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 quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire

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Narkissos

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MessageSujet: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeDim 03 Mai 2015, 15:50

J'ai entendu, et mon ventre frémit.
A ce bruit
(ou: cette voix) mes lèvres tremblent (ou: balbutient),
le mal (ou: la carie, la pourriture) pénètre mes os,
et sans bouger
(ou: à ma place) je frémis, parce que (litt. que, texte massorétique; ou bien: sous moi mes pas chancellent, correction conjecturale)
je vais (ou dois) me reposer au (ou: en vue du) jour de la détresse,
quand notre assaillant attaquera le peuple
(ou: qui montera sur le peuple qui nous assaille).
-- Car le figuier ne fleurira pas ;
pas de vendange dans les vignes ;
la production de l'olivier sera décevante,
les champs ne donneront pas de nourriture,
le petit bétail disparaîtra de l'enclos ;
pas de gros bétail dans les étables.
Et
(ou: mais) moi, j'exulterai en (ou: par) Yahvé,
j'aurai ma joie dans
(ou: par) le Dieu de mon salut.
Yahvé, (mon) Seigneur, est ma force :
il rend(ra) mes pieds pareils à ceux des biches
et il me fait (fera) marcher sur les hauteurs.

(Habaqquq 3,16ss).

Bien que passablement décousu (mal cousu, cousu de fil blanc, ou pas cousu du tout), le petit livre d'Habaqquq comporte pas mal de morceaux mémorables, dont celui-ci qui reste lié dans mon souvenir -- et sans doute celui de nombreux (ex-)TdJ de longue date -- à l'usage partiel et équivoque qu'avait fait la Watchtower d'un de ses extraits (approximativement sous la forme "même si le figuier ne fleurit pas... j'exulterai en Jéhovah") pour son "texte de l'année" 1974, autant dire à la veille de la fin du monde. Je le "vois" encore affiché dans cette petite Salle du Royaume où j'étais un adolescent très "partagé", et je me souviens que les uns l'interprétaient comme une annonce prophétique des difficultés matérielles à venir d'ici la "grande tribulation" imminente (c'était aussi le "choc pétrolier" et la fin des "trente glorieuses", il y avait eu quelques mouvements de panique dans les supermarchés et mon père avait rempli un débarras de farine, de sucre et d'autres denrées prétendument non périssables qui ont fait au cours des mois suivants le bonheur des charançons), alors que d'autres (dont mon père, paradoxalement) y voyaient plutôt un discret appel à la prudence devant les emballements apocalyptiques, et comme l'anticipation d'une déception probable.

Anecdote jéhoviste à part, cette conclusion du "psaume" d'Habaqquq (chap. 3, lequel consiste pour l'essentiel dans une description de "théophanie" ou manifestation divine, avec tout ce que ce "genre" déchaîne d'images cosmiques et cosmogoniques violentes, la puissance "créatrice" étant également destructrice, cf. Exode 15, Deutéronome 33, Juges 5 etc.; description teintée cependant de nostalgie et d'impatience: pourquoi Yahvé n'intervient-il pas maintenant comme il le faisait jadis, dans l'"actualité" comme dans l'"histoire" [sainte], v. 2; cf. 1,2ss; 2,1ss et Isaïe 64--65) me touche surtout par ce que je serais tenté d'appeler son "repli mystique", voire "quiétiste", au summum de l'inquiétude. Dans la catastrophe redoutée et espérée comme dans son attente prolongée ou déçue, c'est le repos (de cette racine nwh qui donne aussi "Noé"; cf. Isaïe 30,15ss) qui paraît d'abord le plus troublant, le plus insupportable -- jusqu'à ce qu'il se mue, à l'encontre de toute réalité extérieure, en "joie en Yahvé" qui de l'intériorité la plus suspecte promet les grands espaces. C'est le mal prescrit comme remède, ou plutôt décidé, hors de toute justification raisonnable, par une "foi" qui est aussi "fidélité" envers et contre tout (cf. 2,4), dût-elle n'être fidèle -- ne tenir, au sens de l'hébreu 'mn -- qu'à un nom, de dieu et de lieu inséparablement.
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeDim 03 Mai 2015, 16:34

Souvenir perso, à mon tour:
Isaïe 30,15 fut pendant quelques temps MON verset. C'était du du temps de mon jéhovisme douloureux, c.à.d. quand je me suis retrouvé basculé brutalement dans l'âge adulte, et que la religion ne pouvait plus être (qu') une "affaire de famille", mais devint un choix "personnel" à faire, puisqu'à ce moment de ma vie il aurait été beaucoup plus "facile" pour moi de partir que de rester. (Et bizarrement, je suis finalement parti à un autre moment de ma vie où il pouvait pourtant sembler infiniment plus facile de rester... comme quoi tout ça ne veut pas dire grand chose!)
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Narkissos

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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeDim 03 Mai 2015, 18:55

[Ravi de te lire à nouveau, VANVDA ! Smile

J'eus aussi, un peu après et assez longtemps, "mon" verset, Psaume 86,11, surtout pour la phrase "unifie mon cœur pour craindre ton nom" (TMN, de mémoire), en rapport évidemment avec le mot "partagé" ci-dessus, dès lors que j'eus "décidé" (d'essayer) de résoudre le partage avec "Dieu" plutôt que sans -- puisque c'est en ces termes qu'alors la question se posait à moi.]

Cycle "énervant", aussi au sens désuet de "débilitant", qui veut que le retour à la "source" (de la joie, de la liberté, de la vie, de la puissance, de l'authenticité, etc.) associée à une certaine intériorité ("en Dieu", "en Christ", "en soi") passe par la perte de tout ce qui paraît lui correspondre et se donne même pour en procéder à "l'extérieur" -- ou, selon une perspective plus "matérialiste", pour la conditionner de l'extérieur (bonheur, santé, prospérité, etc.). Il s'inscrit sur le plan de l'histoire collective (défaites, destructions, exils, captivités, fléaux, persécutions) ou individuelle (petits et grands malheurs) comme sur celui du mythe (destruction et re-création, passion et résurrection) que le rite ou la discipline ascétique, pour ne rien dire de la "doctrine", peuvent mimer, représenter ou signifier tant qu'ils veulent mais en aucun cas reproduire ni remplacer. L'"expérience spirituelle" ne fait pas l'économie de la souffrance réelle, de ce qu'elle a précisément de "souffert", de "subi" ou de "pâti", même lorsqu'on s'imagine l'avoir "choisie" (de l'essentielle passivité de la passion, cf. http://oudenologia.over-blog.com/article-pathophobie-115325962.html ). D'où peut-être sa proximité, à première vue surprenante, avec le thème du repos (shabbat, etc.).

P.S. Je rappelle Isaïe 30,15ss, qui a sur Habaqquq l'avantage d'un certain humour:
Car ainsi parle le Seigneur, Yahvé, le Saint d'Israël:
C'est par le retour et le repos que vous ser(i)ez sauvés,
C'est dans la tranquillité et la confiance que sera(it) votre force.
Mais vous n(e l)'avez pas voulu !
Vous avez dit:
Nous fuirons plutôt à cheval ! -- c'est pourquoi vous fuirez, en effet.
Nous aurons des coursiers (chars) rapides ! -- c'est pourquoi vos poursuivants seront rapides.
Mille fuiront comme un seul homme lorsqu'un seul les rabrouera,
et quand cinq vous rabroueront, vous fuirez (tous),
jusqu'à ce que vous restiez comme un mât au sommet d'une montagne,
ou comme une bannière sur une colline.
Voilà pourquoi Yahvé attend pour vous faire grâce...  


On songera, dans le désordre, aux victoires sans combat qu'affectionnent les Chroniques (p. ex. 2 Chroniques 20,17), à Jonas ou Jésus dormant dans la tempête, au début du psaume 127, ou à telle parabole de Marc.
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeMer 20 Déc 2017, 17:54

Citation :
P.S. Je rappelle Isaïe 30,15ss, qui a sur Habaqquq l'avantage d'un certain humour:
Car ainsi parle le Seigneur, Yahvé, le Saint d'Israël:
C'est par le retour et le repos que vous ser(i)ez sauvés,
C'est dans la tranquillité et la confiance que sera(it) votre force.
Mais vous n(e l)'avez pas voulu !
Vous avez dit:
Nous fuirons plutôt à cheval ! -- c'est pourquoi vous fuirez, en effet.
Nous aurons des coursiers (chars) rapides ! -- c'est pourquoi vos poursuivants seront rapides.
Mille fuiront comme un seul homme lorsqu'un seul les rabrouera,
et quand cinq vous rabroueront, vous fuirez (tous),
jusqu'à ce que vous restiez comme un mât au sommet d'une montagne,
ou comme une bannière sur une colline.
Voilà pourquoi Yahvé attend pour vous faire grâce...  


« Reviens ! » est l’appel récurrent de Dieu à son peuple : faire demi-tour, aller dans le sens contraire de notre propension habituelle à la dispersion. Jean Tauler, dans l’un de ses sermons (2), cite Saint Anselme : « Arrache-toi à la multiplicité des œuvres extérieures, laisse s’assoupir l’ouragan des pensées intérieures, et assieds-toi, repose-toi… »

Esaïe 30,15 résonnait du même appel : « C’est dans le retour, le repos, que vous serez sauvés. (La racine hébraïque ancienne du mot repos a donné en hébreu moderne  le terme désignant l’atterrissage !). C’est dans le silence et la confiance (la sécurité) que vous serez forts ». Quitter le moi de surface, pour aller dans la profondeur retrouver notre terre qui, à la Parole divine, émerge du chaos.

Atterrir en soi ? Oui, accueillir ce qui est là en moi profondément et dont je suis déconnecté. Certes, l’écoute déclenche parfois un déferlement d’impressions diverses, d’émotions (comme en témoigne en images symboliques l’expérience d’Elie à l’Horeb), -  mais cette tempête, ce bruit, ce tremblement, ce feu, ne font que passer (I Rois 19, 11-12a). Ces manifestations tonitruantes «météorologico-psycho-spirituelles » peuvent être des voix contraignantes du genre: « Tu aurais dû, pas dû… » . Mais elles préludent à la voix de fin silence… et à la Présence (v.12b-13).
Après l’invitation : « Ecoute Israël », il y a une pause majeure dans le texte hébraïque, un « soupir » dans le rythme, comme un vide appelant une plénitude, une attente qui permet  une Présence. On trouve la même dynamique au Psaume 46,11 : « Arrêtez (ou plus précisément lâchez prise) : alors vous pourrez connaître et expérimenter que je suis Dieu. »

https://experience-theologie.ch/spiritualite/impulsions/lecoute-interieure/index.html
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeMer 20 Déc 2017, 19:51

Au-delà du commentaire (excellent), très beau site (suisse et protestant) dont j'ignorais l'existence.

Où l'on voit bien, soit dit en passant, qu'à un certain niveau de "saisie" les frontières entre les "religions" et même entre les "disciplines" (théologie, philosophie, psychologie) deviennent insignifiantes. Le texte et le commentaire pourraient être catholiques, orthodoxes, juifs, musulmans, hindous, bouddhistes, athées, le propos resterait foncièrement le même à une telle "profondeur" (qui n'a d'ailleurs rien de "compliqué").

Sans doute la théologie ne peut-elle pas être "que ça" -- il lui faut assumer aussi la complexité et les controverses qui résultent de la diversité des textes et de leurs lectures -- mais je suis ravi qu'elle réussisse encore à l'être de temps en temps.

Accessoirement, j'avais oublié le détail graphique (lettres plus grandes dans l'écriture massorétique) qui forme à partir des dernières lettres du premier et du dernier mot du shema` (Ecoute, shema`, et Un, 'ehad) le mot `d, "témoin".

Une chose m'a cependant arrêté et c'est plus qu'un détail: l'idée de substituer son prénom à "Israël". C'est dire de façon candide, dans un sens, le "scandale" d'expropriation et d'appropriation constitutif de toute lecture: "l'Eglise" lit ce texte (en grec, en latin, en syriaque, en français) à la place d'Israël -- certes, le judaïsme rabbinique aussi le fait (en hébreu au moins) à la place du judaïsme du Second Temple et du judaïsme deutéronomique qui étaient passablement différents de lui; et c'est encore autre chose que de passer d'une récitation communautaire à une lecture individuelle, avec ou sans lien avec une "Eglise" ou une "synagogue". Ce n'est pas un reproche -- on ne peut pas lire autrement -- mais ça mérite réflexion. "S'approprier" un texte, comme on dit souvent, ça n'a rien d'anodin, c'est aussi assumer toute une histoire avec des côtés très sombres (en l'occurrence toute celle de l'antijudaïsme, sinon de l'antisémitisme chrétiens). On ne peut le faire que "légèrement", au bon ou au mauvais sens du terme.

Tout ce qui précède n'a guère de rapport à ce fil -- c'est ma faute, la citation de free en avait davantage. Sur le thème du shabbat (arrêt, cessation, repos, etc.) on pourra aussi se rappeler celui-ci.
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeVen 22 Déc 2017, 17:00

"J'ai entendu, et mes entrailles ont frémi .A ce bruit mes lèvres balbutient ; mes os pourrissent, et sans bouger je frémis d'attendre le jour de la détresse"

Ce texte souligne que l'attente de l'intervention divine peut dévorer de l'intérieur celui qui l'espère, le plonger dans une grande angoisse et le terroriser, il faut puiser au plus profond de soi pour arriver à dire, "j'exulterai dans le SEIGNEUR".
Le croyant qui attend "la grande tribulation" est ambivalent, il est à la fois heureux et apeurés, impatient et terrorisé par l'inconnu de l'étendu d'un malheur annoncé, la conviction d'être sauvé et la crainte d'être jugé indigne de survivre, actif afin de gagner le paradis et paralysé par la peur car sans emprise sur les événements, devant subir la situation , "Je reste sur place, bouleversé.  Car je dois attendre sans bouger".
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeVen 22 Déc 2017, 17:33

D'autant qu'avant les élaborations proprement "eschatologiques" qui n'arrivent que dans les toutes dernières "couches" de l'AT et au-delà, dans le judaïsme de Qoumrân ou "pharisien" p. ex. (où "l'intervention divine" ou "jour de Yahvé" devient synonyme de "fin du monde" et/ou de passage d'un "monde" à un autre, selon divers scénarios), l'objet même de l'attente est beaucoup plus ambigu: "le jour de Yahvé", ce peut être le jugement (condamnation, châtiment) des nations hostiles ou des "méchants" en général, mais aussi celui d'Israël. Cf. notamment Amos 5,18ss qui exclut tout "optimisme" à ce sujet.

Cette perspective, en fin de compte, n'est pas plus éloignée du rejet radical de toute eschatologie chez Qohéleth (je reste sous l'impression de la phrase que j'ai relue ce matin, 11,8: tout ce qui vient est vanité) que des constructions eschatologiques plus ou moins "optimistes" (optimistes au moins pour quelques-uns) des pharisiens ou de certains chrétiens. En définitive, la "joie" au présent (que Qohéleth exalte tout autant à sa manière) est parfaitement indifférente à ce qu'on attend (ou pas).
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeVen 05 Jan 2018, 12:46

"Alors j'entendis dans le ciel une voix forte qui disait : Maintenant sont arrivés le salut, la puissance, le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ. Car il a été jeté à bas, l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit. Mais eux, ils l'ont vaincu à cause du sang de l'agneau et à cause de la parole de leur témoignage ; ils n'ont pas aimé leur vie, même face à la mort. Aussi soyez en fête, cieux, et vous qui y avez votre demeure ! Mais quel malheur pour vous, terre et mer, car le diable est descendu vers vous en grande fureur, sachant qu'il a peu de temps ! (Ap 12,10 ss)

Ce texte me parait intéressant parce qu'il établit un contraste entre la joie au ciel et le malheur sur la terre, car le diable est descendu sur la terre pour faire le maximum de dégâts, car il lui reste peu de temps.

De nombreux texte invitent les croyants au silence devant le mystère de l'action divine ou lorsque l'on est dans l'attente de l'intervention de Dieu et non à spéculer ou à gesticuler :

"Voilà pourquoi, en des temps comme ceux-ci, l'homme de bon sens se tait, car ces temps sont mauvais." Amos 5,13

"Il est bon d'attendre en silence le salut du SEIGNEUR (...) Qu'il s'assoie solitaire et silencieux, car c'est ce qui lui est imposé, qu'il mette sa bouche dans la poussière : peut-être y a-t-il de l'espoir !  " Lm 3,26 et 28-29

Ce silence qui s'impose est une manière de d'observer la présence Dieu dans l'histoire de l'homme :

"Mais le SEIGNEUR est dans son temple sacré. Silence devant lui, toute la terre !" Hab 2,20
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeVen 05 Jan 2018, 13:38

Une des grandes vertus (cinématographique, avant la lettre) de la mise en scène apocalyptique est de déplacer le point de vue de l'auditeur-spectateur, qui suit le regard (et l'écoute) du visionnaire comme un objectif de caméra. De fait, ici la joie du ciel intéresse tout autant le lecteur, sinon davantage, que le malheur de la terre. Par rapport à la littérature "prophétique", la puissance de "dépaysement", de "divertissement" et de "consolation" immédiate est sans doute supérieure, mais ses effets à terme me semblent plus ambigus: que reste-t-il d'un tel "voyage", de retour sur terre et dans sa situation ? Seulement l'interprétation, toujours plus délicate que la vision bien que celle-ci s'efforce de l'orienter et de la cadrer autant que possible.
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeMer 08 Déc 2021, 16:13

Citation :
On songera, dans le désordre, aux victoires sans combat qu'affectionnent les Chroniques (p. ex. 2 Chroniques 20,17), à Jonas ou Jésus dormant dans la tempête, au début du psaume 127, ou à telle parabole de Marc.


"Poussez une clameur, peuples ; vous serez terrifiés ! Prêtez l'oreille, vous tous, au plus lointain de la terre ! Préparez-vous au combat ; vous serez terrifiés ! Préparez-vous au combat ; vous serez terrifiés ! Faites un projet ; il échouera ! Dites une parole ; elle ne tiendra pas ! Car Dieu est avec nous" (Es 8,9-10).

A une autre occasion (Es. 8, 5-Cool, Esaïe condamne l'appel que le souverain vient d'adresser au roi d'Assyrie pour que ses troupes interviennent dans la guerre syroéphraïmite. Juda a tort, selon le prophète, de mépriser l'action sans doute secrète, mais bienfaisante et efficace de Yahvé, évoquée par l'eau qui coule paisiblement de Siloé, et de lui préférer les armées de Tiglat Pilezer qui, semblables aux eaux redoutables du déluge, exerceront de terribles ravages dans le pays.

Les données essentielles de la prédication politique d'Esaïe apparaissent clairement dès 735 : ce que le prophète reproche avant tout aux autorités judéennes, c'est de ne pas regarder à Yahvé, autrement dit, ne pas tenir compte de la berit. Or c'est précisément une politique fondée sur l'alliance avec Yahvé qui peut assurer l'avenir de Juda. 

https://www.persee.fr/docAsPDF/rhpr_0035-2403_1967_num_47_3_3879.pdf
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeMer 08 Déc 2021, 18:22

On mesure, à lire cet article, combien l'approche académique des textes (de l'AT, c'est beaucoup moins le cas du NT) a changé en un peu plus d'un demi-siècle, en particulier en ce qui concerne leur rapport à l'"histoire". La lecture de Martin-Achard n'en reste pas moins stimulante, d'autant qu'il dialogue avec plusieurs "grands auteurs" de la période précédente, pas seulement "biblistes" (Weber, Troeltsch, Buber, Neher, etc.) et un peu oubliés depuis.

Le choix (classique à l'époque) de la "berit(h)" (= alliance, pacte, charte, traité) comme clé (voire passe-partout) d'interprétation théologique (d'autant plus commode pour le protestantisme francophone qu'il rejoint la théologie calviniste des "alliances") paraît aujourd'hui fort douteux, notamment parce que les formes et les formules des "alliances" bibliques dépendent justement des traités de vassalité assyriens... Du reste, le mot ne joue aucun rôle caractéristique et spécifique (d'une alliance divine avec "Israël", "Juda", "Jérusalem" ou "David") dans le "proto-Isaïe" (cf. 24,5; 28,15.18; 33,8, dans des sections probablement tardives). Plus généralement, l'idée d'un "royaume de Jérusalem" indépendant avant l'époque assyrienne paraît de moins en moins plausible, car la région a toujours été plus ou moins strictement vassale ou dépendante (de l'Egypte, de Samarie, de Damas selon les moments et les rapports de force, avant l'Assyrie).

Quant à notre sujet, il y a bien une continuité thématique "négative" ("non-agir") dans des textes (et des situations, pour autant qu'on puisse en juger) fort disparates. Martin-Achard ne parle de "quiétisme" que de façon péjorative, pour le rejeter (avec le "pacifisme", c'est un mot-épouvantail après la Seconde Guerre mondiale, même en Suisse !), mais je trouve que ce terme caractérise plutôt bien cette attitude, d'autant que contrairement aux apparences elle peut se conjuguer avec toute sorte d'"action" (le non-agir dans l'agir, c'est pour nous "paradoxal" mais c'est un ingrédient essentiel de beaucoup de doctrines et de pratiques orientales, hindoues, bouddhistes, taoïstes, très présent dans la "mystique" chrétienne sous forme de "détachement", cf. la Gelassenheit d'Eckhart à Heidegger); en revanche, le rapport de ce "non-agir" à la "foi" est assez marginal dans l'AT (Isaïe, Habacuc peut-être, tout dépend comment on comprend 'mn et ses dérivés, foi, confiance, fidélité, fiabilité, fermeté, solidité, etc.), en tout cas par comparaison avec l'importance que la "foi" va prendre dans le NT et le christianisme en général. De fait, nous comprenons facilement que la "foi" puisse être impliquée dans l'action ET dans l'inaction, mais la combinaison des deux nous est nettement moins naturelle (ce serait plutôt une affaire de subtilité, qui tend à être négativement connotée chez nous comme duplicité ou hypocrisie, que de "foi").
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeJeu 09 Déc 2021, 11:39

Le non-agir

Eckhart utilise le mot niht dans un grand nombre d'acceptions différentes, qui vont du manque d'Etre réel, qui caractérise les créatures, à l'incompréhensible transcendance de Dieu ; de la transparence des media noétiques (c'est-à-dire des images et des idées ; et en ce sens, le Verbe, en tant qu'Image parfaite du Père, est appelé « Néant »), jusqu'au néant du détachement, qui remplit une fonction identique : nous permettre de nous ouvrir une voie jusqu'au Néant divin. Si nous comprenons ce que veut dire Eckhart lorsqu'il parle du néant de cette abegescheidenheit (détachement), nous aurons saisi l'origine de la pratique du non-agir, c'est-à-dire du détachement des œuvres, tel qu'il est à la fois expliqué et proposé par le Maître. De fait, ce que nous devons examiner à présent, c'est le processus qui va
permettre à l'homme d'être envahi par le Néant de Dieu. Ce qu'est le Néant par lequel l'homme porte en son sein la Déité, Eckhart le rapporte d'une manière qui semble se référer à sa propre expérience, même si cette expérience apparaît comme foncièrement universelle :

« Quand l'âme parvient dans l'Un et y pénètre en un total rejet d'elle-même, elle trouve Dieu comme dans un néant. Il sembla en rêve à un homme - c'était un rêve éveillé - qu'il était gros de néant, comme une femme est grosse d'un enfant, et dans ce néant Dieu naquit : il était le fruit du néant. Dieu était né dans le néant. »

Dieu est né dans le néant, c'est-à-dire dans un complet détachement et une totale pauvreté. Et, bien que jusqu'à présent l'accent ait été mis, nécessairement, sur l'aspect épistémologique du détachement, nous devons observer ce qu'il implique dans la pratique, dans la conduite de l'homme. Tout simplement : il implique un total non-agir, dans le sens d'un total détachement des œuvres, qui nous offre un équivalent chrétien au wei wu wei oriental. Celui qui est réellement pauvre, non seulement n'a rien et ne connaît rien, mais ne veut rien ; d'une certaine façon, on pourrait dire qu'il n'a et ne connaît rien parce qu'il ne veut rien. 

« Celui-là est un homme pauvre qui ne veut rien, ne sait rien et n'a rien. »

 Eckhart évoque ici un complet renoncement à la connaissance et à l'attachement à l'agir, de la part de celui qui aspire à l'union avec Dieu. Et même (ce qui est, d'après ce que lui-même en dit, un effet de son évolution), cette aspiration elle-même doit être niée pour être purifiée : 

« C'est dans ce sens, disons-nous, que l'homme doit rester quitte et libre de Dieu, afin qu'il ne sache, ni ne connaisse que Dieu agit en lui. »

 Bien que ceci aille beaucoup plus loin que ce qu'il était coutume d'enseigner dans l'Eglise contemporaine, on peut signaler que, pour expliquer cette conception élevée de la pauvreté, Eckhart fait sienne, au début du moins, la théorie thomiste de l'illumination divine. Selon cette théorie, c'est le propre Intellect de Dieu qui vient remplacer notre intellectus agens imparfait, et informe notre intellect passif ou possible. Alors notre savoir n'est plus le nôtre, mais celui de Dieu. Allant plus loin, et marchant sur la voie indiquée par les mystiques rhéno-flamandes, Eckhart insista plus tard sur le fait que la passivité, la réceptivité nécessaire à notre union avec Dieu n'est pas seulement celle de l'intellect ou de la volonté, mais, plus profondément, celle de l'essence de notre âme, ou son grunt. C'est lorsque ce grunt (fond) se fond dans le fond de Dieu même que notre divinisation s'accomplit, c'est-à-dire lorsque nous retrouvons l'Etre originel qui était nôtre avant que nous ne soyons créés. Voilà pourquoi nous devons abandonner ce qui est nôtre, au sens de ce qui appartient à notre être individuel en tant que tel, ce moi individuel qu' Eckhart appelle parfois « le vieil homme », ou « l'ennemi ».

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1993_num_67_4_3243#rscir_0035-2217_1993_num_67_4_T1_0017_0000
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeJeu 09 Déc 2021, 12:28

Excellent résumé du développement (historique et temporel, diachronique) de la pensée "négative" d'Eckhart -- comme quoi la "négation" n'est pas immobile ni statique, ni stérile ni ineffective, au contraire elle "travaille" et "produit", du changement et du mouvement, Hegel s'en souviendra. Le "détachement" correspond en effet formellement à Abegescheidenheit, mais la Gelassenheit que j'évoquais précédemment en découle: laisser être, laisser faire, soit à peu près ce que la vulgarisation occidentale du bouddhisme appelle en français "lâcher prise"; sans oublier que lassen en allemand est causatif, autrement dit que le "laisser" est aussi un "faire", et le "laisser faire" un "faire faire", autant qu'un "faire sans faire".

Il est quand même remarquable -- on l'a souvent remarqué -- que ce type de pensée, à la fois hyper- et anti-"rationnel", apparaisse à peu près simultanément, vers le milieu du Ier (ou du dernier) millénaire av. J.-C, dans des cultures éloignées les unes des autres et sans influence directe les unes sur les autres (bouddhisme et brahmanisme en Inde, tao en Chine, philosophes "présocratiques" en Grèce, prophétisme "littéraire" en Judée) et resurgisse ensuite de la même manière (dans le christianisme médiéval ou dans l'islam p. ex.). Ce n'est certes pas une raison pour tout mélanger, mais plus on apprécie les différences, plus on apprécie aussi les ressemblances, d'autant qu'elles ne s'expliquent pas autrement que comme une nécessité de la "pensée-langage" qui aboutit inéluctablement où elle échoue -- au même (non-)lieu par tous les chemins du monde et de l'histoire.
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeJeu 09 Déc 2021, 13:31

L’art de réussir en ne faisant rien

Des stratégies, des plans d’action et de l’effort soutenu, voilà les ingrédients principaux du succès sous nos latitudes. « À la sueur de ton front… » Si le travail acharné s’avère payant pour beaucoup d’entre nous, il peut également mener au surmenage ou à la dépression, surtout si les objectifs ne sont pas atteints. Dans une société comme la nôtre, peut-on mener à bien des projets sans souscrire à des valeurs dites masculines comme la compétition et la recherche de performance ? Est-il possible d’obtenir des résultats probants sans faire intervenir la volonté, sans pousser ? Voilà tout le propos du wu wei, un concept philosophique chinois qui tire son origine du taoïsme et du confucianisme, et fondé sur le « non-agir » et la « non-intervention ». Loin d’encourager la passivité ou le fatalisme, ce concept datant du IVe siècle av. J.-C. incite plutôt à suivre le mouvement dans l’ordre naturel des choses, sans interférer, sans s’agiter dans tous les sens et sans intervenir à outrance pour obtenir ce que l’on désire.

« J’ai traduit ce concept par “action sans effort” », explique Edward Slingerland, professeur en études asiatiques à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) à Vancouver et auteur de Trying no to Try, un ouvrage portant sur le wu wei et le pouvoir de la spontanéité. « Il s’agit pour l’individu de s’oublier lui-même en quelque sorte et de se considérer comme un agent par lequel s’accomplit une action. Comme s’il était au service d’une force plus grande que lui. Le succès lui est alors acquis par l’harmonisation et la non-résistance à cette force. »

L’état de grâce

Si cette attitude non interventionniste était recommandée sur le plan individuel, le wu wei était également appliqué en politique. Pour Lao Tseu, considéré comme le père fondateur du taoïsme, le wu wei représentait un principe de gouvernance idéal. « Dans la Chine ancienne, le bon monarque n’était pas celui qui intervenait après qu’une crise se fut produite, mais celui qui la prévoyait, indique Anna Ghiglione, professeure titulaire au Département de philosophie du Centre d’études asiatiques de l’Université de Montréal. Le bon stratège sur le plan militaire ne se comportait pas de manière héroïque en attaquant l’ennemi, mais mettait en place un stratagème pour éviter l’affrontement, en usant de diplomatie ou en formant des alliances, par exemple. »

https://www.ledevoir.com/vivre/534183/l-art-de-reussir-en-ne-faisant-rien
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeJeu 09 Déc 2021, 14:47

Un exemple qui revient plusieurs fois dans les textes "taoïstes" (peut-être chez Tchouang-tseu que j'ai lu -- en traduction ! -- il y a fort longtemps, mais ça m'avait frappé), c'est celui du boucher qui n'use jamais son couteau parce qu'il sait et fait exactement ce qu'il faut faire au bon endroit et au bon moment (ça peut rappeler Qohéleth, 10,10) -- c'est en tout cas une belle image (fût-ce à l'encontre de la sensibilité "vegan") du non-agir dans l'agir, qui revient à accompagner le cours des choses plutôt qu'à tenter de le forcer ou de le contrarier...

Le catalogage historico-géographique des traditions (p. ex. "orientales" et "occidentales") néglige le fait que ce type de pensée est et reste forcément minoritaire, sinon ésotérique ou clandestin, même là où il se développe ou se transplante, et qu'il fonctionne plutôt comme contrepoids ou contrepoint d'une "culture" ambiante et dominante: un pays ou un peuple ne peut être "bouddhiste" ou "chrétien" que dans un sens "exotérique", extérieur ou superficiel, ce qui correspond bien à la fonction sociale d'une "religion" mais n'a qu'un lointain rapport avec le coeur de sa pensée, tout en permettant entre l'une et l'autre une certaine communication. Entre la théologie chrétienne et spécialement protestante de la "grâce" et le développement du commerce, de la finance, de l'industrie et du capitalisme, il y a bien une relation (comme on le répète depuis Weber) mais elle est tout sauf simple, elle est au moins aussi antithétique (sur le mode du contrepoids, de la compensation ou de la réaction p. ex.) que "de cause à effet" comme on l'entend habituellement. Cela vaut aussi pour le rapport de ce qu'on appelle (d'un point de vue "occidental") "religion" ou "philosophie" à la société, à l'économie ou à la politique en "Orient" (outre que le supermarché mondial des traditions tend à tout mettre sur le même plan, non seulement l'"oriental" et l'"occidental" mais aussi, de part et d'autre, l'"ésotérique" et l'"exotérique").
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeMer 22 Déc 2021, 14:00

« Laisse faire » : éloge du non-agir

« Laisse faire ».

Elle est étonnante de cette réplique du Christ à Jean-Baptiste, première parole dans sa bouche dans l’Évangile de Matthieu.

Laisse les choses se dérouler comme elles doivent se dérouler.
Non pas : ne fais rien, mais agis comme si tu n’agissais pas, comme si tu permettais seulement à ce qui doit arriver d’arriver.

Le premier - et sans cesse - le Christ se laisse faire par l’Esprit pour aller au bout de la volonté de son Père. Jésus laisse les rencontres advenir, il n’organise rien du drame qui s’approche. Parole après parole, rencontre après rencontre, il laisse se mettre en place ce qui deviendra finalement le puzzle de sa passion.

C’est le fil rouge des trois lectures de cette fête du Baptême du Seigneur :

- Jean-Baptiste doit renoncer à sa vision des choses pour laisser Jésus être plongé dans les eaux du Jourdain (Mt 3,13-17).

- Pierre se laisse faire par l’Esprit Saint qui le conduit jusqu’à la maison du centurion romain Corneille pour le baptiser. Jamais il n’aurait pu imaginer cela : associer un païen au même héritage que les juifs, déclarer purs tous les aliments interdits dans la cashrout juive ! (Ac 10).

- Le serviteur décrit par Isaïe est pris en main par Dieu lui-même pour accomplir à travers lui sa mission de libération. Il se laissera porter par l’Esprit de Dieu pour découvrir comment devenir « lumière des nations » (Is 42,1-7).

Cette doctrine du laisser-faire rejoint l’enseignement taoïste au sujet du non-agir (wu-wei).

Elle a été développée par la mystique rhénane, notamment Maître Eckhart dans son enseignement au sujet du détachement (Abgelassenheit).

Et un courant managérial aujourd’hui redécouvre cette posture fondamentale du non-agir pour dessiner les traits du servant leader adapté au travail collaboratif.

http://lhomeliedudimanche.unblog.fr/2014/01/11/laisse-faire-eloge-du-non-agir/
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MessageSujet: Re: quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire   quiétisme apocalyptique, ou de l'urgence de ne rien faire Icon_minitimeMer 22 Déc 2021, 15:18

Excellente "homélie" -- apparemment catholique, mais d'un genre (re-)devenu plutôt rare dans les églises ces dernières décennies, pour autant que je puisse en juger par le peu de "sermons" que j'ai entendus... on peut lire la suite avec profit, et l'ensemble du site semble de bonne qualité, même s'il n'est pas très facile de s'y retrouver.

A noter, au passage, que le "laisser (faire)" de Matthieu 3,15 correspond au verbe aph-ièmi, qui est aussi celui du "pardon" ou de la "rémission" des "péchés", spécialement compris comme "dettes" (et là encore il serait plus juste d'entendre "laisser", laisser tomber, laisser aller, laisser filer ou laisser courir, plutôt que "remettre", 6,12ss; 9,2.5s; 12,31s; 18,21.22.27.32.35). Bien sûr, en dehors de cet emploi "spécialisé" c'est un verbe très courant et donc banal, mais ses usages matthéens, même s'ils proviennent en partie de Marc, n'en dessinent pas moins une constellation remarquable, qui disparaît nécessairement en grande partie dans les traductions: 4,11 le diable laisse Jésus, v. 20.22 les disciples laissent leurs filets, leur bateau et leur père; 5,24 laisser son offrande devant l'autel, 40 laisser son manteau en plus de la tunique; 7,4 laisser retirer la paille de l'œil; 8,15 la fièvre laisse la malade, 22 laisser les morts enterrer leurs morts; 13,30 laisser l'ivraie croître avec le blé, 36 laisser partir la foule; 15,14 laisser les pharisiens; 18,12 laisser les 99 brebis pour trouver celle qui manque; 19,14 laisser venir les enfants, 27ss laisser les siens et les biens; 22,22 les pharisiens et les hérodiens laissent Jésus après sa réponse, 25 le mort laisse sa femme à son frère; 23,13, (ne pas) laisser entrer dans le royaume, 23 laisser ou ne pas laisser les commandements petits ou grands, 38 laisser la maison ou le temple désert, 24,2 ne pas laisser pierre sur pierre, 40s être laissé ou pris au rassemblement des élus, 26,44.56 Jésus laisse les disciples et inversement, 27,49 laisser Elie venir ou pas, 50 laisser l'esprit-souffle (à la mort).
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