L'oeil simple Mathieu 6/22

La lampe du corps, c’est l’œil,
Si donc ton œil est simple, tout ton corps sera lumineux ;
Mais si ton œil est méchant, tout ton corps sera ténébreux.
Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien sont grandes ces ténèbres. TDM
Question :
Méchant est t’il le contraire de simple ?
L’œil est il littéral ou figuré ?
Réponse :
Voici les définitions se rapportant à chaque mot grec (dictionnaire Grec/Français de Bailly, de Carrez) et du dictionnaire des encyclopédie de la bible d’Alexandre Westphal, ainsi que du dictionnaire Larousse.
L’œil : L’œil est le révélateur le plus expressif des sentiments (Westphal)
: L’œil désigne l’expression du regard indiquant les qualités, les défauts, les
passions, les sentiments, la disposition de l’AME…
Simple : “sans détour, franc, sincère, sain“
Méchant : “Mauvais, pervers, vicieux, voulant faire le mal, pénible, qui cause
de la peine“
Le corps : il désigne, le corps de chair, mais aussi “La personne elle-même,
l’être en tant qu’individu“
Ainsi Jésus pouvait vouloir dire :
“Si on voit dans tes yeux de la franchise, de la sincérité, cela révèle, ou nous éclaire, sur ce que tu es intérieurement, c'est-à-dire une personne saine. La lumière est en toi, car Dieu est lumière comme Christ est lumière. Leurs belles qualités sont en toi. Mais si on voit dans ton œil de la méchanceté, alors cela nous éclaire sur ce que tu es, c'est-à-dire intérieurement dans les ténèbres, loin de Dieu qui est lumière. Tu es encore asservi au péché. Tes désirs mauvais et charnels te dominent, et t’empêche de recevoir la lumière divine“
Ainsi l’œil révèle ce que nous sommes réellement. Il indique la disposition de notre âme…

Sauf que le sens d'expressions plus ou moins stéréotypées ne s'obtient pas forcément par simple addition des sens de leurs composants (ex: avoir les dents longues, l'estomac dans les talons, le coeur bien accroché, la langue bien pendue, les yeux plus gros que le ventre, la tête près du bonnet, etc.).
En hébreu (et dans le grec sémitisant de la LXX et du NT) "l'oeil bon-simple/mauvais-méchant" correspond assez précisément au couple "générosité/avarice" (voir le contexte et 20,15; Deutéronome 15,9; Proverbes 22,9; 23,6).

Bonsoir,

Bonsoir Païenne,

J'aurais dû ajouter à ma remarque précédente que la série de logia évangéliques sur "l'oeil" associe en effet à la signification habituelle de l'"oeil simple/bon" (générosité, compassion, bienveillance) ou "mauvais" (avarice, égoîsme, jalousie, cf. Marc 7,22) la perception (lumière, claire vision) c.-à-d. une métaphore cognitive...

De même que dans la fameuse analogie de "la paille et la poutre" (Matthieu 7,1-5//Luc 6,41-42//Thomas 26) le non-jugement (retirer la poutre de son oeil) permet de "voir clair".

C'était déjà le cas, avant les évangiles, dans le Testament de Benjamin (4,2): "L'homme bon n'a pas un oeil aveuglé par les ténèbres, car il a pitié de tous, même des pécheurs. Quand bien même voudraient-ils lui nuire, c'est en faisant le bien qu'il vainc le mal, protégé qu'il est par Dieu; mais les justes, il les aime comme lui-même."

On n'est donc pas loin de l'"oeil de la connaissance" -- à ceci près que la clé en est moins ésotérique qu'éthique: c'est un changement d'attitude qui fait "voir".

Exemple pratique chez Jacques d'un oeil méchant dans le contexte d'une foi stérile :

2 : 15,16 Si un frère ou une soeur n'avaient pas de quoi se vêtir et manquaient de la nourriture de chaque jour, et que l'un de vous leur dise : "Allez en paix, tenez-vous au chaud et à mangez à votre faim !" sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela servirait-il ?

@ Assad:

Et le couple "aimer = connaître" dans la Première de Jean (4,7ss), combiné à l'opposition "aimer = lumière / haïr = ténèbres" (2,8ss).

Il y a quand même une différence dans le commencement, le "premier pas" (qui est un peu le problème de l'oeuf et de la poule, mais qui me semble néanmoins importante quant au type de "religion" ou de "spiritualité" qu'elle génère):

Chez Jean on commence par l'"être", c.-à-d. par une compréhension de soi (comme "enfant de Dieu") -- un peu comme avec la foi chez Paul; l'amour doit suivre, il authentifie (ou son absence dément) l'affirmation de l'être.

Dans les logia évangéliques on commence par l'acte, ou plutôt par l'arrêt (cesser de juger, de s'inquiéter, de se protéger, de se prémunir, de se garantir, de se "tenir" et de "tenir" autrui), c'est cela qui rend "enfant de Dieu".

D'un côté le "divin-en-soi", de l'autre le "lâcher-prise": en effet les similitudes avec l'hindouisme et le bouddhisme (et ce qui les sépare) sont frappantes...

La loi (torah) de Yahvé est parfaite -- elle ramène (restaure, ranime) l'âme (ou la vie);
le témoignage de Yahvé est fidèle (ou digne de foi) -- il rend sage le naïf;
les ordonnances de Yahvé sont droites -- elles réjouissent le coeur;
le commandement de Yahvé est pur -- il éclaire les yeux.
(Psaume 19,8s; le miel, v. 12, est aussi associé à une certaine clarté ou brillance des yeux, p. ex. 1 Samuel 14,27ss, dans un contexte qui évoque -- du moins en nos termes -- un regain d'énergie et de vitalité après épuisement).

Ce n'est pas tellement, on s'en doute, pour l'exercice de style tardif et convenu de l'éloge de la Torah (genre pourtant fascinant en soi que le psaume 119, acrostiche alphabétique avec ses 176 = 22 x 8 versets, portera laborieusement à une sorte de perfection formelle: exemple abyssal de soumission du "fond" à la " forme", de la "parole" et du "sens" à l'"écriture", qui néanmoins illustre remarquablement son propos pour autant qu'il s'agit précisément de la célébration d'un texte -- pardon pour cette trop longue parenthèse) que je repense à ce passage, et du même coup à ce vieux fil, mais pour cette polysémie foisonnante, indivisible et irréductible -- non obscurité à percer ou à dissiper, ni ambiguïté à trancher -- du "regard clair" ou "éclairé" qui est tout à la fois "optique" et "(photo)graphique", voire "photogénique", "subjectif" et "objectif", "actif" et "passif", "physique" et "mental", "esthétique", "intellectuel", "spirituel", "affectif" et "moral" (voyant le beau et le bien, perçu lui-même comme bel et bon, simple et sain, vivant, rayonnant -- avec ou sans la connotation de "générosité" déjà signalée plus haut).

On a beau savoir qu'une source de lumière ne coïncide jamais exactement avec un point de vue, que c'est leur différence et leur co-incidence trigonométrique (il y va toujours d'un angle, si aigu ou obtus soit-il) qui font la vue et le visible, on a du mal à imaginer un soleil aveugle, tout autant qu'un regard obscur.

Citation :

On a beau savoir qu'une source de lumière ne coïncide jamais exactement avec un point de vue, que c'est leur différence et leur co-incidence trigonométrique (il y va toujours d'un angle, si aigu ou obtus soit-il) qui font la vue et le visible, on a du mal à imaginer un soleil aveugle, tout autant qu'un regard obscur.

Le commandement est pur : comme une lu­mière sans ombre, qui éclaire les yeux. https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Psaumes-19-Note-12.htm


Toute la vie de Jésus est empreinte du détachement par rapport aux biens matériels, en vue de gagner en vitalité et authenticité dans les liens relationnels. La rencontre avec l'homme riche (19, 16-22) est éloquente à cet égard.
La tradition biblique et rabbinique insiste sur ce point. Les trésors dans le ciel sont alors les aumônes faites aux pauvres, qui sauvent ensuite le croyant lors du Jugement dernier. Le thème de l'aumône relie les vv 19-21 au passage précédent du Sermon sur la Montagne. L'image du "trésor" en tant que valeur de vie qui m'attend auprès de Dieu, est utilisée aussi "dans le gnosticisme où il se rapporte à la sphère céleste et lumineuse, patrie des âmes"1. Cela peut relier les vv 19-21 aux vv suivants qui traitent de la lumière du corps, représentant ce qui éclaire la vie de la personne en son entier. http://acteurs.uepal.fr/public_files/file/matthieu_6_19_23_version_b.pdf

Je ne suis pas sûr que le "relationnel" constitue une antithèse viable au "matériel", et encore moins que ce genre d'antithèse traduise exactement celles du Sermon sur la montagne (p. ex.)... mais il nous faut bien tenter de lire avec les catégories de notre temps.

-- Ou alors il faudrait penser le "relationnel" en-deçà et au-delà des "relations humaines" et de leur analogue "divin-personnel" (Père), vers une "relation" qui embrasse non seulement "prochain" et "ennemis" au même titre qu'"amis" ou "frères", mais encore le soleil et la pluie, les oiseaux du ciel et les fleurs des champs, toutes choses qui d'ailleurs ne laisseraient pas d'être "matérielles"...

-- Sans quoi la simple opposition d'une richesse "relationnelle" à une richesse "matérielle", comme si elles étaient inversement proportionnelles, témoignerait d'une incroyable naïveté et d'un pur déni de réalité: la Sagesse ancienne, elle, avait bien remarqué que le riche et le puissant sont plus et même mieux entourés que le pauvre et le malheureux, et on ne peut même pas dire que sur ce point l'Evangile de celui qui meurt abandonné des siens comme de son dieu la contredise.

-- A cet égard et pour revenir à notre thème, un "regard clair" combinerait peut-être la lucidité de l'abandon et la générosité du don et du pardon -- aux antipodes du "mauvais oeil" qui n'est pas sans rappeler le "ressentiment" nietzschéen (en français dans le texte).

Le réveil d'un vieux fil m'a ramené à celui-ci qui est encore plus vieux: je n'y ajouterai que de brèves remarques:

S'il y a une affinité évidente entre l'idée de l'"oeil lampe" et les théories optiques anciennes de l'"émission" ou "extramission", le mouvement est aussi inversé en Matthieu 6,22s dans la mesure où c'est l'"intérieur du corps" (sôma) qui est éclairé (ou pas) -- par un oeil qui pourtant regarde dehors, mais pas de la même manière selon qu'il est "simple" ou "mauvais"... La chose est encore plus claire, si j'ose dire, dans le développement "parallèle" de Luc 11,34ss, et le mouvement se renverse à nouveau (de l'intérieur vers l'extérieur) en Thomas 24b (sans "oeil"): "Il y a de la lumière dans un homme de lumière, et il éclaire le monde entier; s'il n'éclaire pas, il est ténèbres." Par là on rejoindrait d'autres arborescences ou séries voisines, par exemple la lampe cachée ou pas (Marc 4,21ss // Matthieu 5,15s // Luc 8,16ss; 11,33(ss) // Thomas 33, "la paille et la poutre" (dans l'oeil), dont il a déjà été question plus haut, la "lumière (du monde)" aussi johannique et christique, etc.

On est moins loin qu'on pourrait le croire d'une philosophie grecque (surtout tardive) qui associe constamment une certaine "morale" ou "vertu" (arètè foncièrement "aristocratique"), en particulier une "générosité" supposée affaire de "naissance" ou de "nature" (gennaô, genos etc., c'est aussi la "race" au sens de lignée) et la "connaissance" ou l'"intelligence" qui est d'abord connaissance de soi (gnôthi seauton, nosce te ipsum, connais-toi toi-même): là aussi le regard porté sur l'extérieur, l'attitude envers l'autre ou autrui, détermine une certaine clarté ou obscurité intérieure et inversement, dans un cercle tantôt vicieux, tantôt vertueux.

Bien sûr on pourrait aussi imaginer un regard retourné sur soi ou en soi (introspection), façon miroir (cf. encore Rilke), mais du point de vue de ce logion il serait plutôt "mauvais" et cause de ténèbres, empêchant toute ouverture.

Dans la tradition "biblique", c'est plutôt le dieu qui connaît les hommes (qui sonde les coeurs et les reins; cf. notamment Psaume 139), mais les deux se retrouvent peut-être en Proverbes 20,27: "L'esprit (ou souffle, neshama, comme en Genèse 2,7, pas forcément plus "intellectuel" ni spécifiquement "humain" en soi que son quasi-synonyme rouah, cf. 7,22 etc.) de l'homme (humain, 'adam) est une lampe de Yahvé, qui sonde les chambres secrètes du ventre."

Intéressante étude autour de Chrétien de Troyes. On y retrouve aussi, parmi beaucoup d'autres choses, le "proverbe (biblique)" que j'avais évoqué à la fin de mon post précédent.

Bien sûr, avec un peu de recul, le ruissellement linguistique, littéraire, poétique, métaphorique et métonymique est tel qu'il paraît assez vain d'y distinguer des "influences", par exemple chrétiennes ou musulmanes, occidentales ou orientales, platoniciennes ou aristotéliciennes: du point de vue de l'Europe du XIIe siècle, il y a, certes, de l'"ancien", acclimaté depuis longtemps (p. ex. saint-Augustin), et du "nouveau" qui (re-)vient tout juste d'Orient (p. ex. Aristote et ses commentateurs juifs, arabes, persans), mais celui-ci s'avère vite aussi vieux que celui-là; et partout l'usage, avec ou sans "influence", retombe sur les mêmes traces, comme dit joliment la dernière citation de Ghazali.

Reste l'aporie fondamentale de toute "méta-physique", qui coïncide avec le trait "platonicien" le plus spécifique: l'impossibilité de distinguer en vérité un "intelligible" d'un "sensible", parce que l'un n'est, ne se dit, ne se pense, ne se conçoit, ne se perçoit, ne se voit, ne s'entend, ne se sent, ne se goûte, ne se touche jamais sans l'autre -- et inversement. Qu'on parle de lumière, d'oeil, de coeur, ou de tout ce qu'on voudra, il n'y a que de la "métaphore", plus ou moins "vive" comme dirait Ricoeur, ce qui signifie aussi bien qu'il n'y a pas de "métaphore" ni de sens "figuré" ou "tropique" qu'on pourrait parfaitement cadrer et isoler d'un sens "propre", univoque, qui ne signifierait que lui-même. Sans doute une certaine "logique" s'y perd, mais une certaine "expérience" s'y (re-)trouve: toutes les "lumières" du monde dans le moindre rayon de soleil, mais encore du soleil dans la moindre lueur d'intelligence, de beauté, de bonté, de douceur, etc.