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 Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16

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MessageSujet: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 06 Oct 2021, 14:22

"Il disait aussi aux disciples : Un homme riche avait un intendant ; celui-ci fut accusé de dilapider ses biens. Il l'appela et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton intendance, car tu ne pourras plus être mon intendant. 3L'intendant se dit : Que vais-je faire, puisque mon maître me retire l'intendance ? Bêcher ? Je n'en aurais pas la force. Mendier ? J'aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu'il y ait des gens qui m'accueillent chez eux quand je serai relevé de mon intendance. Alors il fit appeler chacun des débiteurs de son maître ; il dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ? — Cent baths d'huile, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet, assieds-toi vite, écris : cinquante. Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? — Cent kors de blé, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet et écris : Quatre-vingts. Le maître félicita l'intendant injuste, parce qu'il avait agi en homme avisé. Car les gens de ce monde sont plus avisés dans leurs rapports à leurs semblables que les fils de la lumière" (Luc 16,1-Cool.

Certains commentateurs nomment cette parabole : "La parabole de l'intendant habile" et d'autres : "Parabole de l'intendant infidèle", effectivement cet homme est à la fois "injuste" et "avisé", pourtant il est félicité par son maître. L'auteur de la parabole considère-il que l'intelligence, voir la malice excusent le fait d'être malhonnête et trompeur. La morale de cette parabole pourrait- être : Vaut mieux un malhonnête, intelligent qu'un juste, sans sagesse pratique. Est-ce une parabole cynique, réaliste et pragmatique ? Pourquoi le maître fék=licite-t-il un intendant qu'il l'a volé ?
Comment comprendre la conclusion du v 8 : "Car les gens de ce monde sont plus avisés dans leurs rapports à leurs semblables que les fils de la lumière" ?
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 06 Oct 2021, 15:48

Sur la question générale des "paraboles immorales" de Luc, et la problématique "paulino-gnostico-marcionite" qu'on peut deviner derrière, voir ici (en particulier 19.8.2021). L'idée que la loi et l'ordre ordinaire, si je puis dire, leur justice et leur justesse juridiques et comptables, soient subvertis à même leur exercice par un principe à sa façon supérieur, sagesse ou intelligence, et qu'ils soient forcés de le reconnaître malgré tout (hommage de la vertu, non au vice, mais à la vertu plus manifeste dans le vice que dans la simple vertu), serait admirablement illustrée par le corps de la parabole. Evidemment ce n'est pas ainsi que peuvent l'entendre les rédactions "ecclésiastiques" de Luc-Actes, qui s'efforcent de neutraliser la portée subversive du propos par une série de conclusions (leçons, morales) édifiantes, mais aussi divergentes ou contradictoires à mesure qu'elles s'additionnent (lire la suite, v. 9ss qui font toujours écho, de façon de plus en plus dissonante, à la "parabole").

La première de ces "leçons" (v. 8b) est en fait très ambiguë en grec, mot-à-mot: car les fils de cet âge-monde (aiôn) sont plus avisés que les fils de la lumière envers leur propre génération." On peut l'entendre comme un éloge de la "sagesse pratique", dont des chrétiens trop "idéalistes" feraient bien de s'inspirer, mais aussi comme un désaveu du jugement favorable du maître, jugement réduit à celui de "cette génération", appellation généralement péjorative -- auquel cas le "maître" ne serait plus du tout le "Dieu" chrétien, mais plutôt le "dieu de ce monde"; comme dans une lecture gnostico-marcionite d'ailleurs, à ceci près que la tromperie de ce maître y serait réprouvée et non approuvée (ce qui va être aussitôt renversé par la "leçon" suivante)...
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 06 Oct 2021, 16:18

Geoffrey Jackson : Soyons fidèles dans l’utilisation de nos biens matériels (Luc 16:9)

https://www.jw.org/fr/biblioth%C3%A8que ... 2_10_VIDEO

Une petite parenthèse avec cette vidéo ou j'ai du mal à comprendre la finalité de ce discours (tout en nuance, pour une fois). La nuance qui est établie entre "injuste" et "malhonnête" est-elle fondée ? L'orateur fait également allusion au point suivant :

"Les intendants prélevaient leur bénéfice sur les marges qu'ils ménageaient dans les transactions. la pratique correspond aujourd'hui à ce que nous appelons surfacturation. Réduire le montant de l'emprunt dû au maître n'est pas le voler mais réduire la marge de l'intermédiaire. le procédé n'est pas très reluisant mais légal, c'est pourquoi le maître ne s'offusque pas de l'astuce, qui ne le lèse pas mais permet au gérant d'empocher le bénéfice moral de l'opération auprès des débiteurs".

Parlons argent : économistes, psychologues et théologiens s'interrogent
De Daniel Marguerat, Nicoleta Acatrinei
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 06 Oct 2021, 16:47

Ton lien est incomplet, je n'ai donc pas vu la vidéo (ça n'a pas l'air d'être dans celle qui apparaît sur la page, mais je ne vais pas me taper les 54 minutes pour m'en assurer)...

L'explication que tu reproduis est une façon astucieuse, mais superficielle, d'éviter le problème "moral" (si ça vient de la Watch, je doute qu'elle l'ait inventée), mais elle ne correspond pas vraiment au texte où ce qui est réduit ce sont des quantités de biens et non des sommes d'argent.

L'expression du v. 8(a) est un hébraïsme (ou un "septuagintisme", puisque la Septante calque habituellement l'emploi de "l'état construit" hébreu par un génitif, au lieu d'employer l'adjectif qui est plus naturel en grec comme en français): oikonomos tès adikias, mot-à-mot "intendant de l'injustice" -- ce qui se comprend le plus naturellement comme "intendant injuste", tout en favorisant la "morale" des v. 9ss,  "le mam(m)on de l'injustice"... Au passage, il y a aussi une ambiguïté quant au sujet de la phrase en 8a: le kurios qui félicite l'intendant, est-ce le "maître" de la parabole ou le "Seigneur", Jésus,  souvent désigné ainsi dans Luc (cf. p. ex. 7,13.19; 10,1.39.41; 11,39; 12,42; 13,15; 18,6; 19,8; 22,61) ? Dans le second cas la parabole proprement dite s'arrêterait au v. 7 et on aurait un premier "commentaire" en 8a.


Dernière édition par Narkissos le Mer 06 Oct 2021, 17:00, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 06 Oct 2021, 16:52

Citation :
on lien est incomplet, je n'ai donc pas vu la vidéo (ça n'a pas l'air d'être dans celle qui apparaît sur la page, mais je ne vais pas me taper les 54 minutes pour m'en assurer)...

https://www.jw.org/fr/biblioth%C3%A8que/videos/#fr/mediaitems/PrgEvtFeatured/pub-jwb-082_10_VIDEO
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 06 Oct 2021, 17:23

Merci. C'est en effet nettement mieux que d'habitude, en particulier le rapprochement entre le "gaspillage" initialement reproché à l'intendant et celui du fils "prodigue" au chapitre précédent (15,13; 16,1); soit dit en passant, le verbe dia-skorpizô a plus généralement le sens de "disperser" (cf. 1,51; Matthieu 25,24ss; 26,31 // Marc 14,27; Jean 11,52; Actes 5,37).

En revanche, l'objection que j'avais formulée dans mon post précédent tient toujours (ledit Jackson évite d'ailleurs soigneusement de lire les versets concernés): il ne s'agit pas de déduire d'une somme d'argent due la part qui pourrait à la rigueur correspondre à la commission de l'intendant, mais de réduire faussement une quantité de biens (huile ou blé) reçue, indépendamment de son prix; donc, de toute façon, la dette qui reste due au maître... D'autre part, si l'intendant n'est coupable ni du "gaspillage" dont il est incriminé au départ, ni de malversation dans ses opérations ultérieures, on se demande bien pourquoi on le taxerait d'"injustice" (ou de "malhonnêteté" si l'on veut traduire ainsi, ça ne change rien au problème).

(N.B.: j'ai ajouté entre-temps un dernier paragraphe à mon post précédent.)
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeJeu 07 Oct 2021, 11:04

Dans l'attitude de l'intendant "injuste", ce qui est loué, c'est le but ou l'intention, se faire des "relations" influentes. Il y a un côté pragmatique chez l'auteur qui recommande d'avoir un "réseau". 

Il me semble que l'on peut établir un parallèle entre (16,4) et (16,9) ce impliquerait que le v9 serait aussi une morale de la parabole :

"Je sais ce que je vais faire, pour qu'il y ait des gens qui m'accueillent chez eux quand je serai relevé de mon intendance" (16,4)

"Eh bien, moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec le Mamon de l'injustice, pour que, quand il fera défaut, ils vous accueillent dans les demeures éternelles" (16,9) NBS

 « Eh bien ! moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l’Argent trompeur pour qu’une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles" (16,9) TOB.

Qui doit accueillir dans les demeures éternelles ... Qui sont ces "amis" ...  l’Argent trompeur ???
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeJeu 07 Oct 2021, 11:50

Le "réseau" offre en effet une excellente "traduction" contemporaine.

Le v. 9 se présente assurément comme un "commentaire" (conclusion, leçon, morale) de la parabole, le deuxième ou le troisième selon la manière dont lit le v. 8 (8a parole du "maître" ou du "Seigneur", voir supra) -- et probablement pas le dernier, si on lit bien la suite qui peut toujours se rapporter à la parabole, mais dans des "sens" différents (10ss).

Dans le "contexte" général de Luc tel que nous le lisons, les "amis" se comprennent naturellement comme les "pauvres" à qui l'on aura fait du bien d'une façon ou d'une autre, tant et autant qu'on le pouvait, l'"aumône" ou la "charité" étant traditionnellement connectées à l'idée de récompense divine (depuis les Proverbes, "qui donne au pauvre prête à Yahvé", jusqu'à nos clichés à nous, "le bon Dieu vous le rendra", en passant par le "trésor dans le ciel" des évangiles; là-dessus les morales juive ou chrétienne ne se distinguent guère des morales "païennes"): de ce point de vue l'enchaînement sur la parabole du riche et de Lazare semblerait également assez logique.

En revanche, il paraît difficile d'identifier le "maître" de la parabole à "Dieu", du moins au "Dieu" chrétien, puisqu'il aura fallu le duper par une "sagesse" supérieure pour arriver à ce happy ending hors de son domaine -- ce qui se comprendrait bien mieux dans la perspective "gnostico-marcionite" évoquée précédemment: la "sagesse" ou la "connaissance" ne libère qu'en trompant la "justice" des princes de ce monde (cf. 1 Corinthiens 2 etc.); d'où aussi les relectures gnostiques de la Genèse (la connaissance ou la sagesse, par le serpent "avisé" et la femme, délivrent de l'emprise d'un créateur et législateur non "diabolique", mais borné).

Je ne résiste pas à renvoyer une fois de plus à La voie lactée de Buñuel, qui est décidément une mine...
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeVen 08 Oct 2021, 11:07

Il est vrai que la parabole ne nomme pas "les pauvres" mais en rapprochant les deux paraboles, l'auteur nous invite à voir en eux, les amis que le riche gagne par sa richesse. On ne voit d'ailleurs pas qui seraient les amis, sinon les pauvres. ainsi il y a lieu avant tout de relier le récit de de l'intendant injuste qui ouvre le
chap. 16, au récit de Lazare qui le termine. On retrouve dans ces deux paraboles un véritable parallélisme des morales. Le riche du récit de Lazare semble avoir mis un abîme infranchissable entre lui et la misère de Lazare :

"En plus de tout cela, un grand gouffre a été mis entre nous et vous, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne puissent le faire, et qu'on ne traverse pas non plus de là-bas vers nous" (16,26).

Le riche en ayant gardé sa richesse que pour lui, sans la partager, sa bouche ne recevra même pas les gouttes d'eau qui pourraient la rafraîchir, parce que Lazare n'a pas bénéficié de l'opulence du riche (il n'a pas eu les miettes qui auraient pu soulager sa faim). La parabole de l'intendant injuste invite le riche à rétablir le lien avec les pauvres en gagnant leur amitié par le partage de sa richesse. Dans la parabole du riche et de Lazare, le riche établit un lien avec le pauvre :

"Le riche dit : Alors, je te demande, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père ; car j'ai cinq frères. Qu'il leur apporte son témoignage, afin qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de tourment !" (16,27-28).

Le riche se sauve (ou pourrait se sauver lui et sa famille) en intégrant le pauvre dans sa communauté. Ainsi les deux paraboles, qui constituent les portiques d'entrée et de sortie du chap. 16, forment un seul enseignement. L'amitié du pauvre, acquise par le partage, voilà ce qui donne (éventuellement) au riche son entrée au Royaume. Les pauvres sont les introducteurs des riches dans les demeures éternelles.
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeVen 08 Oct 2021, 12:03

Avant même la parabole du riche et de Lazare (v. 19ss), l'interprétation serait (à nouveau) tirée dans ce sens-là par le v. 13 (// Matthieu 6,24, Dieu vs. "mamôn" plus ou moins personnifié, en écho au commentaire du v. 9; voir ci-dessous), et le qualificatif de philarguroi ("amis de l'argent") décerné aux "pharisiens" au v. 14. Cela ne convient toutefois que très partiellement à la (première) parabole (v. 1ss), où ni l'intendant ni le maître, à l'évidence, ne méprisent l'argent. Il ne fait cependant guère de doute que c'était déjà l'intention de la leçon-commentaire du v. 9: dans la parabole ce sont les débiteurs du maître, présumés moins riches que lui puisqu'ils doivent lui emprunter des biens de consommation sans les payer comptant, dont l'intendant se fait des "amis" in extremis, pour qu'ils le reçoivent "dans leurs maisons", eis tous oikous autôn v. 4, lesquelles deviennent des "tentes éternelles", aiônious skènas, dans l'interprétation du v. 9.

Dans la parabole du riche et de Lazare, on ne sait pas au juste si Lazare bénéficie ou non des "miettes" ou des "restes" (psikhion) de la table du riche -- les "miettes" et les "chiens" sont manifestement récupérés de Marc 7,14ss // Matthieu 15,21ss, l'histoire de la Syro-phénicienne / Cananéenne écartée par Luc. Là encore, il y a analogie et confusion possible avec la parabole du "fils prodigue", qui "désirait" (epithumeô dans les deux cas, 15,16; 16,21) la nourriture des cochons, mais on ne la lui donnait pas (ce qui n'est pas précisé pour Lazare, sinon par quelques manuscrits qui font précisément le rapport).

D'autre part, la fin de cette parabole (v. 27ss) l'oriente dans une tout autre direction, moins morale et sociale que religieuse et antijudaïque, avec l'idée d'une résurrection de Lazare (cf. Jean 11) et la référence à "Moïse et les Prophètes".

Bref, il y a bien une certaine cohérence au niveau de la composition et de la rédaction "finales" (Luc-Actes tels que nous les lisons), mais elle reste très superficielle par rapport au détail des textes, qui suggère une foule de sens disparates, stratifiés au gré des ajouts et des réécritures, sens que nous ne pouvons que deviner.

Ainsi l'aramaïsme ostensible mamôn (bien connu par la littérature rabbinique et différemment orthographié selon les manuscrits du NT, d'où la transcription usuelle Mammon), qui ne se trouve (dans le NT) qu'en Matthieu 6 et Luc 16 et ne signifierait rien pour un hellénophone étranger aux traditions juives et/ou chrétiennes, tend naturellement à être compris comme un nom propre (d'où la majuscule dans beaucoup de traductions françaises), ce qui "personnifie" l'Argent et en fait une sorte d'anti-Dieu, ou de rival de Dieu (c'est le sens obvie de l'alternative en Matthieu 6,24 // Luc 16,13): dans cette perspective, l'amour ou le "service" de l'argent est assimilé à une forme de polythéisme ou d'idolâtrie (cf. Colossiens 3,5); y renoncer ou s'en débarrasser, qu'on l'entende dans un sens plus ou moins "réel" ou "idéal",  absolu ou relatif (c'est là que gît sans doute la principale différence entre Matthieu et Luc, jusque dans leur façon de comprendre les mêmes énoncés), est donc une affaire essentiellement "religieuse": dans cette logique, que l'argent serve ou non à quelqu'un d'autre, aux "pauvres", cela devient indifférent, ou du moins accessoire -- à la limite, on ne rendrait pas service aux "pauvres" en les enrichissant; à l'inverse, l'"aumône" ou la "charité" requièrent évidemment qu'il reste des gens assez "riches", en tout cas moins pauvres que les "pauvres", pour donner. Cette contradiction fondamentale traverse à l'évidence ce chapitre (entre les v. 9 et 11 d'une part, 13 d'autre part), mais on la retrouve un peu partout dans les traditions évangéliques en général (p. ex. entre les récits qui impliquent un abandon immédiat et total des biens, du genre "lâche tout, viens et suis-moi", notamment Luc 9,57ss // Matthieu 8,19ss, et ceux qui impliquent une opération de vente et/ou de distribution de biens ou d'argent, p. ex. Luc 12,33; 18,22 // Marc 10,21 // Matthieu 19,21; cf. Actes 2,45).
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeLun 11 Oct 2021, 11:26

Citation :
dans cette perspective, l'amour ou le "service" de l'argent est assimilé à une forme de polythéisme ou d'idolâtrie (cf. Colossiens 3,5); y renoncer ou s'en débarrasser, qu'on l'entende dans un sens plus ou moins "réel" ou "idéal",  absolu ou relatif (c'est là que gît sans doute la principale différence entre Matthieu et Luc, jusque dans leur façon de comprendre les mêmes énoncés), est donc une affaire essentiellement "religieuse": dans cette logique, que l'argent serve ou non à quelqu'un d'autre, aux "pauvres", cela devient indifférent, ou du moins accessoire -- à la limite, on ne rendrait pas service aux "pauvres" en les enrichissant; à l'inverse, l'"aumône" ou la "charité" requièrent évidemment qu'il reste des gens assez "riches", en tout cas moins pauvres que les "pauvres", pour donner. Cette contradiction fondamentale traverse à l'évidence ce chapitre (entre les v. 9 et 11 d'une part, 13 d'autre part), mais on la retrouve un peu partout dans les traditions évangéliques en général (p. ex. entre les récits qui impliquent un abandon immédiat et total des biens, du genre "lâche tout, viens et suis-moi", notamment Luc 9,57ss // Matthieu 8,19ss, et ceux qui impliquent une opération de vente et/ou de distribution de biens ou d'argent, p. ex. Luc 12,33; 18,22 // Marc 10,21 // Matthieu 19,21; cf. Actes 2,45).
Narkissos merci pour cette analyse qui réponds à une interrogation liée à cette "contradiction", en effet le texte pose une question qui interpelle :  "Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance avec le Mamon injuste, qui vous confiera le bien véritable ?" (16,11). Il s'agit ici, d'être digne de confiance avec "le  Mamon injuste", alors que le verset 13  affirme : "Aucun domestique ne peut être esclave de deux maîtres". 

"Eh bien, moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec le Mamon de l'injustice, pour que, quand il fera défaut, ils vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans une petite affaire est aussi digne de confiance dans une grande, et celui qui est injuste dans une petite affaire est aussi injuste dans une grande. Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance avec le Mamon injuste, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour ce qui appartenait à quelqu'un d'autre, qui vous donnera votre propre bien ?" (16,9-12).

L'argent est mammon d'injustice parce qu'il provient de la rapine. L'auteur aurait insinué ainsi que la richesse ne peut s'accumuler que moyennant une injustice. La morale de la parabole pourrait être : Quand vous vous êtes enrichis injustement, servez-vous de vos richesses injustement acquises pour vous faire des amis en les distribuant aux pauvres. Nous pouvons envisager l'idée que la richesse est injuste, pas seulement en rapport avec son mode d'acquisition mais par "nature", en elle-même, si elle n'est pas partagée avec les pauvres. La parabole de l'intendant injuste indique aux riches une voie de salut, onéreuse mais possible : le partage des biens acquis avec les nécessiteux, c'est peut-être le sens de la sentence suivante : "Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance avec le Mamon injuste, qui vous confiera le bien véritable ?"
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeLun 11 Oct 2021, 12:54

A mon avis il ne faut pas chercher une logique globale et cohérente dans cette accumulation de "morales", malgré les conjonctions "logiques" (p. ex. "donc"): elle témoigne surtout de l'embarras de chaque rédacteur devant le texte qu'il trouve et transmet (la parabole et les morales existantes à ce stade), en lui rajoutant à chaque fois une nouvelle couche de "morale" qui ne fait que compliquer l'ensemble. Ainsi, dans le détail, le v. 10 semble aller à l'encontre de tout ce qui précède, en réprouvant le comportement de l'intendant (qui en tant qu'"injuste", adikos, n'est pas pistos, "fidèle" ou "digne de confiance"), mais cette "morale" est ensuite ramenée dans le sens du v. 9 par les v. 11s: en étant "injuste" et "infidèle" ou "indigne de confiance" au premier degré, l'intendant se montrerait "fidèle" dans ce qui est peu (l'argent) au regard d'un critère transcendant (divin, céleste: le "vrai" bien qui est aussi le "propre", nouvelle résurgence "gnostique" dans une série de commentaires qui s'en écartait plutôt).
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeLun 11 Oct 2021, 13:06

L'argent et le discours ambigu des Eglises


Dans l’histoire du christianisme, l’Eglise a tenu un discours très ambigu sur l’argent. D’un côté, elle a durablement culpabilisé les riches en brandissant contre eux les menaces prophétiques. D’un autre côté, elle a sollicité sans retenue leurs aumônes afin de financer ses œuvres. Le théologien Daniel Marguerat a ouvert lundi 10 janvier un cycle de conférences sur l'argent à l'Espace culturel des Terreaux à Lausanne. Interview.

Il est vrai que l’attention charitable des chrétiens à l’égard des démunis a été et demeure impressionnante, souligne M. Marguerat, professeur honoraire de la Faculté de théologie de l'Université de Lausanne. Le rôle social de la diaconie chrétienne mériterait d’être plus remarqué qu’il ne l’est, notamment par les tenants d’une laïcité agressive. Du côté de l’Eglise, l’erreur a toutefois été de fonder ses appels de fonds sur une culpabilisation des riches ; l’agressivité que récolte aujourd’hui l’Eglise est pour une part le fruit de cette manipulation des consciences.

Tania Buri : Dans le Nouveau testament, Jésus appelle l'argent « Mamon » et explique que l'humain ne peut pas servir Dieu et l'argent? La vision de l'argent a-t-elle changé entre l'Ancien et le Nouveau testament?

Daniel Marguerat : Jamais la Bible hébraïque n’a mis en concurrence Dieu et l’argent, au contraire. L’argent y est valorisé comme un signe de la bénédiction divine. La saga des patriarches montre qu’une grande famille, d’abondants troupeaux et une longue vie sont la signature d’un Dieu bon. Il ne viendrait pas à l’esprit d’un lecteur d’Ancien Testament d’affirmer que posséder est une chose honteuse ; c’est la pauvreté, au contraire, qui est misère.


T. B. : Revenons à l’Argent-Mamon. Pourquoi Jésus lui octroie-t-il un nom, qui fait de lui une idole ?

D. M. : Jésus dénonce ce que nul ne conteste aujourd’hui : la fascination qu’exerce l’argent. Cette fascination ne vise pas l’argent comme tel, mais ce qu’il représente : la réussite, le succès, le pouvoir, l’admiration. L’argent est devenu remède d’immortalité.

La petite parabole du paysan fortuné décrit avec ironie ce phénomène. L'homme est si riche, qu'il prévoit de bâtir des greniers plus grands pour entreposer ses récoltes et ses biens. Il entend ensuite se reposer et faire bombance. Mais il mourra avant d'avoir pu en profiter.

Le portrait psychologique du nanti est très réussi. L’accumulation de réserves dit l’inquiétude du lendemain, la peur de manquer, l’angoisse devant la précarité. Dans l’attrait qu’exerce l’argent, c’est la peur de la mort qui est tapie.

L’ironie de la parabole veut qu’au moment où le gros propriétaire se dit : « Repose-toi », au moment même où il espérait avoir triomphé de sa fragilité, la mort l’emporte. C’est pourquoi Jésus qualifie Mamon de « trompeur ». Parce qu’il ne tient pas ses promesses.

T. B. : Le don et la gratuité comme antidotes?

D. M. : Le philosophe protestant Jacques Ellul a trouvé une heureuse formule : il faut profaner l’argent. Ellul appelle à une désacralisation de l’argent-Mamon, qui lui retire ses promesses illusoires pour lui restituer sa fonction d’instrument matériel d’échange. Comment mener cette entreprise profanatoire ? Le philosophe invite pour cela les chrétiens à introduire, dans une société dominée par l’argent-Mamon, la sphère du don et de la gratuité.

Moraliser le capitalisme ?

Dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, un livre de 1904, Max Weber a défendu la thèse qu’en reconduisant la vocation du chrétien au centre de la création, le protestantisme avait créé les conditions de naissance du capitalisme.

Un geste remarqué de Jean Calvin fut d’autoriser le prêt à intérêt. Interdit par l’Eglise catholique, celui-ci fut pratiqué durant tout le moyen âge par les juifs, auxquels seule cette activité financière était autorisée. Calvin brise le tabou en estimant que cet interdit entrave le développement de la libre entreprise.

Sa réflexion intègre les intérêts de l’ensemble de l’économie : l’argent, dans la société, relie les gens entre eux ; de ce point de vue, l’argent thésaurisé est donc stérile ; le prêt à intérêt est un moyen de le mettre en circulation.
Le Réformateur de Genève a prévu des prêts sans intérêt pour les personnes dans le besoin.
Dans la foulée, on a fait du Réformateur de Genève, non sans reproche, le « père du capitalisme ». Comme s’il avait, par ce geste, libéré les démons de la recherche sauvage du profit. Or, on ignore le plus souvent ce que fut la véritable intervention de Jean Calvin. Il n’a pas simplement libéralisé le marché de l’argent au profit des entrepreneurs de son temps. Le Réformateur a également différencié clairement deux types de prêts (pour user des termes actuels) : le crédit à la consommation et le crédit aux entreprises.

Le crédit aux entreprises doit exiger un intérêt modéré, mais son usage est favorable. Contrairement à l’opinion de son temps, Calvin estime que l’argent est productif comme n’importe quelle marchandise, et qu’il est légitime que le créancier reçoive sa part de cet enrichissement sous forme d’intérêts. En revanche, le crédit à la consommation est accordé à quelqu’un qui est dans le besoin ; ce prêt doit être dépourvu d’intérêts, et même sans attendre de reconnaissance du débiteur.

https://www.reformes.ch/201101125471/5471-largent-et-le-discours-ambigu-des-eglises.html
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeLun 11 Oct 2021, 13:35

Pour ma part je n'attends pas grand-chose de Marguerat, surtout dans ce format journalistique et sur l'AT qui n'est pas son rayon (les vaticinations "prophétiques" contre les "riches" font bien partie de l'AT, et elles ont influencé bien d'autres textes que les "Prophètes", y compris la Torah, les psaumes ou la littérature sapientiale)... mais je m'étonne que même dans sa spécialité (NT) il se laisse aller à des déclarations aussi générales, alors que les attitudes à l'égard de "l'argent" varient considérablement d'un texte à l'autre, parfois même d'une phrase à l'autre comme on vient de le voir. On peut toutefois en retenir des références périphériques mais utiles, à Calvin sur la différenciation des sortes de crédit (sous réserve de vérification), à Ellul qui est un penseur extrêmement intéressant (malgré les défauts de l'"essayiste", quelque peu dispersé ou brouillon); et, en ce qui concerne Luc, à la parabole de 12,16ss, qui a priori n'a rien d'"immoral" sauf quand on la rapproche de son contexte (v. 13ss: refus d'arbitrage, donc d'une certaine "justice").
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 13 Oct 2021, 10:01

Justes ou pécheurs ? Les disciples entre pharisiens et publicains (Lc 16,1-18 ; 17,20-18,30 ; 19,1-10 ; 7,1-10)

16 Cette « autour de la problématique du péché, de la justice et de la conversion est déployée de manière plus large aux chapitres 16 à 18 de l’Évangile, où se concentre le vocabulaire de la justice. La parabole de l’intendant d’injustice (Lc 16,1-17), pour le moins énigmatique en elle-même, est éclairée par son contexte narratif, et notamment par les commentaires subséquents. Loin d’être un enseignement de sagesse, elle pose un antagonisme radical entre la logique du règne de Dieu et celle du règne de l’argent. Cette dernière est fondée sur une conception mathématique de la justice, sur la loi. L’acte du don ne peut que lui apparaître comme injustice. L’économe est loué parce qu’il a poussé la logique de l’argent jusqu’à son terme absurde : en réduisant les dettes des clients de son maître, il pousse son avantage jusqu’au point où cette logique (celle du profit) aboutit à l’exact opposé des principes sur lesquels elle est apparemment fondée. Il dévoile la justice du Mamon pour ce qu’elle est : une injustice foncière. Et cela dans un mouvement qui ne vise pas à en sortir (il espère bien que ceux qui profitent de ses largesses vont le lui rendre), mais qui, de fait, parce qu’il est sous le coup du jugement de son maître, en est déjà sorti. La justice des pharisiens est ainsi dénoncée comme injustice, car fondée sur la rétribution et non sur le don, sur le droit et non sur la confiance, sur la fausse assurance de la loi et non sur l’espérance de la grâce. D’où les v. 16-18 qui dénoncent la quête pharisienne de la justice au prix d’accommodements avec les virgules de la loi : cette quête n’est autre que la résistance à l’Évangile du règne de Dieu.


https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2015-1-page-95.htm
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeMer 13 Oct 2021, 12:04

L’évolution récente de l’exégèse (académique et francophone) du NT -- que je ne suis plus, du verbe suivre, que par ce forum, c’est-à-dire de très loin et sur un mode aléatoire -- me laisse un tantinet rêveur : on aurait « dépassé », tout en l’intégrant (ce serait encore « hegelien »), le moment « critique », au sens d'une « critique » non seulement « historique » ou « idéologique » mais aussi « littéraire », « ana-lyse », « dé-construction » ou « dé-composition » des unités et strates scripturales ou rédactionnelles, pour aboutir à quoi ? A une sorte de paraphrase savante, nourrie de « sciences humaines », de la narratologie à la psychanalyse, mais consensuelle et édifiante, un « prêt-à-prêcher » œcuménique en somme, de nature à conforter toute sorte de catéchismes et de sermons ecclésiastiques traditionnels sans jamais les inquiéter. Si les christianismes historiques s’étiolent par manque général d’intérêt, ce ne sera du moins pas la faute d’une théologie hypercritique qui scierait la branche sur laquelle elle est assise, selon un cliché qui a pu valoir au XIXe siècle et pendant une bonne partie du XXe, mais qui est de moins en moins pertinent depuis les années 1980.

Interpréter les grands ensembles (Luc-Actes ou le corpus paulinien) en tant que tels, il faut naturellement le faire aussi, mais si on ne fait que ça, ou si la vulgarisation n’en retient que ça, on y perd immanquablement toutes les « idées fortes » qui ne s’expriment vraiment, jusque dans leurs contradictions, que dans des unités littéraires beaucoup plus restreintes (de la péricope à la phrase). Et en définitive le lecteur qui s'expose à ce type de "vulgarisation" s'éloigne de ce qui fait à mon sens l'intérêt majeur de "la Bible", et qu'il y trouverait bien mieux tout seul: des idées foncièrement différentes, parfois contradictoires, qui peuvent néanmoins jouer ensemble dans sa tête ou dans son coeur comme dans les textes, quoique toujours autrement.

Qu'il y ait des échos (résonances ou harmoniques) d'un certain "paulinisme" dans Luc-Actes, personne n'en doute, mais il serait très réducteur d'envisager l'ensemble sous ce seul "rapport" -- comme si ledit paulinisme, lui-même d'ailleurs réduit pour l'essentiel aux épîtres aux Romains et aux Galates où la question de la "justice" et de la "justification" prend un tour très "original", qui n'existait pas auparavant (correspondance corinthienne) et ne se prolongera pas (Colossiens-Ephésiens) sans des modifications profondes, constituait la seule "source" dont tout découle ou dérive, et à partir de laquelle tout doive s'expliquer: ce n'est assurément pas le cas, Luc-Actes reflète bien d'autres "théologies" que paulinienne(s) -- qu'on pense aux premiers discours de "Pierre" ou d'"Etienne", sans parler de la foule de logia "lucaniens" qui partent en fait dans tous les sens, sens toujours nettement perceptibles en dépit de leur "contexte" narratif ou rhétorique (introductions ou prétextes, conclusions, leçons ou morales). En l'espèce, il me semble abusif de référer toutes les mentions des "justes" ou des "injustes", de la "justice" ou de l'"injustice", et même d'une "justification" (dikaios, adikos, dikaiosunè etc.) dans "Luc-Actes"  à "Paul", fût-ce pour constater une différence ou un écart, comme si "Paul" était le seul ou le premier à parler de "justice". En ce qui concerne notre texte (16,1ss), la prédication du don, de la générosité, de la grâce ou de la gratuité s'appuie beaucoup plus sur la série de commentaires des v. 9ss (à condition de ne pas y regarder de trop près pour ne pas voir les différences d'une "morale" à l'autre) que sur la "parabole" elle-même (1-7 ou 8a).
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeJeu 14 Oct 2021, 11:31

La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare. Antithèse de la parabole de l'intendant astucieux

Premier tableau : le riche et le pauvre sur la terre (w. 19-21 )

Certains interprètes imaginent la conduite vertueuse qui vaudra ensuite au pauvre Lazare d'accéder à la béatitude éternelle ". Or le texte évangélique ne dit rien à ce sujet. Il ne faudrait pas en conclure qu'il promet le paradis à tous les indigents sans distinction et qu'un mendiant tel que Lazare est assuré de l'obtenir. Le pauvre
Lazare n'est là que pour mettre en évidence la dureté de cœur du riche ; il n'est que le représentant des malheureux dont le riche devrait avoir pitié.

Quoique de toute évidence la parabole soit une protestation contre le mauvais usage des biens matériels, elle ne dit pas cependant que le riche ait acquis sa fortune par des moyens frauduleux ni qu'il la gaspille en se livrant à la débauche ; un trait surtout étonne : comment se fait-il que le texte ne fournisse aucun renseignement
concret sur l'inhumanité du riche à l'endroit du pauvre Lazare ? C'est cette omission assez extraordinaire qu'invoque le P. Buzy pour soutenir l'interprétation invraisemblable que nous avons critiquée plus haut.

Puisque les détails des paraboles évangéliques sont d'ordinaire choisis en fonction de la leçon qui nous est proposée, on est ainsi conduit à la conclusion suivante : ce que le texte évangélique entend souligner, c'est uniquement la juxtaposition révoltante de l'opulence extrême et de la misère extrême, sans que celui qui est
riche se soucie le moins du monde d'entrer en rapport de communion avec celui qui est pauvre en lui faisant part de ses biens. Nous avons là l'antithèse exacte du comportement demandé aux riches dans la parabole de l'intendant astucieux : ne doivent-ils pas se servir de leur argent pour se faire des amis parmi les pauvres ?

Deuxième tableau : le riche et le pauvre dans l'autre monde (w. 22-26)

Le mauvais riche s'adresse à Abraham, et, par lui à Lazare pour obtenir un adoucissement à son tourment. Le rôle de surintendant des biens célestes dévolu ainsi à Abraham et celui d'intendant des mêmes biens attribué à Lazare correspondent à ce qui est dit dans l'intendant astucieux des pauvres secourus par les riches ;
rappelons que ce sont eux qui reçoivent leurs bienfaiteurs dans les tentes éternelles.

Le v. 25 : « Souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie et Lazare pareillement les maux ; maintenant ici il est consolé et Abraham voulait simplement dire : chacun son tour ; il est normal que ceux qui ont eu sur la terre toutes les jouissances pâtissent maintenant, et inversement. Cette déclaration se réfère à un fait
absolument anormal et contraire à la volonté divine : la juxtaposition révoltante de l'extrême misère et de l'extrême opulence telle qu'elle est décrite aux vv. 19-21 ; elle doit donc être expliquée à partir des idées de partage et de communion qui sont à la base de l'intendant astucieux. Par conséquent elle signifie ceci : quand
tous les deux vous étiez sur la terre, plongés toi dans ton luxe insolent et Lazare dans la détresse, vous demeuriez sans aucune communication l'un avec l'autre ; vous viviez totalement séparés ; la richesse que tu regardais comme ta propriété absolue et le but de ton existence (il faut remarquer l'expression emphatique « tes biens » : ta agatha sou, au lieu de « les biens » ou « des biens ») n'a jamais été utilisée par toi pour faire de Lazare ton ami ; maintenant cette même absence de partage et de communion ne fait que se perpétuer, et Lazare qui est heureux ne peut d'aucune façon entrer en rapport avec toi pour te secourir dans ta souffrance ; ce n'est absolument pas sa faute s'il en est ainsi.

On lit au v. 26 : « Entre vous et nous un grand abîme (chasma mega) a été fixé, en sorte que ceux qui voudraient passer d'ici chez vous ne le peuvent pas, pas plus qu'on ne traverse de là-bas chez nous ». On a fait remarquer que cette image du grand abîme séparant deux régions opposées du royaume des morts ne se retrouve nulle part ailleurs, ni dans les descriptions bibliques, ni dans les descriptions juives de l'au-delà. Sa présence ici, que souvent on ne se donne pas la peine de justifier, s'explique aisément dans la perspective qui est la nôtre. Plutôt qu'un simple symbole de « l'impossibilité pour les élus comme pour les damnés de changer leur destin », ainsi que le pense la Nouvelle Bible de Jérusalem (p. 1507, note d), n'est-elle pas l'opposé de l'idéal de partage et de communion qui nous est décrit par l'intendant astucieux ? Un gouffre mis entre des personnes signifie leur définitive séparation, et non pas uniquement l'immutabilité de leurs destinées
respectives. Sur la terre il existait déjà un gouffre, sans aucune communication, entre l'opulence du riche et la misère de Lazare ; cette situation se prolonge dans l'au-delà : le châtiment divin n'est pas quelque chose qui s'ajouterait de l'extérieur aux actes mauvais ; ceux-ci portent en eux-mêmes leur fruit amer de séparation
d'avec Dieu et d'avec les hommes ".

La signification fondamentale de notre parabole, du moins de sa partie principale (w. 19-26), paraît donc être la suivante : en fermant son cœur à tout sentiment de pitié, en se barricadant délibérément dans un univers totalement clos qui veut ignorer la misère et les souffrances de leur prochain, les riches se préparent eux-mêmes sur la terre la punition impitoyable et définitive à laquelle ici-bas les artisans de leur perte éternelle ; en opposition avec 16, 9, où les pauvres récompensés par Dieu reçoivent leurs bienfaiteurs dans les tentes éternelles, la perte éternelle est conçue en ce passage comme une absence totale de communion qui résulte du
refus délibéré sur la terre de toute communion fraternelle.

https://www.nrt.be/fr/articles/la-parabole-du-mauvais-riche-et-du-pauvre-lazare-antithese-dela-parabole-de-l-intendant-asticieux-1030
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MessageSujet: Re: Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16   Un intendant injuste mais un homme avisé - Luc 16 Icon_minitimeJeu 14 Oct 2021, 12:53

Feuillet (1979) vieillit bien: on trouvera aussi au début de l'article des compléments utiles sur la première parabole (v. 1ss), notamment sur les références rabbiniques au "mam(m)on", que j'avais eu la flemme de rechercher.

Il faut surtout remarquer la correspondance entre ce qui précède immédiatement (v. 14-18) la seconde parabole (v. 19ss) et le dernier "tableau" de (ou ajouté à) celle-ci (v. 26ss), où un motif "religieux" ou "confessionnel", clairement antijudaïque (la loi / Moïse et les Prophètes), se mêle aux considérations "morales" et "sociales" sur la richesse et la pauvreté. On a parfois voulu préciser, dans le sens de l'allégorie, les "cinq frères" comme une allusion à différentes "sectes" ou "écoles" juives (comme pour les "cinq maris" de la Samaritaine en Jean 4), mais sans aller jusque-là on reconnaît bien un thème distinct, quoiqu'on puisse toujours y trouver un rapport (la Loi et les Prophètes recommandent en effet, entre autres choses, le souci des "pauvres", cf. les références de l'article, p. 220s).

Plus délicate est la question de savoir s'il faut considérer le riche comme "mauvais" et le pauvre (Lazare) comme "vertueux", alors que le texte n'en dit strictement rien. A mon sens, c'est passer à côté d'un trait commun à la littérature juive et chrétienne, surtout évangélique, qui tend à placer pour ainsi dire le type du "pauvre" (le petit, le faible, l'humble, le serviteur, l'esclave, la veuve et l'orphelin, l'enfant aussi) hors morale, comme d'ailleurs, symétriquement, son (type) opposé (le riche, le puissant, le fort, l'orgueilleux, etc.). Tout se passe effectivement comme si, par définition ou par défaut, pauvreté valait justice et richesse injustice. Bien sûr cette "équivalence" typique et axiomatique peut être tirée dans tous les sens (notamment là où "les pauvres", "les humbles" etc., deviennent des auto-appellations quasi "contrôlées", du moins stéréotypées, d'un groupe religieux indépendamment du statut socio-économique de ses membres, comme on peut le deviner dans certains psaumes et plus nettement à Qoumrân); il n'en reste pas moins que le sens concret, socio-économique, du pauvre et du riche, qui sert de "modèle" aux usages "figurés", échappe d'une certaine façon à la moralisation: on n'exige rien du "pauvre" en tant que tel, on n'attend rien du "riche" en tant que tel, c'est le présupposé plus ou moins discret pour que ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre puissent s'identifier, moralement ou religieusement, à l'un ou à l'autre en tant que "types". Il en reste assurément quelque chose dans les évangiles, et notamment chez Luc (cf. 4,18; 6,20; 7,22; 14,13.21; 18,22; 19,8; 21,2s): les "pauvres" sont les bénéficiaires "naturels" de "l'évangile", qui ne peut être pour eux que "bonne nouvelle", sans condition aucune, pas même la "foi": on ne leur demande rien. Et inversement les "riches" sont condamnés d'office, si du moins ils ne se défont pas de leur richesse, ne fût-ce que très partiellement, par l'aumône (cf. 1,53; 6,24; 8,14; 12,13ss; 14,12; 18,18ss; 19,1ss; 21,1ss). Ce genre de pensée se perd forcément dans une "religion" (juive ou chrétienne, d'ailleurs) qui, obnubilée par ce qui la distingue des autres (les incroyants, les infidèles, les hérétiques, les "païens", le "monde"), traite indifféremment ses propres adeptes, riches ou pauvres, en exigeant d'eux les mêmes pratiques religieuses ou morales distinctives, avec les mêmes promesses et les mêmes menaces pour tout le monde (c'est précisément ce que combat l'épître de Jacques).

En tout état de cause, Feuillet souligne avec raison le thème de la séparation (fermeture, clôture) dans la parabole: la porte du riche est aussi infranchissable pour Lazare dans le premier tableau que le gouffre qui sépare le riche dans l'Hadès du sein d'Abraham dans le second, la goutte d'eau impossible répond aux miettes (données, jetées, ramassées ou non), sur tout cela la symétrie des deux premiers tableaux est presque parfaite.
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