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 alliances avec la mort

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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeLun 11 Jan 2021, 16:43

Nul ne peut ainsi envisager perdurer indéfiniment dans le temps. On conçoit de toute façon difficilement un monde où les êtres humains se multiplieraient sans fin depuis l’origine de la vie. L’espace vital finirait par manquer. C’est pourquoi Jonas exhorte chacun d’entre nous à remettre en question cette « nostalgie éternelle de l’humanité » : « Dans quelle mesure cela est-il désirable ? Dans quelle mesure est-ce désirable pour l’individu, dans quelle mesure pour l’espèce » Si la mort est un fardeau imposé par la loi de la nature, Jonas insiste pour qu’elle soit reconnue, pour cette même raison, comme une grâce qui assure le sain renouvellement de l’espèce humaine.
(…)
En fait, il n’existe pas de principes qui permettraient de guider l’être humain appelé à mourir. À la rigueur, on fait parfois référence à diverses étapes comme en témoigne d’abord un texte chrétien écrit en 1942, qui s’intitule l’Ars moriendis ou « art de mourir ». Ce document, selon Jean-Yves Leloup, pourrait vraisemblablement « nous aider à nous préparer à mourir ». On y présente le processus du mourir comme un « combat entre deux forces, entre deux anges », où se déroulent non seulement les étapes que sont le doute, le désespoir, l’avarice, la colère et l’orgueil, mais aussi celles de la beauté, de la foi, de la confiance, de la générosité, de la patience et de l’humilité qui, éventuellement, mènent à l’abandon.

« Connaître une belle mort » et « mourir de sa belle mort » : expressions réalistes ou idéalistes ?

Aussi que peuvent bien signifier les expressions « connaître une belle mort » et « mourir de sa belle mort » ? Précisons déjà que la première expression, « connaître une belle mort », se rapporte davantage au processus du mourir qu’à la mort en soi. Elle représente généralement le fait de la personne qui s’éteint sereinement, paisiblement, c’est-à-dire sans les afflictions de douleurs extrêmes ou les tourments de l’angoisse. Quant à la seconde expression, « mourir de sa belle mort », elle fait allusion à la beauté d’un mourir qui prend place naturellement, c’est-à-dire au terme d’une longue vie. Mais en fait, dans un cas comme dans l’autre, le mourir peut-il ainsi être qualifié de beau ? Ne s’agit-il pas d’une idéalisation, d’un affront à la réalité du mourant ?

Déjà Aristote attestait de la possibilité d’attribuer au mourir le caractère de beau lorsqu’il a écrit qu’« on montre du courage dans des circonstances où on peut […] mourir d’une belle mort ». Précisons cependant que le philosophe n’accordait pas ainsi une beauté au mourir en soi, mais plutôt une beauté morale liée à l’intention de l’homme vertueux qui, par exemple, sacrifie sa vie pour ses amis.
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2009-v65-n1-ltp3405/037941ar/
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeLun 11 Jan 2021, 23:49

C'est à peu près le contre-exemple de l'article précédent: comment noyer des textes parfois excellents dans une soupe insipide, à force d'enfiler inintelligemment les citations et les banalités et d'enfoncer les portes ouvertes (cela dit pour mixer les métaphores dans le même style): il faut peut-être s'y mettre à plusieurs...

Restent quelques bons morceaux (les citations précisément, enfin, quelques-unes), à défaut de pensée.

Le barbarisme ars moriendis m'a tout de même fait exhumer ceci, à toutes fins utiles.
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMar 12 Jan 2021, 11:59

Citation :
la mort en face
 
Qu'il soit impossible à "l'homme", individuel ou même collectif, de regarder la mort en face -- comme le soleil, selon La Rochefoucauld; ou comme "Dieu", selon une partie de la tradition "biblique", qui d'ailleurs noue différemment cette impossibilité-ci avec la mort de "l'homme": on ne pourrait voir (la face de) Dieu et (continuer à) vivre (Exode xxxiii, 20; contra xxiv, 10s, p. ex.) -- voilà somme toute un préjugé, ou une croyance, que notre "époque" prétendument affranchie de tant de préjugés et de croyances semble fort peu disposée à mettre en question, si souvent qu'il ait pu sembler contredit par "l'expérience". Il faut être en effet d'un dogmatisme à toute épreuve pour nier (ou seulement douter) qu'aucun vieillard, aucun blessé, aucun malade, aucun mourant, aucun endeuillé, aucun médecin, aucun vétérinaire, aucun boucher, aucun bourreau, aucun condamné, aucun suicidé, aucun meurtrier, aucun soldat, aucun chasseur, aucun pêcheur, aucun éleveur, aucun penseur, aucun écrivain ait jamais, au grand jamais, envisagé droitement cette mort qu'à quelque titre il côtoyait -- pour soupçonner chez tout un chacun, à ce point, un défaut de rectitude, la fuite ou la déviation d'un faux-semblant ou d'une esquive.  ceci

"Regarder la mort en face, c’est aussi contempler la beauté de la vie" :  https://www.lalibre.be/debats/opinions/regarder-la-mort-en-face-c-est-aussi-contempler-la-beaute-de-la-vie-5f9c4b617b50a6525bb1fa5f


« Voir de ses propres yeux »

Apprivoiser l’idée de la mort même

Si la mort est devenue une obsession pour la narratrice, c’est qu’elle l’encercle. Autour d’elle, les êtres aimés, adorés même, disparaissent.
« Pour que votre décès devienne pensable, pour que je puisse me l’incorporer, je dois l’inscrire dans une histoire qui vous excède, celle de l’art et des sciences », note-t-elle.
Pour s’« incorporer » la mort, apprivoiser son idée même, il faut lui donner corps, la regarder en face. Débute alors une collecte maniaque et minutieuse d’images et de textes qui aident à rendre visible ce qui s’est soustrait au regard et au monde tangible.
La narratrice écume les expositions d’écorchés, se plonge dans les planches du XVIe siècle du premier anatomiste André Vésale, assiste à la dissection d’un cheval à l’école vétérinaire, convoque les mots de Jacques Roubaud, mais aussi les photographies de Sally Mann ou le mythe d’Artémise qui ingéra les cendres de son époux Mausole pour devenir « son sépulcre vivant et animé ».
Dialogue fécond
Elle rappelle aussi ces temps pas si anciens où l’on fréquentait la mort au lieu de l’esquiver et de l’euphémiser :
« Les bourgeois du siècle des Lumières collectionnaient les préparations anatomiques, la morgue attirait les foules ; elle a été un des monuments parisiens les plus visités du XIXe siècle. On y venait seul ou à plusieurs, même avec ses enfants. »
Et elle cite Léon Gozlan :
« On va là pour voir les noyés, comme ailleurs on va pour voir la mode nouvelle, les orangers en fleur, les marronniers qui se rouillent au vent d’automne, le printemps et l’hiver. »
Dans ce dédale de références qui se télescopent à la façon des illustrations disparates de « l’Atlas Mnémosyne » composé par l’historien de l’art Aby Warburg, la narratrice est guidée par une mystérieuse femme en vert, fil rouge de sa déambulation à la frontière entre le monde des vivants et des défunts. C’est dans l’espace du livre et de l’écriture que s’instaure un dialogue fécond avec les morts, qui, après leur disparition, ont encore tant à nous offrir. https://www.nouvelobs.com/critique/20200519.OBS29070/helene-giannecchini-regarder-la-mort-en-face.html
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMar 12 Jan 2021, 15:06

Je suis heureusement surpris (déçu en bien, comme on dit en Suisse), sur ce sujet, par l'archevêque de Paris. Dommage que cette logique ne rencontre jamais celle, diamétralement opposée, de l'"obsession vitaliste" du catholicisme moderne dont on parlait plus haut (avortement, suicide, euthanasie, etc.) -- je ne doute pas qu'elles se rencontrent de temps à autre dans la tête d'un prélat ou dans des débats théologiques confidentiels, mais ça n'atteint guère les "laïcs" (au sens classique des fidèles de l'Eglise), qui doivent avoir bien du mal à comprendre pourquoi leur hiérarchie ne surenchérit pas (trop) sur le mot d'ordre universel "sauver des vies" -- sans parler du "grand public".
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeSam 31 Juil 2021, 12:27

Je repense à l'histoire d'Ezéchias (2 Rois 18--20 // Isaïe 36--39 // 2 Chroniques 29--32), dont on pourrait faire un fil à part mais qui se rattache aussi à ce thème des "alliances (ou des calculs) avec la mort", surtout par ses deux derniers épisodes (maladie et guérison miraculeuse, visite des émissaires de Babylone et annonce de l'exil à Babylone) et sa conclusion (dans les Rois et Isaïe, non dans les Chroniques) qui m'a longtemps paru choquante -- comble de l'égoïsme, sur le mode "après moi le déluge": "Et Ezéchias dit à Isaïe: Bonne est la parole de Yahvé que tu as dite; et il dit: N'est-ce pas, s'il y a (car il y aura, Isaïe 39,8 ) paix (shalom) et vérité-fidélité ('emeth) durant mes jours ?" (2 Rois 20,19).

Il faudrait bien sûr replacer tout cela dans le cadre de chaque oeuvre, qu'il s'agisse de l'"historiographie deutéronomiste" des Rois (qui pour la classification hébraïque se situe dans la catégorie des "[Premiers] Prophètes"), ou de la compilation du grand livre "prophétique" et poétique d'Isaïe. La séquence-sandwich, si j'ose dire, du "bon" roi Ezéchias, du "mauvais" Manassé et du "bon" Josias, chacun exemplaire à sa manière selon les critères des rédacteurs, est assez remarquable pour être remarquée, entre la prise de Samarie (et le siège de Jérusalem) par les Assyriens et celle(s) de Jérusalem par l'empire néo-babylonien. L'enchaînement des événements sur plusieurs générations paraît rétrospectivement inéluctable, ce qui convient bien à une "théologie de la rétribution" collective et à long terme comme celle des Rois (les compilateurs d'Isaïe y trouvent sans doute un intérêt légèrement différent, p. ex. autour de la "foi" qui joue un rôle important dans les diverses sections du livre); cela ne suffira plus à la "rétribution" individuelle et quasi instantanée du Chroniste (d'où, comme on sait, la nécessité d'imputer des "fautes" aux "bons" rois et des "repentirs" aux "mauvais" pour "expliquer" chaque tournant de chaque destin, indépendamment du cours général de l'histoire).

Toujours est-il que, dans les Rois comme dans Isaïe, la réponse d'Ezéchias à l'oracle de Yahvé ne suscite aucun commentaire, ni favorable ni défavorable. Elle reste, pour le personnage comme pour le chapitre (et pour la première grande section du livre dans le cas d'Isaïe), le mot de la fin, après la parole de Yahvé lui-même. Fin de partie et fin de point de vue, pour dire le "bon" et le "mauvais" de ce point de vue-là, auquel toute "suite", bonne ou mauvaise, échappe, et à laquelle il échappe par la même occasion. (On peut en entendre un lointain écho dans le Trito-Isaïe, 57,1s, mais celui-ci s'ouvre déjà sur une tout autre perspective, celle de la récompense des "justes", "martyrs", etc., après la mort et/ou hors de l'histoire.)

Les Chroniques, en revanche, modifient considérablement cette fin: en supposant, selon leur habitude, des "péchés de vieillesse" à Ezéchias (ingratitude et orgueil) pour expliquer ses mésaventures, puis un repentir pour que la catastrophe n'arrive pas de son vivant (32,25s); elles reprennent en outre le même schéma pour Josias, dans l'oracle de Houlda, à ceci près que la promesse de mourir avant le désastre fera cette fois-ci partie intégrante de la parole favorable de Yahvé: ne pas voir la suite, c'est pour Josias une grâce (2 Chroniques 34,28) -- même s'il faut ensuite invoquer à nouveau une sorte de "faute" (ne pas reconnaître dans l'avertissement du Pharaon Néco une parole de Dieu !) pour justifier sa mort effective (35,20ss).

Dans tous les cas les dieux comme les hommes comptent et calculent avec la mort, notamment pour déterminer le "bon" et le "mauvais" du point de vue de tel ou tel. Il y a, bien sûr, de tout autres manières de compter et de calculer avec elle, comme celle de Samson déjà évoquée ici et ailleurs, où se confondent la "prise de risque" du guerrier et le "sacrifice" du martyr.
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMar 03 Aoû 2021, 11:09

Le roi Manassé: héritage et conflit du pardon
De Innocent Himbaza

Commentaire qui n'a un lien direct avec le thème de notre fil mais qui est intéressante.

D'abord la théologie de la rétribution personnelle ( c'est l'âme qui pèche qui mourra ), partagée avec Jr 31,29-30 et Ez 18. Selon ce principe, Dieu  n'a pas à punir le juste à cause de l'injuste. L'auteur dre 2 Ch l'avait dit en 2 Ch 25,4 en citant Dt 24,16. Il nous semble donc que nous devons écarter ce que certains appellent la théologie de la rétribution immédiate. La rétribution est immédiate seulement dans la mesure ou elle est personnelle. L'accent est mise sur l'effectivité de la punition ainsi que sur l'identité de celui qui est puni, il n'est  pas mis sur le temps qui s'écoule entre le péché et la rétribution qui s'ensuit. Le seul passage de 2 Ch qui semble ne pas s'accorder avec cette théologie est 32,26 ( "Alors Ézéchias, en dépit de son orgueil, s'humilia avec les habitants de Jérusalem, et la colère du SEIGNEUR ne s'abattit pas sur eux pendant la vie d’Ézéchias " ). En effet après qu’Ézéchias est devenu orgueilleux, il a attiré le courroux de Dieu sur lui, sur Juda et sur Israël.  Et puis, après son humiliation, "le courroux du Seigneur ne vint sur eux pendant sa vie". Si cette phrase voulait dire que le courroux du Seigneur fut décalé, dans ce cas précis la rétribution ne serait ni personnelle, ni immédiate. Ce passage de 2 Ch s'accorde avec la conception de 2 R 20,14-19 *, ou le prophète Esaïe annonce la déportation à Babylone à cause d’Ézéchias, mais pas de son vivant. D'ailleurs, celui-ci se réjouit de cette annonce dans la mesure ou la punition ne le touchera pas lui-même. Cependant, 2 Ch reprend cette idée avec une telle discrétion, qu'on peut  penser que la phrase en question signifie seulement que, sans décaler la punition, Dieu a décider de ne pas punir Ézéchias .


* "Esaïe, le prophète, vint ensuite trouver le roi Ézéchias et lui dit : Qu'ont dit ces hommes-là ? D'où venaient-ils ? Ézéchias répondit : Ils sont venus d'un pays lointain, de Babylone. Esaïe dit encore : Qu'ont-ils vu dans ta maison ? Ézéchias répondit : Ils ont vu tout ce qui est dans ma maison : il n'y a rien dans mes trésors que je ne leur aie fait voir. Alors Esaïe dit à Ezéchias : Ecoute la parole du SEIGNEUR ! Les jours viennent où l'on emportera à Babylone tout ce qui est dans ta maison, tout ce que tes pères ont amassé jusqu'à ce jour ; il n'en restera rien, dit le SEIGNEUR. On prendra de tes fils, qui seront sortis de toi, que tu auras engendrés, et ils seront des eunuques dans le palais du roi de Babylone. Ézéchias répondit à Esaïe : La parole du SEIGNEUR, que tu as prononcée, est bonne. Il ajouta : N'y aura-t-il pas paix et sécurité pendant ma vie ?" (2 R 20,14-19).


Lien (réduit)
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMar 03 Aoû 2021, 11:50

Pour rappel, le Deutéronome (24,16, effectivement cité en 2 Chroniques 25,4) n'intègre le principe de la rétribution individuelle qu'au niveau de la "justice humaine", judiciaire ou autre: Yahvé, pour sa part, se réserve expressément le droit de punir sur plusieurs générations, comme le montre la reprise du Décalogue en Deutéronome 5. C'est bien ce que présuppose l'historiographie des Rois (les péchés de Manassé condamnent irrémédiablement Jérusalem, malgré les "bonnes oeuvres" de son fils Josias, dans le cadre des "trois ou quatre générations"). Dans ce sens le Deutéronome comme les Rois restent en-deçà de Jérémie et d'Ezéchiel, où c'est bien de justice divine ET individuelle qu'il s'agit. En revanche les Chroniques portent la logique de Jérémie et d'Ezéchiel à ses conséquences extrêmes, récompensant chaque "bonne action" et châtiant chaque "faute", quitte à les inventer au besoin (ainsi l'orgueil d'Ezéchias pour expliquer son déclin, le repentir de Manassé pour expliquer son long règne, l'incrédulité de Josias pour expliquer sa mort violente); mais du même coup cette logique perd toute valeur explicative en ce qui concerne l'histoire longue: les péchés de Manassé ne peuvent plus justifier à eux seuls la fin de Jérusalem, comme dans les Rois (cf. 2 Rois 23,26; 24,3), il faut que ses successeurs "pèchent" individuellement comme lui jusqu'au bout et, contrairement à lui, ne se repentent pas (cf. p. ex. 2 Chroniques 33,22s).

Ce qui se rapporte davantage à notre sujet, c'est la mort individuelle comme "variable d'adaptation", qui devient pour le Chroniste une "faveur" explicite dans l'oracle divin (Houlda) lui-même (et ne l'est plus seulement dans l'appréciation du "bénéficiaire", si l'on peut dire, comme c'est le cas pour Ezéchias dans les Rois ou Isaïe). On passe, en somme, d'un "après moi le déluge" comme réponse humaine, à un "après toi le déluge" comme parole divine. Bien entendu, ainsi qu'on l'a déjà remarqué, cela ouvre la porte à toutes les perspectives futures de récompense individuelle au-delà de la mort (avec ou sans "résurrection"), mais dans les Chroniques il n'y a encore rien de tel: c'est la mort même, "fin de partie" et "fin de compte", qui constitue la "récompense" (relative) pour tel ou tel individu...
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMar 03 Aoû 2021, 12:40

La mort de Samson : Dieu bénit-il l'attentat suicide ?

Mais Dieu répond-il à cette prière? Le narrateur, il importe de le remarquer, ne dit pas qu'Adonaï répond à la prière de Samson, comme il l'a fait explicitement en 15,18-19. Là, lorsque, assoiffé, Samson appelle Dieu au secours, Dieu en effet intervient personnellement, ainsi que le rapporte le narrateur: «Dieu fend l'anfractuosité qui est à Lèhi; des eaux en sortent» (15,19). Dieu sauve de la sorte Samson qui peut enfin boire. Dans le récit de la mort, en revanche, point de mention d'une intervention divine; il ne nous est même pas dit que Dieu ait entendu la prière de Samson. Or on sait que, dans la Bible, la représentation de l'acte d'entendre est aussi importante que celle de l'acte de dire17. À moins d'une intervention immédiate de Dieu - «Les fils d'Israël crièrent vers Adonaï, et Adonaï suscita aux fils d'Israël un Juge qui les sauva» (Jg 2,9; cf. 3,15; 6,7; 10,10-11) -, c'est l'écoute et l'accueil de la prière par Dieu que le récit enregistre: «Manoah implora Adonaï [...]. Dieu entendit la voix de Manoah, et l'ange de Dieu vint de nouveau vers la femme» (13,8-9)18. L'un et l'autre de ces éléments manquent après l'ultime prière de Samson. Est-ce à dire qu'Adonaï n'est pas impliqué dans la mort du héros qui meurt de l'abus de sa propre force dans son désir d'une ultime vengeance ?

Le temple s'effondre en fait sur Samson et sur les trois mille assistants sans qu'il soit question d'une implication divine dans l'affaire: point de signe d'une réponse de Dieu à la prière ou d'une causalité divine dans l'écroulement du temple; et point de confirmation non plus, de la part du narrateur, sur le lien entre croissance des cheveux et force surhumaine. Au contraire, pour la première fois dans l'histoire de Samson, nous avons droit à la description de l'effort que requiert l'exploit herculéen: «Samson tâta les deux colonnes du milieu sur lesquelles reposait l'édifice, et il pesa sur elles, sur l'une du [bras] droit, sur l'autre du [bras] gauche [...]. Il se tendit avec force et l'édifice s'écroula sur les tyrans et sur tout le peuple qui s'y trouvait» (16,29-30). Le narrateur biblique, on le sait, est extrêmement économe; il n'«en rajoute» jamais sans intention expresse. À croire donc qu'en plus des pistes liées à la repousse des cheveux et à la prière de Samson, le narrateur ouvre par cette description une troisième piste: serait ce la force nue de Samson, d'un Samson psychologiquement dopé par la croissance de ses cheveux et par son désir de vengeance, qui fait s'effondrer le temple, donc sans aucune aide divine? Ce serait là le comble du burlesque dans une histoire qui n'en manque pas par ailleurs.

...

La faillite d'un système

Les versets finaux du chapitre 16 nous font méditer sur la stérilité de la figure de Samson. Sans doute, à un certain niveau, peut-on enregistrer le score du champion: «Les morts qu'il fit mourir dans sa mort furent plus nombreux que ceux qu'il fit mourir dans sa vie» (16,30)20. Mais une fois les comptes faits, le narrateur révèle que Samson est un homme sans suite : Samson est enterré par ses frères (16,31). En d'autres termes, notre homme à femmes n'a jamais engendré. Et la stérilité de l'homme s'accompagne de la stérilité du Juge dans sa mission: «II jugea Israël pendant vingt ans» (16,31), établit certes le narrateur, mais sa formule n'est pas suivie par celle qui sanctionne d'habitude l'activité des Juges bénéfiques: «et le pays fut en repos pendant 40 / 80 ans» (cf. 3,11.30; 5,31; 8,28). En outre, la première occurrence de cette notice en 15,20 précise qu'il jugea ces vingt ans «au temps des Philistins», comme si le narrateur entendait souligner que le Juge Samson se montre impuissant face au réel problème d'Israël, à savoir la domination de ses ennemis. Au terme du cycle de Samson, le narrateur laisse sans doute le lecteur libre d'apprécier la formule «il jugea» (15,20; 16,31): à charge de ce lecteur d'ajouter les guillemets ou les nuances d'ironie
qui s'imposent. https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2004_num_35_3_3386
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMar 03 Aoû 2021, 15:25

Excellente analyse (sur le cycle de Samson et l'ensemble des Juges, voir aussi ici), ce qui était d'autant plus méritoire au début des années 2000 où la tendance à la défensive, sur ce terrain de l'"attentat-suicide", était à peine retombée de son paroxysme (11.9.2001). Bien sûr il n'est pas question de dire que "Dieu bénit" quoi que ce soit, déjà parce que le "Yahvé" des Juges n'est pas exactement, pas encore et/ou pas toujours, le "Dieu" des monothéismes, juif, chrétien ou musulman; mais aussi parce que son rapport à Samson est extraordinairement ambigu, tantôt immédiat et quasi automatique (pour ne pas dire magique) et tantôt distant, voire indifférent, comme le montre fort bien cet article. Inconstant et pourtant constant, d'avant la naissance jusqu'après la mort, si on le lit depuis le chapitre 13 jusqu'à la fin du chapitre 16 qui le reconduit par la mort au lieu du commencement (v. 31), ce qui donne toute sa valeur au terme conventionnel de "cycle", ostensiblement solaire ici (Samson = Shimshon de shamash, le soleil, qui est aussi le dieu Shamash).

En lien indirect avec notre thème, on peut noter que la mort (y compris "animale") est particulièrement instrumentalisée dans le cycle de Samson, en tension de plus en plus grande avec son statut de "nazir" à mesure que celui-ci évolue de sa (première ?) définition guerrière à sa définition essentiellement rituelle dans les Nombres (miel du cadavre de lion, mâchoire d'âne, etc.). Toujours au plan de la pureté rituelle, Samson meurt avec les Philistins-incirconcis, ce qu'il a à la fois cherché et voulu éviter (cf. p. ex. 14,3; 15,18; 16,28ss), Yahvé accompagnant le mouvement à distance variable...

Beaucoup plus généralement -- c'est une banalité que de le dire mais on ne le pense jamais assez -- c'est toute la "culture" humaine, depuis les premières sépultures préhistoriques, mais aussi toute "vie" (biologique), du moins depuis les multicellulaires et la sexualité, toute "économie" et toute "écologie", qui se construit ou s'organise sur et autour de la mort, qui joue, compte, calcule continuellement avec autant que contre elle, la vie des uns dépendant de mille manières de la mort des autres.

---

Compte tenu de ce rapport essentiel de "la vie" à "la mort", qui ne sont jamais opposables en dernière analyse, l'idée d'opposer "la vie" à "la mort", voire de choisir entre "la vie" et "la mort" (exemplairement Deutéronome 30), passerait pour la plus stupide de toutes, si elle n'était pas l'expression élémentaire du même rapport, du point de vue du vivant-mortel qui est en même temps le seul "point de vue" digne de ce nom. Elle ne se "dépasse" que dans la mesure où le "point de vue" même se déplace, par les nécessités également élémentaires de "la vie la mort", de la chasse à la guerre ou au passage des générations. A l'autre bout, mythique ou mystique si l'on veut, l'énoncé sublime de Romains 14, nul ne vit pour lui-même, nul ne meurt pour lui-même, qui dépend lui-même d'un déplacement du "sujet", vers un "Seigneur" mort-et-vivant assumant ensemble toute "vie" et toute "mort".
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMer 04 Aoû 2021, 13:21

Sous une forme ou une autre, la sublimation de la mort, n’a rien de neuf et, sans doute, continue de produire partout un idéal du bien mourir, de façon à trouver une entrée adéquate dans l’autre vie. Dans les sociétés nobiliaires et guerrières du Moyen Âge, pour ne pas remonter plus loin, l’idéal d’une bonne mort se présentait sur le champ de bataille, le champ d’honneur dit-on encore aujourd’hui, en train de défendre une noble cause dans la boue, les larmes, le sang, les entrailles déchirées et exposées, c’est-à-dire l’explicitation spectaculaire du chaos et du non-sens. La mort idéale se vivait alors dans la dramatique d’une existence où le sujet, fort de sa dignité et de la valeur de sa cause, mettait sa vie en jeu pour que sa vie ait du sens. Avec l’avènement de la bourgeoisie comme catégorie sociale hégémonique, dans la modernité occidentale, un autre modèle s’est petit à petit imposé (Ariès 1967 ; 1975 ; Thomas 1975). La « bonne mort » du bourgeois, celle pour laquelle on prie dans les foyers, se veut une mort très douce (Beauvoir 1964), quitte à en cacher le caractère inéluctable à celui ou celle qui la vit, sans esclandres, au milieu d’une communauté plus ou moins étendue de proches, assistée des secours sinon de la religion, du moins d’une conscience apaisée. On ne dénie pas le caractère dramatique de l’événement — de toute façon, comment pourrait-on l’oublier ? — mais on peut faciliter l’avènement de l’inconnu en supportant moralement le mourant. Les solidarités alors en jeu ne sont certes pas celles des frères d’armes sur le champ de bataille : elles relèvent d’un autre type de relations, renvoyant au destin commun, voire à l’héroïsme de la vie ordinaire[6]. L’espérance peut y être enchâssée ou non dans des discours explicitement religieux. Peu importe : devant l’inconnu qui vient, elle étale des pratiques d’accompagnement qui vont de la compassion jusqu’aux techniques de pointe dans la dispensation de soins curatifs.

https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2020-v28-n1-theologi05782/1074677ar/
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMer 04 Aoû 2021, 15:05

Merci encore pour ce très bon article, qui mérite d'être lu attentivement, ne serait-ce que pour l'interroger -- bien entendu c'est la mort, mieux que quiconque, qui met en question tout discours sur "la mort", sur le "bien" ou le "mal mourir" quels qu'en soient les critères, ainsi que sur la vertu, la nocivité ou l'inanité de "l'espérance", dont les Grecs pré-philosophiques avaient su dire finement l'ambivalence foncière (Pandore).

Reste qu'une perspective apparemment dépourvue d'"espérance" (comme ont pu le paraître le bouddhisme, l'épicurisme ou Qohéleth p. ex.) est encore une "espérance" à sa manière, dans la mesure où elle anticipe l'extinction ou la disparition de "soi", comme "bonne" ou "indifférente", du point de vue même du "soi" promis à l'extinction ou à la disparition, ce qui n'est pas moins une "illusion de perspective" que les croyances religieuses dites "positives". Tout cela demeure jusqu'à son dernier souffle, pour le vivant-mortel, combat ou jeu avec et contre "la mort"; sa mort faudrait-il dire (en sautant de Bergman à Cocteau p. ex.), puisqu'elle est à la fois son "bien" ou son "mal" le plus propre, par appropriation abusive mais inévitable, et son expropriation ultime (dépossession, déposition, désistement, démission, défaite, on peut méditer à loisir tous ces synonymes et bien d'autres).

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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeJeu 05 Aoû 2021, 11:11

Esaie 28:14-15 : « ...vous dites : nous avons fait une alliance avec la mort, nous avons fait un pacte avec le séjour des morts … :

Ces formules peuvent se comprendre dans le sens ou une personne s’accorde pour perdre quelqu’un qu’elle va livrer à la mort afin acquérir une puissance ou une fortune ou une victoire (la mort étant vue comme une divinité) ...  Comme en 2 R 3, 26-27 :

"Le roi de Moab, voyant que le combat dépassait ses forces, prit avec lui sept cents hommes tirant l'épée pour se frayer un passage jusqu'au roi d'Edom ; mais ils n'y parvinrent pas. Il prit alors son fils premier-né, qui devait devenir roi à sa place, et il l'offrit en holocauste sur la muraille. Une grande colère s'abattit alors sur les Israélites, qui s'éloignèrent de lui et retournèrent dans leur pays"
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeJeu 05 Aoû 2021, 11:49

En effet, le sacrifice (quel qu'il soit: animal ou humain, d'expiation, de substitution, de propitiation, de fondation, de communion ou de conclusion d'alliance) implique toujours la mort, un arrangement et un calcul avec la mort, exemplairement dans le cas du sacrifice du fils premier-né (le trait particulièrement remarquable de 2 Rois 3, comme on l'a amplement montré ailleurs, c'est qu'un tel sacrifice est efficace, y compris contre Yahvé quand celui-ci outrepasse ses droits territoriaux). Et bien sûr cela vaut, mutatis mutandis, pour toutes les "tropiques" du sacrifice (figuré, métaphorique, métonymique, parabolique, symbolique, etc.). L'interdit du sacrifice humain dans la Torah, aussi catégorique qu'anachronique dans un milieu où la pratique n'est plus qu'un lointain souvenir, ne rend que plus spectaculaire la résurgence du thème dans le christianisme, même si les textes du NT évitent le plus souvent les lectures ouvertement sacrificielles de la mort du Fils -- elles n'y sont du moins pas si évidentes que dans les théologies ultérieures. Reste que l'ensemble du rituel chrétien, du baptême à l'eucharistie notamment dans leurs interprétations pauliniennes, joue ostensiblement avec la mort, même si ce n'est pas toujours sur un mode sacrificiel -- comme les "mystères" et les "gnoses" contemporaines réinterprètent des religions sacrificielles antérieures.

Sur Isaïe 28, revoir le tout début de ce fil: il n'y a rien là d'explicitement sacrificiel, quoique le sacrifice soit probablement implicite dans la notion même d'"alliance". En revanche "la Mort", personnifiée ou déifiée (Mot), est expressément évoquée, voire invoquée, comme garant(e) paradoxal d'une certaine sécurité.

Que "la mort" qui menace tout "vivant" le rassure aussi, aussi paradoxal ou même pervers que ça puisse paraître, c'est ce que retrouve tôt ou tard toute "sagesse", si peu "sage" qu'elle puisse être par ailleurs. Je repense à l'aphorisme de Nietzsche: "On est assuré de mourir: pourquoi perdre sa belle humeur ?" Ou à l'adage latin repris et concentré par les navigateurs portugais, et médité notamment par Pessoa: navigare necesse est, vivere non necesse est -> navegar é preciso, viver nâo é preciso (naviguer est nécessaire, vivre n'est pas nécessaire): c'est la constante oscillation de la "mort" entre possibilité et certitude (toute l'ambiguïté du "mortel" qui peut mourir et qui va mourir) qui déjoue la "nécessité".
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMer 09 Fév 2022, 12:08

Citation :
J'y étais revenu ici, à propos du fameux cas de Samuel en 1 Samuel 28, où le mort se plaint d'être dérangé...


https://etrechretien.1fr1.net/t1349p25-du-sommeil-au-reveil#30361

"Le juste disparaît, et personne ne réfléchit ; les hommes fidèles sont ensevelis, et personne ne comprend que le juste est enseveli pour échapper au malheur. Il entrera dans la paix, il reposera sur son lit, celui qui suit le droit chemin" (Es 57,1-2).

Is., 57, 1-2 se présente donc comme le témoin d'une mutation importante et l'amorce d'un approfondissement. Il est certain que dans son développement midrashique, l'auteur de Sag., 3-5 a lu dans ce passage d'Isaïe un témoignage sur le sort final des justes, la mort étant vue comme l'entrée dans la paix. Mais cette interprétation correspond-elle au sens originel du texte dans le livre d'Isaïe ? La question est discutée. Le dernier commentaire en date, celui de P.-E. Bonnard, refuse de voir en Is., 57, 1-2 la moindre allusion à une paix dans la mort (1). Je me propose ici de montrer que l'interprétation de Sagesse est loin d'être arbitraire et que ce texte d'Isaïe prélude sinon à l'espérance d'une immortalité bienheureuse, du moins à l'attente d'une paix par-delà la mort pour les justes, dont le sort se trouve ainsi radicalement distingué de celui des impies.

(...)

5. LA PROBLEMATIQUE THEOLOGIQUE

c. L'expression « il entrera dans la paix » nous conduit à l'idée d'ensevelissement, car elle ne se retrouve qu'à propos de la mort d'Abraham : wetta' tabô 'el 'abotêka beshâlôm. « Et toi, tu t'en iras vers tes pères en paix » et le texte poursuit : « tu seras enseveli dans une vieille heureuse » (Gen., 15,15) .

B. Duhm voit dans « la paix » un euphémisme pour désigner la tombe. Il note, du reste, aussitôt, que cette formulation est étonnante (« auffallend ») (22). Cette interprétation s'impose t-elle ? En fait la formule « dans la paix », ne qualifie pas le lieu de la tombe, mais la manière dont Abraham mourra, c'est-à-dire « ayant accompli » sa vie. Le mot shâlôm comporte l'idée de plénitude : c'est au terme d'une vie comblée qu'il s'en ira vers ses pères, ce que suggère la fin de la phrase : « dans une heureuse vieillesse ». D'ailleurs la construction est significative : le véritable complément de lieu ce n'est pas la paix mais « vers tes pères ». La formule beshâlôm n'apporte qu'une qualification à ce départ d'Abraham. Du reste, elle n'a pas l'article, ce que l'on attendrait si elle désignait la tombe. Elle n'est qu'une manière d'être et vise rétrospectivement la vie humaine « comblée ». Dans une telle perspective, selon la mentalité biblique ancienne, la mort n'est plus un scandale. C'est pourquoi, il convient de traduire : « tu t'en iras vers tes pères avec paix » et, en paraphrasant, « dans la sérénité d'une vie comblée ». A l'appui de cette interprétation, on peut invoquer la manière dont l'auteur de la Genèse formule la mort des patriarches et d'abord d'Abraham : « II expira puis mourut dans une heureuse vieillesse, âgé et rassasié de jours » {G en., 25,Cool. La paix, c'est cette plénitude de vie et de bonheur (cf. encore Gen., 35,27 ; 49,33).

(...)

d. Mais h., 57, 1-2 s'éclaire à la lumière d'un autre parallèle beaucoup plus proche, qui, à ma connaissance, n'a jamais été relevé par les critiques : « C'est pourquoi, dit YHWH à Josias par l'intermédiaire de la prophétesse Hulda, moi je te réunirai à tes pères et tu seras accueilli en paix dans tes tombes, et tes yeux ne verront pas le malheur que moi, je fais venir sur ce lieu» (2 R., 22,20 = 2 Chr., 34,28) (23).

(...)

Dans ces conditions, le rédacteur ,'Is., 57, 1-2, aurait lu dans cet oracle prophétique concernant Josias, le cas type du juste disparu prématurément et y aurait vu la clé de ce scandale. Il faut donc donner raison à ceux qui voient dans hârâ'âh le malheur imminent. Dès lors, si l'on se fie à ce rapprochement, le texte d'Isaïe n'envisagerait aucunement le sort du juste après la mort, mais la mort elle-même perçue comme un fruit de la prévenance divine. (Dans une ligne un peu différente, cf. Job, 3, 13-14).

e. Pourtant, si éclairant qu'il soit, ce rapprochement ne peut pas, lui non plus, rendre entièrement compte du texte d'Is.: 57, 1-2 et ceci pour deux raisons. : il y a d'abord des divergences significatives entre la construction de la phrase en 2 R., 28,20 et Is., 57, 1-2. Le sens du niphal nè'esaph s'est modifié. En 2 R., 28,20, Josias sera « réuni à ses pères, réuni à leur tombeau » (pour l'expression cf. encore Gen., 49,29 : « Je vais être réuni à mon peuple. Mettez-moi au tombeau près de mes pères »). Au contraire en Is., 57, 1-2, le verbe est pris de manière absolue sans complément et, en parallèle avec 'âbad, il ne peut signifier que « être enlevé » (« raflé » dit Bonnard). De ce fait, le verbe reste ouvert sur une possible intervention positive de Dieu. Dans l'expression, « être réuni à ses pères », le passif s'explique simplement par le fait évident que le défunt ne peut pas s'enterrer lui-même ; d'où le passif : « il est enterré, il est réuni ». Mais si l'on traduit par « être enlevé, être emporté », on laisse ouvert une large zone d'indétermination qui laisse place à une intervention possible de Dieu, puisque en hébreu, le passif peut être interprété en ce sens.

Surtout, dans l'expression yâbô'shâlôm, shâlôm devient le complément de lieu de yâbô' : il entrera dans la paix. Formule unique qui ne peut avoir le même sens que celui dégagé à propos de Gen., 15,15, ou de 2 R., 22,20. Il ne s'agit plus seulement de la manière dont le juste a vécu précédemment (Gen., 15,15»), ni non plus de la manière dont la mort et l'ensevelissement vont s'opérer : selon les rites prescrits (c'est le sens de 2 R., 22,20). Mais il s'agit réellement de la mort comme lieu de paix. La mort ouvre sur un espace de paix. Et lorsqu'on sait la plénitude de sens que renferme le mot shâlôm, on est en droit de conclure à une avancée importante, décisive même, dans les représentations sur la vie dans l'au-delà. Sans doute, ne décrit-on pas avec précision en quoi consiste cette paix : un mystère demeure. Mais une certitude est en voie d'être acquise (24).

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1977_num_51_1_2779
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MessageSujet: Re: alliances avec la mort   alliances avec la mort - Page 2 Icon_minitimeMer 09 Fév 2022, 13:26

Bonne étude à l'ancienne (1977, mais les méthodes exégétiques avaient moins changé depuis le XIXe siècle qu'elles n'ont changé dans les décennies qui ont suivi, les travaux ultérieurs de Bernard Renaud lui-même en offriraient d'excellents exemples)... Je ne sais plus si nous l'avions déjà vue, mais nous avions fait quelques remarques assez proches sur ce texte (Isaïe 57,1s) ci-dessus (31.7.2021, en particulier sur son rapport aux histoires d'Ezéchias et de Josias).

Nous nous sommes sans doute éloignés, depuis les années 1970, de la perspective "progressiste" ou "évolutionniste" qui voulait, sinon aligner l'"histoire" (des idées, des croyances, des religions, des sociétés, etc.) sur une seule ligne à la fois temporelle et qualitative, du moins l'organiser comme une arborescence: des idées opposées ont pu coexister simultanément dans différents lieux ou milieux, et des idées similaires se développer, disparaître ou resurgir à différentes époques. Cependant les analogies demeurent frappantes, notamment avec la Sagesse (voir la fin de l'article), même si l'on ne peut pas rétro-projeter la perspective judéo-hellénistique de ce livre alexandrin (on est bien là dans une sorte de dualisme sur le mode de l'"immortalité de l'âme" grecque, sans "résurrection" des corps) sur le texte d'Isaïe 57: les autres "rapprochements" (avec Rois-Chroniques, Genèse ou Job) devraient du moins nous en dissuader.

Plus généralement, on retombe sur la communication profonde des opposés superficiels dont nous parlions ailleurs: rien ne ressemble plus à "la vie éternelle" (qu'on l'entende au sens du christianisme, du judaïsme tardif, ou de l'Egypte hellénistique p. ex.) que "la mort" (même comprise un sens aussi "négatif" que dans Job ou Qohéleth), ne serait-ce que par la "paix" qui caractérise indifféremment l'une et l'autre (cf. aussi ici). Kant (Zum ewigen Frieden, De ou Vers la paix perpétuelle) pouvait ironiser sur la "paix des cimetières", celle-ci ne se laisse pas si facilement distinguer de toute (autre) "paix".
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