: toutes les annonces d'une figure royale ou quasi royale "idéale" (Isaïe 11 etc.) ne sont pas "messianiques" au sens strictement "eschatologique" du terme, mais il est encore plus aberrant d'introduire cette idée là où une telle figure est totalement absente, en particulier dans les annonces d'une "effusion de l'esprit" généralisée (qui serait plutôt anti-monarchique, et par là aussi anti-messianique). En ce qui concerne Jean(-Baptiste), il y a aussi dans Luc (par ce qu'il hérite de Marc, et de Matthieu ou de "Q" si l'on y tient) des éléments qui résistent à la "périodisation", c'est-à-dire au schéma historique et chronologique dominant de l'ensemble Luc-Actes, où des périodes ou époques clairement distinctes se succèdent: le chapitre 3 se débarrasse ostensiblement de Jean avant le baptême de Jésus, mais Jean et ses disciples (distincts de ceux de Jésus) réapparaissent plus loin (5,33; 7,18ss). En Actes 19 on peut se demander ce que des disciples de Jean-Baptiste viendraient faire à Ephèse, surtout s'ils n'ont pas bénéficié d'une " Pentecôte" pour propulser leur mouvement de façon autonome, de la région du Jourdain "jusqu'aux extrémités de la terre" (de même pour Apollos d'Alexandrie selon 18,25 qui, lui, n'est [re-]baptisé ni d'eau ni d'esprit): à moins qu'il y ait confusion plus ou moins volontaire avec de tout autres "johannismes" (ceux associés par la tradition au quatrième évangile, ou dans un autre genre à l'Apocalypse "de Jean" expressément située en Asie Mineure). |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 17.05.23 9:52 | |
| Une figure innommable
7 Les difficultés posées par la figure de Jean tiennent déjà à l’impossibilité de lui donner un nom qui rende parfaitement compte de sa nature et de son statut, ou plutôt, elles tiennent à la pluralité des termes qui le désignent. Déjà dans l’incipit du chapitre de la Légende dorée de Jacques de Voragine qui traite de sa nativité, il est appelé indifféremment « prophète, ami de l’époux, lumière, ange, voix, Elie, Baptiste du Sauveur, héraut du juge et précurseur du roi10 ». Le texte vernaculaire décalque certaines de ces dénominations, elles-mêmes reprises aux Ecritures : saint Jean est le « message », « l’ange » ou encore le « prophète du très Haut » ; il n’est pas appelé le « précurseur », mais il est celui qui vient « devant le roy divin » pour « aprester la voie du Seigneur11 », autant de termes et expressions qui font de lui l’intermédiaire verbal entre l’ordre du divin et l’ordre de l’humain. L’utilisation du mot prophete fait pourtant question et ce dans le cadre même de l’Ancien Testament. L’incertitude régnant chez les pères et apologètes autour de son étymologie réfléchit une double mission : tantôt on le fera dériver de phaïnô, pour lui donner le sens de « celui qui montre à l’avance », tantôt de phêmi, le prophète devenant « celui qui parle pour un autre12 ». Nettement distingué dans le texte de messager, prophète paraît renvoyer à la capacité du saint d’annoncer par la grâce divine l’arrivée imminente du Sauveur et d’y préparer ses contemporains en usant des vertus d’une parole porteuse d’avertissements et de remontrances13. Mais il est difficile de donner un sens univoque au mot prophète, d’autant qu’il s’assortit de la qualification superlative « le plus exellent », qui marque certes le dépassement, l’illimité et la transcendance, mais qui renforce l’ambiguïté en plaçant saint Jean dans une catégorie difficile à cerner. D’autre part, le fait que l’hagiographe voie en lui « plus qu’un prophète », formule prêtée au Christ par Matthieu et Luc14, contredit cette désignation. Saint Jean apparaît comme une figure clivée prise entre son rôle de médiateur du divin et un devenir qui reste encore informulé. Il est à la charnière, dans un entre-deux qui se décline sur tous les plans : entredeux de l’histoire, où sa naissance coïncide avec la fin des dynasties juives et l’avènement de rois étrangers, entre-deux d’un espace compris entre le désert, lieu traditionnel de la rencontre de Dieu avec le peuple hébreu, et le fleuve, où il baptise, préfigurant ainsi la nouvelle Loi.
Une figure en creux
15 De la même façon que l’évangéliste dit que le Précurseur n’est pas la lumière, mais qu’il doit rendre témoignage à la lumière, faire dire à saint Jean qu’il est « la voix », c’est insister non sur un contenu, mais sur un timbre, une tessiture28. La voix n’est pas la parole, car la parole est à venir, elle est le support du Verbe qui s’origine en elle, elle n’est, pour reprendre un terme du texte, que le « proverbe » (v. 1018). Les mots que Jean prononce disent l’indéfectible lien qui l’unit au Christ dans le jeu des contraires qui habitent son discours et dans la tension des termes qui soulignent le paradoxe de sa mission. Au moment où il baptise Jésus et le reconnaît pour le Messie, il dit : « Je sçay ce que pas ne savoie » (v. 2144) ; il dit aussi désirer celui qui doit venir après lui et que pourtant il suit : « Il va devant, et je le suy » (v. 1835) ; enfin, il avoue devoir [s’]« amenuisier » afin que Jésus croisse (v. 2390). Tout est dit dans ces raccourcis puissants qui exaltent la grandeur souveraine de Jésus et l’extrême humilité du Baptiste. Jean marque son infériorité en passant le relais au Messie et va jusqu’à annoncer, avec un certain humour, son propre martyre. Assumant son anéantissement, il est l’expression et la conscience de la nécessité sacrificielle pour que, de sa voix, naisse le Verbe.
16 Sa parole est donc une parole en creux qui appelle une suite, un dépassement. Elle se doit d’être complétée, remotivée par celle du Christ, mais aussi, dans le cadre même du récit, par celle de l’auteur, attentif à venir en suppléer les manques et à la récupérer. En effet, dans le temps même où il traite du Précurseur et montre son incomplétude, il autorise l’émergence d’un autre discours, le sien, lui qui annonce son intention de faire « euvrer sa bouche ». Le narrateur qui met en scène les Ecritures s’efface devant l’exégète, soucieux de révéler la senefiance des paroles et des actes de Jean, mais aussi devant le prédicateur, ces deux activités, suivant André Vauchez, répondant à la fonction prophétique elle-même, sur laquelle se sont penchés, dès le xiie siècle, les théologiens scolastiques : le prophétisme sous sa forme biblique est passé, la prophétie ne se rapporte plus spécifiquement à la prédiction d’événements et, jusqu’au milieu du xive siècle, elle est précisément exercée par les clercs dans le cadre de leur ministère pastoral.
https://books.openedition.org/pup/4174?lang=fr |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean le Baptiste 17.05.23 10:54 | |
| A part ta citation, je n'ai accès (là où je suis et pour le moment) qu'aux premières lignes de cet article, qui me permettent au moins de comprendre qu'on parle d'une "Vie de Jean-Baptiste" du début du XIVe siècle -- remarquablement proche toutefois des textes évangéliques, parce que le personnage a suscité relativement peu de développements "apocryphes" dans l'Eglise ancienne...
Le motif de la "voix" vient évidemment de Marc 1,3 (// Matthieu 3,5; Luc 3,4; cf. Jean 1,23), mot-à-mot "voix de celui qui crie dans le désert", citation du deutéro-Isaïe, 40,3, traduit on ne peut plus littéralement par la Septante (qwl qwr' b-midbar, qol qoré ba-midbar, en grec phônè boôntos en tè eremô). Ce texte est également cité dans la "Règle de la communauté" de Qoumrân, 3,6ss, comme justification d'une "communauté" également "baptiste" (= où le rite de l'eau, associée à l'"esprit saint" -- qui est d'ailleurs aussi compris comme un "ange-messager" -- joue un rôle important, longtemps avant tout "christianisme"). Par ailleurs l'"ange" correspond au "messager" de Marc 1,2, en référence à Exode 23,20 et Malachie 3,1: pour rappel, en hébreu (ml'k, d'où "Malachie") comme en grec (aggelos prononcé angelos) c'est le même mot qui est tantôt traduit par "messager" (envoyé, émissaire, etc.) ou (transcrit) "ange", mais il se réfère toujours à une fonction (qui peut être assumée par des hommes, des dieux ou des êtres intermédiaires) plutôt qu'à une "nature" particulière (l'ange quelque part entre les hommes et les dieux) -- même si dans les textes tardifs de l'AT et dans le NT la catégorie d'êtres intermédiaires est souvent impliquée par le contexte, et la "fonction" plus ou moins perdue de vue. |
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