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 Le pardon ou/et la justification

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le chapelier toqué

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MessageSujet: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeJeu 14 Nov 2013, 20:59

Cette méditation (beaucoup trop) générale me revient d'une réflexion thématique précise: on a souvent noté que la notion de pardon (plus exactement de rémission des péchés ou des offenses, hormis précisément la connotation "technique" de ce terme en français moderne: le mot grec reste simple, un de ces "mots des pauvres gens" comme disait Ferré) est pour ainsi dire dédaignée par les "grandes" théologies du Nouveau Testament. Dans la théologie paulinienne habituellement considérée comme la plus "aboutie", celle de l'épître aux Romains, elle est éclipsée par le concept de "justification"; dans la théologie johannique, par la révélation de l'origine divine impeccable des "élus". Qui, s'estimant "justifié" et placé au-dessus de la loi, ou par engendrement divin au-dessus du péché (cf. à ce sujet les paradoxes de la Première épître de saint Jean, i, 8ss; ii,1s.29; iii, 6s; v, 18), pourrait encore accorder une importance plus qu'accessoire au simple pardon ?  Ce n'est pas par hasard si le troisième terme de la formule luthérienne qui synthétise à sa manière les théologies paulinienne et johannique (semper simul peccator et justus et pœnitens) est si souvent oublié: les deux premiers le rendent logiquement superflu. Quant aux théologies "fortes" qui au contraire accordent au pardon une place centrale, elles le dénaturent souvent à force d'insistance et de surenchère -- comme on disait naguère, elles le surdéterminent. Lorsque le pardon (au sens strict de rémission des péchés) devient un signe d'autorité christique ou apostolique (Marc ii,1ss//; Jean xx, 23), ou se trouve pris dans une logique de finalité ou de nécessité (pardonner pour être pardonné, Matthieu vi, 12-15; xviii, 21ss), les "pauvres gens" n'y retrouvent plus leur "pardon" de tous les jours, humble, modeste, voire léger ou superficiel, ni tout à fait gratuit ni tout à fait calculé, pas vraiment pensé, qui ne change pas grand-chose mais qui rend tout de même la vie plus vivable. Cela, ils le reconnaîtront peut-être davantage dans l'évangile "théologiquement faible" de saint Luc (i; 77; iv, 18; vii, 47s; xvii, 3s; xviii, 13s -- où le "justifié" emprunté à une théologie paulinienne mécomprise ne signifie pas autre chose que "pardonné"; xxiii, 34; xxiv, 47).  

[On pourra penser ici à la postérité lointaine de ces antiques pensées religieuses, jusque dans la laïcité occidentale moderne -- où le pardon aussi est tantôt évacué, par exemple dans les domaines judiciaire (cf. par contraste les tribunaux islamiques où il joue encore un rôle, marginal mais réel, qui n'annule pas le châtiment mais peut ou non l'atténuer) ou économique (la rémission des offenses étant aussi, au sens propre, remise de dette), tantôt au contraire surdramatisé, par exemple en psychologie (résilience etc.). Et on pourrait  en dire à peu près autant de beaucoup de choses, notamment des surdéterminations anciennes et actuelles de "l'amour"

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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeLun 18 Juin 2018, 12:48

Citation :
[On pourra penser ici à la postérité lointaine de ces antiques pensées religieuses, jusque dans la laïcité occidentale moderne -- où le pardon aussi est tantôt évacué, par exemple dans les domaines judiciaire (cf. par contraste les tribunaux islamiques où il joue encore un rôle, marginal mais réel, qui n'annule pas le châtiment mais peut ou non l'atténuer) ou économique (la rémission des offenses étant aussi, au sens propre, remise de dette), tantôt au contraire surdramatisé, par exemple en psychologie (résilience etc.). Et on pourrait  en dire à peu près autant de beaucoup de choses, notamment des surdéterminations anciennes et actuelles de "l'amour"

On associe fréquemment le pardon et le repentir, on pardonne (éventuellement) à celui qui regrette, la Bible reprend souvent cette idée, si le Dieu de la Bible ne pardonne pas, c’est que le peuple ne se repend pas. Récemment (je ne sais plus ou), nous avons mis en évidence des textes, qui nous décrivent Dieu entrain de renouer des relations avec des pécheurs sans nécessité d'un repentir, par exemple Osée 2,16 Dieu désire séduire et convaincre son peuple pêcheur de revenir de ses mauvaises voies  :


 "Eh bien, moi, je vais la séduire ; je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur."

Nous pouvons également citer Isaïe 43, 25, ou Dieu dit à son peuple qui l'a rejette : "C'est moi, moi seul, qui de moi-même efface tes transgressions ; je ne me souviendrai plus de tes péchés"

On peut rappeler Pr 17, 9 : "Celui qui couvre une offense recherche l'amour ; celui qui la rappelle divise les intimes."
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeLun 18 Juin 2018, 14:09

Dans la ligne des deux premiers textes (bibliques) que tu cites on peut aussi rappeler Ezéchiel: Yahvé "pardonne" (sauve, rétablit, restaure) comme il "juge" (punit, etc.), pour son nom avant toute considération "humaine" (pitié, détresse et/ou repentance du peuple, etc.): cf. notamment 20,8ss; 36,16ss etc. Et dans ce cas au moins le "nom" inclut expressément la "réputation", comme si Yahvé se souciait du "qu'en dira-t-on".

Chose assez remarquable, par ce genre de détour la "religion" revient à la "magie" dont elle ne s'est jamais que partiellement dégagée: d'une manière ou d'une autre, par le "péché", par le rite, par la prière ou par la repentance, par l'appel à la promesse, au serment, à l'alliance, à la bonté ou à la fidélité divine, par le souci de son "nom" ou de sa "louange", la divinité est contrainte à agir -- en l'occurrence, à "pardonner" comme à "juger". On retrouve là des problèmes théologiques fondamentaux, celui de la prétendue "liberté" ou puissance arbitraire de Dieu (roi, souverain, seigneur), et du biblicisme "tenter Dieu" dont on a longuement parlé ailleurs.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeLun 18 Juin 2018, 14:58

Jacques Derrida a longtemps consacré un séminaire au pardon et au repentir. Dans un entretien avec Michel Wieviorka titré "Le siècle et le pardon", il dissocie radicalement domaine juridique et pardon. L'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité décidée en France par la loi de 1964 et autorisant inculpation et poursuite sans limite, n'empêche pas le pardon. Au contraire, celui-ci est le lieu de l'impardonnable. Il n'est "possible qu'à faire l'impossible". Au surplus, selon J. Derrida, il n'est pas l'objet d'un échange, mais doit rester inconditionnel, anéconomique. Pardonner sous la condition du repentir de l'offensant, ce serait pardonner un "autre que le coupable lui-même". C'est donc une "folie de l'impossible", complètement hétérogène à l'ordre du politique ou du juridique. En conséquence, J.Derrida met en garde contre les abus dans l'usage du mot "pardon". Il ne peut convenir aux grandes scènes de repentance auxquelles a donné lieu, par exemple, la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Négociations, calculs et tractations y sont soupçonnés de nuire à la pureté du pardon ; une amnistie subordonnée à l'aveu ne peut être assimilée à un pardon. L'auteur s'interroge aussi sur la capacité pour une commission ou pour un gouvernement de pouvoir pardonner… à la place des victimes. Droit et pardon, d'une part, réconciliation et pardon, d'autre part, doivent donc être soigneusement dissociés. Il relèvera également l'équivoque de la tradition abrahamique qui, d'une part, dit du pardon qu'il doit être don gracieux, inconditionnel, et, d'autre part, le soumet à la condition minimale du repentir.
 http://projet-dvjp.net/wp-content/uploads/2015/06/Revue-Reliures-Le-Pardon-Li%C3%A8ge-2004.pdf
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeLun 18 Juin 2018, 16:21

Derrida qu'on a souvent catalogué un peu vite comme anti-platonicien pourrait être aussi bien (ou aussi mal) lu comme hyper- ou ultra-platonicien: il ne "déconstruit" l'"idéalisme" de Platon qu'en re-produisant son geste "dialectique" avec une attention, une rigueur, une insistance, une persistance inhabituelles. Si l'"idée" platonicienne se dégage par la "purification" du concept (comme résume Deleuze: qu'est-ce que le "bien" qui n'est que "bien", la "justice" qui n'est que "justice", etc.), sa "déconstruction" consiste à montrer qu'elle n'aboutit qu'en n'aboutissant pas, que précisément au point où "l'idée pure" se dégage(rait) elle ne peut pas se dégager de ses autres, de ses doubles, de ses simulacres, etc. Le "pardon" qui ne serait que "pardon", le "don" qui ne serait que "don", la "justice" qui ne serait que "justice", la "décision" qui ne serait que "décision", dans un sens ça n'existe pas et pourtant ça ne peut pas être autre chose; le mot même l'atteste comme une impossible possibilité dont la langue et la "vie" témoignent en l'invoquant, quand même elle en témoignent toujours un peu faussement. Tout cela aboutit à une pensée limite où la logique s'affole plutôt qu'elle ne se fonde. Dans le cas qui nous intéresse (?), le seul vrai pardon serait celui de l'impardonnable, de ce que précisément on estime ne pas pouvoir pardonner. Et pour autant il n'est pas question de se débarrasser de tels concepts, indispensables dans leur "impureté" même, mais d'endurer jusqu'au bout (sans bout) l'épreuve de leur concept aporétique. Quand même on ne pardonnerait jamais vraiment (p. ex.), il faudrait penser le pardon comme l'impensable qui arrive et qu'on attend (comme le Messie, même sans Messie).

Précisons que cette démarche n'implique jamais chez Derrida un mépris ou un désengagement du juridique ou du politique: il a, par exemple, suivi de très près et soutenu le processus de "réconciliation" en Afrique du Sud. Mais tout en maintenant l'indépendance d'une pensée qui ne peut être "utile" à une "pratique" qu'en gardant sa distance et sa différence par rapport à elle, d'où elle peut précisément la questionner et la solliciter.

---
J'ai vu hier soir l'excellent et terrible film El club, du Chilien Pablo Larraín -- sur une petite communauté de prêtres catholiques discrètement isolés par leur hiérarchie à la suite de divers scandales (pas seulement pédophiles): l'arrivée d'un nouveau membre, suivi de l'une de ses victimes qui provoque son suicide, puis l'investigation d'un jeune prêtre psychiatre armé de certitudes, noue tous les personnages (victime et thérapeute compris) en une tragédie sombre. La question du pardon n'y trouve aucune réponse, mais elle y est posée d'une façon exceptionnelle.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMar 19 Juin 2018, 09:57

Citation :
Précisons que cette démarche n'implique jamais chez Derrida un mépris ou un désengagement du juridique ou du politique: il a, par exemple, suivi de très près et soutenu le processus de "réconciliation" en Afrique du Sud. Mais tout en maintenant l'indépendance d'une pensée qui ne peut être "utile" à une "pratique" qu'en gardant sa distance et sa différence par rapport à elle, d'où elle peut précisément la questionner et la solliciter.

"C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur." Mt 18, 35

Ce texte conclut la parabole du débiteur impitoyable, qui semble indiqué que le pardon c'est la capacité ou le désir d'abandonner de ce qui est dû et un phénomène ou le pardon se substitue à la revendication du droit, le tout ayant pour fondement le pardon surabondant divin. Un humain peut abuser du droit et pervertir la relation humaine, le pardon a la faculté de rétablir cette relation dégradée. L’abandon de son droit pour quelqu’un ne suscite pas toujours chez celui qui en a bénéficié, pareille attitude, ainsi le pardon est un acte gratuit qui ne donne aucune assurance quant au fait que le bénéficiaire agir de la même manière à notre encontre. 
Chez Matthieu, ce pardon est non négociable et pratiquement imposé (surenchère), suscité surtout par volonté de bénéficier du pardon divin : 

"mais si vous ne pardonnez pas aux gens, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes."(6,15)
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMar 19 Juin 2018, 11:09

La formule de Matthieu -- dans le "Notre Père" du chapitre 6, développée et illustrée par la parabole du chap. 18 -- a au moins l'avantage d'offrir une image, donc une prise à l'imagination: l'annulation d'une dette est une pratique comptable, économique et juridique plus facilement compréhensible que le concept abstrait de "pardon" ou de "rémission". Je ne sais pas très bien ce que c'est que "pardonner", même si on me répète d'un côté que ce n'est pas forcément "oublier" même si ça y ressemble (pardon et oubli sont souvent associés dans l'Ecriture), et de l'autre qu'il ne suffit pas de dire "je (te/vous) pardonne" (mais qu'est-ce que le pardon sinon justement cette parole, "performative" mais à la performance incertaine, qui fait plus ou moins bien ce qu'elle dit ?). Par contre je peux "voir" le geste de déchirer une "reconnaissance de dette" ou un titre de crédit, de telle sorte que je ne pourrais plus m'en servir même si je le voulais (la parabole gâche cependant un peu cette image, puisque le maître précisément revient sur sa parole).
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMar 19 Juin 2018, 14:52

"C'est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui l'on pardonne peu aime peu. Et il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés." Lc 7, 47-48

Ce texte (dont on a déjà discuté, il me semble), met en évidence une contradiction, la manifestation de l'amour implique le pardon, mais à contrario, le fait de ne pas être l'objet du pardon de la part d'autrui, constitue un obstacle à la manifestation de l'amour. Comment le processus doit-il se mettre en place, doit-on d'abord être pardonner pour apprendre à aimer ?
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMar 19 Juin 2018, 22:54

L'équivoque presque parfaite (= indécidable) de ce texte, telle qu'elle se présente anachroniquement dans ses lectures plutôt "catholiques" ou plutôt "protestantes", (ne) répond (pas) à la question: l'amour manifesté par la pécheresse est-il la "cause" de son pardon (dans l'ordre de l'être, ordine essendi) ou bien son "signe" (dans l'ordre de la connaissance, ordine cognoscendi) ? 1) parce qu'elle a aimé, elle est pardonnée (l'"amour" prendrait ainsi la place de la "foi" dans d'autres textes, p. ex. 5,20//); 2) parce qu'elle a aimé, on sait qu'elle a été pardonnée (mais du coup on ne sait plus comment ni pourquoi).

En logique, on est dans l'aporie d'un cercle (qui n'a ni commencement ni fin) et de la nécessité de son "entame" (il faut bien commencer de le tracer, de le suivre ou de le décrire quelque part, et ce commencement ne peut être qu'arbitraire, l'idée du cercle ne lui offre aucune prise); ou la poule et l'œuf: lequel est premier, quand on sait que toute poule vient d'un œuf et tout œuf d'une poule ? En pratique, on ne sait pas comment ni pourquoi on aime, comment ni pourquoi on est pardonné, comment ni pourquoi on croit: ce qu'on sait c'est que tout cela arrive ensemble, si et quand ça arrive.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 09:57

"Mais celui à qui l'on pardonne peu aime peu",  on a l’impression (si l'on pousse le raisonnement à l'extrême) que ceux qui n’ont pas beaucoup péché ne sont pas capables de beaucoup d’amour et de comprendre les faiblesses des autres, l’intègre Simon n'a pas manifesté l'hospitalité minimum requise en orient envers Jésus. La fidélité à la loi ou la morale, peut amener à mépriser les faiblesses d'autrui et à cultiver une haute opinion de sa personne, au point de ne pas éprouver de la compassion et d'être incapable de pardonner.
  
« Il n’y a que deux sortes d’hommes, les uns justes qui se croient pécheurs, les autres pécheurs qui se croient justes ».(Pascal, Pensées, Laf. 562)
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 14:52

Ce "contexte" et sa "logique" un peu bancale (un "cercle" qui ne tourne pas vraiment rond) déjouent d'avance l'alternative anachronique que j'ai tenté d'exposer précédemment -- pour faire très vite, lecture "catholique" vs. "protestante": ou bien le pardon est conditionné à l'amour comme à sa "cause" (donc à l'amour comme à la foi), ou bien l'amour n'en est que le "signe" et l'effet; la parabole (des deux débiteurs également libérés et qui aiment leur créancier à la mesure de leur dette respective) et la comparaison (de la femme et de "Simon", qui de "lépreux" est devenu "pharisien" en changeant d'évangile et de contexte, comme la femme est devenue "pécheresse") semblent d'abord favoriser l'interprétation "protestante": qui A ÉTÉ beaucoup pardonné aime beaucoup => le pardon précède l'amour; mais la parole finale à la femme, "tes péchés sont pardonnés", renverse la perspective: la démonstration d'amour a aussi précédé le pardon. 1/1, ou 0/0... et la poule et l'œuf.

Ce que ce texte fait ainsi apparaître, c'est que le "pardon" est à la fois "performatif" (on "pardonne" QUAND on dit "je pardonne") et pour ainsi dire rétroactif, ou plutôt révélateur d'une vérité préexistante et inapparente: tout se passe comme si, pour "Dieu", tout était pardonné d'avance et depuis toujours; mais c'est l'expérience même de l'amour (ou de la foi) qui ferait venir le pardon à la conscience et au langage; et là, différemment selon l'expérience de chacun: la logique du texte suppose que le "pharisien" soit aussi pardonné -- mais de "moins".
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 15:22

J'ai lu, notamment, sur une plaque servant de mémoire et poser sur le mur de la synagogue à Genève :
"on pardonne, mais on n'oublie pas"
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 16:33

Dans un sens, ça peut se comprendre.

D'un autre côté, il est plus facile d'opposer verbalement les mots "pardon" et "oubli" que de penser en quoi ils diffèrent; de fait, "je pardonne, mais je n'oublie pas" se présente aussi comme la formule type du faux pardon, du pardon purement verbal qui ne pardonne rien. Cf. le parallélisme de Jérémie 31,34: "Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché."

On peut, certes, penser un "pardon" sans "oubli", mais de manière concrète et négative: ne pas se venger, ne pas réclamer justice, ne pas punir, ne pas maudire. Et on peut aussi bien (ne pas) faire tout ça sans "pardonner", sans dire "je pardonne".

Il me semble au contraire que si le "pardon" a un sens il le tire tout entier de l'"oubli": qu'il ne se pense qu'à partir de lui, même s'ils ne se confondent pas. Oubli en partie éprouvé (d'où le temps qu'il faut pour "pardonner"), en partie anticipé, accepté, voulu.

Ce n'est évidemment pas une raison pour le prêcher, a fortiori pour l'imposer, ni même pour le demander à qui que ce soit. De ce côté-là le christianisme (matthéen surtout) a généré une véritable hystérie du pardon qui se traduit en tyrannie: en conditionnant le "salut" au "pardon" d'autrui dans les deux sens du génitif (Dieu ne nous pardonne que si nous pardonnons et si les autres nous pardonnent), on a surchargé le "pardon" d'un enjeu exorbitant. (Je me souviens de mon malaise à mes premières lectures de Jankélévitch, il y a fort longtemps: d'un point de vue "chrétien", son argumentation contre le "pardon" m'était insupportable; elle m'a cependant été utile, car même si elle ne m'a qu'à moitié convaincu il a bien fallu que je me demande pourquoi ma réaction était si violente et viscérale sur ce sujet -- alors que c'est un auteur que j'appréciais beaucoup par ailleurs.)
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 16:54

Citation :
D'un autre côté, il est plus facile d'opposer verbalement les mots "pardon" et "oubli" que de penser en quoi ils diffèrent; de fait, "je pardonne, mais je n'oublie pas" se présente aussi comme la formule type du faux pardon, du pardon purement verbal qui ne pardonne rien. Cf. le parallélisme de Jérémie 31,34: "Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché."


"Qui est Dieu comme toi, qui pardonnes la faute et passes sur la transgressionen faveur du reste de ton patrimoine ? Il n'entretient pas sa colère à jamais, car il prend plaisir à la fidélité. Il aura encore compassion de nous, il piétinera nos fautes ; tu jetteras dans les profondeurs de la mer tous leurs péchés" Mi 7,18-19



A ce sujet, j'ai beaucoup reçu du livre de Desmond Tutu, l'archevêque anglican d'Afrique du Sud, qui a lutté pour tourner la page de l'apartheid en Afrique du Sud. Il a écrit Il n'y a pas d'avenir sans pardon (Albin Michel), pour dire que son pays ne pourra pas avancer si les deux communautés qui le composent ne dépassent pas la blessure extrêmement profonde que l'une a infligée à l'autre. Il y décrit un dessin où l'on voit deux soldats devant un monument aux morts. L'un demande à l'autre : "As-tu pardonné à ceux qui t'ont fait prisonnier ?" L'autre répond : "Non, jamais". Et le premier lui dit : "Alors, tu es toujours prisonnier". Si l'on ne pardonne pas, on reste prisonnier de celui qui vous a offensé.
https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Pardon/Pardonner-est-ce-oublier
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 17:50

Ça ne manque pas de vérité psychologique, mais c'est quand même du chantage. Et l'argument se retourne très facilement: on pourrait admirer d'autant plus celui qui ne pardonne pas, qui prépare sa vengeance ou qui réclame justice, que ce faisant il souffre davantage. (Cf. le Job des dialogues, et c'est à "Dieu" qu'il ne pardonne pas. Et le thème inépuisable du héros vengeur ou justicier dans la fiction d'une société qui l'exclut en théorie et en pratique -- et que les chrétiens ne sont pas toujours les derniers à apprécier.)

Le grand malheur du christianisme, et de ses suites post-chrétiennes, c'est d'avoir produit une (seule) "morale pour tout le monde": qu'il y ait au monde de la vengeance et du pardon, de la justice, de l'injustice et de la grâce, c'est ce qu'il faut pour que chacun de ces mots ait un sens.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 22:41

C'est un pasteur qui avait déclaré lors d'une émission religieuse : je pardonne mais je n'oublie pas car si j'oublie il n'y a plus rien à pardonner.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeMer 20 Juin 2018, 23:21

Si je pardonne non plus il n'y a plus rien à pardonner, ou du moins il n'est plus question de pardonner la même chose; sauf à faire du pardon un concept encore plus creux qu'il ne l'est ordinairement.

Il y aurait bien une façon d'entendre cette phrase autrement que comme un pur sophisme: si l'on considérait le "pardon" comme un processus dans lequel on s'engage quand on dit "je pardonne", mais avec lequel on n'en aurait pas fini pour autant. Je ne trouve guère ce genre de finesse dans le NT, mais on peut quand même noter que la tradition textuelle du Notre Père (Matthieu 6,12) hésite entre l'aoriste (passé ponctuel de la chose faite) et le présent (de l'action continue ou répétée, régulière ou habituelle): libère-nous de nos dettes, comme nous en avons libéré (aoriste, leçon généralement retenue: préalablement) OU comme nous en libérons (présent, variante: continuellement, habituellement) nos débiteurs.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeJeu 21 Juin 2018, 09:27

Il arrive parfois que lorsqu'une personne sentant ses forces décliner et comprenant qu'elle est en train de s'engager sur la dernière ligne droite accorde son pardon à un ou plusieurs "acteurs" qui ont joués un rôle dans sa vie.

Peut-être le fait-elle dans ce moment si particulier afin de partir l'esprit en paix, peut-être le fait-elle aussi en cet instant unique en pensant que ceux qui sont près d'elle ne pourront pas lui rendre la pareille et continueront de vivre avec ce poids sur la conscience.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeJeu 21 Juin 2018, 11:50

Certainement. De la Bible au cinéma (East of Eden, Cat on a Hot Tin Roof, etc.) notre tête est pleine de ce genre de scène (pardon, réconciliation, bénédiction, adieux sur et autour d'un "lit de mort", même sans lit de mort).

Cela ne va pas sans (sur-)dramatisation, bien sûr: utile dans la mesure où elle pousse à "jouer" ou à "réaliser" effectivement de telles scènes, pour le bien de tous les "acteurs" comme tu dis; mais néfaste quand pour une raison ou une autre celles-ci ne se réalisent pas: le survivant doit alors survivre avec le sentiment de culpabilité supplémentaire du "non-pardonné", du "non-réconcilié", voire du "maudit"; il lui faut désormais trouver d'autres arrangements avec ses morts (Dieu merci, il en trouvera la plupart du temps).

J'en reviens aux considérations initiales de ce fil (2013 !): le "pardon" ne se laisse pas "penser", il frustre la définition, l'analyse et la théorie, il est intellectuellement ou conceptuellement décevant, peu "intéressant"; c'est un mot "humble" et une pratique à vivre, pour vivre et pour mourir.

Ça me rappelle un thème récurrent dans les films d'Ozu, notamment Gosses de Tokyo (1932) et Bonjour (Ohayo, 1959): des enfants partent en guerre contre la politesse ou les "rituels sociaux" (particulièrement importants dans la culture japonaise !) qu'ils trouvent absurdes et ridicules, et découvrent ainsi, par l'expérience (comique plutôt que tragique en l'occurrence), non pas "ce que ça veut dire" mais "à quoi ça sert".
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeJeu 21 Juin 2018, 19:15

Je trouve que l'expression : je suis désolé, est aussi très belle de plus elle n'est pas obligatoirement suivie de justification, peut-être parce qu'il s'agit d'une phrase avec un sujet qui s'exprime et fait connaître son/ses sentiment/s, alors que "pardon" c'est un peu bref, cela ressemble à une salutation brève comme par exemple: "salut" voire à cette question que l'on pose distraitement sans attendre vraiment la réponse : comment ça va?
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeJeu 21 Juin 2018, 21:03

Cela m'a rappelé ceci (qui n'est, comme tout le reste, que la réflexion d'un jour).

C'est surtout le "demander" (pardon) qui me gênait dans l'expression française -- s'agissant d'une situation où on est le plus mal placé pour demander quoi que ce soit, surtout à ou de quelqu'un à qui l'on a fait du tort. Cela correspond sans doute à l'image évangélique de la "dette" dont on demande pardon ou rémission (remise ou annulation de la dette, libération du débiteur) dans le Notre Père. Dans la parabole de Matthieu 18, toutefois, le débiteur insolvable ne demande que de la patience: en lui remettant sa dette le maître lui donne plus que ce qu'il demande (mais il le reprend ensuite).

Malgré le texte ci-dessus qui donne l'impression de mettre toutes les expressions dans le même sac, je préfère nettement, comme toi, "je suis désolé" -- surtout quand c'est vrai. Au moins on ne demande rien.

Bien sûr, c'est le propre des formules de politesse que d'être formellement excessives dans la plupart des cas, donc dévaluées en général, et de paraître du coup dérisoires dans les cas où elles devraient avoir tout leur sens. Les mêmes mots -- sinon le même ton ou le même air -- pour la personne que j'ai bousculée sans autre conséquence et pour celle à qui j'ai causé un tort irréparable, volontairement ou non...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeSam 23 Juin 2018, 10:24

Dans le texte biblique le pardon est associé à une dette dont on demande la remise comme tu le fais bien ressortir. Dans une situation courante le pardon est motivé, peut-être, par une réflexion menant à une meilleure compréhension du mal commis ou de la maladresse dite un peu légèrement, mais il me parait inconcevable que l'on ait présent à l'esprit l'idée de dette.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeSam 23 Juin 2018, 12:10

C'est peut-être un fait de langue autant que de texte: le mot de dette (opheilèma) s'explique souvent (et partiellement) par un aramaïsme du grec matthéen (d'après l'araméen hwb' qui a les sens d'offense et de dette dans les textes rabbiniques). En tout cas ce sens est conscient et assumé chez Matthieu qui le construit en parabole (chap. 18), tout en l'interprétant par équivalence avec d'autres termes qui impliquent d'autres images (pas plus loin que 6,15, paraptôma, transgression, écart, chute, cf. le "scandale" ou "achoppement"); de même Luc, dans sa version du Notre Père (chap. 11), remplace "dette" par "péché" (hamartia, manque[ment], où l'image de la cible manquée est éclipsée par beaucoup d'autres, en raison notamment de ses usages "bibliques", via la Septante: faute morale et souillure ou impureté rituelle p. ex.); mais ça ne l'empêche pas d'avoir aussi des paraboles de "dette" et de "débiteurs" (7,41ss; 16,1ss).

La dette s'inscrit dans une logique économique et juridique (comptable, monétaire, transactionnelle, etc.). Il nous en reste assurément quelque chose chaque fois que nous parlons de "payer" ou de "faire payer" (cf. le stéréotype français "payer sa dette à la société" comme euphémisme de la peine de prison, ou encore les concepts juridiques on ne peut plus actuels des "dommages et intérêts", "amendes", etc.). Cependant cette "idée" ou cette "image" n'est jamais simple ni pure, elle se mêle à beaucoup d'autres qui proviennent aussi en grande partie de la Bible (même chez des gens qui ne l'ont jamais lue): "morales" comme le "manquement", la "faute", le "défaut", la "déviation", la "perversion", "rituelles" ou "sacrales" comme la "souillure" ou l'"impureté", "interpersonnelles" comme l'"offense" (offensa = choc ou heurt), etc., chacune appelant des idées et des images de "solutions" différentes (correction ou redressement, lavage ou purification, expiation ou propitiation, vengeance ou satisfaction, compensation, etc.). Toutes ces images et ces logiques de la "culpabilité" se mélangent dans notre tête comme dans notre langue (et déjà dans les textes "bibliques").
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeVen 20 Jan 2023, 11:42

2.2 Un embarras : pardonner et remettre les dettes

L’Évangile utilise trois termes pour parler du pardon : aphiemi, charizomai, et apoluo. Ces trois mots — surtout aphiemi, qui est le plus fréquent pour parler du pardon interpersonnel — sont aussi utilisés pour parler des dettes ou de la libération d’un prisonnier. Keene (1995) considère qu’il s’agit là d’actes financiers ou politiques dont la capacité n’appartient qu’aux puissants de la société. Il n’y a pas d’instance, poursuit-il, où une personne est pardonnée par quelqu’un de plus bas dans la hiérarchie du pouvoir, aucun exemple où le plus faible doive pardonner au plus fort. Même Jésus sur la croix ne pardonne pas à ses bourreaux ; il demande au Père de le faire.

Dans l’Évangile, le pardon ou plus précisément la remise des dettes va de celui qui a vers celui qui n’a pas ; elle va du puissant vers le faible, qui risque de tout perdre ou d’être vendu en esclavage s’il ne rembourse pas sa dette (Keene 1995). Le pardon va de Dieu vers les hommes et les femmes qu’il pourrait annihiler ou soumettre au feu éternel. Il nous semble que c’est sur ce fond de scène de la puissance qu’il faut comprendre la parole que Jésus en croix adresse à son Père : « Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Pour la mentalité religieuse, ces gens viennent de tuer le Fils de Dieu, le fils du Seigneur le plus puissant ! Leur vie est en jeu, comme celle des vignerons de la parabole qui ont tué le fils de leur maître et que ce dernier exterminera à son arrivée (Mt 21). On voit clairement la valeur du pardon qui va du plus fort vers le plus faible, une valeur qu’illustre a contrario la finale du magnifique film Dogville de Lars von Trier (von Trier 2003).

Ce qui est embarrassant aujourd’hui, c’est qu’on demande au plus faible de pardonner au plus fort. En plus, le pardon dans le discours quotidien, surtout dans le discours psycho-thérapeutique, et peut-être même dans le discours politique, vise le bien de celui qui pardonne… et non le bien de celui qui est pardonné. On ne pardonne plus pour le bien ou le salut de l’autre, pour lui sauver la vie. On pardonne pour soi-même, parce que ça fait du bien, parce que ça libère celui qui pardonne ! Notons tout de même que cette orientation de pardonner pour son propre bénéfice se trouve déjà dans l’Évangile : « remets-nous nos dettes comme nous remettons les dettes », « pardonnez-nous comme nous pardonnons ». À moins qu’on ne lise ces textes comme suggérant que Dieu peut bien nous pardonner puisque nous aussi nous pardonnons. Matthieu 7,2 affirme qu’on sera jugé avec la même mesure avec laquelle on aura jugé, mais il est alors question de jugement et non de pardon.

D’où le malaise de notre question initiale. Si l’on saisit le pardon en fonction du bien de la victime, celle-ci doit-elle pardonner pour son bien ou y résister pour son bien ?

Voir aussi : 2.3 Refuser de pardonner


https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2015-v23-n2-theologi03341/1042752ar/
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification Icon_minitimeVen 20 Jan 2023, 14:54

C'est au moins symptomatique de la confusion contemporaine qui a mélangé tous les "systèmes" de toutes les disciplines (psychologiques, philosophiques, théologiques le cas échéant) sans plus pouvoir se référer fermement (c.-à-d. aussi exclusivement) à aucun d'entre eux... Il n'y a plus de place dans cette soupe pour le moindre concept consistant, pas plus pour un pardon que pour une culpabilité, une expiation ou un châtiment, une justice ou une vengeance, tout se noie dans le flot médiatique du discours victimaire qui enferme les victimes dans la monstruosité d'un égoïsme sans faille, puisqu'il ne s'agit plus désormais que d'elles et de leur bien-être supposé.

(J'apprécie néanmoins la référence à Dogville que j'ai revu tout récemment, et dont la conclusion est aux antipodes de la conception chrétienne courante -- spécialement américaine, vu l'intention initiale de la trilogie américaine de von Trier qui s'est finalement arrêtée à deux films, avec le tout aussi génial Manderlay -- du pardon et de la grâce; Grace est le nom de l'héroïne, dont le papa est "parrain" au sens mafieux du terme.)

Sans doute le discours chrétien sur le "péché" et ses "solutions" n'était-il pas cohérent non plus (c'était tout l'objet de fil), mais il avait le mérite d'offrir des issues ou des échappées, même illusoires (divines ou diaboliques, célestes ou infernales) au ressassement et au ressentiment sans fin du huis clos intersubjectif des victimes et des bourreaux, qui n'ont même plus droit (au moins depuis l'invention du "syndrome de Stockholm") à leur perverse et immémoriale complicité (pour rester dans le cinéma un brin sulfureux, ça me fait penser à l'excellent Portier de nuit de Liliana Cavani).
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