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 Le parjure, le serment et la parole

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MessageSujet: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeVen 28 Jan 2022, 12:21

Les sociétés anciennes, qui ne disposaient pas de nos médias de communication, étaient des société orales où la parole était importante. On ne disposait souvent, comme source de renseignement, que de la parole des gens. Soit les témoins lors d'un procès, soit les éclaireurs de l'armée, soit les messagers. En conséquence, la notion de vérité était essentielle. Il n'y avait souvent pas de moyen de vérifier la véracité de ce que quelqu'un disait. La personne avait alors recours au serment pour appuyer ses dires. Il s'agissait de prendre à témoin la divinité. « Que tel dieu me fasse ceci ou cela si ce que je te dis est faux ! » On croyait que les dieux ne manqueraient pas de punir celui qui briserait un tel serment.

Il y a des exemples de serments dans la Bible (cf. Gn 31,44-54; Dt 27,15-26; Jg 8,19; 21,18; 2 S 12,5; 15,21 1 R 18,10; même saint Paul (Rm 1,9; 2 Co 1,23; 11,31; Ga 1,20). Le serment semble avoir été très courant et ne pas s'être limité aux occasions plus solennelles, comme la conclusion d'une alliance (Gn 21,23-32). Peut-être avait-on tendance à y recourir trop souvent et à la légère; aussi, déjà au Ier siècle avant Jésus Christ le Siracide met-il en garde (Si 23,9-11). Jésus aussi prévient qu'il ne faut pas en abuser (Mt 23,16-22) et que la parole d'un homme honnête devrait suffire (Mt 5,33-37; cf. Jc 5,12).

http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2005/clb_050211.htm
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeVen 28 Jan 2022, 13:17

Sur Jacques 5,12, cf. ici 22.7.2021 et ; et sur le rapport constitutif du "serment" à la "malédiction" (auto-malédiction conditionnelle), là.

Si le Siracide se contente de réprouver l'abus des serments, Matthieu et Jacques (dans l'ordre qu'on voudra, cf. aussi Didachè 2) me semblent aller beaucoup plus loin en récusant leur principe même.

Cette question me paraît en fait d'une grande "actualité", avec ce que la société "laïque" trimballe encore de "sacré" plus ou moins conscient, non seulement le "serment" (variante lexicale de "sacrement") au tribunal mais encore les "agents assermentés", les "déclarations sur l'honneur" ou les "voeux-engagements" du mariage (y compris "civil" et désormais "pour tous"). Plus profondément il y a du serment (et donc du parjure) dans toute parole, Derrida a beaucoup médité là-dessus les dernières années (séminaire Le parjure et le pardon, "je parjure comme je respire", cf. p. ex. ici): du seul fait d'ouvrir la bouche on prononce sans le prononcer un serment tacite et implicite, "je promets de dire la vérité", impliqué jusque dans le mensonge (c'est bien parce qu'un mensonge s'énonce implicitement comme une vérité et une promesse de vérité qu'il est un mensonge, et déjà un parjure) ou dans le paradoxe du menteur (crétois ou non: même si je dis que je mens, il faut encore me croire, et donc ne pas me croire, mais quand ?). Tout cela -- la parole même, le jeu même de la parole -- ne peut que se mettre en scène et en abyme, c'est précisément ce que fait le "serment", sa dramatisation et son inflation verbales infinies, par rapport au "oui" ou "non" qui impliquent déjà toute sa complexité dans leur simplicité apparente (le redoublement du "oui, oui", "non, non", c'est le début de la surenchère sans fin, ou sans autre fin que l'acte ou le silence).
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMar 01 Fév 2022, 12:21

"Le Seigneur, le Dieu des cieux, m'a fait quitter la maison de mon père et mon pays d'origine. Il m'a parlé et m'a juré de donner ce pays-ci à mes descendants. Il enverra son ange devant toi pour que tu ramènes de là-bas une femme pour mon fils. 8Si la femme ne veut pas te suivre, tu seras dégagé du serment que tu m'auras fait ; mais en aucun cas ne ramène mon fils là-bas" (Genèse 24 : 7-Cool

Dans ce texte, Dieu s’est engagé par serment à donner à la descendance d’Abraham une terre et une postérité (Genèse 24 : 7-Cool.

"Quand Dieu fit sa promesse à Abraham, il formula son serment en son propre nom, car il n'y avait personne de plus grand que lui par qui le faire. Il dit : « Je jure de te bénir abondamment et de t'accorder de très nombreux descendants ! » (Hé 6,13-14). 

Il convient enfin de relever l'emploi du hapax néotestamentaire mesiteuô (He 6,17) et d'en tirer parti. Certes, on peut traduire le verbe mesiteuô par "s'interposer" ou "s'entremettre". Il reste qu'aucune relation bilatérale n'est visée et que l'auteur met manifestement en relief l'idée de garantie. Dans le contexte immédiat du passage il note que le serment constitue dans les rapports humains le degré maximum de l'engagement et la forme la plus achevée de la garantie. Dieu a tenu compte de cette expérience commune : pour souligner l'immutabilité de son dessein il a eu recours lui aussi au serment. Le serment est de l'ordre de l'attestation, de la caution, de la garantie 21. Avec l'emploi de mesiteuô nous sommes bien dans une optique similaire à celle qu'évoque le mot egguos en 7,22. 

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1989_num_63_3_3122
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMar 01 Fév 2022, 13:18

Le "serment" de Genèse 24,7s (aussi v. 41) est celui par lequel le serviteur (que la tradition identifie à l'Eliezer du chap. 15, mais ici il n'est pas nommé) s'engage envers son maître (Abraham). Il n'a donc rien à voir avec le serment du dieu (Yahvé) envers Abraham qui intéresse l'épître aux Hébreux (6,13ss) et qui est tiré de Genèse 22,16s (les redoublements verbaux de la formule intensive de l'hébreu au v. 17 sont calqués en grec dans la Septante par l'association du participe et du futur de l'indicatif, "en bénissant je te bénirai etc.", et interprétés par l'épître aux Hébreux dans le sens du serment explicite du v. 16, šb` /  omnuô, "je jure par moi-même", by / kat'emautou). De ce que ça implique pour "Dieu" d'"auto-malédiction conditionnelle", à rapprocher de la "mort" associée en 9,15ss à l'idée de diathèkè-testament, nous avons abondamment parlé par le passé (l'auteur d'Hébreux l'entend évidemment de son oreille "médio-platonicienne", comme irréversibilité du passage du "temporel" à l'"éternel"; cf. p. ex. ici et à partir du 24.5.2020, et de nouveau début 2021).
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMar 01 Fév 2022, 15:09

Certains serments relèvent de la conscience. Parfois, avant de décider s’il prononcera un serment, un chrétien devra considérer attentivement la recommandation de Jésus de ‘rendre les choses de César à César, mais les choses de Dieu à Dieu’ (Luc 20:25).

Supposons qu’il veuille faire une demande de naturalisation ou de passeport et qu’il apprenne qu’il devra prononcer un serment d’allégeance. Si ce serment implique de s’engager à agir d’une manière qui est contraire aux lois de Dieu, sa conscience éduquée par la Bible ne lui permettra pas de le prononcer. Toutefois, le gouvernement l’autorisera peut-être à modifier la formulation du serment afin que sa conscience soit respectée.

Prononcer un serment d’allégeance dont certains termes ont été modifiés peut être conforme à ce principe que l’on trouve en Romains 13:1 : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures. » Un chrétien peut donc estimer qu’il n’y a rien de mal à s’engager par serment à faire quelque chose que Dieu exige de nous de toute façon.

Il est également important de tenir compte de notre conscience si on nous demande de prêter serment sur un objet ou en effectuant un geste. Dans l’Antiquité, les Romains et les Scythes juraient sur leurs épées. Ils invoquaient ainsi un dieu de la guerre comme témoin de leur sincérité. Les Grecs, eux, levaient la main vers le ciel. Ils reconnaissaient ainsi l’existence d’une puissance divine qui observe ce qui se dit et se fait sur la terre, et à qui les humains doivent rendre des comptes.

Naturellement, un adorateur de Jéhovah ne jurera pas sur un emblème national ni sur tout autre objet qui a un lien avec le faux culte. Mais si, pour prêter serment devant un tribunal, tu dois poser la main sur la Bible et jurer de présenter un témoignage véridique ? Dans ce cas, tu peux choisir de le faire, puisque la Bible parle de fidèles du passé qui ont accompagné un serment d’un geste (Gen. 24:2, 3, 9 ; 47:29-31). Bien sûr, il est important de te rappeler qu’en faisant ce serment, c’est devant Dieu que tu jures de dire la vérité. Tu dois être prêt à donner des réponses véridiques à chaque question qui te sera posée.

https://www.jw.org/fr/biblioth%C3%A8que/revues/tour-de-garde-etude-avril-2022/questions-des-lecteurs-avril-2022-1/

Je me demande à quoi peut bien ressembler un "serment d’allégeance modifié"  Shocked Shocked Shocked
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMar 01 Fév 2022, 16:29

Le plus étonnant à mon sens, c'est qu'on puisse aussi facilement dire (voir le début de l'article) que "Jésus" ne veut pas dire ce qu'il dit (il est d'autant plus foireux de se référer à la Torah que le "Sermon sur la montagne" marque la différence par rapport à la "loi", "mais moi je vous dis"); à partir de là, bien sûr, on peut lui faire dire absolument n'importe quoi; en cela d'ailleurs la Watch ne se distingue guère d'un paradoxe général de la culture américaine, à la fois pétrie d'interprétation littérale de "la Bible" (chrétienne) et, contre ce que cette Bible dit explicitement (au moins dans Matthieu et Jacques), friande de serments, notamment sur "la Bible".

Les "serments d'allégeance" et la possibilité d'en modifier le contenu et les modalités (y compris le serment sur la Bible) font aussi intégralement partie du droit américain, dont la logique ne va pas de soi pour les Européens. Mais tout n'y est pas absurde pour autant: ainsi on peut comprendre qu'on fasse jurer un musulman sur le Coran plutôt que sur la Bible, puisque ça l'engage en principe davantage. De même un athée pourra jurer sur la Constitution plutôt que sur la Bible, encore que la Constitution se réfère aussi à "Dieu"; on peut concevoir de la même manière qu'un "objecteur de conscience", dont le statut est reconnu par ailleurs, exclue d'un serment d'allégeance, par exemple pour obtenir la citoyenneté américaine, toute référence à la défense armée de la nation (c'est à mon avis de ce genre de chose qu'il est question). La logique d'un Etat strictement "laïque", à la française notamment, paraît encore plus fragile: sur quel "sacré" implicite ferait-on jurer un "agent assermenté", qu'il soit par ailleurs chrétien, musulman, juif, bouddhiste ou athée ?

Par coïncidence, je voyais hier sur Internet un prototype britannique du fameux Gaslight (Thorold Dickinson, 1940; moins bon à mon avis que le film de Cukor, 1944, quoique Anton Walbrook y fasse un meilleurs "pervers" que Charles Boyer), tiré d'une pièce de théâtre également britannique (Hamilton, 1939): tout cela n'était pas seulement américain, du moins dans les années 1930-40: le maître de maison fait embrasser la Bible à ses domestiques pour leur faire jurer qu'elles n'ont pas volé un bijou (qu'il a lui-même subtilisé), et retient sa femme, qu'il fait passer pour folle, de faire le même geste sous peine d'aggraver sa "folie" d'un "sacrilège"... (l'histoire a tellement marqué que le mot gaslight, "lampe à gaz", instrument central du stratagème, est devenu un verbe transitif: "gaslight(er)" quelqu'un, c'est le rendre fou en lui faisant croire qu'il est fou).
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMar 01 Fév 2022, 17:08

Citation :
Les "serments d'allégeance" et la possibilité d'en modifier le contenu et les modalités (y compris le serment sur la Bible) font aussi intégralement partie du droit américain, dont la logique ne va pas de soi pour les Européens. 

Pour un TdJ fidèle à la doctrine de la Watch devrait surement modifier de nombreux points d'un "serment d'allégeance" au point de le vider de son contenu et de sa raison d'être ... "Jéhovah" (et la Watch) étant la seule "personne" à qui un TdJ pourrait éventuellement faire allégeance. 


LA NATURE RELIGIEUSE DU SERMENT

La parenté lexicale entre les mots sacrement et serment est dûment établie : serment dérive de sacrement par l’intermédiaire des formes sagramant, sairement et serrement. Pendant longtemps, loin de rester cantonnée à l’étymologie, cette parenté pesa fortement sur l’essence du serment, considéré comme « un acte religieux que l’autorité civile exige [ait] comme garantie des promesses ou des déclarations » faites devant la justice. La nature religieuse du serment fut maintes et maintes fois rappelée tout au long du XIXe siècle. « La plupart de nos livres appellent le serment une attestation au nom de Dieu, attestatio Dei, et nos dictionnaires de pratique supposent que, dans les serments, on jure par le nom de Dieu », constata, non sans dépit d’ailleurs, le libéral Lainé en 1810. « Par le serment, c’est encore vers Dieu qu’il [l’homme] s’élève ; c’est Dieu principe de vérité, qu’il invoque en témoignage de la sienne. C’est la vengeance d’un Dieu infaillible qu’il appelle sur son parjure. Le serment participe donc de cette croyance divine si profondément enracinée dans l’homme, parce qu’elle lui est indispensable à tout instant », écrivit Octave de Laplane en 1862. À cause de la corruption des mœurs, poursuit cet auteur, il fallut donner au serment « des formes solennelles, des formules d’imprécations terribles » ; celles-ci étant abolies, le serment n’en demeura pas moins « imprécatif ». Pour O. de Laplane, comme pour d’autres auteurs, la formule « je le jure » en usage devant les tribunaux contenait implicitement l’invocation et l’imprécation des serments anciens et il n’y avait pas lieu de distinguer le serment simple et le serment imprécatif, comme l’avaient fait saint Thomas d’Aquin et Suarez. En 1882, Mgr Freppel, évêque d’Angers et député du Finistère, s’appuya sur l’étymologie pour affirmer que le serment ne pouvait être « laïcisé », contrairement à ce que venait de dire le député Joseph Fabre. En 1883, alors que la question du serment était examinée par les sénateurs, le garde des Sceaux, Paul Devès, se prononça pour une uniformisation de la formule du serment, qui n’était pas la même devant les tribunaux civils et les tribunaux correctionnels d’un côté, et les cours d’assises, de l’autre, et qui différait également entre les jurés et les témoins. Dans le premier cas, Dieu n’était pas mentionné et la formule était des plus simples : « je le jure », la personne prononçant ces mots devant le faire en levant la main droite. Dans une cour d’assises, il en allait différemment. Le président s’adressait aux jurés, « debout et découverts », en ces termes : « Vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre N... [...] », puis il appelait individuellement chaque juré qui devait dire « je le jure». Le garde des Sceaux souhaitait qu’à cette manière de procéder aux assises se substituât celle qui avait cours devant les autres juridictions ; ainsi, estimait-il, aucune conscience ne serait blessée puisque l’idée de Dieu ne serait ni affirmée ni niée. Il savait qu’on pouvait lui objecter que le serment avait « un caractère religieux quoique la mention de la divinité ne [fût] pas faite », mais il récusait cette analyse car, disait-il, « dans le langage courant », on pouvait jurer sur ce que l’on avait « de plus cher ou de plus sacré sans penser à la divinité », par exemple la patrie ou la tête de ses enfants. Contre un tel point de vue, Pierre Jouin défendit « la sainteté du serment judiciaire » et la manière dont il était prêté. Venu du droit coutumier, expliqua-t-il, le fait de lever la main – signifiant que l’on prenait Dieu à témoin – était un « geste puissant » inspirant une forme de crainte, à tel point que, lorsque la parole d’un homme était mise en doute, l’on disait encore dans les campagnes : « il n’osera pas lever la main». Il y avait là, conclut-il quelque chose de « sacramentel », de « religieux » et de « saint».

https://www.cairn.info/revue-romantisme-2013-4-page-45.htm
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMar 01 Fév 2022, 17:42

Voir ici (en anglais) les modifications prévues au "serment d'allégeance" ("standard") requis pour la naturalisation américaine (U.S.A.): on peut éviter tout engagement militaire à condition de présenter une objection de type religieux ou moral (on n'a pas besoin d'appartenir à une confession ou à une association donnée, il suffit de produire des témoins d'une telle "position" qui peut être strictement personnelle), on peut aussi remplacer le verbe "jurer" par "affirmer solennellement" et omettre toute référence à "Dieu" (so help me God, "que Dieu m'y aide") sans même avoir à fournir de justification; les TdJ (entre autres) peuvent s'insérer dans ce dispositif sans aucune difficulté.

Ton dernier article est très intéressant, en particulier parce qu'il montre que les objections "laïques" (libre-pensée, anticléricalisme, athéisme) au serment (comme vestige de "sacré") rejoignent paradoxalement les objections "religieuses", que celles-ci portent sur la forme du serment (judaïsme; l'islam est bien moins pris en compte aujourd'hui que le judaïsme ne l'était au XIXe siècle) ou sur son principe même (quakers, anabaptistes, etc., qui prennent à la lettre l'interdiction évangélique du serment -- ce que ne font généralement pas les TdJ, par effet lointain de la volonté, plus rutherfordienne que russelliste, de se distinguer au moins autant des "dénominations" objectivement proches que du christianisme américain en général).
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMer 02 Fév 2022, 11:58

Revenons-en à notre verset.

« Tu n’invoqueras pas le nom de Dieu en vain, car Dieu ne laisse pas impuni ceux qui invoquent son nom en vain. »

La lecture seule du verset semble indiquer une interdiction de désacraliser le nom divin sans bonne raison, dans la lignée du Dieu jaloux de ses prérogatives que suggèrent les premiers commandements par une lecture qu’on pourrait appeler karaïte. Pourtant, tous les commentateurs rappellent[2] que ce verset est la source biblique de l’interdiction des שבועות שווא. Ils font même mieux, ils disent que c’est là le sens du verset, qu’il désigne l’interdiction juridique de ne pas faire des promesses vides, des promesses qui, par essence, sont nulles et non avenues.

Nous avons affaire ici à un exemple fort de « lecture substitutive », par la méthode du reading-in qui est si ancrée en nous qu’elle est devenu le sens littéral du verset même : un interdit éthique et juridique de ne pas faire de promesses vides, une attention préconisée face à l’erreur scientifique, aux truismes, au superfétatoire, a remplacé une interdiction verticale de Dieu à sa créature. Ce verset seul, c’est à dire accompagné du Talmud et des commentateurs, porte en lui les germes d’une éthique des vertus intellectuelles, un appel à la modestie scientifique face à la causalité des choses et aussi des éléments d’une réflexion pré-austinienne des rapports entre langage et acte, entre acte de langage et vérité sémantique.

La lecture seule du verset semble indiquer une interdiction de désacraliser le nom divin sans bonne raison, dans la lignée du Dieu jaloux de ses prérogatives que suggèrent les premiers commandements par une lecture qu’on pourrait appeler karaïte. Pourtant, tous les commentateurs rappellent[2] que ce verset est la source biblique de l’interdiction des שבועות שווא. Ils font même mieux, ils disent que c’est là le sens du verset, qu’il désigne l’interdiction juridique de ne pas faire des promesses vides, des promesses qui, par essence, sont nulles et non avenues.

Il existe 4 types de promesses en droit hébraïque :

שבועות ביטוי, שבועות שווא, שבועות פיקדון, שבועות העדות

Elles ont toutes la possibilité d’être mensongères ou malheureuses, d’échouer, soit que l’intention n’y soit pas, soit que celui qui promet n’est pas habilité procéduralement à le faire ou autre raison. Qu’ont les shevuot shav[6] de particulier ? Elles sont flatus vocis, elles ne disent rien et ne font rien, soit que les propositions sur lesquelles elles sont fondées n’ont aucune valeur sémantique de vérité, soit que la forme de la promesse ne peut être d’aucune efficacité car il est impossible de s’engager sur ce qui ne dépend pas de nous.

Comment alors peut-on ne rien dire et ne rien faire (nous reprenons la classification de la Mishna Shevuot) ?

1) En disant une fausseté dont même 3 individus savent qu’elle est une fausseté. Promettre sur une pierre en disant que c’est de l’or. Promesse biaisée, la promesse de celui qui croit que son langage peut changer le plomb en or, que l’engagement de sa personne adjuvée du prestigieux nom divin peut modifier les lois de la logique.  Ce sont les promesses des faux rabbins miraculeux, qui du prestige de leur hébreu et du nom divin qu’ils crachent comme des vieillards leurs dentiers, promettent l’impossible à des ouailles naïves. (Cet interdit vise l’impossibilité de type logique).

2) En promettant quelque chose d’impossible physiquement mais de logiquement concevable ou pensable : je promets d’escalader les firmaments ou de ne pas dormir trois jours d’affilée. (Impossibilité physique)

3) En promettant sur une chose à propos de laquelle il n’existe aucun doute pour aucun homme. En promettant un truisme, une vérité universelle. La promesse superfétatoire par excellence car l’acte même de la promesse en première personne n’apporte rien de plus à la vérité tellement générale qu’elle ne saisit rien.

4) En promettant d’annuler une mitswa de-oraïta par exemple de dire « Je promets de ne pas mettre les tefilin ou je promets de manger des treïfot ». (impossibilité morale et auto-réfutante d’en invoquer au nom divin de la Thora pour abolir une de ses Lois).

La lecture des sages juifs substitue le sens littéral du verset – qui évoque un Dieu sensible à son honneur par un sens littéral juridique (le verset est la source de la mitswa négative de faire une promesse vide). Ils l’infléchissent ainsi dans un sens éthique qui rend Dieu apathique à son propre honneur pour lui-même mais jaloux de celui de la vérité et attentif aux possibilités que porte le langage d’induire en erreur les autres hommes, de tromper. Nous n’avons donc (pas seulement)  affaire ici à un interdit d’atteindre l’honneur de Dieu en usant son nom à tort et à travers, même si certains mefarshim utilisent cet argument pour expliquer la ratio legis, la raison de la loi, mais bien plutôt à un interdit qu’on pourrait dire « épistémologique » de faire une promesse vide et ainsi de faire échouer la langue dans sa portée morale. Où se voit que moralité et vérité sont intrinsèquement liées.

Je ne sais pas ce que Dieu aime ou non. Je sais que l’image de Dieu ici esquissée est celle de Celui qui n’aime pas qu’on utilise son prestige pour flouer les autres ou masquer ses faiblesses intellectuelles. Je conclurai en disant que le nom de Dieu ici est présent comme rappel et exhortation à viser le vrai et à ne pas désacraliser ce que le langage porte de presque magique (le fait qu’une promesse n’est pas une description, ni d’un état du monde extérieur ni d’un état affectif ou intérieur), le fait qu’il puisse nous engager envers les hommes. Que le nom même de Dieu ne peut moralement avoir pour nous une utilité visant à pallier ignorance et désinvolture intellectuelle mais qu’il peut être invoqué, c’est-à-dire « usé », seulement pour une promesse vraie, une promesse heureuse (intention de la réaliser, possibilité de la réaliser, réalisation effective).

En bref que le nom de Dieu, comme la vérité, s’accommode avec ce qui lui ressemble et non avec ce qui la parodie, les « effets de vérité » du faux, du trivial, du mensonger, de l’absurde.

https://aderaba.fr/parjure/
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMer 02 Fév 2022, 13:22

Petit article très intéressant -- on pourra aussi suivre avec profit les liens donnés dans les notes.

La formulation d'Exode 20,7 // Deutéronome 5,11 est vague (c'est le cas de le dire, surtout si l'on se rappelle la parenté étymologique et sémantique du "vague", du "vide" et du "vain"). A la lettre (n.b.: quand on parle de lecture "karaïte" ou "qaraïte", on se réfère à une lecture "littérale" du texte "biblique" qui -- en principe -- ne tient pas compte de la "tradition" phariséo-rabbinique) il n'y est pas question de serment ni de parjure, bien que cela vienne naturellement à l'esprit et s'impose effectivement dans l'histoire de l'interprétation, juive ou chrétienne d'ailleurs. "Prendre (ou lever, élever, ns') en vain", mot-à-mot "pour le vide" ou "pour le rien" (šw', le terme est apparenté à l'arabe "chouïa" qui est passé en français populaire, il est aussi en grammaire hébraïque le nom de la "semi-voyelle" quasiment muette ou "colorée" d'une autre voyelle dans la vocalisation massorétique, il est enfin lexicalement proche de la racine qui a donné "Shoah", destruction ou anéantissement), ça peut signifier beaucoup de choses, ça se "colore" déjà dans l'usage "biblique" de nombreuses nuances qu'on peut dire "logiques" (absurdité, non-sens), "morales" ou "sacrales" (selon toutes les conceptions possibles du "mal" rapporté tantôt au divin ou à un ordre rituel, tantôt au prochain à qui l'on fait du tort). Bien entendu le "nom de Yhwh" (même si l'invocation ou la lecture l'évitent en disant adonaï, "le nom du Seigneur", ou en répétant šem, "le nom du nom") nous ramènent très vite à la problématique du "serment" et du "parjure", lesquels diffèrent encore selon qu'ils se rapportent à un "fait" passé ou accompli (ou non, vérité ou mensonge), ou à l'avenir (promesse, engagement, voeu, etc.).

Quoique Matthieu 5,33 ne cite pas directement Exode 20,7// (où la Septante traduit assez littéralement l'hébreu, lambano(mai) + epi mataiô, "prendre en [sur le/du] vain") mais se réfère plus explicitement à des "serments" ou à des "voeux" (epi-orkeô / horkos, cf. l'"exorcisme"   compris comme "conjuration" du démon), il est clair que le propos de "Jésus" ("mais moi je vous dis", v. 34ss) dépasse le commandement et la Torah en général en interdisant tout "serment" (bien que -- ou parce que -- son "oui, oui", "non, non" participe déjà de la logique du "serment" comme on l'a remarqué plus haut). Jacques 5,12 de son côté combine un autre verbe pour "jurer" (omnuô, également Matthieu 5,34ss) et horkos.
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMer 02 Fév 2022, 17:21

La pratique du serment était répandue au temps de Jésus. Pierre usa du serment pour nier son appartenance au cercle des disciples de Jésus (Mathieu 26 :72) :

Et Pierre le nia de nouveau en déclarant : « Je jure que je ne connais pas cet homme. »
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeMer 02 Fév 2022, 17:39

C'est encore horkos (mot-à-mot "il nia avec serment", ernèsato meta horkou), et en l'occurrence un parjure... cf. aussi v. 74, katathematizô et omnuô (quasi-synonymes, qui font bien ressentir le "serment" comme "auto-malédiction" conditionnelle -- mais ici la condition est remplie puisque Pierre ment -- cf. l'"anathème" qui se combine d'ailleurs dans certaines variantes, kat-ana-thematizô, d'après Marc 14,71, ana-thematizô). Entre le "Sermon sur la montagne" et le reniement de Pierre, horkos se retrouve aussi en Matthieu 14,7.9 (d'après Marc 6,26), pour le "serment" d'Hérode qui cause la mort de Jean(-Baptiste); omnuô pour sa part est déjà en 5,34ss; 23,16ss.

La logique "inflationniste" et "superstitieuse" du serment ne fait que se compliquer dans ses "contraires", puisqu'on ne la combat (comme semblent avoir voulu le faire un certain judaïsme, depuis le Décalogue ou le Siracide, et davantage encore un certain judéo-christianisme, si l'on range sous cette étiquette Matthieu, Jacques et la Didachè) que par une superstition contraire (le serment à éviter à tout prix comme si "ça portait malheur") et par une surdramatisation de la parole ordinaire (oui, oui, non, non). Curieusement ce scrupule ne semble pas trop avoir atteint l'islam populaire, si j'en juge par la fréquence des w-allah dans ce que j'entends, surtout chez les très jeunes (pas forcément musulmans d'ailleurs).
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeJeu 03 Fév 2022, 12:01

LE SERMENT : DU DÉSENCHANTEMENT
DU MONDE À L'ÉCLIPSÉ DU SUJET
Gérard COURTOIS
Université de C e r g y - P o n t o i s e


La séparation du serment et de l'ordalie

Le Docteur Angélique définit l'ordalie comme un procédé judiciaire, où l'on tente de contraindre Dieu à produire un effet miraculeux. Cette pratique est «illicite», car elle prétend obtenir que Dieu révèle des fautes éventuelles cachées, alors que ces choses sont réservées à son jugement L'ordalie, comme toutes les autres espèces de divination, implique l'usurpation d'une connaissance qui appartient en propre à la divinité Elle tente d'accéder à un savoir qui est même doublement réservé à Dieu. Ce qu'elle veut dévoiler participe de l'ordre des faits contingents ie. «que l'on ne peut pas connaître par leurs causes». Indéductibles à partir de prémisses, on ne peut que les «voir en eux-mêmes». La possibilité de cette vision sépare radicalement l'homme et Dieu. L'homme peut seulement «voir» de tels faits s'il est coprésent à leur éclosion. Cette condition, exceptionnelle pour l'homme, est chez Dieu toujours remplie, puisqu'il voit dans son éternité les choses passées, présentes et f u t u r e s A cela s'ajoute que l'ordalie prétend connaître un fait, à travers la peine qui lui est attachée. Elle empiète ainsi sur le judicium Dei, en déterminant sa sentence et du point de vue de sa révélation dans le temps et du point de sa nature.

Mais, dira-t-on, n'en est-il pas de même avec le serment ? Celui-ci ne vise-t-il pas à faire sortir Dieu de sa réserve, à le contraindre à garantir des engagements, en provoquant sa vengeance s'il a été invoqué de manière injurieuse ? Ne repose-t-il pas, comme l'ordalie, sur le présupposé d'un dévoilement du vrai par le divin, pour des besoins déterminés par les humains «pour les affaires de ce monde et les vanités de cette vie » ? N'est-ce pas cela-même qui a permis à tant de peuples et de cultures - y compris au Moyen-Age - d'accepter des garanties sous la seule foi du serment, c'est-à-dire sous l'assurance que le transcendant ne laisserait pas impuni l'utilisation frauduleuse de son nom ? Ces objections sont contournées par Saint Thomas dans une analyse renouvelée du serment.

Il le définit : un acte par lequel Dieu est invoqué, avant tout, comme témoin celui que l'on appelle pour qu'il manifeste la vérité sur ce qu'on dit Cette figure du Dieu-témoin est paradigmatique. Elle n'exclut pas mais fait reculer, comme secondaire, la figure du Dieu-juge qui domine dans «l'exécration, où l'on se voue soi-même ou quelque chose qui nous touche, à un châtiment si l'on ne dit pas le v r a i » Tout le travail de la question 89 consiste alors, à refouler l'analyse des aspects concrets de la réponse éventuelle du Dieu juge ou témoin qui pourraient faire dériver dangereusement le serment vers l'illicite ordalie.

Tout d'abord, saint Thomas règle, très vite, la question - décisive pourtant - de l'intervention divine. Sur 14 articles consacrés au serment et au parjure, c'est simplement au détour de la réponse à une objection que cet aspect de la doctrine est présenté. Au contradicteur qui demande si invoquer Dieu dans un serment ne revient pas à le tenter, c'est-à-dire à manquer de révérence à son égard, saint Thomas répond deux c h o s e s : «Celui qui jure ne tente pas Dieu, car il n'invoque pas le secours de Dieu sans utilité et sans nécessité». Argument en accord avec le système, puisque la question 97 définit la tentation comme une mise de Dieu à l'épreuve, pour se renseigner sur sa puissance, sans autre utilité ou nécessité. Ceci permet à saint Thomas de prévenir l'identification du serment à un cas de tentation par un argument gradualiste. Celui qui invoque Dieu, dans un cas de détresse et quand tout autre moyen fait défaut ne «tente» pas Dieu, il «implore» son soutien. Autrement dit, quand l'utilité et la nécessité sont maximales, le serment est licite. Réponse qui réduit en fait singulièrement la licéité des serments. Car on ne peut sérieusement considérer que les serments qui se prêtent quotidiennement dans le commerce juridique du XIII siècle appartiennent tous à des situations de nécessité. Saint Thomas poursuit son analyse en répondant en fait à la question : comment interpréter l'inaction éventuelle de Dieu, après un serment d'attestation ou d'exécration ? Cela n'expose le jureur ou son partenaire à aucun danger « si Dieu ne veut pas rendre son témoignage sur le champ (in praesenti) : car il est certain qu'il le fera plus tard. Quand il « projettera la lumière sur les secrets des ténèbres et manifestera les desseins cachés au fond des cœurs (Paul, l'Epitre aux Corinthiens, IV-5)». Ce témoignage ne manquera à aucun jureur, soit pour, soit contre lui » On est renvoyé à des temps indéterminés et même au jugement dernier, où cette fois, Dieu aura l'initiative et exposera la comptabilité des fautes et des péchés, sans subir aucune tentation.
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeJeu 03 Fév 2022, 12:35

Lien (je ne sais pas si c'est de là que tu as tiré la citation, mais c'est bien le même livre).

Pour rappel, l'exemple "biblique" d'"ordalie" est celui de Nombres 5 (l'"esprit de jalousie" ou la femme soupçonnée d'adultère; on en a parlé plusieurs fois), mais c'est un "exemple" passablement décalé par rapport à ce qu'on appelle communément "ordalie" à propos de l'Antiquité ou du moyen-âge: le "miracle négatif" ou le "châtiment divin" implicite(s) dans le texte des Nombres (sans préjudice des traditions peut-être très différentes qui le précèdent), ce serait que la femme périsse ou devienne stérile (selon l'interprétation des formules), qu'elle soit donc rétrospectivement jugée "coupable", non qu'elle soit "sauve" et par là "justifiée"; dans l'"ordalie extra-biblique" c'est plutôt le contraire, il faut un "miracle" pour être sauvé et acquitté, quand ce n'est pas encore plus retors -- comme dans les procès de sorcières, qu'on jetait par exemple à l'eau attachées sur des chaises de métal: si elles ne se noyaient pas c'est qu'elles étaient sorcières et donc promises au bûcher, bref c'était pile je gagne et face tu perds. On notera toutefois, pour revenir aux Nombres, que le "serment" prononcé, assumé ou validé (comme souscrit ou contresigné) par l'"amen" de l'accusée est l'élément central de la procédure (v. 19ss), et qu'il consiste expressément en une "auto-malédiction conditionnelle" (qu'il m'arrive ceci si j'ai commis l'acte que je nie; soit ce qu'on appelle traditionnellement"imprécation" ou "exécration", à la fois auto- et hétéro-malédiction, puisqu'il y va de la parole de l'accusé[e] et de la divinité, qui est supposée "témoin" de l'acte, mais aussi "juge" et "exécutrice" éventuelle de la sentence). En outre, dans le texte c'est tout autant un "exorcisme" (de "l'esprit de jalousie" du mari, par la parole et le corps de sa femme) qu'une "ordalie" proprement dite.
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeJeu 03 Fév 2022, 12:51

Citation :
Lien (je ne sais pas si c'est de là que tu as tiré la citation, mais c'est bien le même livre).

Effectivement ...Merci.

SERMENT DE FIDÉLITÉ DANS L’EXERCICE D’UNE FONCTION AU NOM DE L’EGLISE

(Formule à utiliser par les fidèles dont il est question au canon 833, n. 5-Cool
 
Moi N., en assumant la fonction de..., je promets que je garderai toujours la communion avec l’Eglise catholique, tant dans les prises de parole que dans la manière d’agir.

Avec beaucoup de zèle et une grande fidélité, je m’acquitterai de mes devoirs envers l’Eglise, aussi bien envers l’Eglise universelle qu’envers l’Eglise particulière dans laquelle j’ai été appelé à accomplir, selon les prescriptions du droit, mon service.

Dans l’accomplissement de la charge qui m’a été confiée au nom de l’Eglise, je conserverai en son intégrité le dépôt de la foi; je le transmettrai et l’expliquerai fidèlement; je me garderai donc de toutes les doctrines qui lui sont contraires.

Je suivrai et favoriserai la discipline commune de toute l’Eglise, et je maintiendrai l’observance de toutes les lois ecclésiastiques, surtout de celles qui sont contenues dans le Code de Droit canonique.

Par obéissance chrétienne, je me conformerai à ce que les Pasteurs déclarent en tant que docteurs et maîtres authentiques de la foi ou décident en tant que chefs de l’Eglise, et j’apporterai fidèlement mon aide aux évoques diocésains, pour que l’action apostolique, qui doit s’exercer au nom de l’Eglise et sur son mandat, se réalise dans la communion de cette même Eglise.

Qu’ainsi Dieu me vienne en aide, et les saints Evangiles de Dieu que je touche de mes mains.

(Les variantes des paragraphes quatre et cinq de la formule de serment doivent être utilisées par les fidèles dont il est question au canon 833, n. Cool

Je favoriserai la discipline commune de toute l’Eglise, et je veillerai à l’observance de toutes les lois ecclésiastiques, surtout de celles qui sont contenues dans le Code de Droit canonique.

Par obéissance chrétienne, je me conformerai à ce que les Pasteurs déclarent en tant que docteurs et maîtres authentiques de la foi ou décident en tant que chefs de l’Eglise; et aux évêques diocésains, j’apporterai volontiers ma collaboration, de telle sorte que l’action apostolique, qui doit s’exercer au nom de l’Eglise et sur son mandat, se réalise, étant sauves la nature et la finalité de mon Institut, dans la communion de cette même Eglise.

https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19880701_professio-fidei_fr.html
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeJeu 03 Fév 2022, 13:33

Ça me rappelle Drewermann (dont j'ai sûrement déjà parlé mais je ne sais plus où) et son livre traduit en français sous le titre de Fonctionnaires de Dieu que j'avais lu il y a longtemps, et qui m'avait alors frappé parce qu'il rapportait explicitement et implicitement beaucoup de choses (sacrements et voeux d'ordination, sacerdotaux et monastiques, de mariage, professions et confessions de foi) au concept de "serment" et à l'interdiction évangélique de celui-ci -- ce qui avait le mérite de faire entrevoir la portée insoupçonnée du "serment" (qui à la limite se confond avec la "parole" qu'il dramatise, qu'il met en scène et en abyme) et de sa remise en question, bien au-delà du seul contexte catholique de sa contestation.

Le chapitre de Courtois que tu as cité et l'ensemble du livre (lien au post précédent) mériteraient une lecture attentive (je n'ai fait que "feuilleter", si l'on peut dire), car c'est une étude très vaste et sérieuse sur ce "sujet" (le serment et le "sujet" du serment). Les pages sur Kant, par exemple, sont tout aussi intéressantes que celles sur Thomas d'Aquin.
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeJeu 03 Fév 2022, 15:32

Qu’appelle-t-on ne pas penser ?


« Figurez-vous que je n’y pensais pas

(...)

«Je n’y pensais pas» ne veut pas simplement dire «j’avais oublié ». Au-delà du fait de l’amnésie, voire de l’omission, qui n’est pas une simple perte de mémoire, au-delà de cette défaillance dont il est pris acte, par un constat, c’est déjà la confession de quelque manquement au devoir : je n’y pensais pas alors que, comme vous venez de me le rappeler, j’aurais dû y penser. C’était là mon devoir, j’étais censé ne pas ignorer cette loi. Plus précisément, cette confession ressemble à un aveu qui s’innocente, donc aussi à une description neutre autant qu’à une confession, à un étrange aveu d’innocence, l’aveu de quelqu’un qui, désavouant son aveu, en quelque sorte, plaide coupable et non-coupable à la fois pour avoir cru, innocemment, n’avoir pas eu à se rappeler, n’avoir pas dû se rappeler, ne pas avoir pensé ce qu’il fallait, ne pas avoir pensé qu’il fallait, qu’il aurait fallu y penser — et d’abord, avant ceci ou cela, à l’impératif d’y penser, de penser à se rappeler d’y penser, de penser à y penser — et ainsi de penser à être fidèle à un engagement, à éviter le parjure : je ne pensais pas que je devais me rappeler, je ne pensais pas que j’avais un devoir de mémoire, que je devais ne pas oublier, ne pas m’oublier moi-même, ne pas oublier mon identité de sujet, mon identité à moi-même. Je ne pensais pas, j’oubliais, c’est un fait, que, comme l’identité à soi du sujet, la mémoire est, ou plutôt doit, devrait être une obligation éthique : infinie et de chaque instant.

Peut-on commettre un parjure «sans y penser»? par distraction ? non par transgression active et délibérée mais par oubli ? ou parce que ce n’est pas le moment d’y penser ? On se demande si on peut trouver là une excuse, une circonstance atténuante. Et si on peut juger cela pardonnable, de « ne pas y penser» — d’oublier de penser à tout, à toutes les présuppositions et implications de ce qu’on fait ou de ce qu’on dit. Si penser ne peut aller sans risque d’oubli de soi, si oublier de penser, si oublier d’y penser est une faute, si telle interruption, telle intermittence est une faillite, alors qu’appelle-t-on penser ? Et oublier ? Qu’appelle-t-on ne pas penser ? Ne pas penser à y penser ? Rien de plus banal, d’une certaine façon. Car enfin on ne peut raisonnablement demander à un sujet fini d’être capable, à chaque instant, dans le même instant, voire seulement au moment voulu, de se rappeler activement, actuellement, en acte, continûment, sans intervalle, de penser toutes les obligations éthiques auxquelles, en toute justice, il devrait répondre. Ce serait inhumain et indécent.

(...)

III. Hölderlin en Amérique : le serment d’un fou

(...)

Promesse dont la structure est donc vertigineusement compliquée, puisqu’elle est engagée avant même toute formulation explicite, et même dans le cas où je déclarerais, par la négation, la dénégation ou le désaveu, ne pas m’y engager. Telle complication se réinvestit et se capitalise dans l’acte de parjure. Car si je parjure, si je mens en faisant ce qu’on appelle un faux témoignage, c’est que j’ai déjà peut-être menti (non nécessairement ni toujours mais peut-être), j’ai peut-être préalablement menti en promettant (sous-entendu sérieusement) de dire la vérité : j’ai déjà menti en promettant la véracité (il faut toujours préciser : la véracité plutôt que la vérité, mentir ou parjurer ne signifiant pas dire le faux ou le non-vrai, mais dire autre chose que ce qu’on pense, non pas en se trompant mais en trompant délibérément l’autre). J’ai peut-être déjà menti en promettant de dire la vérité, menti avant de mentir en ne disant pas la vérité. Nous voyons ainsi le temps du parjure se diviser dès le premier instant. Quand je m’accuse de parjurer ou quand j’accuse quelqu’un de parjurer, cette accusation peut prendre une ou deux directions à la fois : je peux accuser l’autre (ou moi-même) d’avoir trahi, en un second temps, une promesse sincère qui n’aurait donc pas été tenue, la trahison suivant alors, comme un second temps original, un engagement d’abord honnête et de bonne foi, authentique ; ou bien (voire à la fois) je peux accuser le parjure, l’autre ou moi-même, d’avoir menti dès le premier moment, d’avoir déjà parjuré en promettant de dire la vérité, donc en jurant d’abord : d’avoir parjuré en jurant. On peut parjurer, donc, après avoir juré, mais on peut parjurer en jurant. Ces deux temporalités ou ces deux phases structurelles semblent après coup s’envelopper l’une l’autre. Elles semblent s’impliquer en droit sinon en fait, mais elles sont en principe distinctes. D’où le gouffre d’amnésie, l’interruption, la possibilité de la discontinuité anacoluthique dont nous parlions plus haut, le « Figurez-vous que je n’y pensais pas.» Je peux toujours dire, qu’on me croie ou non, qu’on en tienne compte ou non : «J’ai sincèrement promis de dire la vérité, ou promis ceci ou cela, promis d’être fidèle à ma promesse, promis d’être fidèle à la parole donnée, juré d’être fidèle tout court, et puis ensuite, pour une raison ou une autre, ou sans autre raison que le retour de ma méchanceté, de ma malignité, voire une perte d’amour, voire une transformation de moi-même, voire la survenue d’une autre personne, d’une autre obligation, voire l’oubli ou la distraction, j’ai dû trahir. Mais cette trahison ne survient que dans un temps second : quand j’ai promis-juré, j’étais sincère, de bonne foi, je ne parjurais pas. Pas encore.»

https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/2002-v38-n1-2-etudfr686/008390ar.pdf
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeJeu 03 Fév 2022, 17:44

Encore un texte très riche, qui me semble assez familier quoique je ne l'aie (peut-être) jamais lu auparavant: le même "matériau", si je puis dire, autour de la configuration Thomas / Miller / De Man (et Hölderlin et Proust et Heidegger et Blanchot), était autrement élaboré dans un des volumes du "séminaire" (je ne sais plus lequel: Le Parjure et le pardon auquel ce texte se réfère était antérieur, 1998-99, Jacques Derrida y est peut-être revenu dans La Bête et le souverain).

A le (re)lire, au hasard des liens du jour, en écho avec l'étude plus "académique", mais excellente aussi, de Gérard Courtois (que j'ai terminée entre-temps), se dégage l'impression que la dévaluation du "serment" (dans une certaine continuité du christianisme à la modernité, du moins européenne, que Courtois met d'autant mieux en évidence qu'il ne s'attarde pas sur les mouvements contraires, ce qui dans le christianisme puis dans la modernité charge le "serment" d'un surcroît de "sacré", religieux puis moral, social ou psychologique, enjeu "subjectif" et "intersubjectif", de "conscience", de respect ou d'estime de soi inséparables du respect et de l'estime des autres et des autres pour soi, etc.) s'accompagne, se traduit ou se compense d'une survalorisation de la "parole ordinaire": là où l'on ne peut plus justifier (sur un mode mythologique ou théologique) l'excès du "serment" sur la "parole", c'est toute "parole" qui se charge de l'"excès"; ce serait déjà l'"esprit" du "Sermon sur la montagne": tout "oui" ou "non" vaut "serment", comme le désir vaut l'adultère ou la haine le meurtre, il y a dramatisation du "coeur", de l'intériorité, de la pensée ou de l'intention mis au même niveau que l'acte et ses conséquences, alors même que cette dramatisation présuppose la différence qu'elle annule ou "relève", au double sens de l'Aufhebung hegelienne. L'"idéal" dans cette ligne-là serait une parole plate, prosaïque et univoque, sans artifice rhétorique ou poétique, sans ambiguïté et sans nuance, sans duplicité ni emphase, excluant autant la plaisanterie, le jeu, les effets et les figures de style (litote, hyperbole, parabole, métaphore, métonymie, ironie, humour) que le mensonge, soit à peu près le contraire d'une parole, d'un langage ou d'une langue (y compris ceux des textes du NT). Attentat contre le langage, au même titre que l'amour des ennemis reviendrait à un attentat contre l'amour, qui en le portant à l'absolu (universalité, inconditionnalité, etc.) le priverait de tout "sens", intelligible et sensible ? Ce serait le fond "nihiliste" de la chose.

Mais c'est aussi l'idéal du langage "juridique" ou "contractuel", "logique", "mathématique", "scientifique" et "technique", langage de la "vérité" comme "exactitude", qui prolonge une tout autre tradition, celle de la philosophie grecque (pas de place pour les poètes mythologues dans la cité idéale de Platon, dont les textes sont pourtant remplis de poésie et de mythe...).
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeVen 04 Fév 2022, 13:44

La promesse à la source des relations interpersonnelles et sociales

La deuxième figure, empruntée à Sartre, met davantage en avant la dimension institutionnelle et rituelle du phénomène de la promesse. Elle concerne sa forme la plus solennelle : l’acte de prêter serment. Sartre, dans la Critique de la raison dialectique, s’intéresse à la formation des groupes « comme ensemble de solidarités » qui s’organisent pour survivre face à une menace extérieure. Le serment des conjurés devient alors une figure de l’action commune. Son mot d’ordre de base est « jurons ». La réciprocité de chacun vis-à-vis de tous est organisée sous la catégorie d’un tiers qui est la communauté ainsi créée. Le serment permet la continuité d’une histoire qu’il inaugure (voir le serment révolutionnaire du jeu de paume), la conservation figée de son surgissement. Dans certaines conditions de crise, « tout se passe comme s’il fallait promettre » (Greisch, p. 327). Le serment solennel des conjurés est censé le garantir. Quelque chose se dit là du surgissement de l’histoire. En même temps, lorsque la promesse vire à la contrainte extérieure, la figure de la terreur apparaît. Le serment est le fruit de la peur et de la vulnérabilité du groupe, il crée une autre peur bien réelle. Dans le serment s’insinue la menace : « je réclame qu’on me tue si je fais sécession », caricature porteuse de mort de la sollicitude de tous pour tous. Aujourd’hui, les phénomènes de groupuscules terroristes doivent nous faire réfléchir à ce type de promesse.

Troisième figure sombre mais révélatrice de la promesse : celle que nous fournit Nietzsche avec qui nous avons commencé notre parcours. Dans la Généalogie de la morale, au sujet de la faute et de la mauvaise conscience, Nietzsche indique la fameuse thèse : « Élever un animal qui puisse promettre, n’est-ce pas là cette tâche paradoxale que la nature s’est donnée à propos de l’homme ? N’est-ce pas là le problème véritable de l’homme ? ». « Pouvoir promettre » est bien un pouvoir anthropologique fondamental, mais « c’est parce qu’il vient compenser les effets d’une force encore plus élémentaire : celle de l’oubli (Vergesslichkeit) » (Greisch, p. 350). La force de l’oubli qui, pour lui, est la condition de la santé de l’homme, est accompagnée par une faculté de mémoire nécessaire qui suspend l’oubli dans les cas où il est nécessaire de promettre. La promesse est ici non seulement une trace de mémoire mais une volonté de se souvenir, une persistance à vouloir ce que la volonté a voulu une fois. Par cette capacité, l’homme devient garant de son avenir : prévisible, régulier, nécessaire, il se fait répondant de lui-même. Mais cette prévisibilité de l’homme trouve son sens dans le phénomène de la « responsabilité ». L’homme qui promet est aussi celui qui peut être tenu pour responsable, qui aura à tenir ses engagements et à rendre compte de la parole donnée, c’est l’homme de la conscience morale. Mais cette description « volontaire » de l’humain, souverain fier dans sa détermination libre, a son revers, car cette promesse est immédiatement associée au poids d’une dette et d’une obligation sociale à tenir. « Dureté, cruauté et douleur » de la mauvaise conscience sont les revers de cette conscience morale, l’ombre pesante du faire mémoire qui s’institutionnalise quand les institutions promettent le châtiment et qui s’exprime dans des relations contractuelles. Ce tableau fier et sombre de la promesse nietzschéenne pose la question de l’identité du soi qui promet et de la prise en compte ou non de l’altérité d’autrui dans l’acte même de promettre. La promesse est-elle l’acte quasi prométhéen qui permet à l’homme de vivre en société en luttant contre l’oubli tout en lui imposant le lourd fardeau d’une responsabilité solitaire, ou bien est-elle située au fondement des relations humaines comme un décentrement salutaire vers l’autre et une ouverture confiante sur l’avenir ?

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-HS-page-55.html
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitimeVen 04 Fév 2022, 14:54

Il ne faut pas oublier que chez Nietzsche (tributaire en cela de la pensée "historique", "évolutionniste" et "progressiste" de son siècle bien qu'il la critique amplement et profondément par ailleurs), la "faculté de promettre" ne vient pas à l'homme du ciel ou de la "nature" sans passer par un processus "culturel" et éminemment cruel: la "conscience" (du "bien" et du "mal", mais aussi de "soi" et des "autres", de l'"être" et du "devenir", des "causes" et des "effets") n'étant que le résultat et l'"intériorisation" (stratification, sédimentation, construction) d'innombrables expériences de châtiments, de tortures et de supplices réels, infligés de génération en génération par les "forts" aux "faibles" (maîtres / esclaves, rois / sujets, suzerain / vassal, vainqueur / vaincus, homme / femmes, enfants, animaux etc.) et projetés dans l'imaginaire (avec des dieux qui peuvent voir et punir sans faute et au centuple ce que le maître ne peut pas voir ou punir, d'où les "serments" qui s'y réfèrent). Un "sur-humain", "trans-humain" ou "ultra-humain" (Ueber-mensch) qui créerait sa propre loi et ses propres "valeurs" au lieu de se soumettre à une loi et à des valeurs "communes", en s'identifiant à la (sa propre ?) "volonté de puissance" pour s'en faire un "destin" librement choisi, n'en serait pas moins héritier de toute cette "histoire", quand même il deviendrait le seul destinataire, bénéficiaire et témoin de sa "promesse" auto-déterminante. Pour se vouloir il devrait intégralement la vouloir, cette "histoire", dans le sens paradoxal et rétro-récurrent de l'"éternel retour" (ewige Wiederkehr). Or à ce point-limite tout se renverse, le "sujet" parfaitement autonome n'est plus "sujet" de rien, il supporte tout et ne supporte rien, il se confond avec tous les "sujets de l'histoire", sa puissance absolue se retourne en impuissance absolue (cf. ici, à partir du 7.1.2022).

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Le serment dramatise ce qui est impliqué dans toute promesse et toute parole, à savoir la mort: qui promet s'interdit de changer d'avis, il fait de sa parole l'équivalent des "dernières volontés" d'un mourant qui ne pourra plus revenir sur sa décision; qui décide se suicide, la ressemblance des mots n'est ni un accident ni une coïncidence (de cado, tomber, ou de caedo, frapper), il y va de la mort dans l'irrévocable, comme le souligne l'épître aux Hébreux en rapprochant serment et testament, fût-ce de "Dieu"; et plus profondément encore il y va de l'irréversible en tout acte, parole ou geste qu'un dieu même ne saurait proprement effacer (au sens de faire que ce qui a eu lieu n'ait pas eu lieu, cf. Agathon) autant qu'il s'en repente, toujours dans la métonymie sans fin de l'écriture (ce que j'ai écrit, je l'ai écrit, dit encore le Pilate johannique, dans une tautologie étrangement analogue au 'ehyeh 'asher 'ehyeh divin, même s'il contresigne en l'occurrence la mort de l'autre -- à supposer qu'on puisse distinguer dans "la mort" un "soi" et un "autre").
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MessageSujet: Re: Le parjure, le serment et la parole   Le parjure, le serment et la parole Icon_minitime

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