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| La métanoïa ou la conversion | |
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free
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| Sujet: La métanoïa ou la conversion Jeu 14 Jan 2021, 12:00 | |
| Dans la Grèce antique, la métanoïa signifiait « se donner une norme de conduite différente, supposée meilleure » (...) Métanoïa est traduit habituellement dans les textes bibliques par « pénitence » ou par « repentance ». Mais dans certains textes du Nouveau Testament, il a un autre sens, celui d'une conversion à Dieu : « Métanoïa signifie au-delà de nous, au-delà de l'intellect, de notre raison rationnelle et se rapporte à un mouvement de conversion ou de retournement par lequel l’homme s'ouvre à plus grand que lui-même en lui-même. » Ce terme a été employé dans l'homélie du patriarche œcuménique Bartholomée lue à Notre-Dame de Paris en 2015 au moment de la COP21, au sujet de la sauvegarde de la Création, dans le sens d'un « retournement tout entier de l'être ». https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9tano%C3%AFa |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Jeu 14 Jan 2021, 12:53 | |
| Nous avons sans doute évoqué cette question pas mal de fois, mais il semble en effet que nous ne lui ayons pas consacré de fil particulier.
En ce qui me concerne elle me rappelle surtout des débats animés concernant la NBS: il y avait un consensus assez large pour abandonner le mot "repentance", comme l'avaient déjà fait la TOB ou la BFC (p. ex.), mais pas sur le terme de substitution; la "conversion" (TOB, si mes souvenirs sont bons) était entendue ordinairement au sens de "changement de religion", et elle avait l'inconvénient supplémentaire de se confondre (au moins au sens étymologique du retournement ou demi-tour) avec la traduction ordinaire de strephô et ses dérivés (epistrephô, apostrephô, se tourner vers x ou se détourner de y); "changer" et "changement" disaient l'essentiel, mais de manière trop banale aux yeux de certains qui n'y retrouvaient pas un concept dogmatique distinctif et fondamental pour eux; et tous les compléments ("changement d'avis, d'opinion, d'attitude, d'état d'esprit, de mentalité, de comportement, de conduite") paraissaient d'une manière ou d'une autre réducteurs (le changement en question est aussi "intérieur" qu'"extérieur"). C'est ainsi qu'on en est arrivé à ce "changement radical" (ou "changer radicalement") qui à mon sens en dit trop -- j'aurais préféré "changer" et "changement" tout court, parfaitement clairs en contexte et selon moi plus forts sans adjectif ni adverbe ("changez !").
Le défaut principal de la "repentance" traditionnelle (qui avait elle-même remplacé en son temps la "pénitence"), c'était son caractère essentiellement négatif et tourné vers le passé (on se repent d'un mal déjà commis, ou du moins déjà envisagé): la metanoia est à coup sûr un "changement", qui se rapporte au moins autant à l'avenir (conçu comme positif ou meilleur) qu'au passé. S'il faut la distinguer de ses synonymes (nous en avons parlé encore récemment au sujet de metamelomai etc., habituellement rendu par "remords" ou "regret", dans le cas de Judas selon Matthieu p. ex.), c'est dans un sens plus intellectuel ou "mental" (cf. noûs, l'"esprit"-intellect) que "sentimental" (cf. notre "mélo").
Cela dit, il m'est aussi arrivé de me repentir de ce choix ou de regretter la "repentance" (ou le "repentir"), pas tant du point de vue de la traduction du NT que de la notion traditionnelle en elle-même (cf. éventuellement ici). |
| | | free
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Jeu 14 Jan 2021, 17:51 | |
| "On raconte, à notre sujet, quel accueil nous avons trouvé chez vous et comment vous vous êtes tournés vers Dieu, en vous détournant des idoles, pour servir, comme des esclaves, un Dieu vivant et vrai" (1 Th 1,9) "qu'il corrige avec douceur les contradicteurs, au cas où Dieu leur donnerait de changer radicalement pour parvenir à la connaissance de la vérité" (2 Tm 2,25) La repentance est le fait de se détourner du mal,(dans le premier texte des idoles), tandis que d'une manière positive et volontaire on peut faire le choix de se tourne vers Dieu. Le texte de Timothée implique un changement en vue qui engendre le fait de se tourner vers la vérité. C’est la conversion, et pas seulement la repentance. - Citation :
- Cela dit, il m'est aussi arrivé de me repentir de ce choix ou de regretter la "repentance" (ou le "repentir"), pas tant du point de vue de la traduction du NT que de la notion traditionnelle en elle-même (cf. éventuellement ici).
Kierkegaard avait bien raison de suggérer (cf. http://oudenologia.over-blog.com/pages/risques-des-textes-risques-du-livre-2633047.html) que le christianisme était somme toute une affaire de vieux et qu'il fallait se garder d'en accabler la jeunesse. Il y a un temps pour "pécher", c'est-à-dire pour vivre et errer (et, comme le disait à peu près Luther, autant le faire alors franchement) et un autre pour "se repentir" -- celui-ci ne pouvant être qu'annoncé à celui-là (cf. Ecclésiaste xi, 9ss). La repentance, comme il le souligne maintes fois, suppose une distance temporelle, un décalage, un retard à son objet -- c'est-à-dire à "la vie" même: il est dans sa nature d'arriver trop tard -- et, en même temps, trop tôt iciJ'adhère totalement à ce commentaire qui me fait penser aux paroles de la chanson "J’ai vécu" de Charles Aznavour : Quand je prendrai solitaire L'aller simple sans retour Que tout homme de la terre Prend un jour Pour aller voir Dieu le père Et lui conter ses vertus Je lui dirai sans manière J'ai vécu J'ai vécu la vie d'un être Pétri de chair et de sang J'ai vécu Chaque seconde de mon temps J'ai vécu pour tout connaître De ce qui m'était offert Sans souci d'aller au ciel ou en enfer Pensant que je n'avais rien de mieux à faire Ni plus ni moins optimiste Que le reste des humains J'ai mené la vie d'artiste Pas de saint Dès lors que s'éteint la piste Que le spectacle s'est tu Admettons qu'en égoïste J'ai vécu J'ai vécu la vie d'un être Qui n'aspirait qu'au bonheur J'ai vécu Jusqu'à m'en déchirer le coeur J'ai vécu, mon Dieu, peut-être Sans penser à mon salut Mais sur terre on m'avait… |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Jeu 14 Jan 2021, 18:55 | |
| En 1 Thessaloniciens 1,9 ce n'est pas la meta-noia (ni le verbe correspondant meta-noeô) mais bien epi-strephô qui signifie "(se) retourner" (faire demi-tour, volte-face, etc.), soit la "con-version" au sens étymologique du terme (ça se dit encore dans ce sens-là au ski), avec un jeu de prépositions opposées (pros + accusatif / apo + génitif, cf. to / from en anglais, zu / von en allemand) qui requiert en français une double traduction du verbe (se tourner vers / se détourner de). Mot-à-mot: "vous vous êtes tournés vers le dieu des (= depuis les, loin des, en provenance des = en vous détournant des) idoles" ("vers le dieu des idoles" ferait en français un joli contresens).
En 2 Timothée, par contre, c'est bien metanoeô, et il est assez clair que le "radicalement" arrive comme un cheveu sur la soupe, "changer" suffirait amplement: ce qui est en vue dans les Pastorales soucieuses avant tout d'orthodoxie doctrinale n'est qu'un changement d'"avis" ou d'"opinion" des "hérétiques", autrement dit une rétractation. Mais c'est en effet autre chose qu'une "repentance" (si on dit devant un tribunal de l'Inquisition ou devant un "comité judiciaire de discipline religieuse" des TdJ "je le regrette sincèrement, mais je ne peux pas penser autrement", ça ne le fait pas).
Aznavour (sonore et complet) ici.
L'une des formules les plus célèbres de Maître Eckhart (qui a passablement influencé Luther, via Tauler), notamment dans le "Livre de la consolation divine" (das buoch der goetlichen trostung) -- elle lui a valu la condamnation d'un tribunal aussi peu porté sur le paradoxe et la profondeur que sur la plaisanterie -- c'était (en substance): si je veux ce que Dieu veut, et si Dieu a voulu que je pèche de telle ou telle façon, je ne voudrais pas ne pas l'avoir fait. (Avec pour corollaire: Dieu veut et ne veut pas le péché, Dieu souffre et ne souffre pas du péché.)
Indépendamment de sa traduction, la metanoia intéresse très inégalement les textes du NT: autant elle paraît essentielle dans Luc-Actes par exemple, autant elle paraît accessoire dans le "paulinisme central" (dans l'épître aux Romains et ses suites, jusqu'aux deutéro-pauliniennes incluses, une seule mention en Romains 2,4) ou dans le johannisme (aucune) -- sans parler de l'épître aux Hébreux qui la dévalue le plus... radicalement, suivant sa logique médio-platonicienne (cf. notamment chap. 6: doctrine "élémentaire" à dépasser, en aucun cas un "avenir" répétitif pour des chrétiens confrontés à l'"une fois pour toutes" de l'éternité). |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Ven 15 Jan 2021, 13:09 | |
| - Citation :
- Indépendamment de sa traduction, la metanoia intéresse très inégalement les textes du NT: autant elle paraît essentielle dans Luc-Actes par exemple, autant elle paraît accessoire dans le "paulinisme central" (dans l'épître aux Romains et ses suites, jusqu'aux deutéro-pauliniennes incluses, une seule mention en Romains 2,4) ou dans le johannisme (aucune) -- sans parler de l'épître aux Hébreux qui la dévalue le plus... radicalement, suivant sa logique médio-platonicienne (cf. notamment chap. 6: doctrine "élémentaire" à dépasser, en aucun cas un "avenir" répétitif pour des chrétiens confrontés à l'"une fois pour toutes" de l'éternité).
adjurant Juifs et Grecs de changer radicalement ("à se convertir" - TOB), en se tournant vers Dieu, et de mettre leur foi en notre Seigneur Jésus" (Ac 20,21). Notes : Actes 20:21 : de changer radicalement… : litt. le changement radical (ou la repentance, la conversion) pour Dieu et la foi pour (ou en) notre Seigneur… 2.38n ; 10.43+ ; cf. 14.15 ; 16.31 ; 17.30 ; 26.18,20 Dans ce texte il est question de l’aspect positif de la conversion, il ne s’agit pas de se détourner de quelque chose de mauvais et encore moins de regretter un acte passé, il décrit un mouvement vers Dieu." j'ai annoncé qu'ils doivent changer radicalement et se tourner vers Dieu, avec des œuvres dignes de ce changement radical" (20,26) Paul déclare avoir annoncé à diverses personnes qu’elles devaient "à se convertir et à se tourner vers Dieu" (TOB). " et les humains furent brûlés par une chaleur torride. Ils blasphémèrent le nom du Dieu qui a le pouvoir sur ces fléaux, et ils ne revinrent pas pour lui donner gloire" (Ap 16,9). On ne rend pas gloire à Dieu simplement en se détournant du mal mais en changeant positivement en ayant un comportement qui plaît à Dieu. |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Ven 15 Jan 2021, 15:27 | |
| En Actes 20,21, il y a deux constructions parallèles avec la même préposition directionnelle ( eis, pour, vers, avec parfois la même nuance que le into anglais): metanoia -> theos // pistis (foi) -> kurios Ièsous. En 26,20 (et non 20,26) par contre, on a une combinaison (typique des Actes, cf. 3,19 etc.) entre les verbes metanoeô et epistrephô, à l'infinitif metanoein kai epistrephein, "changer (se convertir) et se tourner vers le dieu, epi ton theon", plus le substantif metanoia (pour les "oeuvres dignes du changement" ou "de la conversion"). En Apocalypse 16,9 c'est bien metanoeô, mais la NBS a traité un peu différemment ce verbe quand sa référence paraissait principalement négative (cf. v. 11; 9,20s). Le grec du NT est naturellement marqué, mais dans des proportions très variables d'un texte à l'autre, par le "judéo-grec" de la Septante -- dont l'usage varie lui-même considérablement d'un texte à l'autre de l'AT. Tout le monde est d'accord en principe pour dire qu'il faut -- en exégèse comme en traduction -- tenir compte de cette influence, mais c'est une autre affaire que de l'apprécier au cas par cas. En l'espèce, metanoeô et metanoia sont assez rares et plutôt tardifs dans la Septante (ils n'apparaissent pas dans la Torah-Pentateuque mais dans des textes prophétiques et sapientiaux traduits plus tard en grec); or le plus souvent dans ce micro-corpus metanoeô correspond à l'hébreu nhm, dont nous avons parlé ici, notamment quant aux "repentirs", "regrets" ou "changements d'avis" de Yahvé lui-même (pas dans la Genèse donc, mais p. ex. dans Jonas, 3,9s; 4,2; cf. 1 Samuel = 1 Rois LXX 15,29; Amos 7,3.6; Joël 2,13s; Zacharie 8,14; Jérémie 4,26; 8,6; 8,8.10; 31=38,19 etc.); exceptionnellement peut-être (en Isaïe 46,8s, mais la correspondance n'est pas sûre) au verbe šwb, fréquent dans la littérature prophétique ("revenez à moi / Yahvé"; d'où la teshouva rabbinique, au sens de "conversion" ou de "retour au judaïsme"). |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Ven 15 Jan 2021, 16:50 | |
| Repentance
À la différence de l’expiation, la repentance est une notion spécifiquement judéo-chrétienne. Elle est récurrente dans la Bible hébraïque sous la forme des racines נחם (naham), qui signifie « avoir du regret » et שוב (shouv), qui signifie « faire retour », « revenir en arrière » ou « rentrer en soi-même ». La תשובה (techouvah) est littéralement un « retour à Dieu » et elle est considérée comme la condition préalable nécessaire au pardon divin. La littérature rabbinique distingue deux types de repentances, celle qui est motivée par la crainte du châtiment, et celle qui est inspirée par un amour profond de Dieu ; la seconde modalité est bien entendu valorisée au détriment de la première. Signalons que selon les récits bibliques, Dieu lui-même se repent à plusieurs reprises, notamment d’avoir créé l’homme, juste avant le Déluge, et du mal qu’il avait résolu d’infliger aux Ninivites dans le livre du prophète Jonas.
La notion de repentance est très présente dans le Nouveau Testament, mais avec une acception légèrement différente. Elle est exprimée par le vocable de µετάνοια [métanoïa], qui signifie littéralement « changement de compréhension » : il s’agit donc d’un renversement du regard porté sur les choses, et par voie de conséquence d’une conversion de l’esprit et de la conduite. C’est ce à quoi les hommes sont invités dès la prédication de Jean-Baptiste, afin de préparer leur cœur à l’accueil du Messie et à l’entrée dans le Royaume.
En français, le mot « repentance » apparaît au xie siècle, issu du latin médiéval repoenitere, verbe lui-même composé du préfixe « re- » à valeur intensive et de la racine « poenitere », qui signifie « être mécontent de soi », et finalement « faire pénitence ». La tradition chrétienne associe donc au Moyen Âge la repentance et la pénitence et en fait un rite sacramentel dans le tête-à-tête au confessionnal entre le pénitent et le prêtre. Ici encore, un clivage conceptuel va s’instaurer à la Réforme du xvie siècle, mais avec une tension entre la Réforme luthérienne et la Réforme calvinienne : la première, en effet, va maintenir le sacrement de pénitence pendant quelques temps, tandis que Calvin ne reconnaîtra que deux sacrements, le baptême et la cène, et se refusera à concevoir un pouvoir sacerdotal autorisé à remettre les fautes au pénitent. C’est sans doute dans cette prégnance de l’esprit de pénitence en territoire luthérien qu’il faut chercher les ressorts de cette saisissante Déclaration de culpabilité de Stuttgart (Das Stuttgarter Schulderklärung)par laquelle, dès octobre 1945, l’Église protestante d’Allemagne reconnut ses fautes, c’est-à-dire son manque de courage et de fidélité à l’évangile sous le troisième Reich. On mesure la différence avec le Traité de Versailles, imposé par le vainqueur au vaincu. Mais l’Église catholique a aussi évolué au cours du xxe siècle. Elle a eu tendance, on le sait, depuis le Concile Vatican 2, à multiplier les déclarations de repentance pour les actes commis dans un passé plus ou moins lointain (l’esclavage, les persécutions antisémites, etc.), et à transformer le sacrement de pénitence individuelle en une réconciliation collective. https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-sirice-2016-1-page-15.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Ven 15 Jan 2021, 17:39 | |
| Article intéressant par sa perspective décalée (on sent la contribution du "théologien de service" à un débat surtout politique), mais aussi (revers de la médaille) assez imprécis.
J'en profite pour apporter de mon côté une précision à mon post précédent: dans la Torah-Pentateuque (Genèse 6,6s p. ex.), la Septante traduit nhm par enthumeô, terme plus "affectif" que metanoeô qui sera utilisé dans les contextes similaires des Prophètes (p. ex. Jonas, cf. supra). Quant au šwb "prophétique" ("revenez à moi" etc., p. ex. chez Jérémie dès le chapitre 3, il est le plus souvent traduit par epi-strephô ou d'autres dérivés, ana-strephô, etc., ce qui correspond bien au mouvement métonymique de la con-version (comme demi-tour), avec toutes les correspondances "physiques" et "morales" dont jouent abondamment les textes (entre "retour à Yahvé" et "retour d'exil" notamment). |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Ven 15 Jan 2021, 19:15 | |
| L’homme qui se repent ne se convertit pas forcément. Judas l’Iscariot, rongé de remords, après avoir livré Jésus, se repentit certes mais ne se convertit pas vraiment, et il finit par se donner la mort. La théologie, surtout contemporaine, a parfois évoqué l’hypothèse, que seul lui a sans doute manqué d’accepter la grâce à lui aussi offerte. Mais mystérieusement la metanoia (conversion) est une oeuvre de Dieu, et Judas pouvait-il y accéder de lui-même ? Quant à la repentance, elle peut se limiter à l’initiative humaine, et procéder des remords de sa propre conscience. http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2004.caballe_a&part=90235 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Ven 15 Jan 2021, 21:08 | |
| Face à un rabâchage multimillénaire (Judas-se-pend-mais-ne-se-repent-pas), nous ne nous répéterons jamais assez... - le suicide de Judas est une exclusivité de Matthieu (il meurt aussi dans les Actes, mais tout autrement); - le verbe metamelomai est distinct de metanoeô (plus "affectif" que "mental" ou "intellectuel", mélo vs. noûs), mais il n'en est pas moins un synonyme partiel (comme tous les synonymes) et il est précisément employé dans Matthieu (parabole des deux fils, 21,29.32) au sens d'un repentir, d'un regret ou d'un remords suivi d'effet (positif)... - l'idée que la metanoia est l'oeuvre de Dieu peut se trouver dans les Actes (5,31; 11,18), à la rigueur dans le corpus paulinien au sens très large (2 Timothée 2,25; cf. 2 Corinthiens 7,8ss qui mêle d'ailleurs metamelomai et metanoia), mais certainement pas chez Matthieu qui insiste au contraire sur le caractère décisif de l'oeuvre, de l'acte ou du faire (humains). |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 18 Jan 2021, 11:17 | |
| « Qui se repent de ce qu’il a fait est doublement malheureux » Spinoza Éthique IV, proposition 54
Mais le repentir ne représente-t-il pas finalement une double peine ? Spinoza, exclu de la synagogue et détesté des chrétiens de son temps, n’hésite pas à poser la question de l’utilité d’un tel « affect », qu’il définit comme « une tristesse qu’accompagne l’idée d’un certain acte que nous nous figurons avoir accompli en vertu d’un libre décret de l’âme ». Selon lui, « le repentir n’est pas une vertu, autrement dit, ne naît pas de la raison ; mais qui se repent de ce qu’il a fait est deux fois malheureux, autrement dit, impuissant ». Cet affect n’a selon lui aucune valeur éthique. Il ne répare pas la faute commise, et peut même s’avérer dangereux en proposant un illusoire palliatif à la réparation effective. De plus, il maintient celui qui l’éprouve dans un état déprimant de passive tristesse, ce qui l’empêche de se ressaisir et de mener une vie joyeuse et active sous la conduite de la raison, exprimant toute la puissance de son être propre, et qui définit la réelle vertu. Le repentir perpétue et redouble le crime initial, qu’il ne fait que ressasser vainement, de la faute éthique fondamentale : vivre en état de servitude et d’impuissance, dominé et ballotté par des passions tristes, au lieu d’être la cause totale et libre de ses pensées et de ses actes. Le repentir n’a donc pas sa place dans une éthique qui cherche à déterminer une règle de vie permettant à l’homme de vivre libre et heureux. Alors que la religion enseigne que la vie est marquée tout entière par le péché, qu’elle doit se repentir d’elle-même, Spinoza considère le repentir comme un « péché » contre la vie humaine. Ceux qui ne se repentent pas de leurs crimes ou de leurs péchés, loin d’être plus mauvais, plus criminels, plus pécheurs, seraient-ils par là « meilleurs », en un sens nouveau, amoral et cynique ? Non, Spinoza ne fait ici nullement l’apologie de la transgression heureuse. Car si, selon lui, la vertu exclut le repentir, il serait faux de dire qu’elle consiste en son contraire ou même qu’elle procède de cette exclusion. En principe, « la vie sous la conduite de la raison » nous dispense d’avoir à nous repentir en nous faisant éviter tout crime. Et si nous devions faillir, il vaudrait mieux réparer les torts causés aux autres et à soi-même en passant à autre chose : en reprenant le chemin difficile d’une vie vertueuse, utile à nous et aux autres hommes . https://www.philomag.com/articles/qui-se-repent-de-ce-quil-fait-est-doublement-malheureux-spinoza-ethique-iv-proposition |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 18 Jan 2021, 12:30 | |
| On trouverait, chez Kierkegaard par exemple, des éloges tout aussi éloquents de la repentance, avec la même tendance à se caricaturer et à se neutraliser eux-mêmes: d'un côté ce serait, à la limite, une faute dont il faudrait se repentir, de l'autre une passion si profonde et si constante qu'elle se passerait de tout acte, de toute cause et de tout effet -- c'est bien à cela qu'aboutit, au fond, la doctrine augustinienne du "péché originel". Il est vrai que toute cette patho-logie est décalée par rapport au lexique grec -- la meta-noia est a priori plus un événement de pensée qu'un sentiment ou une émotion -- et qu'elle dépend en grande partie d'une sensibilité latine qui accompagne en Occident le vocabulaire (pénitence, repentance), toutefois les larmes sont déjà très présentes dans des contextes similaires du NT (2 Corinthiens 7 encore et sa "divine tristesse", kata theon lupè, Pierre après le reniement, la "pécheresse" de Luc 7, ou a contrario Esaü et ses larmes inutiles en Hébreux 12). D'autant que les larmes du pécheur se confondent avec celles du Christ dans une sorte de rédemption lacrymale... Paul Veyne, dans Comment notre monde est devenu chrétien, avait commenté de façon très éclairante le goût des larmes dans l'Antiquité tardive, mais celui-ci vient de loin, de plus loin que l'histoire et que la religion même, si tout cela s'enracine dans les rites de deuil antérieurs aux dieux. |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 18 Jan 2021, 13:59 | |
| Conversion et soumission
Parce qu’elle implique de revenir vers soi en se détournant de ce qui est extérieur, Foucault [Foucault 2001] considère que la notion de conversion constitue l’une des plus importantes technologies du soi qu'a connues l'Occident. En revisitant la philosophie grecque antique, le philosophe inscrit le concept au sein d'une polarité établie autour de deux modèles : l'epistrophê de Platon et la metanoia du christianisme. D'une part, l'epistrophê entraîne un mouvement de retour de l'âme vers sa source, vers l'essence et la vérité de l'Être. Constatant sa propre ignorance, « c'est dans l'acte de réminiscence comme forme fondamentale de la connaissance » [Foucault 2001, p. 201] que le sujet est mené à l'éveil. L'epistrophê repose sur une opposition fondamentale entre le monde terrestre et l'au-delà, et suppose une libération de l'âme par rapport au corps. La metanoia quant à elle découle d'un bouleversement de l'esprit, un renouveau radical ; la mort et la résurrection du sujet fondent l'expérience et la volonté de renoncement de soi à soi. Cette transformation brutale du mode d'être du sujet découle d'un élément unique, soudain, « à la fois historique et métahistorique ». Entre ces deux espaces fondateurs du retour du sujet vers le soi, Foucault relève une troisième démarche inspirée de la culture du soi hellénistique et romaine, à savoir du convertere ad se. Ici, la conversion constitue un processus long et continu d'auto-subjectivation qui ne s'appuie ni sur une opposition entre deux mondes, ni sur un détachement par rapport à son corps. Il s'agit d'un « rapport complet achevé de soi à soi », ou d’« adéquation de soi à soi » qui s’accomplit par l'exercice, la pratique, l'entraînement, l'aksêsis plus que la connaissance du soi. Dans ce processus téléologique, c'est tout l'être qui se concentre sur le soi comme seul et unique objectif. https://journals.openedition.org/theoremes/383 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 18 Jan 2021, 14:55 | |
| Pour mémoire, l' epistrophè n'est autre que le substantif correspondant au verbe epi-strephô, dont nous parlons depuis le début de ce fil comme d'un quasi-synonyme de metanoia: se re-tourner, demi-tour ou volte-face (cf. la kata-strophè ou "catastrophe" qui, elle, tourne vers le bas), soit la con-version au sens étymologique et dans toute sa métonymie... D'autre part Foucault, dans ses derniers travaux, s'intéressait surtout aux stoïciens (cf. ici une discussion connexe). Enfin l' askèsis (et non aksèsis*), "exercice, entraînement", de l'"athlétisme" à la "philosophie", est déjà une métaphore platonicienne, mais son importance ne fait que croître dans le cynisme et le stoïcisme. Au-delà de ces détails philologiques, le regard sociologique et comparatif de cet article est très enrichissant, par plusieurs angles il revient à l'aporie familière, à force de la rencontrer partout, d'un "soi" qui n'est ce qu'il est qu'à constamment différer de "soi", à se laisser et à se reprendre, comme l'"âme" johannique, comme le mouvement de la marche ou de la respiration... |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Mer 20 Jan 2021, 14:02 | |
| Qu’est-ce la métanoïa ?
Puisque l’étymologie des mots semble un bon moyen pour comprendre de quoi il en retourne, décortiquons celui-ci : méta, pour au-delà et noïa, pour esprit. “La métanoïa qualifie un état d’esprit supérieur au précédent”, décrypte Pierre-Éric Sutter. Et la crise, comme opportunité de distinguer le sens du non-sens, est un moment qui se prête à ce travail. Pour l’accompagner, comme expliqué précédemment, il convient non seulement d’accepter l’état de crise mais également de profiter de ce signal pour ouvrir une réflexion profonde et enfin, initier le mouvement. “Quand une crise survient, il est contre-productif d’occulter les dysfonctionnements du modèle”. Une remarque en résonance avec l’actualité ? Très probablement. “La conscientisation est un préalable indispensable, mais pas suffisant, à la transformation. Face à l’adversité, il est important d’utiliser sa créativité pour créer de la résilience et introduire du sens là où il n’y en a pas.” Il rappelle l’inutilité de lutter contre ce que l’on ne peut pas changer et préconise de se concentrer sur les choses à réinventer qu’il qualifie de “véritable réservoir à bien-être”. Aussi, parce que la créativité permet de se raconter à nouveau l’histoire et d’en rétablir la cohérence.
La créativité pour rebondir et se réinventer, mais encore, la mémoire : “la métanoïa n’est possible que si l’on fait l’anamnèse de cette crise”. Se battre contre les amnésies inconscientes, les refoulements et rappeler à notre mémoire l’expérience passée, pour enfin se doter d’une norme de conduite différente et s’ouvrir à plus grand que soi, en soi-même. Et s’il faut convaincre les plus cartésiens, Darwin ne disait-il pas que les “espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes (…), mais celles qui s’adaptent le mieux au changement”. L’adaptabilité comme facteur de résilience, voire, peut-être, comme élan de vie. https://www.com-ent.fr/crise-metanoia-souplesse-et-renouveau/
Dernière édition par free le Mer 20 Jan 2021, 15:23, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Mer 20 Jan 2021, 15:11 | |
| Visiblement, le grec du psychologue commence et s'arrête à Wikipédia... en soi, la metanoia signifie un changement (d'avis, d'opinion, d'attitude, d'état d'esprit, de comportement, etc.) et n'implique aucune "supériorité" axiologique -- c.-à-d. de "valeur", du moins "objective" -- de l'après sur l'avant ou du nouveau sur l'ancien: je précise "objective" car, bien sûr, quand on dit qu'on change ou qu'on a changé, on estime le plus souvent, d'un point de vue "subjectif", que c'est mieux après qu'avant... |
| | | free
Nombre de messages : 10097 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Mer 20 Jan 2021, 16:15 | |
| On pourrait rendre le mot métanoïa par « conversion » et métanoeïn par « se convertir ». La traduction serait excellente. Mais puisque les auteurs du Nouveau Testament font varier leur vocabulaire et utilisent deux familles de mots, métanoeïn et épistrépheïn, il vaut mieux avoir aussi une certaine variété dans la traduction française, et ce d’autant plus que les deux termes apparaissent parfois en parallèle. C’est pourquoi, dans la nouvelle édition de la Bible du Semeur, les termes métanoïa et métanoeïn seront rendus par le mot « changement » ou par le verbe « changer », comme quand on dit à quelqu’un : « Il faut que tu changes. » Cela présente plus de précision, on sent bien que le changement en cause affecte la personne et sa vie. Par exemple, en Actes 2.38, on lira : « Changez, et que chacun de vous se fasse baptiser... ». Et c’est bien ce que le texte grec veut dire ! Par contre, dans les textes où des compléments précisent le sens de métanoeïn en celui de « repentance », la Bible du Semeur rend par des expressions comme « se détourner de », « renoncer à », « abandonner ». Par exemple : « Détourne-toi donc du mal... » (Ac 8.22), « l’abandon des actes qui mènent à la mort » (Hé 6.1), « elle ne veut pas renoncer à son immoralité » (Ap 2.21). On aurait pu garder là les mots « repentance » et « se repentir », mais les expressions ci-dessus sont d’excellents équivalents dans ces contextes. Et si jamais l’on n’était pas convaincu du bien fondé de traduire métanoeïn par « renoncer à » ou « abandonner » au lieu de « se repentir », que l’on considère comment il est utilisé dans la version grecque de Jérémie 18.10 : il est employé pour dire « renoncer au bien », ce qui ne pourrait pas se traduire en français par « se repentir du bien » ! http://flte.fr/wp-content/uploads/2015/09/FR49-Que_signifient_metanoeo_et_metanoia.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Mer 20 Jan 2021, 16:48 | |
| Ironie du sort: la Bible du Semeur, toute "évangélique", aura donc retenu (si du moins elle s'y est tenue) la solution que j'avais proposée pour la NBS ("changer" ou "changement" tout court), mais que le Comité de rédaction de celle-ci a finalement (par une metanoia qui à mon sens n'était pas pour le mieux) alourdie d'un adverbe ou d'un adjectif ("radical-e-ment")... pour ne pas déplaire aux "évangéliques" !
L'exemple de Jérémie 18,10LXX illustre en effet ce que j'essayais de dire dans mon post précédent: la métanoia n'est pas toujours ("objectivement") "pour le mieux", même si elle l'est d'un certain point de vue (car si Yahvé renonce au bien qu'il avait prévu de faire à son peuple, c'est évidemment parce qu'en la circonstance il juge préférable d'y renoncer). Autrement (et nietzschéennement) dit: il n'y a pas de "valeur objective" ou, ce qui revient à peu près au même, il n'y en a qu'à partir d'un point de vue, "subjectif" par définition. |
| | | free
Nombre de messages : 10097 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Jeu 21 Jan 2021, 13:26 | |
| Lecture à partir d’une psychologie relationnelle (extériorité/intériorité)
Gerd Theissen fait remarquer que la conversion au sens de retour (Umkehr) a subi une modification au moment où le terme hébreu shuv a été traduit en grec . Dans la perspective vétérotestamentaire, la thématique du retour renvoie indifféremment à une démarche collective ou individuelle. Dans sa rencontre avec la culture grecque, cette image a été traduite par deux termes : metanoein (Umdenken) et epistrephein (Umwenden). Ces termes s’appliquent moins facilement à une conversion collective qu’à une conversion individuelle. Autrement dit, en passant de l’hébreu au grec, la signification de la démarche de conversion a eu tendance à se concentrer sur l’individu. Par ailleurs, d’un point de vue relationnel, on observe une tendance à intérioriser l’instance avec laquelle s’établit la relation. En parlant de conversion, les prophètes de l’Ancien Testament exploitent abondamment l’image d’un déplacement spatial par rapport à une instance de référence qui est extérieure à celui qui se convertit (peuple ou individu, voire Dieu lui-même). Ils parlent de partir et de revenir. Lorsque Paul parle du Saint-Esprit qui habite dans le croyant, l’instance de référence s’intériorise. Par conséquent, le retour est envisagé en référence à une instance intérieure. D’où une tendance à concevoir le processus de conversion lui-même comme un processus intériorisé. L’attraction ne résulte plus d’une aspiration mais d’une inspiration . Platon déjà comparait l’inspiration divine à la pierre aimantée capable de transférer son pouvoir d’aimantation à un métal. De manière analogue, le dieu tire l’âme des humains et la Muse transforme des humains en « inspirés du dieu » (entheoi). Ainsi, même sur un mode intériorisé, la représentation de la conversion, dans le monde de la Bible, serait le fait d’une hétéronomie de l’individu par rapport à une instance divine (ou son envoyé) qui le surplombe. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2009-1-page-1.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Jeu 21 Jan 2021, 14:58 | |
| L'idée de départ (de l'article) paraissait excellente, je trouve le résultat un peu décevant...
Comme on l'a déjà signalé plus haut, dans la Septante meta-noia/-noeô traduit nhm plutôt que šwb = shuv, ce dernier peut-être une seule fois (la traduction n'est pas assez serrée pour qu'on soit sûr de la correspondance; cf. Hatch & Redpath ad loc.). D'autre part, si la "conversion" n'est guère "collective" au Ier siècle, c'est moins une affaire de langue que de sociologie -- Theissen le sait et l'a dit mieux que quiconque: on n'est plus dans des unités politico-religieuses homogènes où tout un peuple peut se "convertir" avec son roi ou son prince (comme on pourra en retrouver en Occident après le moyen-âge, dans le cadre des Réformes et des guerres de religion, avec le principe cujus regio ejus religio, la religion de chaque région est celle du prince qui la régit): aux grandes villes cosmopolites de l'empire romain conviennent les "mystères", religions de salut et d'élection au double sens du terme, "choisies" ou "élues" par leurs adeptes qui se disent -- comme par compensation -- "choisis" ou "élus" par la divinité. C'est cela qui favorise un discours de "conversion" complexe, quels qu'en soient la langue et le lexique, puisqu'il s'agit de rendre compte d'un "choix" à la fois actif et passif, agi et subi par le "sujet" -- qui pour n'être plus "ethnique" n'est pas non plus strictement "individuel": le "sujet" de la conversion est aussi bien la famille ou la "maisonnée", dans le sens large du clientélisme romain, avec ses esclaves, ses affranchis et autres "obligés", que l'individu stricto sensu.
D'un point de vue plus "synchronique" et "contemporain" (c'est presque le même mot), plus personnel, subjectif ou autobiographique aussi, il me semble qu'une certaine continuité empirique et psychologique, de l'"expérience", peut l'emporter sur la classification des types ou des catégories de "conversions" (retour à une tradition ethnique et familiale qu'on n'a jamais pratiquée ou qu'on a abandonnée, changement de religion, adhésion à une religion à partir d'aucune ou abandon d'une religion pour aucune autre). Il y a au moins quatre moments de ma vie qui peuvent être décrits comme une "conversion": mon adhésion au jéhovisme vers l'âge de 12-13 ans, à partir d'une éducation vaguement catholique et d'un agnosticisme de fait; mon retour au jéhovisme après une période d'éloignement vers 14-15 ans, mon abandon du jéhovisme (que j'ai vécu simultanément comme un "abandon de soi" et une adhésion plus profonde au christianisme) vers 26 ans, et mon abandon de toute appartenance religieuse vers 40 ans. Ce que j'y vois de commun pour ma part, rétrospectivement bien sûr et en dépit des contradictions objectives de tous ces mouvements, c'est à chaque fois une longue préparation inconsciente ou sub-consciente suivie d'une prise de conscience soudaine et fulgurante, d'un "changement" accompli plutôt que décidé ou à décider. Evidemment ça n'a rien d'universel ni de nécessaire, dans certains cas l'absence d'un tel "changement" peut être encore plus significative -- je repense à un professeur de la Faculté évangélique de Vaux-sur-Seine, fils d'une grande figure "évangélique" du début du XXe siècle, qui admettait honnêtement n'avoir jamais connu une telle "conversion", dans un milieu où il était de rigueur d'en arborer une (certains le surnommaient ironiquement pour cela le "petit-fils de Dieu", par référence à une doctrine de la "nouvelle naissance" où Dieu n'aurait précisément pas de "petits-enfants").
(On pourra toujours, si le coeur en dit, se promener par ici.) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Dim 20 Juin 2021, 11:37 | |
| Je repense à ce fil, qui est resté jusqu'ici très (sagement ?) "biblique" et "religieux", en me disant que son thème (métanoïa ou "conversion") pourrait avoir une importance philosophique, psychologique et surtout politique considérable.
Si depuis quelques décennies la "repentance" a fait un retour remarqué sur la scène politico-médiatique, au niveau des Etats ou d'autres institutions (p. ex. les grandes Eglises "historiques"), le plus souvent pour se repentir des crimes ou des fautes d'un passé plus ou moins lointain, les "péchés des ancêtres" en somme (génocides, massacres, esclavage, colonisation, ségrégation, oppression ou exploitation catégorielles, "injustices" en tout genre; ce dont on a amplement parlé ailleurs, notamment autour de la question du "pardon"), il est bien plus difficile à une métanoïa de se faire entendre là où elle serait effectivement utile, voire vitale: pour interrompre, suspendre, interroger, et éventuellement infléchir, arrêter ou renverser des processus en cours, leur "dynamique" ou leur "inertie" (c'est la même chose), alors même que leur issue catastrophique devient évidente pour tout le monde et que plus personne ne croit à leur justification idéologique, rationnelle ou morale.
De ce point de vue la séquence, "historique" en plus d'un sens, qui a mis "l'histoire" et le "progrès" au coeur de la "pensée" et qui remonte au moins au début du XIXe siècle (Hegel et ses suites au plan "philosophique", corollaires des "révolutions" politiques, industrielles et du "progrès technique"), se sera surtout caractérisée par son incapacité à ré-fléchir sur elle-même, selon le sens élémentaire de la méta-noïa, ne serait-ce que pour in-fléchir sensiblement sa trajectoire: ni les guerres mondiales, ni les camps d'extermination, ni les bombes atomiques, ni l'explosion démographique, ni la destruction à grande échelle de la biodiversité n'auront réussi à remettre en question le paradigme du progrès et de la maîtrise éco-techno-politique, puisque c'est toujours de ceux-ci, à chaque crise ou problème, qu'on attend des "solutions". Une sorte de paralysie du mouvement même, d'aveuglement de la lucidité rationnelle et critique, qui serait tout à fait fascinante de quelque point de vue extra-terrestre ou extra-humain, mais qui paraît étonnamment exclue, ou forclose, du "cadre" implicite de la pensée humaine ordinaire, médiatique, politique et technoscientifique, celle qui "décide" de tout hormis de ce qui serait décisif.
Vue sous cet angle, la métanoïa se prêche toujours, au présent, dans le désert: ou comme anticipation de "repentances" futures, rétrospectives et inutiles dans la mesure où elles ne feront que conforter le "consensus" du moment, sans jamais le remettre en question.
Il est déjà assez rare qu'un individu se laisse arrêter par le doute au beau milieu de son chemin, non pas au fond d'une impasse, pour réfléchir, faire demi-tour ou bifurquer -- en fait il s'agit presque toujours d'une impasse, même s'il est le seul à la voir. Mais que cela arrive à une société dans son ensemble, surtout en l'absence d'autre chemin balisé et tant qu'il paraît encore possible d'"avancer", c'est quasiment impensable.
A cet égard, on pourrait dire que la métanoia se heurte à une autre "valeur biblique", surtout chrétienne, celle de la pistis, "foi" ou "fidélité", dont l'ambiguïté même est le principal obstacle: la "foi" qu'on s'en sortira toujours, pourvu qu'on reste "fidèle" à ses "idéaux", voilà qui n'incite guère à la remise en question, autrement dit à une métanoïa effective. |
| | | free
Nombre de messages : 10097 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 21 Juin 2021, 11:52 | |
| " En ce temps-là, quelques personnes vinrent lui raconter ce qui était arrivé à des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs sacrifices. Il leur répondit : Pensez-vous que ces Galiléens aient été de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, parce qu'ils ont souffert de la sorte ? Non, je vous le dis. Mais si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous de même. Ou encore, ces dix-huit sur qui est tombée la tour de Siloam et qu'elle a tués, pensez-vous qu'ils aient été plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis. Mais si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous pareillement. Il disait aussi cette parabole : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas. Alors il dit au vigneron : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le donc : pourquoi occuperait-il la terre inutilement ? » Le vigneron lui répondit : « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je creuse tout autour et que j'y mette du fumier. Peut-être produira-t-il du fruit à l'avenir ; sinon, tu le couperas ! » (Luc 13,1-9).
Le v 1, fait allusion à une répression violente perpétrée par Pilate, pourtant face à ce mal commis, Jésus affirme "si vous ne changez pas radicalement, vous disparaîtrez tous de même". pourquoi les auditeurs de Jésus devaient-ils périr comme ces malheureux Galiléens s'ils faisaient pas cet acte de repentance ? Jésus ne fait même pas allusion aux coupables, à ceux qui sont à l’origine du mal. Dans ce cas précis, Jésus invite (peut-être) ses auditeurs surtout à approfondir sa connaissance des choses et des situations, approfondir son regard sur la vie. Ces victimes Galiléens ont (peut-être) manifesté ce manque de réflexion et de profondeur. C'est une invitation à sortir de nos petits conforts, de nos certitudes et d'une certaine étroitesse d’esprit. Ne pas accepter ces défis c’est porter sur nous-mêmes notre propre condamnation. La parabole du figuier stérile met en évidence l'idée que nous avons toujours (pour l'instant) une chance de plus pour changer notre vie, notre système et notre société. La metanoia peut nous permettre choisir entre le changement et l'acceptation du statu quo. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 21 Juin 2021, 12:11 | |
| C'est un des passages "originaux" de Luc, intéressant comme souvent, beaucoup plus à mon sens que la "théologie historique" qui caractérise l'ensemble Luc-Actes -- pour rappel, le figuier sans fruit devenu "parabole" remplace le "miracle négatif" de Marc 11, omis par Luc. Ce que je trouve remarquable pour ma part, c'est que la métanoïa (je ne reviens pas sur la question du changement "radical" ou pas, cf. supra 14.1.2021) est ici expressément déconnectée de toute "faute": les victimes d'une exaction politico-militaire (ou policière) comme celles d'un accident ne sont coupables de rien en particulier, leur mort n'est donc pas un "châtiment", c'est écrit noir sur blanc. Et c'est précisément ce qui donne toute sa force à l'interpellation, à l'appel à une "ré-flexion" (plutôt que "repentance", au moins dans ce cas) qu'aucune "bonne conscience", en principe, ne devrait éluder. Non par crainte d'une "punition", mais devant la simple évidence de la mort, certaine en général, toujours possible en particulier, de n'importe qui n'importe quand, n'importe où et n'importe comment: la mort arbitraire ou aléatoire, absurde, sans raison, pourtant assurée à tous au bout du compte. Ce qu'au fond tout le monde sait tout en évitant d'y penser. Dans cette perspective, si l'on persiste à envisager les choses d'une manière "morale" ou "pénale" (ce qui est bien évoqué par les questions du texte, même pour être aussitôt nié ["non"]: hamartôloi = "pécheurs", opheilètai = "débiteurs", soit des métaphores plutôt "sacrale" -- en contexte plus ou moins "juif" -- et "commerciale" respectivement, mais toutes deux intégrées dans le vocabulaire éthico-judiciaire contemporain, au sens de "coupables" qui doivent "expier" ou "payer"), on arrive forcément à quelque chose comme l'idée du "péché originel", telle qu'elle va se développer effectivement de Paul (Romains) à saint Augustin; ou alors telle qu'on peut l'interpréter d'après une notion de "justice" bien plus ancienne (cf. encore Anaximandre), "faute" congénitale et coextensive à l'"existence" même, dont seule la disparition fait " justice". En tout cas cela devrait donner à penser ou à ré-fléchir, selon le premier sens, sinon le dernier, d'une méta-noïa, qui peut aussi bien aboutir à considérer la mort tout autrement qu'une punition. Voir aussi ici.
Dernière édition par Narkissos le Lun 21 Juin 2021, 13:10, édité 1 fois |
| | | free
Nombre de messages : 10097 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 21 Juin 2021, 13:06 | |
| Qu’est-ce la métanoïa ?
Puisque l’étymologie des mots semble un bon moyen pour comprendre de quoi il en retourne, décortiquons celui-ci : méta, pour au-delà et noïa, pour esprit. “La métanoïa qualifie un état d’esprit supérieur au précédent”, décrypte Pierre-Éric Sutter. Et la crise, comme opportunité de distinguer le sens du non-sens, est un moment qui se prête à ce travail. Pour l’accompagner, comme expliqué précédemment, il convient non seulement d’accepter l’état de crise mais également de profiter de ce signal pour ouvrir une réflexion profonde et enfin, initier le mouvement. “Quand une crise survient, il est contre-productif d’occulter les dysfonctionnements du modèle”. Une remarque en résonance avec l’actualité ? Très probablement. “La conscientisation est un préalable indispensable, mais pas suffisant, à la transformation. Face à l’adversité, il est important d’utiliser sa créativité pour créer de la résilience et introduire du sens là où il n’y en a pas.” Il rappelle l’inutilité de lutter contre ce que l’on ne peut pas changer et préconise de se concentrer sur les choses à réinventer qu’il qualifie de “véritable réservoir à bien-être”. Aussi, parce que la créativité permet de se raconter à nouveau l’histoire et d’en rétablir la cohérence.
La créativité pour rebondir et se réinventer, mais encore, la mémoire : “la métanoïa n’est possible que si l’on fait l’anamnèse de cette crise”. Se battre contre les amnésies inconscientes, les refoulements et rappeler à notre mémoire l’expérience passée, pour enfin se doter d’une norme de conduite différente et s’ouvrir à plus grand que soi, en soi-même. Et s’il faut convaincre les plus cartésiens, Darwin ne disait-il pas que les “espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes (…), mais celles qui s’adaptent le mieux au changement”. L’adaptabilité comme facteur de résilience, voire, peut-être, comme élan de vie.
https://www.com-ent.fr/crise-metanoia-souplesse-et-renouveau/
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12454 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion Lun 21 Juin 2021, 13:41 | |
| Tout cela peut en effet être entendu à différents niveaux... (pour cet article, cf. supra 20.1.2021).
Le christianisme semble avoir d'abord accordé à la métanoïa une place relativement restreinte et négative, comme point de départ de la "conversion": rupture avec une "vie antérieure" -- éventuellement juive, généralement "païenne"; en devenant une religion de tradition, surtout avec le baptême des enfants, il l'a reportée et diffusée tout au long de la "vie chrétienne", comme "pénitence" constante ou du moins régulière (confession, absolution). On peut comprendre que les théologies les plus "profondes" du NT (première partie du corpus paulinien, écrits johanniques, épître aux Hébreux), qui n'étaient pas des écrits de propagande à destination de l'extérieur ni des manuels de catéchisme à l'usage des néophytes, en aient fait peu de cas. La notion en soi n'en est pas moins susceptible d'une saisie beaucoup plus "profonde" et féconde, sinon "positive", si on la comprend comme remise en question, ré-flexion, voire "méditation" (au moins au sens occidental du terme, qui n'exclut pas la "pensée", bien au contraire). Ce qui se joue dans le paulinisme entre "chair" et "esprit", dans le johannisme avec la "naissance d'en haut" ou le passage de la mort à la vie, dans l'épître aux Hébreux avec le passage des "ombres" à l'éternel, cela pourrait aussi bien s'appeler métanoïa; mais ce n'est pas le cas dans le NT parce que ce terme est déjà cantonné pour l'essentiel au seuil de l'"initiation", supposé dépassé par les destinataires, et pas encore étendu à un rituel de "pénitence" pour les convertis. |
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| Sujet: Re: La métanoïa ou la conversion | |
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