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 savoir -- son mal

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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMar 04 Juin 2019, 12:50

Citation :
Sur l'"âme partagée" ou "double" (dipsukhos), cf. aussi 1,8. Comment "gérer les contradictions", et en particulier les siennes, telle est la sempiternelle question (cf. fin de mon post précédent).

Ne faut-il pas accepter l'idée de "ce clair-obscur des êtres, cette double nature de l’humain" ?
Le refus de cette double nature plonge souvent les croyants dans les tourments et la souffrance, désirant n'être qu'être de bien, or Jacques 4, indique clairement que la plupart du temps l’homme, dont l’âme est partagée, est sujet au bien et au mal. La recherche d'une forme de pureté ("Purifiez vos mains, pécheurs, et nettoyez votre cœur") ne changera pas cette double nature. D'ailleurs, la formule : "nettoyez votre cœur", suggère un processus d'accomplissement intime et un développement spirituel, sans garantie de succès. Ne pas accepter "ce clair-obscur des êtres" engendre chez le croyant la nécessité de se faire souffrir par des mortifications psychologiques volontaires pour expier de mauvais désirs. Faut-il prendre le péché au sérieux, au point de rendre 'notre rire se change en deuil et notre joie en tristesse' ou en contrition permanente ? [size=13]Cela m'évoque l'attitude d'une personne qui se tient tête baissée sous l'effet de la honte, de la tristesse et du découragement ("Humiliez-vous devant le Seigneur").[/size]


Dernière édition par free le Mar 04 Juin 2019, 16:28, édité 1 fois
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Narkissos

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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMar 04 Juin 2019, 14:09

Eh oui: le "problème" est beaucoup plus vieux et plus vaste que le christianisme, mais il a trouvé en celui-ci une expression exemplaire, sur un mode tragicomique: tous les dialogues de sourds entre "Paul" et "Jacques" ou "Matthieu", Augustin et Pélage, Luther et Erasme, calvinistes et arminiens, jansénistes et jésuites, Kierkegaard et Hegel, malgré tout ce qui différencie la problématique d'un (re-)tour de débat à l'autre, participent de la même différence critique de pathos -- pathos qui peut d'ailleurs être tout aussi puissant dans des sens opposés: entre l'antinomisme de Romains ou Galates et le nomisme moral de Matthieu ou de Jacques, il n'y a ni entente ni transaction possible, parce que chaque position menace le cœur même de la "foi" de l'autre, l'agressivité réciproque reflète des sincérités contraires mais tout aussi sincères. Les synthèses ne deviendront possibles que quand les positions antagonistes ne seront plus vraiment comprises (comme telles).

Accepter l'antithèse, c'est inévitable, mais comment ? Outre la variété des énoncés du "problème" et de ses "solutions", les mêmes formules peuvent s'entendre de façon diamétralement opposée, par exemple "objectivement" ou "subjectivement": pour le théologien ou le philosophe qui parle abstraitement du "mal", du "péché" ou de la "conscience", et l'individu qui se sent effectivement pécheur, mauvais, indigne, coupable, condamné, incapable (même s'il est par ailleurs théologien ou philosophe), les mêmes mots n'auront jamais le même sens (effet, écho, portée, résonance).

Question formule, on ne fera pas mieux que Luther: semper simul peccator, et justus, et poenitens -- toujours à la fois (ou en même temps) pécheur, et juste, et pénitent (ou repentant). Mais il y a plus d'une façon de l'entendre. Le troisième terme, souvent oublié, est décisif, comme la "sensible" d'un accord qui en détermine le mode, "majeur" ou "mineur": la tonalité de l'ensemble sera triomphante ou mélancolique selon qu'on est "pénitent-repentant" ou pas, plus ou moins profondément ou sérieusement -- mais, bien sûr, rien de plus facile à éviter que la "peine du pénitent", puisqu'on la contrefait aussi bien en l'imitant, en la feignant ou en la caricaturant qu'en la conceptualisant, en la théorisant et en la systématisant... On en arrive à des merveilles de perversion, comme celles qui consistent à se complaire dans l'humiliation ou l'avilissement, à se donner bonne conscience en affichant sa mauvaise conscience particulière ou en prêchant la mauvaise conscience en général, en tirant gloire d'une orthodoxie de la misère et de la corruption totale. Arabesques retorses qui n'en révèlent pas moins, en la développant, une courbure foncière qui n'est pas seulement "chrétienne", mais bien (trop ?) "humaine" (cf. aussi ici).
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Juin 2019, 10:22

Le christianisme a souvent recherché un moyen d’échapper à la médiocrité du corps et à son esclavage et a vécu la sexualité  comme une concession à la chair. Comment être un "spirituel" dans un corps de chair ? Le christianisme, dès son origine, a constamment hésité entre un idéal de pureté et de sainteté et la conviction que l’homme de chair et de sang (avec ses désirs et sa sexualité)  a été créé et voulu par Dieu pour jouir de la vie. Le christianisme a souvent tenté de concilier ou réconcilier la chair et l’esprit (même s'il les oppose) et la vie dans le monde et le détachement du monde. Ainsi de nombreux croyants se sentent écartelés entre un idéal de pureté et la réalité de la chair.  Comment vivre dans le monde en étant détaché des exigences de l'esclavage de la chair ? L’ascèse du renoncement à la chair et considère que le mariage comme moins de  valeur que le détachement de l’abstinent. Paul en 1 Co 7, 1 ; affirme : "il est bien pour l'homme de ne pas toucher de femme.", mais tolère le mariage surtout à cause de la tentation d’immoralité. Ce refoulement ne produit-il pas la perversion ? Pour les chrétiens vivre sans sexualité était une manière de manifester leur impatience de vivre, dès ici-bas, comme s'ils étaient déjà dans le Royaume des cieux . Paul  considérait qu’il y avait en l’homme un double penchant, celui de l’esprit et celui de la chair,  constamment en guerre (même si il y a aussi des tentatives de réconcilier la chair et l’esprit). S’il fallait renoncer à la sexualité c'est que parce que le corps était le temple l'Esprit (1 Co 6,19). Commet vivre une vie "normale en considérant que son corps est le lieu d'habitation de l'Esprit ? N'oublions pas que l'ascétisme a produit à  des flagellations et à des castrations (et dans le même temps à la luxure).
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Juin 2019, 11:33

Pour rappel, dans le NT "la chair" ne se confond pas purement et simplement avec "la sexualité", même s'il y a entre elles une affinité évidente qui ne fera que s'accentuer par la suite -- jusqu'à l'identification quasi exclusive dans des langues "chrétiennes" comme le français où "la chair" devient un euphémisme du "sexe". Dans le corpus paulinien, la distinction est encore assez nette, notamment par l'utilisation des prépositions (p. ex. en sarki, "dans la chair" pour la définition neutre de l'"existence corporelle" ou "physique", ce n'est pas glorieux mais ce n'est pas "mal", vs. kata sarka, "selon la chair", l'orientation négative de l'existence qui détermine aussi bien des "péchés" d'ordre intellectuel ou moral que sexuels).

Cependant le mépris au moins relatif de la sexualité est largement partagé par toutes les tendances du christianisme primitif, elle est aussi évidente chez les "antipauliniens" que chez les "pauliniens", chez les "hérétiques" judéo-chrétiens ou gnostiques que chez les "orthodoxes", parce qu'elle correspond beaucoup plus largement à l'"esprit du temps": c'est une attitude commune au stoïcisme, au cynisme ou à l'épicurisme (contrairement à ce que nous suggère ce dernier mot !), au judaïsme hellénistique ou même pharisien, avec seulement des différences de degré, bien qu'elle puisse se traduire par des comportements contradictoires -- d'un ascétisme de la "continence" absolue à ce que nous appellerions "luxure" (quoique par contresens, car celle-ci est comprise soit comme un moyen d'"épuiser la chair", qui reste bien dans cette perspective ce qu'on méprise, soit au contraire comme symbole d'unité spirituelle, auquel cas le signifiant ne vaut que par son signifié: cf. ici); même les synthèses apparemment "modérées" qui valorisent le mariage et la procréation, dans le judaïsme phariséo-rabbinique et le christianisme orthodoxe, exemplairement les Pastorales, ne le font qu'à la faveur d'un dualisme allégorique: la sexualité est "bonne" dans la mesure où elle "signifie" autre chose qu'elle-même, cf. déjà Ephésiens 5; voir ou revoir ceci).

En tant qu'origine du "sujet" (qui [se] dit) "je", aussi impensable pour lui que la mort qui en est la fin, la sexualité ne peut jamais être totalement banalisée ou neutralisée, elle oscille entre les pôles contradictoires du sacré et de la souillure, idéalisée ou sublimée d'un côté, refoulée ou dépréciée de l'autre. C'est absurde mais c'est comme ça, et ça n'empêche pas qu'il y ait aussi entre les deux pôles des approches "profanes" ou "laïques" de la sexualité, comme le code deutéronomique ou la Sagesse qui en font une simple affaire de "propriété" et/ou de "jouissance". Logiquement, rien ne la différencie d'autres processus vitaux comme manger, boire, digérer, évacuer ou respirer, si ce n'est précisément les limites du "sujet" (qui peut, certes, "baiser" presque aussi souvent qu'il mange et boit, urine ou défèque, sinon aussi souvent qu'il respire, mais ne naît et ne meurt qu'une fois).
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Juin 2019, 16:23

Le narcissisme et l’esprit de sacrifice

De fait, même si l’esprit de sacrifice se présente comme un don et un renoncement, il a pour but de se procurer une récompense (par exemple un sens pour sa vie pour celui qui n’a qu’une existence médiocre, la gloire pour celui qui tombe au champ d’honneur , la vie céleste pour le combattant suicidaire islamiste, etc…). De plus, accomplir un sacrifice et se sacrifier permettent d’obtenir une gratification narcissique pour son ego . Accomplir un sacrifice, c’est valoriser l’image que l’on a de soi; et cela procure une réelle jouissance. Celui qui accomplit un sacrifice se voit plus proche de son ‘moi idéal’(ou de son ‘idéal du moi’ ou de son ‘idéal pour soi’) c’est-à-dire de l’image de ce qu’il rêve d’être. Le bénéficiaire du sacrifice, c’est d’abord celui qui se sacrifie. En se sacrifiant et en faisant des sacrifices, le sujet s’approche de la réalisation de son moi idéal. En fait, le renoncement, bien loin d’être une mutilation du désir, est bien plutôt l’expression d’un désir pour soi. La ‘castration ’de soi-même (c’est-à-dire la volonté d’étrangler son désir sexuel, son désir de puissance, son orgueil…) est l’expression d’une forme de libido et d’une pulsion du désir qui, bien loin d’être un désir de mort, est en fait un désir, passionné et passionnel, de rejoindre et de mettre en œuvre son moi idéal. Bref, le désir de renoncement est l’expression d’une forme de narcissisme, c’est-à-dire d’amour de l’image que l’on voudrait pour soi-même. https://www.cairn.info/revue-topique-2008-4-page-17.htm#re40no40
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMer 05 Juin 2019, 21:35

Pour une fois, Houziaux me déçoit en bien (comme on dit en Suisse) ! Ne serait-ce que parce qu'il se garde de conclure, "pour" ou "contre" l'"ascétisme"...

En effet, la réflexion peut retourner indéfiniment le problème: on se prive davantage si on se prive de se priver, si on fait l'ascèse de l'ascèse, et ainsi de suite; mais l'ascète de l'ascèse qui se prive de se priver devient du coup indiscernable, jusque dans sa propre tête, de l'hédoniste ordinaire, qui ne se prive de rien du tout, et tout tourne à la farce... (par coïncidence, je retrouve en ce moment des choses tout à fait similaires dans la section IV A du Post-scriptum de Kierkegaard, où il aborde entre autres la question du monachisme médiéval, naturellement dévalué dans son Danemark luthérien: c'était "trop facile" de se retirer du monde, c'est plus difficile et donc plus héroïque que d'être chrétien dans le monde, sauf que quand le monde est devenu chrétien il y a de fortes chances que ça ne veuille plus rien dire, et une chance infime que ça devienne encore plus difficile qu'on ne le croit).

L'indifférence sublime des différences (cf. Romains 14, Dieu sait pourtant que j'aime ce texte) n'a de sens qu'à partir de différences qui ne sont pas indifférentes, pour ceux qui les vivent -- du jeûne ou de l'aumône à la mort volontaire, martyre, héroïsme ou suicide, en passant ou non par l'abstinence sexuelle...

Je repense à Cioran évoqué au début de ce fil (Cioran qui n'était pourtant pas ascète, du moins au sens sexuel du terme): "Ma mission est de souffrir pour tous ceux qui souffrent sans le savoir. Je dois payer pour eux, expier leur inconscience, la chance qu'ils ont d'ignorer à quel point ils sont malheureux." (De l'inconvénient d'être né). A mon avis une des variations les plus profondes sur le thème de Romains 14 (nul ne vit pour soi-même, nul ne meurt pour soi-même.)
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeJeu 06 Juin 2019, 09:57

Very Happy Sad
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeJeu 06 Juin 2019, 12:44

Citation :
"Ma mission est de souffrir pour tous ceux qui souffrent sans le savoir. Je dois payer pour eux, expier leur inconscience, la chance qu'ils ont d'ignorer à quel point ils sont malheureux."


La connaissance, la conscience et la lucidité sont vécus comme une malédiction, comment ne pas penser aux paroles de la Genèse :  « Leurs yeux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. ». Lorsque le premier couple humain découvrit son identité et  la différence des sexes, ils en eurent honte. L’ignorance originelle est mise en opposition avec cette connaissance nouvelle et elle est annonciatrice du malheur. Premier malheur, la "honte" (culpabilité),  Adam et Eve s'efforcent de voiler cette différence à leurs propres yeux, et puis tentent de se cacher au regard de Dieu.  Honte, à la découverte de leurs singularités respectives, il ne s’agit de rien d’autre que d'une prise de conscience qui va placer les humains devant leur réalité humaine. Dorénavant il faut vivre "les yeux ouverts" et faire face à cette dure réalité : enfanter dans la douleur, le travail à la sueur de son front et le retour à la poussière. La réalité est tellement dure a affronter que la plupart des humains préfèrent vivre les "yeux fermés", ignorants et inconscient, ils refusent le fruit défendu.  
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeJeu 06 Juin 2019, 13:57

Le problème de la réflexion (sans oublier dans ce mot le miroir), c'est justement de ne pas pouvoir s'arrêter (encore le "mauvais infini" de Hegel, ou le mauvais démon de Descartes): on a toujours déjà trop réfléchi, et jamais assez...

D'où son rapport à l'écriture, semblable à celui des mathématiques (arithmétique, algèbre, géométrie): il faut écrire ou dessiner, "poser" (thèse, antithèse, synthèse, prothèses) ou re-présenter l'opération hors de soi (ek-sistence, ek-stase, méta-physique et im-posture) comme on exorciserait un esprit malin pour penser effectivement quelque chose, une chose à la fois, à l'abri de l'affolement ou du vertige de la réflexion et de sa mise en abyme infinie, aussi implacable et illusoire qu'un jeu de miroirs.

Mais aussi son rapport à l'humour, particulièrement évident chez Cioran: si pessimiste ou sinistre que soit la pensée, le gag, la farce, l'éclat de rire ne sont jamais bien loin, à la portée d'un tour de réflexion de plus. Ce qui ne résout ni n'arrange rien, mais rend tout de même le désespoir plus gai.

P.S.: Je m'aperçois après coup que ton dernier post venait en partie de là...
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeVen 07 Juin 2019, 10:03

Citation :
P.S.: Je m'aperçois après coup que ton dernier post venait en partie de ...

Effectivement ... En relisant la Genèse, j'ai réalisé que le serpent n'avait pas menti, en effet lorsque le premier couple humain ont mangé du fruit défendu, leurs yeux s'ouvrirent. L'article m'a aidé a cerné (approximativement) sur quoi leurs yeux s'ouvrirent mais je me demande si avant, ils vivaient les "yeux fermés" ou dans quel état de conscience l'auteur les situait-il ?
La désobéissance a condamné ou permis aux humains de vivre les "yeux ouverts", bénédiction ou malédiction ?


Dernière édition par free le Ven 07 Juin 2019, 11:10, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeVen 07 Juin 2019, 11:05

Le propre d'un récit (mythe, légende, conte) des origines, et plus largement d'un récit étiologique (qui explique la "cause" de quelque chose en racontant une histoire, sans distinguer un "pourquoi" d'un "comment"), c'est que la "réalité" se trouve à la fin -- dans le cas du récit de l'Eden, l'humanité "réelle" est celle qui apparaît hors du jardin, connaissante ET mortelle, bonne et mauvaise, heureuse et malheureuse, sexuée et procréant, souffrant, travaillant, etc. Tout le récit n'est conçu que pour en arriver (son point d'arrivée est dans un autre sens son point de départ), en disant pourquoi-comment on en est arrivé . Par définition il n'a rien de "réel", c'est une fiction rétrospective, une ir-réalité ou une pré-réalité imaginaire, puisque la "réalité", précisément, c'est la fin du récit. Tout ce qui est dit avant (soit la totalité du récit proprement dit) n'a besoin que d'une certaine vraisemblance narrative (comme dit Platon de ses propres "mythes", il suffit que ce soit une bonne histoire): cela n'a pas besoin d'être vrai, ni vraiment pensable, ni viable, ni stable, ni durable comme un "état" réel, puisque cela n'est destiné qu'à passer, à céder la place à la seule et unique "réalité" à laquelle le récit aboutit.

En creux, le récit indique ce qui dans la "réalité" de l'"auteur" et/ou de sa communauté fait question ou non, ce qui est pensé ou impensé: la connaissance, la mort, le bon et le mauvais, la différence sexuelle, la procréation, le travail, la souffrance méritent "explication"; le langage, par contre, "va de soi", puisque nulle part on n'explique comment ni pourquoi le dieu, l'homme, la femme ou le serpent parlent et se comprennent, cela ne fait pas "question". Evidemment, pour nous ça ne fonctionne plus, puisque dans notre esprit "langage" et "connaissance" sont inséparablement liés et présupposent toute une histoire (au sens historique ou préhistorique), la stratification culturelle de nombreuses générations (donc sexualité, procréation, naissance et mort, dans l'évidente continuité de l'"animal") -- de même la notion d'animaux domestiques ou de plantes cultivées qui supposent une activité humaine.

Je redis là des choses qu'on a très souvent dites ici, mais qu'on ne répétera peut-être jamais assez: chercher une "vérité" ou un "idéal" en Eden, par exemple dans un "homme" sans femme ou androgyne, sans "connaissance du bon et du mauvais" (mais parlant !), ou se demander ce qui serait arrivé si les choses s'étaient passées autrement, c'est un non-sens par rapport à notre pensée "moderne" mais aussi un contresens par rapport au récit qui ne prétend nullement dépeindre une "réalité" -- sauf à la fin.

Cela ne nous empêche pas de participer au pathos du récit. Dans notre "réalité" comme dans la sienne, "souffrance" et "connaissance" sont inséparables, et le fantasme d'échapper à l'une et à l'autre à la fois, ou à l'une par l'autre, nous est commun: mais c'est justement l'irréel, qu'il s'inscrive comme dans l'Eden en-deçà de la "réalité" ou dans une forme eschatologique, mystique ou philosophique, au-delà.


Dernière édition par Narkissos le Ven 07 Juin 2019, 11:16, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeVen 07 Juin 2019, 11:15

Il est incroyable que la perspective d’avoir un biographe n’ait fait renoncer personne à avoir une vie » La phrase, teintée d’une amère et imparable ironie, est d’Emil Cioran. L’écrivain transfuge nous enseigne sur ce qui de la vie ne s’écrit pas. Fervent nihiliste mais retenu par un reste de conception de vie, il n’a pas fait, à Ibiza en 1966, le grand saut au-dessus du littoral de la lettre alors que faisaient rage les dictées suicidaires du surmoi. L’écriture l’a sauvé, et ce dès 1933, pour l’installer penseur du suicide et spécialiste de la question de la mort. C’est l’aveu contenu dans la préface de son premier livre, Sur les cimes du désespoir :

Citation :
« J’avais terminé mes études et, pour tromper mes parents, mais aussi pour me tromper moi-même, je fis semblant de travailler à une thèse. Je dois avouer que le jargon philosophique flattait ma vanité et me faisait mépriser quiconque usait du langage normal. À tout cela un bouleversement intérieur vint mettre un terme et ruiner par là même tous mes projets.
Le phénomène capital, le désastre par excellence est la veille ininterrompue, ce néant sans trêve. […] L’insomnie est une lucidité vertigineuse qui
convertirait le paradis en un lieu de torture. […] Voilà dans quel état d’esprit j’ai conçu ce livre, qui a été pour moi une sorte de libération, d’explosion salutaire. Si je ne l’avais pas écrit, j’aurais sûrement mis un terme à mes nuits  »


Comment présenter l’œuvre de Cioran autrement qu’en d’astucieux rébus ? Disons avec Liliana Nicorescu  qu’elle est un immense livre des leurres consignés sur les cimes du désespoir, celles de la perte d’une enfance paradisiaque menée sur la colline Coasta Boacii, non loin de Rasinari, en Transylvanie. De ses flancs, se déversent des larmes dont l’acidité décompose les semblants de l’existence. Ces larmes sont celles d’un mauvais démiurge qui gémit sur sa chute hors du temps et ressasse l’inconvénient d’être né. Cioran : le détraqué de la vie, pour qui celle-ci « ne fonctionne vraiment que si on ne voit pas clair» ; l’indélivré des instants sans nombre où il ne fut pas ; le désarticulé du temps, resté à l’orée de l’existence – « j’ai vécu intensément mais sans pouvoir m’intégrer à l’existence». https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2011-1-page-55.htm
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeVen 07 Juin 2019, 12:55

Très beau texte -- qui m'en rappelle un autre de Lacan ("Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien", in Ecrits, p. 793ss), avec notamment cette citation de Valéry (A un serpent): "Je suis -- écrit Lacan -- à la place d'où se vocifère -- écrit Valéry: -- 'que l'univers est un défaut dans la pureté du non-être'."

Parenthèse autobibliographique: comme tout lecteur, je suis (marqué par) les quelques livres que j'ai lus, plus encore (par) ceux, beaucoup plus rares, que j'ai relus; mais tout aussi déterminant, quoique largement fortuit, l'ordre dans lequel je les ai lus et/ou relus. N'avoir lu QUE la Bible (et la "littérature" de la Watch) de 16 à 23 ans, en gros, avec pour seul bagage antérieur les cours de français du lycée, sans philosophie puisque je suis parti juste avant, plaçait d'avance toute la suite de mes lectures dans une perspective très particulière, sinon unique: comme une extension progressive de mon "canon" personnel en quelque sorte, avec ce que ça impliquait, surtout au début, de désir et d'attente quasi sacrée pour tout ce que je lisais (toute écriture est inspirée de dieu, comme dit l'autre; n'entre pas sans désir, re-Valéry). Pour en rester aux noms évoqués dans ce fil, j'ai beaucoup lu Pascal à ma sortie de la Watch (Pascal parmi bien d'autres, dont Bergson d'ailleurs sur lequel Cioran [n']avait [pas] fait sa thèse; mais aussi bien Eckhart, saint Jean de la Croix, Simone Weil, Jung, le Tao-te-king ou la Gitâ, c'était l'époque de l'ouverture "mystique" tous azimuts); Kierkegaard un peu plus tard, en marge des études de théologie, Lacan ensuite; Cioran, je l'ai plus ou moins consciemment retardé, encore plus longtemps que Nietzsche, je les redoutais pour des raisons opposées: je pressentais celui-ci trop lointain, celui-là trop proche (l'épreuve et la tentation, si l'on veut). Cela ne regarde que moi, mais je trouve fascinant de penser que non seulement quelques livres de plus ou de moins, mais les mêmes livres lus dans un ordre différent auraient fait de moi quelqu'un d'autre -- c'est une évidence et une banalité, il en va naturellement ainsi de chacun, mais je m'émerveille d'autant plus devant le miracle de la lecture qui nous permet quand même, malgré la diversité de nos parcours et de nos constructions mentales, de penser ensemble autour de n'importe quel texte.

Bref: Cioran, en effet, m'est si intime qu'il m'est difficile d'en parler, mais il se laisse lire, avec une indéniable jouissance (jouissouffrance, m'est-il arrivé d'écrire) que la psychanalyse lacanienne "explique" sans doute au mieux, bien que son "explication" ne lui soit pas essentielle. (Soit dit en passant, Maurizio Manco, dont quelques aphorismes sont traduits dans les pages de mon blog, a aussi été fortement marqué par Cioran.)

Comme en ce moment je relis Kierkegaard, j'y retrouve avec un paradoxal plaisir une pensée qui m'avait frappé il y a une trentaine d'années: on ne souffre qu'une fois. Parce que la souffrance est pour lui coextensive à la dimension "religieuse" de l'existence, qu'on s'y rapporte continûment (dans le cas limite de "l'homme-Dieu", et alors la vie est brève) ou par intermittence, souvent, rarement ou jamais, elle est aussi unique, comme l'"instant" et l'éternité", et c'est elle qui nous rend "unique" (den Enkelte).
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeVen 07 Juin 2019, 15:02

Citation :
Bref: Cioran, en effet, m'est si intime qu'il m'est difficile d'en parler, mais il se laisse lire, avec une indéniable jouissance (jouissouffrance, m'est-il arrivé d'écrire) que la psychanalyse lacanienne "explique" sans doute au mieux, bien que son "explication" ne lui soit pas essentielle. (Soit dit en passant, Maurizio Manco dont quelques aphorismes sont traduits dans les pages de mon blog, a aussi été fortement marqué par Cioran.)


Merci Narkissos de m'avoir fait découvrir Cioran. Je pense qu'"On a tous -  Quelque chose en nous de Cioran". Il touche notre cœur mais il appuie aussi ou ça fait mal, un mal douloureux et libérateur.



"Sans Dieu tout est néant; et Dieu? Néant suprême." (Syllogismes de Vamertume, p. 777)

 Ceci implique tout d'abord qu'il existe à travers la quotidienneté, au niveau du vécu, des instants ou des expériences sommets. Ces moments surviennent comme un raz-de-marée qui submerge, engloutit et « projette tout droit dans le néant ». Ce « tourbillon sauvage » de la vie est d'une intensité telle, d'une telle exhubérance et d'une telle plénitude, qu'il nous montre le vide et l'absurde du quotidien vécu. Ces instants vertigineux, où les forces vitales incontrôlables nous subjuguent, nous déconcertent l'instant d'après; vivre est alors quasiment insupportable, tant tout nous semble illusoire. En plus du caractère incontrôlable de la vie qui se manifeste lors d'expérience-limite, vivre intensément ou radicalement, c'est-à-dire en connexion avec le bouillon chaotique de la vie, contient un certain risque parce que l'ordinaire n'y résiste pas. La vie ordinaire, sauvé de la vie extrême, insouciante quant à sa dimension essentielle de profondeur, est une vie aplatie, une « p'tite vie ». Mais d'avoir touché la radicalité de la vie conduit à une dévitalisation de la vie ordinaire; elle est néant et rien comparée à l'expérience sommet. Vivre intensément comporte donc un risque, car on ne peut ensuite que se demander comment continuer de vivre une vie ordinaire. Le néant de l'ordinaire face au Rien radical, voilà une distinction qu'il nous faudra préciser plus loin.

Rien avec la majuscule apparaît premièrement comme un présupposé chez Cioran. Dans certains fragments, il est le principe chaotique primordial, alors que dans d'autres, il est comme un possible aboutissement du processus de néantisation ou un concept-limite. Ailleurs encore, le Rien est comme une faille au cœur de l'existence; comme une interruption de l'existence, i l apparaît à celui qui est saisi, ravi, enlevé lors de cette expérience extraordinaire.

"Depuis la flânerie jusqu'au carnage, l'homme ne parcourt la gamme des actes que parce qu'il n'en perçoit point le non-sens : tout ce qui se fait sur terre émane d'une illusion de plénitude dans le vide, d'un mystère du Rien... En dehors de la Création et de la Destruction du monde, toutes les entreprises sont pareillement nulles" - Emil ClORAN, « Précis de décomposition », dans OEuvres, p.644. https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1996-v4-n2-theologi2887/602441ar.pdf
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeVen 07 Juin 2019, 16:58

Cet article me conforterait, si besoin était et si la paresse n'y suffisait pas, dans ma résolution de ne pas (trop) commenter, analyser, et surtout synthétiser ou systématiser Cioran ! -- Je me console en pensant qu'une telle tentative (pourtant prudente) de récupération théologique l'aurait sûrement fait sourire...

Par contre, le (re-)lire et le (ré-)citer (la forme aphoristique s'y prête), avec une modération que, du reste, ses textes imposent d'eux-mêmes... pourquoi pas ?

---

Entre passion (= souffrance) et compassion (ou sympathie) qui déjà se chevauchent et s'entremêlent, et au-delà de ses (pré-)textes de départ, le présent sujet ("savoir -- son mal", ou "chacun de nous") ne semble avoir aucun espace, à peine une petite faille pour y planter le coin, la chignole, la graine ou la greffe de sa ritournelle particulière, à trois temps comme il se doit, dont les ambiguïtés se démultiplient et se confondent à tourner, à se tresser ou à s'entortiller ensemble, les unes sur les autres (télescopage et affolement des "métaphores" plus ou moins bien compris):

- savoir (connaissance, conscience, etc.), non seulement du "mal" comme du "bien", mais comme "mal" et comme "bien" (ou "poison" et "remède", pharmakon).
- son, la réflexivité (miroir de l'adjectif ou du pronom réfléchi) qui ramène à soi par le savoir (sçavoir, s'avoir), sujet-objet qui se travaille à se retourner sur soi-même (selon l'impératif apollino-socrato-freudien du gnôthi seauton, mais de préférence par son versant obscur) jusqu'à la cruauté de la torture, et ainsi s'individualise et s'isole, s'enferme ou s'enveloppe en soi (le péché selon Luther, incurvatus in se); mais par là aussi débouche sur un "autre" qui ne laisse pas d'être soi, tout autre e(s)t tout autre qu'un autre, qu'il passe par le visage du prochain ou du lointain via la compassion, la totalité de l'être ou du divin par la pensée ou la religion (spécialement sous la forme chrétienne du dieu souffrant et plus encore coupable), ou la nullité du rien (du nirvâna bouddhique à Schopenhauer, Heidegger ou Cioran, qui d'ailleurs se distinguent autant qu'il est possible, c'est-à-dire moins qu'ils ne le prétendent).
- mal et malheur, agi et pâti, commis et souffert, ce qui précisément doit être su comme sien -- où la "confession" (homologie) des péchés rejoint ou précède celle de la foi, ou de dieu, à condition d'être de part en part confession de soi (ses péchés, sa foi, son dieu: l'obsession "individuellle", "subjective" et "existentielle" de Kierkegaard, en grande partie anticipée avec les mots d'un autre temps, d'une autre langue et d'une autre confession, chez Pascal).
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMar 11 Juin 2019, 11:46

Il est impossible de comprendre la Maladie à la Mort sans remonter à un essai antérieur : Crainte et Tremblement, qui situe la signification de la foi et du péché au-delà de la sphère de l'éthique ; le péché n'est pas le contraire de la vertu, mais de la foi, laquelle est une catégorie théologique : la foi, c'est une manière d'être, en face de Dieu, devant Dieu. Cette liaison est élaborée dans Crainte et Tremblement, non point par le moyen d'une discussion abstraite de concepts théologiques, mais par la voie d'une exégèse : les concepts nouveaux sont déchiffrés par le moyen de l'interprétation d'une histoire : l'histoire d'Abraham ; c'est le sens du sacrifice d'Isaac qui décide du sens des concepts de loi et de foi ; le sacrifice d'Isaac serait un crime selon la loi morale ; il est un acte d'obéissance, selon la foi. Pour obéir à Dieu, Abraham devait suspendre l'éthique ; il lui fallait devenir le chevalier de la foi qui s'avance seul, par-delà la sécurité de la loi générale ou, comme dit Kierkegaard, du général. Ainsi Crainte et Tremblement ouvre une nouvelle dimension d'angoisse, qui procède de la contradiction entre l'éthique et la foi. Abraham est le symbole de cette nouvelle espèce d'angoisse, liée à la suspension théologique de l'éthique.

Or le concept de désespoir appartient à la même sphère, non éthique mais religieuse, que la foi d'Abraham ; le désespoir est le négatif de la foi d'Abraham. C'est pourquoi Kierkegaard ne dit pas d'abord ce qu'est le péché, puis ce qu'est le désespoir ; il construit et découvre le péché dans le désespoir comme étant sa signification religieuse ; dès lors, le péché n'est plus un saut mais un état stagnant, une manière insistante d'être.

Seconde conséquence : la question n'est plus comment « il est entré dans le monde » — par l'angoisse, mais comment il est possible d'en sortir. Le désespoir est alors comparable à l'un de ces « stades sur le chemin de la vie » que Kierkegaard explore dans une autre oeuvre ; c'est une maladie ; une maladie dont on meurt sans mourir ; c'est la maladie « à la mort », à la façon dont l'injustice, selon Platon, dans le Xe Livre de La République, est une mort vivante et la preuve paradoxale de l'immortalité. Le désespoir selon Kierkegaard est un mal plus grave que l'injustice selon Platon, laquelle ressortit encore à la sphère éthique ; mais parce qu'elle est plus grave, elle est plus près de la guérison. https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=rtp-003:1963:13::408
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMar 11 Juin 2019, 12:37

Merci !

Noter aussi, p. 300 du même article de Ricœur (ou p. 10 du pdf), la problématique kierkegaardienne du désespoir qui s'ignore -- laquelle me semble avoir particulièrement marqué Cioran.
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMar 11 Juin 2019, 13:54

"J’ai toujours les yeux sur le SEIGNEUR,  car Il dégage mes pieds du filet.

Tourne-toi vers moi ; aie pitié,  car je suis seul et humilié.

Mes angoisses m’envahissent ;  dégage-moi de mes tourments !

Vois ma misère et ma peine,  enlève tous mes péchés !

Vois mes ennemis si nombreux,  leur haine et leur violence.

Garde-moi en vie et délivre-moi !  J’ai fait de toi mon refuge, ne me déçois pas !" (Ps 25, 15-20)
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MessageSujet: Re: savoir -- son mal   savoir -- son mal - Page 2 Icon_minitimeMar 11 Juin 2019, 16:40

Pertinence increvable des psaumes, de la prière poétique ou de la poésie priante et priée, où chaque "je" se retrouve spontanément d'une "religion" (d'une divinité, d'une langue, d'un corpus, d'une culture ou d'une civilisation, d'une génération, d'un siècle ou d'un millénaire) à l'autre, et s'y retrouverait encore hors de toute "religion" si ce n'était pas essentiellement ça, "la religion", la prière et la poésie ensemble...

Cf. aussi ici.
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