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 Le pardon ou/et la justification

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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeVen 29 Sep 2023, 08:19

527. L’innocence du devenir comme exemple de chimère.

Même Deleuze finit par se résigner quant aux devenirs. Il reste une forme d’innocence qui ne tient plus lieu du devenir ou du procès mais d’un état d’équilibre, le « ni honte ni haine », « ni dépit ni orgueil ». Cela consiste à ne plus problématiser ou à surdéterminer par quelque chimère abstraite, à ne plus forcer quelque trait de vérité pour en magnifier l’ennuyante évidence. Au tribunal de la vie — qu’est la philosophie académique — se joue encore l’innocence du devenir. Que nous disent Nietzsche et Deleuze ? Que les philosophes ne sont plus juges mais avocats, ils ne jugent plus la vie mais la défendent, ils  intercèdent en sa faveur. Et que plaident les avocats ? L’innocence du devenir. Cela ne veut pas dire que le combat soit remporté : en étant un intercesseur plutôt qu’un juge rien ne prouve que l’on sera créateur mais par contre on se met à penser, à poser des signes. C’est jusqu’à la nouvelle forge des valeurs toujours l’être qui a gagné au jeu de la petite devinette : Que devient le chat de Schrödinger ? On continue toujours à se poser des questions métaphysiques, c’est un travers de l’existence qu’on nomme décadence : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » « Pourquoi te poses-tu cette question plutôt qu’une autre ? », etc...  mais il serait naïf de croire que l’affirmation du devenir nous sort de l’interrogation sur l’être, qui n’existe pas dans les peuples non décadents comme les Russes, les Hébreux, les Créoles, les Chinois, parce que leur langue ne possède pas l’auxiliaire statique au présent. Nietzsche, sans l’exprimer clairement au départ, demeurait insatisfait ; l’insatisfaction, le sel de la vie comme il dit, c’était peut-être là, ce que recouvrait l’intérêt pour le devenir ; il savait très bien que l’innocence du devenir n’était pas pour nous — ni pour le sage qui est tout en mouvement et en puissance —, que l’éternel devenir était inefficient. Le devenir tôt ou tard tombe sous le couperet de l’attente d’autrui et il ne sert à rien dès lors de se justifier face à ce qui juge et qui a déjà préjugé de vous.

Illustration. —  Je me suis toujours efforcé de me prouver l'innocence du devenir : et vraisemblablement je voulais parvenir ainsi au sentiment d'une totale « irresponsabilité » — m'affranchir de la louange et du blâme … de poursuivre des buts qui se rapportent à l'avenir de l'humanité. La première solution, ce fut pour moi, la justification esthétique de l'existence. Cependant : «justifier  » même ne devrait pas être nécessaire ! ... La deuxième solution fut l'objective absence de valeur de toute notion de culpabilité et l'idée du caractère subjectif, nécessairement injuste et illogique de toute vie. La troisième justification fut la négation de tous les buts et l'idée du caractère inconnaissable des causalités. La salvation par l'apparence… : le principium individuationnis et toute morale au profit de l'individu constituent une vision salvatrice. Morale, moyen, rester au sein de l'individuation, et ne pas se laisser réabsorber par la souffrance originelle.  Sur la justification esthétique : l’existence et le monde ne sont justifiables qu’en tant que phénomène esthétique.

En résumé, le devenir, ce concept abstrait, bien qu'innocent (Nietzsche ou Artaud), est toujours en procès contre l'être et le jugement que lui ont fait certains Grecs (Eléates ou Athéniens). Trouvons lui d'autres trajectoires et abandonnons-le.

https://www.la-philosophie.fr/article-527-l-innocence-du-devenir-comme-exemple-de-chimere-115375683.html
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeVen 29 Sep 2023, 12:18

Plus le temps passe et plus je trouve horripilant ce ton prétentieux, et puérile cette façon de "penser" qui consiste à "critiquer" les philosophes en choisissant certaines de leurs "idées" et en jetant les autres pour concocter sa "propre" soupe, avec la vanité et la naïveté de la croire "originale", et de surcroît la volonté de la partager.

A mon sens -- mais ce sens est fait d'innombrables voix, dont certaines au moins sont aisément reconnaissables -- ce qui est à penser est toujours le même, et toujours tout autre: chaque pensée digne de ce nom s'y affronte comme elle peut, autant qu'elle peut; tout en elle mérite d'être pensé et plus encore ce qu'elle ne pense pas, vers quoi elle tend comme vers sa limite, son impensé.

Ni le pardon, ni la justification, ni l'innocence, ni le devenir, ni la culpabilité ni la faute, aucun mot n'échappe au jeu de langage et de représentation qui lui donne provisoirement un sens et qui finit toujours par le lui retirer. Effectivement le "devenir" su(b/p)pose un su(b)jet qui le contredit, parce qu'en "devenant" *il* ne deviendrait pas, il resterait toujours le même, au sens de l'ipséité ou de l'identité de ce, celui ou celle qui "devient", ou du "devenir" même en tant que notion, concept, abstraction, etc. On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, on ne s'y baigne même pas une fois (je retrouvais ça hier dans le journal de Kierkegaard): l'énoncé du mouvement, du changement, de l'événement ab-solu et singulier s'entrave toujours dans sa propre énonciation qui en le nommant le fixe, le totalise, le vitrifie, le chosifie, etc. Du côté du jugement axiologique, moral ou judiciaire, du bien et du mal, de la culpabilité et de l'innocence, du pardon, de la justification, de l'expiation ou du châtiment c'est la même chose, chaque solution emporte son problème et le repose autrement, un peu plus loin.

La pensée est prise dans les limites du langage qui est aussi sa condition, à chaque fois d'une langue et d'une grammaire différentes qui n'en comportent pas moins une communauté de structure analysable comme telle, par exemple des sujets et des verbes, exprimés ou sous-entendus, ce qui rend la traduction possible en général sans qu'elle cesse d'être impossible en particulier. Ce que nous pensons avec l'"être" et le "devenir" s'énonce autrement, mais tout aussi bien (ou mal) en hébreu avec le verbe hyh (d'autant qu'il est plus rare que notre verbe "être", ni copule ni auxiliaire) et les "aspects" de sa conjugaison (accompli / inaccompli), cf. exemplairement Exode 3 et ses innombrables suites. Autrement qu'en grec, en allemand, en latin ou en français, dans chaque langue tout autrement, mais s'imaginer une langue où le sens et le non-sens de ce que nous appelons "être" ne viennent pas au langage et à la représentation ne serait pas la moindre des "chimères". Cela y vient différemment, avec d'autres distinctions et d'autres jeux que ceux de notre "métaphysique" (essence, existence, puissance et acte, mouvement, changement, cause et effet, etc.), mais tous ces jeux trouvent aussi leur limite, jusqu'à laquelle ils n'en "pensent" pas moins...

"On" (sujet indéfini, ça vaudrait pour "Dieu" comme pour n'importe qui ou n'importe quoi) ne peut pas être sans temps et sans histoire, sans devenir, sans agir et pâtir; sans être ou devenir quelque chose ou quelqu'un, parmi d'autres choses ou êtres, sans que l'interaction ou la relation des uns et des autres fasse et subisse du bien ou du mal, selon la multiplicité des points de vue, sans que tout cela laisse des traces, de la mémoire, du désir et de la crainte de la justice, de la grâce ou de l'absolution qui annulerait les différences, effacerait tout d'une manière ou d'une autre, comme si rien n'avait jamais eu lieu.

En quoi le désir de pardon ou d'oubli, de justification ou d'innocence, comme celui de justice ou de vengeance, de nivellement, d'égalisation, de règlement de comptes, ne sont que des variations sur la même "pulsion de mort" (Todestrieb), réaction à l'"événement" absolu et singulier qui pourtant l'intègre et la comprend, comme un fleuve ses turbulences et ses contre-courants. Désir de mort ou de néant qui n'est en somme pas autre chose que "l'être" ou "la vie".
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeSam 30 Sep 2023, 09:33

Chapitre 2. La faute, le châtiment, la mauvaise conscience

4. Vers l’idéal ascétique : la religion de la mauvaise conscience

53 L’épisode judéo-chrétien a donc débuté avec la formation de l’idée d’une dette non remboursable, en vertu d’un « péché originel » inexpiable à l’égard d’un Dieu rationnel et moral qui interdit toute violence. La « bonne conscience » de pouvoir rembourser la dette par des sacrifices appropriés, caractéristique des religions de la force, est alors supprimée par la « mauvaise conscience » d’avoir fauté, c’est-à-dire péché, à l’égard du Créateur de telle manière que l’impossibilité du « rachat » en un acte fini dans le temps soit envisageable. L’intériorisation de la loi, seconde étape du « surpassement de soi » à partir de l’autre, s’est déplacée vers le surpassement de soi à partir de l’autre comme Loi et interdit posés par Dieu. Un crime perçu comme révolte ou désobéissance envers Dieu, l’être supra-naturel et infini, ne peut, tout en restant pris dans la logique de l’échange dette-châtiment, qu’engendrer l’idée du « châtiment éternel » (GM, § 21, p. 282). La punition de Jahvé s’exprime en effet d’abord comme châtiment infligé aux générations en leur devenir indéfini : « tu enfanteras et tu travailleras dans la souffrance ». Dans le cadre d’une religion de la mauvaise conscience qui se pose comme intériorité spirituelle, la faute originelle ne peut qu’être une faute contre l’esprit infini et son châtiment devrait exiger une durée infinie. L’ancêtre humain (Adam) n’est plus sacralisé, ni encore moins divinisé, mais bien identifié à l’auteur du péché originel contre l’esprit, lui qui a choisi le principe de la chair (l’amour de soi) contre le principe spirituel (l’amour de Dieu, totalement autre que la nature).

54 Vont s’ensuivre, logiquement, une culpabilisation de « ...la nature du sein de laquelle l’homme est sorti et dans laquelle on place désormais le principe du mal » (§ 21, p. 282), et, plus radicalement, une culpabilisation de « l’existence en général qui n’a plus de valeur en soi » (Ibidem). Telle est la naissance du nihilisme, dans le domaine de la religion de la mauvaise conscience. Ayant posé l’être dans ce néant qu’est l’esprit (comme l’esprit qui, selon le mot de Goethe repris par Hegel, « toujours nie » la nature ou l’être matériel d’abord et soi-même ensuite), le nihilisme pose à l’inverse le néant dans la nature et l’existence réelle en général. Mais cette inversion nihiliste « ontologique » résulte d’une inversion nihiliste « morale » : c’est parce que la liberté-non violente vaut comme le bien, négation du mal (la nécessité-violente), que l’être-néant de l’esprit est la vérité du non-être qu’est la nature. Seul l’esprit infini, Dieu lui-même, pourrait sauver l’homme d’un tel crime : seul un rachat véritablement infini serait à la mesure de ce péché contre l’esprit infini. L’unique façon d’envisager le remboursement d’une telle dette serait qu’elle soit payée par l’être infini lui-même. Et tel est, en effet, « ...ce coup de génie du christianisme » (GM, II, § 21, p. 283). Dieu lui-même se sacrifie afin de payer la dette de l’homme, Dieu (comme Fils) se sacrifie pour racheter l’homme aux yeux de Dieu (comme Père).

55 Mais dès lors la logique initiale de l’échange régissant la dette est brisée. Imaginerait-on, dans la logique de l’échange éthique, que le créancier, dans la personne de son fils, se substitue au débiteur (par amour de son débiteur) pour se rembourser de sa dette ? Ce serait là une pure absurdité (« est-ce croyable ? » (Ibidem)) qui ne saurait conserver un sens que parce que la seconde personne de Dieu, qui est « amour », contredit la première personne (le Père qui est « justice »). La « dette envers Dieu » (GM, § 22, p. 283) fut donc l’invention la plus géniale de la mauvaise conscience afin de se culpabiliser infiniment et de se surpasser infiniment à partir de son Autre. Cet Autre n’était, au second stade de son dépassement, que le Non qu’opposait le sujet, comme esprit fini, à la nature en lui : il est à présent, « lorsqu’il le fait jaillir hors de lui-même, un oui, quelque chose d’existant » (Ibidem). La métamorphose et la projection du non-être en être, du non en oui originaire, origine de toute l’illusion théologique de la moralité, est à nouveau perceptible ici. La culpabilité se perçoit faussement comme le non fini opposé au oui infini supposé être Dieu. Or, ce qui n’est en vérité que sa négativité niée et projetée en un Être originaire, créateur de la nature et d’une violence qu’il faut surmonter à l’infini, est illusoirement pris par la mauvaise conscience comme son fondement ontologique et moral. Ainsi, la culpabilité et l’exigence du châtiment se sont infiniment approfondies, par rapport à la simple culpabilité de la violence naturelle exercée par rapport à autrui. L’auto-surpassement de la volonté de puissance faible est parvenu à son troisième et ultime degré : « sa volonté d’ériger un idéal – celui du Dieu saint –, pour être, face à ce Dieu, tout à fait sûr de son absolue indignité » (§ 22, p. 283-284).

https://books.openedition.org/septentrion/74498?lang=fr
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeSam 30 Sep 2023, 11:46

Merci pour cette excellente analyse -- qui ne remplace pas la lecture, d'ailleurs généralement plus facile et agréable, des textes de Nietzsche analysés: ici principalement la Généalogie de la morale, qu'on peut lire "en ligne" dans une vieille traduction plus ou moins bien scannée mais dont on trouve des éditions récentes et pas chères chez n'importe quel libraire ou bouquiniste.

Ce qui frappe au premier regard, ou après coup avec un peu de recul, c'est le caractère narratif de la "généalogie": pour expliquer quelque chose on raconte une histoire, avec un commencement imaginaire et une fin qui correspond forcément à la réalité présente, telle qu'on la comprend, ouverte sur des perspectives d'avenir. Entre les deux des péripéties qui marquent des jalons, des étapes, des phases, des périodes, des époques, qui s'expliquent les unes par les autres comme des enchaînements de causes et d'effets, réactions, rebondissements, etc. Au fond la méthode n'a pas changé depuis les "mythes" antiques (dont les premiers récits de la Genèse sont une mouture relativement tardive), même ceux qui s'en sont méfiés, comme Platon ou Freud, n'y ont pas échappé: on ne répond à un "pourquoi" que par un "comment", on ne dit l'essence, la vérité ou le sens des choses (qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que ça veut dire) que par une histoire (comment c'est arrivé, comment on en est arrivé là). Certains l'ont embrassée (la méthode) avec enthousiasme, voire transfigurée (comme Hegel qui fait de "l'esprit" même toute une histoire, une véritable fantasmagorie entraînant dans son récit la "logique", les "sciences", la "nature" et même l'"histoire"), ou prise au premier degré, avec une naïveté réelle ou feinte: jusqu'où Nietzsche croit-il à l'historicité de sa généalogie ? Peu importe, dans la mesure où l'histoire racontée produit un schème d'intelligibilité, qui donne la sensation d'y comprendre quelque chose, mieux qu'avant par ce détour -- Platon ne disait pas autre chose de ses "mythes". L'"intelligence" en question peut être aussi bien une erreur ou une "illusion vitale", selon la fonction même de la "vérité" nietzschéenne (qu'un peu plus tard, avec Austin, on pourra dire "performative": qu'elle soit ou non "vraie" quant à ce qu'elle dit du passé, elle fait de la "vérité", de l'"effectif", au présent et à l'avenir, pour qui la croit mais aussi pour qui la rejette et par là même y réagit).

Le modèle dit "judéo-chrétien" du "péché originel" correspond en fait à la doctrine chrétienne classique depuis saint Augustin: on ne le retrouverait pas tel quel dans le NT, même si (pour parler rétrospectivement, donc anachroniquement) le paulinisme, à partir de Romains-Galates, le "prépare" ou y "contribue"; encore moins dans l'AT et dans le judaïsme, du Second Temple ou rabbinique. En revanche le rapprochement de la "faute" et de la "dette" dans l'allemand Schuld a bien un précédent "biblique", au moins néotestamentaire, par exemple dans le "Notre Père" où les "offenses" traditionnelles sont aussi en grec des "dettes" (opheilèmata), "laissées" (aphièmi, dont on a beaucoup parlé plus haut dans ce fil) plutôt que "remises" (d'où la "rémission" classique): ce que je traduirais librement par "laisse courir ou filer nos dettes, comme nous avons laissé (ou laissons, selon la variante textuelle choisie) courir ou filer nos débiteurs". Mais évidemment ce n'est là qu'une "métaphore", une "image" parmi beaucoup d'autres: le "péché" c'est une dette à payer (ou non), mais aussi une tache à laver, une marque à effacer, un poids à soulever, une révolte à mater, un excès ou un défaut à corriger, un écart à rectifier, un éloignement à ramener, un coup à rendre ou à répliquer (tendre l'autre joue c'est encore le talion, le retour de la vengeance-justice retourné sur soi), et ainsi de suite.

Ce qui est en tout cas saisissant 130 ans plus tard, c'est qu'on fait toujours de la "morale" avec la même naïveté, du discours politique de droite ou de gauche aux réseaux sociaux, avec du "bien" et du "mal" comme si ça allait de soi, du "il faut" et "il (ne) faut pas" pris au pied de la lettre et foncièrement indiscutés malgré de menus changements de contenu -- comme si Nietzsche, Freud et tant d'autres depuis n'étaient jamais passés par là. Rien que cela ferait douter d'une historicité de la morale, qu'on la comprenne comme évolution, progrès ou décadence, et plus encore de son "dépassement".

Sur la question de la "mémoire" et de l'"oubli", voir aussi ici. Soit dit en passant, il est assez délicat d'"expliquer" Nietzsche par Bergson alors que celui-ci a commencé à écrire quand celui-là terminait et qu'il ne s'y est guère référé, malgré une évidente proximité thématique.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeDim 01 Oct 2023, 09:18

L'inscription de la culpabilité est ineffaçable : elle s'écrit, s'archive, se capitalise, prolifère toujours plus - y compris par les actes ou les œuvres qui visent à innocenter

En racontant l'histoire du vol du ruban, Jean-Jacques Rousseau cherche à s'excuser, s'innocenter, comme si un aveu, une confession, une oeuvre, pouvait lui donner le dernier mot, celui qui l'excuserait définitivement. La rémission de la faute ou le pardon se présentent toujours comme le dernier mot. C'est un signe vers la fin des temps, la clôture de l'histoire, l'eschatologie, le jugement dernier. Mais cette inscription finale ne peut qu'échouer. Le repentir n'empêche pas le retour de la faute. Il n'assure pas le pardon. Au-delà du dernier mot, la culpabilité continue.

 En écrivant la culpabilité, en la transformant en œuvre, on ne l'atténue pas, on l'accroît. On ne produit pas moins de honte, mais plus. On ne décharge pas la dette, on la charge encore plus. On peut affirmer, déclarer son innocence (comme Rousseau), prier, supplier, appeler la grâce de Dieu (comme Saint Augustin), on n'exonère rien en écrivant.

"L'excuse écrite produit de la culpabilité. Elle inefface la faute. L'inscription de l'œuvre, l'événement du texte dans son corps graphique, loin d'exonérer, voilà au contraire une opération de l'opus qui surcharge, génère et capitalise une sorte d'intérêt (je n'ose pas dire de plus-value) de culpabilité. Elle la surproduit, cette honte, elle l'archive au lieu de l'effacer" (Papier machine, p69).

Ecrire ses fautes est aussi un plaisir, une jouissance, une jubilation ambiguë. En les racontant, en les couchant sur le papier, en s'auto-justifiant, en les réécrivant, on ne les efface pas - au contraire - on les répète, on en renouvelle l'effet, on les fait survivre, y compris après sa disparition, au-delà de la mort. L'aveu ne supprime pas la faute, il en ajoute une nouvelle, celle de l'avoir écrite, de l'avoir mise en oeuvre publiquement.

https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1407240908.html
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeDim 01 Oct 2023, 11:56

On a déjà évoqué plusieurs fois Derrida dans ce fil (depuis juin 2018) et ailleurs, sur ces thèmes du pardon et de la confession qui ont beaucoup occupé la seconde partie de son oeuvre; il y est revenu, aussi sur le rapprochement des "Confessions" de saint Augustin et de Jean-Jacques Rousseau (presque le même titre, en latin et en français, à près d'un millénaire et demi d'intervalle, pour des "auteurs" et des trajectoires à bien d'autres égards dissemblables), jusqu'à ses derniers séminaires. On trouvera aussi d'autres textes intéressants en suivant l'arborescence des liens à partir du tien. A noter que l'affaire du ruban à laquelle il n'est fait qu'allusion ici met remarquablement la confession en abyme, car Jean-Jacques ne s'était pas contenté de dérober un ruban, il en avait fait accuser quelqu'un d'autre, c'est donc une confession de non-confession qui constitue une faute plus grave, impardonnable, entraînant plus de conséquences réelles ou potentielles, mais irrémédiables, que la faute initiale (cf. p. ex. ici).

L'aspect "eschatologique" de la chose me paraît très bien vu: s'il y avait du "pardon", de la "justification", de la déclaration d'"innocence", de la "réconciliation", de la "rémission" ou de l'"absolution", ce serait un "dernier mot", le "mot de la fin", d'une "fin heureuse" que toute suite ne pourrait que contredire ou démentir, compromettre ou menacer, trahir ou pervertir. Symptômes dans le christianisme primitif, les allergies à la répétition de la repentance (Hébreux, montanisme, etc.), qui se traduisent contradictoirement par le report du baptême au lit de mort (pour n'avoir plus le temps de pécher ensuite) ou par son anticipation à la naissance (où faute de péché et de confession personnels le signe prend malgré lui un tout autre sens, de promesse et de grâce, gratuites et inconditionnelles); et finalement par l'instauration d'un sacrement de confession répétitif, couplé aussi bien au baptême initial (par procuration dans le cas du baptême des enfants) qu'à l'eucharistie réitérée, qui chacun à sa manière rejoue la mort et la vie, à chaque fois une fois pour toutes. Il faut répéter indéfiniment la scène de la fin unique et du dernier mot qui n'aura jamais lieu, par anticipation ou prolepse de l'impossible, comme au théâtre: répétition et avant-première sans première ni dernière.

Il y va également de la "conversion", aussi bien dans le sens hébreu du retour (šwb, teshouva) que dans le sens grec de la metanoia, changement d'esprit ou de mentalité, d'attitude ou de comportement, d'avis ou d'humeur. Je repense souvent à un détail "biblique" qui m'avait marqué dès mes premières lectures, un geste dans l'histoire d'Ezéchias qui, malade et condamné par un premier oracle, "se tourne (ou tourne sa face) vers le mur" pour prier et pleurer (2 Rois 20,2 // Isaïe 38,2): image de l'impasse, de l'absence de perspective, de l'avenir bouché, de l'aporie qui devient temple -- dans son cas pourtant il y aura une suite, une guérison et une survie ambiguës, grâce ou sursis qui reportent l'échéance et l'aggravent en la faisant passer de l'individu à la postérité et à la nation, avec un curieux effet d'"après nous le déluge". Il y a aussi beaucoup de prières et de larmes, si différentes soient-elles, chez Augustin, Rousseau et Derrida (lire notamment Circonfession); un théologien, John Caputo, en a même fait un livre, The Prayers and Tears of Jacques Derrida.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeLun 02 Oct 2023, 09:50

La culpabilité au piège du rite et du tout dire dans le religieux chrétien

3. LE PIÈGE DU RITE ET DU TOUT DIRE

Le rite chrétien, ou pour être plus exact il faudrait dire le rite catholique dans confession auriculaire, est un véritable piège pour l'obsessionnel. Il ne s'agit pas ici de faire le procès de la confession, mais de signaler sa totale inefficacité et même sa malignité pour les sujets fragiles. 

Il convient cependant de noter ici que la confession — ceci en dehors de toute considération théologique — , peut jouer un rôle dissuasif contre l'angoisse. 

Cependant pour ce faire, le confesseur doit ou devrait être formé à une certaine écoute. 

Non une écoute qui enferme la parole en assignant un champ clos à son expression. Non une écoute qui la fige ou la fixe en l'acculant à une impossible vérité dans le champ du « tout dire », mais plutôt une écoute maïeutique qui permettra à l'autre de dire et de se dire dans une accession progressive à l'identité de son être et de son désir. Y accède t'on jamais ! 

Une écoute pour naître, une écoute pour être et mieux être. Alors les mots et les maux de l'autre s'écriront sur le sable et s'effaceront au vent du pardon et de l'amour, à l'instar peut-être de cette pathétique rencontre entre Jésus et la femme adultère où le maître dans un silence lourd d'écoute libérait, en inscrivant sur le sable des maux que le vent a emportés, et que la foi n'a pas pu saisir, tant ils risquaient d'être mortifères ! 

Antoine Vergote, dans « Dette et désir », n'hésite pas à parler d'une névrose de culpabilité ; il stigmatise « la déviation religieuse et pathologique d'un christianisme qui focalise son message sur le rappel du péché et qui se rétrécit en dispositif contre lui ». 

Quant à Delumeau, dans « le Péché et la peur », « En faisant de l'aveu du péché une exigence fondamentale, solidaire du message chrétien de libération, le christianisme expose l'homme à une culpabilité morbide ». 

A l'époque féodale, l'aveu était « l'acte par lequel le serviteur reconnaissait son maître et le maître son serviteur ».

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1986_num_60_1_3049
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeLun 02 Oct 2023, 12:09

Texte remarquable: la situation de l'auteur, prêtre et psychanalyste, doublement confesseur, lui assurait un point de vue imprenable sur la question, mais elle n'était sans doute pas confortable, surtout sous le pontificat plutôt conservateur, sinon réactionnaire, de Jean-Paul II (le texte est de 1986).

Le passage que tu cites, autour de la péricope de la femme adultère (Jean 8 ), m'a rappelé le film Paranoid, de Gus van Sant, histoire d'une confession impossible qui se conclut par un journal écrit et brûlé. Comme le dit excellemment Riber dans sa conclusion, il y va toujours de la mort dans le symbole, et de la vie par la mort, mais le symbole lui-même se complique, du langage à l'écriture, au geste, à la représentation, au rite, comme pour échapper à sa "fonction" superficielle de "communication" ou d'"information" -- moyennant quoi il se réserve bien en profondeur des ressources inépuisables, mais ambivalentes, à chaque fois remède et poison -- je repense aux Proverbes, 18,21, mot-à-mot ou presque: "Mort et vie dans la main de la langue, qui l'aime en mangera le fruit."

L'impossibilité de la confession et la culpabilité de la non-confession, qui finit vite par supplanter dans la "mauvaise conscience", par sa propre mise en abyme, toute référence à une "faute" réelle ou concrète, j'en ai gardé des souvenirs cuisants de mon adolescence jéhoviste, dans un système peut-être encore plus "culpabilisant" que celui du catholicisme classique, ne serait-ce que parce que le "secret de la confession" n'y était pas assuré (on était plutôt assuré du contraire, que toute "confession" déboucherait sur une "discipline" publique, et d'autant plus infamante que son motif, lui, resterait secret: on pourrait donc toujours imaginer le pire). J'avais pourtant commencé par une confession spectaculaire, vers l'âge de 14 ans, à peine un an après mon baptême, quand j'avais toute une saison pris mes distances avec l'ensemble de la doctrine, au point de la renier tout à fait dans le cadre du lycée tout en devenant "inactif" dans la "congrégation". Jusqu'à ce beau (?) soir où je me suis effondré en larmes, au cours d'une réunion, avec la seule idée que je ne pouvais pas vivre sans Dieu. Au retour j'ai rassemblé toute la maison (une douzaine de personnes, c'était déjà le "petit Béthel" dans la grande maison de mon père, il y avait au moins un "ancien" dans le lot) pour tout leur raconter de mon "apostasie" (je n'ai pas employé le mot, il ne m'est pas venu à l'esprit, il n'était pas courant à l'époque -- ça fait tout juste cinquante ans, maintenant que j'y pense -- mais il aurait été juste, plus juste que quand j'ai finalement été exclu pour "apostasie" treize ans plus tard alors que j'étais plutôt au sommet de ma "foi"). Aucune conséquence "judiciaire" ne s'en est pourtant suivie (les TdJ en général étaient moins procéduriers à l'époque, et ceux-là en particulier), tout le monde était plutôt content que je me sois "repenti", d'autant que par la suite j'ai vraiment pratiqué la "fuite en avant", tentant pour ainsi dire de noyer mes doutes "intellectuels" dans le zèle, l'humilité, abandonnant le lycée pour devenir "pionnier", etc. Mais du coup je suis aussi devenu archi-"scrupuleux" et/ou "obsessionnel" (comme dit Riber, sous l'une ou l'autre de ses casquettes), hanté d'une "mauvaise conscience" permanente qui ne pouvait même plus "se confesser" à personne (car entre-temps j'étais devenu un "modèle", tout aveu de faiblesse devenant pour les autres un "scandale").

C'est au bout de cette histoire très particulière que je ne pouvais guère envisager le "pardon", la "justification", la "rémission" ou l'"absolution" que comme l'absolu précisément, à la fois dernier (eschatologique) et universel, inconditionnel, gratuit, qui embrasserait non seulement le diable comme l'apocatastase d'Origène ou de Grégoire de Nysse, mais "Dieu" lui-même, s'il y avait rien de tel. Avec pourtant cette réserve de Kierkegaard (dont je lis ou relis les Papirer en ce moment): quand même le pardon, la justification, la réconciliation, la rédemption, le salut de tous ne feraient aucun doute, mon "cas" resterait problématique (soit à peu près le contraire du catéchisme "évangélique", assuré de son propre "salut" et de la damnation des autres, du moins de certains autres).

Il suffit toutefois d'un tour de réflexion de plus (ou de trop) pour que s'abîment la distinction et l'opposition entre ce qui se donne superficiellement pour des "contraires", "justice" (vengeance, rétribution, etc.) et "grâce" (pardon, rémission, absolution, réconciliation, justification, salut, rédemption, etc.), parce que, comme on le remarquait plus haut (29.9.2023), tout cela procède du même désir de l'être ou de la vie d'épuiser ou d'annuler ses différences à mesure qu'il les génère, pulsion de mort ou de néant qui n'est pas foncièrement autre chose (pas "au-delà", jenseits, comme dirait Freud) que le désir d'être ou de vie. Par là on pourrait aussi comprendre d'une autre façon la fameuse réinscription luthérienne, a priori tautologique, de la "justice" mise en boucle dans la "justification", Dieu juste en justifiant (Romains 3,26), non pas "juste bien que justifiant" mais "juste parce que justifiant" (l'injuste, l'impie, le pécheur, etc.). En profondeur, comme dirait Nicolas de Cues, les contradictions coïncident: c'est le même qui veut vivre et mourir, qui veut la justice et la grâce.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeVen 06 Oct 2023, 10:39

Du péché originel à la blessure originelle - Jacques Arènes

Face-à-face avec soi et rapport à la transgression

Une des tendances du monde contemporain est le fait que la culpabilité s’est déplacée du face-à-face avec autrui à celui avec soi-même… Le face-à-face avec soi fut toujours présent dans les siècles passés, et on peut repérer sa marque dans les pathologies de la culpabilité, où l’auto-reproche déborde absolument toute mesure réelle de la faute, mais, dans les avatars actuels, il subsiste de la culpabilité un bien étrange objet où ne demeure qu’une « culture de la culpabilité sans remords et sans souci de réparation ». Cette culpabilité-là n’est pas référence à un objet, elle se meut dans des eaux connexes à celles de la honte, où le sujet se voit coupable du néant de son existence. Des « traces négatives » de la culpabilité judéo-chrétienne perdurent alors sous une forme archaïque et diffuse, que l’on peut retrouver dans l’idéologie du bouc émissaire – et la nécessité sans cesse affirmée de retrouver les responsables et les coupables pour le mal commun et le mal privé – et dans l’apparition d’une culpabilité collective effaçant pour partie la culpabilité individuelle. Au niveau personnel, le nouveau mode de la culpabilité est alors celui d’exister, ou plutôt d’avoir, ou non, pu déterminer le sens de sa propre vie. Joseph K., dans Le Procès, est condamné par la médiocrité même de son existence. Nous assistons ainsi à une diminution conséquente de la culpabilité de transgression, au profit du face-à-face avec les instances idéales. Mais il serait trop rapide d’affirmer que la culpabilité aurait disparu au profit de la honte. Les deux sentiments ont en effet subi une modification essentielle. La honte sexuelle fait place à la honte d’infériorité, et, au contraire, l’impudeur moderne ne se contente pas du dévoilement des corps, mais s’attaque aux secrets, aux sentiments, à l’intérieur du corps.

Cet acharnement à ausculter le « dedans » correspond à la honte essentielle, qui est celle du vide intérieur. La honte met alors à nu le faux-semblant de l’intériorité pleine. Le for interne devient béance. La culpabilité, quant à elle, se retrouve plus actuellement du côté du manque, manque à être, manque de sens, que de la transgression. La levée des défenses contre le prégénital entraîne cet effacement de la transgression sur le mode œdipien au profit du registre de l’atteinte narcissique. Goldberg cite un cas clinique, rapporté par Lowenfeld, d’une jeune fille honteuse d’être vierge : elle n’éprouve aucune culpabilité à séduire fantasmatiquement le père, mais se perçoit inconsciemment honteuse de ne pouvoir le satisfaire.

Il existerait ainsi deux formes de honte – l’une plus sexuelle, l’autre d’infériorité plus proche du continuum de la culpabilité – et deux formes de culpabilité : l’une de transgression, et l’autre d’infériorité liée aux capacités du moi et aux satisfactions narcissiques.

L’accent porté par le second type, plus « narcissique », de rapport à la culpabilité ou à la honte a à voir avec la perte de l’Autre. Perte paradoxale car l’Autre est toujours recherché. Les frères d’aujourd’hui sont des frères libérés du joug de l’autorité excessive du monde patriarcal. Ils sont les enfants du désir, et savent que le désir a présidé à leur venue au monde ; cette advenue dans le désir, cette élection les prive de la grâce de l’aléa. Ils sont là par le désir de leurs parents. Mais tous ces enfants désirés demandent plus encore à être toujours désirés et aimés, comme s’il fallait continuer à soutenir le désir qui a présidé à leur venue au monde. Le danger qui guette la vie collective contemporaine est alors « en relation directe avec le danger qui guette l’individu : l’absence de désir de l’autre […] l’individu moderne ne peut pas vivre s’il n’est pas constamment réalimenté par les autres». Il faut que l’autre valide et revalide constamment l’assise narcissique de celui qui est venu par le désir. Et la vie sociale trouve un équilibre complexe entre la compétition très dure pour l’accès aux biens, la compétition narcissique du modèle démocratique, d’un côté, et le désir de validation narcissique par l’autre, d’un autre côté. Ce désir de validation civilise le premier aspect de la démocratie, mais il constitue une attente d’étayage qui peut se révéler sans limite.

Mais la perte de l’Autre n’est pas la perte de la férocité du jugement, le modèle de réussite du Moi idéal étant tout aussi tyrannique que l’obligation surmoïque, et l’injonction à jouir se révélant source de sacrifices immenses. La radicalité de la culpabilité et de la honte actuelle, loin du regard de Dieu, rend le mal inexpiable et la souffrance insondable. « Si la culpabilité tient à la faute, et la honte au regard, une culpabilité sans faute, rien ne peut l’absoudre, et une honte sans regard, rien ne peut en effacer la tache. » Loin du regard de l’autre, la culpabilité et la honte contemporaines se dissolvent dans le solipsisme du tribunal intérieur, poussant parfois à des attitudes sacrificielles configurées à l’idéal – sacrifier, par exemple, une forme de stabilité à des idéaux de perfection amoureuse que l’on recherchera à travers de multiples recompositions conjugales – sacrifice à ce que Lacan appelait le « Dieu obscur » à qui « peu de sujets ne peuvent succomber ».

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2019-1-page-39.htm?ref=doi
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeVen 06 Oct 2023, 12:04

Je me suis permis de supprimer ton premier post du jour, qui semblait identique au second à l'exception du soulignement. Tu vérifieras qu'il ne manque rien...

Je trouve en tout cas cette analyse (pour moi lisible par ici) aussi lucide que désespérante -- elle rappellera beaucoup de nos réflexions antérieures sur la honte, la peur, l'amour de soi qui dans la Bible va de soi, non seulement dans l'AT où le "comme soi-même" est inspiré des traités de vassalité assyriens, mais aussi dans le NT (p. ex. Ephésiens 5,29), la souffrance, l'abandon, l'intériorité, etc.

Seulement notre modernité ou postmodernité n'est pas un hasard, pas plus en tout cas que toutes les étapes précédentes qui nous ont précisément conduits là où nous sommes: il n'y a rien à regretter, ou alors il faut tout regretter, comme "Dieu" en somme. Foi et fatalisme sont peut-être les deux côtés du même.

L'idée augustinienne du "péché originel" (en relisant Kierkegaard ces jours-ci je me rappelle combien elle lui était essentielle: devant Dieu nous avons toujours tort) était elle-même tributaire des choix ecclésiastiques du IIe siècle, contre la "gnose" (incriminée un peu à la légère, comme souvent, p. 48 n. 15): déclarer la "création" bonne, tout en séparant radicalement le créateur incréé du créé, c'était faire peser tout le poids du "mal" ou du "péché" sur la créature, humaine ou diabolique, le rendant dans un sens inexplicable, dans un autre inévitable. Comme le remarquait Nietzsche à propos des Grecs, de l'épopée à la tragédie ou à la comédie, les dieux antiques avaient plus de classe que le Dieu chrétien (en tout cas celui-là), parce qu'ils assumaient la faute et pas seulement le châtiment. Paradoxalement c'est une volonté de justifier Dieu, de l'innocenter, de l'exonérer de tout "mal", contrairement au monothéisme pur (du deutéro-Isaïe p. ex., 45,7), qui en a séparé tout "autre" en le condamnant au "mal" ou à la "faute". Créant ex nihilo, pour le coup, le "problème" et ses "solutions" artificielles (trinité, péché originel, incarnation, rédemption, etc.)...

Mais au bout du compte les solutions aboutissent toujours à effacer le problème, la séparation originelle qui tient autant à la "création" qu'au "péché": Dieu en nous, nous en Dieu, Dieu tout en tout/s, retour au-delà de l'histoire en-deçà de toute création et de toute histoire, de toute représentation et de tout langage, comme si rien n'avait jamais eu lieu...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeMer 11 Oct 2023, 11:39

Comprendre le lien culpabilité-réparation : un rôle potentiel de l’attention

2.1. – La réparation : une motivation comportementale spécifique associée à la culpabilité

Si vous oubliez un rendez-vous avec un ami en le laissant attendre sous la pluie, vous allez probablement vouloir vous excuser, lui offrir un café, chercher à réparer le tort causé. Cette tendance à vouloir réparer, associée à la culpabilité, a été corroborée dans la littérature. À titre d’exemple, Tangney, Miller, Flicker et Barlow (1996) ont mis en évidence que des personnes exprimaient davantage de désir de réparer après s’être rappelé des expériences de culpabilité plutôt que de honte ou d’embarras (voir aussi Schmader & Lickel, 2006). Dans le même sens, la culpabilité renforce le sentiment de responsabilité personnelle vis-à-vis d’autrui (Manstead, Tetlock, & Manstead, 1989 ; McCullough, Worthington, & Rachal, 1997 ; Stuewig, Tangney, Heigel, & Harty, 2008), ou encore favorise les aveux (de la faute commise) et les excuses (Roseman et al., 1994 ; Lewis, 1971). L’objectif de ces actions serait alors de restaurer la relation avec autrui telle qu’elle préexistait au comportement transgressif (Baumeister et al., 1994 ; Lindsay-Hartz, 1984).

L’action réparatrice peut cependant avoir une portée plus large que la stricte relation interpersonnelle et s’inscrire dans le champ social. Monteith (1993) a par exemple montré que le sentiment de culpabilité provoqué par un comportement particulier (par ex., expression du recours à des préjugés dans des jugements de personnes) conduisait à inhiber davantage le comportement incriminé (c’est-à-dire, moins de recours aux préjugés manifestés) dans le futur, bien qu’il ne s’agisse pas ici de réparation directement adressée à la personne lésée (voir aussi Amodio, Devine, & Harmon-Jones, 2007 ; Devine, Monteith, Zuwerink, & Elliott, 1991).

Une famille de comportements pouvant permettre une réparation « large » attire aussi l’attention des chercheurs en psychologie depuis plusieurs années: les comportements pro-sociaux. Ceux-ci bénéficient à d’autres individus que soi-même, voire à la société dans son ensemble (Twenge, Baumeister, DeWall, Ciarocco, & Bartels, 2007). Si l’idée d’un lien entre culpabilité et comportements pro-sociaux est ancienne (Smith, 1759), la preuve expérimentale de cette association est récente. Dans les années 1960, des études ont montré que l’adoption d’un comportement transgressif envers autrui conduisait à vouloir réparer le tort causé (par ex., Carlsmith & Gross, 1969 ; Freedman, Wallington, & Bless, 1967). En 1972, Regan, Williams et Sparling ont mené une expérience où des participantes pouvaient être amenées à croire qu’elles avaient détérioré l’appareil photo d’un expérimentateur après que ce dernier leur avait demandé à être pris en photo (vs. une condition contrôle où l’expérimentateur demandait simplement à la participante de le prendre en photo). Toutes les participantes croisaient ensuite un second expérimentateur complice dont le sac était ouvert et laissait s’échapper des bonbons. Cinquante-cinq pour-cent des participantes du groupe expérimental ont informé le second expérimentateur que son sac était ouvert, contre 15 % pour le groupe contrôle.

Dans ces recherches, le comportement réparateur était attribué à la culpabilité. Cependant le sentiment de culpabilité n’était ni directement mesuré, ni expérimentalement manipulé. Il manquait donc une preuve du lien causal entre émotion de culpabilité et réparation à travers un comportement pro-social. Ketelaar et Au (2003) ont proposé deux expériences au cours desquelles des participants devaient jouer à des jeux de rôles de dilemme social. Dans l’une des expériences, après avoir induit de la culpabilité (vs. un état neutre) chez une partie des participants, il leur était proposé de jouer au jeu « du prisonnier » (Axelrod, 1984 ; Komorita & Parks, 1995). Pendant cette tâche, les participants pensaient affronter un autre joueur réel alors qu’il s’agissait de l’ordinateur. Au cours des différents tours de jeu, il était possible d’adopter un comportement coopératif ou, au contraire, individualiste. Les résultats de Ketelaar et Au (2003) ont montré que les participants éprouvant de la culpabilité adoptaient des comportements davantage pro-sociaux que ceux du groupe contrôle (voir aussi, De Hooge, Zeelenberg, & Breugelmans, 2007 ; Nelissen, Dijker, & De Vries, 2007). Ces résultats ont été affinés en spécifiant que seule la culpabilité conduisait à une augmentation des comportements pro-sociaux, et non la honte (Nelissen et al., 2007).

Il semble donc qu’il existe un lien causal entre culpabilité et réparation. Si l’on suit la littérature, la réparation peut prendre plusieurs formes: augmentation des comportements d’excuses, de pardon (Lindsay-Hart, 1984), inhibition des comportements ultérieurs si ceux-ci peuvent causer du tort à autrui (Monteith, 1993) et/ou adoption accrue de comportements prosociaux, de type entraide et coopération à travers des jeux de dilemmes sociaux (Cryder, Springer, & Morewedge, 2012 ; De Hooge et al., 2007 ; Ketelaar & Au, 2003). Pour ces raisons, la tentation est forte, et fréquente dans la littérature, de présenter la culpabilité comme la « bonne » émotion (Tangney & Dearing, 2002 ; Tangney et al., 1996), au détriment par exemple de sa « jumelle maléfique » la honte, moins utile, en apparence tout au moins, au bon fonctionnement de la collectivité. La culpabilité jouerait le rôle d’un important régulateur social en permettant la restauration des liens défectueux.

Les recherches évoquées précédemment ont apporté la preuve d’une approche de la culpabilité comme émotion orientée vers le but de réparer. Un regard plus attentif à la littérature indique toutefois que ce lien n’est pas systématique et que la culpabilité peut conduire à d’autres comportements que la réparation (par ex., comportements de type réactance). La réalité est donc plus contrastée et le lien entre culpabilité et réparation, en particulier pour la réparation de nature pro-sociale, apparaît plus ambigu, ce qui soulève des limites et d’importantes questions concernant la compréhension de ce lien émotion-comportement.

Cette limite du lien entre culpabilité et réparation s’illustre en particulier dans le domaine de la persuasion, où le recours à l’émotion de culpabilité est fréquent.

https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2017-3-page-379.htm
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeMer 11 Oct 2023, 12:35

Je me suis permis de supprimer trois de tes quatre posts identiques (si j'ai bien vu)...

Je n'ai pas le temps de tout lire pour le moment, mais à première vue ça me semble tout à fait caractéristique, voire caricatural (grâce au métalangage néo-scolastique des "sciences humaines"), de l'évolution que je signalais précédemment (supra 27.9.2023): la "culpabilité" n'a plus rien de juridique, ni de judiciaire, ni de forensique, encore moins d'"objectif". Ce n'est plus qu'une "émotion", terme apparemment pris ici comme une catégorie plus vaste que le "sentiment" (ça se discute), considérée d'une façon purement utilitaire, dans ses effets psychosociaux, "positifs" ou "négatifs" (anti ou pro-sociaux, incitateurs ou inhibiteurs, etc.). Moyennant quoi on retrouve aussi ce dont on parlait sur un autre fil (9.10.2023) d'après l'article de Marx (Alfred !), l'extraordinaire parenté entre la logique "rituelle" de l'Antiquité et la logique "technoscientifique" de la modernité: les psychologues ont remplacé les prêtres, mais ils ont une façon bien semblable de "causer boutique"...

Mais il y a plein de choses intéressantes dans cet article, si j'en juge par ton extrait que j'ai lu (une fois) d'un peu plus près. J'y reviendrai dès que possible.

---

J'y reviens donc un peu plus tard, après l'avoir un peu mieux lu.

Ce qui m'horripile le plus dans ce type de "technoscience humaine" qu'est devenue une certaine psychologie, essentiellement comportementale et expérimentale, c'est que son produit est directement au service de tous les pouvoirs, politiques, policiers, judiciaires, médiatiques, économiques et commerciaux, de la publicité aux "ressources humaines", y compris dans l'"associatif" et l'"humanitaire"... C'est un savoir et un savoir-faire directement utilisables par quiconque ambitionne de manipuler les individus et les masses, les masses par les individus et les individus par les masses, grâce au jeu de la statistique -- il ne faut pas s'étonner que la production soit riche et la recherche abondamment financée dans la majeure partie du monde, même si la Chine post- ou néo-communiste a su l'exploiter mieux que quiconque: le socialisme peut après tout être compris comme socialisation générale, pour le plus grand bien de toute société, par là moins conflictuelle, plus harmonieuse, moins violente et plus docile... On en vient partout à un totalitarisme soft par un système de bien-sur-veillance aussi efficace que discret, à coups d'incitations et de dissuasions subtiles: posologie et dosage essentiels, un peu de "culpabilisation" pousse à la "réparation" ciblée sur la victime ou à l'amélioration tout azimut (on fera mieux la prochaine fois), trop au contraire inhibe et paralyse, ou se traduit par le rejet et l'échec du message. La "société de contrôle" que voyait venir Deleuze n'a pas fini de s'affiner.

Dans le détail (et pour préciser ce que j'ai dit trop vite plus haut), il y a bien une distinction entre des "émotions primaires" comme la peur ou la honte et la "culpabilité", qualifiée d'émotion "morale" entre guillemets, sans doute pour ne pas dire "secondaire", artificielle, construite, etc. Mais cette distinction me semble bien fragile, car la "culpabilité" (au sens de sentiment de culpabilité) rapportée à un acte passé se traduit bien par de la "honte", et anticipée d'un acte futur (à des fins dissuasives) par de la peur...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeJeu 12 Oct 2023, 11:12

Produire la vérité : aveu et confession

La confession comme expression de l’intimor meo

7 Ainsi que le note Foucault, les chrétiens transforment la question juridique du « dire-vrai » en une question morale, car il s’agit alors d’un « dire de soi », qui fait porter l’accent sur l’intériorité du sujet et sa moralité. Dans la mesure où le « dire-vrai » moral est une constitution du soi dans son affirmation, un « mode de subjectivation », il entre en relation avec l’idée de pénitence. Néanmoins, l’origine de cet ordre discursif doit clairement être identifiée comme judiciaire, ainsi que le montre Isidore de Séville dans ses Étymologies, qui lie la notion de peine (poena) et celle de pénitence (poenitencia)[10]. Cependant la question de la « peine » ne recoupe pas celle du châtiment extérieur dans le cadre de la confessio morale, dans la mesure où c’est avant tout l’ordre intérieur du soi qui prime. En d’autres termes, l’ordo iuris relève avant tout d’une véridiction externe moins contraignante que l’ordre moral, qui suppose une confession interne de l’individu face à lui-même et à Dieu. Pour cette raison, la confessio dans sa dimension morale doit avant tout être évaluée à partir de la « contrition » :

Avec ce gémissement (gemitu) et cette contrition du coeur (contritione cordis) que nous disons vrai repentir, cesse le péché, c’est-à-dire le mépris de Dieu ou le consentement au mal, car la charité de Dieu, qui inspire ce gémissement, ne souffre aucune culpabilité. En ce gémissement, nous sommes aussitôt réconciliés avec Dieu et recevons remise du péché antécédent, selon cette parole du prophète : « À quelque heure que le méchant gémisse, il sera sauf » [Ez 23, 12] ce qui signifie qu’à cette heure il méritera que soit sauve son âme. Il ne dit : en quelques années ou en quelques mois, ni en quelque semaine ou en quelque jour, mais bien : à quelque heure, pour faire voir que sans délai le repentir mérite pardon et n’encourt aucunement la peine éternelle en laquelle consiste la condamnation du péché.

Abélard insiste sur la contrition qui doit être vraie, c’est-à-dire contritio cordis, ce qui ouvre sur la possibilité d’une différenciation entre l’attrition et la contrition. L’attrition en effet pourrait n’être qu’imparfaite, étant suscitée par la peur du jugement, et peut se limiter à un simple discours externe, sans engagement véritable du sujet. La contrition est par contre le repentir sincère, et ouvre sur une pénitence qui est d’abord celle du sujet. C’est ainsi que nombre de théologiens insistent sur l’importance du « rougissement » (erubescentia) du pécheur, qui est en lui-même une forme de pénitence. L’aveu comme confession véritable est destiné à exciter la contrition. Le « dire-vrai » tel qu’il se manifeste dans la pensée d’Abélard montre que l’accent n’est pas mis sur la punition, mais sur le pardon, qui permet à Dieu de gracier le sujet qui se trouve dans la contrition, et celle-ci fait que l’individu est immédiatement (« aussitôt ») pardonné. En d’autres termes, le régime de vérité imposé par la confession est avant tout un régime intérieur (soi par rapport à soi) et un régime transcendant (soi par rapport à Dieu), tandis que ce que nous distinguerons comme simple aveu, compris selon le rapport extérieur entre soi est les autres, se révèle très relatif et de moindre importance. La différenciation entre la contrition et l’attrition[12] permet ainsi de mettre en évidence un enchâssement complexe de régimes de vérités qui ne sauraient se réduire à la distinction entre foi et aveu. Grégoire le Grand (vie siècle) différentie ainsi dans son Commentaire aux Rois ce que nous pourrions nommer trois « sous-régimes » différents[13]. La conversio mentis est la conversion de l’âme, la plus importante, et relève de la contrition pensée par Abélard ; la confessio mentis est la simple « confession de la bouche », plus secondaire. Enfin, la punition du péché (vindicta peccati) relève pour sa part d’un rapport au domaine civil et commun, relevant d’un ordre pratique de moindre importance encore. À proprement parler, la « confession » apparaît secondaire par rapport à la « conversion » dans cette manière de considérer le « dire-vrai », l’intériorité l’emportant sur la pratique discursive extérieure et sur la punition. La confession véritable est donc conversio, contemplation intérieure de la faute, tandis que ce que Grégoire nomme confessio se donne plutôt comme un aveu, compris ici comme une verbalisation externe de la faute.

https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2021-v48-n1-philoso06087/1077834ar/
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeJeu 12 Oct 2023, 15:46

(Comme annoncé hier, j'ai un peu développé mon post précédent.)

Ce dernier article (Ottaviani, 2021, que j'évoquais aussi tout à l'heure ici) m'a beaucoup intéressé. Son recul historique (sur la fin du moyen-âge et la Renaissance) me semble particulièrement bienvenu en contrepoint du synchronisme contemporain des "sciences humaines" dont nous parlions dans le dernier échange, qui étudient le "fonctionnement" des individus et des sociétés comme s'il s'agissait d'une réalité constante. Le "totalitarisme" aussi a une histoire, plus vieille que son nom, une histoire qui n'est pas en ligne droite et ne tourne pas non plus tout à fait (en) rond, ce qui ne l'empêche pas de revenir souvent sur ses pas ou de retomber sur ses traces...

La confession-conversion façon Abélard me rappelle les "transfigurations" de Dreyer, et celles de son compatriote Kierkegaard qui d'ailleurs avait lu Abélard: au bout du péché et de la repentance, toute existence singulière révélée et comme éclaircie dans la vérité de son "idée", à la lumière de l'éternité; comme les visages soudain illuminés et apaisés de Dreyer dans le dénouement de leur histoire; ou les pécheurs pénitents de Luther qui se découvriraient justes, mais seulement à a fin; ou le devenir de Nietzsche apparaissant innocent dans l'éternel retour: eschatologie de l'heureuse surprise, si attendue, espérée et désespérée soit-elle. Kierkegaard reproche au second Faust de Goethe d'avoir décrit la conversion et la rédemption de Faust au ciel, il préfère le Don Giovanni de Mozart, sans rédemption, plus fidèle à l'éternité de son caractère, de son personnage ou de son "idée". Cela me rappelle aussi le commentaire talmudique de Levinas sur Dieu qui "lève la face" (au sens de la grâce ou de la faveur) et "ne lève pas la face" (au sens du favoritisme ou de la partialité dans le jugement): c'est seulement après le jugement qu'il "lève la face".

Quant à la "contrition", nous lui avions consacré un fil plutôt biblique et étymologique, mais je ne connaissais pas (ou j'avais oublié) le distinguo médiéval entre attrition et contrition: il semble que la différence de préfixe, de l'ad- à la con-tritio, ait évolué vers un passage de l'extérieur à l'intérieur, de la surface à la profondeur du traumatisme, du frottement abrasif et de la lésion superficielle à la brisure complète et irrémédiable...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeLun 16 Oct 2023, 14:33

La culpabilité, une maladie occidentale ?

La culpabilité comme maladie 

Très souvent, une maladie n'est pas une altération-modification radicale, mais un simple excès de la normalité : seul son caractère douloureux
la signale comme excès et maladie. La maladie est aussi erreur, déplacement, glissement, lapsus.

Ainsi, la culpabilité est maladie en exagérant ou en se méprenant à quatre niveaux : 

1. en constituant des entités, des individus, Nietzsche fait remarquer — et nous le développerons plus loin — que certains groupes, individus,
instances, bref les sujets ne sont inventés comme tels que pour servir de répondant à la culpabilité. L'exemple par excellence, c'est la focalisation sur une instance particulière dans le racisme :1a vérole, le sida, les prélèvements obligatoires ou la délinquance s'étendent, occasion rêvée de constituer en « sujets », en individualités, de distinguer tel ou tel responsable,  tel ou tel mauvais sujet ou groupe dans la masse indistincte. De ce point de vue, le terrorisme est dans la logique de la maladie culpabilisante et culpabilisée : il subjectivise, individualise le mal en croyant ainsi l'extorquer. Et ainsi, réciproquement, le sujet est l'otage de la culpabilité. Sans vouloir passer à la limite, je rapproche le fait que la culpabilité se lie toujours à un phénomène de constitution de subjectivité (au sens large) et ses figures morbides comme le racisme et le terrorisme — politiques ou moraux : car ont peut isoler des individualités dans une société ou dans une individualité (les « passions », le sexe, l'argent, etc.). Injustice du « sujet». 

2. un deuxième trait, sinon toujours morbide, du moins, potentiellement morbifique — comme diraient les médecins et Rabelais — , c'est le fait, déjà souligné, que la culpabilité ne se comprend pas sans qu'il y ait cause du mal. Un coupable est cause. Or, non seulement on peut se tromper sur la cause, mais on peut la fabriquer — pour les besoins de la cause ! — , et même la causer, c'est ce que l'on appelle « provocation » et même la reconstituer. Car la cause est du passé : on refait l'histoire, on imagine des séquences, comme en rêve, dit Nietzsche... Et en effet, la culpabilité est rumination, insistance sur le passé, sur un temps qui n'est plus (Pascal), comme méditation de la cause, de l'antériorité, du passé : elle est passéiste, réactionnaire, réactive et comme dit Nietzsche, elle est comme ces gens qui n'en ont jamais fini de rien. D'où l'hostilité de gens aussi différents que Descartes, Spinoza et Nietzsche, entre autres, envers le remords (re-mordre, re-pentir, res-sentiment). 

Ne pas oublier, donc, que la cause étant (par définition) antérieure, plane dans l'ordre du non-réel, du non-présent. D'où les à peu près, les
erreurs. Et rien de plus courant que de se tromper de cause ou de prendre l'effet pour la cause, or la cause est une idée venue de la considération du sujet philosophique de la volonté, dit Nietzsche. Or, qu'est-ce que la volonté, qu'est-ce qui est voulu ? Et ce qui est voulu est-il toujours le meilleur, le plus important ? La volonté est souvent création de causes et de choses.

3. la souffrance
La culpabilité ce n'est pas seulement dire : tel individu, moi par exemple, est cause de telle chose, faute, erreur, péché, délit, crime. La culpabilité ne dit pas seulement : il est coupable, mais il est méprisable. La culpabilité c'est l'envers du décor de la transcendance : si on la manque, ça fait mal, on doit donc souffrir sans interdit. D'où l'idée de surmoi sadique, la méchanceté d'un juge qui n'est pas seulement l'énonciateur d'un jugement théorique (il y a faute, comme il y a erreur) mais le dénonciateur, le condamnateur, le châtieur. La culpabilité, c'est la volonté de mort du pécheur, c'est souvent l'égale méchanceté du juge et du fautif, du bourreau et du condamné, du surmoi et du moi. N'y-at-il pas aussi une culpabilité clandestine du culpabiliseur, qui déchaîne et prolonge la violence, le mal et la souffrance, au lieu de les arrêter ou apaiser ? C'est ce que Nietzsche appelle ressentiment et volonté de vengeance. 

4. la conscience
Pourquoi (se) culpabiliser seulement de ce que l'on a fait consciemment ? Les gaffes, les lapsus, les actes manques — on les excuse. Mais pourquoi seraient-ils moins coupables ? Et nos complicités, nos silences ne sont-ils pas coupables, même plus graves ? Je ne veux pas étendre la culpabilité : tendance générale, car même Freud cherche des intentions délibérées, une volonté inconsciente (est-ce que ça a un sens de parler de volonté inconsciente ?) dans les actes manques. Au contraire, je me demande si les actes conscients sont les plus réussis, les plus voulus ; s'il ne faut condamner comme fautes que les actes conscients et si, justement, nos actes conscients ne sont pas (parfois) les plus importants — et même si beaucoup de nos actes conscients, voulus, délibérés, explicites, positifs, ne seraient pas, au sens profond, des gaffes, des ratages, des fautes — excusables, en ce sens. Excusables seraient alors a fortiori nos fautes inconscientes. Reste à signaler la grande ruse et méchanceté de la culpabilité qui fouille tous les actes pour y trouver l'intention consciente : et pourquoi, pour quel résultat ?
Il n'y a pas que de la morale ou de la moralité dans la culpabilité — mais aussi de la maladresse. 

https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_1986_num_10_1_1086
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeLun 16 Oct 2023, 15:55

Je me suis soudain souvenu, grâce à l'unique note du texte, que le livre de Blondel est l'un des tout premiers que j'aie lus sur Nietzsche, vers la fin des années 1980; peut-être même avant la biographie de Zweig qui m'avait décidé à me risquer à lire Nietzsche lui-même; ce que je redoutais car je le pressentais l'ennemi le plus impitoyable, non seulement du christianisme en général, mais bien de mon (type de) christianisme...

Il est vrai qu'on ne "déconstruit" pas la notion de "culpabilité", judiciaire ou psychologique, sans "déconstruire" aussi la "subjectivité", épistémologique et psychologique, et la "causalité", rationnelle et scientifique: le désastre est tel qu'à ce prix-là on se dit souvent qu'on aurait préféré rester coupable... Mais tout cela était aussi bien annoncé par le très-chrétien "ne jugez pas", pour peu qu'on l'entende dans toutes ses harmoniques, judiciaires, morales, intellectuelles...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeVen 27 Oct 2023, 11:02

Pardonne-nous nos dettes

Jésus et le Notre Père

Dans le Nouveau Testament, la métaphore de la dette pour désigner le péché est omniprésente. Jésus raconte souvent des histoires d’endettement et d’obligation, comme moyen d’illustrer la dynamique du péché et du pardon. Étant donné qu’il parlait un hébreu proche du dialecte rabbinique, cela est assez peu surprenant. Comme Lakoff et Johnson l’ont montré, les métaphores que nous employons déterminent, dans la vie quotidienne, notre manière de penser, d’agir et de raconter.

Considérons par exemple ce verset du Notre Père tel que nous le trouvons dans l’Évangile de Matthieu : « Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (6, 12). Le pardon est ici imaginé comme l’action gracieuse de refuser le remboursement d’une obligation. Celui qui prie demande à Dieu d’agir envers lui de cette manière, tout en affirmant son intention de faire de même. La plupart des spécialistes considèrent que la forme grecque de cette prière, que nous connaissons à présent d’après le Nouveau Testament, ne prend de sens que si nous revenons à son contexte sémitique d’origine. Comme l’observe Fr. R. Brown, spécialiste du Nouveau Testament :

l’utilisation que Matthieu fait des ”dettes” a un parfum sémitique parce que, si en grec vernaculaire, le mot ”dette” n’a pas de coloration religieuse, en araméen, ḥôbâ est un terme financier et commercial qui a été emprunté puis intégré au vocabulaire religieux […]. L’idée de remettre (aphiemi) les dettes, qui apparaît dans notre demande, est aussi plus sémitique que grecque puisque l’idée de « rémission » n’a de sens religieux que dans le grec de la Septante, qui témoigne d’une forte influence hébraïque.

La portée du langage de la dette ne se limite pas au Notre Père. Nous trouvons l’exemple le plus frappant de ce symbolisme dans la parabole du serviteur impitoyable (Matthieu, 18, 23-35). Dans cette parabole, un roi désire régler ses comptes avec plusieurs de ses serviteurs :

Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.” Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette. Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette ! ” Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.” Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? ” Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.

Cette parabole éclaire en profondeur ce que Jésus voulait dire quand il conseillait à ses disciples de prier pour que leurs dettes leur soient pardonnées, comme ils les pardonneraient à leurs débiteurs. Si l’on suit la logique de la métaphore employée dans cette prière, nous sommes exposés au danger de devenir esclaves de nos dettes quand nous péchons. Et si notre péché devait rester sans correction, alors l’on devrait « payer » le « coût » de l’offense avec la « devise » que constitue le châtiment physique. Heureusement, Dieu est miséricordieux et remettra la dette que nous devons, si nous l’en supplions avec humilité.

Raymond Brown conclut ainsi :

Le roi qui désire régler ses dettes avec ses serviteurs est, de toute évidence, Dieu, et le contexte celui d’un jugement. La parabole souligne le fait que le pardon accordé par Dieu au serviteur est lié au pardon que ce serviteur accorde à son tour à un de ses semblables. Quand échoue ce pardon fraternel, le serviteur est livré aux bourreaux jusqu’à ce qu’il s’acquitte de sa dette.

https://www.cairn.info/revue-communio-2018-2-page-37.htm
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeVen 27 Oct 2023, 13:58

Présentation instructive sur les textes rabbiniques, même si le ton "pédagogique" à l'américaine a tendance à tout simplifier et caricaturer, pour ne pas dire abêtir... (Sur ce sujet je rappelle Levinas, supra 12.10.2023).

Mais à mon avis l'auteur, dans cet article du moins, passe à côté du principal: si la métaphore de la dette prend le dessus aussi bien dans les textes néotestamentaires que rabbiniques, c'est parce que la destruction du temple a consacré la victoire du pharisaïsme pré-rabbinique, essentiellement "laïc" et synagogal, sur toutes les autres formes du judaïsme, surtout sacerdotales (de l'aristocratie sadducéenne aux contre-prêtrises contestataires, p. ex. à Qoumrân). Or la majeure partie des métaphores du "péché" étaient liées au rituel (laver, purifier, comme d'une tache ou d'une souillure, expier ou recouvrir par le sang, lever la faute comme un poids et en charger un autre, apaiser ou détourner la colère divine, etc.; cf. p. ex. supra 23.6.2018 ou 29.1.2023) -- restaient les métaphores "profanes", commerciales, financières, transactionnelles, contractuelles, comptables, métriques ou pondérales, emblématiquement la "dette" combinée ou non à la balance, qui correspondaient aussi aux moyens économiques de survie du judaïsme en diaspora, y compris en "Palestine" romaines (et naturellement aux stéréotypes des antisémitismes à venir, où l'on passe de la notion ethno-géographique du "judéen" à la dénotation ethno-sociale du "juif" sans terre par définition commerçant, usurier, même là où les juifs redeviennent paysans ou artisans). Cela concernerait assez peu l'époque habituellement attribuée à "Jésus", dans le deuxième quart du Ier siècle, par contre cela concerne tout à fait l'époque de rédaction des évangiles où les proto-christianismes se comprennent, tout comme le pharisaïsme quoique contre celui-ci, comme une "suite" non sacerdotale du "judaïsme".

Sur les problèmes de traduction, cf. supra 30.9.2023: "laisser" (aphièmi) une dette ce n'est pas tout à fait la "remettre" (remise, rémission: que faire d'une dette remise, que plus personne ne me réclame mais qui me reste sur les bras ?), ni l'annuler, ni l'effacer ni l'absoudre, même si c'est bien cesser d'en exiger, d'en demander, d'en attendre ou d'en escompter un quelconque règlement (paiement, remboursement, etc.). C'est pourquoi je préfère surtraduire "laisser courir" ou "filer" -- dans la veine du laisser faire, laisser être, laisser aller, lâcher prise ou Gelassenheit... Il y a de la dette, il y en aura peut-être toujours, mais rien n'oblige à la compter, à la mesurer, à la peser ni à la convertir en devoir.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeLun 08 Jan 2024, 17:16

21Mais maintenant, en dehors de la loi, la justice de Dieu attestée par la loi et les prophètes s'est manifestée, 22justice de Dieu, par la foi de Jésus-Christ, pour tous ceux qui croient. Car il n'y a pas de distinction : 23tous, en effet, ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; 24et c'est gratuitement qu'ils sont justifiés par sa grâce, au moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. 25C'est lui que Dieu s'est proposé de constituer en expiation, au moyen de la foi, par son sang, pour montrer sa justice ; parce qu'il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, 26dans sa tolérance, Dieu a voulu montrer sa justice dans le temps présent, pour être juste tout en justifiant celui qui relève de la foi de Jésus. (Rm 3,21-26 - NBS). 

21  Mais maintenant, la justice de Dieu a été révélée en dehors de la loi comme la Loi et les Prophètes en témoignent, 22  oui, la justice de Dieu grâce à la foi en Jésus Christ, pour tous ceux qui ont foi. Car il n’y a pas de distinction. 23  En effet, tous ont péché et aucun n’arrive à atteindre la gloire de Dieu, 24  et c’est comme don gratuit qu’ils sont déclarés justes par sa faveur imméritée, en raison de la libération par la rançon payée par Christ Jésus. 25  Dieu l’a présenté comme offrande de réconciliation*, réconciliation rendue possible grâce à la foi en son sang. C’était pour manifester sa propre justice, parce que Dieu dans son indulgence* pardonnait les péchés qui s’étaient produits dans le passé. 26  C’était pour manifester sa propre justice+ à l’époque présente, pour qu’il soit juste même quand il déclare juste l’homme qui a foi en Jésus. (Rm 3,21-26 - TMN)


Pardonnés avant le versement de la rançon

Nous pouvons être pardonnés de nos péchés uniquement grâce à la rançon que Jésus a payée en versant son sang (Éph. 1:7). Pourtant, la Bible dit : « Dieu dans sa tolérance pardonnait les péchés qui s’étaient produits dans le passé », c’est-à-dire avant que Jésus fournisse la rançon (Rom. 3:25, note). Comment Jéhovah pouvait-il faire cela tout en respectant ses normes parfaites de justice ?

Jéhovah a considéré que la rançon était pour ainsi dire déjà payée à partir du moment où il a décidé de fournir une « descendance » qui sauverait les humains qui auraient foi en lui (Gen. 3:15 ; 22:18). Il était absolument certain qu’au moment voulu, son Fils unique offrirait volontiers sa vie en rançon (Gal. 4:4 ; Héb. 10:7-10). Quand il était sur la terre, en sa qualité de représentant de Dieu, Jésus avait autorité pour pardonner les péchés alors que la rançon n’avait pas encore été versée. Et il l’a fait parce qu’il savait que son futur sacrifice couvrirait les péchés de ceux qui avaient foi en son Père (Mat. 9:2-6).

https://www.jw.org/fr/biblioth%C3%A8que/revues/tour-de-garde-etude-mars-2024/Pardonn%C3%A9s-avant-le-versement-de-la-ran%C3%A7on/

Au delà d'une traduction hasardeuse (Je n'ai pas le sentiment que le NBS et TMN traduisent de la même manière), l'auteur de l'article pense à la place de Dieu, il, sait ce que ce "Jéhovah a considéré" et il est même capable d'énoncer les certitudes de Dieu ... Sans fournir aucune preuve scripturaire. D'ailleurs cet article pose une question intéressante : Comment concilier le concept de "rançon" (qui efface les péchés) et la notion de "grâce" ("faveur imméritée") ?  Shocked
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeLun 08 Jan 2024, 18:23

Pour rappel:

1. "Faveur imméritée" est une surtraduction de "grâce", kharis, mais elle est probablement moins fausse (!) dans l'épître aux Romains ou dans celle aux Galates qu'ailleurs. C'est l'effet du texte paulinien que de qualifier la kharis comme "imméritée" (par opposition au "salaire" ou à la "récompense", misthos, cf. chap. 4), il est donc tout à fait superflu et redondant de réintroduire ce qualificatif dans la traduction du mot kharis, mais ce n'est pas un contresens...

2. Il y a confusion entre le sens sacral, sacrificiel, rituel, sacerdotal, d'"expiation" ou de "propitiation" (kpr, hilasmos etc.) et celui, profane, civil, commercial, économique, transactionnel de "rançon" ou de "rédemption" (lutroô etc., quasi-synonyme d'agorazô, ex-agorazô etc., [r]acheter), à la faveur de l'anglais atonement, traduit ici par "réconciliation" qui convoquerait un tout autre vocabulaire grec (allassô, kat-allassô etc., p. ex. 2 Corinthiens 5).

Mais si l'on sort un instant de ces problèmes "techniques" (technicalities), ou plutôt si on les envisage sous un autre angle, on peut aussi bien se dire que tous les artifices rituels, sacrificiels, transactionnels, commerciaux, économiques censés expliquer le "pourquoi" et le "comment", la "mécanique" d'un "salut" ou d'un "pardon" (expiation, propitiation, rançon, rédemption) ne font que traduire ou représenter, à la façon d'un acte prophétique ou théâtral, d'une métaphore ou d'une parabole, une "grâce" qui foncièrement se passe de toute justification ou explication. "Pantomime de Dieu", disait une amie chère restée TdJ qui avouait ne pas comprendre une "rançon" sinon précisément ainsi, comme signe, symbole ou acte théâtral d'une "grâce" qui transcendait et défiait toute "justification".

P.S.: En repensant à ce thème, et à la justice en général, je me disais que même une justice distributive et rétributive, qui punit et récompense, aboutit  à une certaine justification du pécheur et du péché, du coupable et de la faute, et ce de plusieurs façons: à la justice la faute est nécessaire, elle fait partie de son ordre, de sa logique et de son système, et en remettant le coupable (présumé ou déclaré) à sa place dite juste elle le justifie, elle fait de lui ce qu'il doit être à ses yeux, même si elle le tue, l'emprisonne ou le torture... Par là aussi la "grâce" déborde la "justification" -- a fortiori si on réduit celle-ci au sens ordinaire d'acquittement, qui peut être mérité ou non...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeMar 09 Jan 2024, 16:41

Luther par Luther. Du péché à la justice, l’expérience de la foi
Guilhen Antier

Pour revenir au concept de justice, Luther note la chose suivante :

« Justice » et « injustice » ont dans l’Écriture une acception bien différente de celle que leur donnent les philosophes et les juristes. C’est évident, car ceux-ci les considèrent comme des qualités de l’âme, etc. Mais la « justice » de l’Écriture dépend plutôt de l’imputation par Dieu que de l’essence de la chose. En effet, celui qui a la justice n’a pas seulement la qualité de celle-ci : bien mieux, il est tout à fait pécheur et injuste. Mais il est celui qui, confessant son injustice et implorant la justice de Dieu, est miséricordieusement réputé juste par Dieu, et que Dieu a voulu tenir pour tel auprès de lui. C’est pourquoi, tous, nous naissons et nous mourons dans l’iniquité, c’est-à-dire dans l’injustice : c’est seulement dans la façon dont nous sommes considérés par un Dieu miséricordieux, par la foi en son Verbe, que nous sommes justes.

 Ce qu’il faut retenir ici est la notion, centrale, d’imputation. Ce qui fait d’une chose une chose juste ne tient pas à sa qualité intrinsèque mais exclusivement à sa qualité extrinsèque. Autrement dit, la justice de l’être humain devant Dieu relève entièrement du regard extérieur de Dieu qui lui impute – c’est-à-dire lui attribue – une justice dont il est dépourvu intérieurement. C’est la raison pour laquelle l’être humain en lui-même demeure fondamentalement injuste, c’est-à-dire pécheur (nous y reviendrons). L’être humain est tenu pour juste par Dieu, il est donc justifié par un autre que lui-même, ce qui revient à dire qu’il ne produit pas sa justice mais la reçoit. Luther nomme cette justice la justice passive ou encore forensique. Qu’est-ce à dire ?


En premier lieu, la justice passive signifie une justice dont on est l’objet de la part d’un autre, donc une justice qui ne vient pas de soi. Pour que cette justice ait une quelconque effectivité existentielle, il convient de l’accueillir comme un don immérité avec une confiance du cœur solide et joyeuse. Croire au don de la justice de Dieu – croire à la justice de Dieu comme don – signifie justifier Dieu, c’est-à-dire le considérer comme juste à notre égard :


Par le fait de justifier Dieu, nous sommes nous-mêmes justifiés. Et cette justification passive de Dieu, par laquelle nous le justifions, est proprement notre justification, la justification active par Dieu. Car, cette foi qui justifie ces paroles, Dieu la tient pour justice, comme il le dit aux chapitres IV et I : « Le juste vit de la foi.

Dieu se révèle à l’être humain comme juste non pas en le punissant selon ses transgressions ni en le récompensant selon ses mérites, mais en lui faisant miséricorde sans qu’il n’y soit pour rien. La figure du Dieu juste que Luther haïssait tant s’en trouve radicalement subvertie, car la justice de Dieu ne consiste plus à culpabiliser l’humain mais à le disculper. L’humain justifié est l’humain ajusté à Dieu, réconcilié avec lui. Dieu s’offre comme l’auteur de la réconciliation : il nous réconcilie avec lui gratuitement sans égards pour nos capacités ou nos incapacités à nous le concilier. Ainsi, la parole par laquelle Dieu nous déclare juste à ses yeux, bien que nous ne le soyons pas en nous-mêmes, est la justification de notre existence. Cette parole qui fait ce qu’elle dit quand elle dit ce qu’elle fait, nous l’appellerions aujourd’hui, en suivant le philosophe John L. Austin, une « parole performative ».

(...)

L’expérience d’une justice passive et forensique fait donc du croyant à la fois un juste et un pécheur, toujours un pénitent : simul justus et peccator, semper paenitens. Soulignons-le : la compréhension luthérienne de l’existence chrétienne n’est pas statique mais dynamique. Pour éclairer cela, il faut avoir recours à la distinction que Luther établit entre la loi et l’Évangile . La loi révèle ce que Dieu ordonne, l’Évangile ce que Dieu donne. La loi révèle l’être humain à lui-même comme pécheur, l’Évangile le révèle à lui-même comme justifié. Or il s’agit bien ici d’une distinction et non d’une succession : l’expérience de la justification ne consiste pas à passer d’un état A à un état B dans un mouvement linéaire et chronologique. Elle consiste à passer et repasser toujours à nouveau par la distinction en soi-même de ce qui est crainte du Dieu qui ordonne et de ce qui est abandon au Dieu qui donne. La distinction entre la loi et l’Évangile est aussi bien, pour Luther, distinction entre Dieu et Dieu. Non pas qu’il y ait deux Dieux mais il y a, encore une fois, deux visages de Dieu, et par conséquent deux manières pour l’être humain de se rapporter à lui : comme juge qui accuse et condamne ou comme père qui excuse et console. Ainsi, jamais dans la vie du croyant la loi ne disparaît au profit du seul Évangile, de même que jamais le pécheur ne s’efface au profit du seul justifié : les deux réalités cohabitent en lui dans une tension permanente. Ce que Luther appelle la pénitence est précisément le fait de cheminer dans cette tension. Comme paenitens, le chrétien est celui qui approfondit toujours davantage en lui-même la distinction tant entre les deux figures du Dieu devant qui il se tient qu’entre les deux compréhensions de l’existence qui en découlent.


https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2015-2-page-181.htm
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeMar 09 Jan 2024, 18:13

J'ai toujours grand plaisir à relire (du) Luther -- qui a beaucoup compté pour moi à ma sortie des TdJ: la Watch aussi le donnait quelquefois en exemple, me suggérant malgré elle la question: aurais-je le courage de prendre dans ma "religion" (jéhoviste), s'il le fallait, une position semblable à celle qu'il a prise dans la sienne (catholique) ? Question à laquelle je devais bien répondre par la négative, jusqu'à ce que je m'aperçoive que ce n'était pas du tout une question de courage, mais de ne pas pouvoir faire autrement (Ich kann nicht anders, formule que Syberberg transfère de Luther à Hitler... je m'égare).

Pour rester dans la comparaison monstrueuse, on pourrait dire que Luther et la Watch (plutôt paradoxalement catholique sur ce point) tirent le texte paulinien dans des directions opposées: là où Romains 3,26, par exemple, dit (que Dieu est) "juste et justifiant", dikaion kai dikaionta, Luther interprète audacieusement la conjonction en modalité instrumentale ou explicative, "juste en justifiant, parce qu'il justifie", ce que la tradition catholique et le jéhovisme explicitent dans un sens contraire, antinomique ou adversatif: "juste bien que justifiant"... Dans un cas c'est le sens même de la "justice" qui est subverti, ou renversé, dans l'autre il reste inchangé: c'est toujours la vieille justice distributive et rétributive que le dieu ne renie pas mais avec laquelle il s'arrange par une pirouette, un tour de passe-passe ou un subterfuge, juridique, judiciaire, sacrificiel ou transactionnel.

Ce qui du point de vue exégétique échappe peut-être à Luther (mais c'est à bien d'autres points de vue une heureuse faute, felix culpa), c'est que le raisonnement de l'épître aux Romains n'est pas seulement ni purement juridique, judiciaire, forensique, légal, tout cela est relevé par une "logique" d'une autre nature, "mystique" au sens du "mystère" antique: au-delà de la "justice" imputée extérieurement et formellement au pécheur qui n'en resterait pas moins pécheur, il y a le jeu de la mort et de la vie, de la chair et de l'esprit, d'un "salut" qui dépasse toute "justification" et ne relève plus d'aucune "loi", ni même d'aucune "logique"... Ce que peut-être le catholicisme augustinien avait mieux perçu, tout en le perdant dans un millefeuille de médiations ecclésiastiques, hiérarchiques et sacramentelles -- mais que le jéhovisme de son côté neutralise en séparant la quasi-totalité de ses adeptes de tout rapport immédiat au "mystère", par la doctrine des "deux espérances": la vie nouvelle de l'esprit ce n'est pas pour vous, autres brebis...
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeMer 10 Jan 2024, 12:21

Avec Paul, l’agapè comme dépassement critique de la justice
Christophe Raimbault

Non pas la justification comme telle, mais une dynamique pour être justifié

Le substantif « justification » n’existe pas chez Paul. Il pourrait être compris comme un concept statique. Paul préfère le verbe justifier, dikaioô, et le substantif justice, dikaiosunè. Il qualifie ainsi l’action de Dieu en Jésus Christ qui manifeste sa justice et justifie les croyants. Ainsi, croire en Jésus Christ, mort pour nous libérer du péché, donne aux croyants de voir la justice de Dieu et d’être justifiés (Rm 3,25-26).

L’agapè divine, révélée et offerte, comme instance critique de la foi et de l’action croyante

Un don

L’événement de la mort et résurrection du Christ a pour moteur l’agapè. En Rm 5,5.8, l’agapè de Dieu a été répandue dans les cœurs par l’Esprit Saint et manifestée par le sang du Christ. En ce sens, elle est un don. Nygren parle de « l’agapè de la croix ».

L’agapè est un thème novateur pour Paul. En Romains, il encadre la partie anthropologique de Rm 5-8. Paul parle de l’agapè de Dieu en Rm 5,5 et en Rm 8,39, de l’agapè du Christ en 8,35 et de l’agapè de l’Esprit en 15,30. S’agit-il de génitifs d’appartenance ou de provenance ? Pour Dunn, chez Paul, l’amour du Christ n’est autre que l’amour de Dieu . Le Père et le Fils ont de l’amour pour les hommes et leur action dans l’œuvre du salut est exprimée à l’aide de la formule « en Christ ».

En Rm 8,28, apparaît pour la première fois en Romains le verbe aimer : tout concourt au bien des croyants, « qui aiment Dieu ».

Le vocabulaire de l’Esprit laisse place au vocabulaire de l’agapè à la fin de Rm 8. Comme l’exprime Furnish, il s’opère ici une « identification » entre l’Esprit de Dieu et l’agapè. En Ga 5,22, l’agapè est présentée comme le fruit de l’Esprit. Au total, les prémices de l’Esprit, ne seraient-ils pas justement l’agapè, répandue dans les cœurs par l’Esprit et manifestée par le sang de Jésus Christ ? La vie dans l’Esprit instaure la création et les croyants dans une relation d’agapè manifestée en Christ. Elle rend les croyants conformes à l’image du Fils premier-né d’une multitude de frères, et leur fait partager sa gloire.

L’agapè est donc un don de Dieu par rapport auquel le croyant est invité à se positionner : en accueillir la révélation, mais aussi en vivre et la mettre en œuvre. Elle est le critère de la foi et de l’action du croyant. L’agapè est présentée dans toutes ses caractéristiques en 1 Co 13. Elle est la plus grande de ce qu’on appellera plus tard les vertus théologales, en ce sens qu’elle est l’agent de la foi et de l’espérance (1 Co 13,7). En même temps, la foi agit par l’agapè (Ga 5,6). L’agapè nous presse (2 Co 5,14) et doit fonder toute action (cf. 1 Co 13 : sans elle, cela ne sert à rien…). Elle est une voie à rechercher comme un chemin hyperbolique (1 Co 12,31). Avec la foi et l’espérance, elle est une arme pour les combats de la vie que mènent les croyants (1 Th 5,8 ; Ep 6,11).

***

En conclusion, la justification est présentée par Paul comme un don de Dieu, initié par l’événement historique de la croix et motivé par l’agapè. Il ne s’agit plus de chercher le salut par les œuvres de la loi, mais d’accueillir la révélation de l’agapè et de la mettre en œuvre. Le critère, comme instance critique, se trouve alors déplacé : l’agapè devient le critère de la foi et du comportement pour se laisser ajuster à la volonté de Dieu. La grâce surabondante de Dieu inverse le mouvement : Dieu prend l’initiative de justifier et de se réconcilier les hommes qui s’étaient éloignés de lui. Il revient au croyant de répondre à l’invitation à se laisser conformer et à revêtir celui qui est le modèle à imiter. Le discernement, l’intelligence et la conscience sont les lieux où la puissance critique de l’agapè se déploie au point d’orienter le comportement du croyant vers l’autre, le prochain, et de l’ajuster à la volonté de Dieu.

Au-delà d’une simple quête de justice dictée par des préceptes et commandements, il s’agit désormais pour le croyant de discerner toujours comment vivre dans l’agapè, l’agapè de la croix.

https://www.cairn.info/revue-transversalites-2019-3-page-37.htm
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeMer 10 Jan 2024, 13:07

L'exégèse du NT n'est décidément jamais sortie (2019 !) de la récitation du catéchisme (ici c'est catholique, mais les protestants cités y sont pour quelque chose): tous les textes "pauliniens" mis dans le même sac et sur le même plan, et tranquillement expliqués par la "biographie" de leur "auteur" unique, identifié au "Paul" des Actes...

Le substantif "actif" ou "dynamique" correspondant à "justification" ("action" ou opération de "justifier", quoi qu'on entende par là), dikaiôsis, apparaît bien en Romains 4,25; 5,18, Raimbault ne s'est visiblement pas donné la peine de vérifier. Mais bien sûr c'est plus souvent le verbe (transitif) dikaioô qui porte l'"action" (2,13; 3,4.20.26.28.30; 4,2.5 etc.).

Il suffit de différencier les textes référencés selon une chronologie relative et vraisemblable pour se rendre compte que dans le corpus "paulinien" le thème de l'"amour" précède (dès 1 Corinthiens) celui de la "justification" (Romains et Galates, à mon avis dans cet ordre) -- et de le comparer au reste du NT et de la littérature juive et/ou hellénistique plus ou moins contemporaine pour constater qu'il n'a rien d'original (contrairement à la "justification par la foi" opposée aux "oeuvres" de Romains-Galates; rien de tel dans 1 Corinthiens, où dikaioô est employé de façon parfaitement banale, 4,4; 6,11)... Mais on peut bien dire que "l'amour" noie tout, chez "Paul" comme ailleurs: tous les concepts, les raisonnements, les définitions, les distinctions, les oppositions, les antithèses, les antagonismes et les conflits -- comme la mort ainsi qu'on l'a déjà remarqué. Dans Romains ou Galates il (ou plutôt elle, l'agapè qui est la plus générale et la moins définie, même si Raimbault [ré-]cite encore Nygren) noie autant le (simili-)juridique ("justification") que le "myst(ér)ique" (mort-vie) dans un(e) vague qui emporte toute "logique", et avec elle les hiatus et les failles des différentes "logiques" d'une "logique" hétéroclite...

Comme on le répète depuis le début de ce fil, tout l'aspect technique, mécanique, machinique, utilitaire, logique, logistique ou rationnel de la doctrine (chrétienne ou autre) tente de répondre à un "comment", ou à un "pourquoi" par un "comment", explicatif et narratif -- comment ça marche, comment ça marcherait, comment ça se passe, s'est ou se serait passé, comment on pourrait être pardonné, guéri, rétabli, restauré, sauvé, toujours à contre-temps et à contre-histoire: comme si la faute, le mal, la chute, la déchéance, la perte, le devenir en somme n'avaient jamais eu lieu. Et en réponse à ce comment elle ne peut offrir que des images et des métaphores, lavage, effacement, couverture, cachette, diversion, justification ou acquittement judiciaire, expiation ou propitiation rituelle, transfert de la faute-dette, rançon, rédemption, rachat transactionnel et contractuel, médiation, outil, moyen, artifice, subterfuge: ce n'est jamais satisfaisant même si on les combine, à vrai dire c'est encore moins satisfaisant quand on les combine parce qu'il devient clair que tous ces "machins" ne vont pas ensemble, c'est un bric-à-brac de logiques différentes et souvent incompatibles entre elles. L'avantage de notions "affectives" comme l'amour, la bonté, la compassion, la grâce, c'est que si elles ne répondent pas à un "comment" ni à un "pourquoi" elles les rendent superflus. On ne sait jamais pourquoi ni comment on aime, on pardonne, etc., mais ça arrive et quand ça arrive aucune question ne se pose plus.
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MessageSujet: Re: Le pardon ou/et la justification   Le pardon ou/et la justification - Page 3 Icon_minitimeJeu 11 Jan 2024, 11:32

Citation :
Comme on le répète depuis le début de ce fil, tout l'aspect technique, mécanique, machinique, utilitaire, logique, logistique ou rationnel de la doctrine (chrétienne ou autre) tente de répondre à un "comment", ou à un "pourquoi" par un "comment", explicatif et narratif -- comment ça marche, comment ça marcherait, comment ça se passe, s'est ou se serait passé, comment on pourrait être pardonné, guéri, rétabli, restauré, sauvé, toujours à contre-temps et à contre-histoire: comme si la faute, le mal, la chute, la déchéance, la perte, le devenir en somme n'avaient jamais eu lieu. Et en réponse à ce comment elle ne peut offrir que des images et des métaphores, lavage, effacement, couverture, cachette, diversion, justification ou acquittement judiciaire, expiation ou propitiation rituelle, transfert de la faute-dette, rançon, rédemption, rachat transactionnel et contractuel, médiation, outil, moyen, artifice, subterfuge: ce n'est jamais satisfaisant même si on les combine, à vrai dire c'est encore moins satisfaisant quand on les combine parce qu'il devient clair que tous ces "machins" ne vont pas ensemble, c'est un bric-à-brac de logiques différentes et souvent incompatibles entre elles. L'avantage de notions "affectives" comme l'amour, la bonté, la compassion, la grâce, c'est que si elles ne répondent pas à un "comment" ni à un "pourquoi" elles les rendent superflus. On ne sait jamais pourquoi ni comment on aime, on pardonne, etc., mais ça arrive et quand ça arrive aucune question ne se pose plus.

Merci pour ce très beau texte ... Ci-dessous encore une tentative d'explication du "comment" (comment ça marche, comment ça marcherait, comment ça se passe). 



15Quoi donc ? Pécherions-nous, parce que nous ne sommes pas sous la loi, mais sous la grâce ? Jamais de la vie ! 16Ne savez-vous pas que si vous vous mettez à la disposition de quelqu'un comme des esclaves, pour lui obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché qui conduit à la mort, soit de l'obéissance qui conduit à la justice ? 17Mais, grâce à Dieu, après avoir été esclaves du péché, vous avez obéi, de cœur, au modèle d'enseignement auquel vous avez été confiés. 18Libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice. (Rm 6,15-18).

Romains 6 : Morts au péché et vivants avec Christ
Jean-René Moret

Qui servirons nous ?

Dans ce passage, Paul prend un optique où on a changé de maître. Avant, le péché était notre maître, maintenant on sert l’obéissance à Dieu qui mène à la justice. Grâce à Dieu, on a entendu sa Parole et l’enseignement transmis par les apôtres, on a été libéré du péché pour servir la justice. On a changé de maître, comment nous remettre au service de l’ancien ?

Paul précise qu’il est en train de parler d’une manière humaine, à cause de la faiblesse de ses auditeurs. Cela veut dire que l’image qu’il emploie n’est pas parfaite, qu’elle a quelque chose de trop basique. Je crois que c’est sur cette notion d’esclave de la justice, Paul en parle comme si c’était un autre maître qu’on servait comme esclaves. Dans l’imagerie de l’esclavage, c’est juste de le dire, mais ça ne dit pas tout sur notre situation de chrétien. Le service de Dieu n’est pas un esclavage. Être conduit par l’esprit de Dieu mène à la vraie liberté, et à être pas seulement les esclaves, mais les fils et filles de Dieu. C’est ce que Paul écrit un peu plus loin, au chapitre 8 :

Car l’Esprit que vous avez reçu n’est pas un esprit qui vous rende esclaves et vous remplisse encore de peur; mais c’est l’Esprit Saint qui fait de vous des enfants de Dieu et qui nous permet de crier à Dieu : « Abba, ô mon Père!» L’Esprit de Dieu atteste lui-même à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Romains 8.15-16 (BFC)

Voilà pourquoi l’idée «être libéré du péché pour être esclave de la justice» donne une image imparfaite de notre situation de chrétiens. Mais Paul reste quand même avec cette image pour le moment, en soulignant que quand on était esclave du péché, on était libre par rapport à la justice. Autrement dit on n’avait rien à voir avec elle, on ne la recherchait pas et ne la pratiquait pas. Au contraire, on était tout entiers au service de l’impureté et du mal, dans la révolte contre Dieu. Mais maintenant, il ne doit plus en être ainsi, libérés du péché nous nous mettons au service de ce qui est juste devant Dieu, pour vivre ce qu’on appelle la sanctification : devenir de plus en plus semblable à ce que Dieu veut qu’on soit, de plus en plus semblables à Jésus-Christ.

https://www.academia.edu/30201183/Romains_6_Morts_au_p%C3%A9ch%C3%A9_et_vivants_avec_Christ
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