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 justice(s) ?

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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 27 Jan 2022, 13:35

Pratiquer la justice sociale ou s’effondrer
L’actualité du message d’Amos (Am 5,7-13 ; 6,12)


Dès lors, nous comprenons pourquoi Amos présente les crimes contre la justice comme des pešā‘îm (Am 2,6 ; 3,14 ; 5,12), c’est-à-dire, des actes de rébellion contre Dieu créateur. En effet, en instaurant le désordre dans le règne de sa création, les auteurs des exactions énumérées en Am 5,7.10-12 et de celles dénoncées dans les autres oracles du livre (Am 2,6-8 ; 3,9-10 ; 4,1 ; 6,4-6 ; 8,4-6) s’opposent à Dieu ou entrent en sédition contre Celui qui s’attelle constamment à maintenir un ordre juste et harmonieux dans l’univers. En conséquence, toute situation d’injustice devient indubitablement une atteinte au projet créateur parce qu’elle instaure la confusion au sein de la création. En définitive, Am 5,7-13 révèle que les injustices sont des actes de « dé-création » (Bovati et Meynet 1994, 173). Elles font retourner la société au chaos.


L’analyse d’Am 5,7-13 nous donne à voir que les injustices sont des facteurs de ruine, qui entraînent l’anéantissement des coupables avec tout ce qu’ils ont acquis et bâti (Am 3,15 ; 5,11). Il résulte de cette observation que toute société dont les habitants canonisent les injustices comme moyens de gain, s’engage dans un processus de désagrégation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Amos pleure la ruine d’Israël comme si elle avait déjà eu lieu (Am 5,1-3) ou présente sa chute comme imparable (Am 5,16-20). C’est aussi pourquoi il invite de façon pressante les auteurs d’injustices à rechercher Dieu en rétablissant la justice au tribunal afin de vivre (5,4.14-15). Infestée d’injustices, Israël apparaît à ses yeux comme une société déjà morte (Am 4,1-3 ; 5,16 ; 8,3). C’est encore pourquoi Amos affirme — contrairement aux autorités politiques et aux fortunés qui se croient en paix et appellent de tous leurs vœux la venue du jour du Seigneur (Am 5,18 ; 6,1.3) — que l’homme avisé se tait (Am 7,13) ; lui, perçoit un avenir très sombre (Am 5,16-20 ; 6,3.7-11). C’est enfin pourquoi, plus loin, il incite instamment les coupables à faire jaillir le droit comme de l’eau et la justice comme un torrent intarissable (Am 5,24). L’une des maximes à tirer de la critique sociale d’Amos, laquelle a justement déjà été relevée sous une autre forme par Bons, est la suivante : Israël et, par-delà, aucune société ne peut survivre sans que l’agir de ses habitants soit commandé par deux valeurs essentielles, à savoir, le droit et la justice[24]. Aussi, comme les coupables d’Am 5,7-13, toutes les personnes qui, dans leurs choix politiques et économiques, ne se laissent pas guider par ces deux valeurs mais les bafouent pour s’enrichir, tirent leur société vers un chaos de dimension cosmique. Ce message, qui trouve un très large écho et son prolongement dans la prédication d’autres prophètes successeurs d’Amos — tels que Osée (Os 8,7), Agée (Ag 1,6), Sophonie (So 1,13) et surtout Isaïe (Is 5,11-3) et Michée (Mi 3,1-4 ; 6,15) —, laisse présumer que les acteurs d’injustices seraient en réalité comparables à des insensés, posant des actes qui entraîneront leur propre destruction (Am 5,11.16-20). Cette dimension du message d’Amos sera mise en exergue dans l’analyse d’Am 6,12 que nous présentons dans les lignes suivantes.


https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2016-v24-n1-theologi03584/1044737ar/
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 27 Jan 2022, 15:08

Je renverrais au tout début de ce fil (Anaximandre, etc.): c'est toujours par une évidence à courte vue qu'on oppose "création" (construction, ordre, etc.) et "destruction" (désagrégation, chaos, etc.), et a fortiori qu'on associe la "justice" à un seul de ces deux "pôles": la création est destructrice, la destruction est créatrice, la "justice" est à la fois l'une et l'autre, on n'a jamais affaire qu'à des "aspects" ou à des "moments" d'un même mouvement. Même dans Amos l'"oeuvre" du dieu est aussi "destructrice" que "créatrice" (au sens de la creatio continua, cf. le "présent" des participes). Ce n'est certes pas une raison pour ne pas "prendre parti", chaque moment d'"injustice" ou de déséquilibre dans le mouvement général invitant au contraire à être aussi partial, partiel et partisan que nécessaire ou possible; mais on l'est d'autant plus intelligemment (sinon plus efficacement) qu'on ne s'imagine pas avoir mis une fois pour toutes "Dieu" ou "la justice", l'un, le tout ou l'"histoire", bref le mouvement même de son côté...
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 28 Jan 2022, 14:57

"Si une affaire de meurtre, de coups et blessures, ou autre conflit est trop difficile pour ton village, tu la présenteras au lieu que le Seigneur aura choisi. Les prêtres-lévites et le juge en fonction à ce moment-là t'indiqueront comment juger l'affaire. Tu appliqueras la sentence qu'ils te communiqueront, en suivant exactement les directives reçues. Tu ne t'écarteras pas des directives et des instructions qui te seront transmises. Si quelqu'un, dans son orgueil, agit sans tenir compte des directives du prêtre qui y sert le Seigneur ton Dieu, ou de celles du juge, il sera mis à mort. Tu feras ainsi disparaître le mal du milieu d'Israël. Tout le peuple sera dans la crainte en apprenant ce qui s'est passé, et plus personne n'osera agir avec un tel orgueil" (Dt 17,8-13).


Comment la Bible parle-t-elle des normes ?

La formule « droit et justice » tient lieu d’outil de repérage pour le discours prophétique, pour pointer du doigt et critiquer des attitudes et des situations inacceptables. Mais la parole prophétique n’est pas seulement et uniquement critique : à travers la dénonciation, elle tente aussi d’indiquer un chemin, un possible avenir. Parce que sa puissance aura été reconnue par le législateur, la formule va se retrouver aussi dans la loi. Et notamment dans la loi qui concerne les juges, dans le Code du Deutéronome (Dt 16,18-17,13). Le premier paragraphe met en place les juges dans chaque ville (16,18-20), en s’appuyant sur la formule « droit et justice ». La formule aide à définir la fonction judiciaire : littéralement, « ils jugeront le peuple avec droit et justice » ; puis elle est décomposée en « droit » et « justice » pour encadrer les modalités éthiques de la pratique du juge. Après cette mise en place, la loi institue la procédure judiciaire (17,2-7), et le recours au lieu central (entendons Jérusalem) pour y acquérir un savoir du droit (17,8-13). Deux institutions nécessaires pour assurer que la pratique du juge – et tout particulièrement la décision qui caractérise sa responsabilité – soit cohérente avec ce que vise l’expression « droit et justice ».

Cette loi est rédigée, selon le style du Deutéronome, en « tu », comme s’il s’agissait d’un discours adressé ; adressé aux juges, sans doute, mais aussi à tout le peuple, à tout un chacun dans le peuple ; la fonction du juge ne dispense personne dans le peuple de « chercher la justice, rien que la justice » (16,20), c’est-à-dire de s’appliquer à ce qu’indique la formule « droit et justice ». La responsabilité de chacun ainsi mise en évidence constitue une nouveauté, qui apparaît du fait que le Deutéronome s’efforce de faire émerger un droit public, si l’on peut dire, et de le dégager en partie d’un droit de type coutumier, essentiellement casuistique. Un tel mouvement souligne combien la décision du juge est cruciale. Car juger ne consiste pas uniquement à appliquer une loi ou une norme préexistante, la décision de justice a aussi pour effet de configurer la loi ou la norme. Il n’existe pas de rapport interne qui permette de faire découler immédiatement l’application de la loi de la loi elle-même ; la décision du juge, et de tout un chacun, vaudra selon son adéquation à la formule « droit et justice ».

Dira-t-on alors que l’expression « droit et justice » constitue une norme ? À tout le moins une « équerre », au vu de l’usage qui en est fait par les prophètes du viii e siècle pour critiquer et reconstruire. Mais que vise la formule ? Elle pose l’idéal d’un accord entre le droit d’une part, et la justice d’autre part, si tant est que, aux yeux des prophètes, le droit et la loi qu’ils voient à l’œuvre ne fonctionnent pas en faveur de la justice. « Droit » renvoie à la régulation juridique ou légale de la société, « justice » à une qualité des rapports dans la société, et notamment la visée de donner à chacun les moyens d’une place reconnue. Comment le caractère possiblement normatif de la formule apparaît-il ? La formule apparaît comme une parole dans le social, qui pointe un enjeu majeur, mais elle reste une parole qui n’est pas explicitée, expliquée, ni justifiée, simplement utilisée pour son effectivité à provoquer des transformations : elle entrera dans l’énoncé de la loi. À défaut d’être une norme, le caractère normatif de l’expression « droit et justice » est clair.

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2018-4-page-75.htm
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 28 Jan 2022, 15:47

Etrange méthode, qui aurait le mérite d'illustrer l'étrangeté de la méthode en général: on peut choisir un mot (ici "norme") et en définir le concept, pour s'en servir ensuite comme opérateur dans n'importe quel "champ" (ici le corpus "biblique"), on finira toujours par trouver quelque chose qui ressemble à ce qu'on cherche -- peu importe en l'occurrence que le mot "norme" ne se trouve guère dans les traductions bibliques, puisque bon nombre de mots (torah et ses synonymes, çedaqa et ses synonymes qui se recouvrent en partie) pourraient aussi bien être traduits par "norme(s)". Bref, dès lors qu'on conçoit la "norme", il y a de la "norme", dans "la Bible" comme ailleurs mais toujours un peu autrement.

Deutéronome 17 me semble être un mélange rédactionnel de pas mal de choses: dans la "parole de jugement" (dbr-mšpt) des prêtres-lévites il y a comme un vestige du sens ancien de la torah comme instruction ou oracle sacerdotal; le "juge" fait à la fois référence à la fonction des juges locaux (non d'un seul juge central, cf. Exode 18) et au "juge" unique (au moins en son temps et en son lieu) présumé par le livre des "Juges" avant la royauté (mais ce "juge"-là "juge" très peu, il est plutôt guerrier; en revanche le "roi", évoqué aussi dans le même contexte, "juge" autant qu'il gouverne ou fait la guerre, cf. David et Salomon).

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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 28 Jan 2022, 17:35

La justice comme vertu 

Dans la philosophie morale antique, la justice est essentiellement une vertu.

Dès les premiers temps de la démocratie athénienne, la justice est considérée comme une nécessité qui participe de l’ordre de l’univers et non seulement de l’homme. Elle y est vue comme une harmonie, comme un principe de concorde et comme une vertu partagée. C'est même la vertu principale, celle qui engendre toutes les autres. Le transgresseur outrepasse donc son rôle dans l'univers et crée un déséquilibre, en premier lieu dans la Cité, lieu de l'organisation humaine à l'image de celle du Cosmos.

Platon et Aristote
 
Les sophistes seront les premiers à briser cette union en affirmant que les lois sont artificielles, qu’elles n’existent que pour assurer la conservation de la communauté et la satisfaction de ses intérêts. Leur conception de la justice comme instrument de pouvoir sera critiquée par Socrate, dans une opposition qui reparaîtra tout au long de l'histoire.

Selon Socrate (dont l'enseignement a été transmis par Platon), la justice peut être comparée à la médecine qui préserve la santé du corps. Cette métaphore, reprise maintes fois par la philosophie grecque puis romaine, assimile le corps social au corps biologique. La justice est alors la préservation de la santé de la société, la vertu par excellence, étroitement liée à un autre concept idéal : l’éducation des citoyens. Si la polis (c'est-à-dire le bon gouvernement de la Cité) en est la condition, la justice est avant tout une qualité individuelle : Il s'agit en effet d'une disposition de l’âme, d'une vertu sans laquelle la société ne saurait être juste.

Dans La République, dialogue sous-titré « De la justice », Platon établit un parallèle entre justice de l’âme et justice politique par lequel le microcosme (l'homme et ses vertus) est en phase avec le macrocosme (le cosmos et la Cité), ordonné et harmonieux. L'idée de justice, qui permet le maintien de l'ordre, procède de ce parallèle. Dans la société, la justice platonicienne repose sur l'équilibre de trois parties sociales décrites dans La République : les philosophes qui dirigent la Cité, les guerriers qui la défendent et les artisans qui veillent à sa prospérité. Mais elle est aussi un état de faiblesse lorsqu'on la réclame : dans Gorgias, il est dit que les esclaves, en réclamant justice, expriment par là même leur condition inférieure. Finalement, « Il s'agit pour Platon, dans sa réflexion sur la justice, de sortir d'une simple logique de la rétribution - c'est-à-dire, au fond, de sortir d'une simple logique morale ».

On doit à Aristote une distinction essentielle entre deux aspects de la notion de justice : une justice relative, individuelle, qui dépend d'autrui et une justice globale et communautaire. La première est une vertu ; la seconde concerne les lois et la constitution politique et relève de la raison. Cette distinction se maintiendra dans la tradition occidentale jusqu'à la Théorie de la justice de John Rawls, un ouvrage qui présente la justice comme un refus de prendre plus que ce qui nous est dû. D'idéale, la justice devient ainsi politique. Aristote dit de la diké (« justice » en grec) qu'elle est l'ordre objectif de la communauté politique. Dans le livre V de son ouvrage fondateur l'Éthique à Nicomaque, il distingue l'injuste du juste par le fait que ce dernier est « ce qui produit et conserve le bonheur et ses parties pour la communauté politique ».

Aristote ne se contente pas de reprendre l'idée de Platon selon laquelle la justice est la vertu principale. Pour lui : « La vertu de justice est la vertu par laquelle l'être humain accomplit sa finalité éthique ». Au contraire de Platon, il fait dépendre cette vertu d'une situation et, en conséquence, d'éléments extérieurs à l'action de l'homme vertueux. Si pour Platon la justice consiste à donner à chaque partie (et à chaque homme) la place qui lui revient dans le tout, pour Aristote elle consiste à conformer nos actions aux lois afin de conserver le bonheur pour la communauté politique: « le juste est le bien politique, à savoir l'avantage commun ».

http://www.le-cercle-solon.fr/413845606
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 28 Jan 2022, 20:28

On en oublierait presque que ni Platon ni Aristote n'étaient "démocrates", pas même au sens de la démocratie athénienne qui excluait (de la délibération et de la décision de l'ekklèsia) les femmes, les esclaves et les résidents étrangers (le mot "métèque" vient de met-oikos, l'immigré même s'il est Grec et non "barbare", un peu comme le forastero espagnol, ou comme M. Brun est un "estranger" à Marseille). Aristote y est certes moins hostile que Platon, il est surtout plus nuancé en distinguant différentes espèces de "démocratie", et son propre "idéal" de politeia est une sorte de "démocratie aristocratique", en plus d'un sens "qualifiée". C'est précisément la "vertu" (arètè), plus que la naissance ou la richesse (bien que tout cela soit lié par l'éducation, paideia), qui fait l'"aristocrate" (à peu près tout le monde est d'accord là-dessus jusqu'aux "Lumières" incluses): la "justice" comme "vertu" n'est justement pas ce qu'on peut attendre ou exiger de tous. Enfin et surtout, il ne faudrait pas perdre de vue que quand les Grecs parlent de cité (polis, d'où "politique", qui est aussi le titre grec du livre de Platon traduit d'après le latin res publica par La République -- outre la "police" ou la "politesse"), ils parlent bien d'une ville, d'une cité-Etat (y compris comme "métropole d'empire") et non d'un Etat-nation rassemblant indistinctement des millions de gens d'origines, de cultures et de langues diverses sur un territoire immense qui n'a plus de réalité que cartographique (c'est encore vrai pour Rousseau qui, quand il parle politique, pense surtout à Genève, et il ne manque pas de le rappeler). Bref, il y a beaucoup de différences dont il faudrait tenir compte quand on mobilise des textes antiques, médiévaux ou même du début de l'"époque moderne" dans un débat "politique" contemporain, ce qui n'empêche pas qu'on puisse s'en inspirer pour repérer les vices et les faiblesses de nos "démocraties".

A l'irréel anachronique du passé et du présent réunis, on peut toujours se demander ce que les Grecs auraient pensé d'une organisation "politique" et "démocratique" qui fait voter ou tente de faire voter des millions d'individus indépendamment de leur instruction, de leur intelligence des enjeux et de leurs propres intérêts, sans parler de leur intérêt à un "intérêt général", en contrôlant tout au plus l'équilibre quantitatif des propagandes auxquelles ils sont exposés (mesure du temps de parole dans les principaux médias et du financement des campagnes officielles, désormais largement contournée par Internet et les réseaux sociaux où chacun s'expose tant qu'il veut à n'importe quoi). Ils y auraient "probablement" vu la confirmation de leur pire caricature de la "démocratie", la majorité arithmétique des moins qualifiés manipulée par les "démagogues", de nature à faire basculer le "système" dans la phase suivante, encore pire à leurs yeux mais inévitable à partir de là, la "tyrannie".
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeSam 08 Oct 2022, 16:17

Le retour récent (5.10.2022) d'Ezéchiel 18 dans un fil "fourre-tout" (comme le deviennent souvent, faute de "thème" déterminé, ceux de la rubrique "Un jour, un verset") m'a rappelé de lointains souvenirs -- les objections que mon père, peu après sa conversion au jéhovisme au début des années 1970, opposait déjà à la logique de ce texte (bien connu des TdJ surtout pour un motif tout à fait étranger à son sens, la "mortalité de l'âme", à supposer qu'on traduise nephesh par "âme", v. 4 etc.).

La responsabilité et la rétribution individuelles (que la modernité occidentale a tenues pour un "progrès" par rapport à une responsabilité et à une rétribution collectives et inter- ou trans-générationnelles, censées correspondre à un niveau de civilisation antérieur et inférieur, "primitif"), en effet, ne s'arrêtent jamais à l'"in-dividu" (considéré comme un tout in-divisible non seulement dans son corps mais dans la durée de sa vie, de la naissance à la mort): ce qu'elles privilégient en fait, c'est un moment et pas n'importe lequel, la fin, le dernier chapitre, le dernier geste ou le dernier pas, fût-il provisoire (le dernier avant le prochain), cf. v. 21ss: il ne s'agit plus (comme aux v. 1-20) d'opposer le fils au père ou une génération à la précédente, mais d'envisager que le juste (individuel ou collectif) revienne de sa justice et le méchant de sa méchanceté, et alors tout ce qu'ils ont fait précédemment compterait pour du beurre. Si l'on étend cette perspective -- ce que le texte ne fait pas -- à un jugement vraiment dernier, soit à la fin du monde soit au-delà de la mort de chacun, ce ne serait même pas un service à rendre au juste que de le faire (sur-)vivre, puisque ce serait lui donner l'occasion de mal tourner; réciproquement, en tuant le méchant n'importe quand le dieu manquerait toujours l'occasion d'en faire un juste. On valorise ainsi infiniment les derniers instants, ou un dernier segment, une suite ou une fin au détriment de la longueur de l'existence (sans parler de l'intrication des existences), et cela a laissé des traces profondes dans la religion populaire (repentance, baptême, absolution in extremis, extrême-onction, etc.).

On trouve une variante de la même aporie dans le "jugement dernier" de Matthieu 25: là ce n'est pas la dernière action ou omission qui compte, mais puisqu'une action suffit à sauver et une omission à perdre, le critère ne permettrait pas non plus de trier des "individus" sans médiation pondératrice de type "balance", manifestement absente du texte (dans l'immense majorité des cas, lesdits individus auront tantôt fait ce qu'il fallait faire et tantôt s'en seront abstenus, de sorte qu'ils devraient logiquement être rangés des deux côtés à la fois). Ou dans l'islam avec l'idée que même les bonnes actions d'un méchant doivent être récompensées, et les mauvaises actions d'un juste punies, ce qui requiert un imaginaire bien plus complexe que celui, binaire, qui l'accompagne généralement (paradis / enfer, salut / perdition, l'un ou l'autre).

Tout ce qui se passe "dans le temps", de bon, de mauvais ou d'autre, implique à chaque fois beaucoup plus et beaucoup moins qu'un "individu": des relations, des situations, des émotions, des mouvements profonds, longs, lents, irrésistibles dans un sens, et d'autres superficiels, soudains, aléatoires et impondérables. C'est cela qu'il faudrait juger pour que le jugement ait un sens, et on ne passerait pas pour autant d'un "livre d'actes" à un "livre de vie", d'un registre d'événements à un répertoire de noms (comme en Apocalypse 20). Et pourtant un jugement ne se conçoit qu'à la fin, d'une séquence au moins considérée comme close, toute suite menaçant d'en modifier ou d'en inverser le sens (encore: le cheval et le paysan).

---

Une autre complication se trouve dans le rapport de la "justice" des hommes à celle des dieux ou de Dieu: comme on l'a souvent remarqué (cf. p. ex. ici), le Deutéronome qui impose le principe de responsabilité/rétribution individuelle au plan judiciaire (humain même si le tribunal est religieux et invoque le jugement du dieu), 24,16, en exempte Yahvé, qui dans sa version du Décalogue (chap. 5) continue de faire payer (rendre des comptes, etc. pqd) les fautes des pères aux descendants (jusqu'à la troisième et/ou la quatrième génération; ce qui trouve de nombreuses illustrations dans l'historiographie "deutéronomiste", qui répète d'ailleurs le principe, 2 Rois 14,6: de la séquence initiale, Saül, David, Salomon, à la séquence finale, Ezéchias-Manassé-Amon-Josias etc., où alternent les plus ou moins "bons" et "mauvais" dans un savant dosage de rétribution individuelle et transgénérationnelle). Dans Ezéchiel 18, en revanche, Yahvé semble se soumettre à sa propre loi, mais du même coup ramène sa conduite des événements au plan de l'exercice d'une justice humaine, soumise à des critères analogues et, partant, à un jugement humain (la voie de Yahvé est-elle juste, équitable, fair, etc., tkn, v. 25.29; 33,17.20: ça se discute et ça n'en finira plus de se discuter).
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeLun 10 Oct 2022, 10:17

Citation :
Tout ce qui se passe "dans le temps", de bon, de mauvais ou d'autre, implique à chaque fois beaucoup plus et beaucoup moins qu'un "individu": des relations, des situations, des émotions, des mouvements profonds, longs, lents, irrésistibles dans un sens, et d'autres superficiels, soudains, aléatoires et impondérables. C'est cela qu'il faudrait juger pour que le jugement ait un sens, et on ne passerait pas pour autant d'un "livre d'actes" à un "livre de vie", d'un registre d'événements à un répertoire de noms (comme en Apocalypse 20).

Merci Narkissos pour cette analyse très intéressante. 

Souvent, nous résumons la vie d'un individu et sa personnalité, à une action dite répréhensible qu'il aurait accompli, comme si, cette acte effaçait tout le bien qu'il aurait accompli durant sa vie. Je suis très attaché à la notion de "rédemption", tout individu peut changer, se transformer et sa racheter. 

Concernant la rétribution :

 "Le SEIGNEUR vous a entendus. Dans sa colère, il a juré : Aucun homme de cette génération mauvaise ne verra le bon pays que j'ai juré de donner à vos pères, excepté Caleb, fils de Yephounné ; il le verra, lui, et je lui donnerai, à lui et à ses fils, le pays où il a marché, parce qu'il a rempli ses obligations envers le SEIGNEUR" (Dt 19,34-36).

"Nous avons marché, depuis Qadesh-Barnéa jusqu'au passage du Zéred, pendant trente-huit ans, jusqu'à ce que toute la génération des hommes de guerre ait disparu du camp, comme le SEIGNEUR le leur avait juré. La main du SEIGNEUR a aussi été sur eux pour les éliminer du camp, jusqu'à ce qu'ils aient tout à fait disparu. Lorsque tous les hommes de guerre eurent disparu du peuple par la mort" (Dt 2,14-16)

Dans ces textes la mort ne concerne que la génération fautive, tandis que la rétribution positive de Caleb est transgénérationnelle. La justice divine connait certaines fluctuations, Dieu ne provoque pas toujours une sanction suite à l'abandon du peuple, il peut choisir de se retirer te de cacher sa face :

"En ce jour-là, je me mettrai en colère contre lui. Je les abandonnerai et je me détournerai d'eux. Il sera dévoré ; de nombreux malheurs et des détresses l'atteindront ; il dira : « N'est-ce pas parce que mon Dieu n'est pas en mon sein que ces malheurs m'ont atteint ? » Et moi, je me détournerai en ce jour-là, à cause de tout le mal qu'il aura fait en se tournant vers d'autres dieux" (Dt 31,17-18).

L'absence divine engendre automatiquement le malheur.
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeLun 10 Oct 2022, 13:09

La "rédemption", dans son acception moderne et sécularisée, s'inscrit dans la droite ligne de la logique temporelle d'Ezéchiel 18,21ss: c'est la suite, l'après, l'avenir ou la fin qui comptent aux dépens du passé -- il en va de la "rédemption" comme de la repentance, de la conversion, de l'amendement, de la réforme, de la révolution, de l'évolution, du progrès, l'important c'est que ce soit mieux après qu'avant. Cela n'est d'ailleurs pas sans tension avec l'idée de "justice", notamment judiciaire, qui veut que des actes soient jugés indépendamment de leurs suites et du devenir de leur auteur (p. ex. un meurtrier devenu bienfaiteur) -- bien qu'il y ait encore des contrepoids ou des garde-fous à cette logique, par exemple dans la notion (si controversée aujourd'hui, si nécessaire pourtant) de prescription. Bien sûr, la "rédemption" au sens religieux et spécialement chrétien a une (pré-)histoire distincte et tout aussi complexe (voir ici): métaphore commerciale, économique et transactionnelle d'une part (rachat), de droit familial et patriarcal d'autre part (go'el ayant-droit, indifféremment rédempteur ou vengeur).

La tradition de la "génération du désert" est assez compliquée aussi, et parfois contradictoire: c'est bien un jugement-châtiment collectif, mais, comme tu le relèves, non transgénérationnel (les enfants des punis sont censés entrer en Terre promise au même titre que ceux de Caleb -- noter au passage que les exceptions varient selon les rédactions, en Nombres 14,24 Josué est oublié, mais réintégré v. 6.30.38; idem Deutéronome 1,36ss). A la limite, on se rapprocherait plutôt de la "génération sacrifiée", la génération suivante bénéficiant du "sacrifice" (suivant un modèle au départ peu "sacrificiel" au sens rituel et sacerdotal du mot, qu'on retrouverait aussi bien dans le roman de Joseph qu'à l'autre bout de l'historiographie dite "deutéronomiste", avec l'exil de Joïakîn qui ouvre une espérance de restauration).

Quant à la "causalité divine", on a souvent remarqué combien son expression narrative est variable, dans l'Antiquité en général et pas seulement dans la Bible: les mêmes événements peuvent être racontés comme le fait d'une action directe des dieux ou de façon parfaitement "naturelle", comme jeu de causes, de conséquences, de circonstances et de coïncidences humaines et/ou physiques; de même l'action des dieux peut être directe ou indirecte, de force supérieure ou de ruse, ou purement négative, retrait de protection ou de bénédiction, départ, abandon, silence, absence, etc., laissant agir d'autres agents (ce que la philosophie, en particulier le néo-aristotélisme scolastique, thématisera en causes premières et causes secondes): c'est toujours une question de point de vue sur des événements qu'on peut attribuer à des causes "naturelles" ou "surnaturelles", sans qu'il y ait vraiment contradiction puisque la chose n'est pas dite de la même manière (pollakôs legetai to on, l'étant est dit de plusieurs manières), les énoncés ne se situent pas sur le même "plan" et dans un sens strictement "logique" ne se rencontrent jamais... (Cf. tes citations du Deutéronome: au chap. 2 on a une combinaison du dieu qui laisse globalement faire le temps mais qui de temps en temps met la main à la pâte, comme pour exterminer les plus coriaces; au chap. 31 il se contenterait de ne plus protéger et de laisser faire, ce qui ne l'empêche pas de se montrer très actif dans les malédictions, 28,15ss).
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeLun 10 Oct 2022, 14:11

Je profite de ce fil et du sujet traité pour suggérer un film (que j'ai beaucoup apprécié) qui dépeint des personnages qui selon les circonstances et les interactions (collision) se comportent de différentes façon, il souligne la complexité des individus qui se révèlent multiples et sous différentes facettes opposées. 

Collision

Un accident de voitures à Los Angeles. Pendant 36 heures, les destinées de différentes personnes qui ne se connaissent pas vont se nouer, autour du hasard et de quelques préjugés.

CRASH TEST DUMMIES
"Dans n’importe quelle ville, tu effleures des gens, des gens te bousculent. A Los Angeles, personne ne te touche, on est toujours derrière du métal et du verre". Les premiers mots prononcés par Don Cheadle affichent le ton d’un film où les personnages vont se rentrer les uns dans les autres pour pouvoir "ressentir quelque chose", créer un contact, désiré ou non - comme des voitures qui s’encastrent sur l’autoroute. Un rapport forcé ou une balle perdue. Paul Haggis, qui s’est distingué récemment en signant le scénario de la perle noire de Clint Eastwood, Million Dollar Baby, fait coup double avec cette œuvre dense et intelligente. Les prémices du film, et le discours autour d’une mégalopole déshumanisée, où le sens du toucher est anéanti, laissent peu à peu place à une étude de mœurs en forme de film chorale. Une histoire de hasards, mais aussi de préjugés, de racisme ordinaire, celui qui fait changer de trottoir ou qui se heurte aux situations les plus absurdes. Un metteur en scène noir réalisant une série télévisée bouffonne autour d’une famille afro-américaine. Un dialogue impossible entre un Hispanique et un vieil étranger arrivé récemment aux Etats-Unis. Des Perses pris pour des Arabes, ou un jeune flic idéaliste confronté à un aîné raciste.

LE REGNE DE LA PEUR
Autant de nœuds tragiques avec lesquels Haggis fait des miracles. Cent fois le film s’approche de la thèse de plomb, cent fois il l’évite. Grâce à sa sensibilité, son aisance à peindre des personnages complexes pris dans le tourbillon de situations ambivalentes. Haggis se plonge dans les racines du mal, ce qui pousse une personne à commettre un meurtre, une autre un vol, une troisième à mentir ou une dernière à se venger. Ce que cache la colère perpétuelle d’une riche épouse, l’agressivité d’une femme dans un hôpital. Collision dresse le décor d’une Amérique plongée dans une peur paranoïaque de l’autre et de ses différences. Et dans ce sentiment permanent d’urgence, au bord d’un précipice, le film se permet quelques instants de grâce, comme le récit d’un père à sa fille sur un manteau invisible qui protège de tout, et surtout, sommet émotionnel à la mise en scène étouffante, les secondes enfumées consécutives à un accident de voiture, illustrant en quelques images le propos du réalisateur. Un personnage encastré, la tête à l’envers, dans un amas de tôle qui le comprime. Puis un contact humain, une main étrangère posée sur le bras, qui n’inspire rien d’autre que du dégoût. Et autour, des flammes et l’essence qui s’écoule, prête à s’embraser. Soutenu par un casting quatre étoiles, Haggis signe un film riche, sans fard, et qui, dans sa grande noirceur, laisse place à quelques lumières ambiguës sur une terre d’accueil et un camion de clandestins, lâchés dans la ville sans que l’on ne sache comment la peur ou le hasard s’occuperont d’eux.

http://www.filmdeculte.com/cinema/film/Collision-1295.html


"Lorsque le SEIGNEUR, ton Dieu, les repoussera devant toi, ne te dis pas : « C'est à cause de ma justice que le SEIGNEUR me fait entrer en possession de ce pays ! » Car c'est à cause de la méchanceté de ces nations que le SEIGNEUR les dépossède devant toi. 5Non, ce n'est pas à cause de ta justice et de la droiture de ton cœur que tu entres en possession de leur pays ; mais c'est à cause de la méchanceté de ces nations que le SEIGNEUR, ton Dieu, les dépossède devant toi, et c'est pour réaliser le serment que le SEIGNEUR a fait à tes pères, à Abraham, à Isaac et à Jacob. Sache donc que ce n'est pas à cause de ta justice que le SEIGNEUR, ton Dieu, te donne ce bon pays pour que tu en prennes possession ; car tu es un peuple rétif" (Dt 9,4-6).

La divinité ne fait pas peser sur le peuple les fautes des générations passées, au contraire, elle récompense ce peuple qui ne le mérite pas, "à cause de la méchanceté de ces nations".
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeLun 10 Oct 2022, 14:44

Merci pour la suggestion cinématographique.

A propos de Deutéronome 9, on peut dire que les "causes" s'additionnent mal (comme les choux et les carottes à l'école primaire, ou les différents arguments de la "logique du chaudron"): quel rapport entre la "méchanceté des nations" et la "promesse à Abraham / aux pères" (aussi rapprochées artificiellement en Genèse 15) ? Aucun, sauf à construire l'image inter-, intra-, infra- ou supra-textuelle d'un dieu opportuniste, ravi de trouver le prétexte de salauds à éliminer pour pouvoir caser ses potes... Aux yeux d'un lecteur moderne, cette surabondance d'explications incompatibles entre elles desservirait plutôt un autre mouvement profond du Deutéronome, qui serait peut-être d'opposer une certaine forme de "grâce" (gratuité comprise jusque dans le pire, l'arbitraire de la "violence gratuite") à la "justice", qui est pourtant aussi un thème central du livre. Aporie fondamentale, aporie du fondement même, toute "justice" ne se fonde que sur une "injustice" selon ses propres principes et critères, ce qui revient à dire qu'elle ne saurait se fonder elle-même...
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeMer 12 Oct 2022, 14:00

41 Cf. Exode, 20, 5 et Deutéronome, 5, 9 : « Car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, châtiant la faute des pères sur les fils, et sur la troisième et sur la quatrième génération pour ceux qui me haïssent. » ; Lévitique, 4, 3 : « Si c’est le prêtre ayant reçu l’onction qui pèche, rendant ainsi le peuple coupable… » ; 1 Samuel, 3, 13 : « Tu lui annonceras que je condamne sa maison pour jamais, à cause de la faute qu’il connaissait : ses fils maudissaient Dieu, et il ne les a pas repris. » ; Jérémie, 32, 18 : « Tu règles la faute des pères dans le sein de leurs fils après eux. » ; Lamentations, 5, 7 : « Nos pères ont péché, ils ne sont plus et nous portons leurs fautes ! » Cette idée est implicitement à l’œuvre dans l’enseignement de Jésus-Christ in Matthieu, 24, 34-36 et Luc, 11, 49-51 : « Afin que vienne sur vous tout le sang juste répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le Sanctuaire et l’autel. En vérité je vous le dis : Tout cela arrivera sur cette génération. »

Ce débat est de tous les temps. Il montre qu’il n’y a pas, en théologie, de raison majeure pour exclure toute idée de responsabilité collective. Mais il en rejoint un autre beaucoup plus original. L’interprétation chrétienne de Genèse, 3 voit en effet dans la première faute du premier homme (Adam) une transgression primordiale qui affecte toute sa descendance. C’est la grande leçon de saint Paul dans son épître aux Romains. « Par un seul homme, écrit-il, le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et […] ainsi la mort a passé à tous les hommes parce que tous ont péché. » Adam, quand il désobéit à Dieu, ne pécha pas que pour lui ; sa condition de chef de l’espèce humaine, qu’il synthétise en sa personne, fi t qu’il pécha aussi pour chacun de ses descendants. Certes aucun de ceux-ci n’a commis la faute originelle ; cependant tous répondent de celle-ci car tous participent de la nature humaine qui débute en Adam. La faute est leur, même s’ils ne l’ont pas personnellement commise. Hormis Adam lors de son premier péché, nul n’est en mesure d’engager autrui à ce point. Si le droit attribue souvent à quelqu’un la faute commise par un autre, c’est au prix d’une fiction de représentation. L’imputation du péché originel à tous les descendants de celui qui l’a commis est au contraire une réalité aussi profonde que mystérieuse.

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01953469/document
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeMer 12 Oct 2022, 15:15

Excellent. Si j'ai bien suivi, l'auteur est surtout juriste, mais son approche des textes bibliques et théologiques est remarquable, aussi, en partie, grâce à ce décalage...

Il faut bien comprendre (et donc rappeler quoiqu'on l'ait souvent expliqué) qu'"Adam", bien que devenu le nom propre d'un individu (le premier homme) dans la religion et l'imagination populaires, est -- aussi, d'abord, surtout -- tout autre chose qu'un "individu". Depuis les deux récits de "création" de la Genèse où 'adam reste nom commun, générique et archi-banal, "homme", "humain", embrassant tout genre et tout nombre dans le premier texte de pure bénédiction (homme et femme, multipliez ou devenez nombreux), encore antérieur à la différenciation sexuelle, à toute "chute" et à toute malédiction, dans le second; cela ne fera qu'encourager les développements du judaïsme hellénistique (qui rejoignent naturellement nombre de spéculations "païennes", philosophiques, myst[ér]iques ou gnostiques sur l'anthrôpos primordial et archétypique), mais aussi palestinien, hébréographe ou araméophone, puis rabbinique et qabbalistique (Adam qadmôn); sans oublier le christianisme (1 Corinthiens 15, Romains 5, et toutes les anthropo-christologies de l'"image de Dieu", de Colossiens à l'épître aux Hébreux). "Adam" c'est un autre si l'on veut, mais c'est aussi moi, toi, lui, elle, nous, eux, tout le monde, et tout particulièrement "le Christ" (dernier Adam, second Adam, fils de l'homme, homme nouveau, etc.). Une figure mythique qui fonde, dans un sens, toutes les idées de "solidarité" et de "responsabilité" humaines et inter-individuelles, mais qui leur échappe aussi dans la mesure même où elle les fonde (cf. supra 10.10.2022, fin): l'Adam singulier, collectif, universel, ne saurait être un cas particulier d'aucune règle générale...
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 13 Oct 2022, 11:00

Vincent Senechal : Les fautes contre Yhwh et leurs conséquences

3.1.3 Les caractéristiques de la justice divine à la suite de la faute de Cades Barnea 

Au-delà des retouches et interpolations précisant la sanction encourue en Dt 1,19-46, nous voudrions essayer de synthétiser les caractéristiques de la justice divine qui fait suite à cette faute dans le TM.

Si l’on reprend les caractéristiques décrites plus haut à propos de la rétribution, il apparaît que l’agent de la sanction est Yhwh, dont « la main » provoque la hmwhm (terminologie des « guerres de Yhwh ») jusqu’à élimination du camp de toute la génération en âge de faire la guerre (2,15)80. Le châtiment est collectif, frappe uniquement la génération fautive, prend effet immédiatement et dure trente huit années ; il est donc strictement terrestre. Il ne s’agit pas d’une punition
transgénérationnelle.

Le Deutéronome ne dit pas que les fils (seconde génération du désert) sont sanctionnés pour la faute de leurs pères (première génération). Il leur faut cependant errer dans le désert avec ces derniers. En Nb 14,33, il est précisé que cette errance des fils au désert est une façon de « porter » l’infidélité de leurs pères :
 
Vos fils seront bergers dans le désert pendant quarante ans ; ils porteront la peine de vos infidélités jusqu'à ce que vos cadavres soient tous étendus dans ce désert.

On ne trouve nulle part ce type d’assertion dans le Deutéronome à propos de la faute de Cades Barnea. Nous pouvons donc dire que nous avons là une ligne de partage entre les récits de cette faute en Nombres et en Deutéronome : en Nombres, la punition est explicitement interprétée comme transgénérationnelle ; en Deutéronome, elle paraît – en l’absence d’indication contraire – uniquement générationnelle. E. König note à ce propos : « Le fait que les descendants ne sont menacés d’aucune sanction s’accorde avec 7,10 ». Ce verset montre que chacun est puni pour sa propre faute, et développe donc le principe d’une rétribution individuelle. Pour le Deutéronome, la génération qui va être punie pour la rébellion de Cades Barnea étant mauvaise (1,35), chacun de ses membres mérite d’être sanctionné. Il semble donc que le principe d’une rétribution individuelle soit appliqué ici, ce qui s’accorde avec Dt 7,10. Nous avions défini plus haut cette punition collective d’un groupe entièrement coupable comme un cas de rétribution collective.

Le sort réservé à Moïse, Josué et Caleb brouille ce constat et précise le fonctionnement de la justice divine en montrant qu’elle sait s’adapter à des cas particuliers. Le verdict concernant la génération à laquelle appartiennent les hommes de guerre (2,14) paraissait justifié en raison de la méchanceté de cette génération (1,35) et du fait que celle-ci avait déblatéré dans ses tentes (1,27) sans croire en Yhwh (1,32). Dès lors, il est juste que ceux qui n’ont pas participé à cette faute mais ont cru en Yhwh soient épargnés par ce verdict. C’est le cas de Caleb qui, parfaitement loyal à Yhwh (1,36), est rétribué positivement pour cette loyauté et reçoit une promesse qui vaut pour lui et ses fils. Nous sommes donc là dans le cas d’une rétribution corporative (positive) transgénérationnelle. La clause de rétribution positive de Dt 7,9 (= 5,10) s’applique donc en l’espèce. Que ce soit pour le peuple ou pour Caleb, le récit de la faute de Cades Barnea incarne donc jusqu’ici le principe énoncé en Dt 7,9-10.

Selon ce principe et en vertu de son plaidoyer de Dt 1,29-31 et du principe selon lequel les mêmes causes produisent les mêmes effets, Moïse aurait dû lui aussi être exempté de la sanction qui frappe sa génération. Mais un autre principe semble ici s’appliquer. Israël étant conçu comme une personnalité corporative, Moïse est malgré tout inclus dans la sanction qui touche son peuple. Nous sommes donc à nouveau devant un cas de rétribution corporative, mais négative cette fois. Cependant, le principe de Dt 7,10 ne s’applique pas puisque, si l’on donne créance à 1,37 ; 3,26 et 4,21, Moïse n’est pas puni pour une faute personnelle mais par simple solidarité avec une génération mauvaise.

Cette explication de la mort de Moïse en Canaan comme fruit d’une rétribution corporative (1,37 ; 3,26 ; 4,21) est l’objet d’une réévaluation à la fin du livre (32,48-52). Ces versets orientent l’interprétation de la mort de Moïse hors du pays vers la rétribution individuelle, comme l’a bien noté M. Rose : (...)

En Dt 32,48-52, la mort de Moïse en Transjordanie conçue comme résultat d’une rétribution corporative (1,37 ; 3,26 ; 4,21) est repensée en une mort conçue comme résultat d’une rétribution individuelle. Deux moyens permettent cette subordination de la rétribution corporative à la rétribution individuelle. D’une part, dans une lecture cursive, l’explication qui a le mot de la fin bénéficie généralement d’un poids plus grand. D’autre part, comme l’a clairement montré J.-P. Sonnet, la hiérarchisation des points de vue entre discours divin et discours mosaïque est effectuée par le lecteur au bénéfice du premier.

Les contours de la justice divine que dessinent la faute de Cades Barnea et la prétendue faute de Moïse sont donc mouvants. Il s’agit d’une rétribution (négative) collective immédiate pour ce qui concerne la première génération du désert ; d’une rétribution (positive) corporative transgénérationnelle en ce qui concerne Caleb ; d’une rétribution (négative) corporative légèrement différée en ce qui concerne Moïse, cette dernière compréhension étant réévaluée en une rétribution strictement individuelle.
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 13 Oct 2022, 12:02

Voir ici (ce n'est peut-être pas le lien correspondant à ta copie, mais je ne trouve pas mieux). On trouvera aussi là une brève recension de Joosten sur la thèse de Sénéchal, qui me suggère ceci: on peut certes affiner et compliquer à loisir l'analyse catégorielle et métalinguistique (à l'aide d'adjectifs-concepts comme "individuel", "collectif", "corporatif", "transgénérationnel", etc.) des textes "bibliques" (qui souffriraient plutôt à cet égard, par rapport à tant d'autres textes de l'Antiquité, d'un excès d'attention et d'investissement "scientifiques", en raison de ce qu'il leur reste d'enjeu "religieux", donc aussi économique). Mais ce faisant on passe à côté d'une évidence beaucoup plus simple, celle de l'"arbitraire" des dieux qui châtient ou pardonnent, bénissent ou maudissent, sauvent ou perdent qui ils veulent, quand et comme ils veulent, sans se laisser jamais complètement régler par un système cohérent, qu'il soit (simili-)judiciaire, rituel (sacrificiel, cathartique, etc.), logique ou moral. C'est peut-être la grande leçon d'Exode 32--33 (le veau ou taurillon d'or, l'intercession et le pardon sans châtiment ni sacrifice, du moins à la mesure de la faute), et en particulier du développement de l'interprétation du nom divin de 3,14 en 33,19: l'absolue "liberté" divine qui excède tout concept de "justice", y compris de "justice divine"; autrement dit, le dieu ne se laisserait même pas prendre à ses propres paroles, menaces ou promesses, écrits ou serments, il peut toujours changer d'avis comme d'humeur, ce qui ouvre un abîme sous toute idée de "révélation" dont on fait un "acquis". Régime de "grâce" (donc d'arbitraire), dont on ne sortirait que par une certaine "mort de dieu" (ce que dit à sa façon l'épître aux Hébreux, chap. 9, dans sa logique d'opposition du temporel à l'éternel: seule la mort du testateur rend le testament valide et définitif). Reste à savoir si l'on a intérêt à en sortir (autre forme de l'alternative édénique, vie ou connaissance), ou si l'on en sort jamais (vivant).
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 13 Oct 2022, 13:12

Citation :
 Mais ce faisant on passe aussi à côté d'une évidence beaucoup plus simple, celle de l'"arbitraire" des dieux qui châtient ou pardonnent, bénissent ou maudissent, sauvent ou perdent qui ils veulent, quand et comme ils veulent, sans se laisser jamais complètement régler par un système cohérent, qu'il soit (simili-)judiciaire, rituel (sacrificiel, cathartique, etc.), logique ou moral. C'est peut-être la grande leçon d'Exode 32--33 (le veau ou taurillon d'or, l'intercession et le pardon sans châtiment ni sacrifice), et en particulier du développement de l'interprétation du nom divin de 3,14 en 33,19: l'absolue "liberté" divine qui excède tout concept de "justice", y compris de "justice divine"; autrement dit, le dieu ne se laisserait même pas prendre à ses propres paroles, menaces ou promesses, écrits ou serments, il peut toujours changer d'avis comme d'humeur, ce qui ouvre un abîme sous toute idée de "révélation" dont on fait un "acquis". Régime de "grâce" (donc d'arbitraire), dont on ne sortirait que par une certaine "mort de dieu" (ce que dit à sa façon l'épître aux Hébreux, chap. 9, dans sa logique d'opposition du temporel à l'éternel: seule la mort du testateur rend le testament valide et définitif). Reste à savoir si l'on a intérêt à en sortir (autre forme de l'alternative édénique, vie ou connaissance), ou si l'on en sort jamais (vivant).

Un texte que nous avons déjà lu et analysé mais qui illustre d'une manière explicite l'arbitraire divin, même si l'auteur (Donald COBB), tente (il me semble)d'en atténuer la portée (de l'arbitraire). 

B) Des vases préparés d’avance (Rm 9.14-24)

C’est dans cette perspective qu’il convient de comprendre 9.14-24, parlant de l’endurcissement de Pharaon et des «vases de colère formés pour la perdition» (v. 22). Nous pouvons faire ici trois remarques. Premièrement, Paul prévient plusieurs objections possibles touchant à la justice de Dieu: en appelant selon son propre choix et non d’après l’activité humaine, Dieu n’est-il pas injuste (v. 14)? L’apôtre oppose à cette suggestion un déni vigoureux. Pour appuyer sa réponse, il reprend le texte de l’Exode où, à la suite de l’apostasie du veau d’or, Dieu révèle son «Nom», alors que le peuple est menacé de destruction (cf. Ex 32.30-35): «Je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde, et j’aurai compassion de qui j’aurai compassion.» (v. 15) Le contexte de désobéissance et de jugement est d’une importance capitale, mais la citation elle-même (Ex 33.19) est remarquable à plus d’un titre: d’une part, ceux qui sont objets de la miséricorde le sont uniquement pour des raisons qui se trouvent en Dieu. Celui-ci reste souverain dans sa relation avec son peuple. Mais, d’autre part, ce dont il est question, c’est bien le don de la compassion divine. En d’autres termes, Paul ne présente pas le portrait d’un Dieu qui serait une simple puissance absolue. Il est souverain! Mais c’est de la compassion souveraine qu’il s’agit.

(...)

Troisièmement, l’image du potier (vv. 20-21) pourrait tout de même donner l’impression d’un potestas absoluta, d’un Dieu arbitraire qui agit au gré de ses seuls caprices. Cependant, la dissymétrie dans les termes ne saurait être négligée: d’un côté, en parlant des «vases de colère», Paul emploie les termes de «patience» et de «support» (ênenken en pollê makrothumia, v. 22). De l’autre, c’est «la gloire» et «la miséricorde» qui sont accentuées. Qui plus est, c’est en rapport avec les seconds – uniquement – que l’apôtre parle des vases que Dieu lui-même a «d’avance préparés pour la gloire» (v. 23)37. Certes, la métaphore de vases «formés pour la destruction» ne perd pas sa consistance pour devenir une catégorie hypothétique; il faut la comprendre, encore une fois, en rapport avec ceux qui, au sein d’Israël, continuent à rejeter le Christ. Mais, à la différence de ceux que Dieu a activement «préparés d’avance pour la gloire», ce sont ceux que Dieu laisse dans leur incrédulité. En outre, il est important de relever le verset 21, parlant des vases qui, dans un cas comme dans l’autre, sont faits à partir d’une même pâte – c’est-à-dire à partir d’une même humanité qui, en Adam, se trouve sous le coup de la condamnation universelle (cf. Rm 5.12-13, 16, 18; cf. aussi 1.18-25). Les théologiens ultérieurs, en parlant d’une élection qui s’opère au sein d’une massa perditionis – d’une pâte destinée à la destruction! – n’ont fait autre chose que suivre l’imagerie de Paul dans ces versets.


https://larevuereformee.net/articlerr/n248/l%E2%80%99election-divine-quand-et-comment-l%E2%80%99apotre-paul-en-parle-t-il
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 13 Oct 2022, 15:13

C'était (entre autres ?) ici, à partir du 22.11.2018, que nous avions déjà discuté de cet article -- je le rappelle, parce que cette discussion peut avoir une certaine importance, sur un tel sujet, pour le situer dans le contexte (ultra-calviniste) de "La Revue réformée" et de la Faculté (de théologie protestante) d'Aix-en-Provence. Et je ne l'entends nullement comme un argument ad hominem contre Cobb, car je trouve qu'il s'en sort remarquablement bien dans un tel contexte...

Sans doute distinguerais-je davantage que lui entre les différents textes "pauliniens" qu'il commente, pas tant parce qu'ils ne sont probablement pas du même "auteur" que parce qu'ils ne déploient pas la même "logique"... mais ils ont toujours une logique, qui est aussi une façon, si paradoxale soit-elle, de "régler l'arbitraire". Que Dieu préfère le faible au fort, le pauvre au riche, le petit au grand, le fou ou l'idiot au sage, le pécheur croyant au juste méritant, le païen au Juif ou le barbare au Grec, c'est toujours une manière de baliser ou de canaliser sa conduite: on sait où il va, on n'en sera plus surpris, ou on sera toujours surpris de la même surprise, pas dépaysé dans le dépaysement même. Attendez-vous à être surpris, ce serait un comble du double bind et c'est aussi le principe même de toute culture et de toute littérature, de la poésie antique au cinéma ou aux "séries" modernes.

D'autre part, je replacerais l'asymétrie que Cobb montre avec raison entre le "bon" et le "mauvais côté" (élection-prédestination-justification-sanctification-salut / perdition-réprobation-damnation) dans une critique ou une déconstruction plus générale de toutes les symétries qui ne sont que des projections imaginaires d'antithèses verbales: entre vie et mort, lumière et ténèbres, être et néant, bon et mauvais, bonheur et malheur, bien et mal, amour et haine, et ainsi de suite, il n'y a jamais de symétrie pensable, concevable ou représentable -- sauf évidemment pour ceux qui ne pensent rien et opposent des mots "contraires" (antonymes) comme si c'étaient des choses ou des êtres "ennemis"...

Il est vrai que dans ce domaine aussi le "monothéisme" porte tout à l'absurde: on peut concevoir l'arbitraire d'un dieu qui, même suprême, interagit avec d'autres "volontés", d'autres dieux ou de "créatures". Mais un "Dieu" "absolunique", comme chantait Dick Annegarn, qui créerait des "êtres" du (même) "néant" pour "sauver" les uns et "perdre" les autres, ce serait ridicule, à ceci près que le rire s'éteint faute de comparaison: ce serait ridicule pour une personne, un homme, une femme, un père, une mère, un artisan, potier, maçon ou jardinier, à ceci près que ceux-ci ne seraient jamais tout à fait comme ce "Dieu"-là.
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeLun 19 Juin 2023, 19:10

En lisant ou relisant (selon les passages) La République (titre décidément très trompeur pour nous par anachronisme, dû au de re publica  de Cicéron, pour un peri politeias, de la cité, de la citoyenneté, de la constitution "politique" de la polis = ville) de Platon, dont il a déjà été question plus haut (28.1.2022) et dont un sous-titre ou un autre titre est peri dikaiou, "du juste" ou "sur le juste" (à entendre de toute évidence au neutre, "ce qui est juste"), je me disais que le champ lexical de la "justice" -- tous les mots de toutes les langues qui peuvent se traduire ainsi, et il y en a généralement plusieurs dans chaque langue, apparentés (comme dikè, dikaiosunè, etc.) ou non (themis, nomos, etc.; à mesure que s'élargit l'horizon sémantique le "juste" devient quasiment synonyme de règle, de loi, de norme, de mesure, d'équilibre, mais aussi de bon, de bien, de beau, de vrai, de sage, etc.) est aussi âprement disputé de tout temps, en tout lieu et milieu, parce que chacun l'entend à sa façon alors qu'il semble de nature à mettre tout le monde d'accord (la justice, en principe, personne n'est contre; mais précisément à condition de l'entendre chacun à sa façon).

En revenant à la Bible et plus spécialement au passage des "Testaments" de la Bible chrétienne, on remarque que la notion de "justice" (çdq / dikaios etc.) intéresse tout autant, quoique différemment, les Juifs de diverses tendances sacerdotales, comme les sadducéens du temple ou les sadocides qoumraniens qui leur sont opposés autour de la même tradition de Jérusalem liée au vocabulaire de la "justice" (remontant peut-être à un lointain dieu Ts/çedeq, cf. Melchi-çedeq ou Adoni-çedeq, Ts/çadoq associé à David, etc.), les pharisiens "laïcs" qui tirent la "justice" dans un autre sens, rituel aussi mais pas sacerdotal, ceux -- parfois les mêmes -- qui sont plus ou moins ouverts à la culture grecque, en Palestine ou dans la diaspora (cf. Philon ou Josèphe) et les non-Juifs, grecs ou romains (ces derniers y apportant une notion particulière du droit et de la loi, jus, juris, d'où notre vocabulaire de la justice et du juridique). Cette communauté de vocabulaire, passant tant bien que mal les frontières des langues par la traduction, et ces différences de concept se retrouvent, presque caricaturées, dans les textes du NT, quand on compare ce qu'il est dit de la "justice" chez Matthieu ou Jacques d'une part, dans Romains ou Galates d'autre part (pour rappel, l'"originalité paulinienne" en matière de justice et de justification n'apparaît pas encore dans la correspondance corinthienne, p. ex.)... Plus on est d'accord sur le mot (signifiant), moins on est d'accord sur la chose (signifié et/ou référent)...

Ce qui est sûr c'est que la perspective ou l'absence de perspective "politique" change tout: Platon parle de justice dans le cadre d'une cité idéale (on parlerait aujourd'hui d'utopie), pensée tout de même sur le modèle historique des cités grecques (et peut-être plutôt sur celui de Sparte que sur celui d'Athènes), ce qui est une façon de critiquer l'Athènes contemporaine; mais les conquêtes d'Alexandre, l'éclatement presque immédiat de son empire et la montée en puissance de Rome vont faire qu'on n'en retiendra guère que l'aspect "métaphysique", faute d'occasion d'exercice "politique": justice de l'âme individuelle et non plus justice de la cité, alors que les deux étaient strictement liées, ou plutôt n'étaient qu'une ("psychopolitique"). Quelque chose d'assez similaire se produit dans le "judaïsme", alors que toute perspective politique nationale ou ethnique disparaît après les dynasties hasmonéenne et hérodienne et les guerres judéo-romaines. Là aussi la "justice" va devenir une "vertu" essentiellement privée, à la fois rituelle et morale, plus ou moins "philosophique" ou "religieuse" selon le cas, mais dénuée d'enjeu "politique". On peut d'ailleurs noter déjà à la fin du livre IX de La "République" une échappée vers l'idée (c'est le cas de le dire) de "cité céleste", "paradigme" ou modèle idéal qui subsisterait même sans jamais se réaliser, ce qui rappellera des souvenirs aux lecteurs du NT, en particulier de l'épître aux Hébreux, comme à ceux de saint Augustin.
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 22 Juin 2023, 10:45

Justice et calcul moral
dans quelques dialogues platoniciens

Le plus souvent, les hommes sont vertueux, non par vertu, mais par son contraire. Dans telle circonstance de l’existence qui leur propose une alternative entre deux peines ou deux plaisirs d’intensité inégale, renoncer à un plaisir plus petit pour obtenir un plaisir plus grand leur paraît être le moyen le plus sûr d’acquérir ce plaisir estimé supérieur ; ou bien accepter de subir un mal plus petit pour éviter un mal plus grand. Le comportement qui découle de ce calcul est appelé ici tempérance, là courage ; mais il est toujours le fruit de la soumission à une peur dominante ou à un plaisir dominant, ce qui autorise à le penser comme un acte de lâcheté ou de dérèglement. C’est pourquoi Socrate désigne ce type de vertu comme une vertu en « trompe-l’œil » - skiagraphia (Platon, 1991 : 69 b). La comparaison avec l’art pictural du trompe-l’œil que désigne le terme skiagraphia (littéralement, la « peinture d’ombres ») est importante pour préciser comme fonctionne ce calcul des plaisirs et pourquoi il produit une apparence de vertu là où l’on n’a pourtant affaire qu’à des actes motivés par une passion. Les analyses classiques d’Henri Joly rappellent que la skiagraphia, à l’époque de Platon, est une technique picturale nouvelle, d’abord utilisée pour fabriquer des décors de théâtre, puis appliquée à la peinture en général et notamment à l’art du portrait, dans le but de rendre la figure peinte quasi indiscernable de l’original – par le passage d’une figuration plane, qui ne rend pas le volume des corps, à un art pictural qui imite avec plus de vraisemblance la spatialité concrète, en reproduisant les ombres portées, de façon à « donner aux corps une expressivité et une voluminosité propres, à la lumière un début de présence sensible aux ombres portées, et pour finir, grâce à l’étagement des choses et au dessin d’architecture et de théâtre, la première illusion de la profondeur » (Joly, 1974 : 145). Parler de vertu en trompe-l’œil, c’est donc lui reconnaître un type de fausseté particulier : fausseté qui passe pour vérité, apparence qui se donne pour réalité, et surtout (trait auquel Platon se montre particulièrement sensible) qui se donne pour telle aux yeux d’un public déterminé. Le trompe-l’œil ne produit sa tromperie que si je le regarde, et plus précisément si je suis dans un angle de vue déterminé par rapport à lui. Il s’agit donc d’une fausseté qui fait illusion à l’égard, non de n’importe qui, mais d’un public dont la position spatialement déterminée à l’égard du spectacle permet à l’illusion de se produire. Si on applique cette donnée de la métaphore à la question de la vertu, elle exprime à quelles conditions un calcul fondé sur la peur de la peine ou l’attrait du plaisir peut produire un acte qui passe pour le contraire de ce qu’il est : tel échange sera vu comme du courage seulement par des gens déterminés, non plus par leur position spatiale bien sûr, mais par un certain nombre de croyances, qu’elles soient collectives ou individuelles. Tel homme est guerrier : il a le culte de l’héroïsme, ses modèles sont les grands héros de l’histoire de sa cité ; son intérêt personnel, dicté par cette norme morale et sociale à laquelle il adhère, est donc d’éviter de se couvrir de déshonneur à la bataille ; c’est pourquoi il agira en affrontant la mort de façon intrépide. Qu’est-ce que la vertu dans ce cas ? C’est seulement le nom que nous donnons à cet échange lorsque nous y gagnons au regard de notre échelle de valeurs : j’échange ma peur, humaine, de la mort, contre ma peur, sociale, de la honte, et, cet échange affichant un gain par rapport aux normes de valeur que je reconnais comme valables, celles de la morale héroïque, je nomme cet échange, parce que je le juge avantageux : vertu de courage. Si l’on peut parler de « vertu en trompe-l’œil », c’est parce que le point de vue auquel m’assignent mes croyances fonctionne comme un analogue de la position spatiale du public dans l’art du trompe-l’œil ; c’est pourquoi je peux sincèrement parler de courage ou de modération à propos d’actes commis par peur ou par dérèglement : en fonction de mes croyances, ou de celles que partage ma cité, ces actes m’apparaissent effectivement comme des actes de courage ou de modération. 

https://amu.hal.science/hal-02080369/document
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeJeu 22 Juin 2023, 13:56

Analyse comparative très intéressante -- d'Isabelle Koch, prof à Aix-Marseille, 2012: le fichier n'indique pas le nom de l'auteur (auteure, autrice).

Le paradigme économique et financier, voire monétaire ou fiduciaire, me paraît en effet de la plus haute importance: partout où l'on parle de morale, de vertu et de vice, de bien et de mal, de bon et de mauvais, de meilleur et de pire, il y a toujours, comme on dit, "jugement de valeur", estimation, évaluation, appréciation, assignation de plus ou moins grande "valeur" à partir d'un "point de vue" particulier (la "perspective", déjà picturale chez Platon bien avant la lettre de la Renaissance italienne), même si ce point de vue se rattache à une doctrine commune, transcendante et/ou traditionnelle (ce qui ne va jamais sans une sorte de "foi", comme celle que suppose l'usage de la monnaie: fiduciaire, crédit, de fides, credo, etc.; je garde de mes cours d'économie au lycée cette révélation proprement métaphysique, que toute économie et tout système financier reposent sur la foi: il suffirait en théorie qu'un nombre suffisant de gens cessent de croire à l'argent, à la monnaie en cours, qu'ils ne l'acceptent plus en paiement de quoi que ce soit, pour que tout s'effondre très vite, ce qui pourtant n'arrive pratiquement jamais). Donc il y a toujours du "calcul" et de la "spéculation" fondées sur de la foi ou croyance (pistis) ou, ce qui est encore pire aux yeux de Platon, de l'"opinion" ou de l'apparence (doxa). Pour revenir à un domaine que nous connaissons mieux, le NT n'échappe pas à la règle: le "trésor dans le ciel" chez Matthieu, éviter d'être récompensé maintenant pour et par une "justice" visible et reconnue de tous, afin l'être mieux plus tard ou sur un autre "plan", c'est toujours du calcul. De même dans le paulinisme, préférer être justifié par la foi ou par la grâce que par sa propre "justice", c'est encore un calcul, avec des paramètres (croyances / opinions) différents -- comme qui dirait une autre monnaie, une autre devise, mais toujours le même genre de calcul.

Il y a d'ailleurs un passage fameux de La République (II, 360ss) qui a souvent été interprété de travers par les chrétiens, lesquels le citaient aussi hors contexte (ça va souvent de pair), sur le juste calomnié, dépouillé, humilié, persécuté, voire crucifié (plutôt empalé ou pendu à un poteau d'après le texte grec qui n'emploie pas stauros, mais c'était trop beau). On n'a pas compris qu'il s'agissait d'un raisonnement par l'absurde, notion liée d'ailleurs à celle de "gratuité" (pour rien): le seul juste dont on pourrait être sûr (sûr que sa justice n'est pas qu'une apparence) serait celui qui ne tirerait aucun avantage de sa justice, que des inconvénients, mais dont la justice (parfaitement "gratuite", pour le coup) deviendrait aussi totalement inapparente et par conséquent indiscernable. Et bien que ce cas-limite puisse s'inspirer en partie de la mort de Socrate (encore que Socrate lui-même s'estime plutôt heureux de sa mort), le Socrate des dialogues (y compris La République) ne méprise pas les récompenses de la justice apparente, pourvu qu'elle soit aussi authentique, ni les châtiments de l'injustice (qui servent au moins à l'éducation, de l'injuste ou des autres), par les honneurs ou les punitions de la cité comme dans l'au-delà (qui, selon le mythe d'Er au livre X, n'est pas éternel mais intervalle de 1000 ans, de récompense ou de châtiment, avant la prochaine [re-]naissance; un des aspects ironiques de la chose est que le juste trop bien récompensé risque davantage de choisir une mauvaise réincarnation que l'injuste bien châtié).

Détail: à propos du calcul des avantages, le nombre de 729 (inexpliqué dans l'article) semble être obtenu de la façon suivante (d'après Georges Leroux dont j'ai suivi l'annotation): 3 x 3 = 9, 9 x 9 x 9 = 729. Dans la logique grecque qui ne sépare jamais l'arithmétique de la géométrie, on passe d'un "carré", donc d'une surface (plane), à un "cube", donc à un solide, un "réel" dans un espace "euclidien", à trois dimensions. Soit ce qui reste de Pythagore chez Platon... mais à un familier de la Bible ça rappellera fatalement aussi, dans un tout autre univers culturel, la "Nouvelle Jérusalem" de l'Apocalypse, cube ou pyramide, en tout cas "solide" au sens géométrique du terme, aux trois "dimensions" (longueur, largeur, hauteur) égales.

Plus généralement, c'est toujours parce qu'il y a de la différence, de l'espacement temporel et spatial, de la disparité quantitative et qualitative, de l'autre qui ne peut pas être à la fois en même temps et au même endroit ni donc tout à fait le même, des effets d'altérité et d'itération ou de répétition en tout genre, ce qui se traduit (et se trahit) arithmétiquement et grammaticalement (des chiffres et des lettres) par par du nombre, du pluriel et du multiple qui semble tantôt s'ajouter ou se retrancher, multiplier ou diviser l'un (en deux, trois etc.), que se posent des questions et des problèmes "moraux" et/ou "métaphysiques" comme ceux de la "justice", de la "sagesse", et ainsi de suite -- y compris dans la "psychopolitique" platonicienne qui suppose de la diversité dans l'"âme" (psukhè) comme dans la cité (polis). Même la question apparemment contraire de l'Un ou de l'Être ne se (re-)pose qu'à (re-)partir de là. Mais toute construction logique, tout raisonnement est miné d'entrée de jeu si cette différance, pour l'écrire comme Derrida, implique aussi un "désajointement" du langage, de la représentation et des concepts: les mots ne sont pas univoques, les choses et les idées ne sont jamais simplement ce qu'elles sont, partout, toujours et en plus d'un sens il y a du jeu.
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 30 Juin 2023, 15:03

10La Cité est juste lorsque la position sociale, la richesse et l’honneur sont répartis équitablement et sereinement, et cela ne peut être que si chacun, à l’intérieur de la classe qui lui est impartie, s’occupe de ses affaires propres. Il est important de souligner que la pensée axiologique de Platon est centrée ici sur des principes concrets : le fait de s’occuper de ses affaires propres (οἰϰειοπραγία14), le refus de l’empiétement sur les fonctions d’autrui, la juste distribution du travail15. Le même impératif du « propre à chacun » préside à la détermination de la justice comme harmonie dans l’âme. À la question posée par Socrate de savoir si c’est par l’âme tout entière que nous accomplissons chacune de nos actions ou si cela advient par une partie différente pour chacune de ces actions16, Platon répond que l’âme est juste lorsqu’aucune de ses parties n’empiète sur les autres, chacune « s’occupant de ses affaires propres »17. L’individu sera juste si, en lui, la raison gouverne et prend des décisions dans l’intérêt de l’âme tout entière ; il sera courageux si l’ardeur s’allie à la raison, et tempérant si toutes les parties de son âme reconnaissent qu’elles doivent soumettre leurs satisfactions particulières aux projets d’ensemble établis par la raison18. Ainsi, dans l’âme, la justice n’exige de chaque partie rien d’autre que ce qui est requis par les autres vertus. La justice est dès lors bien le principe qui harmonise les vertus pour rendre l’âme une. Ce n’est qu’avec une âme ainsi unifiée que l’homme pourra s’épanouir selon ce qui lui convient le mieux, et développer harmonieusement tous les aspects de son être19. La justice est donc, pour l’âme humaine, le principe de son harmonie intérieure.

11Nous avons vu que Platon conçoit l’âme tripartite à partir de son analogie avec les trois classes de la Cité. Nous avons aussi montré que la justice et le bien de l’âme, comme celui de l’État juste, reposent sur la subordination hiérarchique de leurs trois parties. De cette manière, lorsque, dans l’âme comme dans la Cité, la raison gouverne, lorsque le bien commun et le sens de l’honneur guident la conduite des auxiliaires, que les intérêts financiers s’en remettent aux lois de l’État en y reconnaissant tout autant la marque de la raison qu’un guide pour les mœurs, alors la Cité et l’âme réalisent en elles l’harmonie et l’ordre, et jouissent d’un réel bonheur. La justice est donc bien, chez Platon, un principe politico-moral, puisqu’elle est à la fois un principe d’ordre et de hiérarchie pour la Cité et un principe d’harmonie intérieure pour l’âme. Enfin, ce principe de justice, s’il est accepté par la masse, et s’il est adopté par l’élite, n’est connu que du seul philosophe.

12En résumé, on peut dire que la notion platonicienne de justice n’est pas autre chose que l’expression du bien de l’homme et de la Cité. En matière de politique comme en matière de morale, c’est la justice qu’il faut rechercher avant toute autre chose. De plus, cette valeur est, pour Platon, l’expression de la vérité puisqu’elle constitue le principe et comme la loi de toute activité humaine, morale ou politique : il est en effet conforme à la nature des choses que chaque partie de l’âme ou chaque classe de la société s’acquitte scrupuleusement de la fonction qui lui est propre. C’est pourquoi la justice est nécessaire : elle établit dans la Cité et dans l’âme l’harmonie des parties. De plus, l’analyse de la διϰαιοσύνη dans la République sert à Platon à développer l’idée que morale et politique sont inséparables, qu’il n’y a de bonheur que dans l’exercice de la justice et que l’État parfait, la Kallipolis, est l’État juste.

https://books.openedition.org/vrin/5657?lang=fr
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 30 Juin 2023, 17:13

Entre Platon et Plotin il n'y a pas seulement six siècles, ce qui en soi ne veut pas dire grand-chose; il y a surtout une différence de situation qui se traduit dans un cas par la présence, dans l'autre par l'absence, de perspective et d'enjeu politiques -- et économiques, sociaux, etc. (cf. supra 19.6.2023, dernier paragraphe): quand on peut "refaire la cité" comme nous disions naguère "refaire le monde" (c'est exactement ce que Socrate et ses amis font dans La République), on parle en l'air, certes, comme d'une "cité céleste" ou d'une "utopie" (proprement non-lieu, nulle part), mais la chose est quand même pensable parce qu'on peut aussi assister et participer concrètement à la "politique" d'une polis réelle, autonome en droit et "à taille humaine", où tout est à portée de main ou de voix, pour l'infléchir ou l'influencer même modestement dans un sens ou un autre, à défaut de la rebâtir à partir de rien (le geste préalable à l'utopie politique comme au mythe cosmogonique étant toujours la destruction, dé-struction ou déconstruction au moins imaginaire de ce qui existe; voir ici et là). Quand on est perdu dans l'immense réseau socio-politique de l'empire romain avec son ordre établi, ses lois, ses institutions et ses administrations sur lesquelles on n'a aucune prise, qu'on soit à Alexandrie ou à Rome, sauf à faire partie du cercle très restreint du pouvoir, comme empereur, courtisan ou haut fonctionnaire, tout ce qui était "politique" devient forcément autre chose, "moral", "spirituel", "intérieur". Par nécessité toute "philosophie" comme toute "religion" devient essentiellement "apolitique": c'est vrai du médio- et du néo-platonisme comme du stoïcisme, de l'épicurisme, du cynisme ou du scepticisme, et du christianisme comme du judaïsme pharisien et rabbinique, de tous les "mystères" et de toutes les "gnoses". L'apolitisme est paradoxalement la nécessité politique quasi universelle qui conditionne toute pensée; cela n'empêche pas la pensée de prendre des tournures très différentes, mais elles auront toutes un "air de famille" qui est aussi une question d'époque, l'air ou l'esprit du temps. Plus "spirituelles", "intellectuelles", "morales", "intérieures", à cause de conditions très "matérielles" et "politiques" (là-dessus au moins Marx et Nietzsche auraient été d'accord, mais c'était encore une question d'époque, d'une époque redevenue "politique" dans un tout autre contexte, celui de l'Etat-nation, présupposé même de l'inter-nationalisme qui n'était plus l'ancien cosmopolitisme). Voir éventuellement, sur un autre thème, une réflexion assez similaire ici: comment la "liberté", de même que la "justice", devient morale, spirituelle ou intérieure en passant de la Grèce classique à l'époque hellénistique et à l'empire romain, comment elle redevient éventuellement concrète, mais autrement, quand les conditions politiques, économiques, sociales mais aussi techniques changent, notamment de la Renaissance à l'époque contemporaine.

Sous ce rapport d'ailleurs, la fameuse "fin des idéologies" que nous ressassons depuis bientôt un demi-siècle peut aussi se lire comme un retour à une phase d'"apolitisme", à condition de ne pas négliger ce qui la distingue des précédentes: il y a toujours de la politique et de la différence en politique -- entre les régimes "autoritaires" d'inspiration totalitaire, nationaliste et/ou religieuse et les régimes démocratiques à l'occidentale, et ce qui reste de la "gauche" et de la "droite" de ces derniers -- mais ce qui s'expérimente à peu près partout de la même manière c'est l'impuissance même du pouvoir, devant des "problèmes" qui ne sont plus vraiment du ressort du "politique" tel qu'il se pense depuis "toujours", en-deçà même de la Grèce antique, au moins depuis les premières cités-Etats. A ce stade des notions "politiques" immémoriales comme la "justice" paraissent singulièrement énigmatiques et inopérantes à force de polysémie, et la sédimentation ou stratification en elles d'innombrables couches de moralisation, de spiritualisation ou d'intériorisation héritées des périodes "apolitiques" précédentes ne fait que les rendre encore plus illisibles. Elles en deviennent même paralysantes, car il n'y a guère d'action ou de décision "politique", si nécessaire qu'elle puisse paraître, qui ne soit susceptible d'attenter à tel ou tel aspect de la "justice" (ou de la "liberté", et autres "vertus" ou "valeurs" inextricablement politico-morales).

L'ironie de l'histoire (de toutes les villes, de toutes les nations et de tous les Etats) c'est qu'elle aura surtout retenu ce que les "sages", les penseurs logiques, rationnels, cohérents du politique (de Platon au "réalisme socialiste" p. ex.) rêvaient d'en exclure: la "poésie" ou l'art dans ce qu'il a de plus "gratuit", de moins utile et de moins édifiant (c.-à-d. "constructif", du point de vue du gouvernement comme de l'éducation-formation, paideia, Bildung, etc.; l'utile et l'édifiant-constructif étant aussi des notions pauliniennes, censées orienter ou canaliser, sinon neutraliser, le redoutable "tout est permis", 1 Corinthiens 6,12; 10,23).
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 18 Aoû 2023, 12:39

Citation :
A mon sens, ce commentaire passe à côté du point précis que j'essayais de souligner: il ne s'agit pas seulement de dire que les riches peuvent devenir pauvres et les pauvres devenir riches, ni qu'un abaissement, une humiliation, une chute, un mal peut entraîner un bien, une élévation, etc., et inversement, toutes banalités qu'on retrouve à peu de choses près dans toutes les "sagesses", "bibliques" ou "des nations". La leçon est beaucoup plus paradoxale et plus profonde, si c'est le même "évangile", la même "bénédiction", le même "bien", le même "salut", qui se traduit simultanément pour les uns par l'abaissement et l'humiliation et pour les autres par l'élévation et la glorification, et que les uns et les autres doivent s'en réjouir ensemble... Cela aussi peut rappeler la "justice" d'Anaximandre...


https://etrechretien.1fr1.net/t331-la-bonne-nouvelle-prechee-aux-riches#32816

À propos de Les théories de la justice dans l'Antiquité, Jean-François Balaudé (Nathan Université, coll. 128, 2000)
Olivier Picavet, Céline Boulenger

Reste que ce changement de paradigme, comme nous l’avons souligné, s’effectue au sein d’un même monde. En ce sens, la vue d’ensemble sur l’Antiquité qu’apporte le livre de Jean-François Balaudé permet de repérer la continuité dans ce changement, et partant, de mieux maîtriser l’intelligibilité de ce dernier. Ainsi il est patent que si le divin est destitué dans son rôle de principe, il ne disparaît pas pour autant. En réalité sa destitution est un changement de statut : « le divin devient un attribut de ce qui est, de la nature du tout… on assiste alors à une réinterprétation de la nature des dieux » (p. 29), autrement dit, on assiste à leur naturalisation plutôt qu’à leur mort. Par exemple, « pour Anaximandre, les mondes seraient les dieux ». Et cela a son importance concernant la justice. On trouve encore en effet aujourd’hui dans la conscience commune l’idée d’un « juste retour des choses », c’est-à-dire l’idée que tout excès appelle sa nécessaire résorption. C’est que la naturalisation des dieux a conduit à celle de la justice. La justice devient alors le processus immanent d’une autorégulation naturelle. Mais cela fait d’autant mieux apparaître que la justice conserve sa vertu correctrice ou de remède. La rupture est relative. Ainsi, toujours chez Anaximandre, l’un des piliers de cette rupture, si la justice est naturelle, elle n’en est pas moins une « réparation ». C’est le mal qui a changé de nature et non pas la justice de fonction. Selon Anaximandre, le mal ou l’injustice réside dans le fait même d’exister (« être, c’est être plutôt qu’un autre, et c’est cela qui est “injuste” » p. 32), et la justice est le travail du temps pour rétablir l’équilibre et pallier l’injustice. En ce sens Jean-François Balaudé écrit que chez cet auteur « la justice est toujours en cours de rétablissement, toujours liée à l’injustice qu’elle répare – et de cela résulte l’équilibre du tout ». Dans l’univers d’Anaximandre tout s’équilibre (ce qui est démocratique au sens isonomique du terme, et de ce principe découle également l’idée d’un « juste retour des choses »). Mais il faut aussi remarquer l’importance du point de vue de l’univers. Or cela permet de relativiser la promotion de l’homme sus-indiquée qui fait suite au changement de paradigme : c’est chez les Modernes que la question de la justice est centrée sur l’homme, alors qu’elle est intimement liée pour les Anciens à la question du monde, au sein d’une structure englobante. C’est précisément cette structure englobante, devenue cosmologique avec les présocratiques, que Platon va réinterpréter, en réponse à la sophistique qui la vide de son contenu substantiel, ce qui nous conduit à notre troisième point.


https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2001-3-page-133.htm
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeVen 18 Aoû 2023, 13:43

N.B.: nous avons évoqué Anaximandre au tout début de ce fil (avril-mai 2021), et de nouveau un peu plus bas, en janvier 2022. Et encore cette semaine ici et (et sûrement pas mal de fois ailleurs entre-temps).

Cette brève recension est très intéressante: on passe en effet de la "mythologie" ou de la "théologie" en son sens "polythéiste" premier, qui concerne les dieux, à la "politique", par la "physique" (la phusis grecque, métaphore végétale, n'étant pas tout à fait la natura latine, animale, mammifère, vivipare, maternelle) qui est aussi bien une "cosmologie" (kosmos = "monde") qu'une "ontologie" (de l'"être" et des "êtres" ou des "étants"). Parce que j'ai encore en tête La République (politeia) de Platon, je rappelle que pour lui la "justice" particulière et individuelle, celle qui caractérise le "juste", consiste essentiellement à tenir son rôle dans la cité (polis), tout son rôle et rien que son rôle, ce dont dépend la "justice" générale comme équilibre vital de l'ensemble, conçu comme jeu de différences, distribution des rôles, répartition des tâches, division du travail. Equilibre réglé au sommet par le philosophe-roi, s'il y en a, et, à défaut, par des "lois" et des "gardiens", mais qui dépend aussi à son niveau, dans chaque "âme" (psukhè), d'un gouvernement analogue par l'intellect (noûs) sur des parties et des tendances complémentaires, mais potentiellement contraires et destructrices (thumos-andreia / epithumia-sophrôsunè, courage du désir fort au risque de l'excès de violence, tempérance du désir faible au risque de la lâcheté). De la "justice physique", cosmo-ontologique d'Anaximandre, qui concerne tous les étants et ne dépend d'aucun, souveraine et infaillible, à la "justice politique" de Platon, à la fois "pratique", normative et prescriptive, et "idéale", pour ne pas dire "utopique", il y a de grosses différences mais toujours un air de famille.

Il serait par ailleurs tentant de comparer ce parcours de la "justice" grecque (dikè, dikaios etc.) à celui de son correspondant hébreu (çdq), en sachant qu'ils vont se rejoindre à l'époque hellénistique, en particulier dans la Septante où la traduction de çdq par dikaios (etc.) sera quasi automatique (cf. post initial). Là aussi on vient du polythéisme, mais sans passer par la "philosophie" ni par la "politique" puisqu'en Judée n'y a quasiment aucune indépendance, même à l'échelle d'une ville, depuis la chute des royaumes (Samarie, Jérusalem) jusqu'à la dynastie hasmonéenne de la fin de l'époque hellénistique. La "justice" se trouve par là associée à une autre forme d'"idéal", religieux et monothéiste (c'est le Dieu unique qui assure l'ordre dans l'univers et dans l'histoire), qui tend vers une eschatologie inspirée à retardement par le zoroastrisme perse (figure du roi et/ou prêtre idéal, qui va devenir "messie" ou "christ"), en passant essentiellement dans l'intervalle par la médiation d'une loi (torah) rituelle et morale supposée divine et intangible (ce que n'a jamais été le nomos grec, qui va pourtant traduire torah).
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MessageSujet: Re: justice(s) ?   justice(s) ? - Page 3 Icon_minitimeMer 23 Aoû 2023, 10:32

Le rêve, le désir et le réel
Marx ou Cabet
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C’est ce que nous fait comprendre Socrate dans La république de Platon. La cité idéale semble bien destinée à rester une Idée, à rester une cité idéelle. Ce n’est pas en vue de sa réalisation qu’on s’efforce de la concevoir : « C’était donc pour obtenir un modèle que nous cherchions à savoir ce qu’est la justice en soi, et ce que serait un homme parfaitement juste (…) Nous avions pour but de les regarder, pour voir comment ils nous apparaîtraient eu égard au bonheur et à son contraire (…) Ce n’était donc pas dans le but précis de démontrer comment ces choses-là peuvent en venir à exister. » Il faut en effet convenir que, d’une part, sa réalisation n’est pas envisageable : il serait extrêmement difficile de réunir les conditions nécessaires à son effectuation à savoir l’intégration des femmes à l’égal des hommes dans le corps des gardiens, la communauté des femmes et des enfants et l’acceptation que les philosophes fussent rois. Mais surtout, d’autre part, que cette réalisation n’est, au fond, peut-être pas souhaitable. La troisième condition de réalisation de la cité soulève un paradoxe que Socrate suggère implicitement : puisqu’il n’est guère envisageable que les rois se fassent philosophes ou que les philosophes deviennent rois, force est de reconnaître que seul un tyran, par l’usage de la force, pourrait rendre la cité juste ! Celle-ci ne saurait être réalisée qu’en recourant aux moyens les plus injustes. La perfection réalisée supposerait la tyrannie justifiée. Le désirable n’est pas réalisable sauf à détruire ce qui le rend désirable. On ne peut pas réaliser la cité désirable ; plus encore, on ne saurait pas non plus désirer qu’elle se réalise. Ce paradoxe alors rebondit : nous devons convenir que ce qui est le plus souhaitable, la cité juste, ne l’est qu’en raison de son irréalité ; et que ce qui est le plus désirable en parole — selon le logos — ne l’est pas en fait. Il n’est pas permis de désirer la réalisation du désirable. Inversement, qui désire vraiment la justice ne saurait désirer qu’existe en fait cette cité qu’on a reconnue être juste en idée. Qui désire vraiment la justice ne peut désirer que celle-ci se réalise. Tout ce qu’on peut désirer est que les hommes la recherchent, coordonnent leurs efforts en une lutte contre les injustices. Mais on ne peut désirer qu’ils se donnent réellement les moyens d’actualiser ce possible car ce serait désirer la tyrannie, ne serait-ce qu’à titre de moyen en vue de la justice. Or, injuste, le moyen contredirait la fin. On n’accèdera jamais à la justice par le moyen de l’injustice, même si, inversement, seule l’injustice des moyens pourrait actualiser, réaliser, la justice.

https://www.cairn.info/revue-tumultes-2016-2-page-43.htm
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