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| Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint | |
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Auteur | Message |
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thessray
Nombre de messages : 151 Age : 93 Date d'inscription : 31/03/2008
| Sujet: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 13 Juin 2011, 22:39 | |
| Aujourd'hui les chrétiens ( tout azimut ) ont célébré la pentecôte ou fête de l'esprit saint commentant le récit des Actes Chap 2. Les apôtres reçoivent l'esprit saint qui se manifeste d'abord sur chacun d'eux par des langues de feu. Mais ce qui est surprenant concerne la foule rassemblée en ce jour à Jérusalem venue de contrées éloignées et de différentes langues. Quand ils entendent parler les apôtres ils sont surpris de comprendre chacun dans son dialecte et ils vont même à se dire (12§13) Que veux dire ceci ? et d'autres se moquant disaien : ils sont plein de vin doux. Quelle signification donne t on à ce" parler en langues " Est ce à prendre au sens littéral et que donne aujourd'hui l'église catholique ou protestante sur ce phénomène. Que dise exactement les premiers textes chrétiens. Y a t il eu des ajouts de ce comte rendu de l'auteur. Peur être Anagnoste aura une réponse à donner ! |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 14 Juin 2011, 00:03 | |
| Hier (déjà avant-hier) plutôt: la Pentecôte chrétienne, comme Pâques, est un dimanche (les lundis correspondants sont des "bonus" du calendrier républicain). :) Pour moi c'est l'exemple par excellence du "mythe fondateur" (de l'Eglise en l'occurrence). Sûrement pas un "compte rendu" de quoi que ce soit. Comme on l'a relevé ailleurs, Marc, Matthieu et Jean (21) renvoient les disciples en Galilée aussitôt après Pâques. Jean 20 décrit même la transmission de l'Esprit aux apôtres le soir de Pâques (v. 21ss). Seul Luc (ce n'est pas un hasard) les garde à Jérusalem (ou les y ramène, dans le cas des disciples d'Emmaüs) pour l'Ascension et la Pentecôte qui sont deux "exclusivités" des Actes. Le choix de la Pentecôte (en hébreu shavou'oth, fête des "Semaines" parce que célébrée 7 x 7 jours après l'offrande des prémices; le grec pentekostè veut dire "cinquantième") se comprend mieux quand on sait qu'en plus de son sens ancien (agraire) de fête des moissons, elle avait acquis dans le judaïsme du Second Temple un sens plus religieux, associé au renouvellement de l'Alliance (cf. 2 Chroniques 15,10ss; Jubilés 6,17ss) et au don de la Loi au Sinaï (sens qu'elle a encore dans le judaïsme actuel). Jour idéal en somme pour le "lancement" de l'Eglise de la "nouvelle alliance". Le récit, en gros, fonctionne comme un "Babel à l'envers", qui donne le coup d'envoi de la "mission" conduisant de Jérusalem à Rome. Il permet de rapporter l'Eglise universelle à une source unique (par "explosion" ou "big bang", si l'on peut dire). L'utilisation qui est faite du "parler en langues" est à comparer à sa description en 1 Corinthiens 12--14. De cette pratique de certaines Eglises hellénistiques (un "charabia" extatique, accompagné dans le meilleur des cas d'une "interprétation" également "inspirée" qui lui donne un sens), l'auteur des Actes tire un "miracle" tout à fait différent dans ses effets; ou plutôt deux (car ici deux versions de l'histoire se télescopent): d'une part les apôtres semblent parler toutes les langues (réelles) de leurs auditeurs, d'autre part ce sont ces derniers qui semblent miraculeusement comprendre ce que les apôtres disent. Bref, je crois qu'en dehors des milieux "fondamentalistes" personne ne se fait guère d'illusion sur le caractère "merveilleux", c'est-à-dire "légendaire", du récit. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 22 Mai 2018, 14:44 | |
| Confrontation des deux récits dans l’événement de l’effusion de l’Esprit selon Ac Les deux récits reliés successivement l’un à l’autre pour servir de base narrative à la théologie lucanienne du rôle de l’Esprit Saint au cœur de l’Alliance nouvelle possèdent pourtant chacun une perspective presque opposée. En effet, la théophanie du Sinaï et le renouvellement de l’Alliance célébrée lors de la fête de Shavouôt correspondent au cœur même du judaïsme ; c’est le nœud qui relie de manière irrévocable Israël à son Dieu, qui définit le peuple face aux nations païennes. Jérusalem en est le lieu par excellence. De son côté, le récit de Babel plonge le lecteur dans le monde antérieur à l’Alliance, antérieur même à Abraham, donc le monde païen, dans son extraordinaire et inexplicable diversité. C’est l’expérience inverse de Gn 2-3 et de l’unité du genre humain dans un couple primordial. Or, en indiquant la répartition des Juifs présents à Jérusalem lors de la Pentecôte chrétienne[4], Luc tente d’imposer subrepticement une vision selon laquelle le renouvellement de l’Alliance se fera par les Juifs de la diaspora ; les Juifs de Jérusalem en sont dépossédés sans le savoir. De ce fait, la nécessité du rassemblement corrige sévèrement ce que la théophanie peut avoir d’absolu dans la tradition juive comme symbole de la vraie religion. La division des langues de Babel corrigé par le don de l’Esprit du Christ fonde une théologie de l’évangélisation comme rassemblement d’un Israël décentré de la Torah et des coutumes rabbiniques.
L’arrière-fond rabbinique[5]
La tradition juive a relevé dans le récit d’Ex 19-20 des traits évoquant la sollicitude de Dieu ou destinés à nourrir la piété des fidèles. 1/ Les langues ont pour but de rendre visible la Parole que les Douze et leurs compagnons devront annoncer. Une parole visible, cela est impossible : la parole appartient au monde des sons. Sauf précisément lors de la théophanie du Sinaï. Car on lit en Ex 20, 18 : « Tout le peuple, voyant ces voix, ces lueurs, ce son de trompe et la montagne fumante… » Il est bien écrit que le peuple voyait les voix. Évidemment, il s’agissait des tonnerres accompagnant le phénomène orageux. Plus précisément, le fait de voir portait d’abord sur les éclairs et la fumée qui montait des pentes de la montagne ; à proprement parler, pas sur le tonnerre, qui est un son ; il n’est mentionné dans la phrase que par simplification. Le fait n’a pas échappé aux commentateurs juifs ; fidèles à leur exégèse des moindres détails pouvant manifester la sollicitude de Dieu pour le peuple, ils n’ont pas manqué de s’arrêter sur l’expression prise dans sa matérialité : les « voix » étaient bel et bien visibles, cela ne fait aucun doute. Voilà comment le juif théologien contemporain de saint Paul, Philon d’Alexandrie, en prolongeant le Targum, explique les phénomènes cosmiques entourant la théophanie du Sinaï : Dieu créa dans l’air un bruit (èchon)invisible et ce bruit transforma l’air en feu de flammes ; une voix retentissait du milieu du feu venu du ciel, dont la flamme se transformait en un langage adapté aux auditeurs ; les paroles étaient formulées avec une telle clarté qu’on avait l’impression de les voir. Très certainement, Luc avait connaissance de cette tradition quand il a voulu transcrire l’extraordinaire expérience de l’Esprit qu’ont faite les premiers chrétiens autour du groupe des Douze.
Les "mini-pentecôtes" des Actes On ne peut laisser de côté le fait que Luc considère que l’effusion de l’Esprit accompagne l’Église dans sa marche. C’est le sens de ces brefs passages dans lesquels il note presque en passant comment un groupe reçoit le même privilège que les Douze. Lors de la prière de la communauté réunie à l’issue du premier emprisonnement de leurs chefs (4, 31) : « Tandis qu'ils priaient, l'endroit où ils se trouvaient réunis trembla ; tous furent alors remplis du Saint Esprit et se mirent à annoncer la parole de Dieu avec assurance. » Sur la maison de Corneille, païen (10, 44) : « Pierre parlait encore quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole. » Sur le groupe des croyants que trouve Paul lors de sa première visite à Éphèse et qui n’avaient reçu que le baptême de Jean (19, 5-6) : « Ils se firent baptiser au nom du Seigneur Jésus ; et quand Paul leur eut imposé les mains, l'Esprit Saint vint sur eux, et ils se mirent à parler en langues et à prophétiser. »
http://biblissimo.com/article-pentecote-actes-des-apotres-structure-redactionnelle-interpretation-biblique-76576971.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 22 Mai 2018, 17:49 | |
| N.B.: La citation (importante) de Philon est tirée du De Decalogo, xi/46 (cf. 44ss; voir aussi De Migratione Abrahami, ix/43ss; De Vita Mosis I, xii/65ss). Bien sûr, pour Philon qui s'inscrit dans la tradition philosophique grecque et notamment platonicienne c'est la "vue de l'esprit", l'intelligence de l'intelligible dominée par l'analogie du visible (eidos-idea, l'"idée" conçue comme la "forme" perçue), qui compte: la "parole visible" est pour lui un sens ou un "signifié" immédiatement intelligible, qui ferait l'économie du signifiant: du mot, de la phrase, du texte, de la grammaire et de l'interprétation (donc de tout le travail d'un Philon).
La diaspora juive intéresse les Actes dans la mesure où elle est le terrain d'émergence des Eglises chrétiennes, rassemblées en Eglise unique par le récit d'origine qui les rattache à Jérusalem, à la Pentecôte et donc aux apôtres et à Jésus (cf. a contrario le traitement très négatif des "Juifs d'Asie [Mineure]" présentés systématiquement comme persécuteurs des chrétiens et fauteurs de troubles au regard de l'Empire; la représentation de la diaspora occidentale est peut-être un peu plus favorable, avec une synagogue romaine "neutre" et apparemment ignorante du christianisme au chapitre 28 -- malgré la Pentecôte !). Il faut combiner cela avec un autre trait de ce livre que nous avons relevé ailleurs (je ne sais plus où): à Jérusalem "les apôtres et les anciens" prennent au fil du récit la place du sanhédrin ("les grands prêtres et les anciens"), ce qui met l'Eglise en situation d'héritière légitime du judaïsme dans son ensemble (et donc relègue le judaïsme effectif, "réfractaire" à la nouvelle économie chrétienne, dans une position illégitime). L'antijudaïsme des Actes n'est sans doute pas le plus apparent mais l'un des plus pernicieux. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mer 23 Mai 2018, 09:19 | |
| L’envergure universelle de cette miraculeuse communication se dit par l’énumération des peuples présents dans la foule : « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici, tous, tant juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu » (2, 9-11). On s’est beaucoup interrogé sur l’origine de cette liste des peuples et le sens de ce répertoire Il ressemble effectivement à la Table des nations de Gn 10, déjà mentionnée à propos de l’envoi en mission des 72 disciples (Lc 10), qui dresse la liste des descendants de Noé et de leurs territoires. Le plus important est de relever le parcours qu’il suggère au lecteur : en trois vagues successives (quatre peuples, puis quatre provinces romaines, puis quatre régions), il dresse l’image du monde vu de Jérusalem. Les trois cycles en effet suivent chacun un mouvement circulaire autour de la Ville sainte. C’est donc une image du monde qu’a voulu dresser Luc, mais en précisant que la foule est composée de juifs et de prosélytes, il restreint ce microcosme au judaïsme de la diaspora. En d’autres termes, l’universalité de la Pentecôte n’est encore qu’interne au judaïsme.
Pourquoi cette restriction au judaïsme dans l’empire romain ? Luc, nous l’avons dit, est historien et théologien. Comme historien, il sait que l’extension universelle de la mission chrétienne ne fut pas immédiate, mais a résulté d’un processus évolutif. Comme théologien, il maintient qu’Israël est le premier destinataire de la venue du Messie. Mais, en même temps, il tient à faire savoir que, dès le commencement, l’universalité était préfigurée. C’est pourquoi, si l’explosion spirituelle de la Pentecôte est destinée au judaïsme exclusivement, le discours interprétatif de Pierre, qui suit l’événement, fait résonner déjà des échos universels : « C’est à vous qu’est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu’à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera » (2, 39). Et plus loin : « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en lui [Jésus] ; car aucun autre nom, sous le ciel, n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut » (4, 12 [dans les deux cas c’est nous qui soulignons]). Or, ces accents massivement universalistes évoquent immanquablement l’espérance prophétique de la restauration eschatologique d’Israël, avec le rassemblement attendu des exilés de toutes nations sur le mont Sion. Pentecôte annonce ainsi in nuce l’essor mondial de la Parole tout en réalisant l’antique promesse du pèlerinage eschatologique des exilés à la Ville sainte.
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2012-1-page-35.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mer 23 Mai 2018, 14:08 | |
| Face à la prose toujours édifiante et apologétique de Marguerat (et Steffek cette fois-ci) il me faut à nouveau confesser mon manque de sympathie pour la "théologie historique" de Luc-Actes, qui représente à mes yeux la synthèse la plus superficielle, pour ne pas dire la plus stupide et la plus abrutissante, mais aussi la mieux adaptée à la survie et comme telle promise à un grand avenir, des "christianismes" du NT. Ça ne m'empêche pas d'aimer de nombreux morceaux de ces textes, mais plutôt à contresens de leur projet général.
Il faut bien comprendre ce que signifie cette mise en histoire: LE christianisme (unifié par l'invention narrative d'une origine unique correspondant à sa fédération effective en "grande Eglise") est la vérité d'une époque, parce que Dieu l'a voulu ainsi comme il a voulu les autres caractères vainqueurs et dominants de cette époque, au premier chef l'empire romain. Tout ce qui ne va pas dans le sens de l'époque et de l'histoire peut être regardé avec condescendance, du judaïsme à l'"idolâtrie" ou à la philosophie "païennes", comme autant de vestiges obsolètes d'un passé révolu: des "choses d'un autre âge", aimables dans la mesure où elles servent de repoussoir et de faire-valoir à la vérité triomphante du présent, regrettables dans la mesure où elles lui résistent ou lui mettent des bâtons dans les roues, comme par un combat d'arrière-garde, alors qu'elles n'ont aucun avenir. Ironiquement, c'est en reproduisant le même geste que la modernité occidentale, des Lumières au marxisme p. ex., se débarrassera de l'héritage chrétien et médiéval au nom d'un "progrès" toujours indiscutable. Tout le "grand récit lucanien", de Bethléhem à Rome en passant par Jérusalem pour le "tournant" en quatre épisodes de la Crucifixion, de la Résurrection, de l'Ascension et de la Pentecôte, récité depuis par tous les catéchismes bien que sous cette forme il n'existe que dans Luc-Actes, est au service de cet optimisme inexorable du "sens de l'histoire" qui n'a guère été remis en question que depuis quelques décennies (non sans le risque d'interpréter encore cela comme un "progrès", et de réinscrire ainsi dans le schéma historique sa propre mise en cause).
Le mot-clé de Luc-Actes à mon sens, même s'il paraît anachronique et ne s'y trouve pas à la lettre, c'est bien le "progrès" avec tout ce qu'il implique (on n'arrête pas le progrès, et si on se met en travers de son chemin on est aussitôt disqualifié comme "réactionnaire", "conservateur" ou "passéiste"). Certes il y avait déjà de ça dans l'historiographie de l'AT, en particulier dans sa veine dite "deutéronomiste", mais avec une différence fondamentale: elle ne "refaisait" ou ne "réécrivait" l'histoire d'Israël qu'en se réinventant aussi une origine lointaine qui la justifiait. La Torah d'Esdras-Néhémie ou de Josias ne se présentait pas comme une "nouveauté" -- ce qu'elle était pourtant pour l'essentiel -- mais comme la redécouverte ou la restauration d'une constitution originelle (Torah de Moïse), antérieure à la majeure partie de l'histoire racontée et ainsi capable de la surplomber, afin de lui servir de juge et de critère. Le christianisme, en particulier lucanien, ne se donne pas cette peine: il assume sa nouveauté comme historiquement nouvelle, mais comme une nouveauté prévue et annoncée de longue date (sens de la référence aux "prophéties" et de tout ce qui dans le récit du passé lointain semble "annoncer" les développements plus récents -- ainsi de l'"universalisme", autrement dit "catholicisme", que les Actes "réalisent" mais qui était "programmé" dès le récit de la Nativité). En ce sens le "progrès" est une idée nouvelle, qui s'assume comme telle tout en se justifiant encore du passé (jeu ana-pro-leptique de flashback et de flash forward: voyez comme de tout temps moi, la nouveauté, j'ai été attendue, espérée, rêvée, prophétisée), par l'idée de "plan divin".
Cette idée sans doute ne tombe pas du ciel, elle peut se retracer dans l'apocalyptique, depuis Daniel au moins, et autrement dans la rhétorique paulinienne de la "nouveauté"; mais là encore il y a une différence décisive, le passage d'une eschatologie imminente à une eschatologie repoussée sine die: la "nouveauté" n'est plus la condition unique de la "fin des temps", qui se confond avec la manifestation même de Dieu (parousie du Christ, etc.); c'est une époque appelée à durer indéfiniment, et qui par conséquent se fonde en institution et en dogme, en hiérarchie et en tradition d'une ère nouvelle. Bref: tout ce qu'on a appelé en théologie "histoire du salut" (Heilsgeschichte) et "révélation progressive", qui fait du christianisme l'aboutissement, le couronnement, le stade suprême et indépassable, ne(c) plus ultra, de la révélation divine, trouve en Luc-Actes, sinon son origine absolue, au moins son expression néotestamentaire privilégiée.
--- De ce que je présente de façon quelque peu "critique" ou "polémique" on pourrait aussi bien s'émerveiller comme d'une invention géniale, au-delà même de son intention, puisque même les "dépassements" ultérieurs du christianisme (de l'islam oriental aux Lumières, aux scientismes ou aux socialismes occidentaux) la répètent ou la prolongent: il s'agit toujours d'une "nouvelle époque" et d'une "nouvelle économie" qui rendraient caduques les précédentes. L'historien, tout en sachant ce qu'il lui doit, a des raisons de ne pas la voir d'un si bon œil: cette conception de l'histoire et du sens de l'histoire est aussi grosse de toutes les persécutions à venir, des juifs, des chrétiens hérétiques ou des "païens" depuis l'Antiquité tardive. Le bibliste, surtout "vulgarisateur", en a d'autres: la trame narrative (ou pseudo-historique) de Luc-Actes est ce qu'il faut d'abord désapprendre si l'on veut comprendre quelque chose aux autres textes du NT ("Paul", "Jean", "Matthieu", "Marc" etc.) -- ce qui n'est pas une mince affaire car cette trame s'est imposée non seulement comme le cadre général du catéchisme et de la liturgie de l'Eglise, mais encore dans une large mesure à l'historiographie "profane": même si les historiens se doutent bien que la Pentecôte est un "mythe fondateur" plutôt qu'un "événement historique", le schéma général des Actes fournit quand même le "premier récit" des origines du christianisme et donc leur première référence, dont ils ne se dégagent que partiellement et péniblement. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Jeu 24 Mai 2018, 14:20 | |
| - Citation :
- De ce que je présente de façon quelque peu "critique" ou "polémique" on pourrait aussi bien s'émerveiller comme d'une invention géniale, au-delà même de son intention, puisque même les "dépassements" ultérieurs du christianisme (de l'islam oriental aux Lumières, aux scientismes ou aux socialismes occidentaux) la répètent ou la prolongent: il s'agit toujours d'une "nouvelle époque" et d'une "nouvelle économie" qui rendraient caduques les précédentes.
"Je vous retirerai d'entre les nations, je vous rassemblerai de tous les pays et je vous ramènerai sur votre terre. Je vous aspergerai d'une eau pure, et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un souffle nouveau ; j'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon souffle en vous et je ferai en sorte que vous suiviez mes prescriptions, que vous observiez mes règles et les mettiez en pratique." Ezéchiel 36, 24-28 Le "coup de génie" des narrateurs du récit de la pentecôte est d'autant plus efficace que l'AT annonçait la "nouveauté" qui rimait avec purification. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Jeu 24 Mai 2018, 15:11 | |
| On pourrait presque s'étonner qu'Ezéchiel 36 ne soit pas cité en Actes 2 (contrairement à Joël 3 p. ex.). A y regarder de plus près toutefois, le texte d'Ezéchiel n'arrange pas tant le récit des Actes: la nouveauté de l'esprit (souffle) est liée à un rassemblement d'Israël sur sa terre (= retour d'exil à l'époque perse; à cet égard la Pentecôte des Actes s'apparente davantage au mouvement contraire du récit de Babel, dispersion-diaspora centrifuge, de la ville aux "extrémités" de la terre); elle confirme la Torah au lieu de l'abolir ou de la remplacer; elle se limite à Israël, etc.
Il n'empêche que des textes "prophétiques" de ce genre (cf. aussi la "nouvelle alliance" de Jérémie 31 où la "loi" inscrite dans les cœurs joue un rôle similaire à celui de l'"esprit" en Ezéchiel 36) favorisent d'une façon générale l'attente de la "nouveauté", dans la mesure même où leur "accomplissement" passé paraît incomplet et insatisfaisant: la restauration du temple à l'époque perse n'épuise pas les attentes "prophétiques", parce que le lyrisme même des textes qui la décrivent les place au-delà de tout accomplissement historique. Ironiquement, c'est ce qui va arriver aussi au texte des Actes: il peut n'avoir pas d'autre visée que de "fonder" l'Eglise, par une sorte de "big bang" unique et miraculeux, il génère malgré lui des attentes qui resteront insatisfaites dans l'Eglise et provoqueront, à rebours de son intention, des résurgences "charismatiques" plus ou moins contestataires ou concurrentes de l'institution (du montanisme du IIe siècle aux pentecôtismes et autres renouveaux charismatiques du XXe). |
| | | free
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| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Ven 25 Mai 2018, 13:38 | |
| La « suppression » du lundi de Pentecôte
Et l’Eglise catholique ? – Dans l’expression « lundi de Pentecôte », il est question de « Pentecôte » ! Le débat a donc nécessairement quelque chose à voir avec la religion chrétienne. Et pourtant, l’Eglise catholique s’est trouvée bien embarrassée. Ainsi, le président de la conférence épiscopale Jean-Pierre Ricard déclara que le lundi de Pentecôte était important pour la vie de l’Eglise (pèlerinages, rassemblements et autres retraites). Mais il plaidait en même temps pour cette solidarité et un souci renouvelé pour les personnes âgées ou handicapées.
Le problème vient de la fête en tant que telle. Le lundi de Pentecôte n’est en effet plus une fête liturgique. L’octave de Pentecôte a été supprimée lors de la dernière réforme liturgique. Le lundi de Pentecôte férié n’était déjà plus que le reste symbolique de cette octave inventée à une époque où elle faisait le pendant de l’octave de Pâques, sorte d’appendice au temps pascal peu justifiable. Le lundi de Pentecôte n’a ainsi plus de connotation particulière, si ce n’est l’entrée dans le temps dit « ordinaire », ou encore par des traditions locales et parfois encore populaires .
En résumé, le lundi de Pentecôte est un reliquat d’un passé révolu sans signification théologique aujourd’hui, mais avec une réelle importance pastorale. Il faut ajouter que ce jour garde – en raison de son histoire et de son nom – une dimension religieuse pour la majorité des Français. Sa suppression pouvait manifester fortement et symboliquement la récession du catholicisme en France. L’Eglise catholique se devait donc de faire quelque chose pour ce lundi de Pentecôte menacé, sans pour autant déployer un argumentaire d’envergure. Laisser le choix du jour de solidarité n’est en effet pas une meilleure option, si cela en vient à menacer des jours fériés d’une réelle importance théologique et liturgique, comme les fêtes d’obligation. La quadrature du cercle pastoral – typique de la postchrétienté – trouve ici une illustration très significative. A vouloir tout maintenir pour des institutions ayant perdu leur signification, on court le risque de perdre l’essentiel.
https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-3-page-355.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Ven 25 Mai 2018, 14:11 | |
| L'article de Pâques (30.3.2018) reviendra-t-il à la Trinité ? Ce n'était pas inutile: j'ignorais (cf. supra) que les lundis de Pâques et de Pentecôte avaient été jadis des fêtes liturgiques -- secondaires certes, mais liturgiques quand même... Au passage, c'est une illustration intéressante de la dérive du sens: le dimanche chrétien (de Pâques, de Pentecôte, ou du "temps ordinaire") était par rapport au calendrier juif le "premier jour de la semaine", donc celui de la reprise de l'activité (huitième jour, nouvelle création, etc.) après le sabbat. Du coup, dans un calendrier chrétien, il correspondrait plutôt à un lundi (et selon cette logique ça peut tourner en rond indéfiniment). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Ven 25 Mai 2018, 16:38 | |
| Dans la première partie du discours (v. 14-21), Luc veut d’abord souligner l’ancrage scripturaire de l’expérience pentecostale pour démontrer que ce qui se passe s’inscrit dans la continuité de l’intervention de Dieu dans l’histoire du peuple d’Israël. À cet effet, il cite la prophétie de Joël (Ac 2, 17-21), un passage qui annonce la venue de l’effusion de l’Esprit sur le peuple d’Israël au temps eschatologique. Le texte insiste effectivement sur le fait que le récit de la Pentecôte doit s’interpréter comme l’accomplissement de cette prophétie : « c’est ici [tou=to& e)stin] ce qui a été dit par le prophète Joël123 » (v. 16a). En effet, le seul référent possible de tou=to& dans le texte – le même que pour « ceci » au v. 12 – est le phénomène pentecostal.
En reprenant cette prophétie, Luc insiste surtout sur la dimension eschatologique de la promesse. En effet, l’évangéliste choisit de conserver dans son texte la seconde partie de la citation (Jl 3, 4-5) qui énumère une série de cataclysmes cosmologiques associés, selon la symbolique biblique, avec le Jour du Seigneur125. De plus, il remplace le « Après cela » qui introduit le passage dans la LXX par « Dans les derniers jours » pour accentuer davantage le caractère eschatologique du passage126.
Ainsi, la première partie du discours de Pierre (Ac 2, 14-21) aurait essentiellement la fonction de situer le phénomène pentecostal (2, 1-4) dans la chronologie de l’histoire du salut127. Pour être plus juste, disons que Luc interprète l’effusion de l’Esprit de la Pentecôte comme étant un accomplissement eschatologique. Pour lui, les temps de la fin sont donc commencés !
La prophétie est d’un grand recours pour Luc car elle a le double avantage de non seulement souligner l’aspect eschatologique de la promesse de l’Esprit, mais présente aussi l’action de l’Esprit sur ses récipiendaires sous forme d’une habilitation à l’œuvre prophétique. L’ajout rédactionnel « et ils prophétiseront » au v. 18 va effectivement en ce sens – surtout avec l’expression qui paraît déjà au v. 17. Cette identification de la part de Luc de l’Esprit comme étant celui de la prophétie est tout à fait fondamentale dans la rédaction de son oeuvre comme il le sera démontré tout au long de cette recherche. https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/3889/Martin_David_2010_m%C3%A9moire.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Ven 25 Mai 2018, 19:57 | |
| Indépendamment de son contenu et de sa qualité (qui à première vue me paraît honorable), ce mémoire d'un jeune pasteur pentecôtiste, soutenu par son Eglise, est déjà significatif par son existence même: il montre qu'après un petit siècle d'existence autonome, centrée sur la pratique "charismatique" de l'inspiration immédiate et spontanée, une partie croissante de ce mouvement éprouve le besoin de réinscrire ce qui est déjà sa "tradition" dans le cadre le plus classique des études universitaires, de la théologie "savante" et de l'exégèse "critique", bref du débat rationnel et scientifique. Ce n'est pas nouveau (le pentecôtisme fournit des théologiens "sérieux" depuis une bonne quarantaine d'années), ce n'est pas non plus général dans ce milieu où il y a encore beaucoup de pasteurs "autodidactes", mais ça mérite d'être remarqué.
Sur l'"eschatologie" de Luc-Actes, je rappellerai simplement la différence à mes yeux décisive que j'ai essayé de souligner plus haut: la perspective eschatologique est bien maintenue en théorie, mais il ne s'agit plus du tout d'une attente imminente (cf. les nombreuses expressions du "retard de la parousie" dans Luc, et la question explicite du début des Actes, 1,6ss): "les derniers jours" se confondent avec la "nouvelle époque" ou "nouvelle économie", qui est toujours conçue comme la dernière de l'histoire mais qui est appelée à durer et s'organise en conséquence. Rien à voir donc avec le premier paulinisme (en particulier 1 Corinthiens qui d'une part traite de "charismes" réels, dans la pratique ordinaire de la communauté destinaire, d'autre part se situe explicitement dans la perspective de la "dernière génération": nous les vivants qui survivons jusqu'à la parousie...).
--- Quelques remarques sur le thème de la "prophétie" dans les Actes: - Sa référence principale est aux Prophètes-livres de la tradition juive (nebi'im de la bible hébraïque ou prophètai de la Septante, avec a priori une différence de contenu importante puisque les livres dits "historiques", Josué-Juges-Samuel-Rois, et les prophètes-personnages racontés qui s'y trouvent, sont inclus dans le premier ensemble et exclus du second; cf. 2,16; 3,18ss; 7,42.48; 8,28ss; 10,43; 13,15ss; 15,15; 24,14; 26,22.27; 28,23.25 et Luc 1,70; 3,4; 4,17.27; 6,23; 9,8.19; 10,24; 11,47ss; 13,28.34; 16,16.29.31; 18,31; 24,25.27.44); cette référence cependant s'étend aussi bien à la Torah = Pentateuque qu'aux ketoubim = "Ecrits" ou "hagiographes", puisque la qualité de "prophète" est expressément attribuée à Moïse (pour la Torah) ou à David (pour les Psaumes), cf. Actes 2,30; 3,22ss; 7,37; elle s'applique surtout à Jésus qui apparaît comme le Prophète par excellence et, en un sens au moins, le dernier (3,22ss; 7,37ss; cf. Luc 4,24; 7,16.39; 13,33; 22,64; 24,19). - Par rapport à cela, les références à une "prophétie" contemporaine du récit (donc postérieure à "Jésus") paraissent logiquement accessoires et/ou anecdotiques (cf. 11,27ss; 13,1.6; 15,32; 19,6; 21,9ss). Il s'agit beaucoup plus de valider globalement l'Eglise en l'inscrivant, via Jésus, dans le prolongement du prophétisme littéraire de l'AT que de valoriser une pratique charismatique en son sein. Par comparaison, les "prophéties" attribuées dans Luc à des personnages similaires, avant le ministère de Jésus, sont nettement plus significatives (Zacharie, 1,67; Jean-Baptiste, 1,76; 7,16; Anne, 2,36). - Formellement cela rejoint l'astuce paulinienne de 1 Corinthiens 12--14, qui consiste à neutraliser ou à canaliser la frénésie charismatique par une exigence d'intelligibilité (la "prophétie" ou l'"interprétation" intelligibles sont présentées comme préférables à un "parler en langues" inintelligible). La différence entre ces deux textes tient en grande partie au fait que le premier (1 Corinthiens) s'affronte à une pratique charismatique effective, qui dans le second (Actes) n'est plus qu'un lointain souvenir, exploitable sans danger (immédiat, du moins) pour la mise en récit des origines idéales de l'Eglise (du coup la "glossolalie" ou "parler en langue" y devient un miracle de communication, alors qu'en 1 Corinthiens il était plutôt un obstacle à une communication intelligible). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 09:24 | |
| Merci Narkissos pour ces nombreuses précisions.
Ce mémoire m'a permis de découvrir un texte que je ne connaissais pas :
"... jusqu'à ce qu'un souffle soit déversé sur nous d'en haut, que le désert se change en verger, et que le verger soit considéré comme une forêt." Is 32, 15
Le narrateur des Actes avait de nombreux supports textuellse pour fonder l'Eglise comme nouveauté dans la continuité.
Dernière édition par free le Lun 28 Mai 2018, 13:25, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 13:24 | |
| Ça donne aussi une intéressante confusion des métaphores, des "éléments" (au sens de la physique antique) et des mouvements, puisqu'au gazeux ou à l'aérien (esprit, souffle, vent, air en mouvement principalement horizontal) et au feu (ascendant) vient s'ajouter le liquide (descendant): verser, déverser, répandre, effusion (cf. aussi l'aspersion en Ezéchiel 36); cette dernière image vient aux Actes de Joël 3 (-> Actes 2,17.33; 10,45), mais elle était aussi dans la tradition paulinienne (Romains 5,5; cf. Tite 3,6). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 14:07 | |
| Le livre des Actes rapporte une triple Pentecôte, la Pentecôte des Juifs, une Pentecôte des Samaritains, laquelle sera elle-même suivie d'une Pentecôte des Gentils (Ac 8,14-17 et Ac 10,44-48).
Dernière édition par free le Lun 28 Mai 2018, 14:51, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 14:31 | |
| Cf. supra ta citation du 22.5.2018 14h44: il y en a d'autres...
Mais elles ne s'appellent pas "pentecôte" (le nom reste formellement dans le texte celui de la fête juive), et ce sont plutôt des "répliques" (dans un sens analogue à celles d'un séisme) de LA Pentecôte (unique, initiale et fondatrice) placées à des points stratégiques du récit. Outre l'"ouverture" aux Samaritains et aux Gentils/païens/non-juifs, le triomphe sur le sanhédrin (chap. 4) et l'intégration des johannites (de Jean-Baptiste, chap. 19) représenteraient donc des "moments" tout aussi importants pour le narrateur.
On peut rappeler que le quatrième évangile déjoue tout ce programme en situant le don de l'Esprit aux apôtres le jour même de Pâques (Jean 20). Ironiquement, les exégètes appellent souvent cela la "Pentecôte johannique" -- symptôme du fait que le schéma lucanien s'impose dans les esprits, se surimposant même aux textes qui s'y opposent...
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| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 15:50 | |
| "Ils tirèrent au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias, qui fut adjoint aux onze apôtres." Ac 1, 26 Entre l’Ascension et la Pentecôte Après la Pentecôte, où Matthias reçut le Saint-Esprit avec les autres, la Bible ne fait plus référence à ce procédé. Les apôtres se fient désormais au Saint-Esprit pour les guider directement. Rien de douteux dans le procédé utilisé. C’est tout simplement la fin d’une pratique – le tirage au sort – que l’on trouve beaucoup dans l’Ancien Testament. Nous sommes entre l’Ascension et la Pentecôte. Les apôtres se veulent fidèles à une tradition héritée des anciens d’Israël, pour dénouer des situations incertaines : « Vous vous partagerez le pays par tirage au sort selon vos clans… » (Nb 33,54) ; « Saül dit : « Jetez les sorts entre moi et mon fils Jonathan ». Et Jonathan fut désigné » (1S 14, 42) ; « Les uns comme les autres, on les répartit en tirant au sort… » (1Ch 24, 5), et tant d’autres encore. Jeter le sort était un appel solennel à Dieu afin de s’assurer que sa volonté serait accomplie.
Dans le Nouveau Testament, l’Esprit saint répandu, on ne parle plus de tirage au sort mais « d’imposition des mains » des apôtres sur les personnes choisies par les hommes à soumettre au choix de Dieu : « On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains » (Ac 6, 6) ; « Un jour qu’ils célébraient le culte du Seigneur et qu’ils jeûnaient, l’Esprit saint leur dit : « Mettez à part pour moi Barnabé et Saul en vue de l’œuvre à laquelle je les ai appelés. » Alors, après avoir jeûné et prié, et leur avoir imposé les mains, ils les laissèrent partir » (Ac 13, 2-3). Avec la naissance de l’Église, le tirage au sort disparait mais pas la vérité selon laquelle ses décisions sont le fruit d’une étroite collaboration entre les hommes et Dieu, fondée sur la confiance réciproque.
https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:8dA9CUJLY2YJ:https://fr.aleteia.org/2018/05/12/matthias-lapotre-tire-au-sort-avant-la-pentecote/+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr
Dernière édition par free le Jeu 06 Avr 2023, 15:29, édité 2 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 17:12 | |
| Cette affaire peut aussi être rattachée à un autre souci dominant des Actes, qui prend tout son sens au moment de la crise "marcionite" à Rome (vers 140, mais elle se préparait depuis longtemps): il s'agit de dénier à Paul (l'Apôtre de Marcion) toute autorité indépendante. De là sa subordination systématique au groupe clos des "Douze" et à Barnabé/Barnabas, le fait qu'il apparaît dépourvu de toute théologie originale (les éléments de théologie paulinienne sont attribués à Pierre, il n'y a pas la moindre allusion aux épîtres qui constituent le "canon" de Marcion, etc.). Dans cette perspective, on comprend mieux l'importance de reconstituer officiellement le groupe des Douze AVANT la Pentecôte qui le valide au complet (pour éviter l'idée -- encore assez courante dans le protestantisme -- que Judas soit remplacé par Paul; on peut toujours le penser comme substitut d'Etienne, puisque le récit les fait se rencontrer pour son martyre, du "mauvais" et du "bon" côté; mais Etienne appartient au Sept, groupe subalterne des Douze dans les Actes), de verrouiller ce groupe sur un critère qui en exclut Paul (être témoin de la résurrection, matérielle et corporelle) et par un mode d'élection de genre vétérotestamentaire qui précède l'effusion de l'Esprit (on ne pourra tout de même pas refuser l'Esprit à Paul, mais il lui sera transmis par un disciple secondaire, Ananias, et sans les manifestations "pentecostales" associées jusque-là à la présence des "apôtres" au sens strict; quoique Paul lui-même finisse par les transmettre, en 19,6). |
| | | VANVDA
Nombre de messages : 1610 Date d'inscription : 09/05/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 21:07 | |
| (Question marginale : celà implique-t-il que tu daterais Lc/Ac 50 ans plus bas que le traditionnel 80/90 ? ) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Lun 28 Mai 2018, 21:44 | |
| Pas forcément de 50 ans (comme je le suggérais plus haut, le "marcionisme" n'est pas né en un jour, et les résistances de la "grande Eglise" au corpus paulinien ont dû précéder largement la crise marcionite proprement dite), mais nettement plus "bas" (= plus tard, dans la première moitié du IIe siècle), en effet. Ce qui me paraît particulièrement décisif à cet égard c'est le rapport littéraire entre Luc-Actes et Josèphe, qui s'explique bien mieux si au moins quelques-uns des rédacteurs de Luc-Actes avaient lu Josèphe (même partiellement et de travers), à la toute fin du Ier siècle, que dans le cas contraire. (J'ai d'ailleurs le vague souvenir que Marguerat, quelque part dans une note d'une réédition de son commentaire, prend acte de cette hypothèse qui bouleverserait complètement la datation "classique" à laquelle il se tient néanmoins comme si de rien n'était.) En tout cas la stratégie de subordination de Paul aux Douze est une évidence qui ne peut manquer d'apparaître à tout lecteur du NT, surtout grâce au "contrechamp" des épîtres et en particulier de Galates. Voir aussi ici (où l'on peut continuer sur le sujet des Actes en général). Le lien au livre de J.B. Tyson fonctionne toujours, et son premier chapitre offre un examen assez complet (en 2006) du débat sur la datation (sur Josèphe, voir p. 15s). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 29 Mai 2018, 08:55 | |
| - Citation :
- Cette affaire peut aussi être rattachée à un autre souci dominant des Actes, qui prend tout son sens au moment de la crise "marcionite" à Rome (vers 140, mais elle se préparait depuis longtemps): il s'agit de dénier à Paul (l'Apôtre de Marcion) toute autorité indépendante. De là sa subordination systématique au groupe clos des "Douze" et à Barnabé/Barnabas, le fait qu'il apparaît dépourvu de toute théologie originale (les éléments de théologie paulinienne sont attribués à Pierre, il n'y a pas la moindre allusion aux épîtres qui constituent le "canon" de Marcion, etc.).
J'ai tenté de déterminer si Paul a fait référence à cet acte fondateur qu'est la pentecôte dans ses épîtres et j'ai trouvé le texte de 1 Cor 16, 8 (" Je demeurerai néanmoins à Ephèse jusqu'à la Pentecôte"). Paul fait-il allusion à la pentecôte juive ? La tradition de la pentecôte chrétienne lui est-elle trop postérieure ? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 29 Mai 2018, 09:39 | |
| Même dans les Actes, comme je le disais hier, le mot "Pentecôte" se réfère toujours au calendrier juif (dans sa version hellénistique, bien sûr: c'est pentekostè, "le cinquantième", et non shavou`oth, les "semaines"; cf. aussi 20,16, dans le cadre anecdotique de projets de voyage qui font très vaguement écho à 1 Corinthiens 16,8; évidemment c'est une autre histoire et un autre itinéraire).
Paul (celui des épîtres) ne risque pas de parler de la Pentecôte d'Actes 2 (c.-à-d.: l'"événement fondateur de l'Eglise" situé le jour de la pentecôte juive suivant la Pâque où est située la mort de Jésus, ouf !) -- ce qu'il connaît d'un "récit chrétien primitif" peut à la rigueur se déduire de textes comme 1 Corinthiens 15, et encore avec prudence, car ce texte a sans doute été pas mal remanié au cours de son intégration dans le "Nouveau Testament": les points de contact avec les (futurs) récits évangéliques sont minimaux, il n'y a pas de place pour une "ascension" ni une "pentecôte" dans la chaîne des apparitions qui relie directement la résurrection à Paul (chaîne que les Actes au contraire rompront par l'Ascension, qui sépare les apparitions "corporelles" du ressuscité de toutes les visions ultérieures, surtout celle[s] de Saul-Paul). Bien après Paul (en tout cas celui de 1 Corinthiens), les premiers évangiles synoptiques (Marc-Matthieu) ne se réfèrent toujours pas à une "pentecôte", ils la rendent même impossible en renvoyant directement les disciples du tombeau vide en Galilée, selon une trame narrative que la rédaction de Luc devra précisément modifier pour faire place à une Pentecôte à Jérusalem. (Jean 20 quant à lui la rendrait inutile ou redondante, mais on peut le soupçonner de le faire exprès.) |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 29 Mai 2018, 11:50 | |
| "Elevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l'Esprit saint qui avait été promis et il a répandu ce que vous voyez et entendez." Ac 2, 33
"Après avoir dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit saint." Jean 20, 22
Le livre des Actes et l'évangile de Jean développent même schéma d'un Jésus qui dispense l'Esprit.
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| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 29 Mai 2018, 12:55 | |
| Là-dessus, en effet, tout le monde semble à peu près d'accord.
Mais sur la façon de le dire, du plus petit détail de langage (p. ex. "répandre", comme un liquide, eau ou sang, ou "souffler") à la plus grande généralité du "genre" littéraire ou narratif ("événement" d'allure "historique", du moins au sens ancien du mot: public, spectaculaire, miraculeux, unique, fondateur ou inaugurateur vs cérémonie privée [portes closes] qui résonne dans le même récit d'échos multiples, p. ex. Jésus dé-livrant le souffle-esprit sur la croix quelques lignes plus haut; sans compter les divergences chronologiques qui sont les plus flagrantes -- dimanche de Pâques ou de Pentecôte -- mais tout à fait secondaires par rapport aux distinctions de genre, disons anachroniquement entre [pseudo-]historiographie et conte initiatique), la différence "formelle" est tout aussi essentielle et significative que l'accord de "fond". |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint Mar 29 Mai 2018, 13:06 | |
| Paul était un apôtre du marcionisme ? |
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| Sujet: Re: Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint | |
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| | | | Fête de la pentecôte ou de l'esprist saint | |
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