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 Foi brisée - Lamentations de Jérémie

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MessageSujet: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeVen 27 Jan 2023, 14:20

Citation :
On pourrait du reste trouver beaucoup d'exemples bibliques de cette transmutation ou modulation infinie des "passions" (émotions, sentiments, etc.) passant les unes dans les autres: c'est la tristesse (le chagrin, la peine, le malheur, les larmes, le deuil et ainsi de suite) qui se change en joie (allégresse, cris de joie) -- et inversement, bien sûr... Cf. p. ex. Jérémie 31,13; Amos 8,10; Psaume 30,11; Job 30,31 (illustration musicale); Lamentations 5,15; Esther 9,22; Jean 16,20; Jacques 4,9.

https://etrechretien.1fr1.net/t834p50-le-bonheur-la-souffrance-et-le-christianisme


"La gaieté a délaissé notre cœur, nos danses ont été changées en deuil.
La couronne est tombée de notre tête. Quel malheur pour nous ! Nous avons péché.
Voici pourquoi notre cœur est souffrant, voici pourquoi nos yeux sont obscurcis :
c'est que le mont Sion est dévasté et que les renards y rôdent.
Toi, SEIGNEUR, tu es installé pour toujours ; ton trône subsiste de génération en génération.
Pourquoi nous oublierais-tu pour toujours, nous abandonnerais-tu pour la longueur des jours ?
Ramène-nous à toi, SEIGNEUR, et nous reviendrons ! Renouvelle nos jours comme au temps jadis !
Nous as-tu donc rejetés ? Es-tu irrité contre nous à l'extrême ?" (Lm 5,15 ss). 


Foi brisée et la découverte de la théologie
Quelques aperçus sur le raisonnement dans le Livre des
Lamentations de Jérémie

Lam 5 Epreuves dans la seconde génération

Lm 5 accent sur l’innocence et demande de la fin de la condamnation à Dieu 

https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/documents/thomas-romer/UPL5867531252819989669_Confe__rence_C._Frevel.pdf
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeVen 27 Jan 2023, 15:07

Conférence à imaginer d'après l'ossature fournie par les tableaux (PowerPoint ? ça a peut-être été déjà remplacé comme ça avait remplacé les diapositives). Si la reconstitution des différentes étapes de la rédaction reste, comme toujours, conjecturale, elle dissuade de traiter le livre comme un tout homogène et incite à prêter attention aux différences de chaque poème (au moins).

Remarque préalable: il est sans doute préférable de dissocier les "Lamentations" de "Jérémie" (le livre et le personnage) -- même l'introduction de la NBS avait réussi, pour une fois, à le faire, ça ne choquait pas trop les "évangéliques" francophones (et savants) parce que le titre traditionnel (Lamentations de Jérémie) n'est pas à proprement parler dans le texte "biblique", ni dans la titulature hébraïque (eika, "comment... ?", du premier mot du texte) ni dans la grecque (thrènoi, "lamentations" tout court, quoique le livre soit souvent associé à Jérémie dans les éditions de la Septante, avec Baruch et la Lettre de Jérémie; ce n'est pas le cas de la Bible hébraïque qui le classe dans les Ecrits, ketouvim, et dans les megilloth). On a même parlé -- en forçant quelque peu le trait -- de lamentations contre Jérémie, parce que l'idéologie du livre ne semble pas du tout correspondre à celles qui s'expriment dans la majeure partie de Jérémie (favorable à Babylone, critique des derniers rois de Jérusalem, du temple et de la prêtrise en place). Cela n'empêche pas les analogies formelles ou rédactionnelles, comme celles que relève ta première citation (Jérémie 31,13 // Lamentations 5,15, toujours hpk pour le "renversement-retournement"); de même Jérémie 31,18 // Lamentations 5,21 pour l'usage réciproque du "ramener / (faire) revenir", šwb, retournement horizontal du genre demi-tour celui-là, qui est d'ailleurs ambigu (puisqu'on hésite toujours entre un sens religieux et/ou moral, repentance ou conversion, et un sens historico-géographique, retour d'exil ou de diaspora).


Dernière édition par Narkissos le Ven 27 Jan 2023, 16:14, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeVen 27 Jan 2023, 16:13

Citation :
 On a même parlé -- en forçant quelque peu le trait -- de lamentations contre Jérémie, parce que l'idéologie du livre ne semble pas du tout correspondre à celles qui s'expriment dans la majeure partie de Jérémie (favorable à Babylone, critique des derniers rois de Jérusalem, du temple et de la prêtrise en place).


Les lamentations contre Jérémie, réinterprétation de Thre. I à IV

Une analyse littéraire simple, mais attentive à éviter certaines confusions, permet de tracer le portrait de l'auteur, et celui de cet 'ôyéb auquel il s'oppose. L'auteur des Lamentations apparaît alors, sur tous les points sauf sur le yahvisme lui-même, comme l'antithèse môme de Jérémie, dont les idées nous sont bien connues par son livre. Alors que Jérémie prédisait la défaite, l'auteur a été frappé par elle de stupeur : 'éykâh ! Alors que Jérémie était le défenseur de la veuve et de l'orphelin, l'auteur ne parle que du roi, des « princes », des anciens, des prêtres. Alors que Jérémie était pro-chaldéen et a été sorti de prison par la victoire chaldéenne, l'auteur était nationaliste, et semble avoir composé la Lamentation III en prison. Alors enfin que Jérémie avait été l'adversaire du soulèvement contre Babylone, et, après son échec, ne pouvait qu'avoir tout le monde pour lui, l'auteur a tout le monde contre lui, et se reconnaît coupable ou responsable. L'hypothèse peut donc être formée, que l'ôyéb, l'ennemi de l'auteur des Lamentations, est le parti de l'opposition prophétique, maître de la situation par la victoire des Chaldéens. 

Après cette partie philologique, on s'efforce de retracer, à l'aide des résultats acquis et des autres données bibliques ou historiques, l'opposition entre la Jérusalem nationale et celle de Jérémie. On en arrive ainsi à la chute de Jérusalem, malgré tous les efforts d'un parti judéen, mais conformément aux vœux et aux efforts d'un autre. Là, se trouve mise en évidence une période intermédiaire d'un mois moins 2 jours, pendant laquelle l'opposition prophétique exerça le pouvoir sous le contrôle des Chaldéens occupants. C'est en cette période que se place tout naturellement la naissance des Lamentations, œuvre d'un nationaliste écrasé par la défaite, et découvrant qu'il avait été rebelle au dieu national, puisque l'événement montrait que le prophète avait raison. 

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1966_num_79_75_17269
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeVen 27 Jan 2023, 16:28

N.B.: J'ai rajouté une dernière phrase (un peu longue et "technique") à mon post précédent. Pour rester dans le même registre, on peut noter que le verbe hpk (renverser, etc.) revient en Lamentations 1,20 (mon coeur est retourné, sens dessus-dessous, au-dedans de moi); 3,3 (Dieu, sous-entendu, retourne sa main contre moi, // šwb 3a); 4,6 (référence traditionnelle à Sodome "renversée" en un instant); 5,2 (notre héritage/patrimoine passe [tourne, échoit] à des étrangers) et enfin 5,15 (la danse changée en deuil, tournant au deuil). Dans Jérémie on peut comparer 2,21 ("perversion" de la vigne dégénérée), 13,23 (le Nubien/Ethiopien, Noir en tout cas, peut-il changer sa peau, ou le léopard ses taches ?), 20,16 (les villes que Yahvé a renversées, encore Sodome et Gomorrhe), 23,36 (retourner, tordre, pervertir les paroles de Yahvé, pour les prophètes), 30,6 (les visages tournent ou virent au pâle ou au verdâtre, au livide), 31,13 (deuil en joie).

L'extrait que tu présentes est bien un résumé de la thèse à laquelle je faisais allusion et dont j'avais tout à fait oublié l'auteur (il est vrai que ça remonte déjà à plus d'un demi-siècle, mais il y avait encore dans le Comité de rédaction de la NBS, dans les années 1990, un émule de Caquot, qui se trouvait avoir été le directeur de cette thèse, c'est sans doute par là que ça nous est parvenu). Evidemment c'est excessif: rien n'indique que l'auteur ou les auteurs des Lamentations visent Jérémie en particulier, et toute cette personnalisation historique n'a plus guère de sens si les deux livres ont fait l'objet de longs développements rédactionnels, séparément et en rapport l'un avec l'autre...

Nous avons aussi parlé des Lamentations (en particulier du chap. 3) à propos du thème du silence, ce qui paraît en soi intéressant: il faut pas mal de bruit (cris, pleurs, exclamations spontanées, plaintes ritualisées, poétisées, psalmodiées, chantées, cultualisées) pour aboutir au silence qui peut être (rien n'est assuré, comme dans Sophonie, voir le fil correspondant à partir du dernier lien) celui d'un (autre) retournement de situation.
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 12:47

LE LIVRE DES LAMENTATIONS

Comme nous l’avons déjà mentionné ce livre est placé dans la Bible de Jérusalem parmi les livres prophétiques à la suite du Livre de Jérémie. Il en est de même dans la Septante, la Vulgate et la King’s James Version des anglicans. La Bible hébraïque, les bibles protestantes, la TOB et la traduction de la Pléiade, placent ce livre parmi les cinq rouleaux (les Megilloth) qui, avec le Cantique des cantiques, les Livres de Ruth et d’Esther, ainsi que l’Ecclésiaste, appartiennent au troisième groupe des textes bibliques : les Kethoubîm (les Écrits). 

Sur la foi d’un verset du IIe Livre des Chroniques (35, 25) qui dit : « Jérémie composa une lamentation sur Josias que tous les chanteurs et chanteuses récitent encore aujourd’hui. », la Septante, suivie par une longue tradition exégétique, a prétendu que Jérémie en était l’auteur — ce qui explique que ce livre apparaît dans maintes éditions de la Bible à la suite du Livre de Jérémie. La critique actuelle a cessé de maintenir cette attribution, car une lecture attentive des Lamentations montre que de nombreuses allusions de ce livre sont  incompatibles avec la pensée de Jérémie telle qu’on la trouve dans le livre qui porte son nom. L’auteur de ces chants de désolation demeure inconnu. Certains pensent que plus d’un écrivain serait responsable de la rédaction de ce livre. En particulier, le cinquième et dernier chapitre s’écarte de la structure poétique à laquelle obéissent les chapitres qui le précèdent. On hésite à fixer avec précision la date de leur composition. Le contenu laisse penser que ces textes furent rédigés durant la période de l’Exil, donc avant ~538, et probablement peu de temps après la chute de Jérusalem sous les coups des soldats de Nabuchodonosor en ~587. Bien qu’il soit apparu à la critique exégétique actuelle que le Livre des Lamentations ne peut être attribué à Jérémie, le ton, le contenu et le style de ces chants funèbres rappellent fréquemment le lyrisme de passages provenant de sources prophétiques comme le Deutéro-Isaïe, Jérémie lui-même, ainsi qu’Ézéchiel, dont nous parlerons bientôt, qui fut témoin des tragiques événements que déplore cet écrit ...

... Le livre exhale un long cri d’angoisse et de détresse devant l’horrible sort qui s’est abattu sur la Judée se soldant par le sac de Jérusalem, la destruction du Temple et l’exil de sa population. Pourquoi YaHWeH s’est-il acharné avec tant de rigueur sur son peuple ? 

"Comment ! Le Seigneur en sa colère a enténébré la fille de Sion ! Il a précipité sur la terre la gloire d’Israël ! Au jour de sa colère, il ne s’est pas souvenu de l’escabeau de ses pieds ! […] Le Seigneur s’est comporté comme un ennemi ; il a détruit Israël. Il a détruit tous ses palais, abattu ses forteresses et multiplié
pour la fille de Juda plaintes et gémissements. […] Sur le sol dans les rues gisent enfants et vieillards ; mes jeunes filles et mes jeunes gens sont tombés sous l’épée ; tu as égorgé au jour de ta colère et tu as immolé sans pitié
". (Lm, 2, 1 ; 5 ; 21)

Le dernier chant s’achève sur une confuse note d’espoir, comme si le rédacteur croyait qu’après d’aussi lourdes épreuves YaHWeH consentira à la fin — peut-être —, à se ressouvenir de son peuple repentant.

"Pourquoi nous oublierais-tu à jamais et nous abandonnerais tu tout le long des jours ? Fais-nous revenir vers toi, YaHWeH, et nous reviendrons. Renouvelle nos jours comme autrefois, si tu ne nous as pas rejetés tout à fait, irrité contre nous sans mesure". (Lm, 5, 20 -22)

Clairement, ces paroles ont été écrites avant que n’ait été promulgué en ~538 l’édit de Cyrus le Grand permettant aux peuples conquis par Babylone de retourner dans leurs patries d’origine. Tout comme le Livre de Job, le Livre des Lamentations s’interroge sur le sens de la condition humaine et sur le sort du peuple de l’Alliance que son Dieu semble avoir abandonné. 

https://www.usherbrooke.ca/apprus/fileadmin/sites/apprus/documents/Publications/ClaudeBoucher/livre/1.3__LE_LIVRE_DE_JEREMIE.pdf
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 14:06

J'avais oublié que la Septante introduit ses "thrènes" proprement dits par une phrase supplémentaire, qui attribue en effet formellement la suite à Jérémie: "Et il arriva, après qu'Israël eut été emmené captif et que Jérusalem eut été désolée, que Jérémie s'assit pour pleurer et se lamenter sur Jérusalem de la lamentation (thrènon, singulier, contrairement au titre usuel du livre) que voici:..."

On constatera que les hypothèses de datation, d'ailleurs assez vagues, de ton dernier document (Claude Boucher, Sherbrooke, Canada), dont l'originalité principale consiste dans son ouverture sur l'histoire de l'art, divergent de celles qui ont été évoquées plus haut (Christian Frevel, premier post, second lien): de toute façon les "lamentations" restent en général d'une actualité quasi permanente, et dans le cas de la Bible hébraïque on ne manque pas d'exemples de complaintes sur Jérusalem, Juda ou Israël tout aussi "clairement" situées après le retour d'exil, sous l'empire perse ou à l'époque hellénistique (Trito-Isaïe, Proto- et deutéro-Zacharie, Daniel 9 et de nombreux Psaumes).

En tout cas, dans la conclusion de la cinquième lamentation et donc du livre (5,22), la possibilité de l'abandon définitif (dés-espoir au sens fort) ne semble pas écartée, comme il arrive aussi, rarement, dans certains psaumes: tout tient à l'interprétation de la locution conjonctive, ki 'im-, qui est délicate. On peut y voir une formule de serment apotropaïque, affaiblie dans un sens optatif, de souhait (si seulement tu ne nous as pas, pourvu que tu ne nous aies pas tout à fait rejetés/abandonnés), mais aussi un adversatif factuel (mais tu nous as tout à fait rejetés/abandonnés; la note de la NBS me rappelle d'ailleurs que la lecture synagogale inverse les v. 22 et 21, pour ne pas finir sur un désespoir). Au passage, le verbe m's (rejeter/abandonner) est aussi celui de la dernière réplique de Job, notoirement ambiguë (on la  traduit souvent pudiquement "je me repens", mais ça signifierait aussi bien "je laisse tomber", "j'abandonne", "je suis dégoûté"); il est aussi fréquent chez Jérémie (2,37; 4,30; 6,19.30; 7,29; 8,9; 14,19; 31,37; 33,24.26).
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 15:07

Citation :
En tout cas dans la conclusion de la cinquième lamentation et donc du livre (5,22) la possibilité de l'abandon définitif (dés-espoir au sens fort) ne semble pas écartée, comme il arrive aussi, rarement, dans certains psaumes


Le cri "Mon dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné" exprime un sens d'être abandonné comparable seulement avec des textes poignants tels que Lamentations 5,20 et Ésaïe 49,14 :

"Sion disait : Le SEIGNEUR m'a abandonnée, le Seigneur m'a oubliée !" (Ésaïe 49,14).
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 15:40

En Lamentations 5,20 et Isaïe 49,14 ce sont en effet les deux mêmes verbes, dans l'ordre inverse: `zb pour "abandonner" et škh pour "oublier" (aussi Lamentations 2,6, pour les sabbats) -- association naturelle et assez fréquente (cf. p. ex. Isaïe 65,11; Proverbes 2,17). C'est aussi `zb en hébreu dans le psaume 22, dont le "sabachtani" mieux connu par les évangiles (Marc-Matthieu) n'est que (la transcription grecque de) la traduction araméenne (`zb / sbk, `azavtani / sabaktani).


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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 16:02

5:20 C’est la confusion théologique qui apparaît entre l’alliance inconditionnelle et l’alliance conditionnelle. Juda fut totalement surpris par le jugement de YHWH. Mais son espérance était dans la nature limitée de la punition de Dieu (voir Lam. 3:31; Ps. 103:8-14; Jér. 3:5,12; Michée 7:18).
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 16:35

Tant qu'à copier, citons la source (évangélique et américaine).

Pour le lecteur qui a en tête des catégories dogmatiques bien arrêtées (ici alliance conditionnelle et inconditionnelle, quoi qu'il entende exactement par là: on devine à tout le moins un fond de calvinisme), le texte "confond"; mais si lesdites catégories n'existent pas pour l'auteur, il n'a rien à "confondre", il dit tout simplement ce qu'il dit, et il faut le prendre comme tel... sans ça on n'entendra jamais la voix du désespoir, de l'abandon, de la perte, de l'irréversible et de l'irréparable, elle sera toujours recouverte par celle de la rédemption, de la restauration, du rétablissement, du happy ending, quand même celle-ci n'a plus d'autre choix que de se projeter à la fin des temps ou dans un autre monde. Mais c'est peut-être le destin du "négatif" que d'être toujours recouvert, annulé ou subsumé, relevé (aufgehoben, de aufheben, dirait Hegel) par du "positif", hormis la trace écrite (raison pour laquelle Job tenait à graver sa plainte dans le roc, avant de "laisser tomber").


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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 16:47

les lamentations

Citation :
Citation :
« Vous tous qui passez par ici,
Ce malheur ne vous a pas atteints.
Regardez et voyez :
Est-ce qu’il y a une douleur pareille à ma douleur,
Pareille à celle que le Seigneur a fait tomber sur moi
Le jour où sa violente colère a éclaté ? »
Lam 1,12

1. Quand tout s’écroule

Citation :
Il est bon qu’il y ait dans la Bible des textes de stupeur, comme Job ou les Lamentations. Ce mot renvoie à ce sentiment d’épouvante et d’incrédulité qui nous saisit souvent quand le malheur survient, avant même que la plainte, la révolte, le questionnement, la prière, puissent être articulés dans notre esprit et notre langage.
Foi brisée - Lamentations de Jérémie P6Le livre des Lamentations est introduit par un tel signe de stupeur, le mot hébreu « eikha », traduit par « hélas », ou par « comment ! », « eh quoi ! ». Et devant les horreurs de l’histoire – la destruction de Jérusalem, l’écrasement cruel de sa population –, l’auteur renchérit dans l’épouvante, allant jusqu’à répéter plusieurs fois : « il n’y a pas de consolateur. » Pourtant toucher le fond, nous a-t-on appris, permet de remonter des ténèbres à la lumière.
C’est l’entreprise de ces cinq chants qui composent le livre des Lamentations, où il ne peut être question d’une consolation à bon marché, et où elle n’est jamais acquise à l’avance. Car l’anéantissement de Jérusalem pourrait aller jusqu’à invalider la réalité d’une promesse faite autrefois par Dieu à son peuple.
Les ennemis ont beau jeu de se moquer : n’était-ce pas un rêve, et seulement un rêve, cette histoire d’Alliance ? Quand tout s’écroule de ce qui faisait notre foi, notre confiance, notre vie … que reste-t-il derrière la nostalgie qui nous déchire ? Pour certains il ne reste que l’absurde ou le néant.
Pour d’autres l’espérance, malgré tout.
Mais dans tous les cas, une question terrible doit être acceptée : quelle est la responsabilité humaine dans l’histoire, ses réussites mais surtout ses échecs, ses catastrophes. Dans le contexte théologique des Lamentations c’est Dieu qui pose la question, et qui accuse son peuple et sa ville. Mais cette accusation douloureuse, qui semble si excessive et même injuste signifie en même temps que Dieu n’a pas fait le deuil de son Alliance.
C’est ce même peuple et cette même ville qu’il cherche et appelle à travers les mots de son serviteur.


https://www.evangile-et-liberte.net/elements/numeros/202/article5.html

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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeLun 30 Jan 2023, 17:07

Le mot d'"alliance" (bryt / berith) n'apparaît pas du tout dans les Lamentations, et je n'y vois rien non plus qui ressemble à la notion de "promesse" (serment, etc.). Le grand récit de l'Histoire sainte (Genèse, Exode, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Josué, David, etc.) est dans la tête des lecteurs, non dans cette collection particulière de poèmes qui ne se réfèrent à rien de tel.

Il est visiblement difficile (même à des "non-fondamentalistes") de ne pas présupposer ce "grand récit", une fois qu'on le connaît (c'est généralement depuis l'enfance), derrière tous les textes "bibliques" qu'on lit. Il faut au moins se rappeler qu'il est lui-même un produit de la même période d'écriture qui s'est étendue des exils à l'époque hellénistique, et qu'il n'a donc pas pu affecter toutes les époques, tous les milieux et tous les textes de la même manière -- raison de plus, du point de vue naturellement "conservateur" de l'exégète, pour ne pas le plaquer artificiellement sur des textes qui d'eux-mêmes n'en montrent aucune trace. On a pu se lamenter sur Jérusalem, Juda ou Israël tout au long de cette période dans bien d'autres perspectives que celle(s) de notre "Histoire sainte".

Un point commun avec la théologie et l'historiographie "deutéronomistes" -- et par la même occasion une grosse différence avec les poèmes de Job -- ce serait que l'auteur ou les auteurs reconnaissent un "péché" (collectif en l'occurrence, mais peu précisé, inégalement en tout cas d'un poème à l'autre), donc une certaine logique de la rétribution (cf. 1,5.8.14.18.20; 2,14; 3,39.42; 4,6.13ss.22; 5,7.16). Cette logique est toutefois trop généralisée dans le Proche-Orient ancien pour qu'on en déduise quoi que ce soit d'autre. Au passage, l'affirmation du châtiment transgénérationnel en 5,7 (dans le poème qui pourtant est probablement le plus tardif) est en flagrante contradiction, sinon avec le Deutéronome (qui comme on l'a vu ici limite le châtiment individuel au jugement humain: Yahvé, lui, peut continuer de punir jusqu'à la troisième ou quatrième génération), du moins avec Jérémie et Ezéchiel (les raisins verts, cf. p. ex. ici 5.10.2022).
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeMer 01 Fév 2023, 16:44

Quel auteur et quel message ?

Qui se lamente?

Les Lamentations sont donc celles d'un témoin1 de ces malheurs, resté à Jérusalem, qui constate le désastre et se désole sur le sort de cette ville avec tout son talent poétique. S'agirait-il du prophète Jérémie ? On l'a longtemps cru. La Tradition, en effet, a longtemps attribué ce petit livre au prophète Jérémie. D'ailleurs, certaines bibles intitulent parfois encore ce livre « Lamentations de Jérémie », car la Septante et la Vulgate2 ajoutent au livre le verset introductif suivant :

« Il arriva, après la réduction d'Israël en captivité et de Jérusalem en désert, que le prophète Jérémie s'assit pleurant; il proféra cette lamentation sur Jérusalem et dit... »

  Aujourd'hui, les exégètes tendent à refuser l'attribution de cette œuvre à Jérémie en raison de certaines contradictions entre le message du prophète et certains versets du livre des Lamentations. Comment, en effet, Jérémie aurait-il pu écrire le verset suivant :

Les portes de Sion s'enfoncent dans la terre...
il n'y a plus de Loi;
même ses prophètes ne trouvent pas de vision
venant du SEIGNEUR (Lm 2,9).

 Comment aurait-il pu attribuer les catastrophes actuellement subies par le peuple à la faute des prophètes, lui qui n'a cessé de conseiller le roi, lors de l'imminence de l'invasion babylonienne ?

C'est à cause des fautes de ses prophètes,
des perversités de ses prêtres,
qui ont répandu au milieu d'elle
le sang des justes! (Lm 4,13).

Le verset 4,20 semble aussi trop élogieux à l'égard du roi Sédécias pour que Jérémie, très critique à son endroit, l'ait lui-même écrit 3:

Le souffle de nos narines, le messie du SEIGNEUR,
est captif dans leurs oubliettes,
lui dont nous disions : « Sous sa protection,
au milieu des nations, nous vivrons.» (Lm 4,20).

 Quant à ces versets, exprimant le désir déçu d’aide de la part de nations voisines :

Nous, nos yeux se consument
encore dans l'attente d'une aide illusoire;
à nos postes de guet nous guettons la venue d'une nation
qui ne peut pas sauver (Lm 4,17);

à l'Égypte nous tendons la main,
à l'Assyrie, pour nous rassasier de pain (Lm 5,6),

ils semblent en contradiction avec la politique étrangère que Jérémie défendait, lui qui s'opposait à ce que le roi s'allie avec les Égyptiens ou les Assyriens pour tenter de freiner l'extension de Babylone 4.

Quoi qu'il en soit, le contexte historique qui a vu naître l'œuvre est le même que celui au cours duquel Jérémie a prophétisé : la cassure qu’a provoquée l'invasion babylonienne et ses retombées dramatiques.

Le message des Lamentations

 Au-delà du gémissement sur une page sombre de l’histoire d’Israël, les Lamentations offrent une réflexion sur le sens du péché et sur la valeur réparatrice, éducatrice de la semonce de Dieu. Il n'est pas rare, en effet, pour l'Ancien Testament, de comprendre les malheurs d'Israël comme une punition résultant de l'infidélité du peuple à l'Alliance; aussi, cette doctrine de la rétribution se reflète-t-elle dans chacune des Lamentations. Dans chacun des poèmes, l'auteur reconnaît que le peuple a péché et accepte, avec douleur mais sans révolte, l'épreuve comme sa conséquence, y voyant une juste punition de Dieu emmenant au repentir sincère.

Il est juste le SEIGNEUR,
puisque j'avais désobéi à son ordre (Lm 1,18).

    Pour l’homme de la Bible, Dieu est la cause directe de toute chose. Le véritable assaillant d’Israël dans l’épreuve qui l’afflige n’est donc pas Babylone, mais le Seigneur lui-même qui déploie sa colère contre son peuple. C’est bien ce que nous dit le second poème y allant même de formules audacieuses :

Le Seigneur se comporte comme un ennemi;
il engloutit Israël;
il engloutit tous ses donjons;
il ruine ses fortifications.
Il multiplie pour la Belle Judée
plainte et complainte (Lm 2,5).

Mais cette complainte et cette reconnaissance du péché seraient vaines si elle n’aboutissait pas à cette ultime étape : la conversion et l’espérance. Cette espérance, on la voit poindre, ici et là, en plusieurs lieux des Lamentations. Et ce sursaut d’espérance s’appuie sur Dieu dont la bonté est inépuisable, qui ne peut rejeter pour toujours son peuple repentant.

Fais-nous revenir vers toi,
SEIGNEUR, et nous reviendrons;
renouvelle nos jours comme
dans l'ancien temps (Lm 5,21).

Les bontés du SEIGNEUR! C'est qu'elles ne sont pas finies!
C'est que ses tendresses ne sont pas achevées!
Elles sont neuves tous les matins.
Grande est ta fidélité!
Ma part, c'est le SEIGNEUR, me dis-je;
c'est pourquoi j'espérerai en lui. (Lm 3,22-24).

http://www.interbible.org/interBible/ecritures/exploration/2010/exp_100601.html
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeMer 01 Fév 2023, 20:06

Les citations des Lamentations illustrent au moins, à défaut de le préciser, de le corriger ou de le nuancer, ce qui a été dit plus haut, tant au sujet des divergences du livre par rapport à Jérémie que de la perspective de la rétribution... Quant aux questions de datation, comme cela a aussi été montré ci-dessus, les événements de 587/6 (prise de Jérusalem, destruction du temple, déportation) vont surplomber non seulement la durée de l'exil, mais toute la période du Second Temple (Daniel 9, en étendant expressément la portée des "70 ans de Jérémie" jusqu'à l'époque maccabéenne, montre que la référence historique ne perd rien de son importance symbolique à mesure qu'on s'en éloigne, bien au contraire). Cela laisse le temps d'un développement progressif de la collection non seulement par plusieurs "auteurs", mais à différentes époques -- ce que suggèrent aussi, parmi bien d'autres choses, les différences formelles entre les poèmes (alphabétiques simples, 1, 2, 4, triple, 3, pas alphabétique du tout quoique composé de 22 vers, du même nombre que l'alphabet hébreu, 5).
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeJeu 09 Fév 2023, 11:39

Quelques effets narratifs de la pseudépigraphie jérémienne - Elena Di Pede

Jérusalem, représentée en Ba comme une mère victime des agissements de ses enfants et qui attend le pardon divin afin que ses fils et ses filles puissent revenir à elle (És 60,4), est ainsi au cœur de l’effectivité de la démarche de conversion, car c’est là que tout se joue, pour ses habitants déjà exilés comme pour ceux qui sont encore en son sein. Ba semble ainsi suggérer que le retour à la paix est possible si les deux parties du peuple – les exilés et ceux qui sont encore à Jérusalem – collaborent afin d’apaiser le Seigneur. Mais si les exilés, forts de leur expérience, entendent maintenant la parole de Jérémie proclamée par Baruch, les habitants de Jérusalem semblent ne pas l’avoir entendue. Les Lamentations, en effet, reviennent sur la ville désertée par ses habitants (voir le préambule Lm LXX).

Encore une fois, la transition géographique entre la fin de Ba et le début de Lm est lisse, car la version grecque de Lm s’ouvre sur un préambule, absent de l’hébreu, qui situe clairement l’action à Jérusalem, là où le livret envoyé par les exilés avait déjà ramené le lecteur. C’est face à la ville sainte qu’il retrouve maintenant Jérémie, assis en pleurs . Mais si géographiquement la transition est lisse, le lecteur est une fois encore confronté à un flash-back d’au moins cinq ans par rapport aux faits évoqués en Ba, et qui semble situer l’action au moment précis de la prise de la ville et de l’exil de ses habitants (Jr 52). À ce moment-là, constatant la réalisation du malheur qu’il a annoncé pendant bien longtemps sans réussir à ramener le peuple à l’alliance, le prophète n’a plus d’autre ressource que de s’asseoir et de pleurer. Et dans ses larmes, il se lamente sur la ville et ses habitants. De ce point de vue, le contraste avec Ba est saisissant : là c’était les exilés ensemble qui confessaient leur faute en signe de conversion, ici c’est le prophète seul qui constate la débâcle et qui se lamente. Ce contraste est doublé du parallèle qui est construit entre la ville et le prophète : la ville, veuve et déserte (Lm 1,1) est trahie, bannie par ceux qui étaient ses amis (Lm 1,2). Elle n’a plus que ses larmes pour pleurer et gémir encore sur son sort et celui de ses enfants. Placé sous le patronage de l’autorité du prophète d’Anathot, Lm met en scène un « serviteur souffrant », qui porte le deuil et de la ville, et de ses habitants. Cette mise en scène fait de lui comme l’incarnation de ceux-ci , une personnification qui donne une voix à leurs plaintes et à leurs supplications respectives en « je » ou en « nous ».

Ce lien étroit entre le prophète et la ville (le sort de l’un étant clairement lié au sort de l’autre) est également présent en Jr, même si dans ce livre leurs sorts apparaissaient plutôt inversés . Mais Lm montre, s’il le fallait encore, d’une part comment le Seigneur veille à la réalisation de ses paroles (voir Jr 1,11-12 et Lm 1,14, avec une correspondance absente en hébreu), et d’autre part que la destruction sur laquelle Jérusalem et Jérémie se lamentent maintenant est le résultat des agissements des contemporains du prophète, une épreuve face à laquelle il faudra réagir  Reste à savoir comment. Car l’exil dont a parlé Ba et face auquel la réaction a été positive, semble n’être que la partie visible de l’iceberg. La destruction et la lamentation qui s’ensuit reprend des thèmes déjà bien présents en Jr : si le peuple est exilé et la ville abandonnée, c’est à cause de leur impiété (Lm 1,14, voir par exemple Jr 5,6 ; 6,7), parce que le peuple s’est tourné vers ses amants trompeurs (Lm 1,19, voir notamment Jr 4,29-31), parce que les prophètes qu’il a écouté n’ont pas « dévoilé [son] injustice » (Lm 2,14, voir entre autres Jr 23,16-22) et qu’il s’est tourné vers les nations en espérant trouver chez elles le salut (Lm 4,18, voir Jr 49-50), autre preuve d’idolâtrie. Ainsi l’exil extérieur n’est que la face visible du véritable exil dans lequel le peuple s’est engouffré, un exil intérieur, duquel le retour au Seigneur est la seule voie de sortie. Mais pour cela, il faut combattre la cause de l’exil, à savoir l’idolâtrie qui persiste dangereusement et sournoisement. Est-ce dès lors étonnant que la plaidoirie qui clôt l’ensemble jérémien revienne sur cette question qui touche tout humain et qui, pour cette raison, n’est jamais réglée définitivement ?

https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2016-4-page-599.htm
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeJeu 09 Fév 2023, 12:49

Article instructif sur l'enchaînement traditionnel (= celui des principaux codices, Vaticanus et Alexandrinus en l'occurrence parmi les plus anciens) des textes "jérémiens" de la Septante (Jérémie / Baruch / Lamentations / Lettre de Jérémie) -- et par extension sur les "deutérocanoniques", quoique l'ordre ne soit généralement pas le même dans les bibles catholiques qui suivent la Vulgate (Jérémie [d'après l'hébreu !] / Lamentations [idem] / Baruch / Lettre = Baruch 6). C'est toujours utile pour ceux qui, comme moi, ont surtout pratiqué "la Bible" dans le canon protestant (dont l'AT est identique à la Bible hébraïque, dans un ordre différent) et restent moins familiers de ces textes-là, même quand ils les ont lus plus d'une fois...

Pour rendre compréhensible au moins le premier paragraphe de l'article, il faut rappeler que la "version longue" de Jérémie correspond au texte hébreu massorétique, celui que suivent la plupart de nos traductions (y compris donc les catholiques): le texte de la Septante se présente non seulement dans un ordre différent mais il est nettement plus court, et il reflète probablement un texte hébreu plus ancien, dont on a aussi retrouvé des fragments parmi les manuscrits de la mer Morte. C'est dire en tout cas que la rédaction du livre de Jérémie s'est poursuivie sur une longue période, en hébreu comme en grec, en Judée et dans la diaspora, de manière partiellement indépendante pour en arriver à des "éditions" irréductibles l'une à l'autre, avec toutefois des contacts favorisant des "mises à jour" au moins implicites (ainsi pour l'évocation, dans les "supppléments" grecs, d'éléments narratifs propres au texte hébreu [pré-]massorétique).

Nombre de remarques concernant les Lamentations (hormis le préambule de la Septante qui les attribue -- du moins la première -- à Jérémie) restent cependant tout à fait valables pour le texte hébreu -- à ceci près que la première personne du singulier y représente un locuteur anonyme (comme le "serviteur souffrant" du deutéro-Isaïe pour le coup, sauf que celui-ci est évoqué à la troisième personne et au passé, et qu'il est apparemment le seul à souffrir, pour d'autres).

---

A la réflexion, le titre que tu as choisi d'après C. Frevel, "foi brisée", me paraît très intéressant -- bien que "la foi" ne soit pas conceptualisée ni thématisée dans l'hébreu biblique, pas plus dans les Lamentations qu'ailleurs, comme elle l'est dans le grec du NT. Si on ne s'arrête pas sur ce point précis, on voit en effet apparaître un vaste champ lexical qui évoque le croire, la confiance, l'espérance, l'assurance brutalement déçus (cf. p. ex. 3,18; 4,12.20) et, plus discrètement, la possibilité de renouveau (3,21ss). L'impression que j'en tire est que la "foi brisée" était une confiance globale et implicite en un tout (le dieu, le temple, le roi, les conseillers, les prêtres, les offrandes, les prières, les prophètes, les nazirs, les anciens, les sages, les guerriers, les alliés) qui faisait corps, monde ou système, et qui s'est effondré comme un château de cartes, obligeant ladite "foi" à s'analyser et à s'interroger rétrospectivement, en particulier sur ce que valaient ses différents "objets" (on voit ainsi d'anciens objets de confiance, prêtres, prophètes notamment, devenir dans les mêmes poèmes des causes du malheur); enfin à se replier sur un "objet" qui n'en est plus vraiment un: beaucoup moins évident ou moins monumental en tout cas, incertain et insaisissable sinon tout à fait inconcevable. De ce point de vue le sous-titre de Frevel, "naissance de la théologie", me paraît aussi pertinent, bien que j'ignore comment il a développé son thème. C'est parfois quand la "religion", le "culte" ou la "culture" qui allaient de soi dans une société ou un milieu donnés sont irrémédiablement perdus que commence la pensée, sur un mode plus solitaire, fragile et hésitant, interrogatif plutôt qu'affirmatif ou négatif, où le dieu même, s'il en reste ou s'il en paraît un, relève plus de la question que de la réponse, et même plus du silence que de la question. Théologie ou mystique (au moins dans un sens de ce mot malheureusement tiré dans tous les sens) ?
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeMar 14 Fév 2023, 15:51

Citation :
De ce point de vue le sous-titre de Frevel, "naissance de la théologie", me paraît aussi pertinent, bien que j'ignore comment il a développé son thème. C'est parfois quand la "religion", le "culte" ou la "culture" qui allaient de soi dans une société ou un milieu donnés sont irrémédiablement perdus que commence la pensée, sur un mode plus solitaire, fragile et hésitant, interrogatif plutôt qu'affirmatif ou négatif, où le dieu même, s'il en reste ou s'il en paraît un, relève plus de la question que de la réponse, et même plus du silence que de la question. Théologie ou mystique (au moins dans un sens de ce mot malheureusement tiré dans tous les sens) ?

Merci pour cette très belle analyse. C'est (peut-être) dans l'abandon, la déception (sentimentale) et la souffrance, que l'artiste crée ses plus belles œuvres, tout comme le croyant peut dans ces moments produire le meilleur. Dieu peut également offrir le meilleur après avoir écrasé son peuple, Dieu peut dépasser le "contrat" écrit ou l'alliance qui engage son peuple vis-à-vis de lui et manifester sa compassion malgré le non respect de l'alliance.  


Voici à quoi je réfléchis, voici pourquoi j'attends :
C'est que la fidélité du SEIGNEUR n'est pas épuisée, que sa compassion n'est pas à son terme ;
elle se renouvelle chaque matin. Grande est ta constance !
J'ai dit : Le SEIGNEUR est ma part ; c'est pourquoi je l'attends.
Le SEIGNEUR est bon pour qui met en lui son espérance, pour celui qui le cherche.
Il est bon d'attendre en silence le salut du SEIGNEUR.
Il est bon pour l'homme de porter le joug dans sa jeunesse.
Qu'il s'assoie solitaire et silencieux, car c'est ce qui lui est imposé ;
qu'il mette sa bouche dans la poussière : peut-être y a-t-il de l'espoir !
Qu'il tende la joue à celui qui le frappe, qu'il soit rassasié d'outrages.
Car le Seigneur ne rejette pas pour toujours.
Mais, lorsqu'il cause du chagrin, il a compassion selon sa grande fidélité ;
car ce n'est pas volontiers qu'il afflige les humains et qu'il leur cause du chagrin.
Quand on écrase sous ses pieds tous les prisonniers d'un pays,
quand on porte atteinte au droit d'un homme à la face du Très-Haut,
quand on maltraite l'homme dans son procès, le Seigneur ne le voit-il pas ?
Qui n'a qu'à dire pour que la chose soit ? N'est-ce pas le Seigneur qui ordonne ?
N'est-ce pas de la bouche du Très-Haut que sortent les malheurs comme le bonheur
(3,21-38)

Un homme témoigne (chap.3). Il se présente lui-même comme un homme d’autorité : 

Les v 1-17 présentent un Dieu impitoyable qui s’acharne sur moi, donc sur ce peuple de Juda, un Dieu semblable à un ours ou un lion en embuscade, qui me vise avec son arc, qui ne cherche que la mort de l’homme, un Dieu totalement inaccessible, un Dieu destructeur de l’homme. A quoi sert-il de prier dans ces conditions, demanderions nous ? Le croyant qui écrit ces lignes ne se pose pas ce genre de question ; il constate : J’ai beau crier et implorer son secours, il ne laisse pas accès à ma prière (v Cool. Il en a conscience et il risque de tomber dans le désespoir : Je n’ai plus d’espérance en l’Eternel (v 17-18). Et pourtant, il continue à croire et à accepter, parce qu’il sait que la situation dans laquelle il vit ne mérite pas mieux.

3 : 19-33 : il y a pourtant une espérance, une attente du salut. Qui est Celui qui a dit (ordonné), et cela a existé ? N’est-ce pas le Seigneur qui l’a commandé ? (3 :37) (cf. Gn 1 :5 ; Ps 33 :9). La miséricorde ou la compassion (3 :22,32) ne dépend que de Dieu et non d’un contrat Dieu-homme comme dans l’alliance. Dieu dépasse l’Alliance, même si elle est violée. C’est un acte unilatéral, inattendu, un miracle. Les v 21-32 sont d’une profondeur spirituelle extraordinaire : soumission, silence, attente, espérance malgré la punition divine ; on est transporté dans le Sermon sur la montagne (Mt 5 :39 par ex.).

3 :33-36. Les fils d’homme ce sont les gens du peuple, mais des hommes capables de choisir, (notamment dans le cadre du mariage). Eh bien, Dieu aime ces hommes-là ; il ne prend pas plaisir à les faire souffrir, mais il voit toutes leurs injustices. 

3 :37-38. De la bouche du Très-Haut, ne sortent-ils pas les malheurs et le bonheur ? Dieu est l’auteur du bien et du mal (cf. Jb 1 :21 ; Qo 7 :14). Dieu est Tout-puissant et universel ; il n’y a donc pas de place pour un dualisme ou le hasard (Es 45 :7). Calvin dira avec une pleine conviction que nous devons tenir pour certain que c’est par son juste décret et prévoyance que tout ce que nos ennemis attentent contre nous est permis, voire ordonné36. Un peu plus tard, la foi juive n’acceptera plus ce double rôle ; c’est alors qu’apparaitra une puissance mauvaise que Job lui-même ne confesse pas, mais qui encadre son livre : Satan (Jb 1-2). On remarque facilement la forme sapientiale de telles affirmations rappelant les Proverbes et Qohèleth.

https://www.reformes.ch/sites/default/files/data/documents/blogs/Gabriel_Leuenberger/17_Les_5_ROULEAUX_DE_LA_BIBLE.pdf
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeMar 14 Fév 2023, 19:13

Commentaire sommaire mais de qualité, auquel on pourra se reporter aussi dans d'autres fils de discussion, puisqu'il ne traite pas seulement les Lamentations, mais l'ensemble des Megilloth (les cinq "Rouleaux" rassemblés dans l'ordre de la Bible hébraïque ou TaNaK, comme un sous-ensemble des Ketouvim ou Ecrits, Ruth-Cantique-Qohéleth-Lamentations-Esther).

Je ne reviens pas sur l'"alliance" qui me semble hors sujet dans les Lamentations (cf. notamment supra 30.1.2023).

Je pense par ailleurs que le rejet ou la négation du "dualisme" présuppose un certain "dualisme" -- peut-être pas aussi systématique que l'est devenu au fil des siècles le zoroastrisme perse, qui a beaucoup influencé, pendant toute la période du Second Temple, certains milieux juifs (y compris à retardement, à l'époque hellénistique et romaine: pharisiens, Qoumrân, etc.). Il faut déjà avoir conçu le monde (l'histoire, la réalité, la vie, l'être) sous les espèces dominantes du "bien" et du "mal" (bon / mauvais, lumière / ténèbres, etc.) pour attribuer explicitement les deux pôles au même d/Dieu (deutéro-Isaïe, prologue de Job où le "satan" n'est pas encore un ennemi de Yahvé, Qohéleth, Lamentations 3); le "monothéisme absolu" s'oppose au dualisme en le surmontant, il n'a pas l'innocence du polythéisme antérieur, pour qui le "bon" et le "mauvais" ne sont que des qualificatifs parmi beaucoup d'autres, nullement deux "principes" qui gouvernent ou totalisent le monde et l'histoire comme un affrontement binaire auquel rien ni personne n'échappe (avec tout ce qui s'ensuit, angélologie, démonologie, eschatologie, messianisme et antimessianisme). Le dualisme contamine même les anti-dualistes, et c'est encore une façon dualiste de le dire (puisqu'on fait de l'antithèse du "bien" et du "mal" un "mal"; mais le récit de l'Eden en fait à peu près autant).

La contradiction (paradoxe, aporie) de l'espérance perdue (3,17) qui débouche encore sur de l'espérance (v. 21, 24, 26) est d'autant plus remarquable que l'hébreu utilise toujours la même racine (yhl, qui se traduit aussi bien par "attendre" que par "espérer" -- comme esperar en espagnol ou en portugais d'ailleurs) -- la Septante en revanche la rend tantôt par elpis ("espérance", v. 17), tantôt par hupo-menô, "endurer, patienter", proprement "demeurer dessous" (v. 21, 26: les v. 22-24 ont été omis ou la traduction en a été perdue)... On repense à la formule paulinienne de Romains 4,18, par'elpida ep'elpidi, qui caractérise la "foi" (pistis) d'Abraham: contre l'espérance sur (ou par) l'espérance, ce qu'on traduit habituellement "espérer contre (toute) espérance". Ou à celle d'Héraclite: ἐὰν μὴ ἔλπηται, ἀνέλπιστον οὐκ ἐξευρήσει, ἀνεξερεύνητον ἐὸν καὶ ἄπορον: sans l'espérance, tu ne trouveras pas l'inespéré, qui est introuvable et inaccessible (aporon, d'où "aporie").
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeMer 15 Fév 2023, 11:51

Élie Wiesel : Il n’y a de foi entière que brisée

Onzième commandement

Élie Wiesel (1928-2016) a parlé, parce qu’il n’a pas pu se taire. Élie Wiesel a parlé parce qu’il a entendu l’injonction d’Emil Fackenheim (1916-2003) qui a ajouté un onzième commandement aux dix paroles : « Tu choisiras la vie après Auschwitz. » Dans son livre Penser après Auschwitz, il a écrit que parce que les nazis ont voulu éradiquer le judaïsme, « il est interdit aux juifs de donner à Hitler des victoires posthumes. Il leur est prescrit de survivre comme juifs, de peur que périsse le peuple juif. Il leur est demandé de se souvenir des victimes d’Auschwitz de peur que périsse leur mémoire… » Alors Wiesel a parlé de Dieu, en citant souvent la parole de rabbin Nahman de Bratslav (1772-1810) : « Il n’y a de foi entière qu’une foi brisée. » Dans une interview au Monde, il confessait : « Pour moi, le problème n’est pas la non-existence de Dieu, mais justement l’existence de Dieu. Si Dieu n’existe pas, alors il n’y a plus de question. Je suis parfois pour Dieu, souvent contre Dieu, mais jamais sans lui. » Entre la foi de l’enfant qu’il était et l’athéisme de ses bourreaux, il a choisi la première. Parce que dans les ghettos, il y a eu des mariages et des circoncisions, parce qu’il y a eu des épousailles et des promesses dans les camps… Ne pas revendiquer l’espérance serait mentir à ces martyrs.

Réponse chrétienne

Parce que Élie Wiesel a parlé, nous le pouvons. Parce qu’il a continué à croire, la foi reste possible. Mais que dire sur Auschwitz, alors qu’il n’a cessé de répéter que les mots ne sont pas possibles ? La seule réponse adéquate est celle de François Mauriac (1885-1970) lorsqu’il lui a présenté le manuscrit de son livre de témoignages, La Nuit. Ce dernier a commencé à lui parler du Christ, de sa passion et de sa messianité. Le jeune Wiesel a répondu : « Vous parlez du Christ, Maître. Les chrétiens aiment en parler. La Passion du Christ, l’agonie du Christ, la mort du Christ. Dans votre religion, il ne s’agit que de cela. Eh bien, sachez qu’il y a dix ans, pas trop loin d’ici, j’ai connu des enfants juifs dont chacun avait souffert mille fois plus, six millions de fois plus que le Christ sur la croix. Et nous n’en parlons pas. Pouvez-vous comprendre cela, Maître ? Nous n’en parlons pas. » Puis, il est parti sans dire au revoir. Sur le palier, alors qu’il attendait l’ascenseur, son hôte le rattrapa, le prit par le bras et le pria de revenir. Ils se sont assis l’un en face de l’autre… et François Mauriac s’est mis à pleurer, sans chercher à retenir ses larmes, pendant longtemps.

Après avoir raconté cet épisode, Fadiey Lovsky (1914-2015) conclut : « Devant la Shoah, le théologien doit recevoir d’abord le silence. Je ne dis pas garder le silence, mais le recevoir… Les larmes de François Mauriac furent un événement considérable pour la réflexion théologique et pour la repentance de l’Église… Comment ne pas discerner dans ces larmes, un avertissement et un signe pour la théologie ? »

https://www.reforme.net/monde/2016/07/07/journal-reforme-numero-publication-elie-wiesel-y-a-foi-entiere-brisee/
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MessageSujet: Re: Foi brisée - Lamentations de Jérémie   Foi brisée - Lamentations de Jérémie Icon_minitimeMer 15 Fév 2023, 13:38

La formule "la foi brisée" serait donc, non de Wiesel, mais de rabbi Nahman de Bratslav: je ne la retrouve pas dans l'article de Wikipedia qui lui est consacré, ni associée à son nom ailleurs sur Internet (la formule est peut-être de Wiesel en fin de compte), mais il y en a beaucoup d'autres du même genre et qui s'inspirent directement des Lamentations.

Toutes ces réflexions sur la mémoire me laissent perplexe: hier en parlant d'espérance et d'attente je pensais au titre du beau mais déconcertant livre de Blanchot, L'attente(,) l'oubli (avec ou sans virgule selon les éditions). Personne (sauf Dieu ?) ne se souviendra de six millions, de huit ou de x milliards de noms, de visages, de voix, d'expressions, de gestes de joie ou de souffrance -- pour ne rien dire de tout le "non-humain"; on peut toujours écrire et lire à haute voix, y ajouter des photos, des enregistrements ou des films, mais même la vidéo omniprésente et permanente n'y changerait rien: à la limite il n'y aurait plus personne pour voir ni pour être vu, sinon le spectacle d'un monde figé dans l'absorption et la saturation de son propre spectacle en temps réel -- sans espace ni temps pour l'avenir, l'espérance ou l'attente, ni pour le passé, pour tous ceux dont les noms auraient déjà été effacés et qui seraient d'autant plus oubliés qu'il n'y aurait pas non plus de place pour les imaginer ou les inventer, par la création et la fiction.

Paradoxalement, cette nécrologie quasi hagiographique rapporte aussi (dans la portion que tu as sautée) la légende des justes qui doivent rester méconnus, et dont on pourrait tirer une leçon contraire sur les limites de la mémoire et la nécessité de l'oubli, plus juste en fin de compte que toute mémoire; étant entendu que l'oubli même passe par la mémoire, par la trace et par l'effacement de la trace. L'espérance, ou l'attente, passe aussi par l'oubli (cf. Lamentations 3,17ss).

A propos des Lamentations, on ne soulignera jamais assez que c'est une écriture, poétique de surcroit, une "création" ou un "faire" de "facture" ou de "façon" (poièsis) "artistique" (teknnè, ars), composée avec un grand souci de la forme littéraire et littérale, alphabétique, triplement pour la troisième, la plus apparemment "personnelle" (je suis l'homme, 'ani commençant par 'aleph) et pathétique pourtant: ce "formalisme" pourrait paraître très éloigné du cri de souffrance et de la plainte spontanée. Le devenir de la mémoire et de la souffrance passe par le travail ou le jeu de l'écriture où tout "auteur", même s'il n'est pas anonyme (ici il l'est) se perd, et s'assimile aux sentiments de tout le monde, de ceux qu'il évoque au passé ou au présent, en les ayant connus ou en les inventant; et à ceux du lecteur ou du récitant qui s'appropriera tout naturellement son "je" et son texte, fût-il traduit dans une tout autre langue et un tout autre monde. Ce mystère de l'écriture, même oubliée, effacée, perdue, n'est peut-être qu'une autre facette de ce(lui) qu'on appelle mémoire, oubli, être ou temps.
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