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| Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents | |
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| Sujet: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 09 Avr 2024, 10:24 | |
| Raconter l’Histoire avec des documents. Mise en intrigue de l’écrit dans le livre d’EsdrasDominique JosephL’ensemble Esd-Ne présente l’œuvre d’Esdras (Esd 7-10), prêtre et scribe expert dans la Loi de Moïse (7,5-6), et de Néhémie (Ne 1-13), proche du roi perse Artaxerxès (Ne 2,1), dans le contexte du retour de l’exil à Babylone (Esd 1-6). L’histoire s’ouvre sur la promulgation de l’édit de Cyrus (1,2-4), autorisant le retour des déportés — sous la conduite de Zorobabel — et la reconstruction du Temple de Jérusalem. Accompagné d’une caravane (7,7; 8,1-12), Esdras revint à Jérusalem porteur d’une lettre royale (7,12-26) lui donnant la capacité de rétablir le culte et les sacrifices. Le Grand Roi Artaxerxès a probablement autorisé aussi les travaux de reconstruction (6,14; 9,9). Le déroulement de ce projet d’ensemble connaît de nombreuses péripéties — l’opposition du «peuple du pays» (4,4) et même l’interruption des travaux (4,24) — et déroute le lecteur contemporain à plusieurs reprises: le roi perse Cyrus semble être un fidèle de Yhwh dont il recommande le culte (1,2); le scribe Esdras est chargé par le roi perse de promulguer la Loi de Dieu comme loi du roi (7-; le gouverneur Tatnaï, venant inspecter le chantier à Jérusalem, ignore qui l’a autorisé (5,3); Néhémie, gouverneur de Jérusalem (Ne 5,4), semble œuvrer autant pour le roi dont il sert les intérêts — surendettement des paysans (Ne 5,3), repeuplement de Jérusalem (Ne 11,1), question du montant de l’impôt (Ne 10,35-40) — que pour le respect des traditions de son peuple — reconstruction des remparts de Jérusalem (Ne 3,1-32), respect du repos sabbatique (Ne 10,32), restauration du service du Temple (Ne 12,44-45), etc. Nous voudrions cependant nous arrêter sur une autre particularité de ce court récit. Le temps de la narration, la posture et le style narratifs ont en effet l’enjeu des stratégies narratives les plus subtiles d’Esd-Ne. Son originalité réside notamment dans la production de documents.L’historiographie biblique, d’une manière générale, innove en la matière en indiquant ses sources; en cela, elle se révèle en avance sur les pratiques référentielles de l’historiographie critique. Esd-Ne se situe clairement dans cette démarche: les nombreux repères historiques structurant Esd, la mention de documents officiels accessibles à qui veut vérifier — «que l’on recherche à la trésorerie royale, là-bas à Babylone» (5,17) —, les preuves de la correspondance du monde du récit avec l’expérience empirique du lecteur dans le monde réel — «je les rassemblai près de la rivière Ahawa» (8,15); «tremblant à cause de cette affaire et à cause de la pluie» (10,9) — témoignent de la visée historiographique d’Esd-Ne. Le personnage d’Esdras reçoit un traitement particulièrement insistant à cet égard: dans la longue introduction destinée à le caractériser, six versets (Esd 7,1-6) sont consacrés à le situer dans l’Histoire des peuples et dans la généalogie de ses pères. Ainsi, à l’instar de l’ensemble du corpus narratif de la Bible qui affirme raconter l’Histoire, Esd-Ne saisit dans un récit la réponse dans l’Histoire à l’initiative divine: «afin que s’accomplisse la parole de Yhwh» (1,1).IV – Identité de l’Israël postexiliqueL’exposition du récit (Esd 1,1–2,70) repose sur la production de trois documents — l’édit de Cyrus (1,2-4), la liste des vases (1,9-11) et la liste des rapatriés (2,3-67) — et sur une allusion au livre de Jérémie (1,1). Notre commentaire a montré que la référence à ces quatre écrits fonde une première définition de l’Israël postexilique, qui s’est avérée être l’enjeu d’une présentation dynamique liée à l’intrigue du récit.D’abord, l’appel de Yhwh est premier (Esd 1,3). Il est médiatisé par l’édit de Cyrus et invite au retour à Jérusalem, la liste des rapatriés énumérant ensuite les membres du peuple. Mais répondre à l’appel du Dieu d’Israël n’est pas l’unique critère d’appartenance à son peuple, faire partie de la caravane du retour n’est pas suffisant. Une frontière est délimitée par d’autres écrits, les registres de généalogie (2,62), capables d’établir l’ascendance familiale préexilique et définissant ainsi ceux qui sont à l’intérieur du peuple saint (2,3-58) et ceux qui sont à l’extérieur (2,59-62). Cette ligne de démarcation n’est pas inflexible; bientôt la liste des rapatriés sera complétée, de manière plus concise et plus détaillée, lors du retour mené par Esdras (8,2-14). En outre, être comptés parmi les membres du peuple n’apporte aux rapatriés aucune garantie de stabilité: quand l’intégrité du peuple saint est menacée, les coupables sont menacés d’exclusion (10, et dénoncés (10,18-43). Au contraire, tous ceux qui renoncent aux «impuretés des païens du pays» sont intégrés aux «fils d’Israël» revenus de la déportation (6,21).Ensuite, reconnaître «Yhwh, le Dieu d’Israël» (Esd 1,3) comme son propre Dieu et lui offrir des sacrifices n’est pas suffisant. Les «ennemis de Juda» le prétendaient (4,2), mais le récit d’Esd a montré que la manière de célébrer le culte est un critère discriminant. C’est ainsi que l’ultime écrit, celui qui n’est d’abord introduit que par une énigmatique allusion au livre de Jérémie, celui dont la nature et l’importance sont progressivement dévoilées jusqu’à son ostentation (Ne 8,5-6) et sa lecture liturgiques (Ne 8,, fait sa première apparition dans le récit: «présenter les holocaustes, comme il est écrit dans la Loi de Moïse, l’homme de Dieu» (Esd 3,2). Appartiennent au peuple du Dieu d’Israël ceux qui le célèbrent selon ses propres prescriptions, consignées dans la Loi transmise par le prophète Moïse.Enfin, la fidélité et la continuité dans la localisation, non seulement du Temple (Esd 2,68; 5,15; 6,7), mais de l’autel lui-même, sont des données identitaires liées à l’intrigue. Ce dernier sera en effet rétabli sur ses anciennes fondations, à la hâte et dans la peur (3,3), et la construction du premier sera l’objet d’un souci de conformité au passé (5,11) suscitant de nombreuses oppositions (4,6-. Le jeu des ennemis consistera en effet, par des citations choisies et une rhétorique habile, à falsifier la perception de la période préexilique, à en déformer la mémoire (4,12-16), et par là, à interrompre les travaux (4,21). Les rapatriés devront alors reconstruire une interprétation du passé conforme à la vérité historique (5,11-16) et, grâce à la probité de Tatnaï, Shetar-Boznaï et leurs collègues, ouvrir une enquête administrative orientée vers les sources documentaires confirmant leur lecture de l’Histoire (5,17).https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2012-4-page-531.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 09 Avr 2024, 11:30 | |
| Etude très utile, si l'on comprend bien qu'elle se désintéresse de toute considération "historique" (pour rappel, problème épineux puisqu'on ne sait même pas dans quels siècles ni dans quel ordre ni il faudrait placer les personnages Esdras et Néhémie) pour se concentrer sur la mise en scène, en page (ou en colonne, s'agissant de rouleaux) et en abyme de l'écriture dans l'écriture -- au passage, la "déconstruction" est décidément tombée dans le domaine public, on ne se réfère pas non plus à son histoire ou à sa généalogie... Il ne s'en dessine pas moins une tentative d'explication extra-scripturaire de l'écriture, par une cause ou une visée hors-texte du texte, puisque tout ce procédé est ramené à une "stratégie narrative" dont on peut se demander dans quelle mesure elle est "volontaire", "intentionnelle" ou "consciente" de la part d'un ou de plusieurs "auteurs", et conditionnée à une perspective "idéologique", théologique et/ou politique... D'autre part une lecture moins cadrée ne saurait guère éluder le problème de la "fiction", ici brièvement évoqué et écarté (cf. note 6): entre les lignes, on devine une fiction honteuse ou farouche, qui se cacherait et tâcherait de recouvrir ses traces, refusant absolument de se reconnaître comme telle, entre convention de "jeu" littéraire ou dramatique et tromperie: entre faux, factice et fictif, il n'y a guère de frontière qui tienne. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 09 Avr 2024, 13:03 | |
| Cyrus ou les lectures d'une figure biblique dans la rhétorique religieuse de l'Ancien Régime à Napoléon II. — Cyrus, dans les métamorphoses d'une théologie de l'histoire. Qu'il soit vu comme un héros ou comme un anti-héros chrétien, Cyrus n'en conserve pas moins, dans chacun des récits prophétiques, la qualité de messie, mais avec des connotations assez différentes, d' Isaïe à Daniel, pour perpétuer l'ambivalence du personnage. On pressent que le clergé impérial en fera son profit. Voyons donc brièvement quelles théologies de l'histoire s'attachent au rôle particulier de Cyrus, d'après Isaïe et d'après Daniel, puisque ces deux conceptions vont tour à tour nourrir la littérature sacrée et profane qui utilise la figure biblique du xvne au début du xixe siècle. On sait que Cyrus, le Perse, de la famille des Achéménides, vole de conquête en conquête et finit par prendre le titre de roi de Perse, en 550 av. J.-C, alors qu'il règne en réalité sur les Perses et sur les Mèdes. En 540, il se retourne contre Babylone, défait les troupes de Nabuchodonosor et, quoique réputée inexpugnable, prend la ville en quinze jours, en 539. Depuis 546, les Israélites exilés vibrent d'espérance. Dans le livre de la Consolation, Isaïe (41, 24-25) révèle que Yahvé est l'inspirateur des conquêtes de Cyrus. L'espoir d'Israël prend forme lorsqu'en 538 Cyrus publie un décret qui permet aux Juifs de retourner en Terre Sainte et de rebâtir le Temple de Jérusalem (Esd. 1, 2-4 ; 6, 2-5 ; 2 Chr., 36, 23). D'une importance capitale, le « décret de Cyrus », en même temps que la tolérance religieuse, rendait aux prêtres juifs les vases sacrés enlevés du Temple par les soldats de Nabuchodonosor (Esd., 1, 7- . Le descendant de Cyrus par la branche cadette, Darius Ier (522-485), ordonna la reprise de construction du nouveau Temple, un moment interrompue (Esd., 5,7 ; 6,12). Cette œuvre de première reconstruction est menée par Zorobabel, petit-fils du roi d'Israël Jéchonias qui, à son tour, cristallise dans sa personne les espoirs messianiques des rapatriés (Agg., 2, 20-23). Il n'en demeure pas moins que l'action messianique principale revient au conquérant Cyrus, selon une lecture chrétienne de l'Écriture **. L'auteur du Livre de la Consolation va jusqu'à appeler Cyrus, le « berger » de Yahvé (Is. 44,28) et même son « oint » ou littéralement son t messie » (Is. 45,1). Yahvé l'a appelé par son nom alors que Cyrus, le païen, ne le connaissait pas (45, 4). Mais à la différence des messies de la paix et de la justice que sont les rois de la nation sainte, c'est afin, dit Yahvé, « que je terrasse les nations devant lui » (45, 5). La note guerrière, explicite mais encore discrète chez Isaïe, qui colore la vocation de Cyrus, va prendre tout son sens et se déployer superbement à l'époque suivante des oracles messianiques des prophètes juifs. Elle va de l'édit de Cyrus (538) jusqu'aux conquêtes d'Alexandre (333) et correspond à une situation historique qui engendre une nouvelle théologie de l'histoire. La situation est celle du judaïsme post-exilique : les Juifs, revenus d'exil, parviennent, non sans difficultés, à reconstruire le Temple qui est inauguré en 515 ; la Judée n'est plus qu'une minuscule province à l'intérieur de la Ve satrapie. Devenue quantité négligeable sur l'échiquier perse, la communauté juive bouillonne d'une intense activité religieuse, parce qu'elle a retrouvé un centre : Jérusalem, et un chef : le grand prêtre. En train d'intérioriser un destin qui se fait dramatiquement fragile, Israël trouve son chantre et son visionnaire dans le prophète Daniel, qualifié parfois de père du judaïsme post-exilique. Il est censé écrire sous le règne de Cyrus et déploie dans son chapitre 11, en sa quatrième vision, un immense film d'histoire qui débute avec les entreprises de Xerxès 1er (486-465) pour aboutir à l'odieux règne d'Antiochus IV Épiphane, le persécuteur des Juifs. L'originalité de la fresque historique de Daniel et sa puissance évocatrice résident dans un pessimisme humain aux portes d'un nihilisme terrifiant, sans cesse éclairé par un providentialisme tonique et un hymne prophétique à la puissance de Dieu, caché dans l'opacité d'événements absurdes pour la raison humaine. On reconnaît le canevas qui influencera directement le Discours sur l'Histoire universelle de Bossuet. https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1982_num_68_180_1690 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 09 Avr 2024, 14:17 | |
| Article en plus d'un sens divertissant, puisqu'il nous éloigne de nos perspectives habituelles pour nous intéresser à l'emploi des modèles ou contre-modèles bibliques et/ou historiques dans l'Eglise (catholique) de France, en vue de célébrer le pouvoir en place (Napoléon comme ses nombreux prédécesseurs monarchiques et brièvement révolutionnaires, et ses successeurs restaurationnistes, à nouveau monarchiques, républicains, impériaux ou vichystes à l'occasion); très rarement, et alors de façon bien plus prudente et subtile, pour critiquer ou morigéner ledit pouvoir... En l'occurrence, c'est "Cyrus" et "Esdras" qui servent de modèle à Napoléon, respectivement comme conquérant et législateur bienveillant pour l'Eglise concordataire. L'auteur semble toutefois oublier que dans Esdras-Néhémie le personnage d'Esdras est lui-même prêtre (Esdras 7,11s etc.), ce qui n'aurait pas arrangé les velléités d'autonomie du clergé sous l'Empire...
Dans le livre d'Esdras, les différentes versions de l'"édit de Cyrus" (qui, pour rappel, a aussi au moins une version babylonienne, connue par le fameux "Cylindre de Cyrus" qui attribue à Mardouk ce que les textes bibliques, 2 Chroniques 36,22ss pour l'"édit" et le deutéro-Isaïe 44--45 plus indirectement, attribuent à Yahvé: toutes les prêtrises sont flagorneuses et ça ne date pas d'hier) servent surtout à justifier l'exclusivité de la communauté judéo-babylonienne (la gola, les [descendants des] exilés de retour en Judée mais toujours en contact avec la diaspora mésopotamienne) sur Jérusalem et son temple, par opposition aux Samariens-Samaritains (les "peuples du/des pays", ceux qui n'ont jamais été exilés mais que la gola fait passer pour des étrangers). Comme on l'a vu par ailleurs, dans le livre de Daniel Cyrus n'est pas conquérant du tout puisqu'il succède à Darius (dit "le Mède", mais clairement inspiré de Darius Ier qui est en réalité postérieur à Cyrus) -- évidemment les évêques de l'empire n'étaient pas à cela près... |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 10:30 | |
| Esdras Chapitre 2
Liste des Judéens qui revinrent dans leur pays
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2. Le rôle des généalogies dans le judaïsme ancien et post-exilique
2.3. Légitimer l’existence d’un individu
L’Exil à Babylone a représenté pour le peuple juif une véritable catastrophe, un drame au cours duquel ce peuple a perdu sa terre (signe concret de la bénédiction de Dieu pour lui), la royauté (signe de son unité devant Dieu) et le Temple (signe de la présence de Dieu à ses côtés). Cet événement a été interprété comme la punition de Dieu pour le comportement mauvais du peuple.
À l’époque du retour à Jérusalem, les milieux sacerdotaux portent une attention particulière à ces Toledôt. L’idée d’appartenance au peuple et le critère de naissance prennent de l’importance. Les exilés de retour doivent désormais établir leurs liens de filiation et démontrer leur appartenance au peuple juif. La réalité historico-géographique de l’Empire perse (et plus tard grec) se complexifie et menace, il faut maintenant définir Israël en s’appuyant sur la lignée. De longues listes de rapatriés se trouvent dans les livres d’Esdras et de Néhémie, puis dans les deux livres des Chroniques. Ces livres racontent le retour des Juifs de la captivité à Babylone, et la manière dont ces déportés ont établi leur généalogie pour prouver leurs origines. Cette démonstration d’appartenance devient alors condition sine qua non pour accéder à certaines fonctions (notamment sacerdotales) ou pour retrouver des biens héréditaires autrefois spoliés. Au retour des exilés, la rupture des mariages mixtes contractés entre juifs et païens s’inscrit dans cette même logique (Esd 9-10).
Après la rupture qu’a représentée l’exil à Babylone, les généalogies répondent donc à des besoins de légitimation, de préservation et se mettent au service d’un recommencement religieux, social et politique du peuple. En littérature du judaïsme ancien et post-exilique, ces Toledôt délimitent des espaces où se racontent les origines et permettent d’établir les liens de parenté, de périodiser l’histoire et/ou de légitimer l’existence d’un individu ou d’un groupe. Cette écriture généalogique est encore pratiquée à la fin du Ier siècle aux alentours d’Israël : l’historiographe Flavius Josèphe, probable contemporain de la période de rédaction du premier évangile, l’utilise dans son Autobiographie qu’il ouvre en rapportant sa propre lignée généalogique. Matthieu y puise à son tour.
https://journals.openedition.org/cerri/1697 |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 11:21 | |
| Cet article intéresse surtout la généalogie de Matthieu.
Le problème d'Esdras-Néhémie est principalement de définir un "judaïsme" et une "judéité" à partir de l'exil et de la restauration, judaïsme et judéité centrés sur le nouveau temple de Jérusalem, par opposition aux "peuples du/des pays" qui n'ont jamais été exilés et se regroupent autour de la capitale administrative perse, Samarie (cf. la fin de mon post précédent). Les listes de familles ou clans, nominales, numériques et divergentes, d'Esdras 2 et de Néhémie 7 ne sont pas des généalogies, elles ne font que s'y référer de façon évasive, comme pour assurer théoriquement l'ensemble en feignant l'intransigeance sur les marges: si ce qui est exclu, de la communauté-peuple ou de la prêtrise, au maléfice du doute pourrait-on dire, alors ce qui est inclus est présumé au-dessus de tout soupçon et de toute contestation. En revanche Esdras 7 produira bien une généalogie sacerdotale du personnage Esdras, qui interrompt bizarrement un début de récit pour remonter jusqu'à Aaron (rien que ça), alors qu'Esdras ne joue pas vraiment de rôle sacerdotal: il est bien plutôt "scribe" (sopher), non au sens restreint et subalterne de "copiste", mais au sens de "spécialiste de l'écriture", autant "rédacteur" ou "auteur" qu'"exégète" ou "interprète" (de même que le "prêtre", kohen, n'est pas un simple "sacrificateur", comme disaient les traductions protestantes françaises par pur anticatholicisme).
Esdras et Néhémie s'intéressent pourtant beaucoup moins au temple qu'à la "loi", qui constitue ainsi pour le (néo-)"judaïsme" un autre "centre" symbolique, avec l'avantage d'être aussi accessible à la diaspora qu'en Judée -- ce qui va avoir une portée considérable pour le "judaïsme du Second Temple", notamment dans le pharisaïsme et dans ses suites rabbiniques qui survivront au temple. Mais ce judaïsme-là multiplie les fondations, puisque "la loi" se rattache aussi bien à Esdras qu'à Josias ou à Moïse...
Au titre des généralités j'en profite pour rappeler, parce que c'est assez mal connu en français, qu'il y a un tout autre "livre d'Esdras", numéroté 1 Esdras dans la Septante (où nos livres d'Esdras et Néhémie forment un 2 Esdras) et 3 Esdras dans la Vulgate (bien qu'il n'ait pas été retenu comme canonique par l'Eglise catholique, qui offre parfois des variantes intéressantes -- outre un 4 Esdras "apocalyptique" dont le contenu est beaucoup plus éloigné de notre Esdras-Néhémie, mais qui se rapproche en revanche d'un certain nombre de textes du judaïsme tardif ou du christianisme primitif, y compris dans le NT... (du 1 ou 3 Esdras je ne vois pas de traduction française en ligne, par contre il figure dans la plupart des bibles anglaises, p. ex. ici). (P.S.: par les archives de Wikipedia, je trouve ici le texte grec et une traduction française.) |
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Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 12:15 | |
| - Citation :
- Esdras et Néhémie s'intéressent pourtant beaucoup moins au temple qu'à la "loi", qui constitue ainsi pour le (néo-)"judaïsme" un autre "centre" symbolique, avec l'avantage d'être aussi accessible à la diaspora qu'en Judée -- ce qui va avoir une portée considérable pour le "judaïsme du Second Temple", notamment dans le pharisaïsme et dans ses suites rabbiniques qui survivront au temple. Mais ce judaïsme-là multiplie les fondations, puisque "la loi" se rattache aussi bien à Esdras qu'à Josias ou à Moïse...
Esdras le scribe " Après cela, sous le règne d'Artaxerxès, roi de Perse, survint Esdras, fils de Seraya, fils d'Azaria, fils de Hilqiya,2fils de Shalloum, fils de Tsadoq, fils d'Ahitoub, fils d'Amaria, fils d'Azaria, fils de Merayoth, fils de Zerahia, fils d'Ouzzi, fils de Bouqqi, 5fils d'Abishoua, fils de Phinéas, fils d'Eléazar, fils d'Aaron, le prêtre en chef. Cet Esdras monta de Babylone ; c'était un scribe versé dans la loi de Moïse, celle que le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël, avait donnée. Comme la main du SEIGNEUR, son Dieu, était sur lui, le roi lui accorda tout ce qu'il demandait. Certains des Israélites, des prêtres et des lévites, des chantres, des portiers et des Netinim montèrent aussi à Jérusalem, la septième année du roi Artaxerxès. Esdras arriva à Jérusalem au cinquième mois de la septième année du roi ; il avait fixé le départ de Babylone le premier jour du premier mois, et il arriva à Jérusalem le premier jour du cinquième mois, la bonne main de son Dieu étant sur lui. Car Esdras avait appliqué son cœur à étudier la loi du SEIGNEUR pour la mettre en pratique et pour apprendre à Israël les prescriptions et les règles" ( Esdras 7,1-10). La canonisation du Pentateuque Thomas Römer La promulgation du Pentateuque au ive siècle Malgré la possibilité offerte aux Judéens par Cyrus et ses successeurs de retourner en Judée et de reconstruire le temple de Jérusalem, il restait une importante diaspora à Babylone, de même qu’en Égypte. L’autonomie politique et la cohésion géographique perdues, il fallait trouver un substitut pour dire l’identité du judaïsme naissant. Les livres d’Esdras et de Néhémie font allusion à la promulgation du Pentateuque en l’attribuant à Esdras. Présenté à la fois comme prêtre et comme scribe, envoyé par le roi perse Artaxerxés (probablement Artaxerxés II), il vient de Babylone à Jérusalem, en apportant une loi qui est, dans sa lettre d’accréditation en Esdras 7, qualifiée de loi du Dieu du ciel et de loi du roi perse. Néhémie 8 relate ensuite la lecture de la Loi par Esdras à Jérusalem et l’acceptation de cette loi par le peuple : Il lut dans le livre, sur la place qui est devant la porte des Eaux, depuis l’aube jusqu’au milieu de la journée, en face des hommes, des femmes et de ceux qui pouvaient comprendre. Les oreilles de tout le peuple étaient attentives au livre de la Loi. 4 Le scribe Esdras était debout sur une tribune de bois qu’on avait faite pour la circonstance […] 7 […] les lévites expliquaient la Loi au peuple, et le peuple restait debout sur place. 8 Ils lisaient dans le livre de la Loi de Dieu, de manière distincte, en en donnant le sens, et ils faisaient comprendre ce qui était lu. Il est assez plausible que cet épisode reflète la promulgation du Pentateuque et, bien que l’historicité du personnage d’Esdras ne soit pas assurée (il n’est pas mentionné par le Siracide, contrairement à Néhémie), il est vraisemblable que ce soit pendant l’époque perse, entre 400 et 350, que le Pentateuque ait été compilé. L’implication du roi perse, qui est suggérée en Esdras 7, a mené Peter Frei à postuler l’existence d’une « autorisation impériale perse » qui aurait été à l’origine de la compilation de la Torah.Selon cette théorie, il existait une politique achéménide visant à donner aux traditions légales des peuples intégrés dans l’empire une reconnaissance par les autorités perses. Cette théorie a eu un certain succès ; grâce à elle, on pensait pouvoir expliquer pourquoi le Pentateuque contenait plusieurs collections législatives et d’autres documents de provenance et d’idéologie diverses ; on devait en effet regrouper toutes les traditions dont on sollicitait une reconnaissance officielle de la part des Perses en un seul document. Néanmoins, cette théorie n’a pas beaucoup d’autres appuis en dehors du récit biblique sur Esdras et la loi. Il existe, certes, une inscription trilingue de Xanthos, dite « trilingue de Létoôn » (en grec, lycien, araméen), mais celle-ci est beaucoup plus restreinte que le Pentateuque et règle un cas précis, celui d’un culte fondé à Xanthos pour un couple divin, dans lequel un satrape perse intervient ; cela atteste que les fonctionnaires perses pouvaient à l’occasion réagir à des problèmes cultuels locaux. Cependant c’est une inscription qui n’est nullement comparable au Pentateuque. De plus, l’inscription est traduite en araméen, la langue impériale ; ce qui n’est pas le cas pour le Pentateuque. Un document comme le Pentateuque écrit en hébreu, avec son mélange de textes narratifs et légaux, n’était d’aucune utilité pour les autorités perses. S’il faut abandonner la théorie de l’autorisation impériale, il reste possible de penser que les élites qui ont compilé le Pentateuque étaient au courant de la pratique des fonctionnaires perses qui autorisaient, à l’occasion, des coutumes locales (voir aussi le cas du prêtre égyptien Oudjahorresnê au service du roi perse, qui est envoyé par ce dernier pour restaurer le culte à Saïs et dont la mission ressemble à celle d’Esdras ). Ainsi, ces élites avaient peut-être en tête de se mettre sous l’autorité du roi perse. Mais avant tout, il faut considérer la promulgation de la Torah comme une décision intra-judéenne et israélite. Où a-t-on pris la décision de mettre ensemble les traditions fondatrices pour constituer le Pentateuque ? On dit souvent, en se fondant sur les livres d’Esdras et de Néhémie, que la « canonisation » du Pentateuque s’est faite à Jérusalem où existe, dès la fin du vie siècle, le deuxième temple reconstruit. Mais il ne faut peut-être pas surestimer l’importance de Jérusalem, d’autant plus que, selon Israel Finkelstein, Jérusalem n’a été très peuplée qu’à l’époque hellénistique. Rappelons que, selon Esdras 7, Esdras vient avec sa loi de Babylone, ce qui implique une reconnaissance de l’importance de la Golah babylonienne dans la compilation des traditions qui seront « canonisées » dans le Pentateuque. Il faut également, et contre la présentation des livres d’Esdras et de Néhémie, compter avec un apport important des habitants de l’ancien royaume du Nord, qui deviendront les Samaritains et qui considèrent la Torah, le Pentateuque, comme leur Écriture sainte, et seulement la Torah. https://www.cairn.info/revue-communio-2019-5-page-23.htm?ref=doi |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 13:20 | |
| Précieuse synthèse, relativement récente (2019) et claire ("grand public"), de Römer -- je ne sais plus si nous l'avions déjà lue, mais nous en avions vu beaucoup d'éléments, parfois plus détaillés, dans différentes discussions, par exemple celle-ci.Le problème de la méthode "historico-critique" tient à sa nature même: par définition c'est de l'histoire, au sens de l'historiographie moderne à prétention scientifique, qu'elle cherche dans les textes anciens. Elle a beau retomber d'étage en étage, de millénaire en millénaire et de siècle en siècle au fil des générations d'exégètes, de Moïse à Esdras en passant par Josias en ce qui concerne la Torah, voire d'Adam, d'Abraham ou de Jacob aux Maccabées et aux hasmonéens dans une perspective d'"histoire(s)" plus large, c'est toujours de l'historique qu'elle veut, quitte à reporter désormais ses recherches et ses conjectures sur la fin de la période perse ou l'époque hellénistique. Mais ça ne mange pas de pain puisque les textes, quelle que soit leur histoire ou leur préhistoire, restent ce qu'ils sont tels qu'ils sont, dans leur grande diversité textuelle et littéraire, intégralement disponibles à la lecture ou à l'étude, à la réflexion ou à la méditation. Au passage, je suis d'accord sur la réfutation de la thèse de Frei (1996 -- je me souviens que vers cette époque on parlait même d'Esdras comme d'un "commissaire aux affaires juives" de l'administration perse); mais quand Römer dit que la loi est une affaire essentiellement "judéenne" et "israélite" (plutôt que perse) il faut bien l'entendre au sens "ethnique" (d' ethnos, nation-peuple et non Etat-nation, qui ne suppose aucune unité politique ni territoriale) et non pas géographique: comme le montre bien le reste de l'article, la diaspora juive (c.-à-d. de l' ethnos judéen), qu'elle soit géographiquement mésopotamienne (cf. déjà Abram), voire perse (Esdras-Néhémie), syrienne (Jacob) ou égyptienne (Joseph, Moïse, et déjà les séjours d'Abraham et Isaac), compte autant que les Samariens-Samaritains dans la constitution de la Torah ("livre" et "récit", sinon "loi"). C'est aussi pour ça que la Torah est un facteur d'unité qui devient plus important que le temple et qui va lui survivre, mais c'est tout autant une cause de division supplémentaire à mesure que ladite Torah est traduite et interprétée diversement, en grec ou en araméen pour commencer. D'autre part ça n'enlève rien au fait que tout le "judaïsme du Second Temple", Torah incluse, a subi une forte influence perse qui ne s'est traduite qu'à retardement, surtout à l'époque suivante (hellénistique): du monothéisme répondant au dualisme lumière-ténèbres dans le deutéro-Isaïe aux ultimes développements de l'angélologie et de l'eschatologie dans l'"apocalyptique" (Daniel, Hénoch, Qoumrân etc.). (Parenthèse très personnelle: Esdras-Néhémie figureraient peut-être en tête de liste des livres "bibliques" que j'ai instinctivement détestés, au départ sans bien savoir pourquoi...; j'ai détesté beaucoup de choses dans beaucoup d'autres livres, le Deutéronome, Josué, les Proverbes, Esther, les Actes, les Pastorales, Jude, 2 Pierre ou l'Apocalypse, mais j'y trouvais toujours aussi des passages, parfois des détails, qui à mes yeux les "rachetaient". Là, je ne vois vraiment pas grand-chose. Que ç'ait été aussi une des références favorites des nazis pour justifier les lois raciales antisémites, je ne l'ai appris que beaucoup plus tard, mais ce n'est quand même pas un hasard.) |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 15:45 | |
| Les psaumes attribués à Aggée et Zacharie
Les noms d’Aggée et Zacharie au génitif, Ἀγγαίου καὶ Ζαχαρίου, figurent dans plusieurs titres de la Bible grecque des Septante (LXX). En revanche, ils sont absents des titres du texte massorétique (TM). Ce plus de la LXX constitue donc un trait d’originalité de la Bible grecque, qu’il s’agit de comprendre. Aggée et Zacharie sont les seuls parmi les douze petits prophètes à être ainsi présents dans le psautier. Comment et pourquoi cette mention ?
L’association d’Aggée et Zacharie dans la LXX
Aggée et Zacharie sont associés dans les deux livres d’Esdras que transmet la Bible grecque. 1 Esdras est un texte propre à la LXX. Il a été traduit de l’hébreu en grec dans la seconde moitié du IIe siècle avant notre ère. Cette traduction est littéraliste et le modèle hébreu se laisse reconstituer assez facilement. 2 Esdras a été traduit peu après. Il est la traduction d’Esdras-Néhémie du TM.
1 Esdras 6,1-2 : « Dans la deuxième année du règne de Darius, prophétisèrent Aggée et Zacharie, le fils d’Eddi, les prophètes, sur les Judéens qui étaient en Judée et à Jérusalem au nom du Seigneur Dieu d’Israël [qui était] sur eux. 2 Alors se leva Zorobabel fils de Salathiêl, ainsi que Jésus/Josué fils de Jôsedek, et ils commencèrent à construire la maison du Seigneur qui est à Jérusalem, tandis que les prophètes du Seigneur qui étaient avec eux leur portaient aide ».
1 Esdras 7,3-6 : « Et les travaux saints furent en bonne voie, tandis qu’Aggée et Zacharie les prophètes prophétisaient.4 Et ils les réalisèrent à cause du commandement du Seigneur Dieu d’Israël. 5 Et avec l’assentiment de Cyrus, de Darius et d’Artaxerxès le roi des Perses fut réalisée la maison sacrée jusqu’au vingt-trois du mois d’Adar de la sixième année du roi Darius. 6 Et les fils d’Israël, les prêtres, les lévites et ceux qui, venant de la captivité, s’étaient ajoutés [à eux] firent conformément à ce qui est dans le livre de Moïse. 7 Et ils apportèrent pour l’inauguration du sanctuaire du Seigneur cent taureaux, deux cents béliers, quatre cents moutons ».
2 Esdras 5,1-2 : « Et Aggée le prophète et Zacharie fils d’Addô, le prophète, prophétisèrent une prophétie sur les Judéens qui étaient en Judée et à Jérusalem au nom du Dieu d’Israël [qui était] sur eux. 2 Alors se levèrent Zorobabel, le fils de Salathiêl, et Jésus/Josué, le fils de Jôsedek, et ils commencèrent à construire la maison de Dieu à Jérusalem ; et avec eux les prophètes de Dieu qui leur portaient aide ».
2 Esdras 6,14-15 : « Et les anciens des Judéens construisirent, ainsi que les lévites, selon la prophétie d’Aggée le prophète et de Zacharie fils d’Addô et ils reconstruisirent et ils remirent en état avec l’assentiment du Dieu d’Israël et avec l’assentiment de Cyrus, de Darius et d’Artaxerxès, les rois des Perses. 15 Et ils achevèrent cette maison jusqu’au troisième jour du mois d’Adar, c’est-à-dire la sixième année du règne du roi Darius ».
Ainsi, dans tous ces textes, la scène se déroule en Judée et à Jérusalem. Aggée et Zacharie sont les prophètes dont l’intervention permet la reconstruction du temple. Celle-ci est réalisée en quatre ans par Zorobabel et Jésus/Josué, avec l’aide des deux prophètes. Le contenu de la prophétie de ces derniers n’est pas précisé, mais l’ordre de Dieu de rebâtir le temple y figurait assurément.
https://brill.com/display/book/edcoll/9789004407657/BP000027.xml
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| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 16:16 | |
| Vu la politique éditoriale de Brill (42 euros l'article !) je n'en saurai pas plus, bien que de Dorival je ne soupçonne que le meilleur...
Au risque de la redondance -- on s'y perd facilement dans tous ces Esdras -- je rappelle que le 2 Esdras de la Septante correspond à notre "Esdras-Néhémie" canonique, à la seule différence près de la traduction de l'hébreu en grec (lire dans n'importe quelle bible Esdras 5,1s et 6,14s et comparer à l'extrait ci-dessus). Ce qui semble intéresser ici Dorival, ce sont surtout les occurrences supplémentaires d'"Aggée et Zacharie" dans les su(per)scriptions grecques des Psaumes (il n'y en a aucune dans le texte massorétique hébreu).
Soit dit en passant, la multiplication des "livres d'Esdras" autour d'un texte qu'un lecteur moderne (je ne parle que pour moi, et encore) tendrait à juger au mieux inintéressant, au pire détestable, est tout à fait significative de l'anachronisme qu'implique toute lecture, notamment de "la Bible"... Ce qui a fait l'intérêt et l'enjeu d'un texte, ou d'un livre, au moment de son écriture et de ses réécritures, n'a pas grand-chose à voir avec l'intérêt ou l'absence d'intérêt qu'il aura pour ses lecteurs dans les siècles ou les millénaires à venir, s'il a la chance ou la malchance d'être lu.
Dernière édition par Narkissos le Mer 10 Avr 2024, 16:28, édité 1 fois |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 16:25 | |
| "Et voici l'ordre que je donne au sujet de quiconque transgressera cette parole : on arrachera de sa maison une pièce de bois pour l'y pendre et l'y frapper, et on fera de sa maison un tas d'immondices. Que le Dieu qui fait demeurer là-bas son nom renverse tout roi et tout peuple qui étendraient la main pour transgresser cet édit en détruisant cette maison de Dieu qui est à Jérusalem ! Moi, Darius, j'ai donné cet ordre. Qu'il soit exactement exécuté". (Esdras 6,11-12).
Comme chez Daniel, les rois étrangers sont de fervents partisans du Dieu des juifs. |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 10 Avr 2024, 16:41 | |
| Les rois étrangers bienveillants, c'est aussi bien dans la Genèse (Abimélek, Pharaon) ou dans Esther...
Autre analogie avec Daniel, le texte (massorétique ou prémassorétique) d'Esdras est bilingue -- en araméen de 4,8 à 6,18, et de nouveau de 7,12 à 26... Mais contrairement à Daniel, Esdras ne se trompe pas sur l'ordre des rois achéménides, Darius vient bien après Cyrus; on peut en revanche hésiter sur l'Artaxerxès de 7,1, Artaxerxès Ier, II, ou III, qui s'étale(nt) sur près d'un siècle et demi (de -465 à -338). Et il y a des anachronismes dans le récit qui ne coïncident pas avec les changements de langue (4,6-23 est manifestement décalé par rapport à ce qui précède et à ce qui suit).
A ce propos, si Esdras-Néhémie conserve(nt) quand même un certain intérêt pour le linguiste, c'est parce que la langue même y devient expressément un problème, par la nécessité d'"expliquer", de traduire ou d'interpréter la "loi" pour un peuple qui ne comprendrait plus sa langue, ainsi que dans le cas des "mariages mixtes"... (Néhémie 8 et 13). |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Jeu 11 Avr 2024, 11:39 | |
| - Citation :
- (Parenthèse très personnelle: Esdras-Néhémie figureraient peut-être en tête de liste des livres "bibliques" que j'ai instinctivement détestés, au départ sans bien savoir pourquoi...; j'ai détesté beaucoup de choses dans beaucoup d'autres livres, le Deutéronome, Josué, les Proverbes, Esther, les Actes, les Pastorales, Jude, 2 Pierre ou l'Apocalypse, mais j'y trouvais toujours aussi des passages, parfois des détails, qui à mes yeux les "rachetaient". Là, je ne vois vraiment pas grand-chose. Que ç'ait été aussi une des références favorites des nazis pour justifier les lois raciales antisémites, je ne l'ai appris que beaucoup plus tard, mais ce n'est quand même pas un hasard.)
Anamnèse et provocation : le discours pro-nazi de Hans Grimm après la Deuxième Guerre mondiale31Les Juifs n’ont pas été l’agent déclencheur direct de la catastrophe. Mais leur faute criminelle est d’avoir sapé la capacité d’affirmation vitale de la race blanche. Éternellement non-intégrables, ils ont développé l’esprit négateur chez les peuples parmi lesquels ils vivaient. En affirmant se solidariser avec les opprimés, ils contestaient systématiquement le principe d’autorité, c’est-à-dire le pouvoir d’imposer au nom des valeurs d’excellence (« Hochwertigkeit ») la cohésion sociale et politique ; un pouvoir susceptible de prendre des formes diverses, mais d’une manière ou d’une autre, ce qui est sous-entendu par Grimm, toujours héréditaire (dynastique, national, familial, entrepreneurial), donc racialement homogène. L’histoire récente de l’Allemagne et de l’Europe est censée en témoigner : 32Durant la première moitié du xixe siècle, Heine, Ludwig Börne et Marx ont contesté l’ordre existant avec virulence. La subversion juive a continué dans l’Allemagne de Bismarck et celle de Guillaume II. Grimm cite les noms de Lasker, Rathenau et Maximilian Harden. La révolution bolchevique a prolongé l’œuvre de déstructuration avec Bernstein-Trotzki à sa tête. À Ekaterinbourg, c’est une escouade judéo-bolchevique qui a massacré le tsar et sa famille. L’éphémère République des Conseils de Bavière était dirigée par Kurt Eisner, juif également. Le traitement des Juifs par le Troisième Reich a suscité de leur part une haine exacerbée, ce que Grimm déclare d’ailleurs comprendre, mais ne peut approuver : elle s’est traduite par l’appel au boycott, les meurtres de Wilhelm Gustloff (le « Gauleiter de Davos ») et, à Paris, du conseiller d’ambassade vom Rath. Au passage, Grimm justifie les lois de Nuremberg interdisant notamment les mariages mixtes et rendant pratiquement impossible la fréquentation mutuelle dans la vie quotidienne : les Allemands avaient le droit de protéger la pureté de leur sang ; ils ne faisaient qu’imiter la législation promulguée pour les Juifs par Esdras vingt-cinq siècles plus tôt. En 1938, ce sont les Juifs qui ont empêché Chamberlain de poursuivre la politique d’entente avec Hitler après la signature des accords de Munich. Ensuite, avec Roosevelt qui leur a servi de relais de pouvoir, ils ont progressivement entraîné les USA dans la guerre. https://journals.openedition.org/germanica/516 En 1933, Kittel écrivait dans un article de journal : Celui qui a la prétention de parler d’Israël au nom de la Bible doit avoir le courage de parler des deux aspects. Il n’a pas le droit de parler uniquement du « peuple maudit et dépravé » ni seulement du « peuple élu », mais exclusivement du peuple qui représente les deux choses dans son histoire décrétée par Dieu. 9Le point central pour comprendre cette conception de l’histoire que Dieu a imposée aux juifs était « la question du mariage mixte entre un juif et un non-juif ». Kittel se disait un « farouche adversaire de ce genre de mariages » et se prononçait « pour leur interdiction par la loi ». Dans sa « Défense » il renvoie à un essai de 1937 dans lequel il aurait prouvé : […] que l’attitude initiale du judaïsme, telle qu’elle se reflète dans la législation d’Esdras et de Néhémie, impliquait également le refus non seulement des mariages mixtes religieux mais aussi ethniques. 10Le Talmud, affirme-t-il, s’est toutefois éloigné de cette éthique originelle de la Bible en rendant possible le « mariage prosélyte » qui représente un « assouplissement plus tardif » des principes initiaux. Dans un article publié dans la revue spécialisée Der Biologe, Kittel revient une nouvelle fois sur cette question en établissant un lien entre l’interdiction biblique du « mariage mixte » et les normes correspondantes de l’ancienne Église, du luthéranisme et du droit canon de l’Église romaine. 11Or les juifs, en se détournant des lois bibliques, se seraient rebellés contre leur destin. Leur métissage avec d’autres peuples aurait causé des malheurs dès l’Antiquité tardive et contribué à la chute de l’Empire romain. La mission historique du Moyen-Âge chrétien aurait été de refouler les juifs dans le ghetto, avec l’Église dans le rôle de gardien et de surveillant de ce ghetto. Lorsque les murs de ce dernier se sont effondrés sous les coups de la Révolution française, le malheur se serait de nouveau abattu sur le monde. 12Kittel réussit le tour de force d’assortir ces propos de tournures qu’il estime être « favorables aux juifs » : il constate que « l’interdiction moderne des mariages mixtes » (les lois de Nuremberg) correspondait aux revendications que les juifs pieux formulaient eux-mêmes à cette époque. Quand il réclame que les juifs soient refoulés dans le ghetto, il accompagne cette revendication d’un plaidoyer en faveur des lois alimentaires juives et de l’abattage rituel. Alfred Rosenberg, l’idéologue en chef du nazisme, quant à lui, avait qualifié l’abattage rituel « d’horrible acte de cruauté envers les animaux », ce que « les vétérinaires aux sentiments humains et les associations allemandes […] avaient maintes et maintes fois démontré » ; raison pour laquelle le NSDAP « avait pris aussitôt la tête du combat pour l’abolition de cette torture ». Kittel en revanche plaidait en faveur de la préservation du rituel juif estimant qu’une « obligation de conserver l’abattage rituel frapperait plus durement les juifs qu’il conviendrait de combattre [c’est-à-dire les juifs assimilés] que son interdiction » : Pour la communauté du peuple allemand le poison le plus redoutable n’est pas le juif qui préfère la nourriture végétarienne à la viande non casher voire porcine, mais le juif éclairé qui se moque de l’alimentation casher ou porcine autant que du shabbat ou de la circoncision. On lui arracherait du visage le masque de l’assimilation si on lui interdisait de manger de la viande non casher.13Ces formulations extravagantes qu’utilise Kittel démontrent que l’érudition n’est pas à l’abri des erreurs et des préjugés grotesques. Voilà un auteur qui, en raison de sa connaissance des sources, se sent supérieur, scientifiquement et moralement, à ses adversaires et qui met ostentatoirement en avant sa bonne conscience, et ceci même après la guerre. https://journals.openedition.org/tsafon/3292?lang=fr |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Jeu 11 Avr 2024, 13:17 | |
| Le cas Kittel (Gerhard, à ne pas confondre avec Rudolf) est douloureusement connu des biblistes -- j'ai même entendu naguère des "évangéliques" l'invoquer comme argument ( ad hominem) ou prétexte pour récuser non seulement le Wörterbuch (TWNT/TDNT), qui reste une mine de documentation incontournable, mais l'ensemble de la "critique biblique" (qui fut quand même d'abord allemande et luthérienne). Ces textes pénibles intéresseraient bien davantage la question générale des antisémitismes et antijudaïsmes, que je ne veux pas relancer ici: disons seulement que l'affaire est bien plus complexe que ce qu'en retient le "politiquement correct" d'aujourd'hui qui réagit au quart de tour au moindre soupçon d'antisémitisme, immédiatement mis dans le même sac que la "solution finale" des dernières années du nazisme (cf. en France le parcours d'un Bernanos qui passe de la défense de Drumont à l'antifranquisme et à l'antinazisme, sans jamais se départir d'un catholicisme foncièrement antijudaïque). Malheureusement l'inintelligence vertueuse devenue consensuelle depuis 80 ans ne fait qu'empoisonner le problème. Sur Esdras et Néhémie, voir aussi la note 23 dans l'article sur Kittel. L'"antijudaïsme" du NT (qui ne se réfère d'ailleurs quasiment jamais à Esdras-Néhémie) me paraît une évidence, certes à nuancer texte par texte et à ne pas confondre avec un antisémitisme ethnique ou racial, mais il est parfaitement absurde de le nier comme l'ont fait la plupart des spécialistes du NT depuis la Shoah, surtout à partir des années 1960 -- a fortiori de vouloir "rapprocher" le christianisme du judaïsme rabbinique (c.-à-d. post-pharisien, dans l'un des prolongements les plus directs d'Esdras-Néhémie) -- les réactions d'un André Paul sur ce point me paraissent saines.
Dernière édition par Narkissos le Jeu 11 Avr 2024, 13:52, édité 1 fois |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Jeu 11 Avr 2024, 13:49 | |
| « L’exil ». Francolino J. CONÇALVEZ
3. Les opinions des historiens contemporains
Les historiens contemporains ne prennent plus à la lettre les récits bibliques au sujet du dépeuplement complet de Juda. Ils pensent, au contraire, que la majorité de la population est restée dans le pays, et ils s’accordent aussi pour dire qu’elle était constituée exclusivement des classes les plus pauvres et les plus incultes.
Entièrement pris par leur lutte pour la survie, les Juifs de Palestine n’auraient pas eu les conditions indispensables au développement matériel, et à plus forte raison, à une véritable création culturelle et religieuse. Cela a été le privilège des exilés, qui constituaient l’intelligentsia et vivaient dans des conditions plus favorables. Autrement dit, la majorité du peuple était restée en Juda, mais son âme serait partie en Babylonie. La version biblique serait inexacte dans la mesure où elle affirme le dépeuplement complet de Juda, mais elle serait exacte lorsqu’elle suppose que le centre de gravité du peuple s’est déplacé en Babylonie. Par exemple, J.D. Purvis divise l’histoire de « l’exil », en trois sections : nombre des exilés, sa vie en Babylonie et la diaspora en Égypte ; il ne consacre aucune section aux Juifs de Palestine.8 En passant, il y a lieu de se demander dans quelle mesure les historiens prennent, explicitement ou implicitement, la diaspora et le sionisme modernes comme clef de leur interprétation de l’histoire juive des périodes babylonienne et perse. Par exemple, la Bible de Jérusalem donne pour titre à Esd 1 « Le retour des Sionistes » ; à Esd 2 « Liste des Sionistes » ; à Ne 7,6-72, « Liste des premiers Sionistes ». A. Chrouraqui intitule Esd 2 « Les Olim », se contentant de translittérer le mot néohébreu qui désigne les immigrants Juifs en Palestine. J. Blenkinsopp en fait autant, en désignant Esd 2 et Ne 7,6-72, par l’expression “census of the first aliya”.9 Le sionisme, à son tour, a puisé dans la version biblique des périodes babylonienne et perse une partie de son idéologie ; il lui a aussi emprunté quelques-unes des armes de sa propagande.
Des voix isolées ont contesté la présentation commune de l’histoire de Juda aux périodes babylonienne et perse, mais elles sont restées longtemps sans grand écho. Elles se font plus nombreuses. Aux biblistes sont venus se joindre les archéologues.
https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1999-v7-n2-theologi227/005009ar.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Jeu 11 Avr 2024, 14:35 | |
| Article excellent et bien documenté, même s'il date déjà quelque peu (1999) dans un domaine exposé aux "découvertes", notamment archéologiques: j'ai un vague souvenir d'études affinant la perception du dépeuplement (ou du repeuplement) d'une région à l'autre (p. ex. entre la région de Jérusalem et Benjamin) et d'une décennie à l'autre pendant la prétendue "désolation". Cela concernerait davantage ce fil -- naturellement déformé chez nous par l'importance démesurée que le jéhovisme donne à l'exil, compris contre toute vraisemblance historique comme dépeuplement total du territoire pendant 70 ans, outre l'idée d'une fin de la "royauté davidique" qui comme le montre cet article est beaucoup moins claire qu'on le croit généralement (sans parler du fait que de "David" à "Sédécias" la succession est très artificielle). Mais l'intérêt de cet article est aussi de souligner comment même les approches "critiques" sont influencées malgré elles par l'idéologie des textes qu'elles prétendent critiquer. L'"exil" comme source unique du "judaïsme" ("du Second Temple") devient dans certains textes (surtout vulgarisateurs) presque aussi absolu et fantasmagorique qu'il l'est dans un imaginaire "sectaire" comme celui des TdJ... Cela concerne assez peu Esdras-Néhémie, sinon par le début d'Esdras qui s'inscrit effectivement dans le mythe fondateur du "retour d'exil" et contribue par là même à l'absolutiser. Mais le rapport des personnages "Esdras" et "Néhémie" à ce "retour d'exil" est bien plus complexe, ils en sont tantôt rapprochés et tantôt éloignés (de Cyrus à Artaxerxès, lequel ?)... Soit dit en passant, la place d'Esdras-Néhémie, après Esther et Daniel et avant les Chroniques dans la plupart des "bibles juives", post-rabbiniques et donc post-pharisiennes même quand elles sont karaïtes et donc anti-rabbiniques, aurait de quoi interroger: la tendance qui historiquement l'emporterait sur tout le reste ne peut effacer ce qui la précède et s'installe en "supplément" dans le canon, à une place décisive en un sens et précaire dans un autre... |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Jeu 11 Avr 2024, 15:22 | |
| Intervention des adversaires des Judéens"Les adversaires de Juda et de Benjamin apprirent que les exilés bâtissaient un temple pour le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël. Ils s'approchèrent de Zorobabel et des chefs de famille et leur dirent : Nous bâtirons avec vous ; car, comme vous, nous cherchons votre Dieu, et nous lui offrons des sacrifices depuis le temps d'Asarhaddon, roi d'Assyrie, qui nous a fait monter ici. Mais Zorobabel, Josué et les autres chefs des familles d'Israël leur répondirent : Ce n'est pas à vous et à nous de bâtir une maison pour notre Dieu ; nous bâtirons nous seuls pour le SEIGNEUR, le Dieu d'Israël, comme nous l'a ordonné le roi Cyrus, roi de Perse. Alors le peuple du pays se mit à décourager le peuple de Juda et à l'intimider pour l'empêcher de bâtir ; ils payèrent des conseillers contre eux, pour faire échouer leur projet, pendant tous les jours de Cyrus, roi de Perse, et jusqu'au règne de Darius, roi de Perse" - (Esdras 4,1-5).La construction du temple suspendueVersets 1 à 5Les ennemis des Juifs réussissent à arrêter la construction du temple, laquelle demeure interrompue jusqu’à la seconde année (verset 24) de Darius. Comme nous nous trouvons en ce moment à la seconde année de Cyrus, qui a régné seul sept ans, cela fait cinq ans pour lui. Cambyse en a régné sept et demi ; Smerdis le Mage n’a occupé le trône que sept mois. Pour Darius I, fils de Hystaspe, comptons un an d’après verset 24. Nous arrivons ainsi à une interruption d’à peu près quatorze ou quinze ans.Les ennemis. Ils sont appelés ainsi par anticipation, car ils ne s’étaient pas encore manifestés comme tels et leur démarche n’était point un piège. Leur hostilité prit naissance dans le refus qu’ils essuyèrent. D’après le verset 2 c’étaient les descendants de ces gens de Babylone, de Cutha, d’Avva, de Hamath et de Sépharvaïm qui avaient été envoyés en Samarie par un roi d’Assyrie que nous savons par notre passage être Asarhaddon. Voir 2 Rois 17.24 et suivants, passage qui rapporte avec indignation leur idolâtrie d’abord, puis leur syncrétisme plus odieux encore.https://www.levangile.com/bible-annotee-commentaire-esdras-4◆ 4:1-3 — Pourquoi cette proposition d’aide a-t-elle été repoussée?Ces non-Juifs, qui étaient venus repeupler le pays sur l’ordre du roi d’Assyrie, n’étaient pas de véritables adorateurs de Dieu (II Rois 17:33, 41). Accepter leur aide aurait mis en danger le vrai culte. En effet, Jéhovah avait précisément mis son peuple en garde contre tout rapprochement religieux de cette sorte (Exode 20:5; 34:12). En outre, le récit présente ces non-Juifs comme des “adversaires”.https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1986042Moïse ou Platon ou...?Deux passages classiques font des Samaritains soit de faux Israélites pratiquant un culte syncrétique, soit des Juifs abâtardis : d’une part, selon 2 R 17,28-40 TM, les colons amenés après la déportation de Samarie en -721 pratiquent « jusqu’à ce jour » un mélange de leurs cultes d’origine et de yahwisme. D’autre part, Josèphe rapporte (AJ 11:302-345) qu’à la fin de l’époque perse tous ceux qui ont épousé des Samaritaines sont expulsés et accueillis par Sânballat, gouverneur de Samarie, puis celui-ci obtient d’Alexandre, qui assiège Tyr (-332), de construire un temple au Garizim ; s’y réfugient ensuite les « apostats de la nation juive ».Tout cela est extrêmement judéen. À propos des colons assyriens, la LXX dit au contraire que « jusqu’à ce jour ils révèrent Yhwh » et sont fidèles aux commandements prescrits aux fils de Jacob « à qui il avait imposé le nom d’Israël ». Il y a une légère ambiguïté sur ces « fidèles » : ils peuvent être les descendants soit des colons, soit d’un reste d’anciens Israélites. Josèphe, qui paraphrase le passage d’après une source hébraïque peu différente du TM, confirme la lecture LXX, car il parle de la fidélité yahwiste « jusqu’à ce jour » des anciens colons (AJ 9:288-291). Ici comme ailleurs, il suit l’incohérence de ses sources.Quant au récit relatif au Garizim, il se trouve contredit sur deux points essentiels : d’abord, les fouilles récentes ont dégagé un vaste sanctuaire au culte aniconique qui remonte au moins au Ve siècle. Ensuite, Josèphe se trahit involontairement : il dit que ce sont les « anciens » qui chassent les nombreux prêtres et laïcs qui ont épousé des Samaritaines. Ces « anciens » interviennent donc dans une situation établie ; leur action ressemble fort à ce qui est attribué à Esdras et Néhémie, venus de Babylonie (cf. Esd 10,18-44 ; Ne 13,28) ; pour eux, les Samaritains ne sont que des « peuples du pays », analogues aux sept nations de Canaan.Il faut ajouter que les compagnons d’Esdras et Néhémie n’ont qu’une faible connaissance du Pentateuque : lors de la proclamation solennelle de la Loi par Esdras aux rapatriés à Jérusalem (Ne 8,1-14), cela paraît très nouveau ; il y a des échos semblables sous Josias, lorsque le livre de l’Alliance redécouvert est proclamé au peuple (2 R 23,1-3). Selon Ne 13,1-3, les rapatriés découvrent le Deutéronome à Jérusalem, et s’en inspirent pour « séparer d’Israël tout mélange », ce qui va bien au-delà du passage expressément cité (Dt 23,2-3) ; ainsi, l’Écriture découverte ne sert que d’abri à une coutume non scripturaire, ce qui fait penser aux futurs pharisiens, lesquels ont eux aussi de fortes attaches babyloniennes.https://www.academia.edu/3808231/Mo%C3%AFse_ou_Platon_ou_ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Jeu 11 Avr 2024, 16:06 | |
| Nonobstant de grandes différences de qualité, tant La Bible annotée que la Watch prennent pour argent comptant la propagande "anti-samaritaine" des textes "bibliques"; voir encore ici pour ce processus qui commence avec 2 Rois 17 et Esdras-Néhémie (sans préjudice de leur datation respective), mais se poursuit jusqu'à l'époque hasmonéenne et la destruction du temple du Garizim sous Jean Hyrcan qui marque la séparation définitive entre les deux "communautés". Malgré tout, le texte et les commentaires révèlent bien qu'il n'y a au départ aucune mauvaise intention de la part des "peuples du/des pays" envers la gola judéo-babylonienne: c'est celle-ci qui déclenche les hostilités en les rejetant. L'article de Nodet, quoique d'allure quelque peu fantasque ou désinvolte, est fort intéressant -- pour rappel, nous avons lu ici (1.12.2023) un autre article de lui sur les "Samaritains", qui complète utilement celui-ci: il tend en effet à "redescendre" en plus d'un sens la date et le lieu de la "finalisation" de la Torah, vers l'Egypte hellénistique (Alexandrie, à partir du IIIe siècle av. J.-C.). En tout cas la loi n'en finit pas d'être retrouvée ou réinventée, de Moïse à Esdras en passant par Josué ou Josias, à la fois nouvelle et prétendue ancienne à chaque (re-)découverte, sans que s'explique jamais comment d'une découverte ou invention à l'autre elle serait " oubliée"... |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Ven 12 Avr 2024, 10:51 | |
| Écrire l’histoire judéenne aux périodes perse et grecque : un défi identitaire Philippe Abadie
Continuités et ruptures avec l’historiographie perse
Avant de reprendre ces interrogations, concluons ce regard introductif en insistant à nouveau sur le double héritage qu’a reçu l’historiographie judéenne tardive de son modèle perse. En premier lieu, l’usage de « documents » dans la narration ; ainsi, les livres d’Esdras et Néhémie font-ils un usage abondant de citations d’archives (fictives ou réelles, peu importe à leurs auteurs). Par-là est produit un effet de réel, propre à susciter l’adhésion du lecteur qui s’interroge moins sur la réalité des documents cités que sur leur effet légitimant, qu’il s’agisse du décret de Cyrus en Esd 1, 2-4 ou du firman d’Artaxerxés en Esd 7, 11-26. Sans doute le procédé n’est pas nouveau, connu déjà de l’historiographie deutéronomiste plus ancienne qui inclut des sources dans son récit (cantique de Déborah en Jg 5 ; l’apologue de Yotam en Jg 9, etc.) ou renvoie aux Annales des rois d’Israël et de Juda. Il prend cependant ici une importance plus grande jusqu’à constituer l’essentiel du récit dans l’échange de lettres (en araméen) entre les autorités locales et le pouvoir central en Esd 4-6. Dès lors, et cela se vérifie encore en 1 Maccabées, le document produit devient un facteur d’authentification du récit. « Il semble naturel, conclut Momigliano, de rattacher cet aspect de l’historiographie juive post-exilique à l’influence du modèle perse – que ce soit sur la pratique administrative ou peut-être (mais cela est très incertain) sur la pratique historiographique des Chroniques royales ».
En second lieu, le style autobiographique du récit, déjà relevé dans notre rapprochement entre l’inscription de Béhistoun et les livres d’Esdras et Néhémie qui, au-delà de la forme du récit définit aussi son fond idéologique. Si Darius se justifie ainsi aux yeux des dieux pour sa prise de pouvoir, le scribe Esdras (Esd 7, 27-28) comme le gouverneur Néhémie (Ne 5, 19 ; 6, 14 ; 13, 14.22.29.31) ne cessent d’en appeler à Dieu pour accréditer leurs actions. Et Momigliano d’en conclure que « le style autobiographique se plie à un nouveau dessein, le récit de la formation d’une communauté édifiée non pas sur des fondations autocratiques, mais sur le principe du pacte entre Dieu et un peuple par l’intermédiaire d’un réformateur qui, chose paradoxale, tient ses pouvoirs du roi de Perse. Chez Esdras et Néhémie, une forme autobiographique destinée originellement à exalter un individu sert à raconter la naissance d’une nouvelle organisation politico-religieuse ». Aussi convient-il d’y voir une donnée historiographique fondamentale qui contribue à construire une identité collective (la communauté judéenne) par le biais de la figure du héros qui se met lui-même en scène. Le procédé est surtout évident dans le mémoire de Néhémie présenté d’emblée comme « Paroles de Néhémie, fils de Hakalya » (Ne 1, 1) selon un intitulé qui rappelle d’ailleurs les livres prophétiques. L’exemple d’Esdras peut sembler moins évident puisqu’alternent dans les chapitres 7 à 10 des récits en discours direct (Esd 7, 27-9, 15) et indirect (Esd 7, 1-10 ; Esd 10, 1-17). D’où l’importance de noter que l’ensemble autobiographique est encadré par un double appel direct à Dieu qui « inspira au cœur du roi de glorifier le temple du SEIGNEUR à Jérusalem » (Esd 7, 27) et, dans sa justice, permit à « un groupe de rescapés » d’habiter à nouveau sa terre (Esd 9, 15).
L’historiographie selon Esdras : construire l’identité judéenne en termes ethniques et séparateurs
Il convient cependant d’aller au-delà en notant que la citation de sources externes dans la narration historique ne constitue pas un simple emprunt culturel. Dans la construction du récit d’Esdras, la liste des gens de la province revenus de la captivité et de l’exil (Esd 2), celle des chefs de maisons paternelles revenus avec Esdras de Babylone sous le règne d’Artaxerxès (Esd 8, 1-14) ou des gens coupables d’avoir épousé des femmes étrangères (10, 18-44) servent le dessein d’une telle historiographie. Il s’agit moins alors d’une conservation d’archives que de définir par l’écriture historique les contours d’une communauté exempte de tout « élément mêlé » comme le réclame Ne 13, 3 en appui sur Dt 23, 4-6. Au final, dans un sens assez proche des appels directs adressés à Dieu déjà notés plus haut, la citation scripturaire accrédite d’avance l’action réformatrice des leaders du retour, elle dévoile aussi à la manière d’une prophétie l’identité communautaire construite par le récit.
https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2015-1-page-69.htm
Dernière édition par free le Ven 12 Avr 2024, 13:31, édité 1 fois |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Ven 12 Avr 2024, 12:49 | |
| Sur cet article d'Abadie, voir ici 7.3.2022. Il mérite d'être (re-)lu attentivement car il intéresse bien plus le présent fil, sur Esdras-Néhémie et la comparaison aux Chroniques -- à noter en particulier, § 20ss, la différence idéologique qu'il souligne entre les deux ensembles: autant le "mythe" de l'exil et de la restauration, comme celui du séjour en Egypte, de l'Exode et de la Conquête qui le rétro-(pro-)jette sur un passé lointain, est décisif pour Esdras-Néhémie qui fondent là-dessus la définition de leur (néo-)"judaïsme pur", autant il est accessoire, voire inutile ou néfaste, pour les Chroniques sacerdotales qui insistent au contraire sur la continuité territoriale depuis les "Patriarches" (le fait que dans les Chroniques l'exil s'explique par les "sabbats de la terre", conformément à la législation sabbatique, jubilaire et inapplicable de la fin du Lévitique, paraît tout à fait logique dans cette perspective). Comme je l'ai rappelé ci-dessus (10.4.2024), l'"influence perse", qu'elle affecte la "forme" (genres et procédés littéraires, style, etc.) ou le "fond" (dualisme, angélologie, eschatologie) des textes "juifs" ou "judéens" (toute diaspora incluse), n'est pas synonyme d' époque perse: le judaïsme n'a jamais été aussi "perse" qu'à l'époque hellénistique, en réaction aux influences contemporaines qui étaient plutôt grecques, du moins au plan linguistique ou culturel, qu'elles viennent par ailleurs de la Syrie séleucide ou de l'Egypte ptolémaïque -- pour parodier à nouveau les vieilles traductions de l'épître aux Romains, quand on ne veut pas se conformer au siècle présent on se conforme volontiers au siècle passé, alors qu'on y aurait été réfractaire quand il était présent... Mais cela signifie aussi, surtout en matière de "forme" qui ne présente pas d'enjeux identitaires ou politiques, religieux ou culturels, que les "influences" sont moins pures: à l'époque hellénistique on s'inspire davantage des modèles littéraires grecs que perses -- d'autant que la littérature et l'historiographie disponibles sur les Perses sont précisément grecques (Hécatée, Hérodote, Thucydide, etc., outre les innombrables échos des guerres médiques dans la littérature tragique, lyrique ou romanesque). |
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Lun 15 Avr 2024, 14:57 | |
| Question de pureté ou de peur ? La répudiation des épouses « étrangères » (Esdras 9-10) - PAR SALOMÉ RICHIR-HALDEMANN Pourquoi Esdras rapatrié de Babylone, décide-t-il de renvoyer les épouses « étrangères » des premiers exilés rentrés en Israël ? Ces divorces de masse servent-ils vraiment à protéger l’intégrité du peuple de Dieu ? Salomé Haldemann aborde la question. « Nous avons commis une faute grave envers Dieu, en épousant des femmes étrangères, appartenant aux populations de ce pays. Mais malgré cela il reste un espoir pour Israël : Nous allons prendre l’engagement devant notre Dieu de renvoyer toutes ces femmes ainsi que leurs enfants. Nous suivrons ainsi la suggestion que vous avez faite, toi et tous ceux qui redoutent les commandements de notre Dieu. » Esdras 10 : 2-3 Tout au long de la Bible, un débat constant a lieu entre les textes qui prônent l’exclusion des « autres » et ceux qui prônent l’accueil et l’hospitalité. Dans l’Ancien Testament, les livres de Ruth et de Jonas par exemple montrent que Dieu se soucie profondément des étrangers. En revanche, Esdras, qui raconte, entre autres, le renvoi en masse des épouses étrangères, semble fermement ancré dans une attitude d’exclusion. En se penchant de plus près sur ce texte, nous pouvons identifier certains des éléments qui concourent à cette attitude. Le livre d’Esdras raconte le retour d’exil du peuple d’Israël. Après qu’Israël ait passé plusieurs dizaines d’années en exil à Babylone, Artaxerxès le roi de Perse décide de les renvoyer à Jérusalem. Artaxerxés a désigné Esdras, un maître de la loi, pour mener un groupe d’exilés sur le chemin du retour à Jérusalem. Ce groupe constitue en fait une deuxième vague de rapatriés : en effet, un premier groupe a suivi Zerubabbel pour reconstruire le temple, et un troisième groupe reviendra plus tard avec Néhémie pour reconstruire les murs. Avec ce deuxième groupe, Esdras a la ferme intention de restaurer la communauté. À son arrivée, Esdras apprend que les premiers rapatriés ont épousé des femmes des pays voisins. Cette information le désole, et après avoir fait pénitence, Esdras convoque tous les anciens exilés. Ensemble, ils prennent la décision surprenante et radicale de tous se séparer de leurs épouses « étrangères » (j’expliquerai les guillemets plus loin), et de les renvoyer avec leurs enfants. Cette solution paraît cruelle à nos yeux du XXIème siècle, et le texte mérite d’être approfondi. Afin de comprendre le chagrin d’Esdras et sa décision de répudier les épouses « étrangères », il faut examiner son point de vue sur cette question. Deux éléments dans ce texte ont conduit Esdras à décider de renvoyer femmes et enfants : d’un côté une situation tendue et chargée de stress, avec la peur de désobéir à Dieu, et de l’autre la création d’un récit national qui désigne les fautifs. Une atmosphère tendue Un premier élément est l’anxiété exacerbée. Ayant sans doute à l’esprit leurs souffrances récentes à Babylone, Esdras se lamente profondément à l’annonce des mariages mixtes (9 : 3,5). Il utilise des mots forts pour décrire leur situation. Il considère ces mariages comme un sacrilège envers Dieu (9 : 2, 4 ; 10 : 2,6,10), un grand tort (9 : 6,7), un abandon des commandements de Dieu (9 : 10). Les mariages ajoutent à la culpabilité d’Israël devant Dieu (9 : 7, 13, 15 ; 10 : 10). Esdras rappelle à tous ceux qui l’écoutent que ce sont leurs iniquités qui ont causé l’exil à la base (9 : 7). Selon Snyder, « les auteurs d’Esdras et de Néhémie cherchaient quelqu’un ou quelque chose à blâmer pour [la perte de leur passé mythique] et pour l’exil. La destruction de Jérusalem et les déportations qui avaient eu lieu étaient considérées comme une punition divine pour leur infidélité » Esdras est terrifié par l’idée de la colère de Dieu, il a peur d’avoir atteint le bout de la grâce de Dieu. La grâce de Dieu leur a redonné « un peu de vie dans [leur] esclavage » (9 : en leur permettant de revenir. Mais leur retour est incomplet, car les exilés sont toujours soumis aux autorités perses. Si ce sont les relations avec des personnes extérieures à leur communauté qui ont causé leur traumatisme récent, l’exil peut-il se reproduire ? On comprend la peur d’Esdras d’enfreindre à nouveau les lois de Dieu. Le narrateur fait référence au commandement de Dieu concernant le mariage avec des personnes des pays voisins. Nous allons maintenant nous pencher brièvement sur ces lois. De quelles lois parle Esdras ? Les lois d’Exode 34 : 11-16 et de Deutéronome 7 : 1-6 sont à l’origine des accusations contre les mariages mixtes. Ces deux ensembles de lois désignent les Hittites, les Amorites, les Cananéens, les Perizzites, les Hivites et les Jébusites comme des peuples avec lesquels Israël ne doit pas se marier ni faire des alliances. Les mariages mixtes répugnent à Esdras simplement parce que ces gens « ont souillé le pays à cause de leurs abominations » (9 : 11). Il ne fournit pas plus d’informations que cela. Pour lui, les peuples étrangers sont impurs, et c’est tout. Mais quel est le risque associé à cette impureté ? Était-ce la perte des terres ? L’abandon de la foi ? La dissolution de l’identité culturelle ? Danger 1 : La perte des terres Plusieurs biblistes voient dans l’opposition d’Esdras à l’exogamie la nécessité de protéger les droits fonciers. En cas de décès de l’époux de retour d’exil, la partenaire « étrangère » et ses enfants auraient eu des droits légaux sur ses terres et auraient pu ainsi aliéner la propriété de la communauté[2]. De fait, les terres étaient très certainement une source de désaccord majeur entre les anciens exilés qui revendiquaient leurs terres ancestrales, et les « peuples des pays » qui avaient pris possession de ces terres. Dangers 2 et 3 : L’abandon de la foi et la dissolution de l’identité culturelle Dans un texte similaire en Néhémie 13 : 23-30, l’auteur invoque deux autres raisons pour expliquer le danger des mariages mixtes. La première est le risque d’apostasie, comme ce qui est arrivé à Salomon avec ses femmes étrangères (Néh 13.26-27), et la deuxième est la menace pour l’identité ethnique que représenterait la perte d’une langue commune (Néh 13 : 24). D’autres solutions que le divorce, auraient pu résoudre ces problèmes : modifier la loi sur l’héritage des terres, interdire aux filles issues de mariages mixtes d’épouser quelqu’un de l’extérieur, interdire de parler d’autres langues, se repentir des unions tout en les préservant, etc[3]. Nous avons donc besoin de plus d’informations pour comprendre pourquoi le divorce était la seule option. Une question d’identité Un deuxième élément de la décision d’Esdras est la perspective qu’il porte sur l’identité des rapatriés et celles des peuples voisins. Qui est le peuple d’Israël ? Quand Esdras parle des rapatriés, il les appelle « le peuple d’Israël, les prêtres et les lévites » (9 : 1). « Le véritable Israël », écrit Snyder, « est dépeint uniquement comme ceux qui sont revenus de l’exil »[4]. Esdras choisit d’oublier que Nabuchodonosor avait épargné « les petites gens du pays » (2 Rois 25 : 1-12)[5]. Ainsi, certains Judéens avaient continué à vivre en Yehoud, et leurs descendants y vivaient encore lorsque les rapatriés sont revenus de Babylone. Esdras refuse cependant de considérer que les locaux font aussi partie du peuple d’Israël. Ceux qui n’étaient pas partis en exil vivaient principalement dans des zones rurales en dehors de Jérusalem. Ils avaient probablement construit des temples dans leurs villages après la chute de Jérusalem et la destruction du Temple. Becking note que divers temples yahvistes sont apparus dans tout le pays pendant la période perse. Les rapatriés ont pu considérer que ces sanctuaires locaux étaient des menaces pour l’identité de Jérusalem en tant que seul lieu de résidence de YHWH[6]. https://servirensemble.com/2022/06/10/question-de-purete-ou-de-peur-la-repudiation-des-epouses-etrangeres-esdras-9-10/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Lun 15 Avr 2024, 15:27 | |
| Inhabituelle perspective "évangélico-féministe", où le côté "féministe" contourne astucieusement l'interdit "évangélique" de la "critique" (est-ce Haldemann qui contourne ou circonvient Richir ? ça me rappelle soudain Jérémie 31,22)... En psychologisant et en pathologisant le récit au maximum (jusqu'aux états d'âme d'Esdras, qui paraît pourtant moins émotif que Néhémie) elle évite le problème proprement historique et idéologique (la "conquête de Canaan" sous Josué comme rétro-[pro-]jection de la revendication d'exclusivité de la gola judéo-babylonienne parmi des "peuples du pays" qui sont au moins aussi "israélites" qu'elle). Mais elle voit et montre bien l'essentiel du tour de passe-passe, et c'est d'autant plus précieux qu'elle le montre à un public ("évangélique") peu disposé à le regarder en face.
Vérification faite (j'avais un doute), c'est bien le vocabulaire sacerdotal de la pureté / impureté rituelle qui est détourné dans le sens de la "pureté ethnique" (sous réserve de ce qu'on entend par ethnos, ni "national" au sens moderne ni exactement "racial", cf. supra 10.4.2024 -- encore que le soupçon de mixité interethnique soit bien mobilisé contre les Samariens-Samaritains depuis 2 Rois 17): thr Néhémie 13,9.30, cf. v. 22; 12,30; Esdras 6,20, tm' Esdras 6,21; 9,11 (etc.). Esdras 9,2 parle même de semence = descendance, lignée ou race sacrée ou sainte (qdš), de quoi ravir les "suprémacistes juifs" d'aujourd'hui...
Soit dit en passant, on pourrait méditer sur la façon dont le réflexe endogamique s'est transmis du judaïsme le plus "identitaire" à un christianisme qui se flattait d'avoir dépassé toute détermination "ethnique": "dans le Seigneur seulement", dès 1 Corinthiens 7... Les "païens" sont passés comme une lettre à la poste de "non-juifs" à "non-chrétiens", variant seulement selon la définition du "judaïsme" et du "christianisme" de référence, celui qui les exclut. |
| | | free
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 16 Avr 2024, 14:50 | |
| D’Esdras au yidiche : bilinguisme et langue sacrée Michel Masson 3. Prolongement 3. 2. Bilinguisme hébreu/araméen : langage et sacré Deux faits montrent que la question linguistique provoquait effectivement un malaise. Il s’agit d’abord du passage bien connu de Néhémie (13, 23-25) où l’on voit l’homme de Dieu découvrant la situation en Judée fulminer contre la dissolution des mœurs : « Je vis des juifs yehudim qui avaient épousé des femmes ashdodites, ammonites ou moabites. Quant à leurs enfants, la moitié parlait l’ashdodien (ašdodit) ou la langue de tel ou tel peuple, mais ne savait pas parler le juif (yehudit). Je les tançai et les maudis, en frappai plusieurs, leur arrachai les cheveux ». On observe donc que Néhémie met sur un même plan la corruption des mœurs et la corruption du langage : le croyant ne doit pas plus se mêler aux étrangers sexuellement que linguistiquement et sa langue, l’hébreu (yehudit), doit rester une langue à part, qu’il doit veiller à utiliser telle qu’elle est. L’hébreu relève du pur et les autres langues de l’impur – y compris donc, implicitement, l’araméen. Mais ce qui mérite aussi d’être souligné, c’est l’extrême violence du personnage et donc l’importance extrême qu’il accorde à cette défense de l’hébreu : c’est un militant et il mène un combat. Mais on remarquera aussi avec intérêt que, plus tard, on retrouve un écho à cette prise de position. En effet, on lit dans le Talmud de Jérusalem (Shabbath 3, 22) que R. Méir garantit la vie éternelle à tous ceux qui parlent l’hébreu – ce qui signifie que, parmi toutes les langues, l’hébreu se voit attribuer un rang à part. D’autre part, ce statut particulier est confirmé un peu plus loin (Shabbath 3, 45) par R. Siméon Bar Yochai qui, dans la droite ligne intransigeante de Néhémie, déclare qu’il faut « interdire le parler des Gentils ». 4. Deux manifestes Pour s’en rendre compte, il faut les reprendre en commençant chronologiquement par le plus ancien, le Livre d’Esdras. 4. 1 Le Livre d’Esdras Sa construction bilingue s’inscrit dans « une stratégie narrative », nous dit Sérandour. C’est là une formulation particulièrement heureuse qu’il faut reprendre, mais en l’appliquant à l’ensemble du livre. Or dans sa forme originelle, celle de la tradition hébraïque, il n’est pas dissocié de ce qu’il est convenu de nommer le Livre de Néhémie. Les deux textes ont été séparés artificiellement dans la Septante et il se trouve que c’est cette disposition qui a été retenue dans la tradition chrétienne et, de là, dans les éditions courantes de la Bible. En fait, tout justifie qu’on les envisage comme deux parties d’une même œuvre. En effet, sur le fond, ils traitent des deux acteurs principaux et complémentaires d’un même événement capital de l’histoire juive ; ils mènent le même combat en collaboration étroite, animés par la même foi. Quant à la forme, elle est remarquablement comparable du fait que, d’une part, les deux textes se présentent comme des rapports historiques avec le même usage appuyé de listes d’objets, d’actions, de personnages (avec éventuellement des généalogies) assorties d’ordonnances administratives et que, d’autre part, on y voit utilisée la même thématique (thèmes de la liesse, du désespoir des deux héros, de leur honte, de leurs pleurs, thème des femmes étrangères renvoyées), le tout animé par une même tonalité optimiste, un même élan destiné à galvaniser les croyants. Tout porte donc à penser que l’ouvrage a été composé ou, plutôt, recomposé comme un tout par un même individu, dans le même dessein. Or, du point de vue de la forme, un fait important distingue les deux passages : celui qui concerne Néhémie est entièrement rédigé en hébreu, tandis que la partie relative à Esdras est bilingue. Le « Rédacteur » aurait‑il donc changé de « stratégie narrative » ? Sa manière prouve que non. En effet, observons la nature et la disposition des composantes dans Esdras : les éléments hébreux constituent l’essentiel du récit mais les éléments araméens occupent une place très importante : respectivement 232 et 48 versets ; d’autre part, ce ne sont pas des éléments épars, des bouts de phrase, ils appartiennent à un récit suivi et cohérent relativement long ou plutôt – et la précision est importante – à deux récits, séparés par un fragment en hébreu. On aboutit ainsi à la configuration suivante : hébreu araméen hébreu araméen hébreu On voit donc se dessiner une disposition en alternance. Or le texte considéré dans son ensemble forme lui-même un récit suivi ; les alternances ne constituent aucunement des digressions. D’autre part, ce récit suivi concerne Esdras et Esdras seulement. Autrement dit, l’alternance de langue est associée à la figure d’Esdras et, par contraste, l’absence d’alternance, c’est-à-dire l’usage homogène de l’hébreu, est mécaniquement associée à la figure de Néhémie. Mais en même temps, en cascade, trois détails viennent colorer ce message et le préciser. a) Le premier est évidemment l’anecdote mentionnée plus haut qui signale que Néhémie est horrifié par la dégradation de la situation linguistique de l’hébreu. Qu’elle soit apocryphe ou fidèle à la réalité importe peu : ce qu’il faut retenir, c’est justement qu’elle n’est qu’anecdotique, c’est-à-dire apparemment futile au regard de l’Histoire, mais que le Rédacteur a malgré tout tenu à la rapporter (ou l’inventer). Par là même, il focalise l’attention sur elle de sorte qu’émerge un nouveau message : le héros est non seulement associé à la langue hébraïque mais il prend parti pour elle, passionnément. Cependant, par contraste, apparaît alors que son partenaire, Esdras, lui, ne prend pas parti puisqu’il est associé à l’alternance hébreu/araméen et l’on voit se dessiner ainsi une opposition entre deux opinions relatives au langage. b) Or, en même temps, un autre contraste est mis en œuvre par le Rédacteur : le profil psychologique des deux héros du Retour. Assurément, l’ouvrage est un panégyrique qui vise à immortaliser les deux grands hommes et à célébrer leur œuvre commune. Mais chacun est présenté sous un jour différent. De façon presque caricaturale, Néhémie apparaît comme un fonceur pris par une succession ininterrompue d’initiatives menées au pas de charge où il n’hésite pas à faire preuve de brutalité et à mettre la main à la pâte (cf. Néh. 5, 6 ; 13, 7-8 ; 13, 25). Au contraire, Esdras fait figure d’homme réservé. On le voit, certes, intervenir dans le processus du Retour mais assez peu en mouvement et même, lorsqu’il est fait état de ses déplacements, il en est mentionné ce qu’ils peuvent avoir de statique : le campement lors du voyage à Jérusalem (Esd. 8-15) ; sa prostration devant le Temple (10-1) ; la lecture, debout, de la Loi (Néh. 8, 4- . Il apparaît même sous un jour timide (Esd. 7, 4 ; 10, 1-5) alors que, par contraste, Néhémie est expressément montré comme un homme qui ne craint rien (Néh. 4-8 ; 6, 11). Le contraste ressort d’autant plus nettement qu’il est valorisé par la mise en scène globale des deux personnages : l’un et l’autre interviennent à la première personne mais, dans le cas de Néhémie, c’est toute la péricope qui est couverte par le je – et c’est là un mot qui revient souvent – tandis que, dans le cas d’Esdras, c’est le narrateur qui raconte ses faits et gestes et ce jusqu’à la fin du chapitre 7. C’est seulement alors, dans les trois derniers chapitres (8-10), qu’il se met en scène lui-même et fait usage du je. Cependant, cette sorte d’effacement n’est pas faiblesse mais sagesse – ce que souligne le texte faisant dire au roi à l’adresse d’Esdras : « La sagesse de ton Dieu est dans tes mains ḥokmat ‘elahak bidak » (Esd. 7, 25). Mais cette sagesse se trouve en quelque sorte définie par un épisode où, de façon appuyée, Esdras est mis en parallèle avec Néhémie : celui où il est question des femmes étrangères que les Hébreux ont épousées et avec lesquelles ils ont des enfants (Esd. 10, 2-44 et Néh. 13, 23-27). Néhémie, découvrant l’abomination, explose : « Je les tançai et les maudis, en frappai plusieurs, leur arrachai les cheveux ». La scène est radicalement différente avec Esdras. D’abord, désespéré par les péchés du peuple, on le voit « pleurant et prosterné devant le Temple ». Puis un assistant, Shekanya, le réconforte et propose que soit fait amende honorable « en renvoyant les femmes étrangères et les enfants qui en sont nés (10, 2) ». Esdras se range à cet avis et prend la mesure. On voit donc que la vue du péché ne suscite en lui aucune fureur mais une profonde douleur et que, d’autre part, il sait s’entourer, il sait écouter et finalement décider mais en restant profondément humain comme l’indique un détail dans le finale de la péricope. Il commence ainsi : « Voici ceux que l’on trouva avoir épousé des femmes étrangères ». Suit alors une longue liste et, enfin, le dernier verset : « Ceux-là avaient tous pris des femmes étrangères : ils les renvoyèrent, femmes et enfants. » Le propos est parfaitement redondant mais, dans le silence qui suit un final, il résonne et fait mesurer toute la douleur que ne peut pas ne pas susciter la rigueur de la loi, une loi que, malgré tout, Esdras applique sans faillir. Le contraste avec le déchaînement de Néhémie est saisissant et, pour marquer le trait, non sans humour, le Rédacteur introduit deux détails négatifs : d’abord, il met en scène un Néhémie qui non seulement consacre tout son récit à raconter ses succès mais, à quatre reprises, on l’entend s’en glorifier explicitement et demander à Dieu de l’en récompenser (Néh. 5, 19 ; 13, 14 ; 13, 22 ; 13, 30) en une sorte de litanie qui instille subtilement l’image d’un homme vaniteux. Ensuite, non moins subtilement mais de façon tout aussi ravageuse, s’ajoute le ridicule : alors que, devant la transgression, Esdras est accablé de douleur, Néhémie, lui, explose de colère. Qu’il sermonne et maudisse les coupables, passe encore, mais qu’il frappe plusieurs femmes, ce n’est pas son rôle – il est gouverneur et un homme de son rang ne frappe pas, il fait bâtonner par ses gens. Que penser alors s’il en vient, en personne, à tirer les cheveux des femmes ! Esdras par contraste se détache ainsi au premier plan en sage, doublé d’un homme d’État, tandis que Néhémie apparaît en retrait. C’est sans doute un grand homme efficace et dévoué, mais il prête à sourire et peut même inquiéter. Et, si l’on doutait de cette infériorité, le Rédacteur la souligne dans le récit de la dédicace du rempart de Jérusalem où Néhémie organise deux grands chœurs : « Et Esdras, le scribe, marchait à leur tête […]. Je le suivis… (Néh. 12, 36-38) ». « Je », c’est Néhémie et il suit : c’est un exécutant. Au total, il apparaît donc que l’ensemble du livre est discrètement parcouru par un jeu de valorisation qui place Esdras en position favorable par rapport à Néhémie. Or chacun d’eux est porteur d’une doctrine linguistique. C’est donc celle du premier qu’on nous dit d’écouter : la liberté de choix entre l’hébreu et l’araméen plutôt que l’exclusivité à l’hébreu. c) Un troisième jeu linguistique vient alors se greffer sur les deux premiers et donner la justification de cette position. C’est le fait mentionné plus haut où l’on voit Cyrus proclamer en hébreu (Esd. 1, 1-4) son édit favorable au Retour, alors que, sous une forme plus circonstanciée, il apparaît en araméen quelques chapitres plus loin (Esd. 6, 3-12). Or il est posé dès le début du récit (Esd. 1, 1-2) que cet acte est inspiré par Yahvé qui « éveilla l’esprit de Cyrus » et, nous l’avons vu, c’est précisément cette coïncidence qui porte à mettre en doute la thèse d’Arnaud Sérandour qui consiste en substance à associer l’hébreu au sacré et l’araméen au profane. Cependant, cette démarche nous met sur la voie. En effet, dans la perspective du Rédacteur, l’édit relève bel et bien du sacré puisque la parole de Cyrus est inspirée par Yahvé mais ce que dit Esdras (ou ce que le Rédacteur lui fait dire), c’est que cette inspiration sacrée est indépendante du matériel humain qui la véhicule : le fond n’est pas la forme, l’esprit n’est pas la lettre. Autrement dit, pour lui, l’hébreu n’est pas une langue sacrée, c’est une langue qui, comme n’importe quelle autre langue, à commencer par l’araméen, peut véhiculer – ou non – une pensée qui relève du sacré. L’hébreu est donc bien alors, selon la formule talmudique, lešon haq-qodeš, c’est-à-dire, littéralement, « langue du sacré » du fait que, effectivement, elle est attestée dans des textes qualifiés de sacrés mais il n’est pas une langue sacrée en soi, une langue à part. En rupture avec la mentalité magique est donc mise en œuvre ici une conception rationaliste du langage. Dans cette perspective, rien ne s’oppose donc à ce qu’on préfère l’usage de l’hébreu à celui de l’araméen, et inversement ; se trouve donc résolu le problème linguistique posé initialement. Cette interprétation est rendue vraisemblable par le fait qu’elle entre en consonance avec un mouvement de pensée qui s’est développé précisément à la période postexilique : celui où la notion de sacralité est remise en question et où, d’une part, l’on voit se constituer le monothéisme et même l’émergence de tendances universalises et, d’autre part et conjointement, où l’on s’interroge sur la canonicité des textes. À cet égard, certains, en effet, veulent strictement s’en tenir au Pentateuque alors que d’autres envisagent d’élargir le corpus, débat dont le conflit bien connu qui oppose Sadducéens et Pharisiens nous livre un écho. Pour les premiers, ce qui est donné comme sacré est intangible – on ne peut rien ajouter, rien retrancher ; pour les seconds, ce qui importe, c’est l’esprit sacré qui anime le texte, étant entendu que, si cet esprit sacré se retrouve dans d’autres textes que ceux de la tradition, ils méritent d’être pris en compte : c’est ce qui est advenu des dits des Prophètes puis des Hagiographes, avec la constitution très progressive de la Bible juive . On retrouve là la même attitude à l’égard des textes que celle qu’Esdras adopte à l’égard des langues, un découplage du fond et de la forme, c’est-à-dire, en fin de compte, une réflexion sur le langage et, par le fait même, soulignons-le, une redéfinition du sacré. Le Livre d’Esdras représenterait donc l’expression d’une voix dans un très vaste débat et, étant donné sa date, serait comme une préfiguration de la spiritualité pharisienne. Mais nous allons voir que, un peu plus tard, avec le Livre de Daniel, un autre courant de pensée a voulu se faire entendre. https://www.cairn.info/revue-la-linguistique-2019-1-page-32.htm |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 16 Avr 2024, 16:31 | |
| Article long mais fort intéressant, en dépit de ses lacunes "bibliques" -- j'y surréagis naturellement selon ma propre (dé-)formation (plus ou moins professionnelle): si l'on voulait "psychologiser" Néhémie, celui-ci apparaîtrait d'emblée, au contraire du portrait qui en est fait ici, comme un personnage craintif (2,2; 6,14 etc.) -- à telle enseigne que d'aucuns ont attribué ce trait de caractère, sans rire, à un statut d'"eunuque" (d'après plusieurs mss de la Septante, qui lisent eunokhos au lieu d'oinokhoos, "échanson", en Néhémie 1 = 2 Esdras 11) pris au pied de la lettre; ce n'est pas non plus aux femmes qu'il tire les cheveux en 13,25 (Esdras, lui, s'arrache les siens, 9,3); quant à Daniel, ce n'est pas lui qui est dans la fournaise...
En tout cas il est clair que le bilinguisme du livre d'Esdras, comme celui de Daniel, résiste à toute explication simple, et que la pluralité des langues reste un embarras (depuis Babel au moins). A ce propos, l'auteur va peut-être un peu vite en besogne quand il identifie l'"ashdodien" ou "ashdodite" de Néhémie 13,23ss, qui est présenté comme une "langue" parmi d'autres, à l'araméen (qui est expressément nommé comme tel en Esdras 4,7, bien que l'usage de la langue correspondante ne s'arrête pas au "document" que sa mention introduit; de même pour la citation de Daniel 2,4, l'araméen commence avec la "citation" mais continue après). Du point de vue des traditions "bibliques", Ashdod (tout près de Gaza) est plutôt associée aux Philistins, et le serait par extension à une langue "indo-européenne" proche du grec et distincte de toutes les langues "sémitiques" de la région. Je parle évidemment du tableau (fictif) qu'en brossent les textes, non de la diversité linguistique réelle de la Judée d'époque perse ou hellénistique où les "Philistins" n'étaient plus qu'un lointain souvenir (presque au même rang que les "Hittites" de millénaires précédents), où rien ne s'opposait aux échanges ordinaires entre les populations dans une ou deux langues communes, compte tenu du passage progressif et diversifié selon les milieux de l'araméen au grec.
Reste ce fait linguistique fondamental que la langue n'appartient à personne, et qu'aucune autorité politique, religieuse ou académique n'en fait exactement ce qu'elle veut. Si frustrant que ce soit pour celle-ci -- en effet l'hystérie d'un Néhémie à ce propos paraît plutôt comique, malgré des conséquences tragiques, qui même si elles sont fictives dans le texte auront tout le temps de se "réaliser" plus tard. Si un certain judaïsme se replie sur l'hébreu, au point de le réinventer totalement, comme langue surtout écrite dans un premier temps, il n'empêchera pas d'autres judaïsmes, ou d'autres composantes du même judaïsme, d'utiliser d'autres langues, l'araméen, le grec, et de créer de nouvelles compositions au gré des confrontations linguistiques, de l'araméen ou du grec "bibliques" à l'hébreu et à l'araméen du Talmud ou de la Qabbale, ainsi qu'aux parlers populaires empruntant aux langues de la diaspora, germaniques ou slaves, latines ou arabes: yiddish, ladino, etc. |
| | | free
Nombre de messages : 10098 Age : 63 Date d'inscription : 21/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 16 Avr 2024, 17:08 | |
| La cérémonie et les conditions du mariage
La Tour de Garde annonce le Royaume de Jéhovah 1957
14 La Parole divine interdit la polygamie au chrétien, peu importe la législation en vigueur dans son pays ou dans sa tribu. Le chrétien ne pratiquera pas la polygamie ni la chrétienne la polyandrie. Tout polygame désireux de prendre rang dans la société du Monde Nouveau et qui se voue à Dieu ne peut garder qu’une seule des femmes probablement acquises contre versement d’un lobola. Il renverra les autres dans leur parenté, à l’exemple du prêtre Esdras et du gouverneur Néhémie qui firent renvoyer aux Israélites les païennes qu’ils avaient épousées en dépit de la loi divine (Esdras 10:1-44 ; Néh. 13:23-31). Dans les pays où la chose se pratique, que doit faire, après avoir accepté la vérité, la femme mariée à un polygame ? Elle lui expliquera la résolution qu’elle a prise et les obligations que cela lui impose devant Dieu en sa qualité de chrétienne et de témoin. Il lui faudra alors supporter les conséquences de sa prise de position. Que le polygame la renvoie chez ses parents, qu’il réclame la restitution du prix versé ! Il lui rendra ainsi la liberté. Selon la Parole divine, ses rapports avec le polygame sont un commerce de fornication et non un mariage. Si elle demeure dans une telle union, elle ne pourra recevoir le baptême, même si elle assiste aux réunions et publie la vérité.
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents | |
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| | | | Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents | |
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