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| Jean 1,18 | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Jean 1,18 Dim 03 Juil 2016, 20:56 | |
| Un post récent du blog (de) "Marie-Madeleine" (ici Paraclet) m'a fait relire ce verset qui conclut le Prologue (dont je rappelle qu'il est souvent considéré par l'analyse littéraire comme un ajout tardif au quatrième évangile, d'une pièce poétique indépendante, avec des commentaires et des digressions en prose intercalés comme en contrepoint, notamment sur Jean[-Baptiste]).
On y rencontre avant tout, c'est assez bien connu, un problème "textuel", puisqu'il faut choisir entre les leçons suivantes: - theon oudeis eôraken pôpote: monogenès theos ho ôn eis ton kolpon tou patros ekeinos exègèsato (leçon retenue par Nestle-Aland, d'après le papyrus P66 etc.) - theon oudeis eôraken pôpote: ho monogenès theos ho ôn eis ton kolpon tou patros ekeinos exègèsato (ajout de l'article, LE dieu "monogène", d'après un autre papyrus, P75, etc.) - theon oudeis eôraken pôpote: ho monogenès huios ho ôn eis ton kolpon tou patros ekeinos exègèsato (avec "fils" à la place de "dieu", d'après l'Alexandrinus etc.) - theon oudeis eôraken pôpote ei mè ho monogenès huios ho ôn eis ton kolpon tou patros ekeinos exègèsato (autre syntaxe, "sinon [ou si ce n'est] le fils monogène", codex de Washington etc.) - theon oudeis eôraken pôpote ei mè ho monogenès huios theou ho ôn eis ton kolpon tou patros ekeinos exègèsato (idem, + "de Dieu" d'après une traduction latine d'Irénée.) - theon oudeis eôraken pôpote ei mè ho monogenès huios ho ôn eis ton kolpon tou patros ekeinos exègèsato hèmin (+ "à nous", d'après le codex de Washington). (Metzger signale en outre, sans référence, une leçon "faiblement attestée" avec monogenès seul, sans theos ni huios. L'apparat critique de Nestle-Aland indique la conjecture -- sans appui textuel -- de Burney: monogenès theou, au génitif, "un monogène de d/Dieu").
Si l'on retient le premier texte, ce qui me paraît raisonnable (on pourra toujours discuter du pourquoi si ça intéresse quelqu'un), le problème de traduction ne fait que commencer: d'abord, en fonction de l'interprétation de la syntaxe de (l'absence de) l'article en grec et de l'usage de la majuscule à "Dieu" en français. En réservant pour la fin la traduction du dernier mot, on peut déjà hésiter entre: "Dieu, personne ne l'a jamais vu; le Dieu (fils-)unique, celui qui est dans (sur, contre, cf. v. 1, avec une autre préposition, pros) le sein du Père, c'est celui-là qui a..." ou: "De dieu, personne n'en a jamais vu; un dieu (fils-)unique, qui est dans (etc.) le sein du Père, c'est celui-là qui a..."
Passons (pour le moment) sur monogenès, dont nous avons déjà dû discuter ailleurs: à la lettre c'est "unique en son genre" et non "unique-engendré" (de gi(g)nomai et non de gennaô). Mais le sens spécialisé d'"enfant unique" (fils ou fille) est très présent dans la littérature "biblique", de la fille de Jephté (dans la Septante de Juges 11,34; cf. Tobit 3,15; 6,11; 8,17, LXX et Théodotion; Psaumes de Salomon 18,4, en parallèle avec prototokos, "premier-né", et appliqué à Israël) aux récits de miracle évangéliques (Luc 7,12; 8,42; 9,38; cf. aussi Hébreux 11,17). A noter quand même que monogenès traduit aussi l'emploi particulier de l'hébreu yahida, "l'unique" au féminin, comme synonyme poétique de "l'âme", npš (p. ex. Psaume 21,21 LXX = 22,21 TM; 34/5,17); ou, négativement, le "solitaire" ou l'"isolé" (Psaume 24/5,16, cf. en bonne part le monakhos de Thomas); et encore "l'Esprit" unique (quoique divers) de la Sagesse (Sagesse 7,22).
(On peut aussi discuter la fonction et la relation précises des nominatifs enchaînés: substantif, adjectif épithète ou attribut, apposition ? P. ex.: - un dieu monogène, qui est... - un monogène dieu, qui est... - un monogène, un dieu, celui qui est... mais ça ne change pas grand-chose au sens de la phrase.)
Arrivons-en donc à la fin: c'est le dieu monogène qui a (fait) quoi ? Problème d'"exégèse" (à la lettre puisque le mot "exégèse" vient de ce verbe) d'exègèsato, aoriste d'exègeomai (en fait exègoumai, mais les dictionnaires donnent toujours, pour faciliter l'accès aux conjugaisons, une forme artificielle qui ne tient pas compte de la contraction vocalique usuelle, celle qu'on rencontre dans la langue "réelle"). Je ne reviens pas (voir le lien ci-dessus) sur le fait que la voix "moyenne" est la voix "normale" de ce verbe transitif, c.-à-d. construit avec un complément d'objet exprimé ou sous-entendu.
Au sens "propre" ou "concret", exègeomai c'est "conduire ([h]ègeomai) dehors (ex)"; on pourrait dire, par calque étymologique, "dé-duire", si le verbe déduire en français n'avait déjà son sens "logique" précis, exclusif et fixé. Mais dans la LXX et (ailleurs) dans le NT, il n'est employé que dans un sens "verbal" ou "intellectuel": exprimer, expliquer, exposer, divulguer, raconter, rapporter, révéler, enseigner, indiquer, mettre en évidence, en lumière ou au jour. Ex.: Lévitique 14,57, enseigner (montrer, indiquer, distinguer) le jour (le moment, le cas) du pur et de l'impur; Juges 7,13, raconter un rêve; 2 Rois 8,5, raconter un miracle; Job 12,8 "parle à la terre, elle te le racontera; et les poissons de la mer te l'exposeront", où on trouve deux formations verbales parentes, respectivement ek-di-ègeomai et ex-ègeomai; Job 28,27, "il (Dieu) la vit (la Sagesse) et la conta (la fit connaître, l'exposa)"; 1 Maccabées 3,26, les nations racontent les batailles de Judas Maccabée; 2 Maccabées 2,13, les écrits de Néhémie racontent sa fondation de la bibliothèque; Luc 24,35, les disciples d'Emmaüs racontent ou "expliquent" ce qui leur était arrivé en chemin; Actes 10,8, Corneille raconte ou explique à ses émissaires ce qui lui est arrivé, ou leur indique leur mission; Actes 15,12, Barnabé et Paul racontent leur mission et les miracles qui se sont produits; Actes 15,14, Syméon a raconté ou expliqué comment Dieu s'était révélé aux païens; Actes 21,19, Paul raconte à Jacques sa mission.
Ce sens verbal et/ou intellectuel ne fait guère de doute non plus en Jean 1,18: le dieu monogène exprime, explique, expose, raconte, divulgue, révèle.
Mais quoi ? C'est là que le bât blesse, car l'"objet" de la révélation n'est pas exprimé. La plupart des traductions suppléent un pronom censé renvoyer au "dieu" de la première proposition: "l'a fait connaître"; mais theos ne convient guère comme complément (sous-entendu) d'exègeomai (on "raconte" ou on "explique" un "événement", une "histoire", un "rêve", plus difficilement "quelqu'un"); d'autre part la phrase ainsi construite peut être plus équivoque en français qu'en grec, puisque le pronom objet ajouté peut renvoyer non seulement à "dieu", mais à l'ensemble de la première proposition (il a fait connaître le "dieu" que personne n'a jamais vu, ou il a fait connaître que personne n'a jamais vu [de] "dieu" ?).
Bref, il faudrait résister à la tentation de suppléer un complément, même discret et ambigu: de dieu, personne n'en a jamais vu; un dieu (fils-)unique, celui qui est contre le sein du père, celui-là a raconté, ou expliqué; mais la banalité même de ces verbes en français, pour un "théologoumène" aussi puissant qui constitue le "point d'orgue" du Prologue, fait sérieusement hésiter le traducteur; d'un autre côté "révéler", "dévoiler", "manifester" appellent d'autres images et prêtent à confusion avec d'autres pans du lexique grec (celui de l'apo-calypse ou de l'épi-phanie). Comme quoi il ne suffit pas de "comprendre" pour traduire...
A noter un parallèle intéressant à ce verset dans le Siracide, 43,31, avec le verbe apparenté ekdiègeomai qui a déjà été signalé plus haut: tis eoraken auton kai ekdiègèsetai; "qui l'a vu (le Seigneur) pour le décrire (ou le raconter) ?"
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Un autre détail de ce verset qu'il est difficile (voire impossible) de faire sentir en traduction sans surtraduire, c'est la présence du verbe "être", eimi, dans l'incidente ("celui qui est dans/contre le sein du Père"): en français elle va de soi (on ne peut pas le dire autrement), donc elle passe inaperçue; en grec, surtout "biblique", pas du tout, puisque ce verbe est le plus souvent sous-entendu. Cela est à rapporter à l'usage ostensiblement distinct de eimi ("être") et de gi(g)nomai (devenir, advenir) dans l'ensemble du Prologue, dont nous avons déjà parlé: le premier est réservé à la sphère "divine", le second à la sphère du "monde" et de l'"histoire", qui communiquent notamment au v. 14: "le Verbe (qui était, v. 1ss) est devenu chair". Par-delà l'économie verbale particulière du Prologue, cela renvoie (discrètement) à une constante de la christologie johannique: ce qui "sort" de "Dieu" ou du "Père" pour "venir" dans le monde ne cesse pas d'être en lui. |
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Lun 04 Juil 2016, 16:46 | |
| - Citation :
- Arrivons-en donc à la fin: c'est le dieu monogène qui a (fait) quoi ? C'est le problème d'"exégèse" (à la lettre puisque le mot "exégèse" vient de ce verbe) d'exègèsato, aoriste d'exègeomai (en fait exègoumai, mais les dictionnaires donnent toujours, pour faciliter l'accès aux conjugaisons, une forme artificielle qui ne tient pas compte de la contraction vocalique usuelle, celle qu'on rencontre dans la langue "réelle"). Je ne reviens pas (voir le lien) sur le fait que la voix "moyenne" est la voix "normale" de ce verbe, qui est généralement employé comme un actif transitif, c.-à-d. construit avec un complément d'objet exprimé ou sous-entendu.
Merci Narkissos d'attirer notre attention sur ce texte "mystèrieux. La TOB propose : " Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé." Lorsque je lis cette traduction je peux comprendre que ce qui a été dévoilé c'est soit, le fait que "personne n'a jamais vu Dieu" ou que justement c'est ce fameux Dieu inconnu. La NBS : " Personne n'a jamais vu Dieu ; celui qui l'a annoncé, c'est le Dieu Fils unique qui est sur le sein du Père." La NBS semble donner une tournure plus cohérente et interprétative.
Dernière édition par free le Lun 04 Juil 2016, 17:24, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Lun 04 Juil 2016, 17:06 | |
| A mon humble avis et à mon grand regret , la NBS a exactement les mêmes défauts principaux que la TOB, 1) de suppléer un pronom objet ("l'") qui n'existe pas dans le texte, et 2) de favoriser l'équivoque que tu as bien comprise -- si celle-ci n'est pas rigoureusement impossible en grec, elle se présentera moins spontanément à l'esprit du lecteur en grec qu'en français. Il faut toutefois remarquer, même si c'est un peu tordu (comme l'est souvent "l'art" de la traduction), que dans une certaine mesure ces deux défauts se compensent: le lecteur, en définitive, ne sait pas au juste ce qui est dévoilé ou annoncé, à cet égard au moins il n'est pas plus avancé que le lecteur du grec. Le seul (petit) avantage de la NBS par rapport à la TOB, c'est d'éviter la confusion avec le vocabulaire distinct du "dévoilement" ou de la "révélation" ( apo-kalupsis etc.). |
| | | free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Lun 04 Juil 2016, 17:33 | |
| ''Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fis unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le faire connaître'' (http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/541.html)
Cette version s'harmonise bien avec le v 14 ou le Verbe fait chair reflète une gloire de Fils unique issu du Père. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Lun 04 Juil 2016, 18:06 | |
| Outre que cette version repose sur un autre choix textuel ( huios = fils au lieu de theos = dieu, voir supra), et qu'elle aussi supplée un complément d'objet imaginaire ("le" faire connaître), elle surtraduit manifestement le verbe exègeomai en additionnant son sens étymologique "concret" (de hègeomai, conduire), absent comme on l'a vu de l'usage "biblique", et son sens "verbal/intellectuel" usuel (faire connaître), créant de toutes pièces une médiation supplémentaire (le Christ ne révélerait pas lui-même, il "conduirait" à une révélation), ce qui me paraît particulièrement maladroit, et en tout cas injustifiable. A propos du v. 14, il faut relever un petit mot souvent négligé: doxan hôs monogenous para patros, "une gloire comme d'un monogène (issu) du père". Contrairement au v. 18, le langage n'est pas directement "théologique" ou "christologique", mais comparatif (à la relation fils unique / père "en général"). Ce que traduit bien la formule indéterminée "une gloire de fils unique issu du père", mais que trahirait " la gloire du Fils unique issu du Père". (On trouvera d'autres discussions passées du Prologue dans ce fil et en suivant les liens qui s'y trouvent.) |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mar 05 Juil 2016, 12:23 | |
| Pourrions nous pour des raisons théologiques dire que la communication en question concerne le fait que "persionne n'a jamais vu Dieu" ?
Y avait-il un débat au sein du judaisme sur le fait de savoir si Dieu s'était montré aux humains ou aux croyants ?
"Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit" Jn 14,8 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mar 05 Juil 2016, 13:19 | |
| Les deux idées opposées (on peut et on ne peut pas voir Dieu) sont inscrites dans la Torah même (p. ex. Exode 24,7ss et 33,18ss) et ne cessent, dans l'ensemble du corpus (AT et au-delà) de jouer l'une avec et contre l'autre (dès lors du moins que tous les textes sont lus dans une perspective monothéiste, c.-à-d. rapportés au même "Dieu" unique). Le "johannisme" en tout cas tient à l'"invisibilité générale" de (son) "Dieu", sauf pour le "Fils unique" (monogène) qui est, à la lettre, son seul vis-à-vis (on ne "voit" qu'en lui et par lui, cf. aussi 5,37; 6,46; 1 Jean 4,12,20). Plus généralement, toute "révélation" voile en même temps qu'elle dévoile, préserve son secret ou son mystère là même où elle le livre. Emblématiquement, le "je suis qui je suis" d'Exode 3 (qui reste une référence majeure et positive du johannisme et de la gnose, quoi que ceux-ci suggèrent ou déclarent par ailleurs du " Dieu de l'Ancien Testament") dit tout et ne dit rien. |
| | | free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Mer 06 Juil 2016, 16:28 | |
| - Citation :
- Le "johannisme" en tout cas tient à l'"invisibilité générale" de (son) "Dieu", sauf pour le "Fils unique" (monogène) qui est, à la lettre, son seul vis-à-vis (on ne "voit" qu'en lui et par lui, cf. aussi 5,37; 6,46; 1 Jean 4,12,20).
Jean 20 utilise souvent le verbe "voir" en rappoprt avec Jésus ressucité. 20,8 : "il vit et il crut" 20,18 : "Marie-Madeleine vient annoncer aux disciples qu'elle a vu le Seigneur" 20,20 : "Les disciples se réjouirent de voir le Seigneur" 20,29 : "Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, tu es convaincu ? Heureux ceux qui croient sans avoir vu !" Cette utilisation importante du verbe "voir" me semble ne pas être un hasard ... Si Dieu est invisible, on peut le voir à travers la vision du Christ ressucité, d'ailleurs Thomas lui répondit : Mon Seigneur, mon Dieu ! |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mer 06 Juil 2016, 17:56 | |
| Tout l'Evangile (selon "Jean") joue sur la question du "voir" et notamment du "voir Jésus / le Fils": il n'est pas donné à tout le monde de le "voir", on peut le "voir" sans le "voir", mais on ne peut pas le "voir" (vraiment) sans "voir" aussi le Père, etc. Cf. exemplairement le chapitre 9 sur l'aveugle-né qui est le seul à "voir", mais aussi 1,14.34.39.50s; 6,36.40.46; 9,37; 12.21ss.45; 14,7ss.17ss; 16,16ss. |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 17 Nov 2016, 17:25 | |
| - Citation :
- "De dieu, personne n'en a jamais vu; un dieu (fils-)unique, qui est dans (etc.) le sein du Père, c'est celui-là qui a..."
Passons (pour le moment) sur monogenès, dont nous avons déjà dû discuter ailleurs: à la lettre c'est "unique en son genre" et non "unique-engendré" (de gi(g)nomai et non de gennaô). Narkissos aurais-tu l'amabilité d'expliquer (à nouveau) ce texte.Que signifie l'expression "dieu (fils-)unique" (apparemment l'article "ho" devant theos serait absent) ?Quelle leçon peut-on tirer du terme "engendré" ?Que doit-on comprendre de l'expression "qui est dans le sein du Père" ?Que nous enseigne ce texte sur la divinité du Fils ?"Il y a de bonnes raisons d’accepter la leçon « le Dieu Monogène » (ou : « Dieu Unique-Engendré », « Dieu Fils-unique » ) comme le font plusieurs éditions critiques du NT et de nombreux exégètes, car cette leçon est la mieux attestée. Dans ce cas, on peut noter le thème théologique : Dieu seul révèle Dieu."http://commonweb.unifr.ch/artsdean/pub/gestens/f/as/files/3630/22503_074813.pdf"Le terme grec monogénês signifie très littéralement " seul " ou " d’un genre unique ", tout particulièrement dans les passages du Nouveau Testament qui l’utilisent en tant que titre pour le Christ. Il n’a qu’un lien très lointain avec le mot génnaô, qui signifie " engendrer ". Selon l’hélléniste B. F. Westcott, la signification de monogénês " est centrée sur l’existence personnelle du Fils, et non sur la génération du Fils " (The Epistles of St. John, p. 170). Dans le cas de Jésus, la qualité de Fils est unique en ce sens qu’il a avec le Père une relation qui est impossible pour les autres, car il est Divin et était avec le Père avant le commencement des temps. — Jean 1:1, 2." http://www.freeminds.org/foreign/est-il.htm Lire aussi : http://areopage.net/blog/wp-content/uploads/2013/08/Jean-1.1c-R%C3%A9ponse-%C3%A0-Didier-Fontaine.pdf |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Ven 18 Nov 2016, 00:07 | |
| Ce fil n'étant ni très vieux ni très long, ça me paraît un peu superflu, mais enfin... je me contenterai de rappeler brièvement ce qui a été dit plus haut le cas échéant:
1) L'article (ho, toujours défini) est présent ou non suivant les manuscrits (voir supra, 3/7/16 § 2); monogenès signifie "unique en son genre", mais son usage dans la Septante rend l'acception plus précise d'"enfant unique" très vraisemblable, même si ce n'est pas la seule (ibidem, § 4).
2) Strictement, le terme "engendré" n'est pas dans le texte, puisque dans monogenès la composante -genès dérive de gi[g]nomai, "devenir, advenir", d'où genos, "genre, espèce, race", et non de gennaô, "engendrer"; mais l'usage de la Septante rappelé ci-dessus (1°) favorise la confusion, de toute façon très "naturelle" (ibidem, § 4).
3) La formule eis to kolpon, "dans le sein (de)", avec une préposition directionnelle (eis + accusatif correspondant grosso modo à l'anglais into, qui rappelle l'usage semblable de pros + accusatif pour la relation du logos au theos aux v. 1s), est généralement expliquée par analogie avec la formule voisine mais non directionnelle, en tô kolpô, de 13,23, qui décrit la position ("physique") du "disciple bien-aimé" par rapport à Jésus lors du dernier repas: il est "dans le sein" de Jésus, contre sa poitrine (epi to sthètos, v. 25; il faut se représenter les convives étendus à la romaine, en appui sur le coude gauche, et le disciple à la droite de Jésus), et c'est lui que Pierre interroge pour savoir ce que Jésus a voulu dire; à cette place, il se tourne vers Jésus pour l'interroger et se retourne vers Pierre pour lui expliquer. C'est donc une position d'intimité par rapport à la source de la révélation (Dieu, le Père, au chap. 1; Jésus au chap. 13) qui caractérise le révélateur (l'interprète ou l'exégète, selon la lettre de 1,18).
4) 1,18 décrit surtout le (theos) monogenès comme unique voie ou canal de révélation; si on lit theos (je suis pour, mais ça reste discutable, ibidem § 2), sa "divinité" est expressément affirmée, mais sur un mode dérivé et fonctionnel: le "dieu monogène", en quelque sorte, assure le lien entre "Dieu en soi" (que personne n'a jamais vu) et les autres, ou plutôt entre l'"intérieur" et l'"extérieur" de la divinité (ce que dit très bien la formule "dans le sein de", cf. 3°). |
| | | free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 22 Fév 2024, 11:35 | |
| Révélation et manifestation Jean Ladrière
1Nous lisons, dans le Prologue de l’Évangile de saint Jean : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé » (1, 18). Mais cette révélation n’a pu avoir lieu que parce que « le Verbe s’est fait chair et est venu habiter parmi nous ». L’affirmation de l’évangéliste est confirmée par cette parole étonnante du Christ (dans le discours après la Cène, Jean, 14,9) : « Qui m’a vu a vu le Père ».
2Nous pouvons en effet comprendre cette parole comme signifiant que Dieu nous est révélé en Jésus-Christ. Et c’est bien là ce qu’affirme le verset 18 du Prologue. Mais la première partie du verset présente une difficulté. Au moment où Jean écrit son Évangile, beaucoup de disciples déjà ont « vu » Jésus, ont cru en lui, ont reconnu en lui « le Christ, le Fils du Dieu vivant ». En lui, par conséquent, ils ont vu Dieu. Or quand il est dit que personne n’a jamais vu Dieu, cela s’applique, semble-t-il, aussi bien à ces disciples qu’à tout autre homme. Le terme « voir » n’a donc pas exactement le même sens dans les deux textes. Dans le texte du Prologue, il est question de la visibilité de ce qui est manifeste, de ce qui est présent en personne. « Voir » quelqu’un en ce sens, c’est le rencontrer effectivement dans une expérience directe, où une présence s’atteste de façon irrécusable. Dans le texte du chapitre 14, il est question d’une visibilité d’un tout autre genre. Jésus de Nazareth était, pour ses contemporains, une personne que l’on pouvait rencontrer, que beaucoup d’hommes et de femmes ont effectivement rencontrée. « J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret » (Jean, 18, 20). En ce sens, certes, il était « visible ». Mais était-il pour autant visible comme celui en qui Dieu devient visible ? Tout le récit évangélique est là pour nous dire qu’il n’en fut pas ainsi. « Il est venu chez lui et les siens ne l’on pas accueilli » (Jean, 1, 11). Non seulement cette visibilité révélatrice était-elle dépourvue de l’évidence qui caractérise la visibilité expérientielle, mais elle a été au centre même du débat dramatique qui a partagé les Juifs à son sujet. L’Évangile met perpétuellement en contraste l’attitude de ceux qui ont « vu et qui ont cru » et celle de ceux qui ont refusé de « voir ». Ainsi à l’attitude de Marthe (« Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde », Jean, 11, 27) s’oppose celle des Juifs qui voulaient lapider Jésus (« Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu », Jean, 10, 33).
3La distance qui sépare ces deux formes de visibilité est celle qui sépare la simple connaissance, appuyée sur l’expérience, de la foi. Ce qui devient visible pour la foi ne l’est pas pour le simple regard, et pourtant c’est tout de même à partir de ce qui est offert au simple regard que peut advenir la vision de la foi. Il y a, dans l’immédiatement visible, des événements, des actes, des paroles, qui prennent valeur de signes et laissent transparaître une signification plus profonde que celle de leur apparaître. « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, dit le Christ, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi, et moi dans le Père » (Jean, 10, 37-38). C’est sans doute en vertu de cette relation entre l’événement perceptible et sa signification transcendante que le terme de « visibilité » peut être utilisé, en un sens analogique, pour désigner cette forme de reconnaissance qui est propre à la foi.
4Mais il y a, dans la proposition « Nul n’a jamais vu Dieu », une autre difficulté. Pour que cette proposition ait un sens, il faut que le terme « Dieu » ait lui même un sens. Or il s’agit là d’un terme référentiel. Et tout le contexte suggère que ce terme fait référence à une réalité personnelle. Mais cette réalité personnelle n’est pas donnée en personne. Le terme « Dieu » ne peut donc être un terme simplement désignatif, puisqu’un terme de ce genre ne se revêt de signification que relativement à une situation où il est possible d’indiquer de façon non ambiguë quel est, dans le champ de l’expérience, l’objet auquel il est fait référence. Dans les cas les plus élémentaires, cette indication est donnée par un geste ; il faut pour cela que l’objet soit effectivement présent à l’intérieur d’un horizon perceptif commun. Dans les cas plus complexes, elle est donnée par l’intermédiaire d’un système de repérage qui permet de fixer la position d’un objet indirectement, en décrivant comment il se situe par rapport à des objets déjà repérés. L’objet en question peut être situé en dehors du présent perçu, mais les indications fournies précisent comment on peut y avoir accès, c’est-à-dire comment il faut s’y prendre pour le faire entrer dans le présent perçu. Aucune procédure de ce genre n’est concevable en ce qui concerne la réalité personnelle visée par le terme « Dieu ».
https://books.openedition.org/pusl/7272?lang=fr#:~:text=Nous%20lisons%2C%20dans%20le%20Prologue,est%20venu%20habiter%20parmi%20nous%20%C2%BB. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 22 Fév 2024, 12:47 | |
| Ce fil était au départ (une fois n'est pas coutume) strictement "exégétique" (même sans jeu de mot avec le verbe exegeomai), et concentré sur un seul verset (18) d'un texte aussi complexe que singulier: le "Prologue" de "Jean" (1,1-18), qui tout en étant lui-même composite, tricotage manifeste d'un(e) hymne "poétique", tout au moins rythmé(e), et d'un récit en prose, se distingue nettement du reste de l'évangile, malgré la grande diversité rédactionnelle de ce reste -- la meilleure preuve en est que le logos, sujet singulier du Prologue dans un sens extra-ordinaire, est employé de la façon la plus banale ensuite, au sens de "parole" ou de "discours" quelconque. De ce point de vue exégétique, il n'y a guère de sens à "rapprocher" les énoncés du Prologue d'autres énoncés du quatrième évangile, a fortiori d'autres textes "johanniques", "néotestamentaires" ou "bibliques" (dans un ordre croissant de l' a fortiori), que ce soit pour les "harmoniser" ou pour les "opposer", même s'il est inévitable que ça arrive... Le texte "philosophique" (et théologique) de Ladrière ne s'embarrasse naturellement pas de ces nuances exégétiques, mais il n'en est pas moins intéressant. Seulement je l'associerais plutôt à une discussion thématique sur les notions de " révélation" ( apo-kalupsis, d'où "apocalypse") ou de "manifestation" ( epiphaneia, épiphanie) en général qu'à une étude spécifique de Jean 1,18 (où il est précisément question d'"exégèse" qui n'est tout à fait ni "révélation" ni "manifestation" -- bien qu'on puisse y lire étymologiquement un "faire sortir" qui se rattacherait tout autant à la " vérité" et au " phénomène" dans une veine husserlienne ou heideggerienne ( a-lètheia / Unverborgenheit, désabritement, décèlement, déclosion). On peut toutefois noter, puisqu'on est là, que le thème générique est aussi bien porté par l'expression "voir sa gloire" au v. 14, où le verbe pour "voir" n'est pas le même qu'au v. 18, quoique les deux soient interchangeables. Sur le jeu du quatrième évangile en général avec le "voir", tant avec l'"objet" "Jésus" ou "le Fils" que "Dieu" ou "le Père" (qu'il ne faut peut-être pas se hâter de confondre), voir supra, outre la discussion initiale, les posts des 5-6.7.2016. En ce qui concerne "le dieu" ( ho theos) du Prologue, je ne suis pas sûr qu'il soit aussi "personnel" que le suppose Ladrière, encore faudrait-il savoir au juste ce qu'il entend par là -- la notion de "personne" est centrale à son propos, mais dans ce texte du moins il ne semble nulle part la définir. |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Lun 26 Fév 2024, 11:48 | |
| 3. « Nul n’a jamais vu (heôraken) Dieu » (1,18a)
Le verset 18 du Prologue met en parallèle entre l’impossibilité de voir (horaô) Dieu (1,18a) et faire connaître (exègeomai) Dieu, le Père (1,18c). Ce dernier verset du Prologue nous présente donc quelques aspects importants de « voir » et d’« entendre ». Dans la tradition biblique, il existe deux explications sur l’impossibilité de voir Dieu. La première vient du caractère pécheur de l’homme (Is 6,5 ; Ex 33,20…). La deuxième vient de la transcendance absolue de Dieu (Ex 33,22). Cependant, la Bible raconte l’apparition de Yahvé à Abraham (Gn 18) et à Moïse (Ex 24). En fait, il ne s’agit pas tant de montrer que les hommes voient Dieu que de souligner que c’est Lui qui se fait voir d’Abraham et de Moïse.
En 1,18a, l’impossibilité de voir Dieu n’est pas liée à la situation pécheresse de l’homme, mais à sa condition de créature limitée dans l’espace et le temps. Le narrateur affirme ainsi la transcendance absolue de Dieu. Toute tentation de chercher à « voir Dieu » est exclue. Et pourtant, Dieu n’est pas inaccessible. C’est « le Fils Unique-Engendré » (1,18b), Jésus Christ (cf. 1,17), qui nous fait connaître le Père.
4. Le Fils fait connaître le Père (1,18c)
Il y a un lien entre l’impossibilité de voir Dieu et faire connaître le Père par le Fils en 1,18 : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils Unique-Engendré, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître (exègèsato). » Comme nous l’avons dit, la traduction de l’aoriste au mode moyen grec « exègèsato » (1,18c) du verbe « exègeomai » est variée. En fait, les deux mots grecques en 1,18c : « ekeinos exègèsato », littéralement : « celui-là a fait exégèse [a expliqué] » peut être rendu de plusieurs manières. Par exemple, « lui, l’a fait connaître » (BiJér, 2000, cf. Osty, 1973) ; « nous l’a dévoilé » (TOB, 12e éd.) ; « celui-là a présenté » (Carrez, Nouveau Testament, interlinéaire, 1993) ; « lui, s’en est fait l’interprète » (Jean d’Arc, 1990) ; « lui, il expliqua » (Delebecque, 1987), etc. (Voir les références dans la bibliographie).
Le verbe « exègeomai » a le sens de conduire pas à pas jusqu’au terme d’une transmission de connaissance, c’est-à-dire d’exposer en détail, d’expliquer, d’interpréter, de commenter, de présenter, de faire l’exégèse de. Nous pouvons distinguer le verbe « exègeomai » des verbes liés à la vision : « apokaluptô » (dévoiler, révéler) en Jn 12,38 (cité Is 53,1) ; et le verbe « deiknumi » (montrer) en Jn 2,18 ; 5,20a.20b, etc. Selon le genre littéraire apocalyptique, ces deux derniers verbes se rattachent à une idée de voir. Tandis que, dans le contexte de 1,18, le verbe « exègeomai » exprime l’audition plutôt que la vision puisque « voir Dieu » est impossible (1,18a). La traduction du verbe « exègeomai » par « faire connaître » souligne une transmission par la parole et l’enseignement. Jésus se présente comme un révélateur par excellence.
Cependant, dans Prologue, un autre « voir » physique et théologique est mis en relief : « voir la gloire du Logos incarné en 1,14c (cf. étude plus haut). Ainsi, dans l’ensemble de l’Évangile, « faire connaître (exègeomai) le Père » déborde le domaine de l’audition et s’étend à la vision et à la lecture (lire ou écouter). En effet, l’expression « lui, l’a fait connaître » (1,18c) renvoie à un double niveau : au niveau de la rédaction de l’Évangile d’abord, « faire connaître le Père » ouvre le récit de l’Évangile. L’auteur situe son œuvre tout entier dans le but de faire connaître le Père aux hommes par le Fils. Au niveau du récit évangélique ensuite, « faire connaître le Père » c’est transmettre la totalité de la vie et de la mission de Jésus : son enseignement, ses œuvres, et surtout le don de sa vie sur la croix exprimant ainsi son amour jusqu’au bout (cf. 13,1c), son amour le plus grand pour ses amis (cf. 15,13). Dans cette perspective, « faire connaître le Père » recouvre à la fois « entendre » la parole de Jésus et « voir » ce qu’il a fait. Par l’incarnation du Logos, désormais « connaître Dieu » est communiqué à travers « voir » et « entendre » Jésus. Devant l’impossibilité de voir Dieu (1,18a), le statut du Fils Unique-Engendré est central dans le Prologue sur deux points :
https://leminhthongtinmunggioan.blogspot.com/2017/06/jn-11-18-voir-et-entendre-le-logos-sest.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Lun 26 Fév 2024, 12:35 | |
| La distinction entre "péché" et "transcendance" n'a rien d'"exégétique", ni sur ce texte ni sur l'ensemble de "la Bible", puisqu'elle est imposée après coup par l'orthodoxie catholique du fait des débats (anti-)"gnostiques" du IIe siècle: c'est par une contrainte d'ordre "dogmatique" qu'il faut à tout prix maintenir une opposition de "nature" entre créateur et création (d'où la "transcendance") et affirmer cependant que la création est "bonne", d'où la nécessité d'un "péché" qui n'ait rien à voir avec la "création" en soi... Une telle différence qui va se répercuter jusque dans la christologie des IVe-Ve siècles (par nécessité de rassembler dans l'"union hypostatique" ce qu'on a artificiellement séparé, un "Fils de Dieu" qui n'aurait rien d'humain et une humanité "créée" qui n'aurait rien de divin) ne joue aucun rôle dans le Prologue de Jean, où les "ténèbres" ne s'expliquent pas davantage que dans la première page de la Genèse... En l'occurrence c'est plutôt de l'"eis-égèse", au sens de l'anglais read into: au lieu de faire sortir, de dégager un "sens" du (from the) text (ex-égèse), on en introduit un, étranger, de l'extérieur, dans (into) le texte.
L'"exégèse" (ex-egeomai) de 1,18 n'est en soi pas plus "verbale" ou "auditive" que visuelle: c'est un mouvement de l'intérieur vers l'extérieur, du dedans vers le dehors, du caché vers le manifeste, dans la grande tradition de la révélation et de la manifestation, de la vérité (a-lètheia, Unverborgenheit) ou du phénomène, de l'apparaître commun à l'apparition et à l'apparence, de la photologie d'un "venir au jour" ou "à la lumière", où l'on retrouve la "vision". "Ex-pliquer" ne serait pas une mauvaise traduction si le verbe n'était pas aussi courant, banal, prosaïque, si l'on y entendait encore un dé-pliage ou déploiement, qui fait apparaître ce qui n'apparaissait pas. Là encore on est dans une métonymie spatiale, spatio-temporelle (mouvement), donc aussi visuelle -- d'où la tension paradoxale, oxymorique ou aporétique, de la seconde partie et de la première: faire paraître ce qui n'a et n'aura pourtant jamais (pôpote) été vu (horaô, parfait): la contradiction formelle est foncièrement la même que celle de "l'image du dieu invisible" dans l'épître aux Colossiens. |
| | | le chapelier toqué
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mar 27 Fév 2024, 12:21 | |
| Voudrais-tu dire Narkissos que l'on a "entré" dans le texte de Jean la notion de péché pour les humains et celle de transcendance pour le divin afin de marquer une différence entre le divin et les humains ? Créer une séparation nécessaire pour que chacun garde son rang? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mar 27 Fév 2024, 12:55 | |
| On peut le dire comme ça, mais ça ne concerne malheureusement pas que le texte de Jean...
Je faisais cette remarque à propos du commentaire catholique (op = dominicain) cité par free, mais elle vaudrait pour toutes les interprétations tant soit peu dogmatiques, dans toutes les traditions chrétiennes (catholique, orthodoxes, protestantes) héritières à quelque degré de la "grande Eglise" constituée contre les "gnostiques" au IIe siècle: dès lors qu'il est question de "création" et de "péché", on se croit obligé de les séparer comme si l'une n'avait aucun rapport avec l'autre, quitte à les réunir artificiellement dans la christologie (union hypostatique du "divin" et du "créé", comme médiation préalable pour un traitement "divin" du "péché"). Les lectures dites "gnostiques", toutes plus ou moins platoniciennes sans préjudice de leur diversité, soulignaient au contraire la continuité évidente de la "création" au "péché" -- et non seulement de la "création", mais de toute dérivation, émanation, génération, de l'archi-origine ineffable, impliquant nécessairement dégradation de l'unité (archi-)originaire...
Le Prologue de Jean, entre autres, se lit parfaitement dans une telle perspective "gnostique" au sens large, sans la moindre rupture entre "création" et "péché" (termes qui d'ailleurs n'y figurent pas). Depuis l'origine déjà ouverte par la différence "au commencement" entre logos et theos, la lumière ou la vie se diffuse, mais dans les ténèbres d'un monde environnant qu'elle n'abolit pas, quoique celles-ci ne puissent l'arrêter... |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mar 27 Fév 2024, 16:46 | |
| - Citation :
- 4) 1,18 décrit surtout le (theos) monogenès comme unique voie ou canal de révélation; si on lit theos (je suis pour, mais ça reste discutable, ibidem § 2), sa "divinité" est expressément affirmée, mais sur un mode dérivé et fonctionnel: le "dieu monogène", en quelque sorte, assure le lien entre "Dieu en soi" (que personne n'a jamais vu) et les autres, ou plutôt entre l'"intérieur" et l'"extérieur" de la divinité (ce que dit très bien la formule "dans le sein de", cf. 3°).
Je viens de comprendre (à retardement, j'ai le cerveau lent), si mon analyse est juste, que l'on pourrait dire que le Fils, est sorti du "sein du Père" (de l'intériorité de la divinité) pour se projeter vers l'"extérieur" de la divinité afin de faire apparaitre la divinité du Père. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Mar 27 Fév 2024, 17:30 | |
| N.B.: ta citation renvoie supra 17.11.2016 (le fil est heureusement plus long en durée qu'en longueur de texte).
On pourrait préciser, dans la métonymie spatio-temporelle du mouvement et de l'orientation, en se représentant le texte comme une dramaturgie ou une chorégraphie, que le logos, tout en marquant une certaine extériorité de la "révélation", du dedans au dehors, reste tourné vers l'intérieur (ce que dit aussi bien le pros ton theon du v. 1 que le eis ton kolpon du v. 18, face au dieu, vers le sein du Père, cf. le "3°" précité; qui suggère aussi dans l'intimité du face-à-face, ou dans la réflexion du miroir, un certain antagonisme, symétrique ou fonctionnel si l'on veut: contre, tout contre, comme dirait Guitry, le même et l'inverse, comme dirait Cocteau)... A cet égard ce serait le contraire d'un "pro-phète" ou d'un "porte-parole" qui tournerait le dos à celui de qui (depuis qui, à partir de qui, au nom de qui, de la part de qui) il parle pour faire face à un "public", ou à des "destinataires" (encore plus) extérieurs. La place des destinataires, si l'on peut encore dire (place du "nous" des v. 14 et 16, ou des "enfants de dieu" des v. 12s), serait plutôt entre l'un (theos) et l'autre (logos), dans l'espace de "lumière" et de "vie", de "gloire", de "grâce" et de "vérité" ouvert par leur différence et leur écart... |
| | | free
Nombre de messages : 10067 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Mer 28 Fév 2024, 11:56 | |
| - Citation :
- A cet égard ce serait le contraire d'un "pro-phète" ou d'un "porte-parole" qui tournerait le dos à celui de qui (depuis qui, à partir de qui, au nom de qui, de la part de qui) il parle pour faire face à un "public", ou à des "destinataires" (encore plus) extérieurs. La place des destinataires, si l'on peut encore dire (place du "nous" des v. 14 et 16, ou des "enfants de dieu" des v. 12s), serait plutôt entre l'un (theos) et l'autre (logos), dans l'espace de "lumière" et de "vie", de "gloire", de "grâce" et de "vérité" ouvert par leur différence et leur écart.
Merci Narkissos d'avoir projeté un rayon de lumière ce sur ce texte ... Une vraie révélation. L’icône du Dieu invisibleJean-Luc Marion On comprend dès lors l’importance de concevoir correctement la vision du Père dans la face du Fils. Autrement dit, de concevoir comment le Christ « est l’icône de Dieu, os estin eikon theou »(2 Corinthiens 4, 4), comment il présente « l’icône du Dieu, du Dieu invisible, eikôn tou theou tou aoratou »(Colossiens 1, 15). Ici, on ne s’étonnera pas de ce que nous rendions ici eikôn par icône, au lieu de nous en tenir, comme la plupart des traductions, au plus courant équivalent image. Une première réponse tient au fait qu’une image, dans son acception banale, reproduit (plus ou moins fidèlement) ce qui se présente déjà dans la visibilité, alors que, dans le cas du Christ, il s’agit de présenter dans la visibilité justement non le visible, mais l’invisible, Dieu, celui que « personne n’a vu », mais dont seul « le Dieu Fils unique a fait l’exégèse » (Jean 1, 18). Il n’y a donc pas d’image de l’invisible au sens strict. Donc, si visibilité de l’invisible il doit y avoir, il faut entendre eikôn en une acception aussi exceptionnelle que le paradoxe qu’elle met en œuvre, la visibilité de l’invisible, la manifestation humaine de Dieu. Aussi peut-on, voire doit-on la nommer, au plus près du texte grec, une icône. Cette transcription littérale du grec peut sembler exceptionnelle, mais elle convient justement au cas – exceptionnel – où il s’agit de rendre visible l’invisible et non pas, comme d’habitude, de [re]produire la visibilité du déjà visible. À charge de préciser plus tard le sens précis de cette eikôn qui sans doute ne recouvre que partiellement le sens esthétique, voire théorique de la “théologie de l’icône”. Auparavant, se dressent d’autres difficultés. ***** Il en va de même pour la visibilité dans le Christ du Dieu invisible : elle commence par la Trinité et en elle. Sur ce point, fait autorité le concile de Nicée II – clôture historiquement décisive non seulement de la querelle iconoclaste mais, par elle, de toute la querelle arienne sur la divinité du Christ, c’est-à-dire du Fils dans son identification au Père. Mais même cette autorité ne reste pas sans ambiguïté quand elle se borne à cautionner une trop étroite compréhension de la “théologie de l’icône” qu’on peut en déduire. Soit la question de fond : comment voir l’invisible dans le visible ? Les iconoclastes soulignaient à juste titre que « Dieu personne ne l’a vu » (Jean 1, 18) et que l’interdit vétéro-testamentaire −« Tu ne feras pas de statue ni aucune forme de ce qui est dans le ciel en haut » (Exode 20, 4)− vaut même après la venue du Christ ; d’ailleurs, comment l’écart des natures (humaine et visible vs. invisible et divine) pourrait-il se franchir ? La réponse des iconodoules consista, à la suite de Théodore Studite, à recourir à la personne (hypostase), conçue comme l’instance de la similitude interdite aux natures (substances, ousiai, phuseis) : « Le prototype ne se trouve pas dans l’icône selon la substance […] mais selon la ressemblance de l’hypostase». On comprend bien l’argument : la ressemblance ne porte pas sur la matérialité et les détails que fait connaitre l’image visible mais sur la personne que, comme par abstraction intentionnelle, le spectateur peut y reconnaître. En ce sens aussi se vérifie la citation célèbre de Basile de Césarée que reprend Nicée II : « L’honneur rendu à l’icône passe au prototype », c’est-à-dire ne s’arrête pas à la visibilité de la nature humaine représentée mais, y reconnaissant la personne du Christ, passe à sa divinité, voire au Père invisible. On perçoit pourtant ce que cette brillante réponse ne précise pas clairement : en quoi consiste exactement la personne (hypostase) et pourquoi permet-elle de ne pas en rester à la nature visible (humaine) pour percer jusqu’à l’invisible (divin) ? Il faut donc ajouter et souligner que l’icône de la personne, au contraire de l’image de la nature, requiert un fondement intra-trinitaire radical : le Christ, comme personne, offre une ektupôsis du Père : il en fait ressortir, comme un sculpteur fait ressortir de la pierre plane encore, une figure en ronde bosse ; il exprime jusque dans la visibilité de notre monde (notre nature) le Père dont il constitue déjà, éternellement et dans l’invisibilité trinitaire, l’expression absolue (pour reprendre le langage trinitaire de saint Bonaventure). L’expression fait l’icône, pour autant que celle-ci (au contraire de l’image et même d’une compréhension trop étroite de la “théologie de l’icône”) reprend et garde toute la mémoire de l’événement du Christ et de ses gesta parmi nous, tels que l’histoire nous les rapporte https://www.cairn.info/revue-communio-2022-2-page-8.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Mer 28 Fév 2024, 13:07 | |
| Avec Marion, on est aux antipodes d'une ex-égèse, puisque tous les textes sont mobilisés pêle-mêle, comme dans une encyclique pontificale ou n'importe quel catéchisme, au service d'un dogme défini par la tradition conciliaire (Nicée-Constantinople-Chalcédoine). La tentative de penser cette doctrine (c'est au fond la tâche de toute théologie catholique ou orthodoxe, quels que soient le genre et la dose de "philosophie" qu'elle y met) n'est certes pas sans intérêt, mais l'"éclairage" en retour sur les textes particuliers est pour le moins oblique... Soit dit en passant, j'avais un peu lu Marion dans le sillage de Levinas il y a une bonne trentaine d'années (il reste quelques traces de ce sillage dans ce texte de 2022, § 10s): des paradoxes d'une pensée juive, talmudique et néanmoins husserlienne et heideggerienne sur le "visage" d'autrui qui n'est précisément pas celui du dieu invisible, à ceux d'une pensée catholique, orthodoxe et trinitaire de l'icône christique, il y a sans doute une continuité thématique (visage, visible et invisible ne sortent pas du champ lexical, étymologique et sémantique de la vision) mais aussi un grand écart... Pour en revenir au texte et à la lettre du Prologue, je soulignerais qu'il ne faut pas se hâter de confondre "Dieu" et "Père", pas plus que logos et "Fils": la relation père-fils n'est au v. 14 qu'une comparaison -- pas même allégorie terme à terme du theos et du logos, ainsi qu'une lecture paresseuse pourrait le croire, mais simple analogie de la "gloire" ( doxa) de ce dernier: nous avons vu ( theaomai) sa gloire (gloire du logos et non d'un "fils"), une gloire comme ( hôs) celle d'un (fils) unique ( monogenès) d'un père ( para patros, génitif de provenance, d'origine: mais le "père" comme le "fils" sous-entendu restent ici au plan de la comparaison qui illustre la " gloire" du logos en "chair"...). Au v. 18 le "père" n'est plus à la lettre une comparaison, il y a bien un "dieu (fils) unique", monogenès theos, étant ( ôn, participe présent, constamment) dans/contre le sein d'un père, mais c'est l'ensemble de cette relation, ou de cette économie du dieu-monogène et du père qui correspond au logos initial, "celui-là" ( ekeinos, nominatif, sujet) qui "explique" ( exegeomai)... mais qui explique quoi , ou qui ? Le verbe est sans objet: on peut sous-entendre qu'il explique le theos que nul n'a jamais vu ( horaô), mais rien n'y oblige... C'est en tout cas une tout autre économie de la "divinité" et de la "révélation" qui se dessine que celle d'un "dieu", ou de "Dieu", et de ses manifestations classiques. C'est bien plus subtil qu'on ne le devine par une lecture sous influence doctrinale et orthodoxe, et d'une autre subtilité que celle de la doctrine byzantine, bien que celle-ci ne manque pas de subtilité, et qu'elle la doive en grande partie aux résurgences des intuitions gnostiques refoulées... |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 29 Fév 2024, 14:46 | |
| - Citation :
- On pourrait préciser, dans la métonymie spatio-temporelle du mouvement et de l'orientation, en se représentant le texte comme une dramaturgie ou une chorégraphie, que le logos, tout en marquant une certaine extériorité de la "révélation", du dedans au dehors, reste tourné vers l'intérieur (ce que dit aussi bien le pros ton theon du v. 1 que le eis ton kolpon du v. 18, face au dieu, vers le sein du Père, cf. le "3°" précité; qui suggère aussi dans l'intimité du face-à-face, ou dans la réflexion du miroir, un certain antagonisme, symétrique ou fonctionnel si l'on veut: contre, tout contre, comme dirait Guitry, le même et l'inverse, comme dirait Cocteau)... A cet égard ce serait le contraire d'un "pro-phète" ou d'un "porte-parole" qui tournerait le dos à celui de qui (depuis qui, à partir de qui, au nom de qui, de la part de qui) il parle pour faire face à un "public", ou à des "destinataires" (encore plus) extérieurs. La place des destinataires, si l'on peut encore dire (place du "nous" des v. 14 et 16, ou des "enfants de dieu" des v. 12s), serait plutôt entre l'un (theos) et l'autre (logos), dans l'espace de "lumière" et de "vie", de "gloire", de "grâce" et de "vérité" ouvert par leur différence et leur écart...
Ce face-à-face fait (peut-être) penser à Jean 1,1 : le Verbe était tourné vers Dieu auprès de : la préposition grecque comporte une idée d’orientation, sinon de mouvement ; avec un verbe de mouvement, elle est souvent traduite par vers ou à (aller, s’en aller vers, venir à ; v. 19n,29,42,47 etc. ; aussi venir trouver quelqu’un, 3.2 etc. ; en ce qui concerne la relation entre Jésus et le Père, voir ses emplois en 5.45 ; 7.33+) ; avec un verbe de parole, elle indique le destinataire, celui à qui la parole s’adresse (p. ex. 2.3, lui dit ; 10.35) ; certains comprennent ici tournée vers Dieu ; mais le sens peut être aussi avec Dieu, devant Dieu, chez Dieu, en relation avec Dieu ; de même au v. 2 ; cf. v. 18n ; 5.27-30 ; 14.3n ; 17.5 ; Es 55.11 ; Pr 8.30 ; 1Jn 1.2n ; Ap 12.5. https://lire.la-bible.net/76/detail-traduction/chapitres/verset/jean/1/1/TOB |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 29 Fév 2024, 15:08 | |
| N.B.: ce sont (encore) les notes de la NBS qui sont associées au texte de la TOB, sur le site de l'Alliance biblique française...
En relisant cette note-ci, et en la comparant à ce que j'ai écrit avant-hier, je constate qu'il y manque surtout la (petite) nuance d'"antagonisme", qui vaudrait autant pour le v. 18 que pour le v. 1 (eis ou pros, + accusatif dans les deux cas). Quand je parle d'antagonisme symétrique et/ou fonctionnel, je pense à celui qui op-pose, dans notre anatomie, notre pouce dit "opposable" à nos autres doigts, ou notre main gauche à notre main droite, bref ce qui précisément nous permet de "prendre", de "saisir", ou de "com-prendre" ("concept" ou Begriff expriment aussi, d'après le latin ou le germanique, la même idée-image de com-préhension: la main de l'esprit, si l'on veut): entre theos et logos il y a aussi de la différence et de l'op-position, essentielles à la "révélation", et c'est précisément ce qu'a perdu de vue l'"orthodoxie" dogmatique dans la notion de génération, de procession ou d'émanation qui a fini par évacuer tout antagonisme (j'ai le vague souvenir d'avoir lu chez Christoph Theobald, théologien catholique, d'excellentes réflexions à ce sujet). Dans le Prologue il n'est jamais dit que le logos vienne, provienne ou procède du theos, contrairement au rapport "père / fils" dans le reste de l'évangile... |
| | | free
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| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 29 Fév 2024, 15:30 | |
| « Et le Verbe advint chair ... ». Une relecture de l’Évangile de S. Jean Pascal-Marie Jerumanis
Signification de l’œuvre du salut pour le Fils en tant que Fils
La glorification progressive du Fils envoyé dans le monde permet-elle d’envisager un devenir dans le Fils? Il y a bien le verbe egeneto en 1,14, mais celui-ci ne vise pas directement un devenir du Verbe: il s’agit plutôt de son «entrée» dans le devenir («Celui qui est entre dans le devenir qu’il fonde»4); il s’agit de «sa venue dans la chair», interprétera 1 Jn 4,2. Dans le prologue, egeneto se rapporte à tous les événements qui adviennent dans le monde créé (cf. 1,3.6.10.14.17). On peut rapprocher cela du wayehî de la Bible hébraïque, traduit par kai egeneto dans la LXX (cf., plus particulièrement, Gn 1,3.5.8 etc., proche de Jn 1,1-18).
Toute la destinée du Verbe incarné est cependant une œuvre du Fils qui s’est progressivement réalisée dans le temps, dans le devenir. C’est de ce point de vue qu’avec S. Jean, il faut réfléchir sur le devenir du Fils envoyé dans le monde, du Verbe qui est advenu chair. En révélant sa relation avec son Père, le Fils la «raconte» d’ailleurs dans le cadre de l’œuvre qu’il est venu accomplir dans le devenir: «Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie faire au Père… Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait… Il a donné au Fils le jugement tout entier… Il a donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même…» (5,19-27).
Mais, si la relation du Père et du Fils «se vit» de manière spécifique dans l’œuvre que le Fils envoyé dans le monde accomplit, son identité de Fils ne change toutefois pas: il demeure «le Fils unique, Dieu qui est tourné vers le sein du Père» (1,18: monogenês theos ho ôn eis ton kolpon tou patros) et c’est la même «gloire de Fils unique» que les hommes ont contemplée tout au long de sa destinée (1,14). Il est vrai cependant que l’intensité de son rayonnement dans la chair n’a atteint sa plénitude que lorsque le Père a glorifié le Fils auprès de lui, «de la gloire qu’il avait auprès de lui avant que le monde fût» (cf. 17,5). Pour contempler le rayonnement de cette gloire dans toute son intensité, les croyants doivent eux-mêmes être glorifiés auprès du Père: «Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde» (17,24). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12424 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Jean 1,18 Jeu 29 Fév 2024, 16:39 | |
| Ce fil était expressément consacré au v. 18; nous avons dû parler du v. 14, et du reste du Prologue, du quatrième évangile et des textes "johanniques" dans pas mal d' autres... Non seulement l'article théologique que tu cites (lien ici) ignore superbement toutes les différences internes à l'évangile selon Jean, il néglige aussi la grammaire, aussi bien française que grecque. En français "devenir" est un "verbe d'état", comme "être", de sorte que "devenir chair" fait de "chair" un attribut ou un prédicat, comme la réponse à la question "devenir quoi ?". Avec "advenir", verbe de l'événement ou de l'avènement, généralement intransitif comme "arriver", "se produire" ou "avoir lieu", happen ou occur en anglais, le rapport à la "chair" se complique, puisque ni complément d'objet ni attribut n'est attendu: "advenir chair" devient une sorte d'apposition parataxique, sans rapport clair de l'"advenir" à la "chair"... sans compter que "devenir" comme "advenir" sont formés en français sur un "venir" qui est verbe d'action et de mouvement, intransitif ou transitif indirect, ce qui n'est nullement le cas de gi(g)nomai en grec. Celui-ci fonctionne aussi bien au sens d'un "devenir" (+ attribut, devenir quelque chose ou quelqu'un) que d'un "advenir" (sans attribut ni complément), de sorte que le sarx au nominatif sans article, opposé à un sujet avec article ( ho logos) s'entend bien comme attribut du sujet: le logos non seulement advient mais devient, devient quoi ? -- devient chair. Certes on ne peut pas manquer de remarquer depuis le début du Prologue le jeu de l'"être" ( eimi, einai) et du "devenir" ( gi(g)nomai): jusque-là, du logos on a dit qu'il "était", contrairement à toutes les choses, êtres, étants ou événements qui "adviennent"; mais cette remarque exégétique doit être contrebalancée par le fait grammatical qu'en grec ordinaire le verbe gi(g)nomai supplée aux temps inusités de eimi, notamment à l'aoriste (donc egeneto se substitue naturellement à eimi là où on ne peut pas dire "il fut" autrement); ce qui devrait pour le moins tempérer les déductions exégétiques et théologiques qu'on croit pouvoir en tirer. Du point de vue "diachronique", historico-littéraire, on est sans doute dans un "raisonnement circulaire", mais on peut très bien entamer le cercle de façon empirique: si l'on cherche dans le reste de l'évangile des échos du Prologue, on en trouve très peu (exemplairement, le logos qui a un sens extra-ordinaire dans le Prologue est employé ailleurs d'une façon extrêmement banale); cela suggère que le Prologue a été ajouté tardivement à l'évangile, à un stade assez avancé de sa rédaction (si l'ajout en 1,1c, "le logos était dieu", coïncide avec le "mon seigneur et mon dieu" de Thomas au chap. 20, il en résulte une inclusio idéale avant qu'elle soit ruinée par l'ajout supplémentaire du chap. 21...). Dans cette hypothèse, on peut s'attendre que le Prologue résume à sa manière (poétique, hymnique) une certaine interprétation globale du corps de l'évangile, mais certainement pas que le détail des rédactions de l'évangile présuppose et commente le Prologue... |
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