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Narkissos

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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeVen 24 Déc 2021, 12:44

Je profite de la "trêve des confiseurs" (ou des confineurs) pour revenir à ce sujet, et à la question même du "sujet" dit "un" -- sujet grammatical du verbe d'état (être ou devenir) exprimé ou sous-entendu, et qui constitue la "copule" de la "prédication" logique élémentaire (S est p, Sujet est prédicat, le prédicat n'étant que l'espèce logique de l'"attribut" grammatical, en l'occurrence: X est "un"; bien sûr, pour qu'il y ait "prédication logique", susceptible d'être jugée "vraie" ou "fausse" et non seulement "tautologique", X est X, il faut que le prédicat, adjectif ou nom commun, soit distinct du sujet singulier et plus général: "Socrate est un homme", "ce chien est noir", "la neige est blanche", cela signifie quelque chose à condition qu'il n'y ait pas que "Socrate", "ce chien" ou "la neige" à être respectivement "un homme", "noir" ou "blanche"; avec "X est un", contrairement aux apparences, c'est beaucoup moins simple, a fortiori quand X est Dieu avec majuscule, unique par définition).

On peut n'éprouver aucun intérêt pour la théologie ni pour la philosophie, ni pour la grammaire ni pour la logique, on n'en serait pas pour autant quitte de l'"un" ni de l'"être un", qui nous rejoindrai(en)t de toute façon, par la "politique", le "droit" ou la "psychologie" entre autres. L'unité présumée de l'Etat (cité, nation, royaume, empire ou république, encore "une et indivisible"), l'unité de la "structure" ou du "système" quel qu'il soit (politique, économique, financier, commercial, social, linguistique, mécanique, physique, physiologique, biologique, écologique), l'unité de l'"individu" réputé "indivis(é)" et par là justiciable, juridiquement et pénalement responsable de ses actes, "un" et "le même" (identité, ipséité) en dépit de tous ses changements, de la diversité et de la variabilité de ses idées et de ses opinions, de ses sentiments ou de ses humeurs, de ses déterminations et de ses influences, de ses désirs ou de ses peurs, c'est toujours la même et elle est toujours aussi problématique: posée d'entrée de jeu comme un problème ou une question, une hypothèse, un axiome ou un théorème, donnée, supposée et présupposée en-deçà et en dépit de toute "expérience". Avec le nom commun, le genre et le nombre qui l'accompagnent, même sous la forme discrète de l'article indéfini en français qui se confond avec le numéral (un homme, une femme), désigné et assigné par un démonstratif (cet homme-ci, cette femme-ci) ou par un nom "propre", un prénom, un pronom sujet ou objet (je-me-moi, tu-te-toi, il-le-lui, elle, nous, vous, ils-eux, elles), tout ce qui se nomme, se compte et se pense se pense a priori comme un, jusque dans la pluralité qui se compte en "unités". En ce sens l'"un" se confond avec l'"être": même si, comme Plotin, on situe l'"un" au-dela de l'être (epekeina tès ousias, qu'on comprenne ousia comme essence, existence ou étantité), il faut bien que cet "au-delà de l'être" soit de quelque manière, donc nullement au-delà de l'être stricto sensu; étant comme tout le reste, plus ou moins que tout le reste, même s'il ne fait pas nombre avec le reste (ce n'est pas "un de plus", qui serait "un de trop", appelant encore et indéfiniment une unité supérieure pour le penser avec le reste).

L'"un" (ou l'"être") qui est l'horizon même de la pensée se confond aussi, pour nous, avec le "zéro" qui n'est apparu que tardivement parmi nos "chiffres" (via le sifr arabe, justement, mais la racine spr en hébreu signifiait déjà compter et conter, raconter, le livre et le scribe narrateur ou comptable), comme le "fond" uni, noir, blanc ou gris, mais aussi bien vide ou absent, sur lequel se détachent toutes les différences et les ressemblances nommables, concevables, mesurables, calculables. Fond sans fond, fondement et abîme de l'origine ou de l'horizon de l'"être" comme de la "pensée", indifféremment "un" ou "rien" (on serait tenté d'écrire riun). Le "Dieu" monothéiste se confond fatalement avec le nihil auquel il s'oppose (ex nihilo : a deo), et cette singulière singularité de l'un-zéro se propage du commencement à la fin comme du rien au tout (du Dieu seul au Dieu tout en tout/s, kénose-plérôme, çim-çoum / shekhina, etc.).

Dans la tradition "biblique", ainsi qu'on l'a souvent noté, c'est la pensée paulinienne du "corps" (qui a évolué de 1 Corinthiens aux deutéro-pauliniennes, Colossiens-Ephésiens, et qui vient de beaucoup plus loin, cf. son usage "politique" par Menenius Agrippa à Rome) qui illustre le mieux, à défaut de vraiment le penser, le rapport de l'"un" à la différence (multiplicité, diversité des "membres", "organes", "fonctions"). L'"un" se dit précisément de la différence, il ne se dit significativement que d'elle (le "corps" c'est l'"un-différant", de lui-même en plus d'un sens, parce que c'est le différant qui est "l'un"), mais il doit quand même se dire et dans une polyvalence infinie, suivant la métonymie du "corps" (corps individuel, humain, animal, végétal, minéral, physique, terrestre ou céleste, "collectif", cité, Etat, Eglise, voire corps cosmique ou universel, dans un singulier résorbant ou subsumant tout pluriel). A tous les niveaux se repose l'alternative impossible de l'"unité" par inclusion (qui à la limite ne tolère aucune limite, ne saurait s'arrêter à moins d'englober et d'embrasser "tout" -- impérialisme ou universalisme) OU par exclusion (qui écarte, rejette ou évacue l'autre, le différent, l'étranger, l'inassimilable, de son "identité" toujours suspecte d'altérité, jusqu'à la nullité de l'unité "idéale", abysso-fondamentale, encore 1 = 0, 1 / 0, 1 : 0...).

Alternative aussi (c'est à peine autrement la même) de "l'un" et de "l'autre", du "soi" et de l'"autre", qui ne cessent de se distinguer et de se confondre (il faut penser "soi" comme distinct de l'"autre" pour penser l'"autre comme soi-même", ou "soi-même comme un autre", par un mouvement perpétuel qui ne s'arrête pas au "semblable" et ne sort jamais de l'"un", ni de l'"être", ni de la "différence"); et quand un nom comme "Dieu" (nom commun et nom propre, c'est déjà singulier) prend la place de "l'un", ou de "l'autre" (tout-autre selon Kierkegaard ou Barth, tout-autre qu'un autre répliquera Panikkar, mais tout autre est tout autre, remarque Derrida), ce n'est pas seulement "lui", mais toute relation d'un "soi" ou d'un "moi" avec "lui" qui participe de la même oscillation sans fin entre l'"un" et l'"autre", ou entre l'"autre" et le "même" (j'ai le vague souvenir d'un passage de Giono rapportant la parole d'un paysan provençal, en substance: "Ou bien Dieu est tout et partout et je suis une partie de Dieu, ou bien il est en dehors de ma peau et lui et moi on ne se rencontrera jamais. Choisis", avec le commentaire: "Je n'ai pas choisi". Cf. cet autre fil intéressant sur le "dedans-dehors"). A ce propos on peut repenser à la subtilité johannique de l'inclusion réciproque (X en Y ET Y en X), qui de la commutativité paradoxale (normalement une inclusion ne se renverse pas) passe à la transitivité -- le Père dans le Fils et le Fils dans le Père, le Fils (et le Père) dans les élus et les élus dans le Fils (et le Père), les élus (etc.) dans le monde... -- la "logique" synchronique réduirait tout cela à la platitude d'une égalité ou d'une identité statiques, d'un panthéisme tautologique (Dieu est tout, tout est Dieu), quand il y a là tout l'espace et le temps du jeu et du mouvement, et autant de manières d'"être un", "soi" et "autre".
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeLun 27 Déc 2021, 14:14

L’un et l’autre

Ce qui est purement logique, en tant que contenu sous la forme de l’un, nous intéresse aussi à un autre titre particulier. Nous rencontrons avec lui une notion désignée par le terme « un » et son rapport au concept de l’un doit donc être clarifié. L’un, c’est-à-dire le contenu sous la forme de l’un, est-il déjà le chiffre un ? La forme purement logique de l’« un » signifie-t-elle l’unité numérique ? La désignation linguistique à elle seule ne nous fournit pas de raison pour l’admettre. Il faut donc d’abord prévenir le risque d’une confusion engendrée par la terminologie. Le concept de l’un, comme nous l’avons vu dès le début, est très équivoque. Il réclame une définition exacte de ce que nous entendons par ce terme, s’il n’est pas censé signifier autre chose que la forme que doit avoir un contenu pour devenir objet de la pensée en tant qu’« un » contenu quel qu’il soit.

Au lieu de l’« un », on dit aussi « un et même » ; ce qui indique que chaque objet, pour en être « un » doit être le « même » objet, et il en est bien ainsi. C’est la raison pour laquelle nous préférons parler, lorsqu’une erreur pourrait se faire jour, de l’identique plutôt que de l’un, ou c’est pourquoi nous nommons identité la forme de l’un que tout contenu doit avoir pour devenir objet théorique en général. Ce faisant, nous n’explicitons pas la question de savoir si ce nom est réservé uniquement à la forme absolument universelle de l’objet en général, c’est-à-dire à la forme propre à tout objet. Quoi qu’il en soit, la forme de l’identité fait partie des présupposés ou des éléments de tout objet logiquement pensable, et, partant, de ce qui est purement logique.

Au minimum de forme que nous avons dans l’identité répond le minimum de contenu, déjà évoqué, le contenu quel qu’il soit qui réside dans la forme de l’identité. Nous pouvons aussi l’appeler « quod » (Was) pour le distinguer du « quelque chose » (Etwas), la constitution ou la « qualité » propre au fait qu’un contenu soit déterminé. Cependant, il ne faut pas en parlant de qualité avoir en tête la table kantienne des catégories, et en particulier la distinction d’avec la quantité, car un « quale », au sens que nous entendons ici, c’est bien ce que doit être tout contenu quel qu’il soit, qu’il s’agisse des qualités « primaires » ou des qualités « secondaires ». Le quantitatif comme objet, c’est-à-dire comme quantum est, à nos yeux, tout aussi déterminé « qualitativement » que le qualitatif au sens restreint, par exemple une qualité sensorielle. « Qualité » ne signifie rien d’autre ici que la constitution du contenu d’un objet en général ; et par conséquent, le contenu sous la forme de l’un ou l’objet doté de la plus grande extension pensable, donc l’objet purement logique, sont désignés comme qualités identiques. La « qualité » n’est purement logique que dans cette acception universelle, en tant que quod identique ou quale en général. Dans l’acception de qualité sensible elle est même plus éloignée de ce qui est purement logique que le quantitatif.

(...)

Afin que ce que nous pensons ne soit plus du tout ambigu, il faut ajouter une autre considération. Nous pouvons dire que l’un est simplement tel dans la mesure où il « n’est pas » l’autre. Mais nous ne devons pas alors nous imaginer que l’altérité serait seulement négation de l’identité, c’est-à-dire simple non-identité ou privation d’identité qui serait synonyme du non-quelque chose ou du néant si l’on tentait de la concrétiser ; nous ne devons pas nous imaginer qu’ainsi rien de « nouveau » ne s’ajouterait à l’un du fait de l’autre. Il nous faut au contraire tenir le plus rigoureusement séparées négativité et altérité, et, par conséquent, distincts ce qui n’est pas tautologique et ce qui est hétérologique ; car il est certain que l’un n’est pas l’autre et que l’altérité, ou la différence, n’est pas l’identité. Mais il serait erroné de croire que le « ne… pas », comme simple négation ou comme « non » annihilant au sens propre, suffirait pour faire surgir l’autre de l’un ou pour l’en déduire. La négation comme simple action de nier ou d’annihiler n’a jamais été dotée de pareille puissance magique, et, pour toute pensée qui veut connaître sa propre nature, il est important de le réaffirmer. Si nous pensons l’autre de l’un comme le non-un et néanmoins, en quelque manière positivement, comme l’autre, nous articulons toujours sur la négation, qui supprime l’un, quelque autre chose qui ne provient pas de la négation. La négation fait du quelque chose simplement le non-quelque chose ou le néant. Elle fait pour ainsi dire disparaître l’objet en général ; de même la non-identité ne peut jamais faire surgir l’altérité ou la différence. Cela provient du fait que la négation elle-même, pensée comme objet, présuppose déjà la différence d’avec la position, donc présuppose un autre, ou du fait que le néant dans son rapport au quelque chose n’est qu’un cas spécial de l’autre dans son rapport à l’un. L’altérité prend logiquement le pas sur la négation. Du point de vue logique, il est impossible de penser quelque chose qui serait plus originel que l’altérité qui appartient, outre l’identité, à l’objet purement logique.

https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2014-3-page-393.htm
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Narkissos

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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeLun 27 Déc 2021, 16:41

Bien que rien ne l'indique dans le lien direct (il faut aller dans l'onglet "Résumé" pour le savoir), c'est un texte de 1911, revu en 1924 -- Heinrich Rickert est une figure de l'"école néo-kantienne", largement éclipsée depuis par les Russell, Wittgenstein, Husserl ou Heidegger; son texte est long et austère, mais il mérite qu'on s'y accroche parce qu'il devient de plus en plus intéressant, même pour un lecteur du XXIe siècle peu féru de "logique pure", à mesure de sa progression (et ce en dépit de quelques fautes de traduction, de frappe ou de scan assassines, comme "quel chose" pour "quelque chose" ou "l'un est l'autre" pour "l'un et l'autre").

Si compliqué que ça puisse paraître, il y va de questions enfantines, mais littéralement essentielles, face auxquelles la plupart des enfants restent seuls, sans réponse aucune, ni chez eux, ni à l'école: on apprend à parler, parfois plusieurs langues, sans que personne ne nous dise jamais ce qu'est une "langue"; à compter sans savoir ce qu'est un "nombre", et de même l'histoire, la géographie, les "sciences naturelles" (jadis "leçons de choses"), éventuellement le catéchisme ou la morale (laïque), dans une confusion totale de tous les "savoirs", indifféremment appris et récités, rapportés aux mêmes chiffres d'évaluation sur le même carnet de notes, alors qu'on se doute bien qu'il s'agit à chaque fois d'un tout autre type de "choses", voire de "choses" qui ne sont pas des "choses" et n'en sont pas pour autant identiques ni comparables entre elles. Cela, il faut dans le meilleur des cas attendre la terminale pour qu'il en soit question dans un cours de philosophie, à condition encore qu'il ne se résume pas à une leçon de morale ou de politique... pas étonnant que tout le monde parle de "logique" sans avoir la moindre idée de ce que c'est, de ce que ça peut et ne peut pas être...

De là à comprendre "Dieu est un" (ou "trois et un" -- qui ne font pas quatre ! -- par exception arithmétique, qui n'échappe pourtant pas à la "logique" comme on le voit aussi dans ce texte), au sens de "Dieu est un nombre" (mais lequel ? et surtout qu'est-ce qu'un nombre ? "un" est-il vraiment, et seulement, un nombre comme "deux", "trois" ou "quatre" ?), il n'y a qu'un pas qui ne peut pas ne pas être franchi, ni plus ni moins confusément que tous les autres...

(Par coïncidence, j'ai revu récemment deux grands films -- Nostalghia, de Tarkovski, et Le désert rouge, d'Antonioni -- où la "paralogique" ou "pararithmétique" du 1 + 1 = 1 est explicitement mentionnée: dans le premier elle est écrite sur les murs de la maison délabrée du fou joué par Erland Josephsson, dans le second c'est l'enfant qui la montre à sa mère, en ajoutant une goutte d'eau à une goutte d'eau...)
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 29 Déc 2021, 11:38

Citation :
Si compliqué que ça puisse paraître ...

J'avoue et malgré une lecture attentive, ne pas tout comprend (loin s'en faut) à ce que je lis dans les liens que je propose, c'est à la fois complexe mais aussi étranger à ma logique, comme l'extrait suivant qui m'a perdu  Embarassed dont je suppose un réel intérêt :

Héraclite récuse à l’avance toute validité au principe qui soutient toute la logique occidentale, le principe d’identité, aussi appelé de non-contradiction. Ce principe a été mathématisé par la formule A = A. Or le symbole de l’égalité n’est pas la seule traduction de l’identité. Le même n’est pas égal à l’égal. Comme il n’y a rien de constant à quoi l’on puisse mesurer l’identité selon le temps, seul celui qui est capable de voir l’unité surgir des différences peut répondre de son ipséité comme étant bien la même dans le temps qui pourtant emporte tout sur son passage. Celui-là, qui n’est donc pas moi mais pas davantage un autre, s’il avait à se mettre en formules mathématiques, s’énoncerait comme A = A + non-A ou, comme Hegel le formule dans sa Science de la Logique : identité de la différence et de l’indifférence. C’est encore une manière de résorber la différence dans l’identité, alors que c’est à l’inverse la différence qui fait l’identité. Ce qui distingue Héraclite comme un hapax dans l’histoire de la pensée occidentale, c’est qu’il se refuse à établir une préséance, une priorité, par exemple du jour sur la nuit, et ici « jour » ne peut pas se donner en exemple fortuit, toute philosophie privilégiant les valeurs de clarté, présence, etc. Logos n’implique pas encore la domination de l’un opposé à l’autre, car il n’y a tout simplement pas d’autre à l’Un. Ce n’est pas qu’il soit toujours vrai. Même n’est pas encore le contraire d’autre. Il ne le deviendra que par l’introduction du Sophiste comme de celui qui peut tenir n’importe quel discours. Ce qui obligera Platon à bâtir sa maison de correction selon le modèle de la mimesis. Or il n’y a pas de similitude possible : à quoi ressemblerait l’unité jour-nuit ? Pas de modèle, pas d’original, et donc pas de copies : jamais égal à soi en tant que toujours différent de soi. Il n’y a de différence qu’avec l’Un ou seul l’Un diffère. Il diffère en lui-même. Appelons-le l’Un-Différent.

https://www.cairn.info/revue-poesie-2017-1-page-97.htm
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 29 Déc 2021, 13:15

Avant tout, il ne faudrait pas que la difficulté de cet extrait "logique" (qu'éclairerait déjà en grande partie ton lien précédent, plus "classique", notamment sur la différence entre "identité" logique et "égalité" mathématique) détourne de l'ensemble de l'article de Marc Froment-Meurice (dont je vois qu'il est déjà mort il y a deux ans): c'est une lecture très belle et pénétrante d'Héraclite, dont tout lecteur retirera beaucoup même s'il ne comprend pas tout. Du reste on peut lire et relire les quelques fragments d'Héraclite (p. ex. ici en grec, en français ou en anglais) et les innombrables commentaires qu'ils ont suscités (chez des penseurs aussi différents que Platon ou Aristote, les stoïciens, les Pères de l'Eglise ou les modernes, p. ex. Hegel et Heidegger), remarquer leurs analogies profondes avec des pensées complètement "étrangères" (hindouisme, bouddhisme, taoïsme), sans jamais "tout comprendre", en avoir fait le tour ou en avoir épuisé le "sens" -- inépuisable ressource où tout penseur, "instruit" ou non de quelque "instruction" que ce soit, trouvera toujours de quoi puiser en abondance.

Je me sens très proche de cette lecture, je constate que les mêmes formules (p. ex., à une lettre près, l'un-différant) me sont spontanément venues à l'esprit, et depuis longtemps -- ce qui n'a d'ailleurs rien d'extraordinaire ni d'"original", puisqu'elles sont en partie redevables aux mêmes "influences" (p. ex. Heidegger ou Derrida).

On pourrait revenir à la pensée exprimée dans ce paragraphe ("difficile" non dans son essence, au fond incroyablement simple, mais par ses rapports avec d'autres types de "pensée", logique ou mathématique, qui nous paraissent superficiellement plus familiers quoique nous les approfondissions rarement) par un autre chemin, celui de l'"impermanence" bouddhique dont nous avons souvent parlé ici grâce au chapelier toqué: de l'"impermanence" générale on peut tout affirmer et tout nier: elle "est" et n'"est" pas, à la fois une et multiple, ni une ni multiple; à la fois même et autre, ni même ni autre; à la fois tout et rien, ni tout ni rien, etc. C'est contradictoire, paradoxal, aporétique, en même temps tautologique, ça ne veut rien dire et ce serait pourtant la seule façon de parler justement de tout ce dont on peut et ne peut pas parler, de tout ce dont le langage ordinaire parle à la légère en distinguant tranquillement des "mots" et des "choses", des "sujets" et des "objets", jusqu'à ce qu'il s'arrête en se demandant ce que ça veut dire...
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 29 Déc 2021, 15:22

Citation :
Alternative aussi (c'est à peine autrement la même) de "l'un" et de "l'autre", du "soi" et de l'"autre", qui ne cessent de se distinguer et de se confondre (il faut penser "soi" comme distinct de l'"autre" pour penser l'"autre comme soi-même", ou "soi-même comme un autre", par un mouvement perpétuel qui ne s'arrête pas au "semblable" et ne sort jamais de l'"un", ni de l'"être", ni de la "différence"); et quand un nom comme "Dieu" (nom commun et nom propre, c'est déjà singulier) prend la place de "l'un", ou de "l'autre" (tout-autre selon Kierkegaard ou Barth, tout-autre qu'un autre répliquera Panikkar, mais tout autre est tout autre, remarque Derrida), ce n'est pas seulement "lui", mais toute relation d'un "soi" ou d'un "moi" avec "lui" qui participe de la même oscillation sans fin entre l'"un" et l'"autre", ou entre l'"autre" et le "même" (j'ai le vague souvenir d'un passage de Giono rapportant la parole d'un paysan provençal, en substance: "Ou bien Dieu est tout et partout et je suis une partie de Dieu, ou bien il est en dehors de ma peau et lui et moi on ne se rencontrera jamais.


Le Sermon 101 constitue en quelque sorte l'introduction de ce petit traité sur la naissance de Dieu dans l'âme. D'emblée, la thèse essentielle est formulée: «Voici que nous entrons dans le temps de la naissance éternelle, par laquelle Dieu le Père a engendré dans l'éternité et ne cesse d'engendrer, afin que cette même naissance se produise aujourd'hui, dans le temps, dans la nature humaine». Le caractère de cette naissance éternelle est qu'elle a lieu non seulement en Dieu au sein de sa vie trinitaire, mais dans la nature humaine et qu'il en soit nécessairement ainsi, ce qui fait problème. Eckhart s'appuie sur saint Augustin qui affirmait «Que cette naissance se produise toujours, à quoi cela me sert-il si elle ne se produit pas en moi?». Qu'elle se produise en moi, voilà ce qui importe ! En effet, mais alors que cette naissance pour saint Augustin se réalise librement dans l'âme de la créature par le moyen de la grâce créée, pour Maître Eckhart, elle se produit nécessairement dans le fond de l'âme qui n'est pas de l'âme, de telle manière que c'est le Christ, la grâce incréée, qui se reçoit lui-même dans ce fond. Le fond de l'âme : voilà le lieu de cette naissance éternelle. C'est, en effet, «dans le plus pur et le plus noble de ce que l'âme peut offrir, dans le fond et, mieux encore, dans l'essence de l'âme, c'est-à-dire en ce qu'elle a de plus caché» que se réalise cette naissance. «Dieu entre ici dans l'âme en son entièreté, et non pas seulement en partie. Dieu pénètre ici le fond de l'âme. Personne ne peut entrer dans le fond de l'âme que Dieu seul» (p. 42). 

Marie- Anne Vannier présente avec clarté et précision les Sermons 102 à 104. Ceux-ci développent les points abordés par le Sermon 101. Le Sermon 102 montre la continuité qui relie filiation et création. La naissance de Dieu dans la nature humaine exprime l'influx divin qui traverse tout ce qui est. «Par cette naissance Dieu se répand dans l'âme avec sa lumière, qui grandit tellement dans l'essence et le fond de l'âme qu'elle s'élance et déborde dans les puissances et dans l'homme extérieur» (p. 70). Se répandre, grandir, s'élancer, déborder: autant d'expressions qui expliquent la naissance comme flux. Où ce flux prend-il sa source? Nous savons que son lieu est le fond de l'âme et nous savons aussi que ce fond coïncide avec le fond de Dieu: la Déité. La Déité, unité pure et nue, n'est-elle pas cette source? L'auteur de la préface ne pose pas la question, car il a pris avec l'éditeur le parti raisonnable de faire une présentation dépouillée de ces textes laissant à plus tard
l'étude qu'ils demandent. 

Narkissos: j'abrège le lien qui "explosait" la page.


Dernière édition par free le Mer 29 Déc 2021, 16:31, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 29 Déc 2021, 16:29

Ce que la recension me semble négliger -- peut-être parce que le recenseur est aussi censeur -- c'est que chez Eckhart le "fond" de Dieu ET de l'âme (c'est le même) est un "fond sans fond", "fondement et abîme", Grund et Abgrund, aussi bien "un" que "rien" (riun), soit la singularité absolue, une et nulle à la fois, 1 : 0 (qu'on prenne les deux points [:] au sens typographique de l'explication ou de l'implication, de l'équivalence indéfiniment réversible; ou algébrique, du dénominateur arithmétiquement impossible, 1/0). Ce n'est ni l'"un" de la "tri-unité" des trois "personnes" divines, pas même l'unité "monarchique" du "Père", pas davantage l'unité du "monothéisme" pour autant que "Dieu" ne s'entend que dans une relation avec autre chose, c'est en-deçà de tout nom (même "Dieu") et de tout nombre (même "un" ou "1").

Cela me ramène d'ailleurs à quelque chose que je voulais souligner à propos de l'article précédent (Froment-Meurice sur Héraclite): le caractère littéralement an-archique de cette (ri-)unité qui ne constitue en aucun cas une arkhè, un commencement ou un commandement, une autorité ou un principe dont on pourrait faire dériver quoi que ce soit (surtout pas une différence) -- et pas davantage une "fin" (telos) -- ni archéologie, ni téléologie. Elle a beau rester un horizon absolu de la pensée, une limite infranchissable du langage et de la représentation, elle ne peut être pensée ni comme première ni comme dernière, ni comme englobante, ni comme surplombante, ni comme sous-jacente ou fondatrice; d'un point de vue "phénoménologique" (ou plus classiquement de l'ordo cognoscendi), elle est au contraire toujours "seconde" ou "avant-dernière", au sens où elle ne s'atteint qu'à partir d'une expérience de la différence toujours déjà commencée et jamais encore finie (ce qui ne veut pas dire "infinie") -- c'est à partir d'une expérience de la différence (mé-)comprise comme pluralité qu'on bascule dans la nécessité de l'un, sans parvenir pour autant à déduire cette expérience de l'"un" ni à l'y (re-)conduire. On pourrait multiplier indéfiniment les expressions à ce sujet, cela n'ajouterait ni ne retrancherait rien à ce qui est là à penser, ou plutôt à méditer...
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMar 25 Jan 2022, 16:44

Encore un retour à cet article :

Unité et multiplicité, unité et dualité

Selon la tradition platonicienne, de même que selon d’autres traditions, l’unité était la marque de la perfection et les autres nombres le signe de la déficience. La perte de l’unité était donc considérée comme négative. Paul participa de cette admiration pour l’unité, comme le démontre clairement la première Épître aux Corinthiens. La multiplicité des prétendus seigneurs, faux dieux ou démons, est un signe négatif, tandis que le Dieu unique avec l’unique Seigneur Jésus-Christ (1 Co 8, 4-6) représente un pôle positif. Il faut compter l’unité et la communion parmi les perfections du peuple de Dieu. Tout type de querelles (erides) ou de divisions (schismata) est douloureux (1 Co 1, 10-11). L’apôtre Paul poursuit donc un rêve d’unité. À sa suite, l’un de ses disciples, l’auteur de l’Épître aux Éphésiens, élabore une théologie de l’unité qui comporte une virulente attaque contre la pluralité La rédemption dans le Christ n’est autre que la restauration de l’unité, la victoire sur « les deux », un combat contre la division présente en quelque nombre qui ne soit pas un. Le Christ est « notre paix », « il a converti les deux groupes en un seul » (poiêsas ta amphotera hen) et il a vaincu la haine. Israël et les nations sont maintenant réconciliés. Le Christ a combattu victorieusement, de telle manière que « des deux peuples, il n’en a fait qu’un » (hina tous duo ktisêy hen autôy eis hena kainon anthrôpon, Ep 2, 14-15). Plus tard, on retrouve l’influence d’une telle théologie de l’unité dans les écrits d’Ignace d’Antioche. Christ est le « seul médecin » (heis iatros estin, Ignace Eph. 7.2), le « seul maître » (heis oun didaskalos, Ignace Eph. 15.1). Les chrétiens, en tant que membres du corps, et le Christ, en tant que tête du corps, vivent dans l’unité (henôsis, Ignace Trall. 11.2). Ainsi, le croyant doit être « un » et posséder un cœur indivis (Ignace Trall. 13.2). Le problème inéluctable d’une dualité perçue en Dieu, en tant que Père et Fils, est résolu par l’insistance sur leur unité parfaite, comme le fait, lui aussi, l’Évangile de Jean (Jn 5, 19-23 ; 10, 30 ; 17, 11.21-23) : Père et Fils sont un (hênômenos ôn, « étant unis » ; Ignace Magn. 7.1). Le thème de l’unité et celui de la réduction subséquente de la dualité sont aussi présents en Ignace Philad. 3.2 et 9.1.

Toutefois, le chiffre deux n’est pas exclusivement le début d’une pluralité désastreuse : il peut aussi représenter un compagnon du « un ». Deux peut constituer la base de l’harmonie et de la concorde, comme pour le Jésus de la tradition synoptique qui insiste sur les deux commandements majeurs (Mc 12, 28-34 et // ; Lc 10, 25-29), sur la règle selon laquelle un témoignage est valide à partir de la présence de deux témoins (Dt 19, 15 ; Mt 18, 16 ; Ap 11, 3), sur les disciples qui sont envoyés deux par deux (duo duo, Mc 6, Cool ; comme pour les deux éléments complémentaires dans l’argument de Paul, à savoir la réconciliation dans le Christ et le ministère de cette réconciliation, l’œuvre du Christ d’un côté et le témoignage apostolique de l’autre (hê katalagê et hê diakonia tês katalagês, 2 Co 5, 18-21); comme pour les deux vertus célébrées par Ignace dans sa lettre aux Éphésiens, « foi » et « amour » ; la première est le commencement et le second, l’aboutissement : ta de duo en henotêti genomena theos estin, « les deux réunies, c’est Dieu », Ignace Eph. 14.2.

Dans sa monographie sur les premières professions de foi chrétiennes, Oscar Cullmann fait une constatation simple : ce n’est que vers la moitié du iie siècle apr. J.-C., plus précisément chez Justin Martyr, que nous rencontrons une confession de foi tripartite La période du Nouveau Testament, grosso modo le ier siècle, est encore marquée par une profession de foi chrétienne comportant deux articles, un court article consacré au Père (dans un environnement juif, il n’y avait pas grand chose à ajouter concernant Dieu) et un long article concernant le Fils (la grande nouveauté, le skandalon). En réalité, cette « hérésie » d’un point de vue juif pouvait s’appuyer sur quelques textes de la tradition hébraïque, certes marginaux, mais qui insistent sur une dualité à l’intérieur de l’unité divine et distinguent entre un aspect extérieur et un aspect intérieur, entre le Dieu caché et tel attribut divin hypostasié (Verbe, Sagesse, Esprit, Nom), entre yhwh et le « moindre ». 

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2007-3-page-337.htm#re89no89
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMar 25 Jan 2022, 18:02

On l'a souvent souligné (notamment ici), le "principe d'unité", d'union ou d'unification est le principe même ou l'archi-principe, ce qui permet de poser ou de supposer un principe ou une origine (arkhè) même là où on ne saurait constater rien de tel; qu'on l'interprète comme réduction ou reconduction à une unité originelle ou comme totalisation (intégration, incorporation, etc.) en unité finale, il y va de toute façon d'un "multiple" ou d'un "pluriel" (c.-à-d. d'une différence déjà nommée et nombrée, cf. la devise américaine e pluribus unum) qui commence à deux (comme la "vérité" selon Jaspers), donc de la (ré-)solution ou résorption en "un" de toute dualité et de tout dualisme, "2 -> 1". Une telle "idée" ne se limite pas à une "doctrine" particulière (religieuse, mythologique, rituelle, sapientiale, philosophique, myst[ér]ique, juive, chrétienne ou gnostique): si on la retrouve à peu près partout, c'est parce qu'elle est inscrite dans l'expérience la plus élémentaire de "l'homme" (l'homme générique, homme-et-femme autant qu'individu et espèce, animal parlant, nommant et comptant, zôon logon ekhôn ou animal rationale), et en particulier (c'est plus qu'un exemple, c'est l'exemple exemplaire, le paradigme, le "symbole" par excellence au sens même du mot "symbole", réunion du séparé) dans la "sexualité" -- de deux un et de ce deux-en-un un autre, un troisième et davantage, c'est toujours de ça qu'on parle même quand on n'y pense pas ou qu'on ne sait pas qu'on y pense. Autant dire que l'application de ce "principe" à un épiphénomène de l'histoire des religions comme la constitution d'un groupe "judéo-païen", si déterminant soit-il pour l'auto-compréhension du christianisme et de l'Eglise, est secondaire et accessoire par rapport au "principe" lui-même, qui trouve avant comme après, ailleurs comme dans les mêmes textes bien d'autres "applications" (unité du ciel et de la terre, du corps et de l'esprit, du bien et du mal, qui passe aussi par l'unité des "genres" ou "sexes" dans l'épître aux Galates comme chez les "gnostiques", cf. en particulier l'évangile selon Thomas où "faire des deux un" est un véritable leitmotiv). Même dans l'épître aux Ephésiens qui comporte l'expression la plus claire et la plus enthousiaste de l'idée d'unité des "juifs" et des "païens", le propos est infiniment plus vaste (on commence par le ciel et la terre, et le "mystère" interethnique de "l'Eglise" ne vaut que par sa continuité avec le "mystère cosmique"). A noter d'ailleurs que les textes sont souvent moins spécifiques qu'ils ne le paraissent en traduction, puisque des mots comme "peuples" ou "groupes" sont régulièrement ajoutés là où le grec ne parle que de "deux" (ou "des deux") et d'"un".
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeJeu 17 Fév 2022, 11:16

Du Dieu innommable

Je lis un long passage du Talmud où l’on nous dit cela (Traité Pessahim, 50a) : « Et l’Éternel (Tétragramme) sera Roi pour toute la terre, en ce jour-là l’Éternel sera un et Son Nom sera un (Bayom hahou yihyeh yhvh ehad ouchemo ehad) ». Ce verset de Zacharie (14, 9) est ensuite commenté : « Est-ce qu’aujourd’hui Il n’est pas Un ? Rabbi Aha fils de Hanina a dit : Le monde à venir n’est pas comme le monde présent. Dans ce monde présent, pour de bonnes nouvelles on dit : béni soit Celui qui est bon et qui fait du bien, et pour de mauvaises nouvelles, on dit : béni soit le Juge de vérité. Dans le monde à venir, Il est totalement bon et faisant le bien. Et Son Nom sera un. Comment un ? Est-ce qu’aujourd’hui son Nom n’est pas un ? Rab Nahman fils de Yitshak a dit : Le monde à venir n’est pas comme le monde présent. Dans ce monde présent son Nom est écrit avec les lettres Yod et Hé, et il est lu au moyen des lettres Aleph et Dalet [c’est-à-dire que le Tétragramme yhvh est lu Adonaï (Seigneur), d’ailleurs lui-même appelé haChem – le Nom]. Mais dans le monde à venir il sera totalement un, lu avec Yod et Hé et écrit avec Yod et Hé. »

Et voici maintenant la suite qui se réfère au verset de l’Exode iii : « Raba se proposait d’exposer lors d’une séance d’études [la question de la lecture du Nom de Dieu]. Un homme âgé lui a fait observer [que le mot leolampour toujours – est écrit] . Rabbi Avina a relevé une contradiction à l’intérieur de ce texte : Tel est Mon Nom pour le cacher (lealem) et tel on devra l’invoquer dans toutes les générations C’est que le Saint béni soit-il a dit : Ce n’est pas comme Je suis écrit que Je dois être lu. Je suis écrit avec les lettres Yod et Hé, et Je dois être lu avec les lettres Aleph et Dalet. »

Cette longue citation nous permet de faire survenir immédiatement la question de l’Un, cet Un qui est l’un des Noms de Dieu, selon l’écrit de Zacharie, si nous le lisons, à vrai dire, autrement que ne le fait le passage talmudique que j’ai cité. Il s’agit, dans Zacharie, des temps messianiques – c’est d’ailleurs l’axe du commentaire des Maîtres. Mais négligeons le temps futur du verbe que nous indique le yihyeh du texte – nous apercevrons par la suite ce qui peut nous autoriser à cela –, et lisons, comme si nous y étions : yhvh ehad ouchemo ehad – Dieu (Tétragramme) est Un et Son Nom est Un – je lis, son Nom est : Un.

Nous voyons donc dans le texte ce que veut dire le principe que Lacan formule à propos des Noms-du-Père : « le Père en a tant et tant – qu’il n’y en a pas Un qui lui convienne, sinon le Nom de Nom de Nom. Pas de Nom qui soit son Nom-Propre, sinon le Nom comme ex-sistence ». Il s’impose de déplier ce dernier terme, ce que je ferai en plusieurs temps. En premier lieu, je donnerai le commentaire d’une thèse que Lacan propose à la fin d’un chapitre de son séminaire Encore où il évoque les mystiques. Voici ce qu’il dit : « Cette jouissance qu’on éprouve et dont on ne sait rien [ceci, soit dit en passant, est une quasi-citation de sainte Thérèse d’Avila], n’est-ce pas ce qui nous met sur la voie de l’ex-sistence ? Et, poursuit-il, pourquoi ne pas interpréter une face de l’Autre, la face Dieu, comme supportée par la jouissance féminine ? » J’essayerai d’éclaircir cette thèse en montrant comment elle répond à une question laissée béante par Freud, et que le commentaire de Lacan serrera en des étapes successives. Ensuite, nous confronterons les résultats auxquels nous serons arrivés dans ce premier temps à la question de l’Un. Nous conclurons enfin, rapidement, sur la fonction des Noms-du-Père en rapport avec ce que j’aurai amené dans les deux premiers temps.

https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2007-1-page-143.htm
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeJeu 17 Fév 2022, 12:28

Texte remarquable.

Il m'a rappelé au passage -- comme si les analogies bibliques, talmudiques, psychanalytiques et mathématiques ne suffisaient pas -- la distinction de Deleuze entre les espaces "lisses" et "striés", qui me semble correspondre assez exactement à ce dont il est question ici, la différence archi-fondamentale et/ou abyssale entre le continuum sans frontière ni faille représenté par l'infini littéralement quantique (de quantum) des nombres "réels" (y compris "irrationnels") et l'infini morcelé des nombres "entiers" (soit ce qui peut être nommé, distingué, séparé, compté, échangé, par un jeu qui saute par-dessus un abîme innommable entre les mots et les choses comme entre les mots et entre les choses). Il y va effectivement de la différence entre le "symbolique" et l'"imaginaire" (et peut-être encore plus le "réel") lacaniens, et du point (consciemment, douloureusement) "aveugle" de la psychanalyse freudienne, cette "jouissance féminine" qui échappant à la chose obvie (le phallus visible et détachable par la castration) échappe aussi au logos et au "concept", ne se laisse saisir ou arraisonner dans aucun "système" -- le contigu du continu, du flux de l'être qui ne peut être rythmé et mesuré que par un autre (avec ou sans majuscule), autre qui est pourtant sien d'une autre manière.

Toute pensée et toute limite de la pensée passent (ou ne passent pas) par là, et cela rejoint effectivement nos réflexions initiales sur l'un, nombre et tout autre que nombre, inséparable du rien (zéro, riun) là même où il s'y oppose. On ne peut l'expliquer que de façon infiniment compliquée, c'est pourtant la simplicité même, implicite en-deçà de toute explication.
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 19 Oct 2022, 12:36

« Le tout »

Ce n’est qu’à une date relativement tardive dans l’histoire d’Israël que l’on voit apparaître un terme unique comme objet de l’activité créatrice de Dieu. Ce terme n’est autre, ni rien de plus, que l’adjectif « tout ». De même, en Grèce, il faut attendre Héraclite, aux alentours de 500, pour qu’apparaisse le terme tade panta (« toutes ces choses que voici ») pour désigner ce que nous appelons « le monde ».

En Israël, le terme apparaît, sans doute pour la première fois, chez Jérémie (645 - 580), en 10, 16 = 51, 19. Le contexte de tout le ch. 10 est une polémique contre les idoles. C’est par rapport à elles que « YHWH est le vrai dieu (...). Quand il s’irrite, la terre tremble (tir ‘ash) (...) (v.10. Il a formé la terre par sa puissance (‘ôséh érèts bekohô), établi le monde par sa sagesse (mékîn tébèl behokhmatô), et par son intelligence étendu les deux (ûbitebûnâtô nâtah shâmayim) (v. 12) (...). Telle n’est pas la “Part de Jacob", car il a façonné l’univers (yôtsér hakkol hû’), et Israël est la tribu de son héritage. Son nom est YHWH Sabaot (v. 16) ». La formule vient après une énumération des parties du monde (10, 12 s.). Le bien connu est le contenu du monde, l’idée de totalité est obtenue par addition, puis explicitée par l’adjectif kol. La présence de l’article devant celui-ci rend plus perceptible le renvoi à ce qui vient d’être énuméré : c’est bien tout ce qui vient d’être dit qui a été créé (10). On a un parallèle dans le Psaume 119, 91 : « le ciel, la terre, subsistent aujourd’hui, car ils sont tous (hakkol) tes serviteurs ».

Chez le second Isaïe (vers 550), on a fait un pas de plus. On y trouve de nombreuses affirmations de la création, et en particulier, mise dans la bouche de YHWH, une formule avec « tout » : « Ainsi parle YHWH ton rédempteur, celui qui t’a formé dès le sein maternel : c’est moi YHWH qui ai fait tout (’anoki YHWH ‘osèh kol), qui, seul, ai déployé (notèh) les cieux. J’ai affermi (roqa‘) la terre, et qui m’y aidait ? » (44, 24). Ici, la relation est retournée : la totalité est posée d’abord, pour être ensuite explicitée par « le ciel » et « la terre »12. On a une formule analogue en 45, 7 : « Je suis YHWH sans égal ; je façonne (yôtsér) la lumière et crée (bôré’) les ténèbres. Je fais (‘oseh) le bonheur (shâlôm) et provoque (bôré’) le malheur (ra‘), c’est moi YHWH qui fais tout cela (kol’éllèh) ».

On peut trouver dans les Psaumes plusieurs exemples de ces formules. Ainsi, en 8,7 : « tu l’établis (sc. l’homme) sur l’œuvre de tes mains (bima‘aséy yâdèykâ), tout fut mis par toi sous ses pieds (kol shattâh tahat-räglâyw) ». « L’œuvre de tes mains » est parallèle à « tout ». Le contenu du tout est ensuite explicité en une description de l’univers physique terrestre (oiseaux, poissons, etc.). Et il n’est pas impossible que le ciel soit l’objet de l’allusion du début du Psaume 8 (v. 3) aux « nourrissons ». Ou encore, en 103, 19 : « YHWH a fixé son trône dans les cieux, par-dessus tout sa royauté domine (ûmalkûtô bakkol mâshâlâh) ». Le ciel est distingué du tout sur lequel YHWH règne. Ou bien le tout est l’ici-bas, ou bien le ciel n’est pas ici quelque chose de créé, mais la simple désignation du séjour extra-mondain de Dieu. On peut enfin citer Psaume 145, 9 : « YHWH est bonté envers tous (lakkol), ses tendresses vont à toutes ses œuvres (‘al kol ma’asâyw) ». On notera le parallèle entre « ses œuvres » et « le tout ».

L’expérience du monde est à chaque fois celle d’un « tout » à quoi rien n’échappe. Cette expérience est une donnée anthropologique fondamentale, qui peut être faite selon plusieurs modalités, et elle n’a rien de spécifique à l’Ancien Testament. On peut ainsi isoler, par exemple, une expérience grecque du tout, une expérience néo-testamentaire, ou encore une expérience gnostique - celle de l’étrangeté par rapport au monde. L’expérience biblique (vétérotestamentaire) du tout, de tout comme rassemblé par l’unité d’un article - au moins virtuel - qui singularise de par sa dimension démonstrative implicite, l’expérience du tout, donc, est celle de la création.

https://books.openedition.org/pusl/5675?lang=fr
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 19 Oct 2022, 15:07

Beaucoup de réflexions importantes dans ce chapitre (d'un volume de 1989), en particulier le rapprochement des thèmes de la "non-autochtonie" historique ou pseudo-historique (exils, Patriarches, Exode, désert, nomadisme, conquête), du "tremblement de terre" (expérience physique elle-même projetée en mythe, théophanique et archaïque ou eschatologique) et du "déluge" mythique comme dé-création, aux sources mêmes de la notion de "création". A propos de celle-ci je rappelle (cf. encore ici 6.10.2022) qu'il faut être attentif aux formes verbales de l'hébreu, notamment au participe qui correspond mieux à un présent qu'à un passé, à une "création(-destruction) continue" ou "permanente" qu'à une "création initiale", a fortiori ex nihilo...

La corrélation de l'"un" et du "tout" (qui n'est nulle part dans l'AT aussi claire que dans Qohéleth avec l'article doublement déterminant, ha-'elohim / ha-kol, "le dieu" et "le tout"; l'influence hellénistique y est sûrement pour quelque chose) ne joue pas seulement à l'échelle du "monde", de l'"univers" ou de l'"histoire": chaque fois que je nomme ou compte "un" (une chose, un animal, un troupeau, un arbre, une forêt, un individu, une espèce, un corps, un groupe, un événement) je délimite un "tout" qui n'est pourtant pas (le) "tout", mais dont la totalisation va de pair avec l'unité et la singularité de ce que je dis "un". De cela "le monde", même s'il n'est pas compris naïvement comme un "espace" vide accessoirement pourvu d'un "temps", ou comme une "machine" susceptible de "fonctionnement" autonome, mais bien comme la totalisation impossible et inévitable de tout ce (= chaque chose, everything, anything) qui se passe, n'est qu'un cas limite. Chaque fois que "je" dis "oui" ou "non" comme si "j"'étais "un" et "un tout" par la même occasion, que "je" décide de quoi que ce soit ou que "je" fais le moindre geste ou le moindre pas, alors même que je le fais avec, pour ou contre d'autres dont l'altérité est logiquement nécessaire à mon unité et à ma totalité, quoique l'altérité, l'unité et la totalité relèvent au fond de la même fiction, je rejoue le jeu de l'un et du tout -- à mon échelle et pourtant tout comme le(s) dieu(x).

Que le(s) dieu(x) ou Dieu soi(en)t le visage "personnel" (persona = masque d'acteur), masculin ou féminin, d'une unité et d'une totalité que la pensée conçoit plutôt comme impersonnelles (to hen, ta panta, neutres), cela rejoint beaucoup de nos réflexions passées, dans ce fil et ailleurs.
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMer 23 Aoû 2023, 13:37

Sans doute encore sous l'influence du dialogue (différé) de Derrida avec Levinas dans L'hospitalité II (cf. ici, 9.8.2023), il m'est venu ce matin un début de réflexion qui pourrait trouver sa place ici, parce qu'à propos de "l'autre" elle touche aussi à l'"un" et au genre de l'"un". Genre au sens grammatical (masculin, féminin, neutre) avec tout ce qui s'ensuit même quand il le précède (personne, sexuée ou non, genrée ou générique, homme, femme, homme embrassant la femme comme on disait jadis, mais aussi personne ou chose, humain ou animal, végétal, minéral, objet ou concept abstrait ou "impersonnel").

Il me semble que là où Levinas tend à parler de "l'autre" dans un sens toujours humain, personnel, individuel, quoique indéterminé, le visage de l'autre ou d'autrui dans le vis-à-vis ou le face-à-face réel ou virtuel, mais aussi comme tiers qui rompt la dualité du couple ou du combat singulier en y introduisant le nombre indéfini, plus que deux, et l'exigence de "justice" avec tout ce qui en découle (morale, raison, calcul, loi, droit, politique), Derrida ramène ou ouvre le propos vers un "autre" plus neutre ou partitif (de l'autre, il y a "de l'autre", même là où il n'y a pas "l'autre" ou "un autre"). Ce qui pourrait se réduire à l'opposition classique "personnel / impersonnel", "quelqu'un / quelque chose", mais se complique dès lors qu'on soupçonne qu'il y a, qu'il y va ou qu'il y vient de l'"impersonnel" (infra-, supra-, archi-, ultra-personnel si l'on veut) dans le "personnel", et en-deçà et au-delà du "personnel". Et pas de véritable frontière entre l'"altérité" humaine et toutes les espèces de différence ou différance, de l'itération à l'altération, de l'hétérogénéité à l'étrangeté et à l'aliénation.

Cela me rappelle une discussion que j'avais eue à la faculté de théologie, il y a plus de trente ans, avec un jeune étudiant qui était fan de Levinas (il est d'ailleurs passé ensuite de la théologie à la philosophie); c'est aussi l'époque où j'ai le plus lu Levinas mais avec davantage de réticence que lui -- je n'avais encore rien lu de Derrida, par contre. Bref, je me souviens d'un soir où je lui avais dit, en substance: pour moi il y a autant d'"autre", sinon plus, dans un animal, un arbre ou une forêt, une rivière ou une tempête, un nuage ou une constellation que dans "un autre", humain... ce qui l'avait beaucoup choqué, parce qu'on ne pouvait guère faire plus "anti-Levinas" ou "anti-éthique".

Je me disais ce matin que ce qui distingue "l'autre" personnel de l'impersonnel, c'est précisément l'"un", l'assignation à l'"un": "l'autre" des relations interpersonnelles, qu'il soit ami, ennemi ou indifférent, hospitalier ou hostile, se présente toujours à moi comme "un", indivisible, irréductible à qui et à quoi que ce soit d'autre, et m'oblige du même coup à être ou à paraître devant lui (ou elle) "un", indivisible et irréductible aussi; à lui répondre et à répondre de moi (là encore: amicalement ou non, en lui disant la vérité ou en lui mentant, en l'accueillant ou en le repoussant, ne serait-ce que d'un oui ou d'un non, d'un sourire ou d'un froncement de sourcils). Je suis "moi", "un", parce que je suis d'abord interpellé, accusé au moins au sens de l'accusatif, par quelqu'un que je ne peux pas regarder autrement que comme "un", me précédant et en quelque sorte transcendant. C'est la logique de l'"otage" dont parlait Levinas, que ça me plaise ou non je suis requis par l'autre et sommé de (com-)paraître devant lui qui m'interpelle même sans rien dire. Réquisition plus originaire que toute subjectivité, avant toute initiative d'un sujet qui pour dire "je" aura d'abord dû répondre à un "tu" ou à un "toi", accusatif et impératif. Et bien sûr je lui rends la pareille, à "l'autre comme moi-même", je l'oblige également à être un, lui ou elle, dès que je le regarde ou lui adresse la parole. C'est toujours la logique de l'interpellation et de l'accusation, qui culmine au tribunal: on n'est jamais plus "un" que sommé de répondre sous le jugement de tous, et le regard omniprésent et omniscient d'un Dieu unique et personnel ne fait que totaliser cette revendication de l'un par l'un.

Par rapport à tout cela (l'enfer des autres qui n'est pas seulement celui du tiers, comme dans le Huis clos de Sartre) l'un non personnel, plus ou moins que personnel, aurait un côté reposant, parce qu'il laisserait être divers, essere diverso, comme dit l'italien pour "être différent", ce qu'un Français entend aussi comme "divers", "différent de soi"; "unité" en-deçà et au-delà de toute individualité, identité ou ipséité, qui se souviendrait que la "personne" n'est jamais qu'un "masque" sur une scène...
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeVen 25 Aoû 2023, 10:40

Soi et Autrui, naissance d’une subjectivité

D’un coté, être conscient de soi, se saisir comme un Je, un sujet, privilège exclusivement humain. De l’autre, autrui, le différent, ce qui m’est étranger, un moi qui n’est pas moi et qui se prétend toutefois mon semblable, mon alter ego, un autre soi en même temps qu’un autre que soi.

7Quelques jalons pour suivre la pensée de Lévinas : le « il y a », la responsabilité pour l’autre, le face à l’autre, le passage par la parole, le visage, l’élection et, enfin, la place du tiers par rapport à autrui.

8Dans un premier temps, Lévinas s’est efforcé de définir sa propre conception d’un Sujet métaphysique et moral. Ses premiers textes, en particulier De l’existant à l’existence, paru en 1947 et écrit alors qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne, sont inspirés par la réflexion heideggerienne sur la relation de l’homme à l’être.

9Il s’agit de sortir l’Homme de la neutralité des existants. Le « il y a », concept clé de la pensée lévinassienne, c’est, comme l’écrit Lévins, « le bruissement chaotique d’un exister anonyme, qui est l’existence sans existant » (Difficile Liberté). C’est l’horreur d’un être impersonnel et anonyme.

10Contrairement au « il y a » de Heidegger (qui vient de es gibt), pour Lévinas ce « il y a » ne possède aucune générosité. C’est le silence pendant la nuit, un silence bruissant qui s’écoute comme la présence sourde et invisible d’un être indéfini, qui exclut l’humanité et défie l’existence.

11Toutefois, cet « il y a » impersonnel n’est pas rien, c’est l’absolument neutre. Ce que Lévinas écrira d’une autre manière : « Un être particulier ne peut se prendre pour une totalité que s’il manque de pensée. Non point qu’il se trompe ou qu’il pense mal, simplement il ne pense pas. La pensée commence précisément lorsque la conscience devient conscience de sa particularité, c’est-à-dire conçoit l’extériorité par delà sa nature de vivant, qui l’enferme. » (Entre nous).

12Cette subjectivité à peine naissante va devoir s’arracher à cet être neutre, devenir étant au delà de l’essence. Et, pour Lévinas, la véritable sortie de « il y a » se trouve dans l’obligation pour l’autre qui introduit du sens dans le non-sens de « il y a ». Le sujet par excellence, c’est le moi subordonné à autrui.

https://www.cairn.info/revue-la-chaine-d-union-2009-2-page-62.htm
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeVen 25 Aoû 2023, 11:40

Pour un résumé, c'est un bon résumé (rapport qualité/quantité, sinon prix).

Mais pour ma part je réagis toujours: heureusement qu'il y a, un ou de l'"il y a", un "être neutre", indiscernable d'un "néant", fond sans fond qui déclot le jeu infernal de l'intersubjectivité et la saturation de l'humain trop humain... Qu'on se le représente aussi "froid" ou "indifférent" qu'on voudra (le "réchauffement climatique" serait à lui seul une parabole susceptible de renverser ce genre de jugement de valeur), sans "générosité" ni "don" (es gibt), il n'en est pas moins le fond sur lequel une "humanité" se détache et auquel elle retourne. Levinas discernerait sans doute là la réplique de Caïn (à laquelle il s'est d'ailleurs souvent référé), mais la malédiction n'a pas réfuté Caïn...

Pour revenir de cette question (importante, car il y va de toute "morale", et singulièrement de ce qu'on appelle "humanisme" ou "humanitarisme") à celle de l'"un", le problème est aussi un rapport à la "totalité" et à l'"infini". On se représente a priori l'unité du "tout" comme celle d'un "ensemble" ou d'un "système", boîte ou machine close, identique ou égale à elle-même indépendamment de ce qui se passe "dedans", bien qu'elle n'ait pas de "dehors". Spatialisation "synchronique" qui est de fait intemporelle, qui méconnaît ou neutralise le temps. Penser l'"un" ou l'"être" comme "événement", singulier et différencié de part en part, ouvre sa "totalité" à l'"infini" même s'il est toujours "fini", il faudrait peut-être écrire "un-fini"; à une "transcendance" générale de l'"immanent" dont l'"humain" n'est jamais qu'un moment, si remarquable soit-il. "Un" dès lors plus ouvert que celui du logos héraclitéen ou stoïcien, où la "raison" est encore ce qui fait fonctionner un "monde" clos, encore qu'on puisse certainement réinterpréter aussi le logos dans ce sens.
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeVen 25 Aoû 2023, 11:59

La question de l'Un dans la pensée grecque

6 Mais c’est avec les Éléates que la pensée de l’Un occupe le devant de la scène. Parménide a pris le relais de Xénophane mais il alla beaucoup plus loin que son devancier. Les interprétations du Poème sont nombreuses. Pour Pierre Somville5, par exemple, Parménide érige l’être en monolithe sans fissure, sous le signe de l’indivisibilité, la totalité, l’unité et la continuité. La notion d’Un constituait ainsi, selon Pierre Hadot6, un prédicat essentiel de l’Être. Lambros Couloubaritsis pense qu’il n’existe pas chez Parménide un Un objectif, entité réelle et fondement de toutes choses. L’Un est à comprendre comme condition transcendantale de l’expérience humaine, « condition d’unité et d’unification des choses en devenir par la pensée de l’homme ». Il n’y avait donc pas chez Parménide d’identité entre Être et Un car c’est l’Être qui est dit être un ; l’Un est comme horizon du monde en tant que pensée. C’est chez Mélissos que l’on trouve l’identité entre Être et Un : l’Un n’est pas chez lui le fond de l’homme, comme condition de la pensée, mais le fond du Tout, c’est-à-dire le Réel.

10 Le problème de l’Un, Aristote l’a reçu avant tout de Parménide. Il déclare dans la Métaphysique (A 5, 986 b 29) : « estimant qu’en dehors de l’Être, le non-Être n’est rien, Parménide pense que l’Être est nécessairement un et qu’il n’y a rien d’autre ». Théophraste, cité par Simplicius (in Phys., 115, 11), ne parle pas autrement : « Ce qui est en dehors de l’Être est non-Être. Or le non-Être n’est rien, donc l’Être est un ». C’est cette identité sans faille de l’Être et de l’Un, affirmée par Parménide, qu’Aristote devait à son tour contester. Il lui a fallu pour ce faire réexaminer dans tous les sens la question de l’Un. La onzième aporie du livre B1 de la Métaphysique nous montre qu’il a formulé cette question de la manière suivante : « la chose la plus difficile de toutes pour connaître la vérité est celle de savoir si l’être et l’un sont des substances, au sens véritable du terme, et donc être et un par eux-mêmes, ou s’ils sont à attribuer comme des prédicats à ce qui est leur sujet ».

https://books.openedition.org/pusl/21664?lang=fr
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeVen 25 Aoû 2023, 13:47

Merci encore pour ce chapitre très instructif -- peut-être trop, si comme toutes les synthèses et d'autant mieux qu'elles sont réussies, sinon exhaustives, il peut donner l'illusion de maîtrise d'un "sujet" et de son "histoire"...

Tous les "penseurs" et tous les "auteurs" ont été synthétisés et systématisés (c'est presque le même mot) par leurs successeurs, disciples ou adversaires, bien au-delà de leur propre cohérence ou de leurs propres intentions de cohérence, jusque dans les histoires modernes de la philosophie antique. La vue "panoramique" qui en résulte est fascinante, mais artificielle, et seule la bêtise (à peu près constante à tous les niveaux d'instruction) peut s'imaginer qu'on peut de là choisir entre tel ou tel, comparer, évaluer, juger, attribuer des bons ou des mauvais points à tel ou tel philosophe ou philosophie. Celui qui pense sait au moins que toutes les pensées méritent d'être pensées, qu'il n'y a pas lieu d'opposer les unes aux autres et encore moins d'opter pour l'une au détriment des autres; et qu'il faut pourtant redescendre du sommet imaginaire pour penser une pensée à la fois, en suivant patiemment un texte à la fois comme un chemin ou une "méthode", en sachant qu'il y en a d'autres et que pourtant on n'en lira et relira vraiment que quelques-uns et pas les autres -- et quand même on ne lirait rien il s'agirait toujours de suivre un texte, celui qui se file et se tisse dans notre propre "pensée". Or ça aussi c'est de l'"un", expérience de lecture et de pensée chaque fois unique, quoique à l'opposé de l'unité totalisante ou englobante de la synthèse qui n'est jamais elle-même qu'un chemin comme un autre (donc: pas non plus moins valable qu'un autre, pourvu qu'on la prenne comme telle).

Ce qui est aussi remarquable c'est la logique du "dépassement" ou de la "transcendance" qui emporte tous les noms et les concepts à mesure qu'elle les génère et les absolutise: "un" plus "un" que l'"un", "être" plus "être" que "l'être", quitte à se confondre non seulement entre eux mais avec ce qui pouvait passer pour leurs "contraires" respectifs, "zéro" ou "néant", etc. N'importe quel nom peut occuper la place suprême et aucun ne peut la tenir, parce qu'il n'y a pas plus ni moins de "droit" qu'aucun autre. Et cela même, place sans place, lieu sans lieu, peut s'appeler indifféremment "l'un", "l'être" ou n'importe quoi.

Ce qui se joue là, c'est l'effondrement ou la dé(con)struction de la maison ou de la prison du logos dont on ne sort qu'en rêve, mais dont on (qui? quoi? la question ne se pose plus) sort quand même (cf. une fois de plus l'"élargissement" de Pierre en Actes 12).
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMar 30 Jan 2024, 12:48

Je me suis souvenu d'un verset des Psaumes (86,11) dont j'avais fait, adolescent -- après la période de "doute(s)" que j'essayais de surmonter comme on tenterait de fuir son ombre, avec de surcroît l'illusion au moins passagère d'y parvenir -- une sorte de mantra:
Instruis-moi (yrh, d'où torah) de ta voie (ou ton chemin, drk), Yahvé (ou Jéhovah),
Je marcherai dans ta vérité (ou fermeté, 'mt-'emeth).
Unis (ou unifie, yhd, lu comme piel à valeur causative, ou transitive) mon coeur (lbby) à (pour) craindre ton nom.

Bien que proche de 'hd-'ehad = "un" (1) ou de yhyd-yahid = "unique", le verbe yhd serait en fait très rare (Genèse 49,6; Isaïe 14,20), et même unique (!) à cette forme: La Septante (85,11) le traduit tout autrement, "que mon coeur se réjouisse à craindre ton nom", ce qui pourrait impliquer une autre leçon en hébreu, d'une racine yhd ou hdh, "louer", "rendre grâce" ou "exulter", "triompher"...

Quoi qu'il en soit la traduction habituelle touche juste, car il n'est que trop banal de se sentir autre qu'un, plus et/ou moins qu'un, par excès ou par défaut, en trop ou pas assez, en manque ou déficient, superflu ou redondant, double (cf. la di-psukhia de l'épître Jacques, duplicité de l'âme double), multiple, complexe, divisé, confus, etc.: la psychologie, savante ou spontanée, défie l'arithmétique... La notion de "doute" ou d'"hésitation" (en grec dia-krinô etc., dérivé de krinô = juger, avec aussi la nuance de "discerner", faire la part des choses: il y a toujours de la division dans le jugement, Ur-teil en allemand, même quand ce n'est pas celui de Salomon) s'y rattache volontiers.

La recherche d'unité se fait aussi en différents sens: par soustraction ou division, séparation, ablation, mutilation, arrachement de ce qui paraît être en trop (ce qui ne manquera pas de rappeler les injonctions bien connues du Sermon sur la montagne, rarement prises à la lettre), ou au contraire dans l'addition ou l'agrégation visant une totalisation, fusion dans la chair, dans le corps ou dans l'esprit, dans la plénitude du plérôme où l'on se perd ou se subsume dans quelque unité totale ou supérieure -- dont "Dieu", devenu à cette place indiscernable d'un tout ou d'un néant océanique, ne serait qu'un nom parmi d'autres.
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMar 30 Jan 2024, 15:06

À propos des Logia de Jésus : le sens du mot µονaχός 
Marguerite Harl

D) Dans le Psaume 85 (86), 11, David demande à Yahvé de lui enseigner ses voies et il ajoute, selon le texte hébreu, en employant la forme factitive du verbe sur la racine qui signifie « un » ; « fais mon cœur un », « unifie mon cœur ». Il semble ici que les exégètes modernes n'hésitent pas : il ne s'agit pas que Yahvé « isole » le cœur du psalmiste, mais qu'il lui donne cette unité, cette simplicité, cette droiture, qui lui permettra d'accomplir parfaitement ses devoirs à l'égard de Dieu, que le tour hébreu désigne par « la crainte du nom de Dieu ». Les Septante, cette fois-ci, ont compris une autre notion : ayant mal vocalisé les lettres hébraïques, ils ont traduit la racine « se réjouir » au lieu de la racine « un ». Ils disent : « que mon cœur se réjouisse... ». Aquila, au contraire, retient bien l'idée d'unification du cœur et traduit d'une manière originale et remarquable par le mot qui nous intéresse : μονάχωσον, impératif d'un verbe μοναχόω. Je ne pense pas que μοναχοϋν signifie comme le disent les dictionnaires « solitarium facere » (Thesaurus, repris par Bailly), mais « rendre un », unifier. Du moins, je pense que dans le mot grec chargé de traduire une racine hébraïque si ambiguë, contenant à la fois la notion d'unité-isolement et celle d'unité-simplicité intérieure, Aquila a voulu ne sacrifier aucun des sens possibles : l'accent doit être mis, selon le contexte, sur l'aspect d'isolement ou sur celui d'unité. C'est dans le même sens que Symmaque comprendra aussi le verbe hébreu, puisqu'il traduira par ενωσον, ne laissant plus cette fois-ci de place au doute : c'est l'idée d'unité, et non plus du tout l'idée d'isolement, qui subsiste.

Le texte-clé de la doctrine biblique du cœur « un » est celui de Jérémie. 32, 39 (LXX 39, 39) : le texte hébreu dit que Yahvé donnera à son peuple « un cœur et une voie » ; un cœur un, uni, ou unique ; une voie une, unie, unique. Encore une fois, le terme hébreu est riche de plusieurs connotations : ce cœur unique peut être celui d'un peuple qui a fait son unité (unité quantitative, si l'on peut dire), ou bien, pour chaque individu, ce peut être un cœur unifié, simple (unité qualitative ?). Le cœur « un » s'oppose à la duplicité de l'hypocrite, c'est le cœur que le psalmiste demandait à Dieu de simplifier, d'unifier, dans le Ps. 85 (86), 11. Nous ne connaissons malheureusement pas la traduction d'Aquila pour ce passage. Nous constatons seulement une fois de plus que la doctrine du cœur simple a échappé à l'attention des Septante : ils ont traduit une autre doctrine biblique en disant que Dieu donnera à son peuple « un autre cœur, une autre voie », remplaçant ainsi la notion de l'unité par celle, toute différente, du renouvellement intérieur, de la conversion. En marge de certains manuscrits, nous lisons καρδίαν μίαν. Les traducteurs modernes, malgré l'autorité de l'hébreu, préfèrent souvent la leçon du texte grec et abandonnent un thème essentiel à la piété biblique.

Puisqu'il existe un thème biblique de la simplicité de cœur, exprimée en hébreu par la racine « un », qui signifie à la fois unique-isolé et unique-simple, sans dualité, puisque d'autre part il s'est trouvé un bon helléniste du ne siècle, Aquila, pour penser qu'il pouvait rendre cette notion par le mot grec μοναχός, — phénomène sémantique que nous pouvons expliquer par l'état de la langue à cette époque, en ce qui concerne un certain nombre de mots capables de traduire cette double notion, — nous sommes en droit de nous demander si, dans l'original grec des logia de Jésus, nous ne nous trouverions pas devant un cas analogue, μοναχοί servant à désigner précisément les yehidim bibliques avec la double connotation de leur isolement, peut-être et, de leur simplicité de cœur, sans aucun doute. Si le contexte doctrinal des deux logia en question, éclairé par le rapprochement d'autres logia, nous y autorise, nous pourrions orienter l'interprétation des μοναχοί vers l'idée de simplicité.

La doctrine de l'unité de cœur se trouve, justement, explicitement donnée par le logion 22, en liaison avec l'entrée dans le Royaume. Le rapprochement de ce texte avec les deux logia où se trouve μοναχός me semble décisif pour l'interprétation du terme :

Logion 22 : « Jésus vit des petits qui tétaient. Il dit à ses disciples : ces petits qui tètent sont semblables à ceux qui entrent dans le Royaume. Ils lui dirent : Alors, en devenant petits, nous entrerons dans le Royaume ? Jésus leur dit : Lorsque vous ferez de deux un, et que vous ferez l'intérieur comme l'extérieur, et l'extérieur comme l'intérieur, et ce qui est en haut comme ce qui est en bas et lorsque vous ferez, le mâle avec la femme, une seule chose, en sorte que le mâle ne soit pas mâle et que la femme ne soit pas femme, ... alors vous entrerez [dans le Royaume] ».

La doctrine de ce logion est tout à fait remarquable : nous y trouvons à la fois le thème habituel des béatitudes ; ce sont les « petits » qui entreront dans le Royaume ; l'identification de ces « petits » avec ceux qui ont fait leur unité intérieure, au sens moral du terme, c'est-à-dire ceux qui sont sans duplicité, qui sont simples, qui ont le cœur pur ; enfin des spéculations sur l'unité primitive de l'être humain, avant le dédoublement de la sexualité.

Si un écrivain de la tradition biblique, au cours du ne siècle après J.-C, a pu préférer μοναχδς, — alors qu'il disposait en grec de plusieurs autres mots, déjà utilisés dans les versions grecques de l'Ancien Testament, pour parler soit des 'anawim, soit des yehidim, sans qu'aucun réunisse à lui seul tant de notions conjointes dans la piété hébraïque sous un seul mot, — n'est-ce pas assurément parce que ce mot lui permettait d'insister sur le caractère « un » des élus de Dieu ? Les μοναχοί ne seraient-ils pas ceux qui « de deux ont fait un » ? Le mot μοναχός ne pouvait-il pas, à cette époque et dans ce contexte, paraître capable de maintenir réunies en grec à la fois l'idée d'une faiblesse, faite de solitude, et celle d'une pureté de cœur, faite de simplicité, d'unité ? Lorsque Aquila écrit μονάχωσον, il veut certainement signifier : rends mon cœur un, donne moi un cœur simple, sans duplicité, sans contradiction. On peut penser que le rédacteur grec des logia, à la même époque, appelait μοναχοί ceux qui ont un tel cœur, les yehidim. Peut-être même faut-il voir dans ce terme une appellation technique, comme s'il avait existé une secte qui se sentait définie par la pureté de cœur, la secte des yehidim, des μοναχοί, des Purs (1), des Uniques ?

D'autre part, dans le logion 49, les μοναχοί étaient ceux qui sont issus du Royaume et qui y retourneront : en quoi cela pourrait-il concerner des « isolés » ? En revanche l'expression s'éclaire parfaitement si nous donnons à μοναχός un sens qui insiste sur l'unité : primitivement, les élus appartenaient au Royaume et y étaient dans l'unité ; ils sont ensuite tombés dans le monde du devenir, qui est celui de la dualité ; ils reviendront dans l'état d'unité primitive, et cela parce qu'ils sont, justement, des μοναχοί. On connaît bien ce genre de spéculations. Ici même, dans les logia coptes de Jésus, nous lisons la formule suivante : « Le jour où vous étiez un, vous êtes devenus deux. Mais quand vous serez devenus deux, que ferez-vous '? » (log. 11). Et notre interprétation, si elle est exacte, permet également de décider du sens d'un autre logion, qui exige des éditeurs de toutes façons la correction d'un mot copte : ... (Jésus dit à Salomé) : « C'est pourquoi je dis : Quand il sera égal, il sera plein de lumière, mais, quand il sera séparé, il sera plein de ténèbres » (Logion 61). Les éditeurs ont corrigé le texte pour traduire par égal, mais ils disent en note (p. 35) que l'on pourrait corriger autrement en uni. Dans une phrase précédente, Jésus disait : « Je suis celui qui provient de Celui qui est égal ». Dans les deux cas, ne s'agit-il pas d'être uni, c'est-à-dire d'être un? L'homme était initialement un, comme le Père ; il est tombé dans le monde de la dualité, « séparé » notamment en mâle et en femelle, — d'autres doctrines parlent de la division en intelligence-sensibilité, ou en corps-âme, — tout son mouvement consiste à revenir en l'état d'unité. Quelles que soient les spéculations gnostiques sous- entendues dans les logia, le mot μοναχός peut servir à les rappeler, comme dans d'autres textes du ne siècle d'autres composés de μόνος les rappellent : μονοειδής, μονογενής, μοναδικός etc.

Il faut noter, pour l'histoire du mot μοναχός, qu'il ne se trouve ainsi employé que par quelques traducteurs grecs de la Bible et par le rédacteur du modèle grec des logia de Jésus, au cours du ne siècle. Il semble être absent de toutes sortes d'autres textes où le même thème de l'unité intérieure est développé, et notamment chez Philon d'Alexandrie, chez les Gnostiques et chez Clément d'Alexandrie ; le mot n'apparaît pas, semble-t-il, dans la tradition chrétienne de cette époque. Si les conditions sémantiques ont cependant été telles, dans la première moitié du ne siècle, que μοναχός a pu être « essayé » pour désigner les simples au cœur droit, cet essai fut un échec. La simplicité de cœur s'exprime couramment par άπλοΰς-άπλότης-άπλοϋν, qui traduisaient d'autres racines hébraïques. Quant à la racine yhd, qui insistait sur l'unité intérieure, aucun des mots grecs chargés de la traduire n'a triomphé d'une façon durable et exclusive.

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1960_num_73_347_3635
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MessageSujet: Re: un   un - Page 2 Icon_minitimeMar 30 Jan 2024, 16:20

Quelle belle trouvaille que ce texte de jeunesse (1960, j'étais à peine né) de Marguerite Harl, qui est devenue ensuite, et entre autres, la "grande prêtresse" de la traduction française de la Septante (La Bible d'Alexandrie), et qui, je l'apprends à cette occasion, s'est éteinte en 2020, à plus de cent ans... On était encore tout près des découvertes de Nag Hammadi, y compris le texte copte de l'évangile selon Thomas dont elle recensait la traduction toute neuve...

J'avais oublié en effet de mentionner Jérémie 32(39LXX),39, que j'avais aussi remarqué ce matin dans l'article correspondant d'un dictionnaire (BDB), mais là c'est le plus courant 'hd-'ehad, "un" (cf. wahad en arabe), celui de Deutéronome 6,4 (Yahvé un), quoique appliqué au "coeur" (lb) et à la "voie" ou "chemin" (drk). Le passage de l'"un" à l'"autre" dans la Septante tient ici à la confusion fréquente de deux lettres hébraïques très ressemblantes en écriture dite araméenne, daleth et resh (on l'a vu encore récemment à l'oeuvre, de façon intentionnelle, dans l'identification tardive d'"Edom" à "Rome"): 'hd = "un", 'hr = "autre". Pour rappel, la tradition juive interprète parfois la différence entre les deux orthographes classiques et canoniques du mot pour "coeur" (lb ou lbb, avec un ou deux b = beth) dans le sens de la duplicité ou de l'uni(ci)té: aimer Dieu de tout son coeur, y compris de sa duplicité de coeur, avec son bon et son mauvais penchant (yçr)...

Le monakhos de Thomas (entre autres), tu l'auras compris, est à l'origine de notre mot "moine" (cf. monacal, monachisme), et dérive du même monos que "monothéisme" et tant d'autres "mono-" (monarchie, monogamie, monotonie...). Quant au débat sémantique, je crains qu'entre "unité" (de Dieu, de l'âme, du coeur, de soi) et "solitude" il n'y ait rien à choisir... Voir aussi ici, ,   ou encore là.
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