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 Ne jugez pas, disait-il.

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Narkissos

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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 05 Déc 2017, 12:29

On revient au début de ce fil (qui, je l'ai dit mais ce n'est que mon jugement, mérite d'être relu): la notion de jugement est prise dans une dérive métonymique qui a toujours déjà commencé et ne s'arrête jamais nulle part, puisque la référence judiciaire y est d'emblée analogique; le Sermon sur la montagne ne s'adresse pas spécifiquement à des magistrats (ça ne manquerait pas de sel), le jugement dont il parle n'est pas strictement judiciaire, il s'agit de quelque chose qui ressemble à un tribunal sans être à proprement parler un tribunal. Or de proche en proche on s'aperçoit -- ce n'est pas le moindre intérêt de l'interdiction que de nous le faire voir et sentir -- que la fonction de "jugement", comme au tribunal hors du tribunal, régit en fait l'ensemble de notre système mental, intellectuel, moral, esthétique, etc. Cf. Kant, p. ex. "Critique de la faculté de juger", Kritik der Urteilskraft,Kritik (d'après le grec) et Urteil (en bon allemand; titre de Kafka aussi pour "le Verdict", à ne pas confondre avec Le Procès, der Process) disent foncièrement la même chose: jugement.

L'"opinion" (dont le "jugement" est d'ailleurs un synonyme en français classique: selon mon jugement <=> à mon avis) n'y échappe pas, elle a même certainement plus de poids dans le monde moderne qu'elle n'en a jamais eu: l'opinion publique constamment mesurée par les sondages d'opinion, manipulée par la propagande politique, la publicité et la communication en tout genre, influe à chaque instant sur le jugement des juges (au sens judiciaire le plus strict), les décisions des politiques, les stratégies militaires (cf. la guerre de Vietnam perdue par les USA non seulement face aux Vietnamiens, mais surtout face à l'opinion publique américaine et mondiale), et aussi bien les choix commerciaux des producteurs et distributeurs, de l'agriculture à la culture. S'il y a un souverain, c'est bien l'opinion <=> le jugement, y compris le "goût" (cf. l'ouvrage précité de Kant, consacré notamment à "l'esthétique") du citoyen-consommateur (le client est roi). Souverain manipulé de part en part, certes, mais fonctionnellement indispensable -- sans quoi on ne se donnerait pas tant de mal pour le manipuler.

Bien sûr c'est un phénomène collectif: c'est la masse ou la majorité qui compte, mais chaque opinion ou jugement individuel est pris, qu'il le veuille ou non, dans son jeu dynamique (de rapport de force) et pèse aussi, même d'un poids infinitésimal, dans "le jugement de l'opinion" (publique). Choisir de "hurler avec les loups" ou d'exprimer une opinion contraire, minoritaire ou isolée, voire une simple réserve en se taisant tant soit peu ostensiblement, cela ne change peut-être pas grand-chose mais on ne peut pas dire que ça ne change rien. La pression que l'on ressent quand on résiste à une opinion majoritaire ne laisse aucun doute là-dessus (le "rapport de force" y devient sensible, fût-ce de façon "purement psychologique").

On peut distinguer le "jugement" par son caractère a priori définitif -- mais même un jugement judiciaire peut être dénoncé en appel, cassé, révisé, et cela vaut a fortiori pour toute opinion, si ferme et tranchée qu'elle s'annonce. Dès lors le "peut-être" et le "sous réserves", en somme toute expression de doute constituerait déjà un pas important (décisif ?) hors du "jugement".
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 05 Déc 2017, 23:00

Peut-on approcher une idée d'une opinion? Par exemple dans l'expression suivante:" je n'ai pas d'opinion", cela veut-il dire que je n'ai pas d'avis, d'idée sur telle ou telle question, sans que cela sous entende :"je n'ai pas de jugement".

Je pourrais dire: j'imagine que le meilleur moyen de régler tel problème serait de réunir toutes les personnes concernées, mais peut-être n'est-ce pas possible. Ai-je émis un jugement?
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 05 Déc 2017, 23:44

Je serais tenté de te retourner la question: si pour toi il y a une différence essentielle entre "juger" et "avoir un avis, une opinion, etc.", en quoi consiste-t-elle ? Par rapport à celui qui a une "opinion" arrêtée sur tel ou tel sujet, que fait de plus, ou d'autre, celui a un "jugement" sur le même sujet ? (Je dis opinion arrêtée car je conviens que l'expression d'un doute ou d'une réserve, d'un "peut-être" par exemple, signifie un retrait par rapport au "jugement" -- et, selon moi, aussi par rapport à l'"opinion" ou même à la "croyance", parce que c'est foncièrement la même chose: qui a vraiment un avis, une opinion, une croyance, ne dit pas "peut-être" -- tout comme celui qui "juge").

Cela dit, il est évident qu'au-delà d'un usage général de la langue française tel que peut l'établir l'étude statistique (et par celle-ci les dictionnaires) il y a autant d'usages réels que de locuteurs. Et que les religions elles-mêmes participent à cette diversité: une éducation chrétienne peut faire éviter le verbe "juger" (parce qu'il ne faut pas juger) comme le verbe "haïr" (parce qu'il faut aimer tout le monde). Je repense à ces TdJ et autres "fondamentalistes" qui n'employaient jamais le verbe "adorer" parce qu'on n'"adore" que "Dieu", pas le chocolat... (problème typiquement francophone, puisqu'en anglais p. ex. on dit love).
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMer 06 Déc 2017, 11:48

Pour moi le mot jugement emporte l'idée de prendre une décision irrévocable, alors que l'opinion est simplement un avis qui n'a pas d'autre utilité de faire savoir ce que je pense sur telle ou telle situation.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMer 06 Déc 2017, 23:23

Même un jugement judiciaire est (parfois) révocable (appel, cassation, révision en cas d'erreur judiciaire manifeste ou probable). Le jugement extra-judiciaire dont parlerait le Sermon sur la montagne le serait a fortiori -- surtout si l'on tient compte de la suite (la paille et la poutre): ce jugement-là ne demanderait qu'à être révoqué, il entendrait même contribuer à sa propre révocation en faisant que le "pécheur" s'amende (laisse-moi retirer la paille de ton œil; cf. le début de ce fil). N'empêche, bien sûr, que dès lors qu'il est prononcé il est irrévocable, dans un sens: même s'il est révoqué il ne pourra plus jamais ne pas avoir été prononcé. Ce n'est de toute façon pas la problématique principale du texte: ce qui l'intéresse, manifestement, c'est le "jugement" d'autrui en tant que symptôme d'aveuglement (côté poutre et côté soi).

En suggérant qu'il y va du "jugement" dans l'ensemble de nos opérations mentales (ou cognitives), de la connaissance à la foi en passant par l'opinion, je suis conscient de dépasser toute "intention" vraisemblable de ce texte ou de son auteur -- cela je l'ai dit dès le début. Cette perspective me semble néanmoins intéressante parce qu'elle met en cause en particulier toute une "épistémologie" moderne, qui dépend précisément du "jugement" d'un "sujet" sur un "objet" (de Descartes à Kant et au-delà). Ce que j'aurais sans doute dû dire aussi, c'est que ce n'est qu'une épistémologie parmi d'autres: que le "jugement" n'est qu'une lecture possible, nullement nécessaire, desdites opérations mentales ou cognitives. On peut envisager une "épistémologie" qui ne ferait pas du tout appel à un "jugement" subjectif mais serait lue tout entière à partir du "phénomène" (je ne dis pas "de l'objet" car il n'y a d'"objet" que pour un "sujet"): p. ex. à la manière heideggerienne où toute "connaissance" (y compris opinion ou croyance, vraie ou même fausse, toute décision et toute résolution) fait partie de la manifestation ("phénomène") de l'être, ou de l'événement. Dans une telle perspective il n'y a plus de "jugement", ou plutôt le "jugement" n'est qu'une des multiples manifestations de l'être.

Ce qui me paraît plus difficile, quand on lit les choses sous l'angle du "jugement", c'est de limiter celui-ci à un domaine particulier: ce qu'on fait quand on "juge", d'un jugement judiciaire, politique, moral ou religieux, on le fait dans tous les domaines de la vie, sur les choses les plus banales comme sur les plus "importantes": on ne fait pas un pas sans "juger" de quelque chose. Mais ce n'est en effet que mon avis -- mon jugement aussi, à mon avis ! -- et je n'y insisterai pas davantage.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeJeu 07 Déc 2017, 12:56

Une femme trop maquillée (trop maquillée par rapport à quel exemple de pas trop maquillée) était regardée de travers il y a quelque 60 ans et les remarques, souvent provenant d'autres femmes, étaient tout sauf agréables, c'étaient de vrais condamnations à mort socialement parlant. Par contre regretter qu'une femme, sa femme, son amie soit un peu trop maquillée n'a pas le même poids, même si la malheureuse va se sentir mal à l'aise tout au long de sa journée, de sa soirée...

Une femme peut forcer son maquillage afin de "cacher" un défaut ou bien pour mettre en valeur une partie de sa personne. Il conviendrait de se demander si l'on juge que le maquillage est un peu forcé, la raison qui a poussé cette femme a grossir le trait de son maquillage.

En fait si nous passions plus de temps à nous demander pourquoi untel à accompli telle chose au lieu de le condamner sans mesure de prudence, nous émettrions de plus belles ondes et aurions de meilleurs pensées.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeJeu 07 Déc 2017, 13:43

Le choix de tes exemples me fait penser que dans le domaine "cosmétique", ou de l'apparence (look) en général -- maquillage, coiffure, épilation, vêtements, tenue, ligne et poids surtout -- un "jugement" esthétique peut être tout aussi tyrannique qu'un "jugement" moral ou religieux.

Sans compter que le jugement moral varie mais ne disparaît pas pour autant: là où on ne risque plus d'être traité de "pute" ou de "pédé" on peut être traité de "beauf" ou de "vieux con", avec un ostracisme sensiblement équivalent...
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeSam 09 Déc 2017, 11:02

Nos divers échanges me prouvent s'il en était encore besoin que nous sommes souvent dans une phase de jugement-constatation sans que nous en prenions conscience. Je fais, sans doute ai-je tort, une différence entre constater et juger, car il me semble moins dur de constater que de juger.

La réflexion de ce sujet me fait prendre conscience de la dangerosité de ma pensée à propos de la différence qui n'existe pas entre juger et constater, regretter dans ce cas précis. De toutes les façon, il y a condamnation plus ou moins importante certes, mais condamnation, cela revient à dire que mon opinion est meilleure, plus éclairée que celle d'autrui et que du haut de mon expérience je me permet d'émettre un avis que l'on ne m'a pas demandé par ailleurs.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeSam 09 Déc 2017, 13:29

"Je ne juge pas, je constate" était une formule très répandue naguère -- on l'entend moins de nos jours, me semble-t-il. J'y ai souvent perçu une touche d'ironie, variable selon les locuteurs: le constat, "objectif", de purs "faits", s'il y avait jamais rien de tel, serait encore plus définitif, moins révocable, moins contestable, qu'un "jugement" (de valeur) avec sa nécessaire part "subjective".

De la condamnation à mort au regard de travers, il y a de la place pour toutes les nuances (de gravité, notamment) dans le "jugement"; et il est impossible de parler d'un tel sujet sans tomber aussitôt dans la contradiction en cascade (critique ou jugement du jugement, pour commencer). J'avais trouvé pour le moins amusant que, dans le même Evangile selon Matthieu où "Jésus", en droite ligne du "ne jugez pas", condamne à la géhenne celui qui traite son prochain de môros ("con", en somme; môria plutôt sottise que folie, on en parlait il y a peu à propos de 1 Corinthiens), et traite lui-même un peu plus loin les pharisiens de môroi (chap. 23). (Je ne  reviens pas sur les contradictions expresses de l'Evangile selon Jean ou des épîtres pauliniennes sur le thème du jugement, je juge / je ne juge pas, il faut / il ne faut pas juger...)

L'idée fondamentale du verbe krinein (d'où crise, critique, critère, crime, incrimination, discrimination -- et crible, et même cerner ou discerner via les parents latins), c'est séparer (cf. Urteil et autres dérivés de teil, "partie", en allemand) -- le bien du mal, le vrai du faux, l'innocent ou la victime du coupable, etc.; d'où décider, trancher, et toutes les images de coupure qui s'ensuivent, notamment l'épée ou le glaive de la justice même quand elle ne coupe pas des têtes. Cela jouxte d'un côté la grande famille de luô, d'où analyse ou catalyse: dé-composition, dé-struction, et avec elle l'ensemble des opérations mentales comprises comme analyse et synthèse: séparer et remettre ensemble (autrement, en général). En hébreu, on retrouve une image similaire dans les racines dyn, "juger" (comme dans Dan ou Daniel), byn (l'intelligence qui sépare ou fait la part des choses; d'où aussi la conjonction byn, "entre" mais en hébreu conjonction répétée, mot à mot "entre ceci et entre cela", c.-à-d. d'un côté ceci et de l'autre cela), le krt de l'alliance ou de la disposition (bryt) "tranchée" ou "décidée", ou encore le bdl sacerdotal qui sépare le pur de l'impur (et dans la première page "sacerdotale" de la Genèse, le jour et la nuit, la terre ferme et la mer, ou encore les différentes "espèces", byn). Quand on parle de "jugement" on touche à un geste fondamental de la "connaissance" humaine, une fonction opératoire dans de multiples "champs" ou "domaines", qui ne se laisse pas facilement circonscrire. D'où l'aspect abyssal d'une interdiction du jugement qui, pour peu qu'on y pense, revient à une interdiction de penser...
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMer 13 Déc 2017, 12:47

Lorsqu'il arrivèrent, il se dit, en voyant Eliab : A coup sûr, le SEIGNEUR a devant lui l'homme de son onction ! Mais le SEIGNEUR dit à Samuel : Ne prête pas attention à son apparence et à sa haute taille, car je l'ai rejeté. Il ne s'agit pas de ce que l'homme voit ; l'homme voit ce qui frappe les yeux, mais le SEIGNEUR voit au cœur. Jessé appela Abinadab et le fit passer devant Samuel. Samuel dit : Le SEIGNEUR n'a pas non plus choisi celui-ci. Jessé fit passer Shamma, et Samuel dit : Le SEIGNEUR n'a pas non plus choisi celui-ci. Jessé fit passer sept de ses fils devant Samuel, et Samuel dit à Jessé : Le SEIGNEUR n'a choisi aucun d'eux. Puis Samuel dit à Jessé : N'y a-t-il plus d'autres jeunes gens ? Et il répondit : Il reste encore le petit, mais il fait paître le troupeau. Alors Samuel dit à Jessé : Envoie quelqu'un le chercher, car nous ne nous installerons pas avant qu'il soit arrivé ici. Jessé l'envoya chercher. Or il était roux, il avait de beaux yeux et une belle apparence. Le SEIGNEUR dit à Samuel : Confère-lui l'onction, c'est lui ! Samuel prit la corne d'huile et lui conféra l'onction parmi ses frères. A partir de ce jour-là, le souffle du SEIGNEUR s'empara de David. Quant à Samuel, il s'en alla à Rama." " 1 Sam 16, 6

Quand l'apparence influence le jugement de Dieu mais si Dieu se défend de le faire. La force et la corpulence génère un jugement négatif et la beauté un jugement favorable. Quoi qu’il en soit, nous passons notre vie à juger les gens sur leur apparence, ça fait partie de notre instinct de survie, pourtant, les apparences sont souvent trompeuses.

N'oublions pas que l'élection de Saül en tant que roi, s'est faite sur des critères de l’apparence physique,  Il était beau, il était grand.(1 Sa 9.2)
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMer 13 Déc 2017, 13:21

Trait d'ironie délicieux en effet, qui doit sans doute beaucoup au hasard de la compilation, mais qui n'a pas pu manquer d'être remarqué -- et malicieusement maintenu.

Comme souvent avec ce genre de vocabulaire, la traduction peut hésiter à chaque pas: roux (de chevelure et de poil) ou rouge = rose ou cuivré (de visage et de peau) ? avec de beaux yeux ou agréable à regarder ("plaisir des yeux"), comme synonyme de l'expression suivante ? Cf. look(s), regard et aspect. L'ambivalence du sens "subjectif" et "objectif", "actif" et "passif", est celle de la "grâce" même, qui n'est dès lors plus si "gratuite": le maître, le roi, le dieu fait grâce à qui a de la grâce et trouve grâce à ses yeux...

Les traditions guerrières, esthétiques, artistiques et érotiques de David (le "chéri", de ces dames et de ces messieurs, autant que le "bien-aimé" de Yahvé) sont entremêlées et indémêlables dans les livres de Samuel -- comme le berger, le harpiste et le chef de guerre.

Juger "contre l'apparence", c'est encore juger "sur l'apparence" -- juge-t-on jamais (sur, d'après) autre chose qu'une "apparence" ? Sans "apparence", phénomène ou apparition même d'une évidence, et en même temps "simple apparence" potentiellement "trompeuse", il n'y aurait, de fait, rien à "juger" (Cf. Jean 7,24).
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Déc 2017, 17:20

Citation :
Juger "contre l'apparence", c'est encore juger "sur l'apparence" -- juge-t-on jamais (sur, d'après) autre chose qu'une "apparence" ? Sans "apparence", phénomène ou apparition même d'une évidence, et en même temps "simple apparence" potentiellement "trompeuse", il n'y aurait, de fait, rien à "juger" (Cf. Jean 7,24).




Le jugement dans l'évangile de Jean n'est de l'ordre de la condamnation mais du discernement. En Jean 12,47-48, Jésus affirme être venu dans le monde, non pour le juger mais pour le sauver. Néanmoins Jésus exprime une parole énigmatique (pour moi), "c'est la parole que j'ai dite qui le jugera au dernier jour".  

"Si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, moi, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. Celui qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a bien un juge : c'est la parole que j'ai dite qui le jugera au dernier jour."

Les pharisiens en Jean 7,24 sont incapables de discerner la révélation qu'apporte la présence du Fils de Dieu, ils se fient aux apparences, sans percevoir une autre réalité, que celle qui les entoure, ils jugent selon la "chair" :

 "Ne jugez pas selon l'apparence : que votre jugement soit juste !"

"Vous, vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. Et si, moi, je jugeais, mon jugement serait vrai, car je ne suis pas seul : il y a moi et le Père qui m'a envoyé" (8,15-16)

De nombreux paradoxes, Jésus ne juge personne mais quand il juge, son jugement est vrai, mais en réalité, c'est ses paroles qui jugent. Shocked


Dernière édition par free le Ven 15 Déc 2017, 10:45, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeJeu 14 Déc 2017, 18:09

Comme on l'a souvent remarqué, le jeu des contradictions dans le quatrième évangile a ceci d'extraordinaire qu'il fonctionne non seulement quand tel ou tel "auteur" "fait exprès" de se contredire, mais aussi avec les contradictions accidentelles qui résultent de ses rédactions et ajouts successifs... (cf. aussi, pendant qu'on y est, 5,22-30; 8,26.50; 9,39; 12,31; 16,8.11).

A noter aussi que la formule "au dernier jour" en 12,48 (et 6,39.40.44.54) est un marqueur probable d'une vague spécifique d'ajouts très tardifs, et "orthodoxes", qui tentent de réintroduire de l'eschatologie futuriste (jugement dernier) dans un texte dont la tendance dominante consiste au contraire à "actualiser" l'eschatologie (le jugement, la résurrection, c'est maintenant ou jamais). Cf. a contrario 11,24ss où "la résurrection au dernier jour" est l'expression de Marthe, que Jésus corrige en ramenant "la résurrection" au présent (et à lui-même, et à tout "croyant"; cf. 5,24ss).
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 13 Juil 2021, 16:05

(J'espère avoir suffisamment relu ce fil pour le reprendre sans dommage et sans trop de répétition.)

Ce qui est dit du "jugement" vaudrait, en principe, autant pour le jugement "positif" ou favorable (approbation, admiration, éloge, louange, etc.) que pour le jugement "négatif" ou défavorable (désapprobation, réprobation, condamnation, critique, rejet, mépris, indignation, etc.) -- même si l'on pense d'abord et surtout au second quand on lit "ne jugez pas".

Je suis tenté aujourd'hui d'en rapprocher deux énoncés pauliniens caractéristiques de l'épître aux Romains, deux "désapprobations de l'approbation", "jugements négatifs sur un jugement positif" en somme:
1,32: ... non seulement ils font cela (ou "ces choses", cf. le "catalogue de vices" qui précède), mais encore ils approuvent (ou "agréent", sun-eu-dokeô, même verbe 1 Corinthiens 7,12s; cf. eu-dokeô avec diverses nuances d'approbation ou d'agrément, Romains 15,26s; 1 Corinthiens 1,21; 10,5; 2 Corinthiens 5,8; 12,10; Galates 1,15; Colossiens 1,19; 1 Thessaloniciens 2,8; 3,1; 2 Thessaloniciens 2,12, où les traductions utilisent souvent le verbe "plaire", "se plaire à" etc.) ceux qui le(s) pratiquent -- comme si l'"approuver" ou l'"agréer" était encore plus grave que le "faire" ou le "pratiquer" (poieô / prassô, d'où poièsis et praxis), suivant la construction classique ou monon... alla kai, non solus... sed etiam, "non seulement... mais encore".
14,22: heureux celui qui ne se juge pas (krinô) lui-même dans/par ce qu'il approuve (dokimazô, cf. dokimos v. 18 et 16,10; même verbe 1,28; 2,18; 12,2; terme apparenté en 5,4).

Le vocabulaire de l'approbation ou de la réprobation, lié comme en français à celui de la preuve et de l'épreuve (dokimazô de dokeô etc., d'où doxa qui est aussi bien "gloire" qu'"opinion"), est distinct de celui du "jugement" (krinô etc.), mais souvent combiné avec celui-ci comme avec celui de l'épreuve-tentation (peirazô etc.), en particulier dans le corpus paulinien (aussi 1 Corinthiens 3,13.18; 4,9; 7,40; 8,2; 10,12; 11,16.19.28; 12,22s; 14,37; 16,3; 2 Corinthiens 2,9; 8,8s.22; 10,9.18; 11,16; 12,19; 13,3.5.7; Galates 2,2.6.9; 6,3s; Ephésiens 5,10; Philippiens 1,10; 2,22; 3,4; 1 Thessaloniciens 2,4; 5,21; 1 Timothée 3,10; 2 Timothée 2,15).
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 13 Juil 2021, 17:46

Narkissos a écrit:
Ce qui est dit du "jugement" vaudrait, en principe, autant pour le jugement "positif" ou favorable (approbation, admiration, éloge, louange, etc.) que pour le jugement "négatif" ou défavorable (désapprobation, réprobation, condamnation, critique, rejet, mépris, indignation, etc.) -- même si l'on pense surtout au second quand on lit "ne jugez pas".

Je trouve intéressante ton approche à propos du mot jugement tant il est courant de ne considérer que le côté désapprobateur tel qu'il peut ressortir de ce terme.

Pourtant le jury d'un prix littéraire, ou le panel de juges pour certaines épreuves sportives n'ont qu'une seule fonction celle de déterminer, en fonction de critères bien précis, lequel des concurrents a convaincu tous les membres du jury, les juges, à travers sa performance de sa supériorité, sa meilleure maitrise de son sujet face à ses adversaires. Il y a un jugement et il est favorable pour le vainqueur et défavorable pour les autres participants.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 13 Juil 2021, 20:00

Le logion évangélique, une fois dégagé de son "contexte" -- il est d'autant plus facile de l'en dégager qu'il se présente d'emblée dans deux "contextes" différents, Matthieu et Luc -- vaudrait en effet aussi bien pour le jugement "positif" ou approbateur (d'où l'intérêt que l'"approbation" même soit expressément mise en question dans les textes pauliniens, fût-ce dans de tout autres contextes et avec un vocabulaire différent).

Ce n'est d'ailleurs que le début du problème: autant la crainte d'être "jugé" négativement peut dissuader de "juger" négativement (selon la lecture habituelle des passages évangéliques), autant le désir d'être jugé positivement nourrit, au contraire, la tendance au jugement positif -- suivant le principe tacite d'approbation et de valorisation réciproques qui régit toutes les relations sociales, amicales, familiales, etc.: je t'approuve, tu m'approuves, nous sommes bons amis et du bon côté, des "gens bien" par rapport à d'autres qui ne le sont pas -- ce qui est habituellement anodin entre personnes de condition similaire mais peut aussi aller jusqu'aux pires formes d'hypocrisie et de flatterie, en fonction des situations et des enjeux: ainsi tel "puissant" petit ou grand constamment entouré d'éloges et d'admiration découvre toujours trop tard ce qu'on pense vraiment de lui...

Nous avons plusieurs fois évoqué les impasses "logiques" (apories) que posent les "louanges", en particulier dans un cadre "monothéiste" (Aristote exceptait judicieusement la "prière" de la "logique") -- ce qu'on appelle justement "doxologie" en jargon exégétique, toujours de la même doxa qui se traduit tantôt par "gloire" et tantôt par "opinion", suivant le sens de dokéô qui implique un jugement fondé sur l'apparence réelle ou trompeuse, autrement dit le "phénomène": dire que Dieu est bon, grand, juste, sage, etc., si on le prend à la lettre, comme un "jugement" ou une "prédication" au sens logique du terme (s est p, sujet est prédicat ou attribut), OU BIEN c'est une pure tautologie qui ne veut rien dire: si "Dieu" est par définition la cause, la source et la mesure de tous ses prédicats, aucune "prédication" à son "sujet" ne signifie rien de plus que "Dieu est Dieu"; OU BIEN ça veut dire quelque chose, parce que les prédicats sont a priori indépendants du sujet, et par là même supérieurs ou transcendants à un "Dieu" qui n'est plus vraiment "Dieu".

Beaucoup plus simplement, ma réflexion du jour (celle qui a motivé tout à l'heure la réouverture de ce fil que j'ai relu avec plaisir), c'était qu'avec le temps on peut regretter tout aussi amèrement les jugements "positifs" qu'on a portés hâtivement sur ceci ou cela, en souscrivant sans trop y réfléchir à des opinions consensuelles, par conformisme ou par désir d'être accepté soi-même dans tel ou tel "milieu", que ses jugements "négatifs"; et pourtant la plupart du temps on se méfie bien moins de l'"approbation", qui sur le coup paraît inoffensive, que de la "critique" qui génère instantanément le conflit.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMar 13 Juil 2021, 20:32

Narkissos a écrit:
Beaucoup plus simplement, ma réflexion du jour (celle qui a motivé tout à l'heure la réouverture de ce fil que j'ai relu avec plaisir), c'était qu'avec le temps on peut regretter tout aussi amèrement les jugements "positifs" qu'on a portés hâtivement sur ceci ou cela, en souscrivant sans trop y réfléchir à des opinions consensuelles, par conformisme ou par désir d'être accepté soi-même dans tel ou tel "milieu", que ses jugements "négatifs"; et pourtant la plupart du temps on se méfie bien moins de l'"approbation", qui sur le coup paraît inoffensive, que de la "critique" qui génère instantanément le conflit.

Nous vivons dans une époque ou les jugements positifs ou négatifs sont très/trop rapidement rendus sous une forme quasi définitive par le biais des réseaux sociaux. On peut souvent en observer une dérive qui confine au mal-être voire à la médisance. Tout un chacun se croit autoriser à porter un jugement souvent regardé par celui qui l'émet comme sans discussion. Personne ne prend le temps et encore moins que par le passé comme tu l'as fait remarquer, Narkissos.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeMer 14 Juil 2021, 00:08

Nous n'entendons pas assez souvent -- est-ce de sa faute ou de la nôtre ? -- le dieu, le démon ou l'ange nocturne de Laban, celui qui viendrait nous rappeler juste à temps de ne dire ni bien ni mal... quoique celui-là soit peut-être un peu mieux entendu en Suisse qu'ailleurs (cf. "ni pour ni contre, bien au contraire") Wink

Le problème de fond, bien sûr, c'est celui qui a été discuté tout au long de ce fil, à savoir la difficulté qu'il y a à s'avouer "sans opinion" dans un jeu politico-médiatique, et plus largement social, qui est précisément fondé sur l'opinion et réclame de chacun une opinion sur tout, de préférence consensuelle dans un milieu donné. Dans ce jeu-là, ou plutôt à la limite du "hors-jeu", le joker du "non-jugement" s'avère précieux -- à la mesure de sa rareté.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeJeu 15 Juil 2021, 12:31

Ne pas juger autrui : entre sagesse et compassion.



La compassion est le principe incontournable dans le bouddhisme, avec la vacuité. La vacuité et la compassion vont toujours ensemble, l'un sans l'autre ne serait pas du bouddhisme. Il n'y a pas de vacuité possible sans compassion, car si l'on comprend de façon profonde pourquoi chacun agit de telle façon, nous ne pouvons qu'avoir de la compassion. Mais il n'y a pas non plus de vraie compassion possible sans compréhension de la vacuité. La compassion, ce n'est pas pas tout accepter, tout cautionner, sous prétexte qu'on comprenne pourquoi la personne ait agit ainsi. Pour être vraiment compatissant, il faut agir du mieux possible, mais en ayant connaissance également de la vacuité, et donc des relations d'interdépendance. En ayant conscience de la vacuité, on se rend également compte que si nous laissons faire le « mal », d'un point de vue relatif, nous en sommes aussi coupables. Donc il ne s'agit pas de tout cautionner, sous prétexte de vacuité, ou de non-jugement. Oui, ne pas juger est important, pour pouvoir atteindre la connaissance de la vacuité. Mais il est peut-être plus important, parfois, de « juger », c'est à dire de déposer une étiquette sur quelque chose ou quelqu'un, pour protéger quelqu'un, que de ne pas juger, en vue de connaître le Nirvana. Si vous dites à un enfant : « ne traverse pas la route, c'est dangereux », « dangereux » est un jugement. Cependant, si vous ne le lui dites pas, vous serez responsables s'il se fait écraser par une voiture, et votre karma en sera donc touché ; ce qui retardera votre compréhension de la vacuité (puis-ce que les progrès spirituels sont interdépendants de notre karma, lui même interdépendant des intentions derrières nos actes et paroles). Juger autrui, par contre, ne doit pas être quelque chose que l'on fait par plaisir, ni pour faire souffrir quiconque. Dire « regarde, comme untel est gros » par exemple, n'a aucun intérêt, et c'est clairement se créer du mauvais karma. Par contre, dire « attention lui est dangereux» à une femme battue par exemple, n'est pas du mauvais karma, au contraire : vous ne dites pas du « mal » de son ami pour le ou la blesser, mais vous souhaitez la mettre en garde contre un danger auquel elle a à faire face.

Donc, encore une fois, tout est basé sur l'intention. Ce n'est pas juger qui créera du mauvais karma. Ce qui crée le karma, c'est l'intention. Si votre intention est altruiste, vous créerez du bon karma, pour vous, ainsi que pour les personnes concernées. Si vous jugez pour vous amuser, vous moquer, ou faire du mal à quelqu'un, vous créerez du mauvais karma.



Tout est toujours dans l'intention.



Quand vous pensez, faites ou dites quelque chose, peu importe quoi, soyez toujours attentifs à l'intention qu'il y a derrière : le faites-vous par altruisme, ou le faites-vous pour de mauvaises raisons ? Tout ce que vous ne faites pas par altruisme est du mauvais karma... Mais certains actes ou même certaines paroles que l'on peut considérer comme « mauvaises » ne le sont en fait que si vos intentions sont mauvaises... En étant bien conscients que rien n'est, en soi, ni bon ni mauvais, tout est inscrit dans un contexte, une histoire, et est relatif à des intentions. De toutes façons, il y a quand même quelque chose sur lequel l'on peut se baser, au lieu de penser en terme de « bien » ou de « mal », c'est tout « simplement » : « est-ce que ce que je fais / dis / pense est conforme aux Enseignements de Bouddha ? ».



Source : bouddhisme.e-monsite.com  



(suite & fin)
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeJeu 15 Juil 2021, 14:26

Je serais curieux de savoir ce que la notion d'"intention" recouvre exactement dans les traditions bouddhistes: si à l'occasion tu peux nous l'expliquer ou nous indiquer des références... je trouve en attendant des choses comme ceci, mais ça en dit plus sur le discernement des "intentions" bonnes ou mauvaises que sur l'"intention" elle-même; or je serais surpris que le bouddhisme qui a su "déconstruire" tant de "concepts" factices (hindous ou autres) ait laissé l'"intention" intacte (je vois ici que le terme sankappa qui semble correspondre à "intention" est aussi qualifié de "fiction", ça me rassure un peu).

Pour ma part cette notion me semble extraordinairement problématique -- Nietzsche et Freud y sont sûrement pour quelque chose, mais le problème vient de loin: il est vrai que chez nous aussi on continue de parler d'"intention" comme si ça allait de soi, au tribunal comme à l'église ou au bistrot.

Ce n'est pas seulement la voie de l'enfer, comme dit le proverbe, qui est "pavée de bonnes intentions", c'est à mon sens toute l'histoire et toute histoire, je serais tenté d'ajouter "spécialement occidentale(s)" si ce n'était pas un pléonasme autant qu'une illusion de perspective: du "bien" qui tourne invariablement au "mal" et du "mieux" au "pire", de l'"intention" présumée (désir, décision, volonté, projet, programme) ou inventée après coup ("rationalisation" au sens anglais du terme) à la réalisation, sans avoir besoin d'aucune "mauvaise intention"...

Dans les évangiles en tout cas, comme on l'a vu depuis le début de ce fil, c'est bien une "bonne intention" qui est mise en question par l'image de la paille et de la poutre.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeVen 16 Juil 2021, 10:39

Je vais rechercher afin de te donner la meilleur réponse possible. J'ai déjà mon idée mais je préfère présenter ce que le Bouddha a enseigné. A plus
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeVen 16 Juil 2021, 12:14

Grand merci, mais prends ton temps, ça n'a rien d'urgent... :)

En attendant, on peut rappeler que dans la tradition "biblique", surtout dans sa partie hébraïque (AT), ce que nous appelons "intention" relève du "coeur" qui est tout autant "intellectuel" qu'"affectif", et aussi "projectif" (désir, volonté, intention, décision, projet, plan, etc.). En relève aussi, comme tant d'autres choses, le "jugement". Et bien que le vocabulaire grec soit beaucoup plus riche, précis et distinctif sous ce rapport, cette métonymie "organique" traditionnelle se retrouve souvent dans le NT (p. ex. dans ce qu'on traduit habituellement par "pensées et intentions du coeur" en Hébreux 4,12, respectivement enthumèsis et ennoia, où le premier terme est plutôt "affectif" ou "émotionnel" et le second plutôt "intellectuel", sans qu'aucune nuance "projective" y soit évidente). Dans l'hébreu rabbinique, en revanche, on va distinguer des "penchants" (bons ou mauvais) du "coeur", de la racine yçr qui évoque l'art du potier, bien connu depuis la Genèse: "formations" ou "façons" du "coeur" et de ce qu'il "produit".

Quand le "sujet" est désigné par un terme aussi vaste et englobant que le "coeur" hébraïque, il n'est pas étonnant que tout s'y mêle de ce qu'on pourrait y distinguer par ailleurs, dans une autre langue ou une autre culture: le "bien" et le "mal", le "désir" et la "volonté", le "sentiment" et la "pensée", l'"intention" et la "réflexion", le "conscient" et l'"inconscient". Le "coeur" dès lors paraît d'autant plus "traître", comme dirait Jérémie, non seulement capable de tout et de son contraire mais encore opaque à lui-même ("qui le connaît ?" -- les dieux, la sagesse, etc.).

Langues et lexiques à part, il est toutefois très clair que le problème de l'"intention", et du jugement ou du discernement de l'"intention", a profondément marqué le christianisme (notamment à partir des énoncés du Sermon sur la montagne qui mettent sur le même plan la haine, la colère ou l'insulte et le meurtre, le désir et l'adultère, etc.) et la civilisation qui s'ensuit, jusqu'à ce jour.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeVen 16 Juil 2021, 15:45

Selon la compréhension de l'enseignement de Bouddha que j'ai acquise et que je continue d'acquérir, il me semble que l'intention est reliée à la pensée, la conscience.

Cependant, si je m'arrête là ce serait un raccourci trop rapide. En effet, la pensée n'est pas directement mentionnée dans les 5 agrégats mais parait en découler, puisque l'on parle de formations mentales à propos des pensées et que ces dernières sont en interdépendance avec la conscience.

Les 5 agrégats sont le corps, les perceptions, les sensations, les formations mentales et la conscience. Chacun de ces 5 éléments pris séparément ne représente rien. Lorsqu'ils fonctionnent en interdépendance ils forment ce que l'on appelle un individu.

Il n'est donc pas possible de pouvoir dire que telle intention ou telle autre représente une personne. De plus tout élément est impermanent donc ne reste pas dans l'état dans lequel il se trouvait auparavant puisqu'il est constamment en mouvement changeant comme tout ce qui nous forme et nous entoure. Une intention, une pensée peut se modifier ainsi au cours non seulement d'une vie mais aussi dans le courant d'une journée. L'intention ne peut donc pas représenter quelque chose de définitif tout comme nous ne sommes plus la même personne que nous étions il y a quelques instants.

Voilà mon approche de ce mot "intention". J'espère que je ne me sois pas trop montré confus.
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeVen 16 Juil 2021, 19:31

Merci (encore): cela tend à confirmer mon intuition que (ce qu'on appelle) "l'intention" relève bien dans la terminologie bouddhiste de la "formation mentale" et de la "conscience", donc de l'"agrégat" sans substance propre, autrement dit d'une certaine illusion. Ce qui d'ailleurs rejoint très bien la pensée occidentale contemporaine, si du moins elle est tant soit peu frottée de psychanalyse: rien de plus douteux que les "intentions" par lesquelles on explique, même sincèrement, tel acte ou telle décision -- avec le temps chacun peut faire l'expérience de leur variation continuelle dans son propre récit, avant, après et longtemps après, sans aucune garantie que les dernières explications soient meilleures que les premières (et inversement). Tout cela rend le "jugement" d'autant plus hasardeux -- sans doute pas plus évitable en pratique, hélas, mais au moins peut-on y prendre une certaine "conscience" de son caractère relatif et provisoire. (Je repense à la belle conclusion du roman de Joseph: ce que vous aviez pensé en mal, le dieu l'avait pensé en bien.)
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MessageSujet: Re: Ne jugez pas, disait-il.   Ne jugez pas, disait-il. - Page 2 Icon_minitimeVen 16 Juil 2021, 22:10

Narkissos a écrit:
Merci (encore): cela tend à confirmer mon intuition que (ce qu'on appelle) "l'intention" relève bien dans la terminologie bouddhiste de la "formation mentale" et de la "conscience", donc de l'"agrégat" sans substance propre, autrement dit d'une certaine illusion.

Effectivement le Bouddha a insisté sur l'importance de l'illusion dans notre vie, à propos de notre personnalité, du fameux "je suis". L'intention est donc bien quelque chose qui change avec le temps plus ou moins long.
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