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| la mort en fuite | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
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| Sujet: la mort en fuite Lun 23 Nov 2020, 16:20 | |
| En ces jours-là les hommes chercheront la mort, mais ils ne la trouveront pas; ils désireront mourir et la mort les fuira. Apocalypse 9,6.
Parce que nous sommes ces temps-ci dans l'Apocalypse, parce que j'ai réentendu avant-hier ce verset dans un documentaire de W. Herzog (Leçons de ténèbre, Lektionen in Finsternis, 1992, sur des images spectaculaires de la première Guerre du Golfe, qui débute d'ailleurs par une citation factice attribuée à Pascal, "l'effondrement du système solaire s'accomplira, comme la création, dans une beauté grandiose"; Herzog qui faisait aussi dire à son Nosferatu, "il y a pire que la mort, c'est de ne pas pouvoir mourir"), parce que c'est sans doute un des passages de l'Apocalypse -- cauchemardesque et insomniaque à la fois -- qui ont le plus marqué l'usage ordinaire du mot "apocalypse", je le ré-cite, sans commentaire, si ce n'est les références intertextuelles qu'il appelle lui-même: à Jérémie 8,3 ou à Job 3,21, très loin de toute "apocalypse", ou, dans l'Apocalypse même, à 6,15ss qui renverra à son tour à Osée 10,8; Isaïe 2,10.19.21; Jérémie 4,29; Luc 23,30. |
| | | free
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 23 Nov 2020, 20:23 | |
| "ils désireront mourir et la mort les fuira" … L'éternité serait une malédiction ou dans certaines situations, il est plus facile ou agréable de mourir plutôt que vivre … La mort comme délivrance.
Le paroxysme de ces Triomphes érotiques de la Mort pervertit par ailleurs des images canoniques de l’apocalyptisme occidental. Les comics de zombie présentent ainsi une sécularisation ambiguë de la résurrection biblique des morts qui doit précéder le jugement dernier eschatologique (Actes 24,15). Par opposition à la résurrection des corps glorieux, incorruptibles et puissants des Justes qui seront saisis par la Seconde Venue du Christ (1 Thessaloniciens 4,15-17), les zombies incarnent ceux des damnés, prostrés dans un état de « honte et tourment éternels » (Daniel 12,2, Matthieu 25,41-46 et Jean 5,29). Car si les Justes jouiront d’une félicité sans borne dans leurs corps intégralement restaurés, les méchants « rechercheront la mort et ne la trouveront point, désireront mourir et la mort les fuira » comme on le lit dans l’Apocalypse (9,6). Comme les damnés, les corps des zombies maintiennent les caractéristiques de leur identité, leur intégrité et leur immortalité tout en étant privés des quatre qualités transcendantales qui distinguent les corps des élus : l’impassibilité, la splendeur ou gloire, l’agilité et la subtilité. Les zombies sont donc soumis à toutes sortes de douleurs, obscurs, lents et irrémédiablement matériels. L’apocalypse zombie est bel et bien un Jugement dernier qui aurait lamentablement échoué, où nulle rédemption ni parousie n’est concevable et où seuls restent les corps pseudo-éternels des damnés. https://www.erudit.org/en/journals/fr/2013-v25-n2-fr01393/1024941ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 23 Nov 2020, 21:24 | |
| Dans le contexte d'Apocalypse 9, ce n'est pas encore le jugement dernier (chap. 20) mais l'un de ses interminables préliminaires -- cinquième trompette, sauterelles-chevaux-scorpions qui tourmentent mais ne tuent pas (v. 5), d'où la sentence du v. 6. Toutefois la "seconde mort / étang de feu" consécutive au jugement dernier est aussi un "tourment" (basanizô etc., famille de termes très prisée de l'Apocalypse, 9,5; 11,10; 12,2; 14,10s; 18,7.10.15; 20,10; cf. Luc 16,23.28 pour un contexte "infernal", quoique dans l'Hadès aussitôt après la mort commune; Marc 5,7; Matthieu 4,24; 8,6.29; Luc 8,28 pour les "possédés" et leurs "esprits", Matthieu 18,34 pour le geôlier-tortionnaire, au "figuré" Marc 6,48; Matthieu 14,24 pour le bateau dans la tourmente, 2 Pierre 2,8 pour les tourments que s'inflige le juste Lot...). Dans l'Apocalypse, 9,6 serait plutôt l'exception en ce que la mort y apparaît encore comme un soulagement (quoique inaccessible !), à la façon des textes de l'AT, notamment sapientiaux (p. ex. Job).
Avec un peu de recul, on pourrait se dire qu'une certaine "fuite de la mort" résulte de l'apocalyptique elle-même, et plus généralement encore de l'ensemble des doctrines de l'au-delà qui pénètrent le judaïsme depuis l'époque perse et surtout pendant l'époque hellénistique (résurrection et survie de l'âme, ciel-paradis ou géhenne-enfer): la simplicité évidente -- ou aveuglante -- de la mort qui lui donnait son aspect rassurant, voire désirable aux yeux des souffrants (exemplairement Job), s'éloigne désespérément dans les complications infinies de l'après-mort (on peut déjà entendre Hamlet: to sleep, perchance to dream -- Ay, there's the rub...). Sauf bien sûr pour ceux qui résistent à cette tendance, comme Qohéleth. |
| | | free
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| Sujet: Re: la mort en fuite Mar 24 Nov 2020, 15:20 | |
| Le désir de mourir
Quelques personnages de l'Ancien Testament, dans des situations de grande détresse, demandent aussi la mort à Dieu. Moïse, découragé par les exigences du peuple d'Israël, s'exclame, Nombres 11,14-15 :
"Je ne puis plus, à moi seul, porter tout ce peuple ; il est trop lourd pour moi. Si c'est ainsi que tu me traites, fais-moi plutôt mourir - si du moins j'ai trouvé grâce à tes yeux ! Que je n'aie plus à subir mon triste sort !" Elie, menacé de mort par la reine Jézabel, se sent abandonné de tous et le Premier livre des Rois raconte son désespoir, 1Rois 19,4 :
"Lui-même s'en alla au désert, à une journée de marche. Y étant parvenu, il s'assit sous un genêt isolé. Il demanda la mort et dit : "Je n'en peux plus ! Maintenant, SEIGNEUR, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères".
Dans le livre de Jonas, le prophète, contrarié et fâché contre Dieu, lui demande aussi de mourir, voir Jonas 4,2-8.
Ils attendent la mort.
Seule une grande détresse peut faire espérer la mort, la préférer à la vie, comme le montre ces paroles du Siracide, un livre juif que l'on trouve dans les traductions catholiques de la Bible ou, dans la Traduction oecuménique de la Bible, parmi les livres deutérocanoniques :
Siracide 30,17 : "Mieux vaut la mort qu'une vie de misère et le repos éternel qu'une maladie tenace". Siracide 41,2 : "O mort, ta sentence est bienvenue pour l'homme dans le besoin, dont les forces diminuent, dont l'extrême vieillesse est accablée de toutes sortes de soucis, qui se révolte et qui a perdu la patience". Dans le Nouveau Testament, le livre de l'Apocalypse évoque aussi une détresse si grande que le dernier souhait est de mourir: Apocalypse 9,6 : "En ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ne la trouveront pas. Ils souhaiteront mourir et la mort les fuira". https://www.theovie.org/Lire-et-interpreter-la-Bible/En-quete-de-sagesse-avec-Job/Maudite-naissance/Textes-bibliques |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la mort en fuite Mar 24 Nov 2020, 16:05 | |
| Dans le genre, mes citations préférées, que j'ai dû infliger pas mal de fois à mes lecteurs de fortune, ce sont:
- la sibylle de Cumes, qui avait demandé la longévité, sinon l'immortalité (des années comme des grains de sable), réduite à une voix dans une ampoule, et qui, selon Pétrone, répondait aux enfants qui lui demandaient ce qu'elle voulait (ti theleis), apothanein thelô, "je veux mourir".
- J.P. Melville en (autre) réalisateur célèbre dans A bout de souffle de Godard, répondant aux journalistes qui l'interrogent sur son désir le plus cher: "devenir immortel... et puis, mourir".
Et puis à peu près tout Cioran, le chantre de la mort que la mort a fui à la mesure de son désir, comme dans une danse ou un jeu amoureux: poursuis-moi, je te fuis, fuis-moi, je te poursuis...
Il faut peut-être toute une vie pour apprendre à lui parler assez doucement. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la mort en fuite Dim 12 Juin 2022, 12:19 | |
| Je repense à ce fil en relisant Blanchot, qui en toute littérature retrouve et sous toutes les coutures retourne le même motif, dans un sens ou un autre de ce mot et souvent en plus d'un à la fois: la mort comme impossibilité de mourir. Même cauchemar insomniaque, oxymore plus ou moins compris comme en demi-sommeil, du côté de la mort-"événement" (mourir, verbe d'action et de passion) qui n'arrive jamais au vivant et à laquelle celui-ci n'arrive pas davantage, fût-il mourant, jusqu'à son dernier souffle inclus (il n'y a guère que Lucrèce pour trouver ça rassurant), et du côté de la mort-"état" (être mort) imaginée et anticipée -- toujours par un vivant -- sous ses espèces infernales, c'est ce que nous avions souligné plus haut. Aucune imagination de mort heureuse ( eu-thanasie comme euphémisme ou comme évangile) ni d'immortalité ou de non- mort ( a-thanasia avec a- privatif, privé de mort) ne parvient à s' opposer (diamétralement ou dialectiquement) à cette mort-là sans être insidieusement gagnée par elle et finir par lui ressembler comme une sœur: le plus pur "néant" ne s'envisage que hanté par le corbeau du "plus jamais" ( nevermore, Poe, The Raven), l'éternité la plus radieuse se voit entachée d'un soupçon d'ennui qui, faute d'être mortel, l'enveloppe tout entière d'un voile sinistre (Dostoïevski, Kafka)... La mort a beau s'annoncer simple, sans profondeur ni malice comme un miroir, ce qui s'en approche et n'en finit pas de s'en approcher ne l'est pas, et c'est son propre tourment qu'elle lui renvoie en le démultipliant. Tout se passe comme si la religion, la philosophie, la littérature, la musique ou l'art en général n'avaient d'autre ressource que d'exacerber l'inquiétude ou l'angoisse, mais aussi le désir de la mort, jusqu'à l'insoutenable, pour les apaiser ou les anesthésier ensemble, en contournant ou en escamotant d'un saut ou d'un tour de passe-passe le pas(sage) impossible (aporie). Travail sur soi, de deuil et du négatif, de la mort en somme à même le vivant, cela rappellerait encore ceci. |
| | | free
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 10:45 | |
| "Le juste disparaît, et personne ne réfléchit ; les hommes fidèles sont ensevelis, et personne ne comprend que le juste est enseveli pour échapper au malheur. Il entrera dans la paix, il reposera sur son lit, celui qui suit le droit chemin" (Es 57,1-2).La mort du juste, entrée dans la paix (Is., 57, 1-2) 5. LA PROBLEMATIQUE THEOLOGIQUEQuelle est donc la portée théologique de ce contraste ? c. L'expression « il entrera dans la paix » nous conduit à l'idée d'ensevelissement, car elle ne se retrouve qu'à propos de la mort d'Abraham : wetta' tabô 'el 'abotêka beshâlôm. « Et toi, tu t'en iras vers tes pères en paix » et le texte poursuit : « tu seras enseveli dans une vieille heureuse » (Gen., 15,15) . B. Duhm voit dans « la paix » un euphémisme pour désigner la tombe. Il note, du reste, aussitôt, que cette formulation est étonnante. Cette interprétation s'impose t-elle ? En fait la formule « dans la paix », ne qualifie pas le lieu de la tombe, mais la manière dont Abraham mourra, c'est-à-dire « ayant accompli » sa vie. Le mot shâlôm comporte l'idée de plénitude : c'est au terme d'une vie comblée qu'il s'en ira vers ses pères, ce que suggère la fin de la phrase : « dans une heureuse vieillesse ». D'ailleurs la construction est significative : le véritable complément de lieu ce n'est pas la paix mais « vers tes pères ». La formule beshâlôm n'apporte qu'une qualification à ce départ d'Abraham. Du reste, elle n'a pas l'article, ce que l'on attendrait si elle désignait la tombe. Elle n'est qu'une manière d'être et vise rétrospectivement la vie humaine « comblée ». Dans une telle perspective, selon la mentalité biblique ancienne, la mort n'est plus un scandale. C'est pourquoi, il convient de traduire : « tu t'en iras vers tes pères avec paix » et, en paraphrasant, « dans la sérénité d'une vie comblée ». A l'appui de cette interprétation, on peut invoquer la manière dont l'auteur de la Genèse formule la mort des patriarches et d'abord d'Abraham : « II expira puis mourut dans une heureuse vieillesse, âgé et rassasié de jours » {G en., 25,. La paix, c'est cette plénitude de vie et de bonheur (cf. encore Gen., 35,27 ; 49,33).Jér, 34,5 emploie une expression analogue quand il dit à Sédécias : « Tu mourras en paix beshâlôm tâtnût ». D'après le contexte, le prophète veut simplement dire que le roi ne mourra pas de mort violente comme le prouve le parallélisme synonymique : « Tu ne mourras pas par le glaive, tu mourras en paix » (mais en captivité). De même en 1 R., 2,6, David recommande à Salomon de ne pas laisser Joab mourir en paix : « Tu ne laisseras pas ses cheveux blancs descendre en paix au Sheol ». Joab doit mourir de mort violente, avant d'avoir achevé le cursus normal de sa vie.Nous sommes donc bien devant un contexte de mort et pourtant le parallèle de Gen., 15,15, ne peut pas rendre compte entièrement du texte d'Ir., 57, 1-2. En effet du ton de la lamentation, il faut conclure que le juste disparaît prématurément ; comment peut-on dire « qu'il entre dans la paix » ? D'autant qu'ici l'expression « dans la paix » suit immédiatement le verbe et joue le rôle d'un complément de lieu. d. Mais h., 57, 1-2 s'éclaire à la lumière d'un autre parallèle beaucoup plus proche, qui, à ma connaissance, n'a jamais été relevé par les critiques : « C'est pourquoi, dit YHWH à Josias par l'intermédiaire de la prophétesse Hulda, moi je te réunirai à tes pères et tu seras accueilli en paix dans tes tombes, et tes yeux ne verront pas le malheur que moi, je fais venir sur ce lieu» (2 R., 22,20 = 2 Chr., 34,28). Relevons d'abord les contacts de vocabulaire nè'esaph, beshâlôm, hârâ'âh. Mais ces contacts ne prennent sens que dans le cadre d'une problématique identique. En effet, Josias représente le cas type du juste disparu prématurément : engagé énergiquement dans une réforme religieuse de grande envergure, il mourut tragiquement à Megiddo : fin scandaleuse du juste souffrant, question qui hantera les insomnies de Job. Déjà l'oracle de la prophétesse Hulda tente (probablement post factum) un essai d'explication, un effort de justification. Cet oracle contient deux affirmations : d'une part le fait que Josias sera réuni à ses pères et qu'il sera accueilli dans leur tombe, autrement dit qu'il ne sera pas privé de sépulture royale ; d'autre part l'explication du caractère prématuré de cette mort : c'est en réalité une faveur, une grâce divine, ses yeux ne verront pas le malheur hârâ'âh, c'est-à-dire la fin de Jérusalem et la captivité. Dans ces conditions, le rédacteur, Is., 57, 1-2, aurait lu dans cet oracle prophétique concernant Josias, le cas type du juste disparu prématurément et y aurait vu la clé de ce scandale. Il faut donc donner raison à ceux qui voient dans hârâ'âh le malheur imminent. Dès lors, si l'on se fie à ce rapprochement, le texte d'Isaïe n'envisagerait aucunement le sort du juste après la mort, mais la mort elle-même perçue comme un fruit de la prévenance divine. (Dans une ligne un peu différente, cf. Job, 3, 13-14).https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1977_num_51_1_2779 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 11:22 | |
| Sur cet article, voir ici 9.2.2022. C'est toujours la mort d'un autre qui, accomplie, peut être décrite et interprétée, par exemple comme paisible et heureuse, par des (sur)vivants -- comme dans cette fameuse réplique de Jour de colère de Dreyer: "Rien n'est plus paisible (ou silencieux) qu'un cœur qui a cessé de battre." -- Ça me rappelle, par contraste, une remarque de Cioran à propos d'un ami qui venait de mourir (je cite de mémoire incertaine): "il n'avait pas l'air content du tout d'être là." Toujours est-il que c'est bien la pensée (anticipée) de la mort accomplie -- ce dont aucun vivant n'aura jamais l'expérience en ce qui le concerne -- qui peut être apaisante, pour autant qu'elle s'arrête à la certitude du fait (que, quod, dass) et ne s'embarque pas dans l'imagination du quoi ( quid, was; et a fortiori des quand, où, comment, etc.). |
| | | free
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 12:25 | |
| Le bien mourir et les traditions religieuses
LE CHRISTIANISME
Le bien mourir exige de reconnaître que la mort appartient à notre existence humaine et qu’elle n’est pas le mal absolu. Le christianisme s’oppose ici aux volontés contemporaines de vaincre un jour toute maladie. Il y a là une contradiction que Daniel Callahan résume ainsi : «La mort en général est inévitable, mais la mort de l’individu est contingente». Cet esprit de la médecine moderne a conduit à fonder le système de santé sur la prémisse que la limite de la vie peut toujours être reculée et que la maladie est de plus en plus sous notre contrôle. Les conséquences de cette vision médicale de la mort sont dramatiques au sens où le coût de la mort et de la maladie est devenu extrêmement élevé dans nos sociétés développées. Le bien mourir exige la reconnaissance de la finitude humaine : qui sommes-nous quand nous sommes finis ? Le christianisme aborde ces questions fondamentales d’ordre anthropologique et métaphysique. En effet, l’espérance chrétienne, entre autres, est source de toute une spiritualité qui permet à la vie de mûrir encore quand sa fin est toute proche.
Le christianisme aborde de front la question de la souffrance, même si sa manière de le faire constitue parfois un problème. Il est né de la souffrance d’un homme mort sur une croix pour les autres. Ne pas se défiler devant la souffrance de la mort tout en tentant de l’adoucir permet aux hommes de regarder en face leur réalité et d’en chercher le sens. D’où la compassion qui doit être au cœur des attitudes des soignants à l’égard des personnes qui sont malades. Cette compassion a fait naître les soins palliatifs qui ont surgi dans la mouvance chrétienne. Ceux-ci ont joué un rôle essentiel pour réhumaniser le mourir en apportant le soulagement à la douleur. On peut cependant se demander si la douleur est la véritable question ou si elle n’en est qu’un élément. En effet, le succès des soins palliatifs est en train de faire naître de nouvelles questions que nous croyions que ces soins allaient régler. Quand les douleurs sont contrôlées, surgit la véritable question, celle du sens de la vie et de la mort : pourquoi vivre si la vie n’est que souffrance et attente de la mort ? Le gémissement que cette souffrance entraîne peut trouver écho dans l’autre. La compassion qui lui répond peut devenir une ouverture vers un sens possible, une promesse d’espérance. Sans altérité au moment où la souffrance détruit le sens, il n’y a pas de dignité humaine possible. La tâche des professionnels de la santé qui consiste à redonner la dignité au moment où le monde s’écroule est ici de nature proprement spirituelle. C’est la dynamique même de l’Évangile. Dans le christianisme, communauté et spiritualité sont incontournables pour favoriser le bien mourir.
LE BOUDDHISME
Le bouddhisme est l’une des grandes traditions spirituelles qui a beaucoup réfléchi sur la mort. Le livre des Morts tibétain constitue à ce propos un texte fondamental puisqu’il est un livre d’instructions pour les gens qui sont au seuil de la mort Comme pour les autres traditions, la valeur du don de la vie humaine n’a pas de prix. Cette vie ne constitue pourtant pas la fin de tout, étant une étape vers une autre vie; c’est pourquoi «la mort est un processus naturel à respecter, un simple passage d’une incarnation à une autre».
Le moment de la mort est particulièrement important pour permettre un passage vers une nouvelle naissance :
« Il est essentiel d’avoir conscience de la mort : il faut penser que l’on ne demeure pas longtemps sur cette terre. Sans la conscience de la mort, nous n’arriverions pas à profiter de la vie que nous avons déjà vécue. Elle prend un sens puisque, grâce à elle, des prolongements ultérieurs peuvent s’accomplir »
La condition mentale d’une personne mourante est de la première importance. Si elle meurt dans un état de panique, de peur ou d’anxiété, la personne pourrait se retrouver dans une situation pire que celle qu’elle est en train de laisser. Elle doit être «entièrement concentrée sur ce qui se passe dans son corps et dans son esprit». Ainsi, elle «acquiert une grande paix intérieure et ne craint plus ce qui lui arrive». Le Dalaï Lama affirme : «Puisque l’esprit au moment de la mort est la cause prochaine de la continuation dans l’autre vie, l’esprit doit être pratiquement à l’œuvre au moment où la mort approche.
La paix intérieure qu’il est possible de posséder au moment de la mort ne s’acquiert pas soudainement. Elle est le fruit d’un long travail sur soi qui commence dans la prise de conscience que la mort est universelle. La parabole de la graine de moutarde est particulièrement éclairante. Une mère profondément en détresse qui s’était adressée à tout un chacun pour réanimer son enfant mort se rend finalement chez Bouddha. Elle lui demande de redonner vie à son enfant. Bouddha lui répond que la guérison est simple à obtenir; il s’agit simplement de lui faire boire du thé fait de cinq ou six graines de moutarde qu’il faut se procurer au village. Et il ajoute : « ces graines doivent provenir d’une maison qui n’a pas connu la mort ». Passant de maison en maison, elle ne rencontre que des familles qui avaient vécu de tristes histoires. Cette femme découvrait ainsi que la mort est universelle et que la seule manière d’y faire face consiste à chercher à vaincre la souffrance à travers un cheminement spirituel personnel.
Lorsque la souffrance de la personne mourante est très grande, l’euthanasie ne serait-elle pas une voie à envisager ? Le geste n’aurait pas de sens puisque l’acte et le processus du mourir sont en lien direct avec la présente existence et les existences subséquentes. L’état de conscience et l’état d’esprit sont d’une importance cruciale. De même que l’euthanasie est inacceptable, de même «le bouddhiste à l’agonie ne peut vouloir ni mort médicalisée, ni acharnement thérapeutique». . Il voudra vivre son passage d’une incarnation à une autre.
https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2004-1-page-35.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 13:36 | |
| Je trouve ce traitement des "traditions religieuses" bien superficiel: ça s'explique sans doute parce que le médecin les rencontre surtout dans leur forme "populaire", chez des patients qui dans leur grande majorité ne sont pas particulièrement "religieux"; mais c'est aussi un cruel constat de l'écart qu'il y a entre la richesse potentielle de ces traditions et l'indigence de ce qui en passe chez la plupart de leurs adeptes, et de ce qui en reste le cas échéant à l'approche de la mort, quand les "catéchismes" en tout genre sont au mieux un lointain souvenir.
Pour le chrétien tant soit peu "théologien", par exemple, "la mort" n'est plus dissociable du "mystère" du Christ qui l'enveloppe et la subsume, l'anticipe et la dépasse autant au plan du "mythe" que du "rite", relativisant par la même occasion tout "destin" individuel (cf. exemplairement Romains 14,7ss); pour le bouddhiste qui ne se cantonne pas à une pratique rituelle, mais a assimilé un minimum de "doctrine", c'est une tout autre approche de "la mort" qui s'annonce dans l'horizon du nirvâna, par rapport auquel les "réincarnations" feraient plutôt figure de repoussoir, comparables précisément au cauchemar insomniaque de "la mort en fuite", celle qui n'arrive jamais pour de bon... et on pourrait sûrement en dire autant du judaïsme, notamment qabbalistique ou hassidique, ou de l'islam notamment soufi, bref de tout ce qui dans la "religion" relève d'une "mystique" qui s'affronte de son vivant à la pensée de "la vie la mort". Ce qui d'ailleurs ne garantit nullement que le "mystique" ("religieux" ou "philosophe" dans ce sens-là ou dans un sens analogue) meure "mieux" qu'un autre, du point de vue du médecin par exemple (cf. aussi le Dialogue des Carmélites). |
| | | free
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 14:46 | |
| "J'ai vu, d'autre part, toutes les oppressions qui se commettent sous le soleil ; les larmes des opprimés — et personne pour les consoler ! la force du côté de leurs oppresseurs — et personne pour les consoler ! Moi, je déclare les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore en vie, mais plus que les uns et les autres celui qui n'a pas encore été et qui n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se fait sous le soleil" (Qo 4,1-3).
Ce texte indique clairement que dans certains cas, la mort est préférable, voire souhaitable, l'auteur affirme que seul le non-être permet d'éviter l'absurdité de l'existence humaine. La mort est enviable, car elle seule libère des larmes, de l'exploitation et de la violence, ce n'est pas Dieu qui est vu comme le libérateur mais la mort. Il existe des situations où la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
Ainsi parlait Zarathoustra :
DE LA MORT VOLONTAIRE
Il y en a beaucoup qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt. La doctrine qui dit : « Meurs à temps ! » semble encore étrange. Meurs à temps : voilà ce qu’enseigne Zarathoustra. Il est vrai que celui qui n’a jamais vécu à temps ne saurait mourir à temps. Qu’il ne soit donc jamais né ! — Voilà ce que je conseille aux superflus. Mais les superflus eux-mêmes font les importants avec leur mort, et la noix la plus creuse prétend être cassée. Ils accordent tous de l’importance à la mort : mais pour eux la mort n’est pas encore une fête. Les hommes ne savent point encore comment on consacre les plus belles fêtes.
Dernière édition par free le Lun 13 Juin 2022, 15:55, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 15:48 | |
| "La mort" comprise comme non-existence ("non-être", etc.) "permet d'éviter" tous les inconvénients mais elle ne le permet à personne, elle ne dispense ses "bienfaits" qu'en supprimant du même coup leur "bénéficiaire": tel est le revers de sa tautologie, qui n'est d'ailleurs que le reflet symétrique de "la vie" dont le "don" ne se distingue pas du "donataire" (comment "donner la vie à quelqu'un" si ce "quelqu'un" n'existe que par "la vie" qu'on lui "donne" ?). Il n'y aurait personne pour se réjouir, ni pour se plaindre, d'être mort ou de ne pas être né, on touche là une limite du langage et de la représentation, mais cette expérience même du "rien" n'est pas "rien"...
Sur ce passage de Zarathoustra, voir éventuellement ceci.
Ce qui m'avait d'abord frappé en lisant Cioran (le titre De l'inconvénient d'être né résume à lui seul tout le "problème"), c'est que ses œuvres "de jeunesse" (roumaines et à l'occasion "fascisantes", p. ex. Sur les cimes du désespoir) déployaient un "lyrisme" très semblable à celui de Zarathoustra à partir d'un "parti-pris" inverse ("la mort" ou "le néant", au lieu de "la vie" ou de la "volonté de puissance"). Mais Cioran s'est détourné ensuite de son propre lyrisme comme de (celui de) Nietzsche; et Nietzsche lui-même ne se réduit pas à Zarathoustra ni à aucun de ses textes, parce qu'il accueille ses "propres" contradictions avec une hospitalité et une lucidité, non parfaites sans doute mais exceptionnelles.
"La mort" éteint tout jugement (cf. la rhétorique simili-juridique de l'épître aux Romains), y compris de "valeur" (axiologie), qui justifierait une différence ou une préférence (préférer la mort à la vie, ou la vie à la mort), mais aussi bien une égalité ou une indifférence (les deux se valent, cf. Thalès). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 16:43 | |
| - Citation :
- Sur ce passage de Zarathoustra, voir éventuellement ceci.
351 : « Christ ouvre les bras et dit : ‘‘Venez à moi.’’ Le prêtre se hâte de dire : ‘‘Aie seulement le courage de te jeter dans ses bras – là est la vie’’. Oui, mais fais bien attention ; car cette étreinte est d’abord la mort. Il s’appelle la vie, il dit : ‘‘Venez à moi’’ et si tu t’abandonnes entièrement, tu es mort, mort au monde ; car il n’est pas la vie sans plus, il est la vie à travers la mort. » (...) Et ce risque peut bien à chaque fois être différent, voire en pratique contradictoire : il en va toujours d’une figure de la mort, et souvent d’une sorte de folie revendiquée comme telle. Des formules comme « prendre sa croix » et « celui qui veut sauver sa vie/son âme la perdra » impliquent une mise en danger, selon des modalités diverses : l’abandon de la sécurité des biens et de la structure familiale dans les synoptiques ; la renonciation aux recours à la violence, la sienne propre ou celle de l’autorité dans le Sermon sur la Montagne ; plus discrètement mais plus radicalement peut-être, le refus du jugement qui rend absolument vulnérable ; quand les circonstances s’y prêteront, comme dans l’Apocalypse, la glorification, voire la recherche du martyre ; mais aussi, de façon peut-être moins spectaculaire mais non moins profonde chez Paul, le rejet de toute stratégie de « justification » autre que celle de la foi, qui consiste en l’identification de sa propre mort à celle d’un Christ maudit et crucifié. Partout, quoique de manière explicitement différente et souvent contradictoire, la figure de la mort est là, centrale, et force nous est de reconnaître que c’est bien elle qui à la fois terrifie et captive, dans une sorte de vertige érotique qui constitue l’essence même du danger. Pour citer le texte fétiche de Kierkegaard : « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » – à quoi le narrateur répond : « il disait cela pour signifier de quelle mort il allait mourir. » (Jean 12,32s). Comment ne pas déceler ici – c’est-à-dire au cœur de notre livre, quels que soient par ailleurs nos préférences textuelles – la pulsion ou l’instinct de mort dont parle le second Freud (Au-delà du principe de plaisir) ? Comment ne pas ici dépasser Freud, comme le fait Lacan (Ecrits, p. 320ss), en notant que l’apparente bipolarité du désir et de la mort recouvre en fait une triangulation complexe où se noue et se joue le je(u) de notre identité symbolique, et où commence ce que nous appelons notre « liberté » ? http://oudenologia.over-blog.com/pages/Risques-des-textes-risques-du-livre-2633047.html L'éternel retour et la pensée de la mortDe quoi la mort peut-elle être promesse solennelle (Gelöbniss) ? Qu’est-ce qu’une « mort libre » ? Que signifie « mourir à temps » ? On aurait tort d’abord de réduire ce texte à une simple apologie du suicide Dans un passage de Crépuscule des idoles qui fait directement écho à ce discours, Nietzsche donne une description assez saisissante de ce qu’il appelle la mort au moment voulu (zur rechten Zeit). Elle doit être, dit-il, « lucide et joyeuse, accomplie au milieu de ses enfants et de témoins (inmitten von Kindern und Zeugen), de sorte que de vrais adieux soient possibles, puisque celui qui prend congé est encore présent et capable de peser ce qu’il a voulu et ce qu’il a atteint, bref de faire le bilan de sa vie ». Dans un registre assez inhabituel, sous sa plume, avec des accents qui évoqueraient presque La solitude des mourants de Norbert Elias , c’est d’abord l’ensemble des tabous qui pèsent sur la mort et le deuil, comme les dimensions incontournables d’une vie partagée, d’une vie commune, que Nietzsche a dans sa ligne de mire. Mais c’est aussi davantage. Cacher, confisquer la mort au regard de ceux qui devraient accompagner le mourant (les enfants et les témoins), faire de la mort un tabou, une chose honteuse, dont il faudrait se tenir éloigné, n’a d’autre sens qu’un ressentiment contre la vie et, plus encore, contre le temps. Il y a, autrement dit, une façon d’appréhender (dans les deux sens du terme) les derniers instants de la vie qui retourne la vie contre elle-même – un « attachement » à la vie, dans la crainte de la mort, qui ne fait rien d’autre que la sacrifier à l’avance. De ce retournement, de cette hypothèque, rien n’est plus significatif que le rituel de la confession solitaire, dont le christianisme a voulu faire le dernier acte de la vie et l’ultime préparation à la mort – un bilan de la vie en forme d’aveu et de repentance. De fait, chaque fois que Nietzsche parle de la mort, la critique du christianisme apparaît en toile de fond. La religion chrétienne n’a pas su penser la mort, parce qu’elle a déprécié la vie. La suite de l’aphorisme 36 de Crépuscule des idoles le rappelle explicitement : « La mort librement choisie, la mort au moment voulu » n’a de sens que « par opposition à la comédie pitoyable et atroce que le christianisme s’est permis de jouer avec la dernière heure des mourants ». On ne saurait pardonner au christianisme d’avoir abusé de la faiblesse des mourants pour violer leur conscience et de leur manière même de mourir pour en tirer des jugements de valeur sur l’homme et son passé Toute pensée de la mort porte ainsi en abîme une pensée du temps vécu – c’est-à-dire aussi d’un certain rapport au passé et à l’avenir. Elle en est même, comme dans le cas du christianisme, le révélateur. Mais alors, si tel est le cas, et si le surhomme est celui qui peut voir dans la mort une « promesse solennelle », c’est une autre pensée du temps que cette promesse appelle – celle-là même qui sera pour Zarathoustra « la pensée la plus lourde » : la pensée de l’éternel retour. S’il est vrai que cette pensée fait l’objet d’une prophétie, et qu’elle a quelque chose de nouveau à nous dire de notre angoisse devant la mort et de notre expérience répétée du deuil, nous devons nous demander de quelle nature est la promesse portée par la pensée nietzschéenne du temps et comment elle s’articule à cette « promesse solennelle » que serait la mort pour les vivants. https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-2-page-193.htm |
| | | le chapelier toqué
Nombre de messages : 2607 Age : 77 Date d'inscription : 31/08/2010
| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 17:03 | |
| Merci Narkissos pour ce partage dans ton blog. C'est un texte profond que tu livres, ou que tu as livré. Et il mérite une seconde lecture pour l'apprécier. Ce que je vais pas manquer de faire. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Lun 13 Juin 2022, 18:40 | |
| Merci. En effet ce texte (Théolib / oudenologia) ne date pas d'hier, il doit être sensiblement contemporain de l'excellent article de Marc Crépon (2005) que free nous propose à sa suite: de la même décennie en tout cas. A propos de ce dernier, je soulignerais seulement que la " vie" ou la "volonté" chez Nietzsche ne se laissent pas assigner à un "sujet", humain (trop humain), individuel ou a fortiori collectif, contrairement à ce que pourrait laisser croire l'usage du vocabulaire de la "propriété" (ma/notre propre mort/finitude, réappropriation, etc.). Qui ou qu'est-ce qui "veut" quand "je" veux ou quand "nous" voulons, c'est la question abyssale que Nietzsche ouvre d'emblée sous les pieds de ses lecteurs en opposant la "volonté de puissance" à la "volonté" (tout court) de Schopenhauer, et qui à bien des égards "annonce" l'"inconscient" freudien. Or c'est la question même de "la mort", celle que je dis "ma propre mort" alors qu'elle m'exproprie ou me dépossède de tout, y compris de "la mort" comme mienne -- et pareillement de "la vie" que je dis mienne en n'ayant jamais à elle qu'un rapport de "participation" provisoire, celle du "vivant" participe substantivé d'un "vivre" qu'on peut aussi bien appeler " vie éternelle", qui "me" précède comme elle "me" succède, "me" survit, "me" contourne ou "m'"ignore, "me" constitue et "me" destitue. Tous les mots ou concepts donnent sur le même abîme où leurs oppositions superficielles s'effondrent (entre "la vie" et "la mort", mais aussi entre "nietzschéisme" et "christianisme" par exemple, qui tous deux jouent -- autrement sans doute, mais l'un avec et contre l'autre -- de la même ambivalence, indécision, hésitation, oscillation ou tremblement, "la vie la mort"). La précipitation (ou la ponctualité) de "la mort" chez Nietzsche (mourir à temps ou à point, pas trop tôt comme Jésus mais surtout pas trop tard), qu'on retrouverait chez Cioran avec des motifs inverses (non par amour mais par horreur de "la vie") offrirait un contraste encore plus précis avec notre sujet (la mort en fuite, toujours différée, retardée, repoussée, remise à plus tard) -- et aussi avec la "biographie" des deux "auteurs": certes la "folie" fulgurante de l'un n'est pas la lente décrépitude de l'autre, mais dans les deux cas la " vie", au sens de l'état-civil, s'est prolongée très au-delà de ce que l'un ou l'autre aurait envisagé en parlant de "mourir à temps". Toutefois la dissolution du "sujet" bien avant "la mort", par explosion brutale ou lente extinction, rendrait pour l'un comme pour l'autre la question... sans objet. |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Mar 14 Juin 2022, 12:37 | |
| Meurs à temps !
En ces temps de frilosité hygiénique, comment ne pas penser à Nietzsche qui disait que non seulement il est dur de durer, mais de surcroît indigne. « Meurs à temps », enseigne Zarathoustra, c’est-à-dire avant le déclin. Leçon que retiendra Mishima qui façonnera son corps pour devenir physiquement un Grec avant son seppuku.
Avoir toujours présent à l’esprit qu’il y a une extrémité pire que de se tromper de chemin, c’est de rester immobile.
Fontenelle disait que si la raison dominait sur terre, il ne s’y passerait rien. Ce qui risque fort de se produire avec l’amplification exponentielle du principe de précaution.
Souvenons-nous qu’en 1968 et 1969, un virus respiratoire avait déjà franchi les frontières de Chine – c’était la fameuse grippe de Hong-Kong – et avait à son actif plus d’un million de morts dans le monde. Pour l’Europe, les chiffres sont les mêmes que ceux du Covid 19 (environ 31.000 morts en France) et un taux d’attaque qui touchait toutes les classes d’âge. Et pourtant, aucun gros titre dans les journaux, aucune mesure gouvernementale, ni même d’alerte médicale. « Le flegme et les bons mots l’emportaient sur une possible mobilisation » relève l’historien Patrice Bourdelais. L’inverse de ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Voilà qui nous laisse songeurs et dubitatifs quant aux progrès de la médecine et à la volonté des gouvernements d’instaurer un État Thérapeutique.
Revenir à Nietzsche : Mourir fièrement quand il n’est plus possible de vivre avec fierté.
Quand j’observe tous ces gens masqués dans les rues, je me dis que la prochaine étape sera la muselière. On dressera les humains comme on dresse les chiens. Et le pire, c’est qu’ils n’aspirent plus qu’à cela. Pourvu qu’ils aient leur masque et un sucre.
À ceux qui me reprocheraient d’être incohérent puisque je suis toujours en vie, je répondrai que c’est uniquement par une incohérence de l’incohérence. Comprenne qui pourra !
https://www.causeur.fr/meurs-a-temps-176807 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Mar 14 Juin 2022, 14:36 | |
| Malgré tous les contresens dénoncés depuis fort longtemps, et qu'on ne dénoncera jamais assez, ce n'est pas un hasard non plus que Nietzsche ait inspiré le nazisme, par ses textes les plus brillants ou les plus tonitruants, d'autant plus que ceux-ci étaient présentés séparément de tout ce qui, du sein de la même oeuvre, venait les nuancer, les corriger, les questionner ou les contredire... Nietzsche a eu beau passer une bonne partie de sa vie "consciente" à tenter de dissiper les "malentendus" (avec le romantisme notamment wagnérien, son "culte du héros" et son antisémitisme, avec le nationalisme allemand du IIe Reich, au moins autant que sur sa gauche avec les "socialismes"), son goût du jeu de l'affirmation ET de la négation pures, séparées, non réductibles à une "moyenne" ni à une "synthèse" dialectique, était trop fort pour ne pas se prêter aux pires récupérations, dans tous les sens...
L'application au Covid (au sortir de sa première phase spectaculaire en France, mai 2020) appellerait beaucoup d'autres questions: Nietzsche est aussi, à sa manière, un "hygiéniste" et même un "socialiste" selon l'esprit de son temps, il peut parler (surtout au début) de "santé publique", d'hygiène, de diététique, de prophylaxie, d'éducation, de prévention, de médecine et d'expérimentation technoscientifique, etc., il s'intéresse au "peuple", mais ce qui le distingue absolument et assez constamment d'un "démocrate" et surtout d'un "égalitariste", c'est qu'il n'accorde ni ne demande jamais la même chose à tout le monde (contre l'"égalité des droits et des devoirs") -- "élitisme" ou "aristocratisme" assumés, même s'ils n'ont rien d'un "conservatisme". Le destinataire de l'appel à "mourir à temps", entre autres, n'est pas n'importe qui... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Mar 14 Juin 2022, 15:11 | |
| "Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma mère ? Pourquoi n'ai-je pas expiré au sortir de son ventre ? Pourquoi ai-je trouvé des genoux pour me recevoir et des seins pour m'allaiter ? Maintenant je serais couché, je serais tranquille, je dormirais ; alors je pourrais me reposer. Pourquoi donne-t-il le jour à celui qui peine, la vie à ceux qui sont amers, qui attendent la mort, sans qu'elle vienne, qui la recherchent plus que des trésors" (Job 3,11-13 et 20-21)
"Et maintenant, traite-moi comme il te plaira, ordonne que me soit repris mon souffle, que je sois délivré de la face de la terre pour redevenir terre. Mieux vaut pour moi mourir que vivre, car je me suis entendu insulter à tort et j’ai en moi une immense tristesse. Ordonne, Seigneur, que je sois délivré de cette détresse, laisse-moi partir au séjour éternel et ne détourne pas ta face de moi, Seigneur. Oui, mieux vaut pour moi mourir que de connaître une telle détresse toute ma vie et que de m’entendre insulter. Je n’ai sali ni mon nom ni le nom de mon père sur la terre où je suis déportée. Je suis la fille unique de mon père, il n’a pas d’autre enfant pour hériter de lui ; il n’a non plus ni frère auprès de lui, ni parent pour lequel je devrais me garder comme épouse. J’ai déjà perdu sept maris : pourquoi devrais-je vivre encore ? Mais s’il ne te plaît pas de me faire mourir, alors, Seigneur, prête l’oreille à l’insulte qui m’est faite. » (Tobit 3,6 et 15).
Ces textes soulignent la préférence des auteurs pour la mort plutôt qu'une vie de souffrante. job fait allusion à ceux qui attendent la mort en vain ("sans qu'elle vienne"). La particularité de Tobit 3, c'est que l'auteur demande à Dieu d'abréger ses jours, la divinité ne semble pas favorable à cette solution. Proverbes 31,6-7 lance une invitation à se saouler pour mieux oublier l'indigence de la vie :
"Donnez de l'alcool à celui qui va disparaître, du vin à celui qui est amer ; qu'il boive et qu'il oublie sa pauvreté, qu'il ne se souvienne plus de sa peine !" (Pro 31,6-7). |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Mar 14 Juin 2022, 16:34 | |
| Je repense à cette scène de Go West où Groucho Marx, censément évanoui et à qui on va chercher de l'eau, s'exclame: Forget the water, force brandy down my throat (laissez tomber l'eau, faites-moi avaler [de force] du cognac)...
Pour rappel, en Proverbes 31 la prescription d'alcool (sans modération) aux désespérés s'oppose au précepte destiné aux rois ou aux princes, qui auraient justement besoin d'être sobres dans l'exercice de leurs fonctions (v. 4s). Plus généralement, c'est assez remarquable (pour nous) que dans l'Antiquité l'alcool et l'ivresse en soi ne fassent l'objet d'aucun jugement "moral": la chose m'avait frappé jadis dans un cours d'ougaritique où nous déchiffrions le "cycle de Danel" (ou d'Aqhat; "épousseter et traduire", comme disait plaisamment un collègue): le protagoniste (Danel donc, à qui se réfère sans doute Ezéchiel 14, sinon le livre "biblique" de Daniel) n'a pas de fils et se plaint à la divinité en disant (en substance): je n'aurai personne pour me ramener chez moi quand je serai vieux et saoul. Ni culpabilité ni honte, seulement du pathos -- Danel sera d'ailleurs exaucé, puisqu'il aura un fils, Aqhat, qui vient ensuite au premier plan du récit.
Il y a une proximité ou une contiguïté de l'ivresse comme du sommeil et du rêve à la mort, ce ne sont pas les exemples "bibliques" ou autres qui manquent (de Noé-Silène à la "coupe de Yahvé" qui enivre, endort et tue). Mais comme toujours n'en parlent et n'en écrivent que les vivants provisoires, plus ou moins réveillés ou dessoûlés... |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Jeu 16 Juin 2022, 12:32 | |
| - Citation :
- Et ce risque peut bien à chaque fois être différent, voire en pratique contradictoire : il en va toujours d’une figure de la mort, et souvent d’une sorte de folie revendiquée comme telle. Des formules comme « prendre sa croix » et « celui qui veut sauver sa vie/son âme la perdra » impliquent une mise en danger, selon des modalités diverses : l’abandon de la sécurité des biens et de la structure familiale dans les synoptiques ; la renonciation aux recours à la violence, la sienne propre ou celle de l’autorité dans le Sermon sur la Montagne ; plus discrètement mais plus radicalement peut-être, le refus du jugement qui rend absolument vulnérable ; quand les circonstances s’y prêteront, comme dans l’Apocalypse, la glorification, voire la recherche du martyre ; mais aussi, de façon peut-être moins spectaculaire mais non moins profonde chez Paul, le rejet de toute stratégie de « justification » autre que celle de la foi, qui consiste en l’identification de sa propre mort à celle d’un Christ maudit et crucifié.
2.3. Témoins du Christ, martyrs du ChristEn effet, si le Nazaréen fut condamné à mort et exécuté, une identification radicale devrait mener le sujet sinon à suivre le même sort, tout du moins à le souhaiter. Pour comprendre comment cette logique s’est imposée aux premiers chrétiens, il faut tout d’abord saisir le lien entre la notion de martyre et celle de témoignage, car si, d’après les Évangiles, le Nazaréen a prêché inlassablement de son vivant l’obéissance aux « Commandements » de la Torah, qui se résument à l’amour de Dieu et du prochain, il donne à ses disciples, après sa mort et résurrection, une injonction spécifique : celle d’être ses « témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». Or, « témoin » en grec se dit précisément martus, marturos, la conjonction socio-historique des persécutions romaines ayant conduit à la spécificité chrétienne du témoignage « jusqu’à la mort » qui caractérise aujourd’hui le terme « martyre ».Le meilleur exemple de cette forme extrême de concevoir le témoignage est sans aucun doute la lettre qu’Ignace (35-107/113), évêque d’Antioche, écrivit aux chrétiens de Rome leur demandant de ne pas intervenir en sa faveur, alors que, prisonnier, il y était conduit pour être jeté en pâture aux fauves. Célèbre pour sa radicalité, cette épître montre bien, d’une part, comment le moment du supplice peut être conçu comme celui du témoignage véritable :« III, 2. Ne demandez pour moi que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que je veuille, pour que non seulement on me dise chrétien, mais que je le sois trouvé de fait. (…) V, 3. Pardonnez-moi ; ce qu’il me faut, je le sais, moi. C’est maintenant que je commence à être un disciple. »Et, d’autre part, le lien étroit qu’Ignace établit entre son identification au sacrifice du Christ et son martyre, lien scellé par une métaphore assimilant sa mort prochaine au sacrement de l’eucharistie. De plus, nous pouvons noter l’importance que revêt pour Ignace la considération de sa propre mort comme un sacrifice « offert à Dieu », les fauves officiant en tant que sacrificateurs :« IV, 1. Moi, j’écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m’en empêchez pas. Je vous en supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par les dents des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ.2. Flattez plutôt les bêtes, pour qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C’est alors que je serai vraiment disciple de Jésus Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l’instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu. »Nous voyons par conséquent que, chez Ignace, le fantasme sacrificiel continue d’œuvrer et que le martyre apparaît, d’un point de vue anthropologique, en quelque sorte comme le « sacrifice parfait », à savoir qu’une victime ne vient pas prendre la place du sacrifiant mais que ce dernier occupe lui-même la place qui lui est réservée sur l’autel. Dès lors, non seulement l’identification au Dieu – qui fut bel et bien le premier à être sacrifié – s’en trouve renforcée, mais surtout le rôle que joue la victime comme porte ouverte sur le divin se trouve acté par le sacrifiant lui-même. À un niveau fantasmatique tout du moins, rien de plus sûr : le sacrifiant et le Dieu ne font plus qu’une seule et même réalité.Un autre élément est à relever, non sans importance : la place que prennent, dans cette épître, les notions d’enfantement et d’humanité. Mourir, c’est naître à l’éternité, s’unir définitivement au Christ ; être véritablement comme lui, c’est être véritablement humain. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’équation, caractéristique et récurrente dans le discours des saints chrétiens, martyrs ou pas : mourir, c’est vivre ; vivre, c’est mourir. Voici ce que dit Ignace d’Antioche :« VI, 1. Rien ne me servira des charmes du monde ni des royaumes de ce siècle. Il est bon pour moi de mourir pour m’unir au Christ Jésus, plus que de régner sur les extrémités de la terre. C’est lui que je cherche, qui est mort pour nous ; lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Mon enfantement approche.2. Pardonnez-moi, frères ; ne m’empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure. Celui qui veut être à Dieu, ne le livrez pas au monde, ne le séduisez pas par la matière. Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme. »(...)CONCLUSIONLa pierre d’angle de cette radicalisation de l’expérience à la fois spirituelle et religieuse de ces chrétiens morts pour leur foi ne se trouve pas, me semble-t-il, dans le « désir de martyre », qui peut s’entendre comme un « désir de mort » et donc renvoyer à l’expression de la pulsion de mort telle que l’entend P. Aulagnier, à savoir un « désir de non-désir » – bien qu’Ignace affirme : « Maintenant enchaîné, j’apprends à ne rien désirer » (IV, 2) –, mais plutôt dans le désir d’une vie en plénitude, non soumise à la mort. Par conséquent, le principe qui aurait ici le dernier mot serait bel et bien le principe de plaisir et non le principe de Nirvâna. Certes, nous retrouvons cette manifestation de la pulsion de mort, à savoir le désir de ne pas désirer, dans l’ascèse chrétienne et notamment dans la notion de « détachement », comme je l’ai montré dans un précédent articleet dans l’ouvrage cité. Mais j’ai également pointé que, dans le mécanisme du détachement, la pulsion de mort était de fait instrumentalisée et mise au service de la pulsion de vie, donc liée à cette dernière et paradoxalement soumise au principe de plaisir, sans que l’on puisse parler véritablement de masochisme secondaire.https://www.cairn.info/revue-topique-2010-4-page-27.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Jeu 16 Juin 2022, 15:14 | |
| Ici la (même ?) traduction des épîtres d'Ignace. Là une peut-être plus ancienne, mais avec le texte grec. La question fondamentale et abyssale pour la psychanalyse, c'est bien de savoir si ladite "pulsion de mort" ( Todestrieb, ça se transcrirait plus naturellement en anglais death drive ou drive to death, ça suggère bien l'impulsion d'un mouvement dans une certaine direction, conduite ou orientation, mais pas nécessairement la violence brutale, soudaine et irrépressible, généralement associée à l'expression "pulsion de mort" dans le langage populaire, p. ex. au sujet des meurtres en série dits "compulsifs") peut ou doit se distinguer du "principe de plaisir" ( Lustprinzip: désir, libido, etc.) autrement que comme un autre côté, aspect ou pli de la même "chose". Question que finit par poser assez obliquement Freud dans Au-delà du principe de plaisir ( Jenseits des Lustprinzip, 1920) en évoquant justement le Todestrieb, mais à laquelle il ne répond pas vraiment (cf. là-dessus La carte postale de Derrida). Il y aurait là en effet de quoi emporter toute la psychanalyse, moins dans sa prétention scientifique que dans son projet thérapeutique, sa raison sociale et sa justification morale: on n'imagine guère un psychanalyste assumer le suicide de son patient, avec ou sans assassinat supplémentaire, comme une issue parfaitement légitime, valable et acceptable de la "cure", et pourtant... Du côté chrétien, le schème sacrificiel (que je ne crois pas dominant ni cohérent dans le NT, mais il y est aussi sous plusieurs formes, nous en avons longuement parlé, p. ex. ici ou là) rendrait accessoire, voire embarrassant ou "contre-productif", le recours au "Jésus humain/historique": c'est en tant que (fils de) dieu crucifié que Jésus-Christ serait significatif dans un tel "sacrifice", non comme énième "victime humaine", indiscernable en tant que telle de toutes celles qui le précèdent et qui le suivent. Le jeu théo-christologique de la mort et de la vie, tel qu'il se présente dès les premières épîtres pauliniennes (correspondance corinthienne), me semble n'avoir que peu de rapport avec l'expérience réelle du "martyre". C'est un discours de type myst(ér)ique au sens des "(cultes à) mystères" de l'époque, qui deviennent "religions de salut" en combinant un mythe sacré (exemplairement de mort et de résurrection divine, Osiris, Attis, etc.) à un rite de participation (communion) salvifique -- que ce rite prenne ou non la forme d'un "sacrifice" (animal, sanglant, etc.), il en est un au sens étymologique du "faire / rendre sacré" (= consacrer ou sanctifier). Mais plus le christianisme progresse en nombre et devient une religion populaire, plus l'écart se creuse entre sa réception "exotérique" et "eudémonique" (ce que la plupart des adeptes en attendent, c'est une "bénédiction" pour leur vie présente, quotidienne, familiale, sociale, économique, en attendant l'éventuel au-delà) et ses interprétations "ésotériques" qui prennent le mystère de la vie par la mort au sérieux et veulent y participer à fond, que ce soit sous une forme gnostique, ascétique, ou "mystique" dans tous les sens du terme: la recherche du martyre, quand l'occasion se présente, et toute la tradition ultérieure des "saints" martyrs ou non, se rattachent avant tout à cette volonté de participation au cœur du "mystère" chrétien, qui ne se contente pas d'une bénédiction ou d'une promesse de "salut" périphérique. Mais l'ambiguïté ne fera que se propager, puisque de l'extérieur les martyrs et les saints seront compris de façon tout aussi "exotérique" que le Christ: on en attendra miracle, protection, bénédiction, santé, prospérité, etc., on cherchera d'autant moins à les suivre ou à les imiter que ça paraît impossible, puisqu'"on n'est pas des saints"... Inversement, la tradition johannique et tout ce qui s'ensuit dans la "gnose" ancienne et le "mysticisme" médiéval jouent intensément du "mystère de la mort et de la vie", mais montrent peu d'intérêt pour la mort et le martyre "réels", qui ne valent qu'à titre de "signes"... [Pour rappel (cf. p. ex. ici, à partir du 15.10.2009), l'"écart" dont je parle est déjà sensible, quoique de façon plus discrète, dans les premières épîtres pauliniennes, notamment par la distinction des "nous" et des "vous" dans la Seconde aux Corinthiens: le rapport à la mort et à la vie n'est pas le même pour les "apôtres" et les destinataires, les premiers "meurent" (souffrent, sont humiliés, persécutés, passent pour faibles et stupides, etc.) pour que les seconds "vivent" (se réjouissent, triomphent, règnent, deviennent riches, puissants et sages, etc.): en somme, l'économie du "sacrifice" (au sens large) se (re-)joue entre un "centre" qui joue le rôle de la "victime" et une "périphérie" de "bénéficiaires" dont le rapport au "centre" est plus lâche, distancié, indirect ou médiatisé. En revanche, le johannisme qui s'intéresse fort peu à ce schème "sacrificiel" (cf. Jean 11,49ss, à condition d'en percevoir l'ironie) ne produit pas cet effet de distinction (structurelle, fonctionnelle, hiérarchique, médiatrice...): seule vaut pour lui, et pour tout un chacun, la réception "ésotérique" des "signes", par rapport à laquelle les événements dits "réels" deviennent accessoires, voire indifférents (de la Passion de Jésus, d'ailleurs très "dépassionnée", aux persécutions et aux martyres éventuels; et même à la mort en général, cf. Lazare: une fois posé le rapport essentiel au Christ qui est la résurrection et la vie, qu'on meure ou qu'on ne meure pas c'est pareil).] |
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| Sujet: Re: la mort en fuite Jeu 23 Juin 2022, 10:50 | |
| Dans le cadre, cette fois-ci, d’un itinéraire croyant – faut-il dire alors confessionnel ? – Maximilien-Marie Kolbe, prêtre polonais « est arrêté une première fois lors de l’offensive allemande de 1939 et est envoyé au camp de concentration d’Amtlitz ». Il est libéré, puis, à nouveau arrêté et déporté à Auschwitz, où il arrive le 28 mai 1941. Il y meurt le 14 août 1942 donnant sa vie pour un père de famille, François Gajowniczek, « dont il prend la place parmi dix hommes condamnés à mourir de soif et de faim à la suite de l’évasion d’un prisonnier ». Voici comment s’exprima Maximilien Kolbe dans sa demande au colonel nazi telle que François Gajowniczek l’a rapportée : « Je suis prêtre catholique plutôt âgé. Je voudrais prendre sa place (son doigt était pointé dans ma direction) ; lui a une femme et des enfants. »Lorsqu’on prend la place de quelqu’un, quelle place laisse-t-on à ce quelqu’un ? Question trop vague qui ne vaut pas en l’espèce, puisque nous avons affaire ici à un authentique geste éthique, le plus noble qui soit. Ce geste est-il pour autant sans nous questionner ? Des années durant, le jeune père de famille dit avoir éprouvé des remords en pensant au Père Kolbe. Jean-Paul II, lui-même polonais, canonisa le Père Kolbe en le déclarant martyr et non pas seulement confesseur de la foi. Le procès de canonisation s’était pourtant conclu sur la thèse d’un saint confesseur et non d’un saint martyr car il faut pour être reconnu martyr avoir confessé explicitement le nom du Christ, ce que le Père Kolbe n’a pas fait. Jean-Paul II passa outre et, de sa seule autorité, le proclama martyr de la foi ...
On peut discerner aisément une ligne-force, un leitmotiv du martyre : la vie, telle qu’elle est, n’est pas aussi importante qu’on ne puisse se résoudre à la quitter, tandis que la mort telle qu’on n’en a pas encore l’expérience n’est pas aussi redoutable que l’on puisse la fuir.
C’est saint Paul qui illustre le mieux pour moi la condition du martyr : « Christ sera exalté dans mon corps, soit par ma vie, soit par ma mort. » (Ph 1, 20) Dans une sorte d’équivalence, d’indifférence, d’entremêlement du vivre et du mourir ? La vie fait-elle vivre, la mort fait-elle mourir dans une telle image qui semble comme une reproduction photographique inversée ? S’agirait-il de chercher à mourir lorsque l’on est en vie puis de chercher à vivre lorsque l’on meurt ?
Analogiquement – et je prends ce terme dans son usage théologique – ce qui rapproche pour mieux les distinguer Antigone du Père Kolbe, aussi étrange puisse être ma tentative, ce serait la question de l’Autre. Polinyce, privé de sépulture, était condamné à ce que son âme erre parmi les vivants. Il n’avait donc pas accès au paradis. Il ne pouvait pas mourir. Le repos éternel lui était refusé. Antigone, sa sœur, est conduite à renoncer à vivre en cette vie pour que son frère puisse mourir dans l’autre. Pour Kolbe, il s’agit, au contraire, mais est-ce un contraire ?, de permettre au jeune père de famille de vivre encore en cette vie en allant, lui, Kolbe, vivre éternellement près de Dieu, c’est-à-dire anticiper sa vie glorieuse ayant fait le choix de la mort prématurée à la vie terrestre. Dans un cas, celui d’Antigone, la décision est motivée par un autre, son frère. Dans le second cas, celui de Kolbe, la décision est déterminée encore par un autre, le père de famille. Il n’y aurait pas eu le geste de donner sa vie – ou faut-il dire de « se donner la mort » ?, selon la formule que Derrida a commentée – si un autre ne l’avait pas mu ? En revanche, la place du culturel, du civilisationnel diffère d’un cas à l’autre. Je veux dire par là que, pour Antigone, après la vie, c’est pouvoir mourir en paix qui est l’objectif, tandis que, pour Kolbe, après la vie, ou, si on préfère, après la mort, c’est la vie meilleure qui est attendue. L’entrelacs pulsionnel de la libido, l’enlacement pulsionnel du vivre et du mourir ne se joue pas de la même manière dans le cas de l’héroïne tragique ou dans le cas de celui, Maximilien Kolbe, que les croyants appellent un martyr, comme si le terme « martyr » était à réserver au monde de la croyance, à savoir ici, à celui qui postule une vie après la mort. C’est vivre et mourir ou mourir et vivre pour un Autre que la question du martyre vient soulever dans toute son ampleur. La vie est-elle en vie pour qu’on y renonce ici et maintenant afin de gagner un supplément d’âme ou un supplément de vie une fois mort ? C’est la question que pose Kolbe. Mais, d’un autre côté, la mort ne fait pas vraiment mourir celui qui la subit tant qu’une sépulture ne vient pas le garantir. Du coup, Antigone en meurt. Antigone n’a pas renoncé à son désir : elle en est morte. Et Kolbe, qu’a-t-il fait ? Antigone avait le désir de sauver après la mort son frère sans sépulture. Kolbe avait le désir de sauver ici-bas un homme promis à la mort, un homme d’autant plus vivant, si l’on veut, qu’il venait de donner la vie en devenant père. C’est d’ailleurs l’argument de Kolbe à son bourreau : le prêtre n’a pas d’enfants. Il est donc plus facile de lui prendre sa vie.
https://www.cairn.info/revue-topique-2010-4-page-91.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Jeu 23 Juin 2022, 12:09 | |
| Très bonne lecture, dont la dernière phrase me laisse toutefois perplexe: "De ce geste-là, c’est la responsabilité du sujet d’en répondre." Dans un sens peut-être, mais c'est aussi une limite de la "responsabilité" où s'en inverserait la logique, puisque dans le cas du martyre, du sacrifice ou du suicide (au fond indiscernables, du moins dans les exemples évoqués), et par extension de n'importe quelle mort, fût-ce la plus stupide ou la plus "méritée", le soi-disant "sujet" prétendu "responsable" ne répondrait plus, à personne, de rien ni de personne. On ne peut guère opposer à ce retournement de la responsabilité en irresponsabilité qu'une pure dénégation, une "croyance", comme l'imagination d'un "jugement dernier" -- avec peu de matière "biblique" d'ailleurs: les morts (debout sinon vivants) d'Apocalypse 20 ne sont pas bavards, les "nations" rassemblées de Matthieu 25 ne sont peut-être pas des morts; quant à faire répondre les présumés "sujets" de ce qu'ils ont fait et dit ou non au fil de leur vie et de leurs relations intersubjectives, il y faudrait un temps et un espace démultipliés qui défient, précisément, l'imagination...
Dans le texte grec de Philippiens 1,20 il n'y a pas de possessif: "soit par (la) vie soit par (la) mort" -- il n'y a pas d'article non plus, mais c'est l'usage avec des substantifs généraux comme (ce que nous appelons en français) "la vie" ou "la mort" (cf. l'anglais "life" ou "death" que nous traduisons naturellement avec des articles définis).
La crainte de ne pas pouvoir (bien, vraiment, complètement) mourir était le point de départ de ce fil, on la retrouve dans une foule de croyances (fantômes, vampires, etc.) et de rites toujours ambigus, car il s'agit autant d'assurer la mort (ou la vie éternelle, à ce point ça devient synonyme) au mort que d'en débarrasser les vivants (du cadavre d'abord, et de toute sorte de "revenances" ou hantises néfastes ensuite: apotropaïsme comme éloignement d'un "mal", maladie ou esprit impur). Comme je le remarquais en ressuscitant ce fil, la lecture de Blanchot (p. ex. L'espace littéraire, "Le regard d'Orphée", etc.) est très intéressante sous ce rapport (ou plutôt dans cette zone, mal définie par définition): à peine l'idée de la mort possible et redoutée, quoique certaine, se renverse en (conscience d'un) désir de la mort, la crainte de la mort se renverse aussi en crainte et même en certitude de ne jamais mourir, et le réconfort superficiel (façon Lucrèce) en supplément d'inquiétude (façon Hamlet): de la "mort possible" à la "mort impossible", tout l'espace et le temps de la littérature, de la religion et de la pensée...
A propos des "approches de la mort", qui permettraient de l'atteindre ou de s'en approcher en dépit de sa "fuite", je rapprochais (!) ce matin la "tristesse jusqu'à la mort" (Marc 14,34//) de l'"obéissance jusqu'à la mort" (Philippiens 2,8 ) -- bien que la préposition traduite par "jusqu'à" ne soit pas la même (eôs / mekhri). Etant entendu que l'"obéissance" en grec implique l'écoute (hupèkoos > hup-akouô, entendre ou écouter d'au-dessous, qui rappelle aussi l'hupo-monè de la "patience", demeurer dessous), il faudrait croire que la mort parle ou chante, pour guider ou égarer qui s'en approche (le chant des sirènes, c'est aussi une méditation de Blanchot dans les mêmes parages, Le livre à venir). |
| | | free
Nombre de messages : 10102 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Jeu 23 Juin 2022, 15:24 | |
| Première découverte : la mort n’est pas seulement un événement (« il vient de mourir ») et un état irréversible (« il est mort »), elle est aussi un processus, que les auteurs du passé essayaient d’exprimer par la formule « il se meurt ». Si l’on considère la mort comme un mouvement, un processus, alors on peut changer le regard que l’on porte sur elle. Apprendre à mourir ne requiert aucune compétence particulière, et pourtant, remarque avec humour Frédéric Nef, la faculté de mourir est la « seule tâche toujours réussie ». Ne peut-on alors déceler dans ce mouvement vers la mort quelque chose comme une « légèreté métaphysique », presque une « joie », à l’approche du trépas ? Peut-être est-ce possible tout au bout de l’angoisse, quand la noirceur de ce moment qui approche est remplacé par la conscience qu’on ne peut pas être spectateur de sa propre mort. « Je meurs » n’exprime aucune réalité. C’est un énoncé mal fondé. La mort, tout bien considéré, est un « non-objet ».
Que signifie, alors « être mort », si l’on n’en a jamais l’expérience ? Il n’y a pas de théorie scientifique de la mort, selon Frédéric Nef, car, pour lui, « l’instant du changement » reste inaccessible à la connaissance. Il conteste les théories qui imaginent une survie après la mort – après tout, on n’en sait rien. Mais il marque sa préférence pour l’hypothèse du « présentisme » : notre être est fixé dans une réalité qui se maintient pour toujours. Pourquoi, alors, parle-t-il de « résurrection » ? Il ne faut pas y voir, d’après lui, ce que la religion a voulu en faire : un passage dans un au-delà, jusqu’au Jugement dernier. Ce voyage implique en effet l’éternité du temps, qui est d’après lui logiquement incompréhensible. Mais si, avec la théorie du présentisme, le temps n’existe pas, alors la séquence passe-présent-futur n’a aucun sens. Ce qui permet à Frédéric Nef de dire que « nous mourons une fois et nous ressuscitons aussi sec. […] La mort et la résurrection sont deux faces du même événement, ou mieux : mourir et ressusciter sont une seule et même chose ».
https://www.philomag.com/articles/frederic-nef-et-si-la-mort-nexistait-pas |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12460 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: la mort en fuite Jeu 23 Juin 2022, 16:29 | |
| On espère le livre moins bête que sa recension...
"Je meurs" peut être un énoncé parfaitement réaliste, du moins autant que "je vis" ou "je suis vivant" -- dans la mesure où l'on accepte l'identification d'un vivant, qui peut bien être mourant, à un "je", selon la convention de la langue: c'est "je suis mort" qui ne le serait jamais, sinon par le détour d'un artifice qui fait parler le mort à la première personne et au présent, qu'il s'agisse d'un autre ou de soi-même tel qu'on s'anticipe, futur cadavre, âme, esprit ou fantôme, ou même "rien", mais qui dirait encore "je". Mais c'est aussi d'une telle fiction que s'autorisent toutes les figures religieuses, philosophiques, psychologiques, littéraires de la mort accomplie, passée, dépassée par anticipation: je suis mort, ce n'est plus moi qui vis, je suis un autre, je ne suis plus personne. Comme dit candidement le Christ de l'Apocalypse, "je suis devenu (un) mort (egenomèn nekros) et voici, je suis vivant (zôn eimi) pour les âges des âges (siècles des siècles = pour toujours)".
Puisqu'on revient à l'Apocalypse dont on a maintes fois noté, d'une part, la naïveté volontairement ou involontairement profonde dans un grec rudimentaire et souvent "barbare", d'autre part le paradoxe eschatologico-scénaristique d'une fin imminente toujours retardée, on peut aussi rappeler la formule de 10,6, "il n'y aura plus de temps", khronos ouketi estai, qui vaudrait également pour "la mort", au point insaisissable où elle sépare le soi-disant "sujet" qui "meurt" de l'"objet-cadavre" qui "est mort", dont on peut dire qu'ils sont "le même" et qu'ils ne sont pas du tout "le même", selon le point de vue qui révèle aussi des "temps" incommunicables, en plus d'un sens... |
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