Peut-être un des paramètres les plus décisifs et les plus impondérables dans l'interprétation de la Bible (j'entends ici "interprétation" dans un sens quasi dramatique ou musical) est-il justement celui de l'affectivité, en particulier pour tout ce qui relève du "sentiment religieux", sujet par excellence de contresens et d'anachronisme affectifs. Nous avons tout naturellement tendance à plaquer sur les textes une sentimentalité chrétienne, telle qu'elle nous est parvenue en se transformant beaucoup au fil des siècles (surtout les derniers). Mais "l'amour de Dieu" dans l'AT n'a souvent pas grand-chose à voir avec ce que cette expression signifie, et surtout connote, dans un sermon moderne. Il y a, certes, des manifestations de sentiment religieux remarquables dans les psaumes et autres prières de l'AT -- comme dans les textes comparables d'autres religions antiques d'ailleurs -- mais ce sont précisément des prières, avec tout le (sur)jeu rituel que ça implique. Ordinairement la "religion" c'est beaucoup moins l'"amour" que la crainte et le service des dieux -- n'oublions pas que l'apparente exception du Deutéronome, "tu aimeras Yahvé ton dieu de tout ton cœur, etc.", est inspirée d'un tout autre type de discours, celui des traités de vassalité assyriens: le souverain-suzerain qui pouvait protéger ou punir, on avait effectivement intérêt à l'"aimer", et précisément comme soi-même. A priori la "justice" ou l'"intégrité" de Job ne signifie pas autre chose: c'est quelqu'un qui fait ce qu'il faut pour que le dieu le protège ou à tout le moins le laisse tranquille, et qui se sent, de ce point de vue, floué. Rien ne dit qu'il "aime" le dieu, ni que le dieu l'"aime" ou s'attende à être "aimé" de lui.