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| Une réflexion sur la colère | |
| | Auteur | Message |
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le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Une réflexion sur la colère Mar 04 Avr 2017, 12:59 | |
| L’homme injurieux Un jour, alors que le Bouddha se trouvait à Rajagaha, au monastère Veluvana, à l’endroit où on nourrit les écureuils, vivait à Rajagaha un Brahmane du clan des Bharadvaja que l’on appela plus tard « l’homme injurieux ». Lorsque cet homme apprit qu’une personne de son clan avait quitté sa famille pour rejoindre la communauté du Bouddha, il fut mécontent et furieux. C’est dans cet état d’esprit qu’il alla voir le Bouddha et, à peine arrivé en sa présence, il l’injuria et l’insulta en l’abreuvant de paroles grossières et dures.
Lorsque le Bouddha put parler à son tour, il demanda à l’homme :
– Dis-moi, Brahmane, t’arrive-t-il de recevoir la visite d’amis, de parents ou d’autres personnes ? – Oui, maître Gotama, il m’arrive d’avoir des visiteurs. – Lorsqu’ils viennent, leur offres-tu différentes sortes de mets et des sièges pour se reposer ? – Oui, cela m’arrive. – Mais, Brahmane, si tes visiteurs n’acceptent pas tes offrandes, à qui appartiennent-elles ? – Eh bien, s’ils ne les acceptent pas, ces choses me reviennent. – Il en va de même ici, Brahmane : tu nous as injuriés, nous qui ne t’avons pas injurié en retour ; tu nous a réprimandés, nous qui ne t’avons pas réprimandé en retour ; tu nous a insultés, nous qui ne t’avons pas insulté en retour. Nous n’acceptons donc pas cela de ta part et, dès lors, toutes ces injures te reviennent, elles t’appartiennent, Brahmane. »
Plus tard, le Bouddha a ajouté :
« D’où peut naître la colère chez celui qui est libre de toute colère, Qui s’appuie sur la fermeté de son attitude, Qui s’est maîtrisé, serein, libéré par la plus élevée des révélations ?
« Le pire des deux est celui qui, lorsqu’on l’injurie Injurie en retour. Celui qui n’injurie pas quand on l’a injurié Remporte une double victoire. Il recherche le bien de l’autre et le sien Car il comprend la colère de l’autre et demeure calme et tranquille. Celui qui prend soin des deux – Puisqu’il se guérit lui-même et guérit l’autre aussi – Est considéré comme stupide par ceux qui ne connaissent pas le Dhamma. »
http://www.dhammadelaforet.org/sommaire/piyatissa/piyatissa_enseignement.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Mar 04 Avr 2017, 15:12 | |
| Autre lien (l'histoire suivante est aussi excellente). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Mer 05 Avr 2017, 12:32 | |
| "Etes-vous en colère ? ne péchez pas ; que le soleil ne se couche pas sur votre ressentiment." Eph 4,26
Dans ce texte la colère n'est pas condamnée, le ressentiment est assimilé à un péché. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Mer 05 Avr 2017, 14:18 | |
| L'opposition entre colère et ressentiment serait intéressante (très nietzschéenne, d'ailleurs), malheureusement elle est plus sensible dans la traduction que dans le texte grec, qui utilise un verbe ( orgizô) et un substantif ( parorgismos) apparentés et quasiment synonymes (irritation, exaspération, etc.). Elle reste au demeurant foncièrement juste, puisque c'est la durée qui est en cause, opposant le mouvement de colère à la colère qui dure (et se transforme effectivement en rancœur ou en ressentiment). Au passage, la proposition "ne péchez pas" ne se réfère peut-être pas, ou pas seulement, à la colère qui dure: on peut aussi comprendre les propositions séparément: soyez en colère, mais ne péchez pas (p. ex. en exprimant votre colère, en vous vengeant, etc.); et que ça ne dure pas... (cf. Psaume 4,5 dont la première partie de ce verset est une citation, selon la Septante). N'empêche qu'on trouve aussi dans la Bible de nombreuses mises en garde contre la colère en général (dès les Proverbes); et des contre-exemples spectaculaires (Yahvé et Jésus pour ne citer qu'eux !). Sur le problème des exhortations générales, ou de la généralité des exhortations, voir aussi ici. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Mer 05 Avr 2017, 16:27 | |
| La colère peut être mauvaise conseillère comme le dit l'adage populaire, malgré tout il peut paraître fortuit de pouvoir manifester son désaccord avec autrui ou/et sa réprobation. Ce qui me choque parfois c'est la violence de la colère, de la réaction de certaines personnes. Est-ce toujours bien justifié de manifester tant de rage? Pourquoi fait-il cela à MOI? C'est cette référence à sa propre personne, lancée à haute voix parfois, par la personne manifestant de la colère qui n'est pas forcément nécessaire; car elle peut sous-entendre que "moi" j'ai tout fait juste et ne comprends pas la raison de ce qu'il m'arrive.
Ce n'est pas toujours évident; mais nous apprécions, certainement, lorsque quelqu'un ne nous repousse pas dans nos derniers retranchements après que nous ayons commis une faute ou mal agi. Nous redoutons la colère d'autrui et voilà que ce dernier mécontent nous le fait savoir tout en respectant la personne qu'il a en face de lui.
Je me dis combien il peut être facile de penser ainsi lorsque tout va bien et combien je me sens mal après un accès de colère même justifié, mais qui n'était pas adapté à la situation. Au lieu de me laisser aller est-ce que je n'aurai pas dû me donner un temps, même court, pour souffler au sens propre comme au figuré, réagir et non dramatiser? Il en faut parfois du temps et des mots pour rattraper une phrase, une remarque que nous regrettons à peine sortie de notre bouche. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Mer 05 Avr 2017, 18:58 | |
| C'est sûr.
Mais pour une colère bien éteinte, dans un océan d'indifférence ou de compassion authentique, combien y en a-t-il de refoulées ou de retournées contre soi-même, par lâcheté ou par politesse, qui vont forcément tourner au ressentiment et par rapport auxquelles une explosion de colère eût été cent fois plus saine ?
La sagesse populaire dit aussi qu'il y a des baffes qui se perdent...
Un des problèmes des religions est de devoir concilier une mystique élitiste (non au sens où elle s'adresserait aux "meilleurs": à un autre point de vue ce seraient plutôt les "pires", les moins aptes à une "vie normale"; ils sont en tout cas relativement peu nombreux) et une morale-pour-tout-le-monde. C'est quand on ne sait plus ou qu'on ne veut plus distinguer les deux que le remède des uns devient le poison des autres. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Jeu 06 Avr 2017, 10:49 | |
| La colère étouffée concerne souvent des personnes qui savent pas se défendre, qui retourne leur colère contre eux-mêmes et qui ne savent pas se positionner. D'une autre côté, la colère ne doit pas être un mode de communication, au point d'être une personne caractérielle et de faire de sa colère un exutoire. Je suis plutôt partisan de colère froide, qui permet de dire les choses et d'exprimer sa révolte sans crier.
Nos colères expriment souvent nos faiblesses, nos frustrations et une incapacité de dire les choses calmement. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Jeu 06 Avr 2017, 14:33 | |
| Nietzsche qui a beaucoup opposé la colère, la vengeance, l'agressivité en général au ressentiment (au sens où celui-ci lui apparaît bien pire que celles-là) souligne par ailleurs (notamment dans sa Généalogie de la morale), et avec une certaine lucidité sur lui-même, que toute "philosophie" (doctrine, système, croyance, morale, etc.) correspond avant tout aux besoins particuliers du "philosophe" qui l'élabore (et, de façon plus indirecte et problématique, des "disciples" qui la choisissent). C'est peut-être le premier à dire (en tout cas aussi clairement): aucune "vérité" n'est vraie pour tout le monde, mes "vérités" ne sont certainement pas pour tout le monde.
Et même s'il n'a pas été tout à fait conséquent avec cette proposition (sauf par la "folie", peut-être), elle mérite d'être méditée: il y a peut-être des gens qui ont besoin de se dire "il ne faut pas se mettre en colère", et d'autres qui ont besoin de se dire le contraire. Peut-être. Nietzsche est peut-être avant tout le champion de la vertu philosophique du peut-être (cf. Deleuze et Derrida). |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Jeu 06 Avr 2017, 15:42 | |
| Il me semble qu'il y a une différence entre les colères que vous évoquez Narkissos, Free et ce que l'on peut voir dans certains films, dans la rue ou percevoir à travers les murs et se passant chez un voisin. Que l'on manifeste son mécontentement comme le précise Free de façon froide ou bien que l'on explose ce n'est pas la même chose.
Dans un cas nous pourrons dire ce que nous pensons de telle ou telle action et de celui qui l'a accompli, dans l'autre cas nous nous en prenons directement au caractère de la personne en face de nous sans lui dire clairement ce que nous lui reprochons et même nous pouvons lui reprocher des faits anciens n'ayant pas de rapport avec l'action actuelle.
Avons-nous de la rage, de la rancœur, ou manifestons-nous simplement notre désaccord? |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Jeu 06 Avr 2017, 23:37 | |
| Il y a tellement de paramètres (culturels, sociaux, familiaux, "caractériels") qui jouent dans l'expression des émotions... et dans chaque société une "économie" des comportements avec une "voie du milieu" (allusion voulue) plus ou moins homogène et surtout plus ou moins large; mais de toute façon des marges, tant du côté de la timidité maladive que de la brutalité incontrôlable (p. ex.)...
Pour ma part, j'ai tendance à trouver que la société européenne du XXIe siècle manque plutôt de contrastes (par rapport à d'autres lieux et à d'autres temps, à la fois plus "polis" et plus "violents"); non qu'elle n'ait pas de "marges", mais les comportements extrêmes y sont très vite réduits au silence et à l'invisibilité (y compris par effet d'"écran" médiatique, qui les irréalise en les spectacularisant): par voie policière, judiciaire et/ou thérapeutique. Cela dit, je peux imaginer que dans l'Inde du premier bouddhisme (ou dans l'empire romain du premier christianisme) c'était plutôt le contraire, et qu'il y avait plus de sens (voire d'urgence) à y prôner la modération.
Il y a là un problème d'adresse: chaque fois qu'on dit "il faut", "ce serait bien", etc. à qui et pour qui parle-t-on ? Du reste, supporterait-on un monde où tout le monde ferait ce qu'"il faut" ? |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Ven 07 Avr 2017, 20:25 | |
| La société dans son ensemble condamne la violence tout en acceptant que la télévision propose un large choix de séries qui ne font pas dans la dentelle. Est-ce une soupape de sécurité? Car effectivement tout est fait pour essayer d'étouffer, de calfeutrer. Cette situation ne me parait pas rassurante, il y a de nombreuses personnes qui souffrent de ne pouvoir s'exprimer et qui un jour vont exploser car on ne leur a pas appris ou pas permis de pouvoir dire ce qu'elles pensent au plus profond d'elles-mêmes.
En était-il ainsi dans l'Inde du premier bouddhisme comme le dit si joliment Narkissos?
La colère retenue et muselée peut elle aussi déboucher sur une violence difficile à contrôler. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Ven 07 Avr 2017, 23:57 | |
| Si Aristote avait eu une cocotte-minute, il aurait sûrement pensé à la soupape en regardant la télé ! Pour lui déjà le théâtre tragique "servait" (entre autres) à purger les passions, katharsis pathèmatôn ( Poétique, VI). Je ne sais pas grand-chose de l'Inde antique, mais je pense qu'il n'y a pas eu dans l'histoire beaucoup d'époques aussi longuement et largement policées, dans tous les sens du mot, que celle que l'Europe connaît depuis 70 ans. Quelqu'un qui avait vécu pas mal de temps au Brésil me racontait qu'on y voyait plus souvent dans la rue des cadavres que des gens déprimés (Buñuel disait à peu près la même chose de son expérience mexicaine dans son livre de mémoires, Mi último suspiro; et pourtant, lui, il avait connu la guerre civile espagnole). Quelques autres réflexions sur le thème de la violence ici. (Pardon si tu l'as déjà lu.) Et puis je ne résiste pas à te resservir ceci. |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Sam 08 Avr 2017, 12:02 | |
| Merci d'avoir partagé ce texte que je n'ais pas encore lu. Magnifique film s'il en est, mais je veux juste émettre une remarque. La démocratie helvétique n'a pas 500 ans loin s'en faut, la dernière "guerre civile" la guerre du Sonderbund remonte au 19e siècle et elle a opposé les cantons catholiques aux cantons protestants. Il y a en effet une discussion entre historiens qui dure depuis des décennies; en effet nombre d'entre eux font remonter la neutralité suisse à la bataille de Marignan dont on a célébré récemment le 500e anniversaire. Cependant, ce n'est pas tout à fait exact. Mais ce n'est pas l'objet du fil.
La remarque prononcée par Orson Wells donne à réfléchir même si elle dite sur un ton badin. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Une réflexion sur la colère Sam 08 Avr 2017, 12:36 | |
| Bien sûr c'est historiquement faux, intellectuellement malhonnête et moralement insoutenable -- puisque tu connais le film, tu sais que Harry Lime finit mal et que l'histoire (le récit) ne lui donne pas "raison". Mais (en effet) le sophisme qui prête à sourire donne aussi à penser.
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Pour revenir au récit bouddhique que tu nous as proposé, il rappelle évidemment au familier de la Bible pas mal de choses, de "l'autre joue" du Sermon sur la Montagne aux équivoques "charbons ardents" des Proverbes, également cités par le NT (Romains 12,20). Ce qui me paraît commun à ce genre de textes, c'est un certain "jeu" de la réponse: réponse inattendue et/ou absence de la réponse attendue qui, de fait, casse, change, retourne et relance le jeu (un peu comme un effet arythmique de "syncope" ou de "contretemps" en musique, dans le contrepoint baroque ou le jazz p. ex.). L'exception fonctionne par référence à une règle (le talion en l'occurrence), ce ne serait plus le cas si elle était la règle. |
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