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| Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents | |
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Auteur | Message |
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Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 16 Avr 2024, 17:16 | |
| Non seulement la polygamie n'est pas du tout le problème d'Esdras-Néhémie, mais sauf oubli de ma part elle n'est jamais condamnée en soi dans aucun texte "biblique", pas même dans le NT -- elle était simplement passée de mode dans le monde gréco-romain, et avant ou ailleurs elle n'avait jamais concerné que des classes relativement riches. Les interdictions absolues ou relatives de la "répudiation" dans les évangiles n'ont rien à voir non plus avec la polygamie et rendraient plutôt impossible une "solution" comme celle d'Esdras-Néhémie: même si l'on comprend l'exception matthéenne au sens d'une obligation de répudiation, le motif n'en serait certainement pas la mixité ethnique du mariage, cf. la généalogie de Matthieu 1 et ses "étrangères"... Comble d'absurdité, dans une situation comparable (du point de vue de l'endogamie sectaire) à celle d'Esdras-Néhémie -- un TdJ marié à une non-TdJ, ou inversement -- la Watch elle-même ne recommanderait pas ladite "solution" ! Il n'y a vraiment pas de limite à ce qu'on peut faire dire à "la Bible"...
En fait la Watch (des années 1950) ne se montrait pas tellement "sectaire" sur ce point, elle ne faisait que refléter le mépris général des Eglises et des "missions" occidentales, notamment américaines, pour les coutumes "locales", notamment africaines -- j'ai retrouvé des débats similaires beaucoup plus tard dans une faculté de théologie "évangélique" où il y avait beaucoup d'étudiants africains et de missionnaires, avec des opinions à peine plus nuancées sur la "polygamie"; et sous ce rapport la modernité laïque, humaniste, égalitaire ou féministe, ne fait guère mieux... |
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 17 Avr 2024, 13:55 | |
| Esdras et Néhémie : un problème de chronologie
Les événements décrits dans le livre de Néhémie se sont-ils déroulé avant de ceux d’Esdras ?
En apparence, notre question semble aller plus loin que ce que ces deux textes bibliques peuvent permettre de déduire. Cependant, les données chronologiques contenues dans ces textes peuvent légitimement nous intriguer.
Esdras et Néhémie établissent tous deux que les événements qu’ils décrivent prennent place durant le règne d’Artaxerxès. Esdras 7:8 dit: “Esdras arriva à Jérusalem le cinquième mois de la septième année de règne du Roi [Artaxerxès, cf 7:1]”et, respectivement, Néhémie 2:1 dit: “Au mois de Nisan, la vingtième année du règne d’Artaxerxès…”
Selon la position traditionnelle Esdras serait retourné en premier à Jérusalem en 458 av. J.C. tandis que Néhémie serait revenu de Babylone en 445 av. J.C., sous le règne d’Artaxerxès Ier.
Certains spécialistes proposent une datation alternative, plaçant le retour de Néhémie autour de 445 av. J.C. (sous Artaxerxès Ier), et celui d’Esdras en 398 av. J.C. (sous Artaxerxès II).
Cette date plus tardive d’Esdras est basée sur les deux arguments suivants.
(1) Le déroulement de l’action d’Esdras à Jérusalem semble impliquer une ville restaurée, reconstruite, et repeuplée.
(2) Le souverain sacrificateur à l’époque de Néhémie était Eliaschib (Néhémie 3:20; 13: 4), tandis que du temps d’Esdras, il s’agissait de Jochanan, fils d’Éliaschib (Esdras 10: 6).
En ce qui nous concerne, nous sommes d’accord avec la position traditionnelle. En voici les raisons :
(1) Pourquoi Néhémie aurait-il surpris par la destruction du mur de Jérusalem ayant eu lieu 140 années plus tôt, c’est à dire, lors de la chute de Jérusalem en 586 av J.C. (1:2-4) ?
Il nous semble que sa surprise s’explique par le fait que même malgré la présence d’Esdras et de la première vague de Juifs revenus d’exil depuis une douzaine d’années, le mur de la ville était toujours en ruine.
(2) Néhémie mentionne Esdras (Néhémie 8:9; 12:26, 36) mais Esdras, lui, ne le mentione pas du tout. Le plus probable est que le livre d’Esdras ait été écrit un peu plus tôt, et que le livre de Néhémie ait été rédigé alors qu’ils étaient tous deux présents à Jérusalem. Certes, cet argument n’est pas décisif en lui-même, puisque de nombreux prophètes ont omis les noms de leurs pairs contemporains (par ex., Aggée, Zacharie, ou Isaïe et Michée).
(3) L’argument le plus décisif est basé sur l’identification d’Eliaschib. Nous soulignons en effet que le “Eliaschib” mentionné en Esdras 10:6 n’est pas désigné comme souverain sacrificateur. Dès lors, l’identifier au “Eliaschib” du temps de Néhémie est purement hypothétique.
https://www.leboncombat.fr/esdras-nehemie-chronologie/ |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 17 Avr 2024, 14:09 | |
| Présentation typique d'une approche "évangélique", ou "fondamentaliste", c'est-à-dire "historiciste" au sens de l'historiographie moderne: on exclut d'avance l'hypothèse de la fiction (sans préjudice de son genre littéraire précis, légende plus ou moins populaire ou fabrication idéologique d'un "milieu" donné), on postule donc qu'on a affaire à de l'"histoire", "vraie" parce que "biblique", mais il reste la tâche de la reconstituer à partir des "morceaux" parce que leur articulation même n'est pas claire dans le texte... (J'ai le souvenir de ce débat précis au comité de rédaction de la NBS, qui de par sa constitution même ne pouvait pas faire l'économie de ce point de vue "évangélique" et structurellement réducteur. L'"introduction" à Esdras-Néhémie dans la NBS en porte encore les traces.) Bien entendu, dès qu'on admet la possibilité qu'on n'ait pas affaire (seulement) à "de l'histoire", l'alternative binaire (ou bien A, ou bien B) s'effondre... et on peut même envisager un effet de "bougé" bien plus pertinent à l'analyse de nombreux textes "bibliques", à savoir que d'une rédaction à l'autre on n'a pas en vue la même séquence historique ou narrative: c'est tantôt Esdras avant Néhémie, tantôt Néhémie avant Esdras, tantôt les deux ensemble: seule l'obsession "historique" oblige à choisir, mais le choix n'en reste pas moins arbitraire et indéfiniment réversible. |
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 17 Avr 2024, 14:23 | |
| Esdras-N Esdras-Néhémie
Jean-Daniel Macchi
Contexte historique • Esdras 7 – Néhémie 13 : Deuxième période • Esdras et Néhémie agissent indépendamment et ne sont probablement pas contemporains. Seul le rédacteur fait le lien. • Problème Chronologique. • Les événements sont datés à partir d'Artaxerxès • Artaxerxès I (464-424) • Artaxerxès II (404-358) • Artaxerxès III (359-338) • Il y a plusieurs Sanballat, gouverneurs de Samarie.
Contexte historique • Une proposition chronologique • Mission de Néhémie sous Artaxerxès 1 • 445 : (Ne 2,1) arrivée à Jérusalem • Néhémie devient administrateur • Conflit à propos de la reconstruction des murailles de Jérusalem (notamment avec Samarie) • Quelques réformes sociales • 433 : Néhémie fait un aller-retour en Perse • Purification du Temple
Contexte historique • Mission d'Esdras sous Artaxerxès 2 • Esdras connaît une Jérusalem repeuplée post-néhémienne • 398 (Esd 7,7) : début de la mission d'Esdras • Promulgation de la Loi
autorisation impériale
lien avec la Torah
• Influence de la Perse • Influence du judaïsme de la diaspora sur Jérusalem • Religion de type synagogale • Refus des mariages mixtes.
https://www.unige.ch/theologie/distance/courslibre/atintro2005/documents/25b.%20Esdras-Nehemie.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mer 17 Avr 2024, 14:45 | |
| Comme tu l'auras compris la présentation de Macchi diffère de la précédente, non seulement parce qu'elle place Esdras après Néhémie mais parce qu'elle intègre le fait que dans les textes il n'y a pas QUE de l'histoire, si tendancieuse soit-elle...
Mais l'interface historico-littéraire est certainement plus complexe que ça. Par exemple, est-ce qu'il y a "plusieurs Sanballat", comme Macchi l'affirme, ou bien est-ce que le nom "Sanballat" glisse d'un contexte "perse" à un contexte "grec", d'Esdras-Néhémie à Josèphe, ou inversement ? On peut aussi bien considérer qu'une situation du début de l'époque hellénistique ait été rétro-pro-jetée sur l'époque perse que l'inverse, une situation perse répercutée sur les conquêtes d'Alexandre (qu'il y ait eu effectivement un ou des Sanballat à l'époque perse, d'après l'épigraphie, ne change rien à la question des rapports entre les récits et/ou les traditions sous-jacentes)... Le cas de Tobie (Tobiyah, Tobias) est encore plus difficile, car outre Esdras-Néhémie et Josèphe le nom joue aussi entre les Chroniques, 1=3 Esdras et les Maccabées, pour s'en tenir à ce qui le rattache à un clan transjordanien (Ammon, Galaad; le Tobie du livre éponyme, ou presque si on l'appelle Tobit, est situé en Nephtali). |
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Ven 19 Avr 2024, 15:16 | |
| LES LIVRES D’ESDRAS ET DE NEHEMIE Gabriel Leuenberger Le « Nom » (Page 165). Dans les livres d’Esdras et de Néhémie, nous trouvons les trois vocables .(אֱ ֹלהִ ים) Dieu ,)אֲ דֹנ י) Seigneur le ,)יהוה YHWH (L'Eternel). La présence du mot YHWH (יהוה(89 (Eternel) dans l’édit de Cyrus (Esd 1 :1-4), où il revient 5 fois, est la preuve flagrante de l’intervention du rédacteur qui rapporte l’édit royal en lui donnant une interprétation très personnelle et une connotation juive. En revanche, dans le mandat d’Artaxerxès remis à Esdras (7 :12-26), le mot YHWH est totalement absent, mais on trouve l’expression le Dieu des cieux, le Dieu de Jérusalem, la Maison de Dieu à Jérusalem. Ce vocabulaire, qui dénote une vision païenne, authentifie l’origine du texte. De plus, cette expression la Maison de Dieu à Jérusalem revient encore 20 autres fois tout au long du livre, alors que l’expression la Maison de l’Eternel ne revient que 7 fois. Le rédacteur du livre d’Esdras a donc utilisé prioritairement le nom divin YHWH dans des parties bien spécifiques de son écrit : évocation de l’édit de Cyrus (1 :1-4), évocation des sacrifices et des fêtes juives et il a respecté le vocabulaire des Mémoires d’Esdras quand il les transcrit. En effet, dans ces chapitres 7 à 10 qui proviennent des Mémoires d’Esdras, jamais le nom divin YHWH n’est cité. C’est une indication précieuse relative à la crainte d’Esdras de prononcer ce Nom en vain. En revanche, le rédacteur, qui a utilisé ces mêmes Mémoires d’Esdras dans Ne 8, mais sans les citer textuellement, n’a pas craint d’employer ce vocable, et il apparait également dans Ne 9. L’absence du tétragramme YHWH dans les chapitres concernant Esdras n’est certainement pas fortuite. La réflexion sacerdotale et législative durant l’exil doit avoir déjà promu le caractère sacré du nom de YHWH qu’il ne faut pas prononcer ; et le bon moyen d’éviter de prononcer le Nom de l’Eternel en vain (Ex 20 :7) est de ne pas le prononcer du tout, quoique le rédacteur ne semble pas être sensible à ce problème. Déjà dans le livre de Daniel (IIe s. av. JC), on a pris l’habitude d’utiliser la voie passive pour escamoter le véritable sujet de la phrase, Dieu : Une prolongation de la vie leur fut donnée… Il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté… (Dn 7 :12,14). Bien souvent la TOB a traduit par un ON impersonnel. Dans les évangiles, Jésus enseigne en disant : Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… (Mt 5 : 21 ; etc.) ; quand Jésus comparait devant le Sanhédrin, le grand prêtre l’adjure : Es-tu le Christ, le fils du Béni ? (Mc 14 :61) (nos traductions ajoutent à tort le fils du Dieu béni). Le judaïsme jusqu’à nos jours s’en est tenu à cette règle quasi absolue. Cependant, le Rituel des prières en usage dans les Communautés juives en Alsace et en Suisse (1945) reprend le terme Eternel que nous utilisons avec raison depuis Olivétan. L’expression le Dieu des cieux est utilisée dans les textes en relation directe avec l’administration royale, soit dans les écrits, soit dans la bouche des fonctionnaires perses, soit dans la bouche des juifs qui parlent à des représentants du gouvernement perse. Le mot Dieu est aussi employé quelques fois tout seul. Une expression revient fréquemment dans les passages avec Esdras (7-10) : ton Dieu dans le mandat royal, mon Dieu, notre Dieu. Mais l’expression notre Dieu peut avoir un accent polémique, marquant une appartenance que les autres n’ont pas. Elle apparait pour la première fois en Esd 4 :2,3. Les ’’ennemis’’ disent votre Dieu et Zorobabel et les siens répliquent notre Dieu. Le sous-entendu est patent. ’’Notre Dieu, disent les juifs, ne vous concerne pas, vous, les Samaritains : La Maison de notre Dieu, nous la bâtirons nous seuls à l’Eternel le Dieu d’Israël, ce Dieu que vous ne connaissez pas, ce Dieu du peuple d’Israël, dont vous ne faites pas partie, cette Maison à laquelle vous ne devez pas avoir accès’’. Une petite statistique donne les résultats suivants : Dans le livre d’Esdras : יהוה est absent des Mémoires-mêmes à cause du caractère sacré du nom de YHWH, mais le rédacteur l’utilise - 5 fois dans l’édit de Cyrus (1 :1-4) - 9 fois dans des passages liturgiques et rituels de sacrifices (chap. 3) - 10 fois : joints à : le Dieu d’Israël ou le Dieu de nos pères ou mon Dieu - 7 fois : la Maison de l’Eternel Plus 5 fois (Ne , et 5 fois (Né 9) י נֹד ֲא Seigneur est absent sauf une fois comme titre honorifique donné à Esdras (Esd 10 :3) ( terme courant chez Ezéchiel). Dieu אֱ לָ ּה אֱ ֹלהיִם (fois 80) Dans les Mémoires d’Esdras (7-10), on trouve les expressions : - ton Dieu (7 :14,25,26) dans le mandat royal - mon Dieu (7 :28 ; 9 :5) dans la bouche d’Esdras - notre Dieu (8 :18,23,25,31,33 ; 9 :10,13 ; 10 :2,3). Et avec un accent polémique sous la plume du rédacteur : 4 :2,3 : les ’’ennemis’’ disent votre Dieu et Zorobabel réplique notre Dieu - 5 fois : le Dieu des cieux, le Dieu de Jérusalem - 25 fois : la Maison de Dieu à Jérusalem - 8 fois Dieu des cieux, Dieu des cieux et de la terre, Dieu de Jérusalem - 25 fois dans l’expression la Maison de Dieu - le mot Dieu est aussi employé quelques fois tout seul. https://www.reformes.ch/sites/default/files/data/documents/blogs/Gabriel_Leuenberger/11_Commentaires__Esdras_et_Nehemie.pdf |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Ven 19 Avr 2024, 16:07 | |
| Sur cette affaire du "nom divin" qui obsède tant les TdJ et nombre d'"ex", on retrouve le problème logique élémentaire du monothéisme: un dieu particulier qui devient "Dieu" unique n'a plus besoin de "nom propre" et "personnel" pour se distinguer des autres, puisqu'il est "unique en son genre" -- ce qui revient à dire qu'il ne constitue aucun "genre" et ne ressortit à aucun "genre": deus non est in genere. Tout nom, même commun comme "dieu", lui devient un nom propre, d'où en français la majuscule à "Dieu" qui le distingue radicalement de tous les "dieux" (de même pour le Seigneur, l'Eternel, le Créateur, etc.). C'est aussi ce que dit la version nietzschéenne (Zarathoustra) des dieux qui meurent de rire en apprenant que l'un d'eux s'est proclamé le seul: la divinité, le concept même de divinité, suppose qu'il y ait des dieux et non un seul, s'il y en a un seul c'est une singularité sans concept. Cette évidence, même si elle a pris des millénaires pour être pensée sous cette forme, s'est traduite instantanément, sans doute dans les pratiques orales comme dans les textes qui nous en restent, par une diversité de "solutions" variant d'un milieu à l'autre, et non seulement d'un livre à l'autre mais d'une rédaction à l'autre des mêmes textes (cf. le "psautier élohiste", les psaumes 42--83 où le nom Yahvé est évité, contrairement au reste du recueil; ou encore Daniel qui ne l'emploie qu'au chapitre 9). Dans une perspective monothéiste, on pouvait aussi bien éviter le nom que le revendiquer et le surinterpréter (cf. Exode 3): de toute évidence la pratique orale, ordinaire et rituelle, et graphique ou scripturaire (scribale), a fluctué pendant des siècles. Entre les deux extrêmes "superstitieux" qui faisaient de l'articulation du "tétragramme" soit un danger à éviter absolument, soit une puissance "magique" à n'employer qu'à bon escient et à ses risques et périls, il y a longtemps eu place pour un usage indifférent, qui ne lui prêtait aucune "vertu" particulière, ni positive ni négative selon l'ambivalence du pharmakon, remède et/ou poison.
Quant à la stratégie du rapport aux nominations "étrangères" et particulièrement perses de Yahvé comme "dieu des cieux" ou "dieu des dieux", il faut rappeler que le principal enjeu d'Esdras-Néhémie est de distinguer son "(néo-)judaïsme" rattaché exclusivement à la gola judéo-babylonienne des "peuples du/des pays" (les non-exilés) qui se référaient au même "Yahvé": le nom divin n'était absolument pas distinctif des deux communautés, la distinction ethnique entre celles-ci étant par ailleurs purement fictive. Il n'y avait aucun problème à identifier Yahvé à Ahura-Mazda (comme jadis à El, à Baal, à Shamash ou Amon-Rê) en récupérant sa titulature, car celui-ci ne présentait pas de concurrence religieuse immédiate; de même à l'époque des Maccabées et de Daniel certains Judéens/Juifs ne verraient aucun inconvénient à identifier Yahvé à Zeus Olympien ou à Baal-Shamem (Seigneur des cieux), alors que pour d'autres ce serait "l'abomination de la désolation" (shomem). Jeu d'influence complexe et retors des idées sur la langue et de la langue sur les idées... |
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 23 Avr 2024, 11:41 | |
| Les scribes d'Israël, maîtres de l'écriture et gardiens des Écritures André Paul
Une figure idéalisée pour une écriture sublimée
Le scribe, rappelons-le, est l'homme de l'écriture. Toute une gamme de fonctions et de titres lui est relative, variant selon les temps et selon les lieux. Si le scribe de cour a rang de haut fonctionnaire, le scribe de bourg est un personnage au seul rayonnement local, nonobstant vénéré pour ses connaissances et son savoir-faire. Très peu de gens savaient lire à l'époque, et combien moins écrire. Le mot « secrétaire » peut servir de comparaison, par l'éventail hiérarchisé des responsabilités et des tâches qu'il implique aujourd'hui. D'ailleurs, le sôfer antique exerçait volontiers la fonction de secrétaire. Or, dans la société judaïque pré-chrétienne, à partir du Ve siècle avant J.-C., la figure du scribe s'enrichit de qualités faisant écho à celles-là mêmes dont on dotait pour une part choisie l'écriture, l'écriture littéraire il s'entend. Alors on sublima et on idéalisa le scribe.
La littérature que l'on dit apocalyptique peut être dite écriture sublimée. Écriture dans le sens de composition littéraire. Elle s'épanouit à partir du IIIe siècle avant l'ère chrétienne. Il s'agit d'œuvres de fiction dont la scène et les acteurs sont pour beaucoup célestes, avec de grands agents bibliques transformés en voyageurs des cieux, venus recevoir de Dieu, par la médiation de guides angéliques, les « révélations » nécessaires pour saisir le sens rédempteur du cosmos, de l'homme et de l'histoire. Le plus insigne d'entre eux est le patriarche antédiluvien Hénoch, inspirateur de bien des spéculations et des textes, regroupés sous son nom en plusieurs collections, connues comme les Livres d'Hénoch. Or, plusieurs passages de ceux-ci ou de livres apparentés (le Livre des Géants par exemple), aujourd'hui mieux connus par les rouleaux de la mer Morte, mettent en scène Hénoch en tant que scribe, pour sa maîtrise exceptionnelle de l'écriture. L'expression « Hénoch, scribe de (la) justice », est frappante. On la rencontre à treize reprises. On lit aussi : « scribe de rectitude ». On peut donc parler de sublimation apocalyptique de la figure du scribe. La personne plus ou moins légendaire d'Esdras se trouve, elle, idéalisée dans la tradition biblique des livres d'Esdras et de Néhémie. On est censé vivre sous la domination des Perses. Esdras est appelé « scribe ». Rappelle-t-on ainsi son statut antérieur de haut fonctionnaire, préposé à l'écriture ou non, dans les rouages gouvernementaux de la cour des Achéménides ? On ne peut répondre avec certitude. Dans ladite tradition, Esdras apparaît comme une sorte d'érudit, un maître ès Loi de Moïse, avec une grande influence sur la communauté de Jérusalem dont il est peut-être le chef. Bien plus, on le dit prêtre. Ainsi illustre-t-il le cas du scribe cumulant les fonctions de haut fonctionnaire civil, de chercheur et de maître en matière de Loi, et de prêtre responsable de la communauté cultuelle, différent du grand prêtre cependant. Cette aura richement diversifiée peut s'expliquer par l'impact de l'institution progressive mais sûre d'un corps d'écrits regroupés sous le nom fondateur de Moïse, avec comme titre « la Loi », en attendant qu'il ne soit déclaré « saint ».
https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/pdf/pdf_les_scribes_d_israel_maitres_de_l_ecriture_et_gardiens_des_ecritures.pdf
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La multiplication des copies permet la préservation des textes
Les gardiens des premiers textes de la Bible, les Israélites, ont conservé avec soin les rouleaux originaux et les ont abondamment recopiés. Ainsi, les rois d’Israël avaient reçu pour instruction d’écrire “ une copie de cette loi, d’après celle qui est sous la garde des prêtres, des Lévites ”. — Deutéronome 17:18.
Beaucoup d’Israélites aimaient lire les Écritures, qu’ils considéraient comme la Parole de Dieu. Le texte était donc recopié avec un très grand soin par des scribes hautement qualifiés. On a parlé de l’un d’eux, Ezra, un homme qui craignait Dieu, comme d’“ un habile copiste dans la loi de Moïse, qu’avait donnée Jéhovah le Dieu d’Israël ”. (Ezra 7:6.) Les Massorètes, copistes des Écritures hébraïques, ou “ Ancien Testament ”, entre le VIe et le Xe siècle de notre ère, comptaient même les lettres pour éviter toute erreur. Ce travail méticuleux a permis de garantir à la fois l’exactitude du texte et la survie de la Bible, malgré les efforts acharnés et persistants de ses ennemis pour la détruire.
https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/102007409?q=esdras+copiste+bible&p=par
7 Une partie importante de la Bible rapporte des faits historiques qui concernent la vie d’individus, de familles, de tribus et de nations. Comment les rédacteurs de la Bible ont-ils obtenu ces renseignements ? Ils furent parfois témoins des événements qu’ils relatèrent. Mais ils durent bien souvent puiser à d’autres sources. Ils consultèrent des récits historiques et des généalogies qui existaient alors, ou même des hommes qui étaient en mesure de leur fournir des renseignements dignes de foi parce qu’ils avaient été eux-mêmes témoins des événements ou qu’ils les avaient appris d’une autre manière. Le rédacteur devait faire de nombreuses recherches minutieuses. Esdras, prêtre et copiste très habile, consulta une vingtaine d’ouvrages documentaires pour compiler les deux livres des Chroniques. Parlant de la rédaction de son Évangile, le médecin Luc déclara : “J’ai décidé, moi aussi, ayant repris toutes choses avec exactitude depuis le début, de te les écrire dans un ordre logique.” (Luc 1:3). Les renseignements historiques (consignés dans la Genèse et dans le livre de Job) sur le début de la vie de l’homme ou sur des événements antérieurs, par exemple des conversations dans le ciel, furent révélés par Dieu, soit directement aux rédacteurs bibliques, soit à d’autres hommes avant eux. Les renseignements qui furent révélés à des hommes qui vécurent avant les rédacteurs de la Bible durent ensuite être transmis oralement ou par écrit jusqu’à l’époque où ils furent inclus dans le texte de la Bible
https://wol.jw.org/fr/wol/d/r30/lp-f/1975163?q=esdras+copiste+bible&p=par |
| | | Narkissos
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Mar 23 Avr 2024, 12:13 | |
| Merci.
L'excellente présentation générale d'André Paul (fût-ce sous la casquette d'animateur de croisière, sans doute plus lucrative) offre un contraste frappant avec les récitations de la Watch, qui n'ont guère varié, et seulement en français, que par la transcription des noms propres au gré des marottes des traducteurs: ainsi Esdras - Ezra - Esdras...
A. Paul aurait toutefois pu signaler aussi que dans le "judaïsme du Second Temple" et au-delà les "scribes" se diversifient non seulement en fonction de leur attache géographique ou sociale (capitale ou chef-lieu administratif, à défaut de cour royale, ou scribe de village qui serait aussi bien "notaire"; scribe "privé", attaché à tel ou tel notable, propriétaire terrien ou commerçant, etc.), mais encore en fonction de leur appartenance à telle ou telle école ou "secte" (cf. les "scribes des pharisiens" Marc 2,16; cf. Actes 23,9; ou la "signature" de Matthieu 13,52 qui montre que le groupe concerné a aussi ses "scribes"; déjà dans Esdras il y a un scribe nommé dans le camp "adverse", Shimshaï, chap. 4; cf. du "bon" côté Néhémie 13,13, avec un Ts-çadoq au nom ostensiblement sacerdotal). Leur "savoir-faire" (tekhnè, ars) qui reste en grande partie commun aux différents contextes leur confère donc une certaine mobilité, qui leur permet de passer facilement d'un "milieu" à l'autre: ce sont des recrues, des convertis, des renégats ou des transfuges appréciés, que chaque groupe tend à vouloir attirer et retenir mais dont aussi il se méfie. A mon sens ce n'est pas du tout passé de mode, même s'il ne s'agit plus de "scribes": il y a toujours une fascination et une répulsion pour les "techniciens" et les "intellectuels", de toute sorte et à tous les niveaux; j'ai constaté pour ma part qu'un certain "savoir-lire-et-écrire" m'a aussi amené à traverser différents "milieux", pour le meilleur et pour le pire. |
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| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Ven 26 Avr 2024, 13:08 | |
| Le retour de l'exil
Pour mieux comprendre les livres d’Esdras et de Néhémie il faut remonter un peu dans le temps et revenir sur les événements de l’exil.
Il est difficile d’évaluer la population des villes et des États de l’Antiquité parce que la plupart des sources écrites exagèrent outrageusement et que les témoignages de l’archéologie sont toujours fragiles. En s’en tenant à une estimation réaliste, on peut penser que le Royaume de Juda, à la veille de la conquête par les Babyloniens, vers 600 AC, pouvait compter au maximum 100 000 habitants dont peut-être le quart à Jérusalem. Le 2ième livre des Rois affirme que le roi de Babylone emmena en exil tout Jérusalem … soit dix mille exilés (2 R 24, 14). Mais dix ans plus tard Nabuzaradan déporta le reste de la population laissée dans la ville, les transfuges qui avaient passé au roi de Babylone et le reste de la foule (2 R 25, 11). Il restait donc des habitants à Jérusalem après la première déportation; après cette deuxième on a l’impression d’un vide total. Pourtant, tout de suite après, Godolias est nommé gouverneur de la population encore sur place (2 R 25, 22). Le livre de Jérémie fournit des données sans doute plus réalistes : 4600 personnes déportées en trois vagues, 597, 587 et 582 AC (Jr 52, 28-30). Cela représente environ 5% de la population. Il y eut sans doute de nombreuses victimes de la guerre, même si leur nombre est impossible à établir; il y eut aussi des exilés volontaires en Égypte (cf. Jr 43, 4-7; 2 R 25, 25-27). Malgré tout, Jérusalem et ses environs ne sont pas devenues un désert pendant l’exil. De cette population restée sur place, composée surtout d’agriculteurs et de gens de petits métiers (2 R 25, 12), nous ne savons rien sinon que sa présence va peser lourdement sur les projets de réorganisation de la communauté revenue d’exil.
La vie des exilés
Les exilés appartenaient aux classes les plus aisées : dignitaires, notables, artisans et ouvriers spécialisés (2 R 24, 14). Transplantés en terre étrangère et laissés sans ressources, leur sort dut être pénible, surtout au début. On connaît la plainte célèbre : Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion (Ps 137(136), 1). Mais les déportés n’étaient pas esclaves ni prisonniers. Le prophète Ézéchiel, qui partit avec le premier contingent en 597, donne dans son livre l’image d’une communauté bien organisée avec ses anciens (Éz 14, 1; 20, 1) et ses prophètes (Éz 13, 1-3.17). Jérémie, resté à Jérusalem, écrit aux exilés de s’installer dans leur nouveau pays et de travailler à sa prospérité (Jr 29, 4-7). Par ailleurs, la perspective d’un éventuel retour n’enchantait pas la population restée sur place qui s’était approprié les propriétés abandonnées (Éz 11, 14-21).
L’intervention de Cyrus
Ainsi parle Yahvé à son oint, à Cyrus dont j’ai saisi la main droite pour faire plier devant lui les nations et désarmer les rois, pour ouvrir devant lui les vantaux, pour que les portes ne soient plus fermées (Is 45, 1).
À partir de 550 AC il devint évident pour tout observateur attentif de la scène politique que l’Empire babylonien n’était plus en mesure de résister à la nouvelle puissance montante, la Perse. La réputation de tolérance de ses dirigeants était déjà connue. C’est pourquoi une partie au moins des Judéens résidant à Babylone a vu dans ce changement de régime une promesse de salut en rendant possible un retour dans la patrie des ancêtres et la restauration d’une vie nationale. Le prophète qu’on nomme le Deutéro-Isaïe (Is 40 à 55) envisage cette restauration avec enthousiasme; il la décrit comme une marche triomphale où Yahvé prendra la tête de son peuple pour le conduire à travers le désert (cf. Is 40, 3-5).
Lorsqu’arriva enfin la permission tant attendue (cf. Esd 1, 2-4; 6, 3-5), le peuple des exilés ne se leva pas comme un seul homme pour retourner en Judée. La plupart des exilés n’avaient jamais vu Jérusalem, ils avaient grandi en Mésopotamie et y avaient leurs affaires. Ce qu’on pouvait savoir de la situation sur place n’était pas très invitant : beaucoup de villes et de maisons en ruines, une population locale peu accueillante aux nouveaux venus. Il fallait beaucoup de courage et de foi aux premiers rapatriés pour tenter cette aventure et entreprendre le voyage.
https://www.interbible.org/interBible/ecritures/exploration/2012/exp_120529.html |
| | | Narkissos
Nombre de messages : 12456 Age : 65 Date d'inscription : 22/03/2008
| Sujet: Re: Le livre d’Esdras - Raconter l’Histoire avec des documents Ven 26 Avr 2024, 13:37 | |
| Ce rappel utile des "données" concernant l'exil et les premiers retours n'a qu'un rapport assez lointain avec la majeure partie des récits d'Esdras-Néhémie, qui concernent des périodes beaucoup plus tardives dans l'époque perse (sans parler de leurs rédactions). Il faut se reporter aux autres notices de Longtin sur ce site (ce n'est que la deuxième sur six), accessibles à partir d'ici (chercher "Esdras" sur la page pour trouver les liens: chaque notice ne renvoie qu'à la précédente, et pas aux suivantes).
Au passage, la formule "il devint évident pour tout observateur attentif de la scène politique" m'a fait sourire, car elle m'a évoqué l'image du quidam du Ve siècle av. J.-C., exilé de surcroît, assis devant sa télé... On perd de vue que ce type de visibilité géopolitique n'était accessible dans l'Antiquité qu'à des cercles très restreints, dans le voisinage immédiat des cours royales ou de la haute administration des "empires", et que les "événements internationaux" mettaient des années à être vaguement connus d'un public plus large, sans parler d'être prévus.
En tout cas l'aspect "socio-économique" mérite d'être relevé: la gola judéo-babylonienne qui fonde le "(néo-)judaïsme du Second Temple", ce sont globalement des gens plus riches et plus instruits que le(s) "peuple(s) du/des pays" qui n'ont jamais été exilés et qui en seront exclus -- bien que ceux-ci aussi aient leur propre "aristocratie" ou élite locale, administrative, commerçante ou terrienne (Sanballat à Samarie, Tobie l'"Ammonite", Geshem l'"Arabe", etc.). De ce point de vue le statut des protagonistes, Néhémie et 'Esdras, hauts fonctionnaires ("grand échanson", comme dans Genèse 40--41, "eunuque" ou pas d'un côté, prêtre-scribe ou scribe-prêtre de l'autre), prend toute son importance. Mutatis mutandis, les mêmes "rapports de classe" seraient à analyser par rapport à la diaspora égyptienne, tout à fait ignorée dans Esdras-Néhémie (Esdras 9,1 met curieusement les "Egyptiens" dans le même sac que les "Cananéens", malgré le contre-exemple de Joseph), mais qui a probablement joué un rôle décisif dans la constitution de la Torah à l'époque perse et hellénistique (cf. Nodet, supra 11.4.2024). |
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