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 Il leur fera justice bien vite - Luc 18

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MessageSujet: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeMar 17 Aoû 2021, 14:07

"Il leur disait une parabole, pour montrer qu'il faut toujours prier, sans se lasser. Il dit : Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n'avait d'égard pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : « Rends-moi justice contre mon adversaire ! » Pendant longtemps il ne voulut pas. Mais ensuite il se dit : « Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n'aie d'égard pour personne, néanmoins, parce que cette veuve m'importune, je vais lui rendre justice, de peur que jusqu'à la fin elle ne vienne me casser la tête. » Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge injuste. Et Dieu ne ferait pas justice à ceux qu'il a choisis, alors qu'ils crient vers lui jour et nuit ? Il les ferait attendre ? Je vous le dis, il leur fera justice bien vite. Mais quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?" (Luc 18,1-Cool.


La réponse de Narkissos à mon interrogation :  la question « Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? », soulève de nombreuses QUESTIONS et interroge sur son sens ... L'auteur craignait-il la disparition de la foi ? ( https://etrechretien.1fr1.net/t323p50-pour-vous-qu-est-ce-que-la-foi#29285 ), m'a amené à réaliser que cette question fait partie de la parabole du juge et de la veuve. Le v. 8b, semble ne pas faire partie de la parabole ET n'avoir aucun rapport  avec la morale de cette parabole. En effet, on peut remarquer que l'apparition du Fils de l'Homme à cet endroit s'explique mal, puisque dans les versets précédents, il est question de Dieu. Le v 8 change également brusquement de ton, les v 7-8 s'appuyant sur l'exemple du juge, souligne la certitude de l'intervention décisive de Dieu avec la volonté de réconforter les lecteurs de la parabole or, le v.8b change de perspective et s'attaque aux certitudes de ceux-ci. La parabole se conclue effectivement d'une manière inattendue.
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeMar 17 Aoû 2021, 15:00

On retombe là sur le problème du "contexte", qui est problématique partout mais exemplairement dans les évangiles, et surtout chez Luc. Avec l'agrégation semi-aléatoire de "paroles (logia) de Jésus" en tout genre (sentences, maximes, proverbes, aphorismes hétéroclites, rattachés au petit bonheur à des récits et à des "paraboles" ou "allégories" plus ou moins développées, elles-mêmes mises plus ou moins artificiellement en situation par leur introduction le cas échéant), le "contexte" obscurcit souvent plus qu'il n'éclaire, d'autant que la rédaction s'efforce de donner un tour superficiellement "logique" aux enchaînements (par des conjonctions comme donc, parce que, car, en effet, ainsi, etc.). Dans un tel fatras tout se perd, autant le sens particulier d'une phrase donnée que des raisonnements ou des effets narratifs de plus longue haleine. D'où cette impression de bric-à-brac qu'on éprouve souvent à la lecture des évangiles, qu'on se l'avoue ou non, et qu'on ne peut démêler qu'en changeant constamment de perspective ("accommodation" au sens quasi optique du terme): tantôt il faut s'intéresser exclusivement à une phrase en oubliant tout "contexte", tantôt prendre du recul et regarder un ensemble, ne serait-ce que pour voir comment il fonctionne ou dysfonctionne...

Si l'on devait interpréter ici 8b comme une "partie" (pointe, chute, conclusion), ou même comme une "suite" ou une "prothèse" (leçon, morale, commentaire) de la parabole qui précède, la "foi", notion vaste et diverse s'il en est, se réduirait à la "persévérance dans la prière". Mais en fait le sens est perdu bien plus haut: le juge inique pouvait passer pour une illustration du "silence-inaction de Dieu" (ou du retard du "jugement" ou de la "parousie", dans un milieu eschatologique ou spécifiquement chrétien), mais ce sens est ruiné dès qu'on veut montrer que Dieu n'est précisément pas comme le juge; on peut tenter d'articuler les deux points de vue par un raisonnement a fortiori (qol wa-homer dans la rhétorique rabbinique: si un juge injuste finit par faire justice, à plus forte raison le Dieu juste, ce pourrait être l'intention du v. 7*). Mais dès qu'on introduit le motif positif de la promptitude (Dieu n'attend pas, ne tarde pas, il ne fait attendre personne, v. 8a), c'est la parabole initiale qui tombe à plat et perd toute raison d'être (pourquoi l'attente si Dieu est juste, et prompt de surcroît ?). L'ultime ajout de 8b, qui n'a effectivement aucun rapport avec ce qui le précède immédiatement, parachève la confusion tout en recollant un peu à la parabole initiale (il est bien question avec la "foi" de persévérance, jusqu'à un certain temps-événement, la venue du Fils de l'homme; mais non plus particulièrement de persévérance dans la prière).

*P.S. J'ai oublié de le signaler, mais c'est généralement indiqué dans les notes des "bibles d'étude" (en l'occurrence celle de la NBS): le v. 7 atteint en fait un sommet d'ambiguïté, dont on peut se faire une idée quand on se rappelle que le grec des manuscrits anciens ne comporte aucune ponctuation, ni point d'interrogation ni point d'exclamation; il peut marquer verbalement une question, par un mot dit "marqueur" -- c'est le cas en 8b avec l'interrogatif ara, "trouvera-t-il (donc/vraiment/seulement) la foi sur la terre ?" (notre tournure interrogative rend superflue et redondante la traduction du marqueur, qui devient une surtraduction); mais non au v. 7, mot-à-mot: "et le dieu ne fera pas la justice de (= ne fera pas justice à, ne vengera pas) ses élus qui crient à lui jour et nuit et il patiente/tarde pour eux". L'interprétation de la première proposition négative, au futur, comme une question (interro-négative) au conditionnel impliquant une réponse négative à la négation, donc une affirmation (non, il n'est pas vrai qu'il ne fera pas justice <=> si, il fera justice), et celle de la dernière proposition au présent (il patiente/tarde) sur la même lancée OU (au contraire) comme une "explication" de la première, qui supposerait un adversatif (MAIS c'est pour eux qu'il patiente, cf. 2 Pierre 3), tout cela est à la discrétion du traducteur, naturellement précédé dans sa décision par des siècles d'interprétation traditionnelle et d'exégèse moderne... L'ambiguïté semble certes balayée en 8a, mais si l'on considère le v. 7 (vaguement inspiré du Siracide, 35,22ss) pour lui-même, il y a de quoi hésiter sans fin ("indécidable" qui ne se tranche que par une décision, par définition "arbitraire"). D'autant qu'on peut encore deviner derrière le texte, comme souvent dans Luc et dans le corpus paulinien, le débat "marcionite" du dieu juste et du dieu bon (Luc et les épîtres de Paul, sans les Pastorales, constituant précisément l'enjeu textuel de la controverse, que chaque "camp" tire à soi par des "corrections" de sens opposés)...

Pour rappel, "le Fils de l'homme" est une figure apocalyptique tout à fait indépendante du christianisme au départ: il apparaît surtout dans la section dite des "Paraboles" du livre d'Hénoch, à partir notamment de Daniel 7, avec un rôle éminemment "judiciaire" -- c'est Dieu qui remet le jugement au Fils de l'homme, ce qui se reflète encore en Jean 5. Il n'est donc pas particulièrement incongru dans le "contexte" de Luc 18 (Dieu-juge), même s'il est douteux que les auteurs-rédacteurs responsables des développements successifs soient conscients de ce rapport (entre le "juge" et le "Fils de l'homme"). Un certain nombre de logia évangéliques en portent encore la trace -- notamment ceux où "Jésus" se réfère au "Fils de l'homme" comme à un autre que lui, ce qui pourrait formellement être le cas ici -- mais d'autres au contraire identifient purement et simplement "Jésus", y compris avant sa mort, au "Fils de l'homme" (et ce dès l'évangile de Marc).


Dernière édition par Narkissos le Mer 18 Aoû 2021, 12:10, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeMer 18 Aoû 2021, 12:05

Citation :
*P.S. J'ai oublié de le signaler, mais c'est généralement indiqué dans les notes (en l'occurrence celle de la NBS): le v. 7 atteint en fait un sommet d'ambiguïté, dont on peut se faire une idée quand on se rappelle que le grec des manuscrits anciens ne comporte aucune ponctuation, ni point d'interrogation ni point d'exclamation; il peut marquer verbalement une question, par un mot dit "marqueur" -- c'est  le cas en 8b avec l'interrogatif ara, "trouvera-t-il (donc/vraiment/seulement) la foi sur la terre ?" (notre tournure interrogative rend superflue et redondante la traduction du marqueur, qui devient une surtraduction); mais non au v. 7, mot-à-mot: "et le dieu ne fera pas la justice de (= ne fera pas justice à, ne vengera pas) ses élus qui crient à lui jour et nuit et il patiente/tarde pour eux". L'interprétation de la première proposition négative, au futur, comme une question (interro-négative) au conditionnel impliquant une réponse négative à la négation, donc une affirmation (non, il n'est pas vrai qu'il ne fera pas justice <=> si, il fera justice), et celle de la dernière proposition au présent (il patiente/tarde) sur la même lancée OU (au contraire) comme une "explication" de la première, qui supposerait un adversatif (MAIS c'est pour eux qu'il patiente, cf. 2 Pierre 3), tout cela est à la discrétion du traducteur, naturellement précédé dans sa décision par des siècles d'interprétation traditionnelle et d'exégèse moderne... L'ambiguïté semble certes balayée en 8a, mais si l'on considère le v. 7 (vaguement inspiré du Siracide, 35,22ss) pour lui-même, il y a de quoi hésiter sans fin ("indécidable" qui ne se tranche que par une décision, par définition "arbitraire"). D'autant qu'on peut encore deviner derrière le texte, comme souvent dans Luc et dans le corpus paulinien, le débat "marcionite" du dieu juste et du dieu bon...

L'application de la parabole est tirée à partir de l'exemple du juge, comme le confirme le v 6 : "Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit le juge injuste". Ce juge considéré comme injuste et  indifférent au sort de la veuve devrait (effectivement)  s'opposer à l’attitude qui caractérise Dieu, bon par définition et soucieux du sort des croyants. Pourtant, comme tu l'as souligné, le v 7  n'est pas l'affirmation claire et explicite que Dieu agirait différemment que le juge de l'histoire. Au contraire, le v 7 laisse planer une incertitude et un doute implicite : "Et Dieu ne ferait pas justice à ceux qu'il a choisis, alors qu'ils crient vers lui jour et nuit ? Il les ferait attendre". La question de savoir si Dieu agirait différemment du juge est posée sous la forme d'une éventualité du fait qu'il laisse, lui aussi, "traîner les choses" ("Il les ferait attendre ?"). Comme tu l'indiques, C'est cette éventualité est niée v. 8 qui souligne une intervention "rapide" de Dieu. Cette histoire du juge qui cède aux demande de la veuve insistante peut produire la morale suivante : Dieu ferait justice à ses élus que lorsqu'il crient vers lui, mais en réalité il "temporise" à leur égard ("Il les ferait attendre ?"). C'est d'ailleurs ce que vivaient dans la réalité les croyants. Ainsi la morale de l'histoire est la suivante : "de même que, contre toute attente le juge injuste est intervenu, de même Dieu interviendra (contre toute attente). Si Dieu agit promptement en faveur de ses "élus", pourquoi crient-ils vers lui jour et nuit ?
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeMer 18 Aoû 2021, 12:46

J'ai encore un peu modifié ce post scriptum (par rapport à la mouture que tu cites), dans un faible espoir de clarification: ça reste assez compliqué, si ça ne l'est pas davantage, mais je pense que l'effort (d'explication d'une part, d'attention et de réflexion d'autre part) en vaut la peine, ne serait-ce que pour comprendre à peu près d'où provient la diversité des traductions -- qui peuvent dire des choses tout à fait différentes, voire contradictoires, surtout au v. 7; celle de la NBS (interro-négative puis interrogative au conditionnel, sans l'inversion coutumière du sujet ["-t-il"], ce qui peut au moins attirer l'attention de certains lecteurs sur un "problème de sens") est tout aussi contestable qu'une autre, mais la note tente de s'en expliquer et de fournir d'autres possibilités de lecture, sinon toutes les interprétations possibles (je ne prétendrais pas en avoir fait le tour).

Il me semble toutefois que tu as bien perçu l'essentiel du "problème".

On a souvent remarqué le caractère "immoral" de plusieurs "paraboles" propres à Luc (l'autre exemple le plus évident est celui de l'"intendant injuste" au chap. 16). Il ne fait pas de doute que cette "immoralité" foncière favorise les ajouts et corrections en cascade (à commencer ici par le v. 6, où l'addition d'un commentaire du "Seigneur" est assez visible), du simple fait qu'elle embarrasse en premier lieu les rédacteurs (auteurs, copistes) subséquents, qui s'efforcent de la corriger, de l'évacuer ou de l'atténuer dans des sens divergents et contradictoires. Il en résulte un texte globalement incompréhensible, où le "contexte" est tout sauf "éclairant", mais dont on peut tout de même deviner les "mouvements" successifs et leur "sens" (direction, intention, tendance) relatif, proposition par proposition. Cela n'aboutira cependant jamais à un "sens global" -- de ce point de vue, l'exégète n'a guère d'avantage sur le lecteur ordinaire: de l'ensemble il reçoit la même impression générale, vague et malaisée, et dans le détail c'est sa perplexité qui s'accroît.
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 13:07

"Il leur disait une parabole, pour montrer qu'il faut toujours prier, sans se lasser" (18,1)

La parabole veut lancer un appel à ne pas démissionner, à ne pas renoncer à des chrétiens auxquels l'attente prolongée de la parousie risque de peser. Cette parabole se rapporte peut être à un temps ou les croyants criant nuit et jour vers un Dieu qui tarde à intervenir en leur faveur, sont tentés de perdre confiance en lui et d'abandonner la foi. Une expérience qui fait écho celle de rapporte Act 14,22 : 

"ils affermissaient les disciples et les encourageaient à demeurer dans la foi, en disant : Il nous faut passer par beaucoup de détresses pour entrer dans le royaume de Dieu"

L'auteur craint un danger particulier, que le croyant n’attende plus rien, qu'il oppose au silence de Dieu, son propre silence et indifférence. Pour lui, la prière est une manifestation de foi qui atteste que le croyant ne se décourage pas et que le silence de Dieu n'est qu'apparent. 

Cette histoire fait référence aux persécutions décrites en Luc 21 et comme en (21,19), elle veut exhorter à la constance : "C’est par votre persévérance que vous gagnerez la vie". 
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 14:37

Voir aussi 21,36 où l'on retrouve le thème archi-classique, stéréotypé et un tantinet hyperbolique, de la prière continuelle (cf. Actes 2,42; Romains 12,2; Philippiens 4,6; Colossiens 4,2; Ephésiens 6,18; 1 Thessaloniciens 5,17; 1 Timothée 2,1 etc.) ET le "Fils de l'homme" à l'arrivée (terminus ad quem).

D'autre part, même si le concept est sous-jacent aux trois Synoptiques, Luc est sans doute le champion du "retard de la parousie", qu'il décline sous toutes ses formes, notamment dans les paraboles (p. ex. le long voyage dans un pays lointain avant de revenir, 19,12; 20,9; cf. aussi 12,45): bien entendu, ce concept convient idéalement au "programme" des Actes qui installe l'histoire de l'Eglise dans le temps long, non pas infini ni même indéfini en théorie (puisque Dieu le sait) mais indéfini en pratique (puisqu'il ne le révèle pas, cf. Actes 1). On est en tout cas aux antipodes de toute "attente imminente" (Naherwartung, comme on dit en jargon exégético-germanique; cf. Luc 17,20s; 19,11; 21,Cool, ce qui donne à la "promptitude" de 18,8a un caractère tout à fait fantasmatique.

P.S.: Je l'avais curieusement oublié, la parabole de 18,1ss a son parallèle le plus proche (à tous points de vue) en 11,5ss.
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 16:02

L'idée de persévérance se retrouve également en Luc 11,5-8 :

 " Il leur dit encore : Qui d'entre vous aura un ami chez qui il se rendra au milieu de la nuit pour lui dire : « Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n'ai rien à lui offrir. » Si, de l'intérieur, l'autre lui répond : « Cesse de m'importuner ; la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne peux me lever pour te donner des pains », — je vous le dis, même s'il ne se lève pas pour les lui donner parce qu'il est son ami, il se lèvera à cause de son insistance effrontée et il lui donnera tout ce dont il a besoin".

Dieu n'est-il qu'un pourvoyeur et le priant n'est-il qu'un quémandeur ?
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeJeu 19 Aoû 2021, 16:46

Vaste question...

Je serais tenté de dire que l'importance accordée à la prière, spécialement à la prière "de demande" (requête, supplication, intercession, etc.), est inversement proportionnelle à la cohérence de la pensée (théologique en l'occurrence) -- ça sonne comme une vacherie mais elle serait à double tranchant, car il n'est pas certain que la pensée cohérente, s'il y a jamais rien de tel, vaille mieux que la prière...

Une chose qu'on a souvent remarquée (et qu'on retrouverait sans doute dans plusieurs des fils de discussion indexés à partir du lien ci-dessus), c'est que plus une doctrine, religieuse ou non, paraît rationnelle, substantielle, intellectuellement satisfaisante, moins la prière (de demande surtout) s'y justifie. Qu'on croie qu'il n'y a pas de d/Dieu ou qu'on croie en un Dieu omniscient, omniprésent, omnipotent, immuable et infaillible, qui aurait aussi bien tout décidé, planifié ou programmé de la création à la fin du monde, la prière paraît absurde, inutile, elle ne sert à rien, il n'y a aucune raison de prier, du moins pour demander quoi que ce soit. Et pourtant on prie, et d'emblée on demande, ne serait-ce que sous la forme élémentaire d'un appel au secours que personne ne peut entendre -- en tout cas ça arrive et ça peut arriver à tout le monde, croyant ou incroyant, qu'on s'en vante ou qu'on en ait plutôt honte comme d'une inconséquence, d'un enfantillage ou d'une régression...

L'"insistance effrontée" (anaideia, impudence ou sans-gêne, hapax du NT -- c.-à-d. qu'on ne l'y trouve nulle part ailleurs, mais en l'occurrence son sens n'en est pas moins assuré) correspond bien ici (chap. 11) à l'attitude de la veuve au chapitre 18, qui enquiquine le juge (pour rester poli), de façon plus ou moins agaçante ou agressive (selon l'interprétation qu'on fait du verbe hupopiazô qui signifie aussi frapper, battre ou cogner, cf. 1 Corinthiens 9,27), jusqu'à ce qu'il cède... On retrouve là, à des degrés divers, l'"immoralité" des paraboles dont je parlais plus haut (si ça marche, ce n'est pas parce que le juge est juste, ni parce que l'ami est serviable).

J'évoquais à ce propos, de façon un peu trop allusive, le "débat marcionite" qui a affecté tout spécialement le texte de l'évangile selon Luc et du corpus paulinien (sans les Pastorales), soit l'Evangelion et l'Apostolicon de Marcion selon l'interprétation habituelle des témoignages patristiques. Je vais tâcher de m'expliquer un peu mieux, mais le fond de l'affaire restera obscur, du fait que "Marcion" (le personnage, le groupe, l'école, peu importe) ne nous est quasiment connu que par ses (nombreux) adversaires, les Pères de l'Eglise qui en ont parlé plus ou moins intelligemment et honnêtement (du moins selon les critères modernes de l'honnêteté intellectuelle qui ont progressé entre-temps, les critères sinon l'honnêteté effective). Si l'on en retient la distinction fondamentale, mais sans doute plus subtile et nuancée qu'il n'y paraît, du "Dieu juste" (Dieu de la création, de la loi et du jugement) et du "Dieu bon" (le "Père" de Jésus-Christ, le Dieu de l'évangile), on y retrouve au fond l'idée paulinienne, mais aussi johannique ou gnostique, que la révélation ultime passe d'abord par des images imparfaites, faussées, inadéquates ou insuffisantes du divin -- et de ce point de vue les paraboles "immorales" s'expliqueraient beaucoup mieux: si on ne se laisse pas intimider ni repousser par la figure rébarbative, sévère, inexorable, intransigeante, voire mesquine, jalouse ou indifférente qu'on a a priori de "Dieu", alors "Dieu" finit par se révéler sous un tout autre jour: celui de la "grâce" sans réserve, mais aussi de l'"esprit" qui ne procure aucun avantage "charnel" ou "matériel", pas même une "justice" rétributive. D'où une certaine ambiguïté du rapport à la prière: on peut obtenir ce qu'on demande du "Dieu" à qui l'on s'adresse selon l'idée qu'on s'en fait, mais on peut aussi, sans rien obtenir, découvrir un "Dieu" au-delà de toute demande. Evidemment, on ne peut que deviner cette logique-là à travers le texte de Luc (entre autres) tel que nous le lisons, puisqu'il s'agirait précisément de la version "ecclésiastique", "anti-marcionite", qui refuse toute distinction essentielle entre le Dieu de la création, de la loi et du jugement et celui de l'évangile, et qui en corrigeant le texte à sa façon en aurait aussi brouillé la logique.
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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeLun 06 Sep 2021, 12:38

La prière chez Luc :

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MessageSujet: Re: Il leur fera justice bien vite - Luc 18   Il leur fera justice bien vite - Luc 18 Icon_minitimeLun 06 Sep 2021, 14:17

(Bonne rentrée !)

Ouvrage classique s'il en est, et typique de l'exégèse dominante dans les années 1950-70 (malgré les additions successives jusque dans les années 2000) qui visait principalement à dégager "l'intention" ou "l'idéologie" de "l'auteur", ici présumé unique et commun à l'évangile "selon Luc" et aux Actes des Apôtres. C'est évidemment assez différent de ce que je suggérais dans le dernier paragraphe de mon post précédent.

De ce point de vue toutefois, on pourrait souligner que la prière, comme la charité ou la compassion, est une valeur consensuelle dans le cadre général de cette "piété" (eusèbeia) à la fois morale, sociale, familiale et religieuse chère aux Actes, aux Pastorales et à beaucoup de textes tardifs du NT. Quelque chose de "bien vu" par l'ensemble de la (bonne) société gréco-romaine et qui par conséquent passe les frontières, aussi bien religieuses qu'ethniques. Cela sert doublement le projet de Luc-Actes, en montrant d'une part que toutes les prières sincères, juives ou païennes, mènent au christianisme ou à l'Eglise (pour ne pas dire à Rome), et d'autre part en rendant ceux-ci respectables aux yeux de la moralité dominante. A cet égard, les traits "immoraux" des paraboles propres à Luc (rien de tel dans les Actes) n'en détonnent que davantage, malgré les ajouts rédactionnels destinés à les "moraliser" dans un sens ou dans un autre (et qui ont aussi pour effet, sinon pour intention, d'en obscurcir le sens).
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