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| scatologique | |
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Narkissos
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| Sujet: scatologique Dim 25 Sep 2022, 12:21 | |
| "Une génération pure à ses yeux, et elle n'a pas été lavée de sa merde." (Proverbes 30,12.) Ce proverbe mémorable (à replacer dans la collection pittoresque attribuée à Agour, chap. 30, et dans la mini-série des "générations", v. 11-14) est rarement traduit aussi brutalement, pourtant son sens scatologique ou excrémentiel ne fait guère de doute (même terme ç'h en 2 Rois 18,27 // Isaïe 36,12 p. ex.); la Septante (où l'équivalent de 30,1-14 est inséré avant 24,23, et 30,15--31,9 entre 24,34 et 25,1, sans référence à des noms propres comme Agour et Lemouel) explicite en euphémisant à peine: "une progéniture mauvaise se juge juste, mais elle ne s'est pas lavé le derrière" (avec exodos, "sortie" pour "derrière", sans doute à la faveur d'un rattachement incertain du mot hébreu à la racine yç', "sortir"). Il me revient assez souvent à l'esprit, devant ce que je perçois comme un retour en force du discours "moral" ou "éthique" depuis plusieurs décennies (même si la morale ou l'éthique en question a en partie changé de contenu): de plus jeunes générations ne le ressentent pas du tout ainsi, plutôt comme un "progrès" -- le "progrès moral" étant peut-être, avec le technoscientifique, les seuls survivants d'au moins deux siècles de pensée du "progrès" (qui fut aussi économique, social, politique, culturel, etc.). S'il y a une chose dont la jeunesse doute peu, c'est d'être meilleure que les générations précédentes; en soi ce n'est sûrement pas nouveau (le proverbe biblique et sa qualité même de proverbe, c.-à-d. de maxime populaire et traditionnelle, en seraient une preuve suffisante), mais cela se construit assez différemment dans une culture ancestrale, qui n'envisage guère de "progrès" général et fonde ses normes dans un passé immémorial, qu'il soit historique, légendaire ou mythique (on pense plutôt le présent et le récent comme décadence ou déchéance, et l'avenir, si l'on est optimiste, comme restauration ou rétablissement de l'ordre originel) et dans une société moderne, tendue par un idéal de progrès constant -- ne fût-il plus que "moral" -- vers un objectif qui reste indéfiniment futur, toujours devant, jamais atteint. Dans le passage de l'un à l'autre l' esc hatologie" (perse, juive, chrétienne, sécularisée) y aura aussi été pour quelque chose. --- Je rappelle très brièvement, car nous l'avons souvent évoquée (une des dernières fois ici, 29.11.2021), cette curiosité des représentations spatio-temporelles qui intrigue souvent ceux qui apprennent l'hébreu (superficiellement d'ailleurs, car à y regarder de plus près elle se retrouve dans beaucoup de langues): on a son passé devant soi et son avenir derrière soi (soit en français avant-devant, ci-devant, après-derrière, en latin ante et post, antérieur / postérieur, postérité, posthume, etc.; parfois associée de surcroît à l'orientation géographique face au soleil levant, est-avant-devant, ouest-après-derrière, sud à droite et nord à gauche, donc orient-origine et occident-fin...). J'avais oublié dans Le Septième sceau de Bergman ce dialogue dans l'église de l'écuyer et du peintre de fresques, après plusieurs rasades d'aquavit (de mémoire de quelques jours, c'est la pire): "Où qu'on aille et quoi qu'on fasse on a toujours son cul (ou son postérieur) derrière soi. -- C'est profond..." Une génération qui renie, désavoue ou ignore les précédentes -- comme si ce passé-là n'était pas le sien -- n'aura en effet pour passé que du futur dans le sens du postérieur, autrement dit ce qu'elle va laisser derrière elle, et dont elle n'a aucune idée; qu'il y ait ou non quelqu'un pour le reconnaître ou l'assumer, dans la fierté ou dans la honte (cf., dans la même veine quoique d'un point de vue un peu différent, Matthieu 23,29ss). |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: scatologique Lun 26 Sep 2022, 10:25 | |
| - Citation :
- Ce proverbe mémorable (à replacer dans la collection pittoresque attribuée à Agour, chap. 30, et dans la mini-série des "générations", v. 11-14) est rarement traduit aussi brutalement, pourtant son sens scatologique ou excrémentiel ne fait guère de doute (même terme ç'h en 2 Rois 18,27 // Isaïe 36,12 p. ex.); la Septante (où l'équivalent de 30,1-14 est inséré avant 24,23, et 30,15--31,9 entre 24,34 et 25,1, sans référence à des noms propres comme Agour et Lemouel) explicite en euphémisant à peine: "une progéniture mauvais se juge juste, mais elle ne s'est pas lavé le derrière" (avec exodos, "sortie" pour "derrière", sans doute à la faveur d'un rattachement incertain du mot hébreu à la racine yç', "sortir").
Divinité et scatologieUn jour, selon le Talmud de Jérusalem, cité par Georges Sorel, un nommé Sabbataï de Oulam entra dans le temple de Péor (une célèbre divinité des Moabites). « Il y accomplit un besoin et s’essuya au nez de Péor. Tous ceux qui l’apprirent louèrent l’homme pour cette action et dirent : Jamais personne n’a aussi bien agi que lui ».Le Talmud de Jérusalem semble ici impliquer qu’il s’agissait en l’occurrence d’un acte hautement significatif et d’un grand courage, censé montrer le mépris d’un Israélite envers les idoles des Moabites. Le Juif Sabbataï va délibérément déféquer sur l’idole moabite et se torche ensuite sur le nez de l’idole, et il reçoit en conséquence les éloges de ses coreligionnaires pour cette extraordinaire démonstration de mépris.Mais en réalité, il n’y avait là rien qui puisse choquer les Moabites. Au contraire ils ne pouvaient qu’applaudir la démarche de Sabbataï de Oulam, dont ils pouvaient penser qu’il se conformait parfaitement à la procédure standard du culte à rendre à Péor.Le célèbre commentateur du Moyen Âge, Rachi, l’explique d’ailleurs fort bien : « PEOR. Ainsi nommé parce qu’on se déshabillait (פוערין ) devant lui et qu’on se soulageait : c’est en cela que consistait son culte. »ivUne petite précision sur le dieu Péor est peut-être utile ici. Le « dieu Péor », autrement dit « Ba’al Pe’or », est plus connu en Occident sous le nom de Belphégor, qui n’en est que la transcription approximative. Ce nom vient de l’hébreu פָּעַר qui signifie « ouvrir la bouche largement ».Péor signifie par son nom même qu’il était le « dieu de l’ouverture ».Mais de quel type d’ouverture était-il réellement question ?(...)Les formes de cette idolâtrie étaient diverses, et certaines étaient nettement scatologiques, comme en témoigne le 5ème livre de la Torah, le Deutéronome:« Vous avez vu leurs abominations et leurs excréments (גִּלֻּלֵיהֶם guiloulei-hem, littéralement « leurs boules »), le bois et la pierre, l’argent et l’or déifiés chez eux »xi.Ces pratiques pouvaient aller jusqu’à la coprophagie.https://metaxu.org/2021/11/28/divinite-et-scatologie/ |
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| Sujet: Re: scatologique Lun 26 Sep 2022, 12:42 | |
| Ce n'est pas vraiment la direction que je visais pour ce fil, mais mon titre s'y prêtait... La lecture n'est pas inintéressante, à condition de ne pas en attendre du "scientifique" -- pas seulement à cause de l'amateurisme érudit et des tendances néo-(chamaniques, gnostiques ?) de l'auteur qui est, si je ne m'abuse, un ancien de la télévision française, mais surtout parce que le champ est trop vaste et les sources (secondaires) trop hétéroclites. Il est assez clair, par exemple, que ni le Talmud de Jérusalem (achevé au Ve siècle, et cité en l'occurrence par Sorel, mort en 1922) ni Rachi (XIe s.) n'apportent la moindre information "historique" sur le royaume de Moab, dont les derniers restes avaient disparu à l'époque perse (avant de reparaître en partie grâce à l'archéologie moderne). En revanche, on a souvent noté l'obsession scatologique (et pornographique) du livre d'Ezéchiel, et son rapport étroit et ambivalent avec les règles de pureté/sainteté du Lévitique (le personnage d'Ezéchiel est un prêtre en exil, le livre reflète une tradition sacerdotale et rituelle ancienne et contribue à son tour à l'élaboration des textes sacerdotaux post-exiliques de la Torah). Comme on l'a aussi remarqué bien des fois, ce que la modernité distingue plus ou moins nettement sous les titres de "morale" et d'"hygiène" (avec des zones indécises comme la "bienséance" ou les "convenances", ce qui se fait et ne se fait pas) a une (pré-)histoire compliquée, en particulier dans la notion "biblique" de " péché" qui est passée de la souillure "rituelle" à la faute "morale", notamment sous l'influence de la "conscience socio-économique" des Prophètes, sans perdre pour autant ses connotations rituelles. Quoi qu'on en dise et quoi qu'on en fasse, le "mal" peine à se distinguer du "sale", et inversement. (Je me souviens vaguement que VANVDA, il y a longtemps, avait cité quelque part dans ce forum un excellent texte de Kundera sur le péché et la merde: j'en ai gardé l'idée qu'il serait plus facile à Dieu de se disculper des "fautes morales" que de se purifier de la merde du monde, coextensive au moins à la "vie".) |
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| Sujet: Re: scatologique Lun 26 Sep 2022, 14:12 | |
| - Citation :
- Ce n'est pas vraiment la direction que je visais pour ce fil, mais mon titre s'y prêtait...
La génération de 68 et le passé des pères : entre accusation et identification inconsciente ? L’attaque idéologique Le coup porté à l’héritage de 68 par la ‘Nouvelle Droite’ nous semble s’inscrire dans une conjoncture politique globale qui va dans le sens d’un anti-marxisme triomphant et d’un nationalisme affranchi. Les deux trouvent leur point culminant dans un ouvrage collectif à caractère programmatique publié en 1994 et intitulé Die selbstbewusste Nation. Ce recueil qui se veut un manifeste de l’intelligentsia néo-conservatrice accompagne l’essai extrêmement polémique de Botho Strauss Anschwellender Bocksgesang, dans lequel il dénonce le monopole culturel de la gauche, le libéralisme liberticide, l’ouverture gauchiste bien pensante qui met en danger l’identité nationale ainsi que toute la panoplie des idées d’une certaine gauche d’inspiration soixante-huitarde. Les autres contributions de l’ouvrage vont dans le même sens et fustigent « la haine de tout ce qui est allemand, semée par l’intelligentsia de gauche depuis 1968 » ou le fait qu’« après 68, la nation fut abandonnée sur la décharge de l’histoire (Kehrrichthaufen der Geschichte) et […] que les valeurs familiales et religieuses se trouvèrent massacrées ». La rupture générationnelle La démolition du mythe de 68 engagée par des représentants de la ‘génération Golf’, si elle est infiniment moins virulente que celle des courants néo-conservateurs, nous semble tout aussi importante et peut-être, sous ses airs blasés et moqueurs, encore plus intégrale. Cette troisième génération d’après-guerre, que ses porte-parole auto-intronisés comme les auteurs regroupés sous le terme de Popliteratur définissent comme volontairement apolitique, hédoniste et consumériste (d’où le nom faisant allusion à la Golf prétendument indispensable à son bonheur) s’oppose résolument (mais sans passion, puisque les passions sont réservées aux choses importantes comme le fétichisme des marques) à l’héritage politique et social de ses parents. Son arme principale est l’ironie et sa cible privilégiée le discours dominant post-68 sur l’importance de l’histoire, l’engagement pour la Vergangenheitsbewältigung et la nécessité d’une conscience politique. Ce soi-disant monopole discursif dont la génération Golf dit avoir souffert tout au long de sa scolarité n’est pas attaqué pour des raisons idéologiques, mais parce qu’il paraît, aux yeux de la troisième génération, foncièrement anachronique et – insulte suprême – ringard. https://journals.openedition.org/germanica/511?lang=en |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: scatologique Lun 26 Sep 2022, 16:05 | |
| Merci pour cet article passionnant -- nettement plus dans le sens que j'avais en tête, en effet (j'aurais pu intituler "morale et générations") -- même si je ne pensais pas à l'Allemagne, exemple exemplaire il est vrai, ni à ce découpage précis des "générations" (la génération "néo-morale" dont je parlais serait encore postérieure à celle des années 80 qui correspondrait outre-Rhin à la "Golf generation" d'après Volkswagen, plutôt consumériste, hédoniste et peu "morale"); en ce sens les "générations" se succèdent et s'opposent très vite, bien que ce ne soit jamais exactement de la même façon et que pourtant elles finissent toujours par se ressembler... (Soit dit en passant, c'est aussi de ce genre de réflexion assez banal dans les "sciences humaines", sur la notion de génération comme événement culturel non strictement réductible à une date, que la Watch a cru pouvoir abuser en sens inverse pour étendre sa "génération de 1914" au-delà de toute vraisemblance...) [Toutes les suites à mon post initial étaient cependant les bienvenues, aussi bien vers "la scatologie dans la Bible ou ailleurs" (sujet vaste mais d'intérêt incertain) que vers le contexte de Proverbes 30 (notamment la série des "générations", v. 11-14). Cela rejoindrait aussi le problème général de la suite (séquence, succession) dont nous avions parlé ici: qu'on le veuille ou non on s'inscrit toujours dans la suite de ce qui nous précède, différemment certes selon qu'on le veut ou non, mais en définitive pas si différemment qu'on l'aurait cru au moment de le vouloir ou non...] En lisant ce texte j'ai repensé à Carl Schmitt, cas assez original d'un parcours individuel et intellectuel qui aura surfé sur les générations, flirtant avec le nazisme dans les années 30 et avec la guérilla marxiste (et notamment avec Dutschke, évoqué par l'article) dans les années 50-60, sans vraiment se confondre avec l'un ou l'autre. |
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| Sujet: Re: scatologique Mar 27 Sep 2022, 10:54 | |
| "Une génération s'en va, une génération vient, et la terre subsiste toujours" (Qo 1,4).
« Rien de nouveau sous le soleil »
En guise d’entrée en matière, Qohélet va poser trois thèses. La première nie toute nouveauté parmi les humains (1,4-11). Le point de départ de sa réflexion est l’observation élémentaire que les générations se succèdent sur la terre. L’une s’en va, tandis que la suivante s’en vient. L’histoire de nos familles est ainsi faite, mais aussi celle de toute la race humaine ...
Chaque génération s’agite ainsi sans arrêt, sans réel profit, sans progrès véritable. Elle est en outre dans l’impossibilité de transmettre à celle qui la suit l’expérience qu’elle a acquise. A chaque génération de refaire en son propre parcours l’expérience du cœur humain : amour, haine, justice et corruption, joies et peines, solitude ou communion fraternelle, guerre et paix. C’est de cela que parle Qohélet. En raison de son métier de sage, il observe les hommes tels qu’ils sont. Ce n’est pas à lui de prendre en compte, comme le feront les prophètes et les psalmistes, la nouveauté inouïe du salut de Dieu dans l’Histoire. Il n’empêche que, même pour les croyants, cette nouveauté du contenu de la foi doit être reproclamée à chaque génération, qui l’accueillera ou la rejettera, tantôt la placera au cœur de son existence, tantôt l’oubliera dans son agir.
Qui prétendrait découvrir du nouveau dans ces domaines serait simplement victime de son ignorance du passé. Certes, Qohélet n’a que faire, dans ses réflexions, des nouveautés technologiques sans cesse en progrès, et peu importe. Car la guerre, par exemple, divise toujours les humains, qu’ils l’entreprennent à mains nues ou avec des moyens toujours plus terrifiants. Le fait essentiel est que chaque génération doit affronter elle-même le choix de la guerre ou de la paix.
https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-5-page-639.htm |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: scatologique Mar 27 Sep 2022, 12:13 | |
| Le ton de Qohéleth n'est pas celui d'Agour -- plus ironique et résigné, moins sarcastique ou ulcéré ? -- mais le thème est bien le même, et le mot pour "génération" ( dwr/dôr) aussi. Le passage des générations (humaines ou autres), répétitif et différencié comme celui des jours et des nuits, des saisons, des années, peut d'ailleurs être également l'objet d'un (presque) pur émerveillement comme dans le solaire psaume 104 (tel qu'évoqué p. ex. au début de ce fil). Par ailleurs, Qohéleth se montre aussi très sensible aux aléas des successions et des suites en tout genre (p. ex. 1,11; 2,18ss; 3,22; 6,12; 7,14... que la tradition de la succession catastrophique de Salomon, d'après les Rois, y soit ou non pour quelque chose, elle en est au moins une illustration). |
| | | free
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| Sujet: Re: scatologique Mer 05 Oct 2022, 10:23 | |
| Selon Daniel I. Block, ce proverbe, dans lequel Dieu n’est pas mentionné, doit être compris dans un sens « séculier », plutôt que théologique. Il exprimerait le constat d’une situation habituelle reflétant « la croyance en un déterminisme inévitable et incontrôlable. Les choses sont ainsi ; on ne peut rien pour les changer » (Block 1997, 560 — ma traduction). À son avis, ce « fatalisme matérialiste » équivaudrait à un constat d’indifférence ou d’impuissance de Dieu devant une « loi immuable de l’univers : le destin d’une génération est inexorablement déterminé par les actions des précédentes » (Block 1997, 561).
Bien qu’attrayante, cette lecture est peu vraisemblable. Dans la sagesse ancienne d’Israël, l’ordre du monde, observable dans la nature par ceux qui savent le discerner, ne fonctionne pas de manière indépendante, mais remonte ultimement à la volonté du Dieu créateur (voir Darr 2004, 210). Le dicton serait donc à interpréter dans une perspective théologique, même si Dieu n’y est pas nommé. Compris sous cet angle, un adage affirmerait non pas une fatalité aveugle, mais le principe d’une rétribution transgénérationnelle des offenses, définie comme « une punition […] qui s’applique non seulement à l’offenseur et à sa parenté dans une même génération, mais aussi à ses descendants » (voir Darr 2004, 200 n. 9). Ce principe semble clairement formulé dans le Décalogue, à propos de l’interdiction de l’idolâtrie :
Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi YHWH, ton Dieu, un Dieu jaloux, poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations — s’ils me haïssent — mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations — si elles m’aiment et gardent mes commandements.
Le rapprochement est significatif, même si le texte d’Ézéchiel ne recouvre pas totalement celui du Décalogue. De l’avis de Bernard M. Levinson, cet « écho indirect » pourrait être intentionnel et éviterait à Ézéchiel de confronter directement la loi divine en donnant au principe de la rétribution « la voix de la sagesse populaire » et lui permettrait de proposer plus facilement une explication différente de la situation de ses contemporains (Levinson 2005, 46). Par ailleurs l’interprétation même de ce principe, tel qu’il est exprimé dans le Décalogue, fait l’objet d’un débat entre, d’une part, ceux qui y voient un « sursis que YHWH interpose entre la faute de la première génération et l’exécution de la peine à la quatrième en vue de susciter un amendement de la part des coupables » et, d’autre part, ceux qui l’interprètent « comme une sanction collective transgénérationnelle » (Sénéchal 2009, 230). Selon Block, cet énoncé est à l’origine « un avertissement proleptique qui prévient les adultes de surveiller leur conduite parce que leurs actions ont des conséquences sur leurs enfants » (Block 1997, 559 — ma traduction). Dans ce texte, comme dans celui d’Exode 34, la « balance » entre la punition des fautes et la miséricorde divine penche par ailleurs nettement en faveur de la deuxième.
Ex 20,5-6 ; voir Dt 5,9-10
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2016-v24-n1-theologi03584/1044740ar/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: scatologique Mer 05 Oct 2022, 11:41 | |
| "Ce proverbe", ce n'est évidemment pas celui que j'ai cité au début de ce fil (Proverbes 30,12), mais celui d' Ezéchiel 18,2 (aussi Jérémie 31,29), l'étude ci-dessus étant consacrée à l'ensemble de ce chapitre... Cela dit, dans Proverbes 30 non plus il n'y a pas de "responsabilité transgénérationnelle", d'autant que les quatre "générations" (v. 11-14) ne se comprennent guère comme successives... et encore moins de "jugement divin" explicite (même si la collection est disparate, le chapitre s'ouvre sur une superbe déclaration d'agnosticisme anti-sapiential, embrassant le dieu, l'homme et la connaissance dans la même dénégation, v. 1-4). Duhaime a certainement raison d'essayer de dégager le texte d'Ezéchiel du sempiternel problème de la "rétribution" (individuelle ou collective, transgénérationnelle ou pas, plus ou moins, trois ou quatre générations contre mille selon le Décalogue) vers celui, légèrement décalé, de la solidarité des générations et ce qu'elle implique de " fatalisme" (déterminisme, causalité, etc., n'étant jamais que des précisions modernes des notions quasi universelles de succession et d'irréversibilité du "temps" et de l"histoire" en tout genre -- cf. encore Agathon cité par Aristote: ce qui est fait est fait, même les dieux n'y peuvent rien). La chose est aussi compliquée par la prescription immémoriale du respect des parents et des ancêtres (explicite dans le Décalogue, implicite en Proverbes 30, v. 11) qui se combine mal à toutes les "innovations" religieuses ou morales (progrès, révélation, repentance, conversion, etc.): comme on l'a remarqué précédemment, le Deutéronome qui n'hésite pas à faire lapider le fils désobéissant n'ordonne rien de tel pour le père ou la mère, le grand-père ou la grand-mère, et on retrouve le même embarras jusque dans l'islam (cf. l'histoire d'Abraham confondue avec celle de Gédéon dans le Coran: on détruit les idoles du père mais non le père idolâtre), nonobstant entre-temps les ruptures familiales (et intergénérationnelles) audacieuses des évangiles synoptiques (haïr son père et sa mère, etc.). Soit dit en passant, le caractère non-transgénérationnel de la "rétribution" serait plutôt de nature à rassurer les "méchants" que les "justes", du point de vue des ancêtres... |
| | | free
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| Sujet: Re: scatologique Mer 05 Oct 2022, 12:29 | |
| Vers une transmission intergénérationnelle des savoirs...
Avec des conséquences pédagogiques
« Mes enfants sont devenus mes racines. »(Tim Guénard)
Le retournement ainsi nécessité se met au goût du jour : et c’est de plus en plus ouvertement que cette scansion des générations s’inverse, les jeunes apprenant concrètement aux plus anciens les données du monde actuel, quand ceux-ci leur font part du passé, ce qui jettera la base de leur avenir en termes de savoirs.
Ce mouvement dans sa forme actuelle est, on l’a vu, récent. Jusque dans les années 1970 environ, la crise entre les générations restait la règle et la révolte dirigée contre les pères. L’héritage des époques précédentes était refusé et jugé ringard, la jeunesse se tournait vers le futur en espérant pouvoir faire fi d’un passé estimé révolu. Quant il était trop difficile ce passé était carrément gommé, escamoté, voire remplacé par un mensonge. Culturellement, on pensait encore que la fiction voire le déni ou la contrevérité pouvaient en toute impunité remplacer, dans l’enseignement, des faits peu glorieux ou catastrophiques.
Quelques décennies plus tard, les jeunes ne se révoltent plus contre le passé mais pour l’avenir et leurs descendants. Et le passé n’est plus rejeté – on a enfin compris qu’il est pire de tenter de faire sans, « comme si » il n’avait pas eu lieu –, il est au contraire valorisé et recherché. Mais d’abord candidement, sans se douter de tout ce qu’il peut receler de drames : il faut savoir, se souvenir, commémorer, ouvrir les placards et autres oubliettes, dit-on. Avec tous les excès auxquels on assiste quand le souvenir n’est plus un choix, une conquête, mais une obligation, et que l’oubli devient forclos.
Il y a là une ambiguïté inévitable et qu’il est nécessaire de dépasser, la qualité de la transmission étant à ce prix. Le passé en effet a eu lieu et ne peut être effacé, il a besoin d’être su ou plutôt « savoiable », comme le suggère Sandra Vasconcelos dans sa thèse, à savoir proposé à la construction, pas interdit ni détourné d’accès (cf. note 48). Pour autant, est-il toujours « avouable » ? Alors pour désamorcer les soupçons il est rendu comme transparent, épuisable, comme si parler de transmission ou de devoir de mémoire allait le blanchir… Alors ce sont toujours les adultes qui « savent » (ou le croient) qui détiennent le pouvoir d’établir ce qui est à dire et enseigner et à qui, et les enfants, surtout pas les enfants : eux n’ont qu’à écouter et enregistrer sans rechigner…
Alors les conséquences pédagogiques de ce mouvement de transmission qui se retourne deviennent inévitables, si on accepte de les considérer, et il apparaît indispensable de les prendre en compte dans les politiques et pratiques actuelles. La construction des savoirs s’inscrit ainsi, par l’échange dialogué, dans une histoire collective, impulsée des uns vers les autres, qu’ils soient plus ou moins jeunes : la différence des générations entre enseignants et apprenants peut s’estomper et même, parfois, elle aussi se renverser – l’amour-propre de l’ex-détenteur d’un supposé savoir absolu et « sûr » dût-il en souffrir.
C’est là un véritable changement de posture transformateur de notre rapport au monde et au savoir qui s’ouvre, et dont ce qui est présenté ici n’est qu’une manifestation. Ainsi, nous prenons conscience que nous sommes produits par ce (ceux) que nous produisons (nous sommes le produit de nos œuvres de vie) et non plus, ou pas seulement, par ceux qui nous ont produit. Une vision qui permet d’échapper à la fatalité reproductrice (croyance encore très vivace pour beaucoup), mais dont l’exigence productrice est de nous rendre sans fin créateurs de ce qui nous constitue et redevables du futur dont nous ne pouvons nous passer pour vivre aujourd’hui. Pour ce faire les générations, toutes les générations, ont besoin de se tenir la main, prenant conscience que la transmission est en fait ce mouvement qui vient des plus jeunes et qu’ils apprennent à leurs aînés, lesdits « enseignants ».
https://www.cairn.info/revue-savoirs-2004-1-page-67.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: scatologique Mer 05 Oct 2022, 14:43 | |
| En lisant ça j'ai l'impression que les choses ont encore beaucoup changé depuis 2004, et (bien que je ne sois guère enclin à la prédiction) qu'elles vont changer davantage et de plus en plus vite: je ne suis pas tellement porté (non plus) sur la hantise conservatrice de la cancel culture, mais il me semble qu'il y a beaucoup d'agressivité et de ressentiment qui (re-)montent des jeunes générations à l'égard des plus anciennes (encore vivantes ou déjà mortes depuis longtemps), pour d'excellentes raisons dont certaines au moins ne sont pas près de s'épuiser. Tout cela est encore balisé ou canalisé par une morale "humaniste" héritée de la séquence précédente et qui se berce de l'illusion de la "convergence des luttes", comme si toutes les formes de "progrès" (social, sociétal, économique, écologique) étaient par définition compatibles entre elles, mais il suffirait que cette illusion s'effondre pour qu'on saute de la génération "pure à ses propres yeux (quoique toujours dans sa merde)" à celle qui a des dents comme des rasoirs... (Proverbes 30,11-14 -- la progression des maximes mérite aussi d'être méditée). En ce sens, la clique "illibérale" qui s'évertue à saper la "morale occidentale moderne" sous les prétextes les plus hétéroclites (orthodoxie chrétienne russe ou orientale, islam chiite ou autre, socialisme marxiste-léniniste-staliniste-maoïste revu à la sauce capitaliste, hygiéniste, psychologique de masse et technoscientifique) fait peut-être un travail (du négatif) nécessaire, mais il est douteux qu'elle ait elle-même quoi que ce soit à y gagner... |
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