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 arabesques de la peur

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Narkissos

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MessageSujet: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMer 07 Déc 2022, 20:20

"N'aie (n'ayez) pas peur, ne crains (craignez) pas, sois (soyez) sans crainte, 'l tyr'(w), mè phobou (phobeisthe), noli(te) timere", etc. (Genèse 15,1, etc.).

Je me rappelle mon étonnement quand j'avais découvert, il y a longtemps, combien cette formule à mes oreilles "biblique" était répandue dans les textes du Proche-Orient ancien, et dans des contextes similaires (introduction d'oracle ou de parole divine dans une théophanie, une vision, un rêve, etc.): en somme tous les dieux disaient ça, avant de dire quoi que ce soit d'autre, ça paraissait d'ailleurs assez naturel dans un contexte où la "religion" ou la "piété" s'entendaient comme "crainte des dieux" et où la manifestation de la divinité, ou du sacré (numen), s'annonçait d'abord comme effrayante. Pourtant la phrase fait toujours son effet, même sans suite et sans raison, dans un monde et un imaginaire très différents: le pape Jean-Paul II en avait fait un slogan fort efficace que divers politiques ont repris depuis avec plus ou moins de succès.

Quoi de plus vain, à première vue, surtout quand on n'est pas Dieu ni dieu ni pape ni autorité quelconque, que de dire "n'aie pas peur" à qui a peur ? Mais que lui dire d'autre que cette injonction négative ou cette défense absurde, susceptible pourtant d'être entendue et saisie par une certaine "foi" contradictoire ou paradoxale -- oui, j'ai peur, non, je n'(aur)ai pas peur ? Au-delà de la formule, presque magique, il y aurait un moment où la peur pourrait être à la fois, ou dans l'aller-retour d'un même geste, reconnue et refusée, accueillie et congédiée, confessée et conjurée, si provisoirement que ce soit -- je l'associe volontiers à certains textes "théologiques" marquants qui semblent en fournir une "bonne raison", comme Romains 8,15 ou 1 Jean 4,18, mais au fond ils ne disent rien de plus que le simple "n'aie pas peur" de la formule oraculaire ou théophanique péremptoire, qui est aussi bien ce qu'un père ou une mère dit spontanément à son enfant sans avoir la moindre "raison" à lui donner de ne pas avoir peur, et tout en ayant parfois plus peur que lui.

Il y a par ailleurs dans les textes bibliques (entre autres) une sorte d'architectonique des peurs, différentes ou opposées, qui se contrebalancent ou se neutralisent comme dans un rapport de force, équilibre de la terreur avant la lettre: crainte de Dieu ou des dieux contre crainte des hommes, des Proverbes (p. ex. 14,26s) aux évangiles (Matthieu 10,28). Dans ce sens on ne sortirait jamais vraiment de la peur, sinon peut-être par un point d'équilibre instable de peurs rivales ou antagonistes, sitôt trouvé sitôt perdu, et encore ne se mettrait-on à sa recherche qu'à condition de ressentir et de reconnaître à nouveau la peur, l'une ou l'autre (on peut penser à Brel: moi qui n'ai jamais prié Dieu que quand j'ai eu peur de Satan... moi qui n'ai prié Satan que quand j'ai eu peur du bon Dieu...).

Je me souviens d'une phrase typiquement calviniste que j'avais entendue d'Henri Blocher, à propos des angoisses de la double prédestination symétrique (élus pour le salut ou réprouvés pour la perdition): c'était une citation, je crois, mais je ne l'ai jamais retrouvée, ni chez Calvin ni ailleurs: "Si vous craignez, ne craignez point; si vous ne craignez point, craignez !"
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeVen 09 Déc 2022, 23:43

Hello my friend, I'll do my best not to embarrass myself. Google translate provides a pixelated rendition of your eloquence. It may in some tangential way be relevant to the discussion to discuss the fear component of addictions. Fearful need for acceptance, fear of soberly feeling life as it is.  Religion engenders fear and alleges to be the only way to dispel it. Its the perfect addictive substance.

Strange the post auto translates to French then back to English, for me to read it, with the entire paragraph intact except one word.  "alleges" became "alleviates".  Not great synonyms.

Fascinating is that it did not repeat that process in the last sentence. The mind in the machine.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeSam 10 Déc 2022, 12:24

Welcome Peacefulpete !

Bilingual conversation is something new to this old forum, but we may give it a try...

I'll start with an introduction for the (few) French-speaking readers:

Peacefulpete est un ami américain, que j'ai rencontré (virtuellement) il y a longtemps -- et sous le même pseudonyme -- sur JWD où il était l'un des participants les mieux instruits et les plus stimulants, en particulier sur les questions bibliques et religieuses.

Je traduis (approximativement) la partie de son post qui se rapporte au sujet de ce fil:

"La composante de peur dans les addictions peut être tangentiellement pertinente à cette discussion: le besoin d'être accepté et la crainte de ne pas l'être, la peur de ressentir sobrement la vie telle qu'elle est. La religion engendre la peur et prétend être le seul moyen de s'en débarrasser: c'est la parfaite substance addictive."

Petit commentaire: on repensera à Marx et à l'"opium du peuple", bien qu'il n'ait pas inventé la comparaison... Soit dit en passant, le concept même d'addiction et son appréciation morale (ou sanitaire) ont manifestement évolué, comme on le voit ici de Kant à Marx (l'idée du réconfort aux mourants peut rappeler Proverbes 31,6s). On peut aussi se dire qu'il y a pas mal d'"addiction" dans "la vie telle qu'elle est" et dans toute "sobriété" (cf. l'"idéal ascétique" de Nietzsche, dont il parlait aussi en connaissance de cause)...

N.B.: "Alléger / to allege", faux-amis... "alléger" in French means "to alleviate", from "léger" = light as opposite to heavy, levis in Latin; "to allege" in English, from Latin legare, translates  as "prétendre, soutenir, affirmer", etc., or more rarely by "alléguer" (the substantive "allégation" is slightly more common).
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 12 Déc 2022, 11:15

Welcome Peacefulpete !  cheers



La crainte des dieux 



Vu à grande échelle, on a affaire à un « universel ». Mais il convient de regarder ce type de phénomène de manière précise et contextuelle. Si les récits (mythiques) d’épiphanie sont nombreux, il faut reconnaître qu’au niveau de la pratique religieuse, à de rares exceptions près (les mystiques sont loin d’être majoritaires, et on ne les connaît que par ce qu’ils racontent), on ne rencontre pas la divinité face à face. Le dieu est caché. Mystérieux. Et c’est tant mieux nous dit-on. On cherche plutôt,
normalement, à éviter de le rencontrer. Moïse lui-même tourne le dos à son dieu, et se réfugie dans une anfractuosité de rocher, où il est touché, mystérieusement frôlé, par un être dont la vision directe serait fatale. Le livre de l’Exode, dans la Bible, donne des précisions sur ce mode de communication compliqué. Iahvé dit à Moïse, qui Lui demande de lui faire voir Sa gloire : « Tu ne peux voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre ! [...] Voici un endroit à côté de moi ! Tu te tiendras debout sur le rocher ! Et il arrivera, quand passera ma Gloire, que je te mettrai dans le trou du rocher et je te couvrirai de ma paume jusqu’à ce que je sois passé ! Puis je retirerai ma paume et tu verras mon dos, mais ma face ne sera pas vue ! »;


On a voulu faire, de l’émotion que décrivent ces récits mythologiques de rencontre avec une divinité, le fondement d’une expérience. Une expérience à laquelle les modernes historiens des religions ont donné un nom : l’expérience du sacré. Disposition originaire de l’humain, à localiser dans ce que les mystiques appellent « le tréfonds de l’âme », le sacré (das Heilige) a fait l’objet d’un livre paru en 1917, sous la plume d’un philosophe et théologien néo-kantien, Rudolph Otto. Selon Otto, le sacré est un mode de perception qui aurait surgi « comme une étrange nouveauté dans l’âme de l’humanité primitive », une nouveauté dont procèderait « tout le développement historique de la religion ». Otto, qui aime jouer avec le mystère en nommant les choses en latin, donne à ce sacré primitif le nom de « numineux » (numinosum, tiré de numen, divinité au sens vague). Le numineux se laisserait percevoir, au niveau le plus primitif, à travers un sentiment de crainte, une réaction affective, émotionnelle, un tremblement déclenché par la rencontre d’une présence extérieure, mystérieuse mais bien réelle. Cette rencontre, ce heurt, cette surprise face au tout autre, dévoilerait d’un coup l’extrême finitude, le néant du sujet. Le sentiment de n’être rien, face à ce tout autre, donne à cette expérience, selon Otto, une tonalité de mysterium tremendum, de mystère qui suscite l’effroi. De l’effroi, et de l’humilité aussi qu’il implique, on passe tout naturellement à l’idée de l’inaccessibilité absolue et de la puissance de ce tout autre, de sa majesté. De là, on débouche sur l’étonnement, la stupeur, la fascination, l’admiration et le ravissement. Devenu mysterium fascinans, après avoir été reconnu comme mysterium tremendum, le numineux affiche un caractère paradoxal, qui entraîne les spécialistes (les mystiques, maître Eckhart en particulier) à élaborer une théologie de l’inouï, véritable « assaut livré à la logique naturelle par une logique de coïncidence des opposés », dans les termes de Rudolph Otto.


https://www.persee.fr/doc/asdi_1662-4653_2008_num_3_1_892
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 12 Déc 2022, 13:43

Excellente étude.

"La peur" se multiplie, s'intensifie et se diversifie, se dramatise et se virtualise, c'est bien par ces tours et ces détours (arabesques) qu'elle offre une certaine prise à toute sorte de manipulations et un certain jeu, de la peur avec elle-même et d'une peur avec une autre, et de chacun avec ses peurs et celles des autres. Réduire cela à une "intention" (causalité, finalité, utilité, etc.) cléricale, politique, militaire, sociale, économique, psychologique ou physiologique est à chaque fois simpliste, mais ce n'est jamais complètement faux parce que tout le monde joue avec la peur, comme il peut et tant qu'il peut. A ce jeu-là il n'est pas de vivant humain, animal (au moins) ou imaginaire (y compris divin le cas échéant) qui échappe: c'est le jeu même de la "vie" ou de "la vie la mort", ou l'autre côté du "désir".

Je me suis demandé en lisant ça si les textes "bibliques" attribuaient de la peur à leur(s) dieu(x) -- puisque, par une inconséquence de pensée qui fait tout leur intérêt littéraire et religieux, même le Dieu le plus monothéiste, éternel, omniscient, omnipotent, peut agir, pâtir, vouloir, désirer, regretter, se réjouir et s'attrister, comme n'importe quel "sujet". Cela arrive, semble-t-il, même si c'est exceptionnel et de l'ordre du lapsus, par exemple Deutéronome 32,27 (cf. Ezéchiel 36,21 où Yahvé a "pitié" de son nom ou s'attendrit pour lui, hml; mais dans le Deutéronome il a bel et bien "peur", gwr, pour sa réputation...).

Le langage qui donne des ailes à notre "mémoire" en la transformant en récit et en re-présentation, ouvre aussi toutes les portes à l'anticipation de l'avenir en espérance et en crainte, et à la fiction en tout genre... Sans cela il n'y aurait même rien de tel qu'un possible et un impossible, un probable et un improbable, un désirable et un redoutable, pas même la tautologie d'un "ce qui est est" ou "ce qui arrive arrive" (que sera sera) qui suppose encore le redoublement de l'événement dans la phrase et dans l'imaginaire-miroir.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 12 Déc 2022, 17:40

La crainte de Dieu c'est le commencement de la sagesse :  Psaumes: 111,10; Proverbes : 1,7; 9,10; 15,33; et Job: 28,28.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 12 Déc 2022, 19:01

C'est un "lieu commun" d'autant plus commun que yr't (h-)'lhym se traduit aussi bien par "crainte des dieux" (cf. Genèse 20,11 etc.); et même si l'on substitue Yhwh ou 'dny/'adonay à 'lhym/'elohim, comme dans les textes précités, il en reste des traces, par exemple en Proverbes 9,10 dans le parallélisme "connaissance des saints",  où tout le "polythéisme" chassé par la porte rentre par la fenêtre...

Au-delà du problème du nombre divin (singulier / pluriel), reste l'idée essentielle que ce qui relève de la "sagesse" (connaissance, intelligence, mesure, justice, appréciation, évaluation, etc.) est toujours second par rapport à un "donné" ou à un "don" archi-fondamental, gratuit ou arbitraire, qu'expriment précisément le ou les "dieux" (même quand par ailleurs ils ont une "origine" ou une "généalogie")... Il faut qu'il y ait, quelque chose plutôt que rien ou plutôt qu'autre chose, pour qu''il y ait aussi une sagesse (etc.) qui ait après coup quelque chose à en dire; et la conscience de cette dépendance initiale, qui la commence et la commande (re'shit, arkhè), détermine aussi ce qui en elle est ou non, plus ou moins "sage".

Dans les termes du Prologue de Jean, au commencement le logos, non seulement parole mais raison, rapport, relation dans tous les sens de ces mots. A la lettre, rien avant ce commencement, pas même de "dieu" ni d'"être" qui ne se disent pas sans logos; mais dès le moindre commencement, dès qu'"il y a", forcément l'un et l'autre face à face, et le logos dépendant du theos qui le précède "logiquement", non "chronologiquement". Les Grecs auraient aussi appelé ça l'anankè (anagkè), la "nécessité" qui répond aussitôt à l'"être", dès qu'"il y a" quoi que ce soit, même du "divin"; Leibniz la "compossibilité" qui contraint d'elle-même l'infini des (mondes) possibles...
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 13 Déc 2022, 13:04

"ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant toute cette grande terreur, sous les yeux de tout Israël" (Dt 34,12). 

Le terme "terreur" est pratiquement toujours en relation avec une crainte éprouvée devant Dieu. Mais ici il s'agit d'une terreur éprouvée devant Moïse. Moïse rayonne de gloire ; il parle face a face avec lui et a travers lui Dieu a opéré des prodiges. cette crainte (destinée à la divinité) peut être communiquée a des hommes, dans la mesure ou la divinité se manifeste en eux. 

Aaron et les Israélites n'osaient pas s'approcher de Moïse :

"Aaron et tous les Israélites regardèrent Moïse : la peau de son visage rayonnait, et ils avaient peur de s'approcher de lui" (Ex 34,30).
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 13 Déc 2022, 14:25

C'est toujours la racine la plus courante pour "craindre, avoir peur," etc., yr', conjuguée en Exode 34 et substantivée (mwr' = mora') en Deutéronome 34, avec l'épithète gadol (= grand[e]); bien sûr elle a de nombreux synonymes avec des nuances d'intensité variables, sans que la dénotation fondamentale change beaucoup: toujours la peur, plus ou moins aiguë, sourde, etc., mais ses effets sont très variables puisqu'elle fait fuir, courir, se cacher, trembler, fondre, et ainsi de suite.

Dans Deutéronome 34 (relire au moins depuis le v. 10), l'action de Moïse se confond tout à fait avec celle de Yahvé, c'est celui-ci qui agit par celui-là, de sorte qu'on pourrait aussi bien dire que Moïse n'est sujet, agent ou cause de rien, simple instrument ou prothèse: la "métaphore" (fréquente) du "bras" qui précède illustre assez bien ce rapport de médiation qui s'annule de lui-même ("le bras de Yahvé" <=> "Yahvé"), qu'elle soit ou non employée à propos d'(autres) intermédiaires...
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 13 Déc 2022, 14:57

Comment la peur est-elle exprimée dans l’histoire de Joseph (Genèse 37-50) ?


11Sur ce point, il est important de souligner que les écrivains de l’Ancien Testament ont davantage parlé de la crainte de Dieu que de l’amour envers lui (Bamberger 1929, 39). La crainte est donc l’un des thèmes les plus importants dans le premier Testament (Derousseaux 1970, 5 ; voir aussi Wolff 1972, 167) et il se dit de multiples façons : agitation, angoisse, bouleversement, détresse, effroi, frayeur, frémissement, frissonnement, horripilation, panique, peur, terreur, tremblement, trépidation, trouble et stupeur. Devant cette ambiguïté du vocabulaire, plusieurs auteurs ont cherché à comprendre la principale signification de l’expression « la crainte de Dieu » et ses connotations. En examinant leurs travaux, nous constatons que la signification de cette formule varie d’un auteur à un autre. Elle peut être une expérience numineuse et religieuse (Otto 1969), une conduite morale et humaine (Bamberger 1929), une prise de conscience de soi comme créature de Dieu et une reconnaissance de la dignité humaine (Jindo 2011) ou une action de bonté et de justice envers le prochain (Fout 2015).


12Parmi les recherches réalisées à ce sujet, nous aimerions souligner celle de Louis Derousseaux. L’auteur situe la crainte de Dieu dans le dynamisme de l’histoire d’Israël. Il montre que « le Tout Autre, le Sacré, n’est pas quelque chose en quoi l’homme se perd, c’est la réalité contre laquelle il bute, l’Autre qui surprend et qui fait peur. Contrairement à ce que croyait le rationalisme grec, la crainte religieuse est le signe d’une maturation humaine : l’homme devient adulte en rencontrant autre chose que lui-même » (Derousseaux 1970, 360). L’auteur considère également que la crainte permet de dépasser les limitations de ce qu’apportent l’amour et le service. En effet, « “aimer” pouvait signifier seulement “se comporter en partenaire loyal” [...], et “servir” pouvait se confiner dans le domaine de la pratique rituelle » (Derousseaux 1970, 256). Or, la crainte révérencielle de Dieu est une reconnaissance de la souveraineté absolue de Dieu qui n’est pas un partenaire comme les autres. Ainsi, « “craindre Dieu” [...], c’est adhérer de tout son être au Dieu de l’alliance qui a dit ses volontés, c’est “aimer”, comme le vassal fidèle mais aussi comme l’enfant qui aime son père et comme l’épouse qui aime son mari, c’est “servir” en offrant un culte exclusif au Dieu unique » (Derousseaux 1970, 262).


13Il est à noter aussi que certains auteurs ont mentionné les difficultés qu’ils ont rencontrées lors de leur recherche sur la crainte de Dieu. Pour Jindo, l’idée de la crainte de Dieu est fréquemment présente dans la Bible, mais son contenu n’est pas directement expliqué (Jindo 2011, 437). Selon Fuhs, la nature de la crainte de Dieu change substantiellement si on la place dans son champ sémantique et son contexte littéraire (Fuhs 1990, 296 ; voir aussi Derousseaux 1970, 68). Quant à Bamberger, il affirme que les différentes connotations de cette expression ne sont pas très nettement distinguées puisque les écrivains bibliques ne sont pas des théologiens systématiques. La signification de cette expression varie selon l’intention des auteurs bibliques, qu’elle soit rituelle, dévotionnelle ou éthique (Bamberger 1929, 50). La formule « la crainte de Dieu » est donc à comprendre dans le contexte dans lequel elle est employée et dans la manière de l’utiliser.


https://www.erudit.org/en/journals/theologi/1900-v1-n1-theologi07445/1093586ar/
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeDim 08 Jan 2023, 17:33

Quand j'ai lu ça (l'année dernière, il y a bientôt un mois) je me suis dit que l'analyse narrative, si elle fait souvent ressortir des détails intéressants dans un récit, aboutit à un bavardage assommant quand elle elle veut à tout prix expliciter l'implicite; elle arrive même à noyer le sens obvie d'un récit quand, sous prétexte de synchronisme du texte définitif, elle veut mettre les passages manifestement rapportés (p. ex. ici chap. 38) sur le même plan que les principaux.

Cela dit, il ne fait pas de doute que le "roman de Joseph" serait un des plus beaux récits de l'histoire de la littérature universelle, s'il y avait quoi que ce soit de tel, sans préjudice de sa préhistoire (au moins en partie égyptienne, à la faveur des empires perse et hellénistiques) et de ses innombrables suites, variantes et reprises (c'est l'un des récits "bibliques" les plus connus et les plus aimés en Islam, p. ex., assez peu modifié d'ailleurs pour ce que j'en ai entendu). Il rassemble presque tous les ingrédients pour faire une "bonne histoire": de l'amour, de la haine, de la différence, de la jalousie, de la tromperie, du calcul, du hasard, de la chance, de la providence, de l'espoir, de la déception, du désir, de la peur, du désespoir, du quiproquo, du suspense, de l'intelligence, de l'humour, de la surprise, de la reconnaissance, du rire, des larmes, et ça finit bien alors que ça a failli finir très mal... jusqu'aux séries post-cinématographiques on n'a pas vraiment changé de recette, on n'a fait que varier les proportions...

Quant à la peur, puisque c'est le sujet de ce fil, on aurait du mal à trouver une (bonne) histoire dont elle soit tout à fait absente. Si l'histoire de Joseph se distingue c'est par le nombre des personnages pour lesquels on a successivement peur (plus ou moins: Joseph, Jacob, [Tamar], les prisonniers, Siméon, Benjamin, tout le monde en Canaan ou en Egypte à un moment ou à un autre).
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 09 Jan 2023, 11:57

Citation :
12Parmi les recherches réalisées à ce sujet, nous aimerions souligner celle de Louis Derousseaux. L’auteur situe la crainte de Dieu dans le dynamisme de l’histoire d’Israël. Il montre que « le Tout Autre, le Sacré, n’est pas quelque chose en quoi l’homme se perd, c’est la réalité contre laquelle il bute, l’Autre qui surprend et qui fait peur. Contrairement à ce que croyait le rationalisme grec, la crainte religieuse est le signe d’une maturation humaine : l’homme devient adulte en rencontrant autre chose que lui-même » (Derousseaux 1970, 360). L’auteur considère également que la crainte permet de dépasser les limitations de ce qu’apportent l’amour et le service. En effet, « “aimer” pouvait signifier seulement “se comporter en partenaire loyal” [...], et “servir” pouvait se confiner dans le domaine de la pratique rituelle » (Derousseaux 1970, 256). Or, la crainte révérencielle de Dieu est une reconnaissance de la souveraineté absolue de Dieu qui n’est pas un partenaire comme les autres. Ainsi, « “craindre Dieu” [...], c’est adhérer de tout son être au Dieu de l’alliance qui a dit ses volontés, c’est “aimer”, comme le vassal fidèle mais aussi comme l’enfant qui aime son père et comme l’épouse qui aime son mari, c’est “servir” en offrant un culte exclusif au Dieu unique » (Derousseaux 1970, 262).

J'ai toujours été surpris par cette notion de "crainte de Dieu", en effet je comprenais, lorsque j'étais un témoin pratiquant, que l'on pouvait craindre Dieu dans le sens de mal le servir ou de s'en servir alors qu'il fallait le respecter suivre ses commandements. Mais craindre Dieu, le Dieu, celui dont les textes disent qu'il est Amour m'apparaissait comme quelque chose d'étrange. Il m'arrivait souvent de dire :
Je ne crains pas la justice de Dieu, mais plutôt l'injustice des hommes.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 09 Jan 2023, 14:51

A mon avis il n'y a pas, sur cette question de la "peur / crainte des dieux", de discontinuité majeure entre la plupart des textes "bibliques" et le reste de l'Antiquité, proche-orientale ou méditerranéenne, pour la bonne raison qu'il n'y a pas non plus de hiatus ou de solution de continuité entre les dieux et les seigneurs en tout genre : roi, conquérant, suzerain, maître d'esclaves, patron, mari, père, tout cela est conçu par défaut sur le même modèle du rapport de force, et du rapport de force différé par la médiatisation de la parole -- langage, représentation, mémoire, anticipation => promesse / menace, désir / peur, carotte / bâton, etc.

Pour qu'on cesse de craindre les dieux ou que la crainte des dieux devienne problématique, il faut qu'on cesse de prendre les dieux au sérieux, je veux dire comme des maîtres réels et capables de rétribution, de récompenses et de châtiments, de faveur et de colère, de bénédiction et de malédiction. Lent mais large processus depuis la deuxième moitié du Ier millénaire avant J.-C.  et qui affecte différemment le zoroastrisme perse, l'hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme du Second Temple (cf. exemplairement Malachie 1,6ss) et la philosophie grecque avant le christianisme. Mais même dans la Bible chrétienne (NT inclus) la remise en question formelle de la "crainte de Dieu" reste une exception (1 Jean)...
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 09 Jan 2023, 16:01

DE LA CRAINTE À L'AMOUR CHEZ SAINT AUGUSTIN

Deux voix : un même Esprit

Comment accorder le verset johannique que nous venons de citer : « De crainte, il n'y en a pas dans l'amour » (1 Jn 4,18), avec le verset du Ps 18,10 : « La crainte du Seigneur est chaste, demeurant à jamais » (IX,4) ? D'un côté, la crainte est appelée à laisser la place à l'amour ; de l'autre, elle est assurée de survivre aussi longtemps que l'amour, c'est-à-dire toujours. Faut-il choisir entre les deux ? A la différence des manichéens, qui déchirent l'Ecriture « à belles dents » en la scindant en deux morceaux disparates, Augustin se fait le défenseur de son unité : l'un et l'autre Testament relèvent du même Esprit et ne peuvent se contredire. Les manichéens éliminent la contradiction en rejetant l'Ancien Testament, oeuvre d'un Dieu mauvais, comme périmé. Jean l'emporte donc sur David. Au lieu de supprimer l'un des deux versets, Augustin s'engage au contraire à montrer leur accord :

« Interrogeons les deux paroles de Dieu. Il n'y a qu'un seul Esprit, bien qu'il y ait deux livres, deux bouches, deux langues. L'une des paroles nous est transmise par Jean, l'autre par David, mais n'allez pas croire que l'inspiration en soit différente. Si un même souffle emplit deux flûtes, un même Esprit ne peut-il emplir deux coeurs, mouvoir deux langues ?(...) Il y a donc là quelque consonance, il y a quelque accord, mais qui demande qu'on l'entende. »

Ce qu'il faut « entendre », en effet, c'est que les deux versets ne parlent pas de la même crainte :

« N'y a-t-il pas dissonance ? Non. Ouvre les oreilles, tâche d'entendre la mélodie. Ce n'est pas sans raison qu'ici est ajouté le mot "chaste", et non là : car autre est la crainte qui est dite "chaste", autre la crainte qui ne l'est pas Distinguons ces deux craintes, et comprenons comment les flûtes sont en consonance » (IX,5).

Seule la crainte servile est appelée à disparaître, comme l'affirme saint Jean ; quant à la crainte chaste, dont parle le psaume, elle durera « à jamais ». Entre les deux existe une différence non de degré, mais de nature.
Cette différence, Augustin la met en évidence à l'aide d'une comparaison qu'il reprendra à plusieurs reprises :

« On ne peut mieux expliquer la distance qui sépare ces deux craintes qu'en les comparant à deux femmes mariées. Suppose que l'une d'elles soit désireuse de commettre l'adultère, qu'elle se complaise dans le mal, mais craigne la réprobation de son mari. Elle craint son mari, mais c'est parce qu'elle aime encore le mal qu'elle le craint : la présence de son mari ne lui est pas douce, mais à charge... Tels sont ceux qui craignent que ne vienne le jour du jugement. Imagine une autre femme qui aime son mari (...), qui ne se laisse pas effleurer par la moindre souillure d'adultère : elle souhaite la présence de son mari. Et comment distinguer ces deux craintes ? L'une craint, et l'autre craint. Interroge-les : elles te répondent comme d'une même voix.. La réponse est la même, mais le cœur est différent. Si maintenant tu leur demandes : "Pourquoi ?", l'une répond. "Je crains que mon mari ne vienne" ; et l'autre : "Je crains que mon mari ne s'en aille." L'une dit : "Je crains qu'il ne me réprouve" ; l'autre : "Je crains qu'il ne m'abandonne." Mets ces mêmes sentiments dans le cœur des chrétiens, et tu découvres la crainte que bannit la charité, et l'autre crainte, chaste, qui demeure dans les siècles des siècles » (IX,6).

https://www.revue-christus.com/article/de-la-crainte-a-l-amour-chez-saint-augustin-949
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeLun 09 Jan 2023, 19:50

L'idée augustinienne de la crainte (chaste ou pure, et éternelle) comme envers, revers ou contrepartie de la grâce est très intéressante; mais à vrai dire aucune notion (crainte, désir, amour, grâce, etc.) n'a de sens sans une archi-notion de "temps", de différe/ance ou d'espacement qui rende concevable la possibilité même d'une altérité et d'une altération, d'un changement, d'une perte ou d'un gain, d'un don ou d'une réception. On a beau opposer l'"éternité" au "temps" comme saint Augustin croyait pouvoir le faire dans une veine néo-platonicienne, il faut encore la penser de façon assez "temporelle" pour que toutes ces idées y soient seulement concevables: sans "temps" il n'y a pas plus de perte à craindre que de don, de gain ou de présence à désirer.

Bien entendu, la pensée de saint Augustin est contrainte par sa réception égale (en principe et en latin) de toute l'Ecriture canonique, qui s'est décidée bien avant lui (dès le IIe siècle, contre Marcion): le Psaume 18/19 est mis sur le même plan que 1 Jean, il y a donc une contradiction formelle à résoudre (crainte éternelle ou pas), qui n'est plus soluble dans l'opposition ou la hiérarchie des textes (celui-ci annule et remplace celui-là, est plus vrai ou plus important que celui-là) -- tout est parole du même Dieu. Bien entendu, le psalmiste n'avait le sentiment de contredire personne par une expression de piété parfaitement conventionnelle en son temps, et il n'éprouvait donc pas le besoin de donner à sa "crainte" un sens exceptionnel. C'est plutôt le texte johannique qui est isolé, même dans un "Nouveau Testament" qui par ailleurs parle souvent de "crainte de Dieu" dans un sens classique, sans réserve ni précaution de langage particulières (cf. p. ex. Matthieu 10,28; Luc 1,50; 12,5; 18,2.4; 23,40; Actes 9,31; 10,2.22.35; 13,16.26; Romains 3,28; 2 Corinthiens 5,11; 7,1; Colossiens 3,22; Hébreux 10,31; 1 Pierre 1,17; 2,17; Apocalypse 14,7; 15,4; 19,5)... Ce scrupule (pour ne pas dire cette peur ou cette crainte) de la crainte n'émerge en fait qu'à l'extrême pointe d'une sensibilité très particulière du NT (le "johannisme"), bien qu'il ait été dans un autre sens "préparé" par tous les "ne craignez pas" de l'Antiquité (cf. post initial) qui étaient en leur temps jugés parfaitement compatibles avec la "crainte des dieux" (il fallait justement être craint pour dire "ne craignez pas" avec une certaine efficace). Le doute sur cette notion vient de loin, mai ils parvient seulement là à l'expression -- sans aller d'ailleurs jusqu'au bout de sa logique, car on ne voit pas très clairement comment l'appartenance essentielle au divin (être de lui, comme lui, en lui, et lui en nous) rendrait impossible la crainte tout en gardant intacte une notion comme l'"amour", qui suppose également une altérité, une différence, sinon une distance. Si Dieu est amour et si nous sommes de / en Dieu, en quoi consiste l'amour, qui aime qui ?

Une analogie me semble du reste assez symptomatique: tout comme la piété de l'époque précédente (celle où l'on a de plus en plus de mal à craindre les dieux tout en affirmant d'autant plus fort qu'il faut les craindre) fait mine de s'étonner qu'on puisse craindre des hommes plus que des dieux (cf. Malachie supra, mais aussi Matthieu 10// etc.), la Première de Jean fait aussi mine de s'étonner qu'on puisse prétendre aimer le dieu sans aimer les frères, c.-à-d. ceux qui sont (aussi) du dieu, en dieu, etc. (rejoignant à sa façon le rapprochement des deux "premiers commandements", amour de Dieu / du prochain, qui est beaucoup plus généralisé dans le NT). C'est dire en tout cas que le même problème logique finit par se reposer quasiment à l'identique, fût-ce avec des concepts a priori aussi antinomiques que la "crainte" et l'"amour".
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 10 Jan 2023, 13:37

"Le SEIGNEUR dit encore à Moïse : « Retourne vers le peuple. Dis-leur de se rendre purs aujourd'hui et demain, et de laver leurs vêtements. Il faut qu'ils soient prêts le troisième jour. Oui, ce jour-là, je descendrai sur le mont Sinaï, devant tout le peuple. Fixe des limites autour de la montagne et dis-leur : “Ne montez pas sur la montagne et ne vous en approchez pas ! ” Si quelqu'un s'approche de la montagne, il faut le tuer. Que ce soit une personne ou un animal, on ne le laissera pas vivre. Personne ne touchera le coupable, mais on le tuera en lui jetant des pierres, ou en lui lançant des flèches. Quelques-uns monteront sur la montagne seulement quand la corne de bélier sonnera. » Moïse descend de la montagne vers le peuple. Il leur demande de se rendre purs et de laver leurs vêtements. Puis il leur dit : « Soyez prêts pour après-demain. Ne vous unissez pas à vos femmes". (Ex 19,10-15).

Nous avons là, sous sa forme la plus simple, la crainte devant la puissance redoutable de la divinité, puissance qui imprègne en quelque sorte toute la montagne. Qui s'en approche risque sa vie. Il est dangereux de s'approcher imprudemment de la divinité. On ne peut le faire qu'après avoir accompli un certain nombre de rites 
particuliers, prescriptions qui s'appliquent aussi bien au prêtre qu'au fidèle.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 10 Jan 2023, 15:52

C'est la même logique tactile pour le "sacré" et l'"impur", qui ne doivent pas se rencontrer parce qu'ils exercent en sens contraire (du moins là où ils sont opposés) le même pouvoir "contaminant", a priori destructeur et sans limite. Entre eux il faut toujours multiplier les médiations, les écrans (d'où le fait que même les exécutions soient à distance: flèches ou lapidation, quand la mort ne résulte pas du contact lui-même, Ouzza p. ex.).

Je disais précédemment que la "force" des dieux, dans la conception la plus antique qu'on puisse deviner, n'était pas d'une autre "nature" que celle des puissants humains, qu'elle ne faisait que la prolonger: elle pouvait ce qu'un roi ou un maître humain ne peut pas, voir ce qu'il ne voit pas, entendre ce qu'il n'entend pas, récompenser ou punir en conséquence; c'est dire aussi, réciproquement, que tout pouvoir "humain" est compris comme un prolongement naturel du "sacré". Les hommes et les dieux ne sont pas d'une "autre nature", cette idée-là ne s'affirme vraiment qu'avec le néo-aristotélisme de la fin du moyen-âge. Il n'y a qu'une "nature", qu'un "être", et si l'on veut penser "autre chose" il faut penser comme une "chose" quelque "chose" qui n'en est pas une. C'est le problème de Platon avec ses "idées" ou "formes intelligibles" (c.-à-d. visibles et non visibles, selon le sens de l'eidos, pour un intellect qui n'est pas "sensible" mais fonctionne comme un "sens" -- "esthétique"). C'est tout le problème de la "méta-physique" (cf. Heidegger: meta ta phusika, au-delà du "physique", ouden, "rien"). Mais dans la haute Antiquité (peut-être jusqu'à Parménide, et encore longtemps après ailleurs) le rien ne vient pas encore à la pensée, il n'y a qu'un "être" pour tout  le monde, du dieu au moindre grain de poussière, et une continuité d'étants et de rapports variables...
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 10 Jan 2023, 16:53

"Car moi, le SEIGNEUR, je suis ton Dieu qui tiens ta main droite, qui te dis : « Ne crains pas, c’est moi qui t’aide. » Ne crains pas, Jacob, à présent vermine, Israël, à présent cadavres, c’est moi qui t’aide – oracle du SEIGNEUR – celui qui te rachète, c’est le Saint d’Israël" (Es 41,13-14).

Ce "Ne crains rien" revient comme un refrain, il contrebalance une série de menaces terrifiantes et de peurs, qui ont abattu le peuple. La relation avec la divinité ne peut pas se résumer au fait de trembler devant ce Dieu tout-puissant, cela finit par devenir contre-productif.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMar 10 Jan 2023, 22:56

Le "deutéro-Isaïe" (40--55, en gros) est quand même très différent des textes de l'époque assyrienne (qui sont rares même dans la première partie du livre, 1--39): L'Assyrie illustre remarquablement la cruauté maximale du maître envers ceux qui lui désobéissent (cf. les fameux reliefs assyriens avec description abondante des supplices, empalement, écartèlement, écorchement, un excès graphique qui en fait dissuade la révolte, voire, comme on dirait ces temps-ci, "sauve des vies"): c'est cela qui fournit le modèle principal des "alliances bibliques" (Deutéronome surtout), où l'on retrouve aussi bien l'"amour" du dieu / suzerain (dans l'intérêt du vassal: aimer le maître c'est effectivement s'aimer soi-même).

Mais avec l'époque perse (Cyrus) il y a quand même une révolution radicale de la théologie, même si elle est inégale et partielle -- les premières traces de ce qu'on appelle monothéisme, où le dieu de référence (Yahvé en l'espèce) ne peut plus être le maître d'un seul peuple -- surtout historiquement perdant: il faut qu'il assume la totalité de la destinée du monde (hors de lui, rien ni personne, c'est encore ça que le deutéro-Isaïe répète le plus souvent), y compris les moments de défaite, d'exil et de rédemption... Le "ne crains pas" ne varie pas formellement du propos d'un dieu terrifiant (qui, comme on l'a dit, peut justement le dire efficacement parce qu'il est craint; cf. p. ex. 7,4; 8,6.12s; 11,2s; 18,2.16; 19,11; 25,3; 33,6; 35,4); mais son élévation à l'absolu du "Dieu unique" modifie aussi bien la qualité de sa "crainte", si l'on peut dire, que l'efficacité de son appel à ne pas craindre (cf. 40,9; 41,10.13s; 43,1.5; 44,2.8; 50,7; 51,10.13; 54,4.14), il  suppose un rapport au monde et à l'histoire qui n'est plus celui d'un maître à qui l'on peut s'opposer, désobéir, etc. Mais bien sûr ce n'est pas un changement du tout au tout, il reste longtemps des réflexes "polythéistes" dans le "monothéisme" et inversement...
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMer 11 Jan 2023, 11:28

Narkissos a écrit:
mais son élévation à l'absolu du "Dieu unique" modifie aussi bien la qualité de sa "crainte", si l'on peut dire, que l'efficacité de son appel à ne pas craindre (cf. 40,9; 41,10.13s; 43,1.5; 44,2.8; 50,7; 51,10.13; 54,4.14), il  suppose un rapport au monde et à l'histoire qui n'est plus celui d'un maître à qui l'on peut s'opposer, désobéir, etc. Mais bien sûr ce n'est pas un changement du tout au tout, il reste longtemps des réflexes "polythéistes" dans le "monothéisme" et inversement...

Peux-tu, Narkissos, expliciter ton propos quant à la modification de la crainte? Merci
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeMer 11 Jan 2023, 13:15

Il me semble que la "crainte" -- et par voie de conséquence l'effet du "ne crains pas" (etc.) -- varie sensiblement selon que 1) le dieu de référence est pensé comme un "être" et un "maître" comme un autre (roi, chef militaire, empereur, suzerain, propriétaire, mari ou père conçus sur un mode "patriarcal"), simplement plus puissant que les autres (humains ou même divins en tant que dieux inférieurs, cour de Yahvé, anges, etc.) OU 2) comme un tout-autre ou un autre de tout, du monde, de la réalité et de l'histoire, voire de l'"être", étranger et transcendant à tout ce qui est connu. Dans le second cas il n'est plus comparable à rien, il ne relève pas du plus ou du moins mais de tout autre "chose" qui n'est pas une "chose", littéralement incommensurable, en un sens constamment interchangeable avec "rien". Bien entendu, cette différence que je suggère de manière tranchée pour essayer de la rendre compréhensible est beaucoup plus confuse dans la quasi-totalité des textes (puisque le "Dieu" unique, dans la plupart des textes "monothéistes", continue d'être comparé aux dieux et appelé roi, seigneur, maître, père, etc.). N'empêche que le deutéro-Isaïe est l'un de ceux qui va le plus loin ans la logique n° 2,  plus loin même que beaucoup de ses successeurs: Dieu sans autre, incomparable, absolument seul, indistinct au fond du [quasi-]néant (tohu-bohu, etc.) sur lequel tout se détache, la lumière comme les ténèbres, le bon comme le mauvais. Ce "Dieu"-là aussi peut susciter une certaine crainte (on parlerait plutôt aujourd'hui d'angoisse, en l'associant justement au "néant"), et sa situation "hors-monde" affecte aussi son "ne crains pas", prononcé d'un non-lieu qui peut aussi être compris comme un refuge en-deçà et au-delà de tout (ce sera surtout le cas dans les versions tardives du "monothéisme", du Second Temple (p. ex. Jonas ou Baruch), chrétien, gnostique ou néo-platonicien (le refuge de l'Un est un ekei, un "là-bas" en-deçà et au-delà de l'être ou de l'étant (ep-ekei tès ousias), jusqu'à la mystique du moyen-âge (du pseudo-Denys à Eckhart).

Je ne sais pas si c'est plus clair mais je fais ce que je peux... Smile
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeJeu 12 Jan 2023, 12:29

"Il leur dira : « Ecoute, Israël ! Vous allez aujourd'hui à la rencontre de vos ennemis pour le combat. Que votre cœur ne mollisse pas ! N'ayez pas peur, ne vous effrayez pas, ne vous épouvantez pas devant eux. Car le SEIGNEUR, votre Dieu, marche avec vous, afin de combattre vos ennemis pour vous et de vous sauver. » Les secrétaires diront ensuite au peuple : « Qui a bâti une maison neuve et ne l'a pas encore inaugurée ? Qu'il s'en aille et rentre chez lui, de peur qu'il ne meure au combat et qu'un autre ne l'inaugure ! Qui a planté une vigne et n'en a pas encore profité ? Qu'il s'en aille et rentre chez lui, de peur qu'il ne meure au combat et qu'un autre n'en profite ! Qui s'est fiancé avec une femme et ne l'a pas encore prise ? Qu'il s'en aille et rentre chez lui, de peur qu'il ne meure au combat et qu'un autre ne la prenne ! » Les secrétaires continueront à parler au peuple ; ils diront : « Qui a peur ? Qui sent son cœur mollir ? Qu'il s'en aille et rentre chez lui, afin qu'il ne fasse pas fondre le cœur de ses frères comme son propre cœur ! » (Dt 20,3-Cool

Sous l'effet de la peur, le cœur devient mou, sans courage. le courage se trouve dans le cœur, c'est souvent une question de volonté. La phrase "afin qu'il ne fasse pas fondre le cœur de ses frères", souligne que la peur est communicative et certains de ses effets : en présence de l'ennemi au moment d'engager le combat: le cœur se ramollit, il se liquéfie. Même si la divinité promet "votre Dieu, marche avec vous", la peur est un sentiment qui ne se maitrise pas. La peur peut également être un "moteur" et inciter à l'action, puisque le récit nous rapporte que les futurs combattants devaient régler rapidement leurs affaires de "peur" qu'ils ne puissent pas le faire suite aux combats. Enfin, le texte ne semble pas porter de jugement sur ceux qui ont peur, ils ne sont taxés de lâches.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeJeu 12 Jan 2023, 14:08

Narkissos a écrit:
Je ne sais pas si c'est plus clair mais je fais ce que je peux... Smile

Oui, je te remercie de cette excellente explication
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeJeu 12 Jan 2023, 17:21

@ free: si l'on veut bien se rappeler la métaphore concrète du "lâche" comme "mou" (opposé au serré, à l'étroit, au tendu, au bandé, au ferme, au solide, au dur, au strict, au précis, etc.) sous son sens prétendument abstrait (opposé au courage), on s'apercevra qu'elle n'est pas très loin de la "liquéfaction" ou "fusion" hébraïque -- qui d'ailleurs est aussi l'effet de la théophanie ou manifestation divine qui fait fondre même les montagnes (association des images de l'orage et du tremblement de terre, avec les écoulements ou glissements de terrain qui s'ensuivent). Dans tous les cas elle est en effet contagieuse ou communicative (panique, débandade, etc.).

Du point de vue lexical cependant, l'adverbe conjonctif et adversatif pn/pen qui est traduit par "de peur que" (= pour que... ne pas) n'a pas de rapport évident en hébreu avec le champ lexical de la peur -- bien que le geste même d'écarter ou de conjurer une conséquence indésirable une fois qu'on l'a envisagée, comme une menace, un risque ou un danger (apotropaïsme), ne soit certainement pas sans rapport avec la peur, dans une perspective plus générale.
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MessageSujet: Re: arabesques de la peur   arabesques de la peur Icon_minitimeVen 13 Jan 2023, 13:08

Craindre l’homme au lieu de craindre Dieu, une insulte vis-à-vis de la divinité :

"Alors Saül dit à Samuel : J'ai péché ; j'ai passé outre aux ordres du SEIGNEUR et à tes paroles ; je craignais le peuple, et je l'ai écouté" (1 Sam 15,24).

"C'est moi, moi seul, qui vous console. Qui es-tu, pour avoir peur de l'homme mortel, de l'être humain, dont le sort est celui de l'herbe ? Tu oublierais le SEIGNEUR, celui qui te fait, qui déploie le ciel et fonde la terre ! Tu serais dans une frayeur continuelle, constante, devant la fureur de l'oppresseur, comme lorsqu'il s'apprête à détruire ! Où donc est la fureur de l'oppresseur ?" (Es 51,12-13)




Évitez le piège tendu par la crainte de l’homme

IL N’EST guère possible de plaire à la fois à l’homme et à Dieu. Il peut arriver que votre conjoint, ou un de vos collègues ou une autre personne, vous demande de faire une chose qui ne soit pas en harmonie avec ce que Dieu dit dans sa Parole. Si cela vous arrive, il vous faudra faire un choix : soit servir Dieu, soit faire ce que désire l’un de vos semblables.

Si vous raisonnez sainement, vous mettrez la volonté de Dieu à la première place, cherchant ainsi la faveur divine plutôt que celle de l’homme. Mais en réalité, lorsqu’elles ont une décision à prendre, nombreuses sont les personnes qui s’inclinent servilement devant les désirs des hommes. La crainte d’irriter leur conjoint, leurs parents ou d’affronter les moqueries des amis, les rend incapables de raisonner correctement. Au début, en se fondant sur sa raison, on se dit que la chose la plus importante est d’être en bons termes avec ses semblables. Ce raisonnement aboutit finalement au compromis qui est contraire aux Écritures. C’est justement ce que la Bible déclare : “La crainte des hommes tend un piège.” — Prov. 29:25.

Êtes-​vous à même de résister au piège que vous tendent vos amis et compagnons quand ils veulent que vous agissiez selon leur volonté, plutôt que de faire ce que Dieu désire que vous fassiez ? L’approbation de Dieu vous est-​elle plus précieuse que celle de l’homme ? Voilà des questions qui vont au fond des choses et qu’un chrétien doit se poser franchement, car la voie du christianisme ne plaît pas à la majorité des gens. En fait, le fondateur du christianisme, Jésus-Christ, a annoncé que si vous marchez sur ses traces, on ‘vous outragera et on vous persécutera et l’on dira mensongèrement contre vous toute sorte de mal’. — Mat. 5:11 ; 7:13, 14.

https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1964601
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