- Hugues a écrit:
- Nous y voilà. En vertu de quoi, une "Tradition", doit-elle évoluer pour être vivante ? Vous savez fort bien, en tout cas il me semble, qu'une Tradition est quelque chose qui se transmet de génération en génération, en évitant toute altération. L’exercice est difficile j'en conviens. La Bible en est une preuve. S'il y a altération, on ne peut plus parler de Tradition. V2 a donné un sérieux coup bas à cette Tradition.
A ce que je comprends de la doctrine catholique, la différence entre "Ecriture" et "Tradition" est essentiellement celle qui distingue un corpus
fermé (clos, achevé, terminé) d'un corpus
ouvert (inachevé, en cours de développement,
a work in progress) -- cela même qui distingue aussi, par une analogie qui est dès lors plus qu'une simple comparaison (à supposer qu'aucune comparaison soit jamais "simple comparaison"), une "langue morte" d'une "langue vivante". On peut toujours progresser dans la compréhension d'une "langue morte", mais on ne la fera plus évoluer (ni "involuer"), sauf à la ressusciter, à la rendre à nouveau vivante, toujours plus ou moins artificiellement au départ. On ne peut en revanche pratiquer une langue vivante sans contribuer, fût-ce de façon infinitésimale, à son "évolution" (ou "involution" si vous voulez).
C'est là qu'à mon sens "fondamentalisme" (généralement protestant) et "intégrisme" (généralement catholique) diffèrent, tout en se ressemblant: le premier s'en tient à un corpus fermé, à un canon clos (l'Ecriture), en s'aveuglant à la tradition vivante qui l'a produit (et ne s'y est pas arrêtée); le second ferme le corpus ouvert de la Tradition, l'arrête arbitrairement à un certain stade de son développement (tel ou tel concile p. ex.) et le traite
à partir de là comme un corpus fermé et désormais intangible.
Je souligne
à partir de là: car si un "traditionalisme" est assez naïf ou sophiste (les deux attitudes, quoique opposées en principe, aboutissent assez facilement au même résultat) pour prétendre contre l'évidence historique que son corpus traditionnel de référence est
depuis toujours fermé, qu'il n'a nullement "évolué" depuis "Jésus" ou "les apôtres", alors il est plus "fondamentaliste" qu'"intégriste". Et plus rien,
en droit, ne saurait à ses yeux distinguer "l'Ecriture" de la "Tradition", celle-ci étant aussi fixe, figée, intangible, incorruptible, inaltérable, aussi "(langue) morte" en somme que celle-là.
On en arrive alors à ce paradoxe qu'un tel traditionalisme, si
anti-protestant qu'il se veuille, emprunte au protestantisme son schème justificateur: il traite la Tradition (qu'il ne se contente pas d'arrêter arbitrairement, mais qu'il proclame inchangée depuis les origines chrétiennes)
exactement comme un fondamentalisme protestant traite l'Ecriture. L'inverse existe aussi, d'ailleurs, quand tel fondamentalisme protestant, en principe très
anti-catholique, devient un "intégrisme-de-la-Réforme-du-XVIe-s.", en déclarant p. ex. infaillible la Bible des Réformateurs: il emprunte alors à son insu un schème justificateur catholique, transfère l'infaillibilité de l'Eglise ou du pape aux Réformateurs, celle de la Vulgate au
Textus receptus d'Erasme (pourtant catholique)...
(J'aurai probablement quelques petites remarques à faire sur les textes du NT quand les fils de discussion concernés auront été -- à nouveau -- "rangés".)