Le sang & les Témoins de Jéhovah

Comment ceux qui se disaient chrétiens dans les premiers siècles de notre ère comprenaient-ils les commandements de la Bible relatifs au sang?

Tertullien (env. 160-230): “Rougissez de votre aveuglement devant nous autres chrétiens, qui ne regardons pas même le sang des animaux comme un des mets qu’il nous est permis de manger. (...) Aussi, pour mettre les chrétiens à l’épreuve, vous [les païens de Rome] leur présentez des boudins gonflés de sang, bien convaincus que ce mets est défendu chez eux et que c’est un moyen de les faire sortir du droit chemin. Comment pouvez-vous donc croire que ces hommes qui ont horreur du sang animal (vous en êtes persuadés) sont avides de sang humain?” — Apologétique (Paris), traduction de J. Waltzing et A. Severyns, p. 23.
Minucius Felix (III^e siècle): “Si grande est notre répugnance pour le sang humain que nous nous abstenons même d’employer dans notre alimentation du sang des animaux qui peuvent se manger.” — The Ante-Nicene Fathers (Grand Rapids, 1956) de A. Roberts et J. Donaldson, tome IV, p. 192.

http://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1101989215

Pourquoi la répugnance pour le sang a-t-elle duré dans certains milieux chrétiens non-juifs ?

free a écrit:

Pourquoi la répugnance pour le sang a-t-elle duré dans certains milieux chrétiens non-juifs ?.

Bonne question, et bien posée !

Parce que pendant longtemps la frontière n'est pas hermétique entre "judéo-christianismes" et "grande Eglise"; parce qu'il y a tout un courant du christianisme non paulinien, voire anti-paulinien sur la question de la validité (au moins théorique) de la Loi, qui est cependant ouvert aux non-Juifs (c'est le cas des milieux producteurs de Matthieu et de la Didachè, par exemple), et accepte ces derniers sous réserve d'une conformité minimale (associée ou non au concept de "lois noachiques", cf. Genèse 9, qui implique le respect du sang -- quoi qu'on entende exactement par là -- et non la circoncision, par exemple; relire ce fil depuis la p. 3); parce que le fameux "décret apostolique" d'Actes 15, qui (dans sa version orientale) exprime grosso modo ce point de vue, même s'il n'est pas aussi "apostolique" et surtout aussi "universel" qu'il s'en donne l'air, reflète bien la pratique d'une fraction importante de "l'Eglise" à la fin du Ier siècle, et que cela va marquer les générations suivantes, plus dans certains milieux pagano-chrétiens que dans d'autres évidemment, au hasard des chemins de la tradition (un missionnaire ou un groupe issu de tel type de christianisme va naturellement transmettre certaines caractéristiques de son milieu d'origine là où il se déplace et fonde de nouvelles Eglises, ou prend l'ascendant sur celles qui existent déjà).

(Actes 21:20-26- TMN) Après avoir entendu cela, ils se mirent à glorifier Dieu, et ils lui dirent : “ Tu vois, frère, combien de milliers de croyants il y a parmi les Juifs ; et ils sont tous zélés pour la Loi. Mais à ton sujet ils ont entendu raconter que tu enseignes à tous les Juifs parmi les nations l’apostasie à l’égard de Moïse, leur disant de ne pas circoncire leurs enfants et de ne pas marcher dans les coutumes [solennelles]. Que faire alors ? De toute façon, ils vont apprendre que tu es arrivé. Fais donc ce que nous te disons : Nous avons quatre hommes ayant sur eux un vœu. Emmène ces hommes, purifie-toi rituellement avec eux et charge-toi de leurs dépenses, pour qu’ils puissent se faire raser la tête. Ainsi tout le monde saura qu’il n’y a rien [de vrai] dans les choses qu’ils ont entendu raconter à ton sujet, mais que tu marches de manière ordonnée, gardant, toi aussi, la Loi. 25 Quant aux croyants d’entre les nations, nous avons pris notre décision et nous [l’]avons envoyée : ils doivent se garder de ce qui est sacrifié aux idoles ainsi que du sang, et de ce qui est étouffé, et de la fornication. ” Alors Paul emmena ces hommes le lendemain, il se purifia rituellement avec eux et entra dans le temple, pour annoncer les jours qui seraient accomplis pour la purification rituelle, jusqu’au moment où l’offrande devait être présentée pour chacun d’eux."

Une lecture attentive nous amène à remarquer :

1) Conformment à Actes 15,21, c'est bien en raison de la présence de nombreux juifs zélés pour la loi parmi les chrétiens que le concile a décidé "d'imposer" ces interdits aux convertis païens et NON pour établir des lois "chrétiennes".

2) Actes 21,25 indique clairement que ces interdits ne concernaient QUE les "croyants d'entre les nations" et NON l'ensemble des chrétiens.

3) Les anciens  demande à Paul de faire semblant d’être encore sous la Loi mosaïque, ce qui indique que l'enjeu du concile était de régler un conflit ponctuel dans l'esprit de ménager les croyants juifs. Il n'est pas question de lois intemporelles et universelles.

4) qu'ici "Jacques" informe "Paul" de l'existence et de la teneur du "décret" alors qu'aux chapitres 15 et 16 "Paul" est censé avoir assisté (sinon participé) à sa promulgation et assuré lui-même sa diffusion... (accessoirement, le "Paul" auteur de 1 Corinthiens 8--10 ignore tout dudit "décret" quand il parle des "idolothytes" ou "viandes sacrifiées aux idoles" comme d'une affaire de "conscience" et non d'un interdit absolu).

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free a écrit:

2) Actes 21,25 indique clairement que ces interdits ne concernaient QUE les "croyants d'entre les nations" et NON l'ensemble des chrétiens.

J'ai du mal à suivre la logique de cet argument: à part les "croyants d'entre les nations" = "non-Juifs" ou "pagano-chrétiens", et les Juifs (qui selon ce texte au moins respectent la Loi), il y a qui d'autre, dans "l'ensemble des chrétiens" ?

Citation :

3) Les anciens demande à Paul de faire semblant d’être encore sous la Loi mosaïque, ce qui indique que l'enjeu du concile était de régler un conflit ponctuel dans l'esprit de ménager les croyants juifs.

Je ne sais pas si "faire semblant" est très juste: dans les Actes Paul est juif, et rien n'indique qu'il prenne la moindre distance à l'égard de la loi (contrairement bien sûr au Paul des épîtres). Tout ce qui ressemble de près ou de loin à la théologie anti-loi des épîtres de Paul est, dans les Actes, attribué à Pierre.
Cela dit, que le "décret" joue bien sur la "frontière" entre judaïsme et christianisme est une évidence, aussi impliquée par la note justificative qui fait immédiatement suite à l'énoncé du décret en Actes 15,21: "Depuis les générations anciennes, en effet, Moïse a dans chaque ville des gens qui le proclament, puisqu'on le lit chaque sabbat dans les synagogues."