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| La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 23 Mar 2020, 18:38 | |
| A vrai dire tout ce qui est dépassé se retrouve dans son dépassement même (on croirait du Hegel): si passage à l'éternel il y a, c'est plus et mieux qu'une purification, une expiation, une rémission des péchés ou une consécration-sanctification qui n'en serait qu'une condition préalable, nécessaire et nullement suffisante; c'est aussi l'exemple exemplaire, si j'ose dire, dans la mesure où le Christ qui à la fois annule et accomplit tout sacrifice dans l'offrande de soi indique l'accès même à l'éternel: surmonter la crainte de la mort qui fait de toute vie humaine un esclavage (2,14s), c'est le lieu commun philosophique par excellence de l'Antiquité tardive (sur lequel médio-platoniciens, cyniques, stoïciens et épicuriens seraient tombés d'accord en dépit de leurs oppositions théoriques), et c'est encore aujourd'hui d'une actualité brûlante.
Est-ce pour autant "gnostique" ? Il me semble que la lecture de l'épître aux Hébreux se tient à distance sensiblement égale d'une interprétation "mystérique" ou "sacramentelle" et d'une interprétation "gnostique" du christianisme, à la fois compatible avec les deux et différente. Goguel avait raison de souligner que le corps de l'épître est exceptionnellement silencieux sur le contenu du "culte" chrétien (contrairement à la conclusion ultérieure qui s'efforce de lui donner un certain contenu, rituel et éthique). Ce qui sauve ne se réduit pas à un "mystère" ou à un "sacrement" efficace, ni à une "connaissance". |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 23 Mar 2020, 21:26 | |
| Le sang du sacrifice Le grand point commun entre ces deux cultes, celui du Temple et celui du Christ, c'est le sang versé. Évidemment, la différence est grande entre les deux offrandes: rite animal d'un côté, réalité humaine de l'autre. C'est par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu'il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et qu'il a obtenu une libération définitive (9,12). D'où la différence des effets produits : Si le sang de boucs et de taureaux répandu sur les êtres souillés les sanctifie en purifiant leur corps, combien plus le sang du Christ, qui s'est offert lui-même à Dieu... purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour servir le Dieu vivant (9,13-14). Il s'agit bien d'un passage de la mort à la vie: d'un passage vers Dieu, d'une consécration. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200060.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 24 Mar 2020, 00:37 | |
| Sauf que du Temple (de Jérusalem) il n'est nullement question dans l'épître aux Hébreux, mais de la tente de l'Exode: raisonnement strictement a scriptura (fondé sur la seule Ecriture, comme chez Philon), de même que pour le thème du repos ou Melchisédek, dont on ne peut absolument rien tirer d'"historique" (p. ex. quant à savoir si le texte est d'avant ou d'après 70 apr. J.-C.).
Ne pas voir que le "sang du Christ" est lui-même une image (de "l'esprit éternel" qui correspond à l'offrande de soi, comme il est dit clairement en 9,13s dans la portion de texte incroyablement omise par Gruson), c'est réduire sa "supériorité" à celle, purement rituelle et alors tout à fait "païenne", d'un sacrifice humain sur un sacrifice animal -- ce qui n'est certainement pas le propos. |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mar 24 Mar 2020, 21:07 | |
| Dom Cabrol signalait naguère très laconiquement un verset de l'épître aux Hébreux, ix, 14. « Nous serions, disait-il, assez incliné à voir une allusion à l'intervention du Saint-Esprit au sacrifice dans ce verset. » (3) Pour nous rendre compte de la portée de cette allusion, faisons l'analyse de ce morceau. Voici en entier le passage dont ce texte fait partie : (…) Nous n'avons pas à nous occuper ici de chacune des différences essentielles relevées par l'auteur inspiré entre le type et l'antitype. Il nous suffit d'examiner celle qui est indiquée dans la première partie du verset 14, et qui concerne la matière et le mode du sacrifice. Dans le rituel mosaïque, la matière est le sang d'animaux sans raison, de boucs et de taureaux ; dans le sacrifice du Christ, c'est le propre sang du Pontife lui-même, de Jésus, la victime sans tache qui s'offre à Dieu. Dans le rituel mosaïque, le mode, c'est l'aspersion du sang et l'holocauste par le feu, ou d'autres actes également matériels et grossiers (i); le mode spécial du sacrifice du Christ, c'est d'être offert δια Πνεύαατος αιωνίου, par le moyen de l'Esprit éternel. Voilà les trois mots importants au point de vue qui nous occupe. On sait que la Vulgate porte : per Spîritum Sanctum, par le moyen de l'Esprit-Saint. Les deux leçons se rencontrent chez les Pères, qui, d'ailleurs, donnent à l'une et à l'autre un sens identique. Ainsi, par exemple, saint Ambroise lit : per Spiritum sempiternum, et prouve par là l'éternité, partant la divinité de l'Esprit-Saint (2). Saint Jean Chrysostome, au contraire, lit comme la Vulgate : δια Ηνεύΐλατος άγιου, par l'Esprit-Saint, et son commentaire mérite d'être cité, car il souligne très clairement et très 'justement la pensée de ce texte :
Si le sang des taureaux peut purifier la chair, bien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il les souillures de l'âme. Et quand vous entendez dire sanctifie, n'allez pas croire à un effet- merveilleux. L'apôtre prévient votre erreur en remarquant et démontrant quelle différence il y a entre les deux sanctifications, comment l'une est sublime, l'autre grossière, et à bon droit, puisque d'un côté est le sang du taureau, et de l'autre le sang de Jésus-Christ. Il ne se contente pas d'une différence de nom (c'est-à-dire de matière); il établit aussi la manière d'offrir : « Lui (dit-il), s'est offert à Dieu par le Saint-Esprit, comme une victime sans tache. » Victime sans tache signifie pure de tout péché, et l'expression « par le Saint-Esprit » veut dire non par le feu, ni par tout autre intermédiaire (3). https://www.persee.fr/docAsPDF/rebyz_1146-9447_1909_num_12_74_3765.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mer 25 Mar 2020, 01:29 | |
| La perspective trinitaire byzantine est évidemment anachronique par rapport à l'épître aux Hébreux, mais au moins cet auteur-ci (de 1909 !) n'a pas raté l'essentiel: le spirituel est l'éternel (et inversement), ce qui distingue radicalement la typologie allégorique de l'épître aux Hébreux d'une simple comparaison des sacrifices ou des sangs (l'animal inférieur à l'humain ou au divino-humain).
Mais l'éternel dans ce texte dépasse aussi toutes les figures théologiques habituelles (que ce soit "Dieu", "les anges" ou "l'Homme" comme Adam-image-de-Dieu, premier-né, etc., ou les "hypostases-personnes" du Père, du Fils et du Saint-Esprit) -- et il est fort logique que dans ce mouvement de dépassement le texte ne se soucie guère de les définir dans une identité fixe. L'éternel transcende toute identité définie, même celle de "Dieu" y passe (p. ex. comme mort du testateur, 9,15ss, où la mort du Christ implique une certaine mort de "Dieu", nécessaire à l'alliance-testament qui ouvre sur l'éternel; cf. le "serment par soi-même" de 6,13ss, où "Dieu" se met en jeu, se condamne lui-même à l'impuissance sous forme d'impossibilité de toute rétractation, pour garantir l'éternité de la promesse qui renvoie toujours à l'éternel -- au-delà du voile). L'éternel est au-delà de "Dieu", tout du moins "Dieu" conçu comme étant quelque chose, puissant, agissant, parlant, décidant, changeant d'avis, etc. -- comme le "Bien" de Platon ou l'"Un" de Plotin est epekeina tès ousias, au-delà de l'essence (ou de l'étantité comme dirait Heidegger). |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Mer 25 Mar 2020, 18:54 | |
| - Citation :
- L'éternel transcende toute identité définie, même celle de "Dieu" y passe (p. ex. comme mort du testateur, 9,15ss, où la mort du Christ implique une certaine mort de "Dieu", nécessaire à l'alliance-testament qui ouvre sur l'éternel; cf. le "serment par soi-même" de 6,13ss, où "Dieu" se met en jeu, se condamne lui-même à l'impuissance sous forme d'impossibilité de toute rétractation, pour garantir l'éternité de la promesse qui renvoie toujours à l'éternel -- au-delà du voile). L'éternel est au-delà de "Dieu", tout du moins "Dieu" conçu comme étant quelque chose, puissant, agissant, parlant, décidant, changeant d'avis, etc. -- comme le "Bien" de Platon ou l'"Un" de Plotin est epekeina tès ousias, au-delà de l'essence (ou de l'étantité comme dirait Heidegger).
L'auteur de la lettre aux hébreux affectionne le terme "éternel", puisqu'il qualifie le salut (5,9), le jugement eschatologique (6,2), la rédemption (9,12), l'Esprit (9,14), l'héritage (9,15). Concernant (9,14), l'auteur utilise l'adjectif "éternel" en rapport avec l'"Esprit" et pas le terme "Saint", peut-être que celui-ci voulait mettre en évidence la force qui a été active dans l'offrande et le résultat obtenu, il fallait l'intervention de "l'Esprit éternel" pour parvenir à une rédemption éternelle, un héritage éternel fondée sur une alliance éternelle.Un extrait :Nous avons ici non seulement un performatif explicite — « je jure » — mais également une forme emphatique : « je jure par moi-même ». Le meilleur commentaire est celui qui se lit dans la lettre aux Hébreux : alors que « les hommes jurent par plus grand qu’eux-mêmes, et pour mettre un terme à toute contestation, recourent à la garantie du serment » (He 6,16), « Dieu, lorsqu’il fit sa promesse à Abraham, comme il n’avait personne de plus grand par qui jurer, jura par lui-même (kath’ heautou) » (He 6,13) En disant « je jure par moi-même » ou, ailleurs, « par ma sainteté » (cf. Ps 89,36), en prêtant serment ou en promettant « par ma vie » (cf. Is 49,18 ; Ez 34,8-16), Dieu fait jouer, en version absolue, le mouvement réflexif qui habite toute promesse. De manière intéressante, l’expression « par moi-même (bî) » de Dieu en Gn 22,16 répond à la première parole prononcée par Abraham dans l’épisode : « me voici (hinnénî) » (v. 1), expression elle aussi affectée de l’indice de la première personne. À Abraham qui a répondu en « se commettant », Dieu répond en s’engageant « par soi ». Le dynamisme réflexif de la promesse traduit ainsi l’auto-implication éthique du locuteur, ainsi que l’a décrit le philosophe Donald D. Evans dans son essai The Logic of Self-Involvement .Le Dieu de la Bible est, par contre, le premier à illustrer l’effectivité de la parole, dont il fait le levier le plus puissant de l’histoire, capable de porter sur tous les temps : « Une fois pour toutes, je l’ai juré sur ma sainteté », dit ainsi Dieu dans le Ps 89, à propos de la promesse faite à David (v. 36). Moïse l’a compris, lui qui, dans son intercession lors de la crise du veau d’or, n’hésite pas à représenter à Dieu ce qu’il a promis sous la forme d’un serment : - Citation :
- Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, auxquels tu as juré par toi-même, en leur disant : « Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel, et tout ce pays que j’ai dit, je le donnerai à votre descendance, et ils le recevront comme patrimoine pour toujours ».
(Ex 32,13) Comme le fait observer avec perspicacité Norbert Lohfink, Moïse ne fait alors autre chose que « jouer Dieu contre Dieu ». Mais il le fait en jouant parole pour parole — la sienne propre s’autorisant du serment de Dieu — dans un sommet d’effectivité du langage. https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2014-3-page-353.htm?try_download=1 |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 26 Mar 2020, 13:49 | |
| Très bel article.
Encore plus généralement: ce qui fait du langage ce qu'il est, un "système", une "structure" et une "fonction" si l'on veut, ce qui lui permet de fonctionner, d'opérer, de "performer", de signifier, de désigner, de décrire, de raconter, d'exprimer, de promettre, de menacer, de jurer, d'injurier, d'interpeller, etc., bref de faire tout ce qu'il fait, c'est précisément le caractère paradoxal de sa "limite" qui est partout et nulle part. à la fois fermée et ouverte, hermétiquement close et béante. Ce n'est pas seulement dans les formules de l'"absolu" ou de la "transcendance", toujours foncièrement négatives (Dieu, l'éternité, l'esprit, le ciel, c'est à chaque fois l'"ineffable", le non-quelque-chose-de-définissable), que le langage et la pensée parlante trouvent leur limite, mais aussi bien dans chaque "sujet", dans chaque "nom propre", et dans chaque "chose" pour autant qu'elle échappe au langage qui la nomme (cf. la "chose-en-soi" kantienne). L'ineffable est partout, comme clôture et ouverture infinie du langage, d'où celui-ci "vient" sans provenir et vers quoi il tend sans y atteindre. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 26 Mar 2020, 20:09 | |
| La tradition chrétienne, à la suite de l’Épître aux Hébreux, a rendu compte du caractère original de la mort de Jésus en recourant à l’image rituelle du sacrifice. Cette image, constamment utilisée, n’a jamais reçu une définition univoque. Élevée à la hauteur d’une notion, elle revêt un sens différent selon les structures théologiques dans lesquelles elle s’insère. Nous prenons à titre de référence la définition augustinienne.
Pour saint Augustin, le sacrifice visible est « le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré, du sacrifice invisible ». Cette définition fait du sacrifice une expression de l’attitude religieuse de l’homme. Le sens du sacrifice visible est donc à découvrir dans l’attitude humaine dont le geste ou l’action extérieure reçoit son intentionnalité. Le geste (ou action) sacrificiel a pour fin d’exprimer une conversion vers Dieu : le sacrifiant reconnaît appartenir exclusivement au Seigneur et avoir avec lui des liens de communion.
Sacrifier, c’est faire passer quelque réalité du domaine profane au domaine sacré, en signe, pour celui qui sacrifie, de son retour à ce domaine sacré. Dans l’Ancien Testament, ce transfert du domaine profane au domaine sacré était l’œuvre de celui qui était consacré, et qui, en vertu de l’onction, n’appartenait plus au domaine profane : le prêtre. Le sacerdoce était rituel et extérieur, et, en conséquence, le sacrifice était également rituel et extérieur. On signifie ainsi que l’oblation offerte était quelque chose d’extérieur à l’homme. Sa valeur, signe de l’attitude de l’homme en face du don de Dieu, venait de l’accord entre la vie effective de l’homme et le geste sacrificiel. Le sacrifice est vrai dans la mesure où le cœur de l’homme est droit. Le sacrifice extérieur est alors l’expression d’un authentique sacrifice intérieur.
L’image du sacrifice n’éclaire la mort de Jésus que si elle est elle-même critiquée par ce que furent la parole et l’attitude de Jésus. Elle est donc relative et il est préférable de l’abandonner si elle ne remplit pas la fonction que l’Épître aux Hébreux lui avait assignée : justifier l’inutilité de la liturgie sacrificielle de l’ancienne Alliance pour la rémission des péchés. Jésus a aboli l’Ancien Testament en le réalisant. L’image du sacrifice risque de nous faire oublier l’abolition des sacrifices. Le lieu de la rencontre de Dieu est la vie humaine « profane » et non le rite. https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2009-2-page-9.htm
Les affinités qumrâniennes de l'épître aux Hébreux
Voici, cependant, en premier lieu quelques contacts positifs. Des deux côtés apparaît la préoccupation de se libérer du péché. Dans l'épître, elle est présente en 1, 3; 5, 1 ; 7, 27; 8, 12; 9, 26. 28; 10. 2. 4. 6. 8. 12. 18. Elle apparaît aussi dans les sections parénétiques (2, 17; 3, 13 ; 10, 26; 11, 25 ; 13, 11), où elle prend en deux endroits un aspect spécial, à savoir celui de la lutte contre le péché (12, 1. 4), Mais la doctrine de Qumrân est largement dépassée. Dans le document chrétien, la purification des péchés est l'œuvre du Christ. Elle n'est pas simplement extérieure, rituelle, cérémonielle, mais elle affecte la conscience (9, 9. 14; 10, 2. 22; 13, 18). Et, — donnée surprenante, — l'épître n'attribue en la matière aucun rôle à l'Esprit Saint. |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 26 Mar 2020, 23:11 | |
| Lien de la seconde citation: excellent article de J. Coppens qui, en 1962, réagissait avec bon sens à la vague qoumranienne qui déferlait depuis une bonne décennie, pour le meilleur et pour le pire, sur l'exégèse du NT, en occultant comme d'habitude tout le reste (en l'occurrence des sources hellénistiques et surtout alexandrines bien plus pertinentes).
Le premier texte, de C. Duquoc, sur le thème général du sacrifice, est plus "dogmatique" (au meilleur sens catholique du mot) et ne concerne qu'accessoirement l'épître aux Hébreux. Il pose néanmoins, en creux, la question de savoir ce qu'une dogmatique, précisément, peut faire de ce livre, à part en citer des versets hors contexte à l'appui de tel ou tel article de catéchisme. Quand on a affaire à un christianisme "philosophique" comme celui-là, il faut déjà se familiariser avec sa "philosophie" pour avoir une chance d'y comprendre quelque chose, ce qui, nous l'avons vu, n'est pas facile; mais même si l'on y arrive dans une certaine mesure il ne s'ensuit pas qu'on pourra en "tirer" quelque chose hors de son cadre d'intelligibilité philosophique, par exemple sous forme de propositions doctrinales purement "religieuses" et "non-philosophiques". Si "traduction" il y a, celle-ci ne peut faire l'économie de la philosophie du texte, elle doit être aussi philosophique que lui -- non par simple imitation d'une philosophie antique qui nous restera toujours étrangère, même si nous l'"apprenons" d'une façon scolaire, mais avec notre "philosophie" à nous, si rudimentaire, hétéroclite et anachronique soit-elle. Autrement dit, toute lecture ou interprétation sera fatalement décalée par rapport au texte, mais pour autant qu'elle est quand même lecture et interprétation de ce texte, elle ne peut pas être moins "pensée" que lui. |
| | | free
Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 27 Mar 2020, 18:21 | |
| Il était donc nécessaire que les copies (hupodeigmata) de ce qui est dans les cieux soient purifiées par cela (les sacrifices animaux et sanglants, voir ce qui précède; ou, à la rigueur: que les copies de ce qui est dans ces cieux soient purifiées) , et le céleste par des sacrifices meilleurs; car ce n'est pas dans un (lieu) saint fait de main (d'homme), empreinte (réplique, copie, "antitype") du véritable, que Christ est entré, mais dans le ciel même, afin de paraître maintenant pour nous devant la face du dieu; non pour s'offrir maintes fois, comme le grand prêtre entre dans le (lieu) saint chaque année avec le sang d'un autre -- il aurait dû souffrir maintes fois depuis la fondation (ou le lancer) du monde -- mais maintenant, une seule fois (hapax), à la fin de l'âge (temps, aiôn), il a été manifesté pour ôter le péché par son sacrifice. Et comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois (hapax) -- après quoi jugement -- de même aussi le Christ, ayant été apporté une seule fois (hapax) pour porter le péché de la multitude, apparaîtra (sera vu) une deuxième fois, sans péché, à (de) ceux qui l'attendent pour le salut. ( Hébreux 9,23ss). C'est un texte assez difficile à lire, surtout vers la fin et sans les aménagements plus ou moins judicieux des traductions courantes. Il faudrait, comme toujours, relire toute l'épître (même si ce n'en est pas une), au minimum les chapitres 9--10; et se rappeler ce qu'on a dit ailleurs de son "système" conceptuel si particulier (opposition simili-platonicienne des deux scènes, terrestre-transitoire d'une part et céleste-éternelle d'autre part, qui se double, non sans difficulté, d'une opposition temporelle passé-futur compliquant singulièrement le présent, entre des "ombres" déjà-passées-mais-encore-présentes et une "réalité" encore-à-venir-mais-déjà-là). On aura noté la récurrence, par trois fois (v. 26, 27, 28), du terme-clé "une fois" (une seule fois, une fois pour toutes, le fameux hapax, cf. déjà v. 7; 6,4; 10,2; 12,26s), que l'on aura peut-être rapproché de l'"aujourd'hui" des chapitres 3 et 4. Ce qui est peut-être ici le plus frappant, c'est la comparaison ambiguë (à la fois similitude et contraste) entre l'"une fois" de l'expérience humaine ordinaire (on ne meurt qu'une fois, on n'est jugé qu'une fois) et celui de l'unique acte christique ("sacrifice" mais aussi "perfection/accomplissement" et "engendrement", si toutes les figures de l'épître se confondent dans le même "aujourd'hui"), qui se situe "à la fin des temps" (v. 26), comme s'il devait récapituler ou subsumer tout ce qui, dans le temps des "ombres", le précède. Et qui pourtant, au présent de l'écriture, est déjà "passé" et a encore un "avenir", mais pour ainsi dire "hors temps" comme il est dit "hors péché". Par le fait, c'est le seul texte du Nouveau Testament, sauf erreur de ma part, qui parle explicitement d'une seconde venue (plus exactement manifestation ou apparition: "être vu") du Christ: partout ailleurs, il est question de venue ( erkhomai), d'avènement ( parousia), d'apparition ou de manifestation ( epiphaneia), sans "re-" ni numérotation (second, deuxième). Tout se passe comme si la singularité de l'"une fois" ne pouvait se dire ni se penser sans une infinité de répliques, qui la précèdent et qui la suivent, même là où il n'y a plus de temps pour une suite ("après" la fin des "temps"): une fois pour toutes, une fois pour toutes les fois, et cependant une seule fois, cela ne se dit qu'en plus d'une fois. (Les lecteurs de Kierkegaard apprécieront les résonances: on ne souffre qu'une fois, on n'est jugé-examiné qu'une fois, on triomphe éternellement.) https://etrechretien.1fr1.net/t1199-il-etait-une-fois-pour-toutes |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Ven 27 Mar 2020, 19:49 | |
| La difficulté -- qui en l'occurrence ne tiendrait pas à une complexité mais à une simplicité désarmante -- c'est peut-être de penser "l'éternité", non comme un "non-temps" (sur un mode de négation "logique") ni comme un "hors-temps" (à la manière d'une extériorité "spatiale"), ni comme un "autre temps" ni comme un "autre" ou un "contraire" du "temps" -- tout ce qui, pour peu qu'on entende effectivement quelque chose par "temps", n'a aucun sens pensable -- mais à même le "temps", comme un aspect du "temps" même, sa "vérité" peut-être. Or cela n'est paradoxalement possible qu'à partir de la pensée de l'"une (seule) fois", qui est précisément une pensée de l'histoire, histoire qui contrairement à ce qu'on répète à son sujet ne se répète jamais. Une seule fois, ce rayon de soleil-ci, comme toute l'histoire de ce soleil et de l'univers, pour autant qu'on le pense comme une histoire, autrement dit comme un seul et unique événement comparable à rien d'autre (la bien-nommée "singularité"). L'"éternité" n'est pas autre chose ni ailleurs, mais l'évidence qui se dégage à prendre au sérieux cet "une (seule) fois" (cf., négativement, le nevermore du corbeau de Poe).
Le modèle grec de l'éternité philosophique était plutôt mathématique (Thalès, Pythagore, etc.): dans les propriétés des nombres et des figures géométriques (cercle, angles, triangles, etc.) on trouve des invariants qui ne sont pas des "événements" (ça n'arrive pas comme ça un jour et le lendemain autrement, à vrai dire ça n'"arrive" pas du tout, la seule chose qui arrive c'est que quelqu'un le découvre ou le redécouvre) ni des fabrications (personne ne l'a fait, voulu ni décidé ainsi), dont le rapport au temps phénoménal est celui d'un "à chaque fois" (à chaque fois qu'on aura affaire à ce qu'on définit comme un "cercle", le rapport du rayon à la circonférence sera toujours le même, à chaque fois qu'on aura ce qu'on définit comme "triangle rectangle", le carré de l'hypoténuse sera égal au carré des deux autres côtés, etc.; il n'y a là ni naissance ni mort, ni croissance ni déchéance, ni apparition ni disparition, sinon dans l'esprit de celui qui l'apprend ou l'oublie); les "idées" platoniciennes sont conçues sur le même modèle (le juste, le vrai, le bon, l'un comme invariants "intelligibles" dans l'infinie variation phénoménale ou sensible). L'hébreu biblique ne distingue pas aussi nettement une éternité conceptuelle du temps ordinaire, son éternité c'est la durée sans commencement ni fin connue, passé immémorial ou avenir indéfini: `olam que la Septante traduit par aiôn et ses dérivés, notamment aiônios; mais aiônios est aussi présent dans la pensée philosophique grecque, chez Platon entre autres, même si celle-ci lui préfère le quasi-synonyme aidios, lequel est d'ailleurs à peu près synonyme dans son usage non philosophique. Le NT est au croisement de ces deux traditions, et si l'épître aux Hébreux est particulièrement marquée par la pensée platonicienne, elle n'en garde pas moins la trace de l'autre, ce qui rend assez unique sa conception de l'articulation du "temps" (des "ombres", mais aussi du "Christ" en tant que "Jésus" temporel) et de l'"éternité". |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Sam 28 Mar 2020, 12:15 | |
| "De plus, les prêtres se sont succédé en grand nombre, parce que la mort les empêchait de demeurer ; mais lui, parce qu'il demeure pour toujours, il possède un sacerdoce inaliénable. C'est pour cela aussi qu'il peut sauver parfaitement ceux qui s'approchent de Dieu par lui, puisqu'il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur. Pour nous, c'est bien un tel grand prêtre qui convenait : saint, innocent, sans souillure, séparé des pécheurs, et élevé plus haut que les cieux ; il n'a pas besoin, comme les grands prêtres, d'offrir chaque jour des sacrifices, d'abord pour ses propres péchés, et ensuite pour ceux du peuple — cela, il l'a fait une fois pour toutes, en s'offrant lui-même. La loi en effet institue grands prêtres des humains sujets à la faiblesse ; mais la parole du serment postérieur à la loi institue le Fils qui a été porté pour toujours à son accomplissement." (7,23ss)
Ce texte contient de nombreuses expressions qui méritent des explications, la formule "sacerdoce inaliénable", celle qui indique "puisqu'il est toujours vivant", "le Fils qui a été porté pour toujours à son accomplissement". Je note l'hyperbole : "élevé plus haut que les cieux". L'idée que le Fils soit porté pour toujours à l'idéal de perfection, signifie-t-il que le Fils a toujours était "parfait" ou qu'il a toujours était dans ce processus ?
Un extrait :
Il en est de même de l'épître aux Hébreux. Dans son exposé sur le sacerdoce du Christ, l'auteur aura recours à un oracle biblique ancien {PS 110, 4). Il n'y trouvera évidemment pas le titre de « grand-prêtre », mais la simple appellation de «prêtre». Lorsqu'il citera ce texte formellement (5, 6 ; 7, 17. 21) et lorsqu'il le commentera en détail (7, 11-24), il conservera fidèlement le mot « prêtre », qu'il appliquera à Jésus. Mais s'y tenir de manière exclusive aurait mené à un malentendu : on aurait pu comprendre que Fauteur assignait au Christ, dans le sacerdoce, un rang subalterne. Ce n'était nullement sa pensée, ni, d'ailleurs, le sens du texte ancien. Pour s'exprimer clairement selon le vocabulaire de son temps, il devait donc appeler aussi le Christ archiéreus, « grand-prêtre ». C'est ce qu'il a fait le plus souvent, et d'abord en ce premier passage (2, 17). (Le Christ, grand-prêtre selon Héb. 2,17-18). |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Sam 28 Mar 2020, 13:02 | |
| D'abord il faut remarquer qu'en contexte (relire depuis le début du chapitre) le référent ("lui") est aussi bien "Melchisédek" (sans père, sans mère, sans lignée, sans naissance ni mort -- la lettre de l'Ecriture, ou même son absence, servant à constituer le "type" céleste-éternel du commentaire allégorique) que "Jésus"; on glisse insensiblement de l'un à l'autre, d'autant plus facilement que du point de vue de l'éternité c'est le même (il n'y a qu'un seul "grand prêtre" parfait).
"In-aliénable", en grec (a-parabatos, hapax dans le NT) comme en français, a le double sens d'"im-muable" (comme l'"éternité" philosophique, cf. mon post précédent), et d'in-cessible ou in-transmissible (pas de "succession" sacerdotale, c'est ce qui est mis en valeur dans le contexte immédiat).
A mon sens "plus haut que les cieux" (cf. aussi 4,14, "traverser les cieux") est plus qu'une "hyperbole" au sens banal de la figure de rhétorique (<=> exagération), c'est toute la pensée qui est "hyperbolique" (au sens du "dépassement"). Comme nous l'avons souligné précédemment, les "cieux" mêmes sont appelés à passer (1,10ss; 12,25ss).
Il y a assurément dans l'épître aux Hébreux une "perfection", au sens de "devenir-parfait/accompli" (teleioô etc.) du Fils (cf. 2,10; 5,19), qui se confond avec son "devenir grand prêtre" (à la faveur de l'usage de teleioô dans la Septante pour l'ordination-consécration des prêtres, je n'y reviens pas). Le paradoxe temporel est lié au sens même de "l'éternité": dans un sens, toute "l'oeuvre" du Christ est "accomplie" à sa mort, qui le constitue "grand prêtre" éternel; "après" dans "l'éternel" n'a aucun sens, il ne fait plus rien dans cette sphère-là (en figure "céleste" et donc encore provisoire, il est "assis" à la droite de Dieu, toujours selon le Psaume 110 qui convoque Melchisédek), son "action" (sacerdoce, intercession, etc.) n'est qu'en rapport avec ceux qui sont encore dans le "temps" du monde, pour les conduire précisément à l'accomplissement éternel. |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Sam 28 Mar 2020, 22:12 | |
| "Je vous encourage instamment à le faire, pour que je vous sois rendu plus tôt. Je vous demande, mes frères, de supporter cette parole d'encouragement ; car je vous ai écrit brièvement. Sachez que notre frère Timothée a été relâché. S'il arrive assez tôt, j'irai vous voir avec lui. Saluez tous ceux qui vous dirigent, ainsi que tous les saints. Ceux d'Italie vous saluent. Que la grâce soit avec vous tous !" (13,19.22-25)
LA FINALE DE L’ÉPÎTRE AUX HÉBREUX : UNE ADDITION ALEXANDRINE DE LA FINDU IIe SIÈCLE ?
Comment peut-on parler d’« épître aux Hébreux », alors que tout semble indiquer qu’il s’agit d’un sermon ? Et s’il s’agit bien d’un sermon, pourquoi l’avoir conclu par les quelques phrases qui lui donnent un tour épistolaire ? Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la Lettre aux Hébreux est un écrit difficilement classable. Dans un monde littéraire qui définissait tout écrit en termes d’appartenance à des genres, elle est un objet étrange. Elle possède en effet un caractère composite, comme si une finale épistolaire avait été ajoutée à un sermon préexistant. Quand a-t-on fait l’opération et pourquoi ? Après avoir établi la radicale différence entre He 13, 19.22-25 et le reste du texte, nous étudierons cette finale pour elle-même en tentant de dégager les motivations possibles de son écriture et, grâce à l’étude de la réception de la lettre, en proposant une date plausible de rédaction.
Une différence de contenu - Il est possible d’aller plus loin et de ne pas se cantonner aux simples différences formelles. On peut tout d’abord remarquer deux détails qui ne cadrent pas avec le reste de l’écrit. Le premier est l’étrange expression « je vous exhorte […] à supporter la parole d’exhortation ». Par l’article défini, l’auteur de la phrase semble se mettre à distance de l’écrit précédent (il ne dit ni « ma parole », ni« cette parole ») dont il n’est pas sûr de la manière dont il va être reçu(puisqu’il exhorte à supporter), comme si ce discours n’était pas destiné à ceux à qui il l’envoie. Pourquoi exprimer ce doute alors qu’on est à la fin d’un ouvrage dont rien n’indique la possibilité d’une réaction négative de la part des auditeurs ? Le second détail est l’emploi de l’expression dià braxéwn pour caractériser un texte qui n’est pas particulièrement court : cela suggère bien l’existence d’un écrit plus court. Sans cette hypothèse le sens de la phrase n’est guère compréhensible : en quoi le fait de faire court aide à supporter une exhortation difficile à entendre comme le suggère l’emploi d’ânéxw ? Mais la plus grande différence est théologique. En effet, si l’auteur du texte qui précède avait conservé un anonymat volontaire, c’est probablement pour une raison bien précise. Toute la lettre démontre que la seule personnalité de référence est le Christ (He 2, 3). L’auteur, quant à lui, ne réclame aucune autorité, et a fortiori aucune autorité apostolique : seul le Christ est apôtre (He 3, 1). L’orateur se place constamment en auditeur (He 1, 2 ;2, 1) car face au lógov t±v âko±v (He 4, 2), il n’est pas d’autorité qui tienne. Comment donc l’auteur aurait-il donc subitement gagné l’assurance suffisante pour exhorter en son nom propre, à double reprise (v. 19et 22) ? https://www.academia.edu/3834446/La_finale_de_l%C3%A9p%C3%AEtre_aux_H%C3%A9breux_une_addition_alexandrine_du_IIe_si%C3%A8cle |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Dim 29 Mar 2020, 01:52 | |
| Si l'ajout ostensiblement "épistolaire" et "simili-paulinien" est le plus facile à repérer, ce n'est certainement pas le seul: comme nous l'avons déjà vu, des différences de style et de contenu sont sensibles depuis le début du chapitre 13 (au moins). D'autre part je ne suis convaincu ni par la réduction du corps de l'"épître" à un "sermon" (difficile, en l'état, de lui imaginer un auditoire adéquat ! s'il y a des passages de nature homilétique, la composition et le développement hautement littéraires de l'ensemble en font plutôt un "traité" comparable à ceux de Philon), ni par sa datation haute (confusion de la tente de l'Exode avec le temple de Jérusalem, du commentaire allégorique d'un texte avec une référence historique, je n'y reviens pas), ni par le caractère tardif de ses contacts avec Alexandrie (même si l'auteur principal est à Rome, ce qui se discute, il est culturellement alexandrin jusqu'au bout des ongles...).
Au passage, si Burnet considère la totalité de 1,1--13,18.20s comme le "sermon" auquel serait rajoutée la seule finale épistolaire (il ne le dit pas clairement, mais cite Vanhoye dans ce sens sans le contredire), il ne répond pas à sa propre objection: c'est tout sauf "court". Si l'on en déduit que cette finale a été rédigée pour un texte plus court (sermon par exemple), il s'ensuit que l'essentiel du développement littéraire du "traité" est postérieur ou étranger à la finale, de sorte que l'ensemble de l'argumentation s'effondre. (Aparté: c'est ahurissant que des textes académiques aussi documentés puissent être si peu pensés.) |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Dim 29 Mar 2020, 14:25 | |
| "Souvenez-vous de ceux qui vous dirigent, qui vous ont dit la parole de Dieu ; regardez l'issue de leur vie et imitez leur foi." '13,7)
"Obéissez à ceux qui vous dirigent et soyez-leur soumis : ils veillent sur vous, sachant qu'ils auront des comptes à rendre. Qu'ils puissent le faire, non pas en soupirant, ce qui ne serait pas à votre avantage, mais avec joie." '13,17)
"Saluez tous ceux qui vous dirigent, ainsi que tous les saints. Ceux d'Italie vous saluent." (13,24)
Ces textes me paraissent être des OVNIS dans la "lettre" aux Hébreux, d'une part ils tranchent avec le caractère philosophique et mystique du texte et d'autres part l'auteur fait apparaitre un groupe inconnu : "ceux qui vous dirigent", sans retrouver les appellations des épitres Pastorales. D'ailleurs je me demande même si l'épitre aux Hébreux fait allusion à l'Eglise en tant qu'institution ? |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Dim 29 Mar 2020, 16:33 | |
| C'est le terme hègoumenos (cf. l'higoumène des hiérarchies des Eglises d'Orient), participe du verbe hegeomai, diriger, conduire (cf. duc, Duce, Führer, leader, conducatore, etc.; et le substantif "hégémonie"), qui a aussi un sens cognitif ou axiologique (juger, estimer), le seul qui apparaisse dans le corps de l'épître (ou traité), cf. 10,29; 11,1.26.
La rupture entre les chapitres 12 et 13 me paraît tout à fait évidente (et au fond peu importe que ce soit un autre auteur ou le même qui change brutalement de style en même temps que de sujet).
Comme on l'a vu précédemment au chapitre 10, l'"assemblée" (episunagôgè) est pensée comme tout le reste en rapport avec le rassemblement "céleste" (cf. l'ekklèsia des premiers-nés en 12,23). L'Eglise-institution est d'une certaine façon présupposée (un tel discours ne se construit pas sans un cadre de production et de réception éventuelle), mais elle ne constitue pas une fin en soi -- sa raison d'être, comme celle de tout le reste, c'est l'éternité vers laquelle elle (s')oriente. |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Dim 29 Mar 2020, 17:03 | |
| "C'est pourquoi Jésus aussi, pour consacrer le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte de la ville. Sortons donc hors du camp pour aller à lui, en portant son humiliation. Car nous n'avons pas ici de cité qui demeure, mais nous cherchons celle qui est à venir. Par lui, offrons donc sans cesse à Dieu un sacrifice de louange, c'est-à-dire le fruit de lèvres qui reconnaissent publiquement son nom. Cependant, n'oubliez pas la bienfaisance et la solidarité, car c'est à de tels sacrifices que Dieu prend plaisir." (13,12-16)
Les versets 9 à 16, détonnent dans le chapitre 13, en effet on passe de considérations pratiques et éthiques à une analyse comparable au reste du traité.
Le dernier emploi de polis, en 13,14, résume ce qui a été établi en 11,10-16 : « nous cherchons celle qui est à venir ». Les versets 12 et 13 qui, avec le verset 14, préparent l’exhortation vigoureuse du verset 15 (« par lui, offrons donc sans cesse à Dieu un sacrifice de louange »), ont introduit, en se référant à « la sanctification du peuple par le sang de Jésus », deux notations qui créent un jeu métaphorique subtil sur les localisations : à la fois exô tès pulès (« hors de la porte ») et exô tès parembolès (« hors du camp »). Comme l’indique le contexte, l’expression « hors de la porte » se réfère à la Jérusalem historique : Jésus a été conduit hors des murs pour souffrir au Golgotha. L’autre localisation – « le camp » –, rappelle les campements que les peuples en pérégrination organisent, désignant des situations souvent précaires et néanmoins des lieux de vie commune. Elle vise ici un lieu qu’il faut savoir quitter : « sortons donc hors du camp » (v. 12). Le premier mouvement d’éloignement concernait Jésus et Jérusalem (v. 12). Au verset 13, les destinataires sont invités à « sortir » à leur tour. L’arrière-plan de l’expression « hors du camp » a été fournie au verset 11 : les corps des animaux sacrifiés pour l’expiation du péché sont brûlés loin des tentes. https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2015-2-page-145.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Dim 29 Mar 2020, 23:25 | |
| C'est comparable, sans doute, mais une comparaison effective montrerait que c'est aussi très différent: par exemple, ici il ne s'agit plus de rapporter des "ombres" terrestres et textuelles, tirées de la Torah, des Psaumes ou des Prophètes, en tout cas d'une écriture juive, à une figure céleste de l'éternel -- mais une image chrétienne, évangélique ou pré-évangélique de la Passion du Christ, à la vie des croyants, sur le modèle classique de l'exemplarité morale ou spirituelle; la cité "à venir" (plutôt que "céleste") tend aussi à ramener l'idée (platonicienne) de rapport constant du temps à l'éternité vers une eschatologie futuriste; le sacrifice unique et non renouvelable se décline à nouveau en sacrifices liturgiques et éthiques; etc. -- le "pire", si l'on peut dire, étant encore la référence à la résurrection du Christ au v. 20: s'il y a une théologie où un tel concept n'a rigoureusement aucun sens, c'est bien celle (du corps) de l'épître (ou traité dit) aux Hébreux -- si la mort ouvre sur l'éternité, il ne faut surtout pas en revenir...
Détail: l'article de J. Coppens référencé ci-dessus (p. 278, 22 de l'édition numérique) rappelait utilement qu'outre les sacrifices explicitement évoqués dans le contexte, le motif "hors de la porte / du camp" renvoyait aussi à la situation de Moïse (d'après Exode 33 notamment), dont Philon faisait grand cas. |
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 02 Avr 2020, 13:34 | |
| Globalement, on retire l’impression que l’auteur engage une discussion poussée avec la religion ancienne, celle du Temple, et on note qu’en celle-ci la catégorie de sacrifice est importante : que devient ce geste majeur des rites religieux dans la liturgie nouvelle inaugurée par le Christ ? Pourquoi, d’ailleurs, la lettre semble ne pas parler du tout de l’Eucharistie, centrale dans la vie religieuse des communautés chrétiennes du Ier siècle ? On perçoit aussi un lien fort entre filiation et sacerdoce. Définir et expliciter le sacerdoce de Jésus est important dans la lettre aux Hébreux : mais pourquoi parler de Jésus comme grand-prêtre ? Est-ce que cela permet de mieux comprendre la nouveauté qu’il a introduite dans notre histoire et dans notre expérience ? Précisément, on notera aussi la place qui est accordée dans la lettre aux Hébreux aux idées de « nouveau » et de « définitif » ; sont-elles importantes pour la vie chrétienne, dont la lettre parle beaucoup, aussi ? La lettre expose le mystère du Christ avec les catégories sacerdotales : cela donne-t-il une dimension éthique d’un autre style à la vie chrétienne ? Mais qui dit « nouveau » dit aussi « ancien ». Le lien à l’Ancien Testament semble constitutif, tant pour la confession de foi que pour les pratiques, bien que, justement, il soit « ancien » ; que deviennent les Écritures, dans le régime chrétien, « nouveau » ? La lettre aux Hébreux semble inviter à quitter ce qui est vieux, ce qui est proche de disparaître : de quoi s’agit-il en fait ? Et puis, quels sont les repères que la lettre propose pour la vie chrétienne ? On sent bien le poids accordé à la foi, surtout comme persévérance, et aussi l’attention mise sur l’espérance. Et puis… il y aurait encore bien des questions, nous n’en avons pointé que quelques-unes, celles qui nous paraissent majeures. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/927.html |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Jeu 02 Avr 2020, 15:55 | |
| Il y a bien une allusion possible à l'eucharistie en 13,10, mais dans la zone des ajouts hétéroclites qui ne correspondent plus vraiment au corps de l'épître (sermon, traité, peu importe). Et le cas échéant elle serait peu "sacramentelle", renvoyant au "sacrifice de louange" (v. 15), qui était la dénomination d'un vrai sacrifice (rituel) dans le Lévitique (7,12 etc.), mais qui depuis a été largement réinterprété dans le sens d'un "génitif épexégétique" (le [vrai] "sacrifice" c'est la "louange", autrement dit le sacrifice consiste en la louange ou la louange se substitue au sacrifice: cf. Isaïe 57,19; Osée 14,3; Psaumes 34,2; 50,14.23; 2 Chroniques 29,31; Psaumes de Salomon 15,2s; Règle de la Communauté de Qoumrân, 8,4s).
Il faut bien comprendre que par rapport à la logique profonde de l'épître aux Hébreux qui prêche un "accomplissement" du culte rituel et répétitif de l'"Ancien Testament" dans un passage "une fois pour toutes" à l'éternel, toute idée d'un "culte chrétien" lui-même rituel et répétitif s'inscrit comme un contresens absolu. L'auteur "fait avec" en s'efforçant de communiquer à ses lecteurs chrétiens le sens de l'unique et de l'éternel comme vrai sens de leur culte, mais il ne peut pas "aller contre", car le temps et l'histoire continuent (et avec elles la nécessité ou la fatalité de la répétition cultuelle). A partir de là on peut comprendre, rétrospectivement, la "logique" de son maître alexandrin Philon, non chrétien mais juif, pour qui l'interprétation allégorique, spirituelle et morale du rituel de la Torah doit se superposer à l'observance effective du rite, sans l'abolir ni le remplacer. Mais cette possibilité n'en est plus une pour l'auteur de l'épître aux Hébreux, d'une part parce que quand il écrit il n'y a probablement plus de temple, d'autre part et surtout parce que la "relève" d'un "culte chrétien" (répétitif aussi, même s'il se veut "spirituel" et non plus "sacrificiel") existe, et que lui-même comme ses destinataires en dépendent. |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 15 Juin 2020, 13:22 | |
| Épître aux Hébreux 7,1-3 :
Ce Melchisédec donc, roi de Salem, prêtre du Dieu Très-haut, qui alla au-devant d’Abraham revenant de la défaite des rois et le bénit, auquel aussi Abraham attribua la dîme de tout, qui est d’abord interprété roi de justice, et ensuite aussi roi de Salem, c’est-à-dire roi de paix, sans père, sans mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement de jours ni fin de vie, rendu semblable au fils de Dieu, [Melchisédech] demeure prêtre durablement.
Une telle série d’assertions mérite que l’on s’y arrête.
Soulignons tout d’abord la reprise du texte de la Genèse, dans les seuls versets 1-2a. Cette reprise est assez libre, puisqu’elle omet la mention des pains et du vin (Septante) ainsi que les paroles de la double bénédiction ; en revanche, elle ajoute plusieurs éléments : le fait que Melchisédech " alla au-devant d’Abraham revenant de la défaite des rois " (ce qui rappelle curieusement le texte du targoum du " Pseudo-Jonathan ", et surtout les gloses des versets 2b et 3.
L’ interprétation de " Malki-Tsèdèq " comme " roi de justice " nous est familière : nous l’avons rencontrée chez Philon et chez Flavius Josèphe – sans oublier, ici encore, le targoum du " Pseudo-Jonathan ". Quant à l’équivalence de " Shalem " et de " shalom " (" paix " en hébreu), elle se trouve également chez Philon. Somme toute, c’est bien de ce dernier que l’auteur de l’épître aux Hébreux se rapproche le plus : comme en " Leg.All. " III, 79, il fait apparaître par ce jeu d’échos le binôme " justice et paix "… qui dans le texte biblique caractérise les temps messianiques (cf. Is.9,5-6 ; 32,17 ; Ps.71-72,3 ; 84-85,11, etc.).
Mais notre auteur va beaucoup plus loin. Tirant parti du silence biblique concernant la généalogie du roi-prêtre, il n’hésite pas à le déclarer " sans père, sans mère " (un terme que l’on trouve chez Philon dans d’autres contextes), " sans généalogie " ; à suggérer l’éternité de son existence ; enfin à le déclarer " rendu semblable " (on pourrait traduire " assimilé " !) " au fils de Dieu ". Cette dernière expression désigne évidemment le Christ (cf. déjà He 1,2). On peut comprendre de deux façons un tel dithyrambe : au sens faible, Melchisédech " préfigure " Jésus le Christ ; au sens fort, il " s’identifie " au Christ préexistant, apparu en ce monde dès l’époque d’Abraham pour bénir celui-ci ! Comme nous le verrons, une telle hypertrophie n’ira pas sans périls dans certains courants de la tradition chrétienne … https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/691.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12457 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 15 Juin 2020, 14:10 | |
| La lecture "allégorique" à la manière alexandrine (qui, pour rappel, est d'abord "païenne", appliquée au corpus homérique notamment avant de l'être au Pentateuque juif par Philon, puis par des chrétiens comme l'auteur de l'épître aux Hébreux, Origène ou Clément à l'ensemble de leur "Ancien Testament") est moins problématique en soi que lorsqu'on la rapporte à d'autres "méthodes", tout aussi intéressantes mains incompatibles, qui ne la comprennent pas. A cet égard et à mon sens, la première erreur de l'article précité est bien d'identifier le Christ de l'épître aux Hébreux à un (homme) Jésus ressuscité, alors que comme on l'a vu la notion de résurrection ne joue aucun rôle dans l'épître aux Hébreux (hormis l'addition du chapitre 13). Le "Fils de Dieu" est une figure éternelle, à laquelle "Jésus", ses souffrances et sa mort renvoient autrement que l'"Adam (Homme) originel" ou le Melchisédeq de la Genèse, autrement encore qu'Aaron, la tente ou les sacrifices d'animaux, mais dans tous les cas la seule chose qui compte est le passage à l'éternel -- non la fixation ou la comparaison des figures, types ou paradigmes célestes, antitypes, hypodigmes ou simples "ombres" terrestres dans le temps, l'histoire et les textes.
Dernière édition par Narkissos le Lun 15 Juin 2020, 15:03, édité 1 fois |
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Nombre de messages : 10099 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 15 Juin 2020, 14:43 | |
| - Narkissos a écrit:
- La lecture "allégorique" à la manière alexandrine (qui, pour rappel, est d'abord "païenne", appliquée au corpus homérique notamment avant de l'être au Pentateuque juif par Philon, puis par des chrétiens comme l'auteur de l'épître aux Hébreux, Origène ou Clément à l'ensemble de leur "Ancien Testament") est moins problématique en soi que lorsqu'on la rapporte à d'autres "méthodes" tout aussi intéressantes mains incompatibles, qui ne la comprennent pas. A cet égard et à mon sens, la première erreur de l'article précité est bien d'identifier le Christ de l'épître aux Hébreux à un Jésus ressuscité, alors que comme on l'a vu la notion de résurrection ne joue aucun rôle dans l'épître aux Hébreux (hormis l'addition du chapitre 13).
Je finis par assimiler les informations que tu nous communiques, car en lisant l'article j'avais pointé cette inexactitude ... Je ne suis pas un cas désespéré L’auteur de l’ Épître aux Hébreux développe l’idée d’un tout autre sacerdoce qui s’inaugure alors, dans la lignée de Melchisédech, «lui qui n’a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie, mais qui est assimilé au Fils de Dieu» (He 7,3) – autrement exprimé, Jésus relève du monde divin, comme c’est le cas pour Melchisédech. Cette figure se trouve déjà dans un manuscrit retrouvé dans une grotte proche du Khirbet Qumrân: en 11Q13 (= 11Q Melchisédech) II. Dans ce document, qui est fragmentaire, Melchisédech («Melki Sedeq») est considéré comme un messager messianique prévu pour la fin des temps, et son rôle est considérablement développé selon une perspective particulière: c’est ainsi qu’il est nommé l’héritier, le successeur, l’interprète des prophètes, et le garant de la figure du messie, conduisant à le considérer comme une des figures angéliques et même à le classer parmi les dieux (les ’Elohim) – au point de voir son nom se substituer au tétragramme divin.La figure de «Melkisédeq» dans ce document (sans doute essénien), qui est d’une grande originalité, a suscité de nombreux débats parmi les critiques sur son caractère ontologique comme être terrestre, être angélique ou être divin: on s’est même demandé si ce personnage ne pourrait pas désigner la divinité israélite ou l’un de ses attributs, en l’occurrence la justice. Dans cette perspective, on a été à penser aussi que «Melki Sedeq» pourrait être compris comme l’une des multiples dénominations de la divinité israélite, y compris sous la forme d’une hypostase – ce qui n’est pas sans poser alors la question de l’unicité de la divinité et du dithéisme chez les Judéens à partir du moment où ils deviennent messianistes: une déviance qui a touché aussi bien les esséniens que les nazoréens, voire d’autres groupes, et qui a été condamnée dans le mouvement rabbinique. Lien |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: La lettre aux Hébreux son contenu et son auteur éventuel. Lun 15 Juin 2020, 17:48 | |
| N.B.: J'ai réduit ton lien et ajouté une dernière phrase à mon post précédent.
Tu auras sans doute compris aussi pourquoi je ne saurais souscrire à la thèse de Mimouni, historien plutôt qu'exégète ou théologien (je le dis à sa décharge: l'historien, quand il voit "Jésus", pense d'abord "personnage historique" et non "théologème chrétien"): non seulement une prêtrise "selon l'ordre de Melchisédeq" n'arrangerait en rien un "prêtre judéen" (qui ne devrait ce statut qu'à une prêtrise sadocide ou sadducéenne, aaronide ou pour le moins lévitique, bref, tout ce qui est précisément dévalué dans l'épître aux Hébreux par rapport à Melchisédeq), l'argument de l'épître strictement limité à la tente de l'Exode (le livre et plus généralement le texte de la Torah, comme le "midrash" sur Melchisédeq l'est au texte de la Genèse) ne dit absolument rien du temple de Jérusalem contemporain ou non, etc.; mais surtout, si la lecture allégorique et platonisante de Philon ou de l'épître aux Hébreux présente une certaine analogie de structure avec les interprétations "apocalyptiques" et/ou "eschatologiques" de Qoumrân (la double scène du "ciel" et de la "terre", avec une certaine correspondance entre les deux), elle en diffère radicalement par l'usage qu'elle en fait: le "ciel" n'y offre pas une révélation (apocalypse) de l'histoire ni de son sens, ni de l'avenir ni même d'une fin du monde ou d'un changement de monde, horizon indépassable de l'apocalyptique, mais une figure idéelle d'une éternité qui est en soi le but à atteindre -- quoique par des moyens sensiblement différents chez Philon, dans l'épître aux Hébreux ou les gnosticismes p. ex.: si la médiation cognitive ou intellectuelle est partout déterminante, ne serait-ce que parce qu'il y a quelque chose à comprendre, le rapport à l'éthique et au rite (juif ou chrétien) y varie considérablement.
Il y a une traduction anglaise du Melchisédeq de Qoumrân (11Q13) sur Wikipedia -- je n'ai rien trouvé de tel en ligne (et) en français; sur celui de Nag Hammadi, par contre, on pourra lire une présentation très complète ici. Pour rappel, le premier texte est juif, "sectaire", antérieur de plus d'un siècle au christianisme, le second chrétien et/ou gnostique (quoique nettement plus proche de l'"orthodoxie" que beaucoup d'autres textes de Nag Hammadi). Ces deux textes sont importants malgré leur état lacunaire ou fragmentaire, à côté de ceux de Philon ou de Flavius Josèphe, ou encore des témoignages patristiques (notamment Epiphane) sur les "Melchisédéqites", pour donner une idée de la gamme ou de la palette d'interprétations qui se joue autour du nom de Melchisédek à l'époque (au sens très large) et dans des milieux très différents; mais ils n'éclairent qu'indirectement l'épître aux Hébreux qui doit être analysée pour elle-même et selon sa propre perspective (dont Philon reste le plus proche, malgré des différences sensibles). On pourra aussi se reporter à plusieurs discussions antérieures du même sujet sur le présent forum. |
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