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| Avoir raison contre Dieu | |
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Auteur | Message |
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free
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| Sujet: Avoir raison contre Dieu Lun 17 Déc 2018, 17:28 | |
| C'est vrai, je sais bien qu'il en est ainsi ; comment l'homme serait-il juste avec Dieu ? S'il s'agit de force, le puissant, c'est lui ! Et s'il s'agit de droit, qui me fera comparaître ? Job 9, 1-19
Kant, dans un essai où il fait la part belle à Job, le définissait déjà comme ce « mal consistant dans un déséquilibre des fautes et des châtiments » E. Kant, « Sur l’insuccès de tous les essais de théodicée »…. De ce mal, Job déclare Dieu responsable puisqu’il est le créateur.
Le reproche remonte donc au créateur. « Un monde dans lequel pareille chose est possible » est un monde « mal foutu », un monde sans ordre. Job accuse Dieu d’être responsable du chaos. Sa puissance créatrice est peut-être à l’origine de phénomènes extraordinaires, mais elle est illisible, tant elle ne se soumet à aucune loi (9,5-10 ; 12,14-25). Dieu est hors-la-loi, que cette loi soit cosmique ou éthique. Il est une puissance arbitraire et inintelligible. https://www.cairn.info/revue-etudes-2009-10-page-353.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Lun 17 Déc 2018, 20:06 | |
| Outre ce qui a été remarqué précédemment, il y va de cette métonymie générale dont on a souvent parlé, dérive de sens dont on ne peut même pas dire dans quel sens elle dérive: p. ex., de la "justice" juridique et judiciaire au "jugement" moral ou intellectuel, d'"avoir raison" au sens de "ne pas se tromper" ou d'"avoir gain de cause" à "la raison" en passant par "avoir raison de", ou le contraire, il y a autant de continuité sémantique que de différence d'acception et d'usage ("polysémie"). Tout se tient, et tout s'effondre ensemble devant la pensée limite, impensable ou pensable d'un côté seulement, d'un "absolu" comme "Dieu". De sorte que la seule théo-logie qui tienne, précisément parce qu'elle renonce devant "Dieu" à tenir quelque position ou proposition que ce soit, est négative. Celle qui se refuse à parler de "Dieu", même pour dire qu'il est "juste", "bon", etc., parce qu'elle sait que l'indétermination de "Dieu" engloutit la détermination de tous ses prédicats potentiels (Dieu peut être dit juste à condition de nier toute définition préalable de la justice, bon à condition de nier toute définition préalable de la bonté, etc.; ce qui revient de toute façon à parler pour ne rien dire; ce qui n'empêche pas que la religion, elle, puisse continuer à dire Dieu bon, juste, amour, lumière, etc., pour autant qu'elle n'a pas à penser ce qu'elle dit). (Dieu est le "principe d'explication du monde" -- comme dit à peu près Le Robert, si je me souviens bien -- qui rend le monde inexplicable. A mon sens, du reste, ce n'est pas son moindre intérêt.) |
| | | free
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mar 18 Déc 2018, 11:51 | |
| Le chapitre 9 du livre de Job ressemble à une charge violente contre la souveraine puissance de Dieu, qui impose le régime de "la raison du plus fort est toujours la meilleure". L'auteur semble se résigner avec une certain fatalisme à accepter cette situation :
"C'est vrai, je sais bien qu'il en est ainsi ; comment l'homme serait-il juste avec Dieu ?" (9,2)
En plus d'imposer sa souveraine puissance, Dieu est inaccessible, lointain, inconnaissable voir méprisant :
"S'il voulait lui chercher querelle, il ne lui répondrait pas même une fois sur mille." (9,3)
"Il passe près de moi, et je ne le vois pas ; il disparaît, et je ne le comprends pas."(9,11)
L'auteur laisse supposer que si Dieu accepter une confrontation avec l'homme, un débat ou une discussion, sans se réfugier derrière sa souveraine puissance, sans que l'homme soit censuré, il n'obtiendrait pas gain de cause, il n'aurait pas raison :
"S'il s'agit de force, le puissant, c'est lui ! Et s'il s'agit de droit, qui me fera comparaître ?" (9,19)
Cela me fait penser que la Bible recèle certains textes ou Dieu accepte la confrontation humaine et d'entrer en "négociation", comme en Ex 32, dans l'épisode du veau d'or, ou dans sa colère, Dieu veut supprimer le peuple pour en commencer un nouveau avec Moïse . En Ex 32, 11-14, Israël est sauvé de la colère de Dieu par Moïse. Moïse fait valoir la fidélité de Yhwh au serment fait aux patriarches et la contradiction entre l’action libératrice de Dieu et l’extermination des Égyptiens au Sinaï. Yhwh serait-il un dieu de malheur ? L’argumentation de Moïse conduit Dieu à renoncer à son projet de détruire tout peuple, Ex 32, 14. Dieu a eu tort de d'exprimer sa colère aveugle et violente contre le peuple, sans prendre en compte d'autres facteurs. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mar 18 Déc 2018, 12:26 | |
| N.B.: au v. 3 l'hébreu est au moins aussi ambigu que le français (que tu cites): on ne sait pas qui ne répond pas à qui, le dieu à l'homme ou l'homme au dieu.
Job exprime formidablement, violemment, la conséquence logique du "monothéisme": dès lors qu'il y a un (seul) "Dieu", ou même que la notion de divin s'approche de celle d'unité, de totalité et d'être, plus rien ne tient face à lui. Pas plus la "raison", la "morale", la "justice" ou le "droit" que la "force". Il fait ce qu'il veut (point barre, comme on ne dit déjà plus). Cela peut s'appeler tyrannie, despotisme, arbitraire, cela peut aussi s'appeler liberté et grâce...
A la limite: on ne peut sans doute pas "avoir raison contre Dieu", mais on ne pourrait "avoir raison" que "contre Dieu".
On ne sort pas de là par un retour au (ou de) polythéisme: les "médiations" ou "représentations" envisagées par Job, contre Dieu ou entre lui et Dieu, voire au-dessus de Dieu pour juger, restent le plus souvent des hypothèses écartées, sur le mode de l'irréel (s'il y avait, il faudrait, mais il n'y a pas). Elles l'étaient peut-être encore plus souvent dans le dialogue original, qui ne nous est parvenu que très abîmé (notamment pour la fameuse affirmation de 19,25s, je sais que mon rédempteur-vengeur est vivant). Ce qu'oublient volontiers les récupérations chrétiennes. |
| | | free
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mar 18 Déc 2018, 14:55 | |
| Il n'y a pas entre nous d'arbitre qui puisse poser sa main sur nous deux" Job 9,33 Job se met à rêver d'un intermédiaire, d'un arbitre, voir d'un juge entre Dieu et lui ... vraiment subversif et révolutionnaire !Job affirme catégoriquement que c'est Dieu qui a violé mon droit (19,6) et dans ce domaine (celui du droit) Dieu a tort, nous sommes au cœur d'une problématique judicaire, Dieu ne peut pas faire ce qu'il veut, il doit respecter le "droit" et la justice, d'ailleurs Dieu demande à Job :"Veux-tu réellement annuler mon jugement ? Me condamneras-tu pour te justifier ?" (40, |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mar 18 Déc 2018, 15:53 | |
| Sauf que "Dieu", par définition, ne serait justiciable d'aucun droit, d'aucune justice, d'aucune juridiction, d'aucune instance juridique, morale, ou même logique -- aporie ou impasse, mur sans faille et sans issue que Job fait apparaître en s'y heurtant. Tout au moins tant qu'il parle tout seul et que "Dieu" ne lui répond pas. Car si Dieu parle, et surtout pour fonder un droit, une morale ou une logique (le Yahvé des discours conclusifs du livre de Job s'en garde bien, mais celui de la Torah n'est pas si prudent), il peut être pris au piège de la contradiction; mais aussi y échapper au nom de l'exception fondatrice: c'est toujours un non-droit, infra- ou supra-juridique, qui fonde le droit -- du "droit divin" à la révolution.
Un point de vue strictement théologique verra dans tout cela, avec horreur ou avec délices, une mise en question de "Dieu" et plus encore de la "théologie", entre "blasphème" et "mysticisme" (les deux étant strictement corollaires: d'un côté le rejet de "Dieu", de l'autre l'adhésion à "Dieu" contre ou au prix de toute logique, dans les deux cas c'est la mort du théo-logique). Un point de vue plus philosophique, qu'il soit par ailleurs mystique ou athée, y verra surtout le point d'effondrement, la ligne de faille ou de fuite de toute "logique", de toute "raison" rationnelle, morale ou juridique -- auquel cas peu importe qu'il soit "mystique" ou "athée"; mais il aura quand même fallu la pensée de "Dieu", ou de quelque chose de ce genre (Un, Être, Tout, etc.), pour en arriver là. |
| | | free
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mer 19 Déc 2018, 11:45 | |
| "Dieu fausserait-il le droit ? Le Puissant fausserait-il la justice ? Si tes fils ont péché contre lui, il les a livrés à leur révolte. Mais toi, si tu recherches Dieu, si tu supplies le Puissant, si tu es sans reproche, si tu es droit, maintenant même il veillera sur toi et il rétablira ton domaine de juste" (8,3-6)
Job casse (d'une manière audacieuse) l'image traditionnelle de Dieu, d'un Dieu obligatoirement bon et juste, s'il punit, cela ne peut être que parce que l'homme le mérite. Le dysfonctionnement de la relation entre Dieu et Job, ne peut être attribué à Dieu, c'est donc Job qui pose problème. Or Job en affirmant obstinément son innocence, ne peut que rendre coupable Dieu de sa situation : "sachez donc que c’est Dieu qui a violé mon droit et m’a enveloppé dans son filet." (19,6 TOB)
Dieu a violé le droit de Job, au point que Job, le considère comme son "ennemi" : "Que mon ennemi soit traité comme un méchant, et celui qui se dresse contre moi comme un homme injuste !" (27,7) |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mer 19 Déc 2018, 13:16 | |
| Le chapitre 8, bien sûr, c'est Bildad, donc la version la plus raide et la plus rude de la "rétribution" -- il y a des degrés jusque dans la caricature des idées et des caractères: Eliphaz paraît plus nuancé.
Job 19,6 utilise le même verbe (`wt, à peu près "tordre") qu'en 8,3 ("fausser" dans la traduction que tu cites; aussi 34,12) -- d'où, sans doute, le choix de la TOB. En 19,6, pourtant, le complément du verbe n'est pas "le droit" ni "la justice" (mšpt/çdq, 8,3) mais Job lui-même: on pourrait aussi comprendre "tu m'as courbé, incliné"; ou, à mi-chemin du juridique, "tu m'as entortillé".
La portée de 27,7 est encore plus difficile à apprécier, surtout dans le contexte général d'un dialogue très abîmé. Il y a une malédiction anonyme ("contre X", où X pourrait bien être "Dieu"), mais dans le cadre de la stratégie ordalique, quasi-suicidaire, que nous avons souvent décrite. Normalement, un suspect ou un accusé s'innocente en jurant rituellement son innocence (c.-à-d. en s'auto-maudissant d'une malédiction conditionnelle, mais supposée efficace si la condition est remplie: que je sois maudit si je mens; cf. chap. 31); mais cette logique suppose une divinité sage, puissante et juste, et ici c'est justement ce qui est en question. Il y a comme un pari anti-pascalien dans l'idée de mettre un Dieu peut-être injuste devant le choix d'être juste et de justifier Job OU de s'auto-maudire, même à défaut de malédiction efficace contre lui. Une "tentation-épreuve de Dieu" au sens le plus aigu et/ou le plus absurde (et indécidablement l'un ou l'autre). Les propos de la femme de Job dans le prologue en prose montrent que le ou les auteurs de celui-ci avaient fort bien compris l'enjeu du drame, même s'ils l'ont passablement obscurci. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mer 19 Déc 2018, 17:14 | |
| "Moi aussi, je pourrais parler comme vous, si vous étiez à ma place : je rassemblerais des propos pour vous, je hocherais la tête sur vous. Je vous encouragerais par ma bouche, le mouvement de mes lèvres vous soulagerait. Si je parle, ma souffrance n'est pas soulagée ; si je cesse de parler, comment s'en irait-elle loin de moi ? Maintenant, hélas ! il m'a épuisé... Tu as semé la dévastation dans toute ma communauté." (16,4-7)
Merci Narkissos pour toutes ces explications.
Le livre de Job est d'une modernité incroyable, le texte ci-dessus souligne une idée importante, chacun parle de son lieu et par conséquent de "son" Dieu. Notre vision de Dieu est conditionnée par notre situation et par les circonstances d'où nous parlons. En clair, nous nous forgeons tous notre propre Dieu.
Il n'est inutile de remarquer que Job reconnait la puissance de Dieu, il lui rend même gloire mais il détourne ces louanges, le pouvoir de Dieu est énorme mais il est la manifestation d'un certain sadisme et d'une volonté d'écraser l'homme :
"Tes mains m'ont façonné, elles m'ont fait tout entier... Et tu m'engloutirais ! Souviens-toi, je t'en prie, que tu m'as fait comme avec de l'argile ; voudrais-tu me faire retourner à la poussière ? Ne m'as-tu pas coulé comme du lait ? Ne m'as-tu pas caillé comme du fromage ? Tu m'as revêtu de peau et de chair, tu m'as tissé d'os et de tendons ; tu m'as accordé vie et vigueur, tes soins ont gardé mon souffle" (10,8-12)
"C'est chez lui que résident la force et la raison ; c'est à lui qu'appartiennent celui qui s'égare et celui qui égare les autres. Il fait aller nu-pieds les conseillers ; il trouble la raison des juges. Il desserre l'emprise des rois ; il leur passe une ceinture autour des reins. Il fait aller nu-pieds les prêtres ; il renverse les autorités les plus stables. Il retire la parole aux gens les plus sûrs ; il enlève le discernement aux vieillards. Il répand le mépris sur les nobles ; il relâche le ceinturon des puissants. Il met à découvert les profondeurs des ténèbres, il amène l'ombre de mort à la lumière. Il fait croître les nations et il les fait disparaître ; il étend au loin les nations et il les fait revenir. Il retire l'intelligence aux chefs des peuples de la terre, il les fait errer dans un chaos sans chemin et tâtonner dans les ténèbres, sans lumière : il les fait errer comme des gens ivres." (12,7-25)
Dernière édition par free le Jeu 20 Déc 2018, 11:03, édité 1 fois |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mer 19 Déc 2018, 19:02 | |
| Là encore, la traduction comporte une part considérable de devinette: en 16,4ss, p. ex., Job dit-il à ses amis que si les places et les rôles étaient inversés il agirait comme eux ou autrement ? Tout dépend du ton (interrogatif, hypothétique, ironique, sarcastique) qu'il faut supposer et suppléer à chaque phrase (par le choix des modes verbaux comme le conditionnel, la ponctuation, etc.). Chaque pas est incertain, mais le sens général reste assez stable, parce que c'est un "cycle" ou un jeu d'oppositions qui se reconstitue de toute façon: pas de création sans destruction, pas d'ascension sans descente, et caetera et vice versa. Il y a certes différence de perspective selon la position relative et provisoire de chacun, mais tous ont rapport au même réel (impermanent) qui se traduit tôt ou tard par le changement et le renversement des situations. Là encore, l'idée est sans doute commune à toute l'époque (de la Grèce à l'Inde), mais le cadre monothéiste lui donne une expression particulièrement violente, car c'est un seul et même "sujet" ("Dieu") qui doit assumer toutes les contradictions du monde.
Notre principale difficulté à l'égard d'un tel texte tient moins à ses présupposés (p. ex., "Dieu") qu'aux nôtres (nos concepts de "justice", de "droit", de "raison" qui "vont de soi" pour nous, mais pas pour le texte). |
| | | free
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Jeu 20 Déc 2018, 12:57 | |
| Outre le livre de Job, le psaume 89, remet également en cause la fidélité de Dieu :
"J'ai fait un seul serment par ma sainteté ; mentirais-je à David ? (...) Pourtant, toi, tu as rejeté, tu as méprisé ! Tu t'es emporté contre l'homme qui a reçu ton onction ! Tu as dédaigné l'alliance de ton serviteur ; tu as profané à terre son diadème. (...) Jusqu'à quand, SEIGNEUR, te cacheras-tu sans cesse, et ta fureur s'embrasera-t-elle comme le feu ? Où est ta fidélité d'autrefois, Seigneur, celle que, dans ta constance, tu as jurée à David ?" Ps 89, 36 ss
Comme chez Job, l'auteur est ambivalent, il adresse des louanges à Dieu et dresse un réquisitoire, sans concession, contre Dieu. L'auteur semble être dans une voie sans issue, Dieu est à la fois l'origine du problème et la solution. Il donne à Dieu tous les signes requis de révérence et même de soumission (l'hymne des v. 2-3.6-19 célèbre la fidélité aimante de Yhwh et la conclusion au v 53 "Béni soit pour toujours le SEIGNEUR ! Qu'il en soit ainsi ! Qu'il en soit ainsi !" ) mais il n’en pense pas moins, comme Job qui est contraint de se taire devant la toute puissance divine mais n'est pas convaincu :
"Je suis peu de chose ; que te répliquerais-je ? Je mets la main sur ma bouche. J'ai parlé une fois, je ne répondrai plus ; deux fois, je n'ajouterai rien." Job 40, 4-5) |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Jeu 20 Déc 2018, 13:34 | |
| Au psaume 89, le contraste est en effet très net entre la récitation théologico-monarchiste triomphale (1-37) et l'actualité catastrophique (38ss). Le malheur est national, militaire, politique, collectif alors que celui de Job est individuel (privé, existentiel, même si la situation des dialogues n'a pas grand-chose à voir avec celle que décrit le prologue), mais les deux catégories de (com-)plaintes communiquent naturellement entre elles (comparer le glissement à la première personne du singulier au v. 47 avec Lamentations 3, p. ex.).
Je repense à la fameuse formule concentrationnaire rapportée par Primo Levi: Hier ist kein warum, "ici il n'y a pas de pourquoi". C'est à coup sûr une parfaite devise pour un enfer, mais c'en serait une tout aussi juste pour un paradis, dès lors qu'il s'agirait de grâce (cf. le fameux "pour rien" du sâtân de Job). Qui par définition échappe à toute raison, à tout droit ou à toute justice. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Jeu 20 Déc 2018, 13:38 | |
| Les pulsions de création et de destruction se succèdent dans un tourbillon d’humeurs sauvages que ne régule encore aucune raison. Yahvé tonne contre Job, comme Tiamat veut anéantir Apsou, ou comme Neptune poursuivra Ulysse. Pour rien, par caprice peut-être. Pas par caprice, pense Jung, qui se dit que, pour se livrer à une telle danse de puissance devant sa créature, le créateur doit bien être mordu par quelque doute inconscient. Serait-ce que l’homme, ce vermisseau, posséderait un attribut particulier qui manquerait fâcheusement au dieu, à l’énergie archétypique ? La fonction du héros, la fonction héroïque de la conscience humaine, expose Jung, c’est de pouvoir se confronter avec la superpuissance de l’inconscient qui, alors, prend conscience et se transforme dans le miroir que lui tend le sujet qui le réfléchit. Parce que Job tient bon devant Yahvé en refusant de s’avouer coupable, le dieu indifférencié, reflété en quelque sorte, par l’œil de la conscience, va être obligé de se transformer, de s’humaniser jusqu’à devenir ce dieu qui se fait homme dans le Christ quelques siècles plus tard. https://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2002-3-page-79.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Jeu 20 Déc 2018, 17:42 | |
| Très intéressant décidément, Jung (la quasi-prosternation m'a rappelé cela).
"Raison", "conscience", "loi", "justice" ou "droit" ne sont jamais que des expressions ou des constructions provisoires, et plus ou moins régulatrices (comme dirait Kant), de rapports de force; la "force" (ou puissance) étant elle-même rapport, puisque c'est une notion différentielle (voir là-dessus Nietzsche et Deleuze): il n'y a de force effective que par rapport à d'autres forces, d'intensité et d'orientations variables. "La raison du plus fort est toujours la meilleure" (l'incipit de la fable de La Fontaine qui a servi de leitmotiv à Derrida dans un de ses derniers séminaires, La bête et le souverain) le dit fort bien: on l'entend habituellement de façon pessimiste ou sarcastique, on peut l'entendre de bien d'autres manières (la meilleure raison ne valant de toute façon qu'à proportion de sa force supérieure: c'est ce qu'on dit quand on veut que force soit à la raison, à la loi, au droit, etc.). Même une tyrannie "absolue" ne l'est que par abus de langage: la tyrannie est par définition relative, force majeure par rapport à des forces mineures ou moindres qui sont quand même des forces et sans lesquelles elle ne serait rien, faute de pouvoir s'exercer. Pas de tension ni d'intensité sans opposition et complexe d'oppositions (l'arc et la lyre d'Héraclite). Pas d'être sans autre, pas d'autre sans être: personne, pas même Dieu, ne saurait avoir raison tout seul (cf. Jean 3,33; et 1,1, où logos signifie aussi raison, et raison contre Dieu, fût-ce tout contre). Mais pourquoi, et de quoi, faudrait-il avoir raison ? |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Ven 28 Déc 2018, 11:38 | |
| "Pourquoi lui cherches-tu querelle ? Parce qu'il ne répond pas à toutes les paroles ? Dieu parle cependant, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, et l'on n'y fait pas attention. Dans un rêve, dans une vision nocturne, quand une torpeur tombe sur les hommes, quand ils sont endormis sur leur lit. Alors il informe les hommes et met le sceau à leur instruction, afin d'éloigner l'être humain de ses œuvres et de préserver de l'orgueil l'homme fort" Job 33, 13 ssPour Elihu, la souffrance elle-même est déjà un langage divin, la souffrance sert de leçon (33, 19), celui qui écoute ce langage de la souffrance en sort enrichi (33,25 "Alors sa chair retrouve la fraîcheur de la jeunesse, il revient aux jours de son adolescence"). Elihu, comme un avocat défend la cause de Dieu ou témoigne en sa faveur mais il ne se montre pas convaincant (à mon sens), selon lui, l'homme qui souffre doit s'efforcer de s'oublier lui-même pour penser à autre chose, notamment au fait d'être en admiration devant la force et la sagesse divine (36,22) Selon Elihu, Job doit sortir de lui-même, de son propre problème, et voir plus grand, cela correspond à une bonne thérapie mais à une faible argumentation. En effet, si Job peut s'oublier et contempler, s'émerveiller, devant la force divine, cela ne constitue pas une réponse à toutes les questions qu'il a posé et et cela ne règle pas la problématique qu'Elihu à énoncé : Penses-tu être dans ton droit ? Peux-tu dire : « Je suis plus juste que Dieu ! » (35,2).Dieu, lui-même, utilise une forme du terrorisme intellectuel pour faire abdiquer Job, "Veux-tu réellement annuler mon jugement ? Me condamneras-tu pour te justifier ?" (40,. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Ven 28 Déc 2018, 17:16 | |
| Le discours d'Elihou est manifestement un ajout tardif au livre -- le personnage d'Elihou, comme le sâtân du prologue en prose, est "oublié" dans l'épilogue, cf. 42,7. Il n'a pas non plus été présenté dans l'introduction du dialogue (trois et non quatre "amis", 2,11). Bref, c'est une sorte de "synthèse" a posteriori qui ne correspond exactement ni à la doctrine de la rétribution soutenue par les trois amis, ni aux discours totalement "amoraux" du Yahvé des chapitre 38ss. Sa grande idée (pas tout à fait nouvelle, elle était déjà présente chez les autres quand on y regarde de près; mais chez lui prédominante et comme telle promise à un long avenir) est celle de la souffrance éducatrice -- non simplement rétributrice, ni complètement inexpliquée. |
| | | free
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Ven 28 Déc 2018, 17:47 | |
| Mais la rhétorique un peu suffisante d'Elihu cherche beaucoup plus à triompher qu'à persuader. Il est entré en lice non pas pour libérer Job, mais pour sauver des principes qu'il sent contestés; et son argumentation ne part pas de la détresse de Job, mais de quelques-unes de ses paroles, isolées de leur contexte. Il s'agit pour lui de défendre Dieu contre l'homme, alors que Job attendait qu'on le protège contre Dieu. Dénaturée au départ par cette carence de sympathie, la plaidoirie d'Elihu admet, elle aussi, comme un postulat la culpabilité de Job; de plus, en soulignant le caractère personnel du gouvernement divin, elle rend plus injustifiables encore les lacunes du système de la rétribution temporelle.
("Elihu fait appel à un mystérieux mal'âk mëlis, ange interprète ou médiateur, « pour indiquer à l'homme son devoir » en même temps qu'il offre « une rançon pour son âme »- 33,23s) https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1975_num_6_4_1429 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Ven 28 Déc 2018, 20:02 | |
| Elihou se situe quelque part entre la problématique de la rétribution qui caractérise les premiers dialogues et de tout autres visions de la souffrance qui se développent simultanément dans d'autres textes "bibliques" -- p. ex. les "chants du Serviteur" du deutéro-Isaïe, 52--53; mais aussi bien le "roman de Joseph", Genèse 37ss -- pour aboutir à l'éloge du martyre de l'époque hellénistique (Daniel/Maccabées). Il y a (déjà) chez lui une "téléologie" de la souffrance, comme le dit un peu plus loin Lévêque en citant Eissfeldt -- on remplace le "pourquoi" par un "pour quoi", cf. Jean 9,1ss -- mais elle ne dépasse pas (encore) la perspective individuelle (on souffre pour soi et non pour les autres). Les "déjà" et "encore" étant comme toujours sujets à caution puisque l'"évolution" de la pensée, si l'on peut parler ainsi, ne se déploie pas selon un modèle monolinéaire (à chaque "époque" elle est diverse, on pense différemment dans des "milieux" différents). |
| | | free
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| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Ven 04 Jan 2019, 11:19 | |
| "Qu'importe, après tout ? C'est pourquoi je le dis : il supprime l'homme intègre aussi bien que le méchant. Quand une destruction répand soudain la mort, il se moque de l'épreuve des innocents. La terre est livrée aux méchants ; il voile la face des juges. Si ce n'est pas lui, qui est-ce donc ?" Job 9, 22-24
Le héros du livre de Job affronte Dieu d'une manière irrévérencieuse et violente, il ose affirmer que Dieu extermine tous les hommes sans distinction et il se moque de la détresse des innocents en riant. Le héros soulève une question percutante : " Si ce n'est pas lui, qui est-ce donc ?". La culpabilité de Dieu esy évidente et incontournable. Le chapitre 9, ne présente pas une image idéalisée de Dieu, il est dépeint comme un maniaque qui prend plaisir aux malheurs des humains. Ce chapitre fait parti des rares textes de la Bible qui osent remettre en cause la bonté de Dieu. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Ven 04 Jan 2019, 13:55 | |
| Ce n'est pas que "Dieu" soit méchant, ni mauvais ni coupable, c'est que toutes ces notions psychologiques, morales ou juridico-judiciaires s'effondrent ou fondent devant (l'idée de) "Dieu" -- à la lettre elles ne l'atteignent pas, ne le concernent pas, il est par définition hors-psychologie, hors-morale et hors-droit. Penser "Dieu" juge et en même temps justiciable, c'est nécessairement le penser "juge et partie", selon une structure réputée perverse et rigoureusement incompatible avec le concept même de "justice" (ce chapitre à sa façon exprime cela très bien: "Dieu" ne pourrait pas s'empêcher d'avoir raison ou gain de cause, tout procès qu'on lui intenterait serait perdu d'avance): s'il devait être "principe" ou "cause" de quelque chose dans ce registre, il le serait plutôt de l'injustice: indifférence, hasard, arbitraire ou grâce, voilà qui lui ressemble, beaucoup plus qu'un jugement juste et impartial.
L'"audace" de Job est remarquable, et d'autant plus efficace qu'il ne s'agit pas d'une série de blasphèmes irréfléchis, mais du déploiement rigoureux d'une certaine "logique" (mono)théiste, qui ne laisse au fond place à aucune "loi", à aucune "morale", à aucune "justice", et même à aucune "logique" ou "raison" si ce n'est celles que "Dieu" établirait ou fonderait, arbitrairement. Une "raison", une "morale" ou une "justice" ne sont pensables et constructibles que sans "Dieu", voire contre "Dieu" (Kant à sa manière ne dit pas autre chose), sauf à se réduire à une pure tautologie (Dieu est juste, sage, raisonnable, bon <=> Dieu est Dieu: ou bien cela ne veut rien dire, ou bien Dieu n'est pas Dieu s'il y a quelque part un critère de justice, de sagesse, de raison ou de bonté qui lui échappe et de quelque façon le surplombe, ne serait-ce que pour qu'on puisse lui rapporter de tels "attributs" par un jugement significatif). |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Lun 07 Jan 2019, 11:14 | |
| "Jacob resta donc seul. Alors un homme se battit avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait l'emporter sur lui, il le frappa à l'intérieur de la cuisse ; et l'intérieur de la cuisse de Jacob se démit pendant qu'il se battait avec lui. Il dit : Laisse-moi partir, car l'aurore se lève. Il répondit : Je ne te laisserai pas partir sans que tu m'aies béni. Il lui demanda : Quel est ton nom ? Il répondit : Jacob. Il reprit : On ne te nommera plus Jacob, mais Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l'as emporté." Gen 32, 25 ss
L’avènement de la raison dans la lutte de la vérité contre l’autorité
Jacob entre maintenant dans une lutte sans merci, contre lui-même encore attaché au principe d’autorité, contre son père respectueux des lois, contre Ésaü, victime d’une apparente escroquerie et finalement contre Dieu Lui-même. Il est comme Prométhée face à Zeus. Sans feu, les hommes ne pouvaient mener une existence digne et sereine. C’est pourquoi, le fils de titan vient chercher le feu dans la cheminée de l’Olympe. De son côté, Jacob sait que l’homme doit mener le combat de la vérité pour assurer son avenir à long terme. Il vient donc arracher la raison des filets d’un Dieu autoritaire, qui fait dépendre la vérité de l’autorité et non l’autorité de la vérité. En réalité, le Dieu autoritaire auquel il s’attaque est une pure représentation qui empoisonne son esprit. Il a la fragilité de l’idole qu’il faut, à tout prix, renverser, pour faire triompher la vérité sur l’illusion et le mensonge. http://mythesfondateurs.over-blog.com/article-la-lutte-de-jacob-avec-dieu-ou-le-positionnement-de-la-raison-humaine-101815678.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Lun 07 Jan 2019, 12:31 | |
| Jacob en allégorie de la Raison, il fallait oser ! Il est vrai qu'avec ce type de lecture, n'importe quel récit peut signifier n'importe quoi: on n'a précisément que l'embarras du choix du thème.
Une petite part de vérité (historico-littéraire) peut-être: le cycle de Jacob illustre bien certains traits de la sagesse biblique, et plus généralement antique: prudente, ingénieuse, astucieuse, rusée, retorse, calculatrice, stratégique et tactique. Ce n'est pas tout à fait la "raison" moderne, mais il y a tout de même un rapport. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Lun 07 Jan 2019, 16:25 | |
| La réalité du mal en Dieu
21Nous arrivons au point final de la réflexion. Avec Jung, il semble inévitable d’affirmer la réalité du mal en Dieu lui-même. Mais cette affirmation se fait à partir de l’expérience humaine du mal, alors que le mal apparaît comme un pôle en Dieu relié à un autre pôle en lui.
L’expérience humaine du mal 22À la suite de Jung, parlant du mal comme problème métaphysique, nous partons d’une réalité existentielle, donc d’un problème existentiel. Il ne s’agit pas tant du mal agi - le mal comme faute, celui dont je me rends coupable - que du mal subi. Si ce dernier peut être cause de faute, il n’est pas envisagé ici dans son effet mais en lui-même. En dernier ressort, le problème du mal est celui du mal subi. 23C’est le cas pour Job, l’homme juste devant Dieu, qui a néanmoins subi le mal de la part de Dieu : conformément à l’approche empirique du mal, il a compris ce qui lui est advenu comme lui advenant de la part de Dieu. Cependant, Job projette sur Dieu, donc en dehors de lui-même, une réalité ancrée en lui-même. Il voit une opposition en Dieu entre sa colère et son amour : d’un côté, le Dieu de la vengeance, de la rétribution du mal, voire le Dieu immoral, arbitraire et même criminel - selon Jung il y en a des exemples dans l’Ancien Testament - ; de l’autre côté, le Dieu juste et fidèle. Or, cette opposition est le reflet d’une opposition à l’intérieur de Job lui-même. Jung parle d’énantio-dromie, un terme repris d’Héraclite, signifiant littéralement « course en sens contraire ». Ce phénomène repose sur la divergence entre deux pôles opposés : le lien unilatéral à l’un des pôles appelle de manière compensatoire la revanche de l’autre pôle. « Qui fait l’ange fait la bête », dit Pascal. Le moralisme trouve sa correspondance compensatoire dans l’immoralisme : au lieu d’intégrer le mal et ainsi de le transcender, le moralisme le rejette et ainsi le libère pour ainsi dire. La sexualité débridée est la revanche du puritanisme caractérisé par le refoulement du mal ; la violence, la revanche de la frustration et de l’humiliation ; le laxisme, la revanche du rigorisme, etc.
La récapitulation implique la nomination de ce qui doit être intégré. Ce qui, non récapitulé, se manifeste comme mal, donc comme destracteur ou démoniaque, est inscrit, grâce à la récapitulation, dans une tension dynamique avec le pôle (positif) opposé et devient par là, en tant que pôle négatif référé au pôle positif, la source énergétique du bien (du pôle positif). Il devient donc constructif. Jung pointe ce que Job n’avait pas de soi intégré à soi : par exemple toute la vie ambivalente de ses fils et filles dont il pense devoir être le garant. Dès lors, il ne nie pas seulement leur liberté mais aussi leur responsabilité. Parce qu’il n’a pas intégré le fait que ses fils et filles ne lui appartiennent pas ou plus, mais qu’ils sont placés, comme lui-même l’est, devant Dieu, il est tenté de prendre leur place, aussi devant Dieu. Il occupe alors une place qui ne lui revient pas et mine la confiance en Dieu par la méfiance vis-à-vis de ses enfants : en offrant à Dieu des sacrifices, de peur, est-il dit, qu’ils n’aient péché. Certes, Job est « intègre et droit, craignant Dieu et se détournant du mal », comme il est dit au commencement. Mais le livre de Job, qui présente le drame de ce dernier - littéralement, ce qui se joue, ce qui est en jeu avec Job, dans le processus d’individuation de Job, dirait le discours psychanalytique - donne à entendre que la droiture de Job est un devenir, un apprentissage, un processus qui peut être lié d’un côté à une mort, la mort par rapport à une certaine représentation de soi-même, ou de la justice, ou de Dieu, de l’autre côté, à travers ce mourir, à une résurrection d’un soi plus profond, d’une justice plus authentique, d’un Dieu plus vrai, comme cela apparaîtra à la fin du livre de Job. https://journals.openedition.org/rsr/2016?lang=it#tocto1n3 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Lun 07 Jan 2019, 21:39 | |
| On peut en tout cas mesurer ce que la "dialectique" moderne, qu'on associe surtout d'ordinaire à Hegel, doit -- notamment -- à Luther. (A titre personnel, je me réjouis de lire Siegwalt, qui passait déjà vingt ans plus tôt pour un "dinosaure" de la théologie systématique à l'ancienne.)
A peine a-t-on nommé "le mal" (le mauvais, etc.) qu'il constitue un problème -- insoluble, parce que (forcément) mal posé. Mais on ne peut plus s'en dépêtrer sans renoncer à son corollaire ("le bien", le bon, etc.). Ça aussi, c'était dans la Genèse, si l'on veut... |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Avoir raison contre Dieu Mar 08 Jan 2019, 18:28 | |
| Devant l'échec de son projet de sainteté et surtout devant cette malveillance inexplicable d'Éloah, Job souhaite parfois que Dieu l'abandonne une fois pour toutes: "Laisse-moi, puisque mes jours sont un souffle" (7, 16); ou bien il réclame un répit : "Détourne de moi ton regard, pour que je sois un peu gai, avant que j'aille, pour n'en plus revenir, à la terre de ténèbres et d'ombres" (10, 20-21).Mais plus souvent Job ne se résigne pas à ce désengagement réciproque et à l'absence définitive de Dieu. Un désir passionné monte du tréfonds de sa foi : il faut que la "justice" (çedāqāh) retrouve tout son sens. Et Job continue de rêver à une reprise du dialogue, en posant toutefois deux préalables: "Épargne-moi seulement deux choses; alors devant toi je ne me cacherai pas: éloigne ta main de dessus moi et que ta terreur ne m'épouvante point!" (13, 20-21). Si Dieu veut réellement cette heure de vérité, il devra changer d'attitude, se convertir en quelque sorte et rendre lui-même le dialogue possible.Cette idée d'une nécessaire renonciation de la part de Dieu est, du point de vue spirituel et théologique, l'une des plus hardies de tout le poème, mais c'est également l'une des failles qui affaiblissent le raisonnement de Job, car, tout en refusant pour lui-même la culpabilité, il croit indispensable de culpabiliser Dieu. Il accuse Dieu, alors que Dieu n'a jamais rendu le moindre verdict ni formulé contre lui le moindre reproche. C'est Job qui identifie son épreuve à une condamnation et qui, pour échapper au mystère angoissant de la volonté de Dieu, admet comme une évidence un dessein agressif de Shadday à son égard. Mais cela même ne lui donne pas la paix, car l'absurde resurgit aussitôt: pour trouver à tout prix une cause à son malheur, il en vient à défigurer le Dieu qu'il aime. http://j.leveque-ocd.pagesperso-orange.fr/job.spi.htm |
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